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 La nouveauté chrétienne

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Narkissos

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MessageSujet: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeMar 02 Fév 2010, 20:03

Il n'est pas évident, au XXIe siècle, de penser le christianisme comme une religion de la nouveauté. Et c'est pourtant ainsi qu'il s'est présenté au monde ancien, ancien non seulement par rapport à nous mais aussi, dans un sens opposé, par rapport à lui-même: un monde qui se considérait comme ancien, qui du fait de la visibilité historique et mythologique issue de la continuité gréco-romaine (et portant à travers elle sur les civilisations égyptienne, mésopotamienne, phénicienne, perse et au-delà, en passant par le judaïsme) se savait et se sentait vieux, avec un mélange de fierté et de lassitude.
Là où l'autorité religieuse se fonde sur l'antiquité de la tradition le christianisme semble revendiquer sa nouveauté: nouvelle alliance puis nouveau testament, vie nouvelle, homme nouveau, vin nouveau... il n'est certes pas la seule nouvelle religion à émerger dans un rapport contradictoire avec une religion ancestrale (zoroastrisme, bouddhisme déjà avant toute la floraison contemporaine des cultes à mystère) mais il semble plus que tout autre assumer sa nouveauté. Sans doute parce que dans la ligne de l'évolution du judaïsme lui-même il ne se contente pas de vérités intemporelles, mais veut s'inscrire dans l'histoire, et plus spécialement à la fin de celle-ci. Le kainon est aussi l'eschaton, le nouveau est aussi le dernier. Le christianisme dès qu'il a conscience de lui-même se pense comme la conclusion de l'histoire et non comme un chapitre de plus.
Sur un tel fondement il n'était guère préparé à vieillir. Il y a pourtant réussi, plus ou moins heureusement. En délaissant très vite l'eschatologie pour se tourner vers l'intemporel, comme on le voit déjà dans maint texte du NT, sans toutefois l'abandonner tout à fait, d'où sa tendance à produire encore et encore en son sein des mouvements qui voudront à la fois se croire arrivés à "la fin" et rejouer "l'origine" des "premiers chrétiens" qui sont aussi les derniers.
Etre chrétien, de ce point de vue, c'est toujours réinterpréter la "nouveauté" d'une religion qui n'est plus nouvelle depuis fort longtemps.
Voilà un sujet qui m'a beaucoup fasciné... il y a longtemps. Que vous en semble?
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeMar 02 Fév 2010, 23:40

Cela?
L'avant-dernier paragraphe, à la rigueur...
Le reste est observation et tentative d'analyse d'un fait textuel (le champ lexical de la nouveauté dans les premiers écrits chrétiens), et je n'y vois rien de catéchétique.
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeSam 11 Sep 2021, 16:06

Je ressuscite ce début de fil resté jusqu'ici sans suite (alors qu'il y en a au moins deux autres plus récents et plus fournis sur des thèmes similaires, mais circonscrits au départ à certains textes bibliques particuliers; et d'innombrables sur des sujets connexes: "histoire", "mémoire", "tradition", "trahison", "fidélité", "foi", "conversion", "repentance" ou "métanoia" -- on finira par y voir un rapport si celui-ci n'apparaît pas d'emblée), pour revisiter une petite grappe de textes à la fois très semblables et très différents, et y relever de menus détails formels, textuels et syntaxiques; cela aurait aussi bien pu aller dans la rubrique "Un jour, un verset", mais ne valait peut-être pas un fil supplémentaire:

... de sorte que s'[il y a] quelqu'un (ou si quelqu'un [est]) en Christ, création nouvelle; l'ancien est passé (ou: les choses anciennes sont passées, ont passé), voici (vois, regarde, sache): du nouveau est advenu (ou: des choses nouvelles sont advenues, sont là, il y a du nouveau, etc.) -- 2 Corinthiens 5,17 (cf. Romains 6,4; 8,1; Galates 6,15; Ephésiens 2,15 etc.).

Et celui qui est assis sur le trône dit: Voici (vois, regarde, sache), je fais tout nouveau (toutes choses nouvelles)... -- Apocalypse 21,5.

Et, en toile de fond de ces deux énoncés, Isaïe 43,18s:

Ne vous souvenez pas des choses anciennes (ou premières, ri'shonoth, cf. le (be-)re'shit apparenté qui forme le premier vocable et le titre hébreux de la Genèse), ne pensez pas aux choses d'autrefois (ou: des origines, qadmoniyoth de qdm qui dit l'avant et le devant, l'orient quand on s'"oriente" du côté du soleil levant):
me voici faisant
(ou: voici, je fais) une nouveauté (ou: une chose nouvelle), maintenant elle germe, ne la (re)connaissez-vous pas ?... (TM)

Ne vous remémorez pas le premier (ou: les choses premières, ta prôta), ne considérez pas l'ancien (ou: les choses anciennes ou originelles, ta arkhaia, cf. arkhè, "commencement" et "commandement", "principe" et "prince, principat", etc.). Voici (vois, regarde, sache), je fais du nouveau (ou: des choses nouvelles, kaina), ce qui maintenant se lève, et vous le (re)connaîtrez... (LXX).

Le "voici" commun à ces trois (ou quatre) versets passe d'ordinaire inaperçu, et pour d'excellentes raisons linguistiques: c'est un de ces "marqueurs" syntaxiques qui abondent dans les langues anciennes, orales jusque dans la lecture (à haute voix), et dont l'écriture est dépourvue de ponctuation; marqueurs qui deviennent par conséquent inutiles et superflus dans nos langues et nos typographies. Les vieilles traductions (à commencer par la Septante) tendaient à les calquer de façon quasi mécanique (d'où une pléthore de "voici" et autres termes du même genre qui finissent par constituer une sorte de "style biblique" artificiel, et auxquels les habitués ne prêtent plus attention), alors que les nouvelles tendent logiquement à les omettre. En l'occurrence, il s'agit en hébreu d'une particule (hen, hinneh, hinneni, etc.) à la limite de l'interjection, de la conjonction et du démonstratif, qui marque avec une certaine emphase (insistance, intensité) le début d'une proposition plus ou moins solennelle (déclaration, affirmation, etc.), comme peut le faire notre adverbe "voici". Le grec la rend par l'impératif d'un verbe visuel ou cognitif (idou, vois, regarde, sache, de eidô qui signifie voir ou savoir, selon qu'il est intégré aux conjugaisons défectives d'oraô ou d'optanomai, voir, regarder, ou à celle d'oida = savoir, cf. le yd` hébreu ou le "véda" sanskrit; il est parfois conjugué au pluriel, idete,, mais le plus souvent laissé au singulier, comme une locution stéréotypée, de type adverbial invariable; à noter que notre "voici" relève de la même étymologie, vois-ci, ici ou ceci).

J'ai bien sûr quelque "idée" derrière la tête (idea, eidos, de la même famille "optique" et "cognitive", et apparentés au video latin d'où dérive notre verbe "voir", et donc aussi notre "voici") en évoquant ces faits linguistiques a priori sans autre intérêt que la curiosité: celle que le "nouveau" et son effet de surprise, son apparition, sa révélation, sa manifestation ou son surgissement soudains, son épiphanie ou son phénomène, sont précisément affaire de regard, de changement de regard ou de conversion du regard, comme condition d'un "savoir" de ce qu'on ignorait, ou de qu'on ignorait savoir. Tout présent, toute présence, s'expliquent autant qu'on voudra par rapport à un passé ou à un avenir dont ils viennent ou proviennent, indifféremment: aujourd'hui, c'est toujours la suite d'hier et d'avant-hier, autant que ce qui était attendu, espéré ou redouté comme demain, même si ce qui arrive, l'événement, est complètement inattendu -- à cet égard au moins, rien de nouveau sous le soleil. Pourtant tout est toujours aussi bien "nouveau", même si le nouveau, réel ou fictif, ne se fait qu'exceptionnellement remarquer comme tel.

Je n'entre pas ici (mais on pourrait y revenir) dans les considérations exégétiques habituelles, qui sont bien connues: le monothéisme absolu et quasi halluciné du deutéro-Isaïe qui fait soudain saisir, dans un éblouissement, la présence et le présent divins dans le cours de l'histoire immémoriale et universelle (hinneni, "me voici", est d'ailleurs proche du "moi, lui/cela", 'ani hou', que la Septante traduira par egô eimi avec les suites johanniques et christologiques que l'on sait), la rhétorique paulinienne ou les visions-récits apocalyptiques de... l'Apocalypse, ces deux derniers dépendant diversement d'une "eschatologie" où le "nouveau" (kainon) est aussi le "dernier" (eskhaton). Ce qui m'intéresse ici, c'est une sorte de lapalissade: à l'évidence, on ne fait du neuf qu'avec du vieux, toute nouveauté provient de l'ancien et est appelée à devenir ancienne à son tour; et pourtant, en même temps, tout est toujours nouveau sous un certain aspect (question de regard), qui parfois se montre irrésistiblement dans telle ou telle "nouveauté" manifeste mais conduit alors à saisir le tout, non seulement le présent mais le passé et l'avenir, comme "nouveauté" absolue.

Je repense à une courte fable recueillie ou inventée par le regretté Jean-Claude Carrière, dans son bel ouvrage Le Cercle des menteurs: en substance, un roi, un prince ou un riche propriétaire emmène son fils au sommet d'une colline et lui dit: "Regarde, tout ce que tu vois était à ton grand-père avant moi et un jour sera à toi." (J'amplifie peut-être un peu l'étendue temporelle du propos, mais du moins le futur y était.) Un pauvre emmène son fils sur la même colline et lui dit: "Regarde."
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeLun 13 Sep 2021, 12:58

Quel avantage l'être humain retire-t-il de tout le travail qu'il fait sous le soleil ?
Une génération s'en va, une génération vient, et la terre subsiste toujours.
Le soleil se lève, le soleil se couche ; il aspire au lieu d'où il se lève.
Allant vers le sud, tournant vers le nord, tournant, tournant, va le vent, et le vent reprend ses tours.
Tous les torrents vont à la mer, et la mer n'est pas remplie ; vers le lieu où ils coulent, les torrents continuent à couler.
Tout est fatigant, plus qu'on ne peut dire ; l'œil n'est pas rassasié de voir, l'oreille ne se lasse pas d'entendre.
Ce qui a été, c'est ce qui sera ; ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera : il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
Y a-t-il une chose dont on dise : Regarde, c'est nouveau ! — elle était déjà là bien avant nous.
Il n'y a pas de souvenir du passé, et ce qui sera dans l'avenir ne laissera pas non plus de souvenir chez ceux qui viendront par la suite. (Ecc 1,3-11)

L'auteur exprime un pessimisme désenchanté :

L’interprétation phénoménologique de l’attitude du Qohelet en terme d’‘ennui’ – l’idée que l’ennui est le vécu spécifique dont la vanité est le corrélât intentionnel – est justifiée par les traits essentiels de cette expérience, qu’Heidegger décrit longuement dans son cours sur les Concepts fondamentaux de la métaphysique : comme nous le verrons, l’absence de références explicites – explicites, je le souligne – au texte biblique ne diminue pas l’importance capitale de cette analyse pour notre propos.

L’ennui est avant tout désintérêt : désintérêt de celui qui regarde un spectacle déjà vu et revu, de celui qui sait, et sent, qu’il ne peut s’attendre à rien de surprenant.
S’il n’y a rien qui mérite véritablement le nom de nouveauté (Qo 1, 10), si tout ce qui arrive n’est qu’une répétition de ce qui a déjà été, si l’on sait toujours déjà comment cela finira, il est inévitable que l’attention disparaisse. On échoue à prendre au sérieux les attractions multiformes offertes par le monde et dont le Qohelet dresse une liste détaillée : palais, vignes, troupeaux, esclaves, chanteurs, « des femmes en quantité, délice suprême des hommes » (Qo 2, Cool, richesse, pouvoir. On s’habitue à tout cela bien trop vite. Et, une fois devenu « coutumier », tout cela ennuie ...

https://assets.pubpub.org/q0pisl4b/71608718479464.pdf
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeLun 13 Sep 2021, 14:05

Merci pour cet excellent article: Heidegger a surtout dérivé son premier concept d'"angoisse" de celui (ou celle) de Kierkegaard, il connaissait sans doute bien moins l'"ennui" baudelairien (Nietzsche, lui, avait lu et apprécié Baudelaire, tout en y voyant un symptôme de "décadence"). Depuis, parmi les penseurs de l'ennui, il y a eu Cioran...

Le genre d'"expérience" que je tentais d'exprimer (où le rien-de-nouveau se transfigure et se renverse soudain en tout-nouveau, affaire d'aspect et de regard), se comprend en effet bien mieux à partir de l'"ennui" que de l'"angoisse" (donc, dans le cadre "biblique", de Qohéleth que de Job). Et à mon sens elle n'a rien d'ennuyeux, si elle n'est pas durable (le durable ce serait précisément l'ennui, langweilig): c'est toujours dans la fulgurance d'une présence présente que l'identité sans équivalence du rien-de-nouveau et du tout-nouveau apparaît, fût-ce pour disparaître aussitôt.

En ce qui concerne le "Regarde" que tu soulignes fort judicieusement en Qohéleth 1,10, ce n'est pas en hébreu le hinné(h) habituellement traduit par "voici", mais bien l'impératif du verbe r'h, "voir", "regarder": "Vois-regarde ceci, c'est nouveau." Ce que la Septante traduit par l'impératif ide, formellement plus proche de l'idou qui traduit généralement hinné(h). Mais l'"idée", c'est encore le cas de le dire, est bien la même.
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeMar 14 Sep 2021, 10:58

Récapitulation et accomplissement.

La nouveauté théologique se dit non moins à partir d'une seconde série de concepts de facture historiale, censés qualifier cette fois non plus seulement la modalité d'entrée en jeu du divin mais son effet dans et sur l'histoire humaine : « accomplissement » et « récapitulation » Tous deux ne font pas qu'appartenir à la textualité néotestamentaire, ils la structurent.

Si le concept d'« accomplissement » (telos) fut d'emblée placé au cœur de la théologie, il n'y a cependant pas commandé des vues unilatérales. Que le Christ « accomplisse les Écritures » (premier kérygme dans 1 Corinthiens 15,3-5), cela fut entendu dans une réinterprétation des âges « bibliques » de l'histoire (saint Augustin) jusqu'au risque de l'« immanentisation » de Dieu (Joachim de Flore). Karl Löwith le soutenait ardemment : l'idée d'une Aufhebung de la religion chrétienne dans et par la Modernité est devenue depuis Hegel l'un des principaux éléments de réflexion sur l'histoire de l'Occident. Si les Lumières se sont explicitement approprié, en la délestant de ses motifs angulaires, la vision téléologique de l'histoire venue du christianisme, c'est Hegel qui, en projetant « l'avènement du salut au niveau de l'histoire universelle », a prétendu réaliser la pleine vérité de celui-ci tout en radicalisant le mouvement de sécularisation qui l'affectait. D'où, contre Hegel, l'insistance de Löwith sur la distinction entre « providence » et « progrès » : la « providence » théologique articule deux dimensions irréductibles, celle de l'histoire factuelle humaine et celle de l'avènement insondable du salut divin ; là contre, le « progrès » assigne la nouveauté salutaire au seul champ des continuités graduelles. Quoi qu'on en ait dit, Karl Löwith est allé au cœur de la question : les « philosophies de l'histoire » ont barré l'accès à la nouveauté de l'accomplissement. Son maître Heidegger avait déjà averti quant aux effets qui, depuis Platon jusqu'à Spengler, intègrent l'inquiétude parmi les objets de l'Histoire, biffant sa puissance de nouveauté incessante. Et dans ses commentaires pauliniens de la même époque, il s'était demandé quelle articulation établir entre le mouvement d'« accomplissement » fait d'antécédence, d'effectuation et d'excès, et le surgissement d'une nouveauté telle que la décision l'exige . Cependant, il n'avait pas vu le mode radical sous lequel le schème d'accomplissement établit le lien herméneutique entre les écritures vétérotestamentaires et le Christ, à savoir l'ouverture eschatologique d'une rédemption inachevée.

C'est, en effet, sur la base du concept de « récapitulation » (anakephalaiosis) usité par le courant paulinien (épître aux Colossiens) et repris centralement dans la théologie d'Irénée de Lyonu'une telle dimension christo-eschatologique structurera la théologie patristique. La récapitulation y est pensée trois fois, en tant que résumé de l'humain, de l'histoire du salut et du cosmos. Ce qui « récapitule », ce n'est en effet ni le texte, ni la théologie mais celui qui les inspire et qui transcende l'Histoire : le Verbe incarné. La rencontre de l'hellénisme et du christianisme ne s'est donc pas tant déclinée, contrairement à ce qu'en ont soutenu les thèses de Franz , comme une hellénisation du christianisme que comme une christianisation de l'hellénisme. Épousant la langue grecque, voire les concepts philosophiques grecs, la théologie en a redistribué le sens au titre de la nouveauté radicale qu'elle revendiquait.

https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2014-3-page-381.htm
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeMar 14 Sep 2021, 12:20

Très intéressante étude, originale et audacieuse, avec les risques que ça comporte (notamment du côté exégétique et linguistique: l'auteur se situe plutôt aux confins de la philosophie et de la théologie).

Pour prendre l'exemple le plus flagrant au début de l'article, on pourrait au moins hésiter à verser "la bonne nouvelle", c'est-à-dire "l'évangile" (eu-aggelion, bonne ou heureuse annonce), au dossier du "nouveau" (kainos, neos etc.), puisque la coïncidence lexicale qui se produit en français ou en anglais (de l'adjectif "nouveau" au nom commun "nouvelle", cf. good news) ne se produit précisément pas en grec, ni d'ailleurs dans beaucoup d'autres langues modernes (Nachricht, noticia, etc.). Certes toute "annonce" implique une certaine "nouveauté", de fait ou de connaissance dans le cas d'une "révélation" d'un fait ancien mais inconnu; on peut toutefois en dire autant de n'importe quel "événement", donc de n'importe quel verbe ou substantif d'action ou de parole, de pensée ou de connaissance: dès que "Dieu" dit ou fait quelque chose, il y a, à la lettre, "nouveauté théo-logique"; mais du coup le concept de nouveauté se distingue mal, en raison même de sa généralité.

(Accessoirement, ton copié-collé a omis le patronyme de Franz Overbeck, qui fut aussi un des amis les plus fidèles de Nietzsche, celui qui le récupéra à Turin après son fameux effondrement -- avec ou sans le cheval.)

La notion de "récapitulation" (c'est le verbe ana-kephalaioô qui apparaît en Ephésiens 1,10 -- non en Colossiens ! -- et non le substantif anakephalaiôsis absent du NT) me paraît néanmoins fort pertinente pour notre sujet, dans la mesure où ce qui se "récapitule" ou se "résume" dans le Christ (cf. l'autre emploi non christologique du verbe en Romains 13,9, l'amour qui "récapitule" ou "résume" la loi tout entière, et les usages de kephalaion, financiers pour "somme" ou "capital" en Actes 22,28, rhétoriques ou logiques en Hébreux 8,1, le "point capital" ou "principal"; impossible cependant d'en écarter, dans le contexte deutéro-paulinien, les emplois christologiques "capitaux" de kephalè = "tête" ou "chef", Colossiens 1,18; 2,10; Ephésiens 1,22; 4,15; 5,23, cf. déjà 1 Corinthiens 11; d'autant que kephalaioô qui signifie normalement récapituler ou résumer apparaît aussi avec un sens anatomique insolite en Marc 12,4, frapper ou blesser à la tête), ce n'est pas seulement de l'"espace" et des "choses" ou des "objets", des "êtres" ou des "étants" qui y seraient distribués (au ciel, sur la terre et éventuellement sous la terre selon les cosmologies anciennes), mais aussi du "temps" et de l'"histoire" -- c'est d'ailleurs ce que suggère également le préfixe ana-, comme dans anaphore, analepse, anagramme ou anachronisme, de même que le "re-" de "ré-capituler" ou de "ré-sumer": une certaine reprise ou relève, Aufhebung comme dirait Hegel, du passé dans le présent, soit une subversion de l'ordre chronologique à même le temps; cf. la première formule d'Ephésiens 1:10, en frangrec: une économie (intendance, dispensation, arrangement, organisation) du plérôme (de la plénitude ou de l'accomplissement) des temps-moments (kairôn: de tous les temps particuliers du temps général, khronos). En ce sens le "nouveau" christ(o-log)ique n'est plus seulement eschatologique ou téléologique (la fin, le dernier, l'ultime, le but, l'achèvement), il "récapitule" et embrasse tout le temps de l'histoire depuis ses origines, et même l'avenir s'il en reste. Ce n'est plus simplement un "nouveau" par rapport à un "ancien", il fait apparaître aussi l'"ancien" comme "nouveau" (tout-nouveau).

---

Cette expérience de "concordance des temps" au sens fort et paradoxal (communication, communion des temps, qui coordonne et "synchronise" en quelque sorte des "temps" ordinairement perçus comme "séparés") est à la fois banale et exceptionnelle: l'exception c'est qu'on la remarque, qu'on y prête attention (question de regard), qu'on "l'aperçoive" au sens classique du verbe (cf. la différence cruciale entre "perception" et "aperception", chez Leibniz p. ex.), qu'on la reconnaisse "comme telle" en telle ou telle occasion (ce qu'on ne fait assurément pas toujours, quoiqu'on puisse toujours le faire); mais alors on la comprend bien comme permanente et universelle, quitte à l'oublier ou la perdre de vue aussitôt.

Ainsi, même avec une très vague idée de l'espace-temps dit relatif depuis Einstein, je sais, quand je regarde les étoiles, que ce que je vois, ici, maintenant, correspond à une multitude de "temps": les étoiles m'apparaissent, en fonction de leur distance (en "temps-lumière", des quelques minutes qui nous séparent du soleil aux "années-lumière" intergalactiques), telles qu'elles étaient il y a des années ou des millénaires, certaines n'existent même plus au "moment" où je les vois. Pourtant je les vois, ici et maintenant, et le temps de cet "événement" incontestable est fait de la communication, elle-même temporelle, de temps innombrables. A vrai dire, je n'ai nullement besoin de la cosmologie moderne pour faire la même expérience en toute occasion: que je regarde un arbre, une montagne, une rivière, un animal, un monument ancien ou un immeuble récent, une vieille paire de chaussures comme celles du tableau de van Gogh (c'est l'exemple de L'origine de l'oeuvre d'art de Heidegger, commenté par Derrida dans La vérité en peinture) ou le dernier gadget qui vient de sortir, que je lise un livre d'un auteur mort depuis des siècles ou contemporain, que j'écoute une musique ancienne ou moderne, c'est une foule de temps et de différences temporelles qui se présentent dans ce "présent", et qui font qu'il est, aujourd'hui, ce qu'il est, ce qui n'est ni plus ni moins "important" que tous les temps qui le constituent. Le "nouveau" est intégralement tissé d'"ancien" qui a été "nouveau" au même titre que mon "présent", et tout aussi tissé d'"ancien" que lui, le tout étant ouvert ensemble à un "avenir", quel qu'il soit. Comme disait Faulkner, le passé n'est pas mort, il n'est même pas passé. On peut entendre là résonner beaucoup d'énoncés évangéliques, le "Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, Dieu des vivants et des non des morts" selon les Synoptiques, ou "avant qu'Abraham advînt, je suis" de Jean. C'est une vision à la fois similaire et contraire à une "eschatologie", parce qu'elle "récapitule" le temps à même le temps, sans attendre qu'il soit "fini", ce qui n'a d'ailleurs aucun sens pensable -- "plérôme" ou "plénitude des temps (kairôn)" dans le "temps" (khronos) même. Cela pourrait passer pour une "banalisation" des énoncés "religieux", si l'expérience qui les "banalise" était elle-même "banale" -- ce qu'elle n'est assurément pas lorsqu'elle arrive, quand bien même elle peut se produire toujours et partout.
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeVen 12 Jan 2024, 12:30

2. LA VIE CHRÉTIENNE

En va-t-il de même pour la vie chrétienne, pour la structuration de la doctrine, de l’action croyante et de l’église ? Pas forcément, et ici le débat sur l’importance respective des trois instances temporelles se présente autrement.

Prenons, d’abord, les arguments pour une priorité du passé dans la vie chrétienne. L’intervention décisive de Dieu, préparée par l'Ancien Testament, racontée et commentée par le Nouveau, s’est produite il y a deux mille ans en Palestine avec la venue de Jésus. La foi dépend de ce qui est arrivé à ce moment-là. Elle doit sans cesse revenir, se raccrocher, et se référer à ce passé fondateur. Si l'on veut connaître Dieu, si on cherche à découvrir sa vérité et la nôtre, il faut rappeler et examiner ce qu'il a dit et fait autrefois. Le croyant vit, avant tout, d'un héritage. Dans cette perspective, la tâche principale de l'Église consiste à entretenir la mémoire et à pratiquer la répétition. Entretenir la mémoire, c’est-à-dire étudier les textes sacrés antiques qui racontent les hauts-faits de Dieu, évoquer et réactualiser ce qui a eu lieu jadis par des rites, des célébrations, des fêtes commémoratives, pratiquer la répétition : on doit exclure l'invention de la vie des Églises, de l'enseignement religieux, de la réflexion sur la foi. Les chrétiens sont fidèles quand ils vivent comme on le faisait dans l’Église primitive, quand ils reproduisent la doctrine du Nouveau Testament sans rien y modifier.

Voyons, en deuxième lieu, ce qu’on peut dire en faveur d’une prédominance du présent. Si Dieu est vivant, comme l’affirme la Bible, il ne se trouve pas dans le passé, ce temps que la vie a quitté ; il ne se découvre pas non plus dans le futur, ce temps que la vie n'a pas encore investi. Il se rencontre dans le présent qui est le temps de l’existence, du vivant et du vécu. Dieu entre dans mon existence et la touche aujourd'hui. La foi se nourrit non pas de la rumination des actions anciennes de Dieu, non pas de l'attente de ses interventions futures, mais de sa présence actuelle. Dans cette perspective, l’Église a pour mission de faire entendre à chaque être humain l’appel du Christ qui se tient sur le seuil et demande qu’on lui ouvre la porte de notre vie et qu’on le fasse tout de suite. Car seul compte et a un caractère décisif ce qui arrive et s’exécute aujourd’hui. Ce qui s’est produit hier et ce qu’on accomplira demain passe au second plan. La prédication n’a pas pour visée essentielle de rappeler un passé ou d’orienter vers un avenir, mais de faire sentir, d’aider à percevoir la présence de Dieu dans l’instant que l’on vit.

En troisième lieu, les théologies dites du Royaume plaident pour que ce soit la perspective du futur, l’attente et la préparation de l’avenir, qui domine la vie chrétienne. La foi, selon elles, ne nous fait pas regarder en arrière; elle ne nous centre pas sur l'ici et le maintenant. Elle nous oriente vers ce qui se trouve devant nous, vers ce qui ne s'est pas produit hier, vers ce qui n'existe pas aujourd'hui, mais qui arrivera demain. Au cœur de l’évangile, il y a l’annonce de la venue du Royaume de Dieu. Au début du vingtième siècle, Albert Schweitzer a mis en évidence que la prédication et de l'activité aussi bien de Jésus que de ses disciples étaient entièrement orientées vers un événement décisif à venir. Quand le christianisme a commencé à accorder plus d'importance au passé et au souvenir, ou au présent et à l'actualité qu'à l'attente et à l'espérance, alors, déclare Schweitzer, il a, en partie, déformé l'évangile. Dans la même ligne, Moltmann a écrit que la foi est avant tout espérance ; il reproche aux Églises d'avoir tellement insisté sur ce que Dieu a fait autrefois ou sur sa présence actuelle, qu'elles en ont oublié qu'il est aussi et surtout celui qui vient. L'évangile est une dynamique qui met en route, envoie en mission, place devant des tâches à accomplir. Le chrétien ressemble à ce coureur dont parle Paul, qui oublie « ce qui est en arrière » et tend « vers ce qui est en avant ». Il ne s'agit pas de maintenir un passé, de transmettre un héritage, ni de s’absorber dans le présent, mais de s’élancer vers un avenir, de s'orienter vers un monde autre, vers ce Royaume qu’annonce le Christ.

3. L’ARTICULATION DES TEMPS

Où nous conduit cette seconde piste de réflexion ? J’incline pour ma part à penser que si en ce qui concerne le salut, le passé l’emporte, par contre pour la vie chrétienne, la prédominance doit aller vers l’avenir, vers le Royaume. Ces deux accentuations en apparence contraires, en fait, vont ensemble, découlent l’une de l’autre. C’est parce que nous sommes délivrés du souci de notre salut que le Royaume peut prendre la première place dans la vie chrétienne ; l’importance donnée au passé dans le cas du salut permet de développer un dynamisme tourné vers l’avenir. Par contre, quand on situe le salut dans le futur, on a tendance à privilégier le passé pour la construction de la vie chrétienne. Il s’opère donc un croisement ou un retournement quand on passe d’une perspective à l’autre.

Qu’en est-il alors du présent ? Les existentialistes ont raison de souligner qu’il est le temps de la vie, de l’existence ; le passé et le futur n’ont de réalité que dans la mesure où ils s’inscrivent dans le présent ; hors du présent, ils ne sont rien. Mais à l’inverse, le présent n’est rien sans eux : en lui-même, tout seul, il est vide et informe. Il n’a de contenu et ne prend figure que grâce à l’apport de ce qui le précède et à son orientation vers ce qui le suit. Aussi, le problème de l’articulation entre les trois instances temporelles peut se formuler ainsi : qu’est-ce qui doit prédominer, l’emporter dans le présent, le dominer : le passé ou le futur ? Je réponds pour ma part : le passé quand il s’agit du salut et l’avenir lorsqu’il s’agit de la vie croyante. Autrement dit, le christianisme ainsi compris récuse l’attitude conservatrice pour qui il n’y aurait de fidélité que dans la répétition du passé. Il refuse tout autant l’attitude révolutionnaire qui considère le passé comme un héritage encombrant dont il faudrait se débarrasser. Il voit dans le passé, le salut, un instrument indispensable ou un point de départ nécessaire pour aller vers l’avenir du Royaume. C’est ainsi, à mon sens, que la foi chrétienne articule passé, présent et avenir, et que se définit sa compréhension de la temporalité.

4. LA VISION CHRÉTIENNE DE LA TEMPORALITÉ

Je conclus cette troisième piste. L’analyse que je viens d’esquisser de la notion de kairos me semble conduire à une attitude envers la temporalité qui n’est ni entièrement négative et pessimiste ni totalement positive et optimiste. Elle écarte et disqualifie à la fois le conservatisme, l’immobilisme et l’utopisme.

Le conservatisme entend maintenir ou restaurer des valeurs anciennes jugées immuables et éternelles. Au contraire, la notion de kairos implique que du nouveau peut se produire, que nous ne sommes pas condamnés soit à la stagnation et au maintien du même soit à la régression et à la décadence.

Pour le progressisme qui a longtemps dominé le monde occidental, mais qui est en train de sérieusement reculer, le temps apporte sans cesse des améliorations, l’histoire nous fait avancer automatiquement vers un mieux ; aujourd’hui est toujours préférable à hier et demain sera forcément supérieur à aujourd’hui. Au contraire, la notion de kairos signifie que jamais rien n’est assuré ; on peut saisir, mais aussi manquer les occasions qui se présentent.

Enfin la notion de kairos interdit l’utopisme en ce qu’elle nous invite à n’envisager dans notre aion, en attendant le Royaume que des accomplissements partiels, affectés d’un manque et de défauts. Comme le dit le bon sens populaire, la perfection n’est pas de ce monde (elle appartient à un aion différent), mais un kairos, c’est-à-dire du mieux – pas du parfait – est toujours possible.

Avec la notion de kairos, le message chrétien nous invite à un réalisme dynamique et espérant.

https://andregounelle.fr/vocabulaire-theologique/le-temps.php
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeVen 12 Jan 2024, 14:29

Cf. ici 1.12.2021.

Pour en rester à la problématique du présent (!) fil, il me semble que cette façon typiquement protestante, donc moderne et d'autant plus moderne qu'elle se veut "libérale", d'associer le "salut" au "passé" (sc. comme une affaire réglée une fois pour toutes il y a longtemps, dont il n'y aurait plus lieu de se préoccuper, ce qui avec le temps ne peut que se confondre avec l'idée agnostique ou areligieuse d'une question nulle et non avenue, qui ne s'est jamais valablement posée), s'écarte quand même pas mal des perspectives du "Nouveau Testament" (que je ne voudrais surtout pas unifier plus que Gounelle).

Déjà, au ras des pâquerettes, parce qu'il s'agissait pour ces textes d'un passé relativement récent, fût-il imaginaire, et que pour nous l'"événement" supposé remonterait, en gros, à deux millénaires. Dans une représentation spatialisée du temps, ce qui était pour eux à la fin des temps (les derniers jours, la dernière génération) se retrouverait (à peu près) au milieu... même si les textes du NT sont déjà largement marqués par le fameux "retard de la parousie", ça ne les empêche pas de concevoir le "passé" de la mort et de la résurrection du Christ et le "futur" comme un même "événement en cours" qui tend et détermine leur "présent" -- ce qui un siècle plus tard devient déjà une doctrine très artificielle. Je repense à une formule allemande citée par Hegel cité par Jüngel au début de Gott als Geheminis der Welt, Dieu mystère du monde, en substance: c'est tellement vieux que ça ne sera bientôt plus vrai.

A mon sens, la "nouveauté chrétienne" ne se survit que dans la mesure où elle se traduit en "éternité", ce qui se produit déjà dans de nombreux textes du NT (évangile et épîtres dits de Jean, deutéro-pauliniennes, épître aux Hébreux): le récent, le nouveau, le dernier est aussi l'éternel, donc aussi bien le présent (aujourd'hui) et l'archi-originaire (le commencement et ce qui le pré-cède, avant la fondation-lancer du monde), c'est à cette seule condition que ça ne vieillirait pas. Mais la notion d'éternité disparaît précisément avec la modernité, elle ne peut plus être comprise que négativement, comme (ce que Gounelle appelle) rejet ou neutralisation du temps.
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeLun 15 Jan 2024, 12:54

Citation :
Et, en toile de fond de ces deux énoncés, Isaïe 43,18s:

Ne vous souvenez pas des choses anciennes (ou premièresri'shonoth, cf. le (be-)re'shit apparenté qui forme le premier vocable et le titre hébreux de la Genèse), ne pensez pas aux choses d'autrefois (ou: des originesqadmoniyoth de qdm qui dit l'avant et le devant, l'orient quand on s'"oriente" du côté du soleil levant):
me voici faisant
 (ou: voici, je faisune nouveauté (ou: une chose nouvelle), maintenant elle germe, ne la (re)connaissez-vous pas ?... (TM)


La typologie de l'Exode dans le Second-Isaïe
Roland Beaudet

Mais il y a plus. L’œuvre des prophètes, qui est la charnière de l’Ancien Testament, repose sur un double mouvement. Elle rappelle les
grandes œuvres de Dieu dans le passé ; mais elle ne les rappelle que pour fonder la foi dans les grandes œuvres à venir. Les prophètes,
tout tendus vers la réalisation des desseins de Dieu et vers l’accomplissement de sa volonté par les hommes, nous présentent dans les événements passés la figure d’événements à venir. C’est là précisément l’essence de la typologie : allusion à un événement placé dans l’histoire
comme annonce et modèle d’un événement futur. Remarquons bien qu’il ne s’agit pas de retour pur et simple d’événements passés. Ceci,
que nous trouverons chez les rabbins avec l’idée du retour d’Élie ou du retour de la condition paradisiaque, n’est pas la perspective biblique. Nous ne serions pas alors sur le plan typologique, puisque l’ordre ancien serait le même que celui qui est attendu. Il ne s’agit pas d’un retour, mais d’une nouvelle œuvre, annoncée et figurée par la précédente.

***
Mais c’est surtout avec le Second-Isaïe (Is 40-55) 1 que ces perspectives typologiques à partir de l’Exode se font plus précises. Le Livre de la Consolation d’Israël comporte une typologie de l’Exode qui est l’une des caractéristiques de ce prophète ; il applique au peuple en exil à Babylone les promesses et les figures de l’Exode d’Égypte. Yahvé, le Dieu du Sinaï, tiendra ses promesses envers Israël. Il refera l’Exode, encore plus merveilleusement que la première fois. 

La situation historique évoquée par ce livre est très déterminée. Les Hébreux sont retombés sous le joug d’une puissance étrangère ; ils subissent une nouvelle captivité hors de leur pays, à Babylone. Or, c’est au début des grandes victoires de Cyrus, vers 546, que l’Esprit de Yahvé commence à s’emparer de ce prophète anonyme de l’Exil que l’on appelle le Second-Isaïe. Le développement des succès militaires de Cyrus éveille dans le cœur des captifs une immense espérance que les encouragements et les prédictions du prophète exaltent sans cesse. Par révélation divine, il a vu que Cyrus allait être l’instrument de Yahvé pour ramener le peuple en sa terre d’origine. La servitude est finie : un nouvel Exode est imminent. Ici la délivrance des captifs est explicitement présentée comme antitype de la délivrance de l’Égypte :

Ainsi parle Yahvé,
qui fit une route à travers la mer,
un sentier au milieu des eaux formidables ;. ..
Ne vous souvenez plus d’autrefois,
ne songez plus aux choses passées.
Voici que je vais faire du nouveau . . .
oui je vais tracer une route dans le désert.. .
pour étancher la soif de mon peuple élu (Is 43 16-20).

***

Le nouvel Exode est présenté comme antitype de l’Ancien, avec les mêmes caractères, parce que l’auteur de cette geste du passé c’est
Yahvé qui est toujours vivant, qui est toujours le même, qui est toujours présent, qui est. Les formules si fréquentes <( Moi Yahvé », « c’est
moi qui suis Yahvé » (41 4 ,13, 17 ; 43 3, il, 15 ; 45 5, 6, 7, 8, 18, 19, 21) et qui affirment avec tant d’éclat l’immutabilité et l’éternité de Yahvé, par opposition aux divinités païennes, ne sont-elles pas en même temps un rappel des révélations de l’Horeb qui ont précédé la libération de la servitude égyptienne? (Ex 3). Parce qu’Israël a toujours affaire au Dieu unique et immuable qui jadis le délivra, il verra se renouveler en sa faveur les miracles de la traversée du désert sinaïtique. Quand on cherche le ressort de cette conviction on constate que c’est la foi monothéiste au Dieu de l’Exode, qui fit connaître à Moïse le nom de Yahvé sous lequel il veut se voir désormais invoquer par les enfants
d’Israël. Aussi au centre de toutes les prophéties du Second-Isaïe revient la théologie du Nom, et c’est précisément celui de la révélation du Sinaï. Israël, dès l’événement du Sinaï, est en situation d’espérance eschatologique, cette espérance ayant sa source en Yahvé, dont le nom
avait, dès le commencement, une saveur de promesse.

Mais le Second-Isaïe ne pense pas qu’il s’agira d’une simple reprise. Yahvé ne se recommence pas. L’histoire du salut est une
évolution, un perfectionnement, et non un « éternel retour ». Le principe d’action de Yahvé est le suivant :

Je vais faire du nouveau (43 19).

Les « merveilles nouvelles » feront oublier « les événements passés ». Les Hébreux étaient partis d’Égypte en hâte et en fuyant (Ex 12 39) ; le nouvel Exode ne sera pas une fuite précipitée, mais une marche triomphale (Is 52 12). Dans le désert du Sinaï, les Hébreux avaient erré ; au contraire les déportés de Babylone suivront une route tracée dans le désert. Les animaux sauvages seront pacifiés (43 20), symbole qui remonte au premier Isaïe (11 6-Cool. La paix qui règne entre les animaux symbolise celle qui gouvernera les rapports humains : c’est une image de la justice qui régnera dans le monde. On le voit, les images employées sont extrêmement brillantes, même déconcertantes. En fait, on n’a pas manqué d’objecter que si la chute de Babylone, la libération et le retour en Terre Sainte se sont effectivement réalisés, il n’en a pas été de même pour les autres merveilles tout aussi clairement prédites.

https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1963-v19-n1-ltp0962/1020032ar.pdf
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeLun 15 Jan 2024, 13:45

Le renversement, dans les décennies suivantes, de la chronologie rédactionnelle et historique que suppose cet article (1963) -- et que suppose toujours une lecture "naïve", "fondamentaliste" ou "historiciste" (ce n'est pas la même chose) du "grand récit biblique" (à savoir un premier exode, d'Egypte, avant le second, de Babylone, ça semble aller de soi) -- entraîne aussi un renversement de sa "logique": c'est plutôt le "second exode" qui invente le "premier", le nouveau qui crée ou poétise l'ancien comme modèle et contre-modèle, peignant le fond sur lequel il se détache, dont il provient et diffère à la fois... Selon un autre thème également associé au deutéro-Isaïe, le "dernier dieu" appelle le "premier" au moment même où il le rappelle...

Plus généralement, on pourrait dire que la "fiction" en tout genre (mythe, épopée, théâtre, légende, fable, conte, parabole, roman, etc.), si vieille soit-elle, est toujours plus "nouvelle" que l'histoire dite vraie, ancienne, récente ou même contemporaine, justement parce qu'elle est "création", autrement dit "poésie"...
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeLun 15 Jan 2024, 15:18

La modernité, un défi pour le christianisme et l'islam
Claude Geffré

1.2 Le phénomène de la post-modernité

Jusqu’ici, j’ai parlé du défi de la modernité pour le christianisme dans le cadre classique en Occident d’une exclusion réciproque de la religion et de la modernité comprise comme processus de sécularisation de tous les registres de la vie humaine. Mais depuis déjà deux décennies, notre paysage culturel a profondément changé, et le vrai défi, c’est celui de la post-modernité. On peut à bon droit exprimer quelque réserve à l’égard de ce mot tellement flou de post-modernité. Mais il n’est pas abusif pour désigner la contestation d’une modernité qui se définit par une raison trop sûre d’elle-même et nécessairement en conflit avec toute forme de religion. Cette post-modernité aura justement deux issues qu’il ne faut pas confondre : celle du retour du religieux et celle d’un nihilisme néo-païen.

Le destin de la sécularisation, c’est-à-dire du désenchantement du monde, est indissociable du processus de modernisation. Mais aujourd’hui nous ressentons le besoin de revoir les théories classiques de la sécularisation, dans la mesure où celle-ci n’est pas nécessaire ment synonyme de déreligiosisation8. Avec le recul historique, nous portons un autre regard que le théologien Bonhoeffer sur la sécularisation et l’irréligion de l’homme moderne. Autre chose est d’affirmer la laïcité de nos sociétés, le dépérissement de beaucoup d’institutions chrétiennes, la perte de l’influence culturelle, politique et morale des Églises et d’en conclure que l’homme n’a plus le sens du sacré ou qu’il est devenu totalement irréligieux.

Comment concilier la sécularisation croissante de nos sociétés et ce phénomène dit du « retour du religieux » ? Certains l’interprètent évidemment comme le choc en retour d’une modernité qui n’a pas tenu ses promesses et qui, par excès de rationalisation et de planification, a conduit à un certain désenchantement du monde et de l’homme lui-même. Mais on peut comprendre aussi le retour du religieux comme l’expression de la modernité elle-même, si par modernité on n’entend pas seulement l’avènement de la raison critique, mais l’aspiration constante de l’homme à un plus-être. Il s’agirait de cette modernité psychologique que certains sociologues français désignent comme « haute modernité » ou encore « ultramodernité ». On a en effet dépassé le schéma banalisé selon lequel le religieux coïncide nécessairement avec une aliénation ou une projection illusoire. Il peut être aussi une modalité de la quête du bonheur. Comme le dit JeanPaul Willaime, « l’ultramodernité, ce n’est pas moins de religieux mais du religieux autrement ». Il semblerait que notre sensibilité contemporaine ait une plus vive conscience des limites de la rationalité moderne et soit en quête d’une rationalité émergente qui prenne davantage en compte les composantes affective, esthétique et éthique du « connaître » humain. On assisterait donc à un dépassement de l’opposition fatale entre la foi et la raison, cet héritage typique des Lumières. Selon l’avertissement du philosophe J. Habermas, il faut prendre en compte en tout cas la distance entre l’action communicationnelle (celle qui préside aux échanges humains), qui est l’œuvre de la raison au sens le plus large (Vernunft) et l’action instrumentale, qui est l’œuvre de l’entendement technologique (Verstand).

https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2001-v9-n2-theologi565/007299ar.pdf
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeLun 15 Jan 2024, 16:54

C'est intéressant de lire avec déjà près d'un quart de siècle de retard ce texte de l'excellent Geffré, écrit en 2001 sous le coup du "11 septembre", aussi pour mesurer ce qui a changé depuis: la "post-modernité" avec Trump, Poutine et consorts a largement viré à une "post-vérité" très politique sans cesser d'être religieuse, évangélique ou orthodoxe plutôt que catholique ou protestante classique, l'islam lui-même imitant paradoxalement le modèle "fondamentaliste" (et moderne) américain, plus nettement avec Daech qu'avec Al-Qaïda -- tandis que, d'après ce que je lisais hier, les "évangéliques" perdraient du terrain aux Etats-Unis même (mais pas en Amérique latine). Bref, ça n'en finit pas de bouger...

Et je trouve amusant que la confrontation du christianisme et de l'islam conduise finalement vers des thèmes (encore plus) orientaux, même s'ils ne sont pas définis comme tels: indiens ou chinois, bouddhistes, brahmanistes ou taoïstes (lâcher-prise, non-agir, etc.): ici le basculement de la pensée occidentale semble précéder le renversement des équilibres géopolitiques -- encore qu'on puisse se demander si l'Inde, la Chine ou l'Extrême-Orient modernes, et donc occidentalisés, ne sont pas encore plus éloignés de leurs propres traditions ancestrales, dont l'Occident paradoxalement finirait, mais trop tard, par mieux comprendre l'intérêt...
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeMer 17 Jan 2024, 11:59

Le christianisme face à la modernité

Jusqu’au XIXe siècle, la science n’avait pas énormément évolué et on pouvait rester sur les conceptions d’Aristote. Mais depuis lors tout a changé, et le progrès de la science pose des problèmes et un réel défi à la religion. Cela, en particulier, par rapport aux textes révélés et aux discours que l’on a pu tenir, qui mènent vite à des conflits avec le discours scientifique.  

Le conflit vient essentiellement de ce que, normalement, la religion parle du mystère, de ce qu’il y a d’incompréhensible pour l’homme, de l’invisible, de l’impalpable, de l’absolu, du transcendant, de ce qui nous dépasse ultimement. Du temps de Jésus, il y avait beaucoup de choses que les gens ne comprenaient pas et qui étaient mystérieuses. Tout ce qui était terrifiant, grand, incompréhensible, on le mettait dans le domaine du religieux. Ainsi y a-t-on mis : le cours des planètes, la météo, les orages, les inondations et les famines. On ignorait aussi comment on devient malade ou l’on guérit, donc la santé relevait de la religion. Tout comme la fécondité d’ailleurs : pourquoi une femme a un enfant ou n’arrive pas à en avoir ? Mystère, donc on en attribue la cause à l’Éternel.  

La science a ensuite montré que tout cela n’était pas si mystérieux, on connaît à peu près les mécanismes de la gestation, les femmes savent le plus souvent maîtriser leur fécondité, on peut prédire le passage des comètes, et on comprend les fonctionnements de la météo. On sait à peu près les processus de maladie et de guérison, on sait comment on attrape la lèpre et comment on en guérit. On a ainsi retiré à la religion une bonne part de ce qui lui appartenait. De plus, aujourd’hui, nous avons une conception du monde qui est très différente de celle qu’avait Jésus, ou les auteurs de la Genèse.  

La science n’a pourtant pas de grandes prétentions si ce n’est d’être une description du monde matériel. Elle ne prétend pas dire les tenants et les aboutissants, d’où tout cela vient, à quoi cela mènera, ni le sens de quoi que ce soit. La science décrit ce qui se passe et ce qui s’est passé dans l’histoire de l’Univers, elle ne fait pas de théologie. Mais pour parler du monde et de ce que Dieu y fait, il faut bien adopter une conception du monde matériel comme cadre. Le problème est alors de savoir quelle science adopter : va-t-on adopter la science d’il y a 3000 ans ou celle d’aujourd’hui ?

****

 En vérité, la Bible, en tant que livre de l’expérience humaine, est une livre étonnant qui a une profondeur extraordinaire quant à cette dimension. Elle parle de l’homme, et ce, d’une manière extrêmement profonde, complexe et vraie, à un point tel que les psychanalystes arrivent à faire des psychanalyses sur des passages bibliques. Chaque passage biblique a toute la profondeur d’un être humain. Ce n’est pas un livre qui essaie de nous expliquer gentiment ce que nous devons être, faire et croire, c’est un livre qui véhicule toute la profondeur de l’expérience humaine. Lorsqu’on le lit, on est plongé dans un livre qui vit.

  Il y a peu de textes capables de nous permettre de faire ce travail humain, et dans tous les cas, ce qui est fondamental, c’est de réinterpréter ces textes et de les réutiliser pour la qualité intemporelle qu’ils ont et ne pas s’attacher aux défauts contextuels.

 La religion n’est donc pas appelée à être une reconstitution historique. Il faut qu’il y ait un travail d’actualisation, d’adaptation. Faute de quoi la Parole véhiculée reste morte et ne peut être pour nous Parole de Dieu. De toute manière, on n’empêche pas le monde moderne d’avancer, quoi qu’en pensent les traditionalistes les plus enfoncés dans leur attachement littéral au passé. Le monde avancera, avec ou sans eux, avec ou sans nous.

  Donc, en tant que chrétiens, nous avons une seule chose à faire : nous adapter, accompagner le monde moderne et non le combattre. Le combattre ? C’est absurde et impossible, c’est voué à l’échec, et cela peut faire énormément de morts. C’est ce que fait Al-Kaïda. De toute manière, ce combat est perdu d’avance. Le monde moderne avance. Internet arrive dans les pays intégristes, qu’on le veuille ou non.

https://www.evangile-et-liberte.net/2014/03/le-christianisme-face-a-la-modernite/
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeMer 17 Jan 2024, 13:17

Parler de profondeur est risqué pour tout le monde, mais dans certains cas c'est franchement grotesque...

Notre représentation (spatiale) du temps est toujours linéaire, monodimensionnelle, ligne droite ou cercle, au mieux à deux dimensions, bande, frise ou fresque, par définition superficielle. Pas étonnant que le discours sur le temps qui passe tourne à la platitude.

Je me souviens que quand l'islam politique a semblé prendre la relève du marxisme (d'un point de vue occidental évidemment), dans le dernier quart du XXe siècle, cela a beaucoup été lu comme un renversement de l'avenir vers le  passé, du progrès vers la régression, le rétrograde, et ainsi de suite. Et on a souvent entendu dans tous les milieux, des plus populaires aux plus intellectuels, des réflexions (si l'on peut dire) du genre "comment est-ce possible au XX(I)e siècle ?" -- comme si l'énième siècle (d'un comput "chrétien" en l'occurrence) devait être le même pour tous, aller dans le même sens pour tous...

Dans le temps linéarisé, planifié, programmé, historisé, il ne peut y avoir que des effets illusoires de profondeur, de transcendance, de différence, d'écart, de rupture ou d'interruption, d'hiatus ou de syncope, aussitôt annulés (au sens du nul ou de l'anneau) par la représentation même du temps qui passe inexorablement. Or ce sont bien de tels effets qui en leur temps font venir aux lèvres des mots de nouveauté, de beauté, de grâce, d'éternité ou d'événement, le temps (kairos) d'une pirouette verbale et poétique avant que le temps (général, générique, indifférent, khronos) n'engloutisse et n'aplatisse tout... à nouveau (!).

Même Qohéleth qui récuse le "nouveau" s'émerveille de ce qui est "beau en son temps".
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeMer 17 Jan 2024, 13:44

Enfance et temps biblique chez Bernanos

5 Et il commande en même temps la structure d’un temps nouveau. Dans les religions de l’antiquité règne le temps circulaire des cycles cosmiques et de leur éternel retour ; le peuple d’Israël soutenu par l’alliance divine chemine, lui, dans un temps linéaire horizontal où son espérance messianique attend un salut terrestre16 ; mais par rapport au temps d’Israël, le temps du Christ est radicalement nouveau : c’est un temps médiateur entre le temps caduc que le Christ comme nous tous connaît en tant qu’homme, et le temps éternel qu’il vit en tant que Dieu ; c’est aussi un temps eschatologique, c’est « l’irruption verticale de la fin dans le temps horizontal17 ». Saint Jean le souligne particulièrement : « Avant qu’Abraham fût, Je Suis. » (Jean, 8, 58) L’Incarnation, c’est l’irruption sur la terre du « temps éternel ». Car l’éternité n’est pas l’état de perfection sans mouvement auquel voudrait la réduire une théologie courte. Elle est coïncidencia oppositorum, immutabilité dans le mouvement. Très imparfaitement, on a cherché à la rendre sensible sous la figure stable et mouvante du jet d’eau. Péguy dit de « la sagesse de Dieu » que pour elle.

Tout est nouveau. Tout est autre.
Tout est différent.
Au regard de Dieu rien ne se recommence.

Rien ne se recommence car tout commence.

Tout ce qui commence a une vertu qui ne se retrouve jamais plus. Une force, une nouveauté, une fraîcheur comme l’aube.
Une jeunesse, une ardeur.
Un élan.
Une naïveté.
Une naissance qui se ne trouve jamais plus.
Le premier jour est le plus beau jour.
Le premier jour est peut-être le seul beau jour.
[…] Or la petite espérance
Est celle qui toujours commence.

Claudel à son tour dit magnifiquement : Notre Dieu est

un Dieu vivant, toujours nouveau, toujours à l’état d’explosion et de source, à nulle nécessité assujetti de la part de cette Création qu’Il a tirée du néant, un Dieu éternellement inventeur de ce Ciel où Il réside et dont les démarches nous sont à jamais imprévues.

C’est ce Dieu qui efface les longues années d’Exil du peuple à Babylone : « […] ne ressassez plus les faits d’autrefois. Voici que moi je vais faire du neuf qui déjà bourgeonne » (Is., 43, 18-19) ;

Maintenant je te fais entendre des nouveautés mises en réserve, que tu ne connaissais pas. C’est maintenant qu’elles sont créées et non pas depuis longtemps ; au début de ce jour, et tu ne les avais jamais entendues ; pour éviter que tu dises : « Vu ! je les connaissais ! » (Is., 48, 6-7).

Et c’est ce Dieu encore qui s’incarnant devient Lui-même la « Bonne Nouvelle » (Marc, 1) – sens exact du mot « Évangile » – la nouvelle si radicalement nouvelle que désormais il faut naître, il faut nous métamorphoser du tout au tout : car « personne ne met une pièce d’étoffe neuve à un vieux vêtement », ni « du vin nouveau dans de vieilles outres. » (Matthieu, 9, 16-17) Reprenant les antiques formules d’Isaïe, l’Apocalypse du Nouveau Testament annonce l’ultime transfiguration de toute la Création dans le Christ par la parole : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap., 21, 5).

https://books.openedition.org/pup/22759?lang=fr
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MessageSujet: Re: La nouveauté chrétienne   La nouveauté chrétienne Icon_minitimeMer 17 Jan 2024, 14:56

Merci (encore) pour ce texte magnifique -- qui rejoindrait volontiers, avec un peu de retard, ceux que nous avons évoqués il y a quelques semaines au moment de Noël, ou il y a plus longtemps .

Le catholicisme de la fin du XIXe et du début du XXe siècle a produit du génie littéraire, poétique, artistique d'exception à la mesure de sa bêtise officielle -- ça me rappelle, dans un autre genre quoique à la même époque, un poème de Pessoa, où le poète hétéronyme (Alberto Caeiro) accueille l'enfant Jésus -- un Jésus redevenu enfant -- qui a fui le ciel où tout, dit-il, est stupide comme l'Eglise catholique... Voir ici une traduction partielle.

Chrétienne ou autre, la nouveauté c'est le temps poétisé -- le seul à mon sens qui ait un intérêt. Réduites au plan (plan) du dogme, de la doctrine, de la croyance, de l'opinion, du quasi- ou du pseudo-savoir, toutes les idées, vraies ou fausses mais tenues pour vraies, vieillissent et deviennent irrémédiablement idiotes -- création, incarnation, rédemption, salut, eschatologie, tout cela perd son sens dès qu'on croit savoir ce que c'est. Ce n'est que réinventés, retrouvés au sens du temps proustien, que les mots et les concepts ont une chance de nouveauté -- ou, aussi bien, de vérité ou d'éternité.
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