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 Le livre de Daniel est-il authentique?

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Narkissos

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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 28 Fév 2022, 12:47

(La traduction automatique a fait des progrès certains, mais quand même elle arriverait à éviter la plupart des faux sens et des contresens il lui resterait une bizarrerie stylistique -- comme un accent dans une langue étrangère, si bien qu'on la maîtrise.)

Sans revenir sur ce qui a déjà été dit précédemment (problèmes du ou des textes, hébreu et grecs, de Daniel 9; des "sources historiques" comme interprétations partisanes et tendancieuses des "événements", unilatérales dans leur opposition à Antiochos en dépit de leurs variations "idéologiques" internes; etc.), les questions de genre (masculin, féminin, ou neutre en grec) et de nombre (singulier ou pluriel) autour de ce qu'on appelle traditionnellement "l'abomination de la désolation", dans les différentes sections et versions de Daniel et dans leurs reprises (références, réminiscences, allusions) évangéliques, sont beaucoup plus complexes que cet article ne le laisse paraître. Rien que dans Marc 13,14 on a -- selon le texte habituellement retenu -- la curiosité syntaxique d'un neutre (to bdelugma tès erèmoseôs, suggérant quelque chose, d'"impersonnel") accordé au masculin (estèkota, suggérant au contraire quelqu'un, de "personnel"; cf. les notes de la NBS ad locum et en Matthieu 24,15, où l'accord en revanche est au neutre, to rèthen... estos).

Ce qui passe un peu trop facilement, surtout dans le monde anglophone, pour L'interprétation "chrétienne" (sinon exclusive, du moins "par défaut") de Daniel 9 (par rapport à laquelle l'interprétation de la Watch se distingue relativement peu) n'est pas apparu avant le milieu du IIIe siècle (Julius Africanus, le premier à avoir eu l'idée de faire commencer la période à la "vingtième année d'Artaxerxès" pour aboutir à l'époque attribuée à Jésus). Justin Martyr qui collectionne les "prophéties messianiques" dans le Dialogue avec Tryphon (milieu IIe s.) n'en dit pas un mot, Irénée (fin IIe s.) est le premier à s'y référer mais dans un contexte d'eschatologie future, Clément d'Alexandrie (début IIIe s.) associe Daniel 9 à la venue passée de Jésus-Christ, mais sans entrer dans un calcul chronologique et en associant plutôt Jésus à l'"onction du saint des saints" qu'à l'"oint" du fait des traductions grecques de référence; chez Origène, qui peut comparer les versions (Hexaples), la connexion à l'"oint" est plus probable. Pourtant vers la fin du IVe siècle on trouve encore un commentaire chrétien (Julius Hilarianus) qui applique Daniel 9 à l'époque des Maccabées sans lui reconnaître rien de "messianique". Cf. ici (en anglais, l'auteur est pourtant "évangélique").
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 28 Fév 2022, 14:10

"Après les soixante-deux semaines, un homme ayant reçu l'onction sera retranché, et il n'aura personne pour lui" (9,26 - NBS)

"Et après soixante-deux septénaires, un oint sera retranché, mais non pas pour lui-même" (9,26 - TOB)

Notes : Daniel 9:26
un homme ayant reçu l’onction (ou un oint, un messie) sera retranché : il s’agit peut-être de l’assassinat du grand prêtre (voir v. 25n) Onias III en 170 av. J.-C. – il n’aura personne pour lui : litt. il n’y a pas pour lui, phrase obscure qu’une version grecque (Théodotion) explique en ajoutant de jugement ou de faute. Cf. 2 Maccabées 4.34 : « Il (le substitut d’Antiochos) le mit à mort (Onias) sur-le-champ, sans égard pour la justice. » –
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 28 Fév 2022, 15:39

J'ai rajouté un paragraphe à mon post précédent (sur l'histoire de l'interprétation chrétienne de Daniel 9, qui est beaucoup moins univoque qu'on le croit dans les milieux "fondamentalistes" ou "sectaires").

La TOB comme la NBS essaient de donner un sens minimal (pas le même, mais encore excessif dans les deux cas) à un texte massorétique qui de toute évidence n'en a pas ('ein lô, "il n'y a pas pour lui", tel quel ça ne veut rien dire). Pour donner un sens à ce texte il faut le "corriger" (c.-à-d. en faire un autre texte), conjecturalement d'une manière ou d'une autre: soit en rajoutant ce qui "manque" (p. ex. dîn d'après Théodotion, "il n'y a pas pour lui de jugement"), soit en le lisant autrement (p. ex. 'wn-'awen au lieu de 'yn-'ein, "du mal / rien pour lui", cf. BHS ad loc.), avec ou sans lien avec le vers suivant (26b) qui peut (doit ?) aussi être "corrigé" (cf. supra 23.2.2022 10 h 44).
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 28 Fév 2022, 16:39

Citation :
J'ai rajouté un paragraphe à mon post précédent (sur l'histoire de l'interprétation chrétienne de Daniel 9, qui est beaucoup moins univoque qu'on le croit dans les milieux "fondamentalistes" ou "sectaires").


Merci Narkissos pour cet ajout très intéressant.




La prière de Daniel Dn 9, 4b-19 Un commentaire exégétique (un peu long mais passionnant). 

De plus, l'ensemble des nouveautés qu'apportait la civilisation grecque, témoin d'un progrès et d'une réussite exceptionnels, se posait en pendant contrasté de l'échec d'Israël à retrouver son unité et son indépendance. Les promesses divines de restauration comme celles de Jérémie-tardaient à se réaliser et leur matérialité même semblait pouvoir être remise en question. Daniel 9 en est le témoin selon une des manières d'interpréter le verset 2 :

 "Moi Daniel je considérai dans les Livres le nombre des années qui, selon la parole du SEIGNEUR au prophète Jérémie,doivent s'accomplir sur les ruines de Jérusalem : soixante-dix ans".

Le verbe que la TOB traduit par "considérer" pourrait l'être également par "prêter attention". Le choix du passage de Jérémie qui mentionne les soixante-dix ans de désolation de Jérusalem de la part de Daniel peut s'expliquer par son désir de comprendre pourquoi la durée de cette période d'épreuves et de purification ne correspondait ni à la durée réelle d'exil, ni à  un temps apaisé suite au retour de Babylonie. Cette recherche était motivée par l'insatisfaction de la situation de l'époque et le sentiment que la promesse de restauration annoncée n'était pas réalisée de la manière à laquelle l'on s'attendait. Il fallait donc l'interpréter à nouveaux frais.

Se rajoutait à cela le constat douloureux du silence de Dieu qu'exprime le psaume 74, 9 et qui se manifeste dans la disparition des porte-parole de Yhwh :

"Nous ne voyons plus nos signes, il n'y a plus de prophètes, et parmi nous, nul ne sait jusqu'à quand !"

Ce à quoi fait écho Daniel 3, 38 dans la version de la Septante :

"Il n'y a plus en ce temps-ci ni prince, ni prophète, ni chef, ni holocauste, ni sacrifice, ni oblation, ni encensement, ni lieu pour présenter les prémices devant toi et trouver grâce"

(...)

La prière de Daniel en ce chapitre 9 fait clairement comprendre que son auteur perçoit la domination étrangère comme une extension ou une continuité de la période la plus traumatisante de l'Histoire d'Israël, à savoir l'Exil compris également comme un châtiment pour le péché du peuple. L'analyse du présent difficile, à la lumière de l'épreuve paroxystique, n'épuise pas la dynamique de relecture des traditions anciennes. L'on cherche ainsi à revenir sur des annonces prophétiques de restauration ou des promesses de bonheur qui ne semblent pas s'être encore pleinement réalisées. C'est dans cet élan de réinterprétation que se situe la volonté de reprendre à frais nouveau spécialement les calendriers et les échéances figurant dans des oracles comme ceux de Jérémie 25 et 29. Puisque la parole de Dieu ne peut pas tomber (Cf. 1 Sm 3, 19), il faut comprendre d'une manière renouvelée les délais prévus qui ne semblent pas s'être accomplis de la façon attendue. Ce que l'on avait espéré dans le passé est encore à venir. L'on retrouve dans les manuscrits d'Enoch  (AA 90, 6-12 et AW 93, 9-10) et d'autres textes apocalyptiques (Jubilés 1, 9-18 par exemple) la même conviction qu'en Daniel 9 par rapport à ces prophéties : "la restauration annoncée par les prophètes n'advient qu'au deuxième siècle ; elle ne coïncide pas avec le retour des exilés en 538 ou avec n'importe quel autre grand évènement avant la publication des apocalypses". Elle est liée à l'environnement du Temple et à la situation de Jérusalem.

Selon Pierre Grelot, le chapitre 9 peut être daté très précisément puisqu'il aurait été composé en décembre 164, à l'occasion de la consécration du nouveau sanctuaire par Judas Maccabée. C'est dans ce sens qu'il entend l'onction d'un Saint des saints (Dn 9, 24) et non pas, comme la majorité des auteurs, l'élévation au sacerdoce suprême d'Alkime en 161. Il s'appuie sur la constatation qu'après l'allusion à l'éviction et la mort d'Onias III (Dn 9, 26), il n'est plus question des prêtres mais du sanctuaire. De plus, la fin du roi impie (Antiochus IV) est mentionnée à de nombreuses reprises dans la seconde partie de  Daniel : 7, 11. 26 ; 8, 25 ; 9, 26-27 ; 11, 45. Elle est espérée et annoncée plutôt que connue. C'est un indice-clef pour dater la composition de cet ensemble de Dn 7-12 avant le décès brutal du souverain séleucide (hiver 164) qui n'aurait pas manqué d'être relaté de manière plus précise.

https://www.academia.edu/36222606/La_pri%C3%A8re_de_Daniel
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 28 Fév 2022, 17:26

Vu les perspectives eschatologiques du v. 24 (relire), il n'est pas certain que l'"onction du saint des saints" se réfère à un événement "historique" (en l'occurrence la nouvelle dédicace qui fonde la fête de Hanoukka dans les Maccabées), c'est-à-dire déjà passé ou présent pour l'auteur de ce chapitre (à moins que cette indication en fin de série soit précisément un ajout ultérieur, post eventum, au texte principal). Ce qui paraît assez clair en revanche, c'est que pour l'auteur (principal) la "fin de la semaine" reste future (et par là même encore susceptible d'espérances absolues, même si elles ont aussi pour lui un caractère cultuel: pas de contradiction entre la "justice éternelle" et le "rétablissement du sanctuaire"). Mais le "point de vue" temporel n'est pas forcément le même partout dans le livre, d'une section ou d'une rédaction à l'autre: cf. 8,11ss qui suggère une durée plus courte pour l'"interruption du culte" proprement dite (2300 soirs et matins = 2300 sacrifices du soir et du matin = 1150 jours < 3 ans et demi = 1/2 "semaine"); et surtout les ajouts de la fin du chapitre 12 qui demandent d'attendre encore au-delà de tous les délais prescrits auparavant, probablement parce que les espérances ne se sont pas toutes réalisées...
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeMar 01 Mar 2022, 16:06

Le conflit atteint son paroxysme avec l’arrivée au pouvoir d’Antiochus IV Épiphane qui, « par toute une série de mesures violentes, [...] s’attaque aux symboles religieux les plus fondamentaux, interdisant, sous peine de mort, la circoncision, la célébration du Chabbat et des Fêtes, la lecture de la Torah, contraignant la communauté à violer les interdits de la Loi, et à célébrer des sacrifices païens, [...] entrant en personne dans le Temple pour le piller [...], introduisant des rites de prostitution sacrée, ordonnant la destruction des Livres sacrés, et consacrant (le 7 décembre 167) le Temple de Jérusalem [...] au culte de Zeus Olympien – identifié au dieu syrien dynastique BA’A1 Shamîn – avec une statue de Zeus reproduisant, semble-t-il, ses propres traits, dont l’autel fut appelé du nom célèbre d’« abomination de la désolation ». Son attitude provoque la révolte des Hassidim – les « Pieux » – que mène Mattathias puis son fils Judas qui prend le surnom de Maccabée. En – 164, « Antiochus IV relâche ses exigences envers la communauté juive, à qui il redonne la pleine et entière liberté de vivre selon les coutumes de [ses] pères. » Le livre de Daniel, qui évoque ce temps de persécution, reflète le passage accéléré du prophétisme à l’apocalyptique qui modifie « le regard porté par l’homme sur le divin et sa manifestation dans l’histoire » :

Pour Daniel, les guerres maccabéennes, avec leurs succès nullement négligeables, ne constituent qu’une « petite aide » (Dn 11, 34). Désormais, dans l’histoire des nations, Israël sera momentanément absent ; il n’y a pas de place pour lui au sein des grands royaumes. Au silence de l’histoire correspond celui des prophètes : il n’y a plus de prophètes (Ps 74, 9) ; pour beaucoup, c’était là le silence même de Dieu. Mais le silence de l’histoire n’empêche pas qu’on continue de méditer sur le sens de l’histoire. La défaite d’Israël étant une chose consommée, il n’y a rien à espérer, sinon qu’une petite pierre se détache de la montagne sans l’intervention d’aucune main (Dn 2, 34). Cette espérance qui n’a pas d’appui dans l’histoire retrouve le mythe, et c’est le mythe qui a contribué à sauver Israël des démentis de l’histoire. Il avait gardé intact le thème du Dieu-combattant, et il revient avec force. Le ciel et l’espace entre ciel et terre, où habitent les anges et autres puissances, deviennent des réalités auxquelles s’accroche la foi. Les traditions de la Genèse sur les origines, en particulier celle de l’âge d’or et de la chute, quasiment éclipsées par l’histoire dans la tradition biblique, deviennent essentielles dans la présentation apocalyptique de l’histoire et permettent une expression originale de la théologie du salut et de la souffrance.

Le livre de Daniel témoigne de la croyance en l’imminence de la fin et de l’action divine, ainsi que de l’adoption définitive de la vision et de l’image53 comme procédés d’investigation et d’anticipation du projet de Dieu pour le peuple élu. Ainsi, « au sein de l’expérience de l’auteur, apparaît la conviction que la fin est proche. [...] Fin proche, comptée, mais non encore atteinte, moment unique de l’histoire, moment à dimension universelle puisque l’enjeu n’est autre que la disparition du peuple. L’épreuve où se vit cette proximité de la fin remet tout en cause, bouleverse la conception de l’histoire. Car l’histoire ne peut être une reconduction à l’infini de la promesse divine et de son échec apparent. [...] c’est le peuple sujet de l’épreuve, le peuple martyr selon la position de l’auteur du livre de Daniel, qui porte cette nécessité de la fin proche, et qui est par là sujet porteur de l’apocalypse, de la révélation. Mais précisément, comment connaître cette histoire, sous le jour nouveau requis par la nécessité de la fin proche ? Comment connaître le dessein de Dieu en faveur de son peuple, sous ces conditions absolument nouvelles ? C’est toute la question du songe et de la vision, de leur articulation, du mode de connaissance [...] qui est à repenser. Ainsi que les moyens propres à cette connaissance, avec le choix de l’image comme vecteur fondamental. La révélation apocalyptique s’appuie sur l’image, et par là même sur une forme mythologique d’expression. [...] L’apocalyptique dans le livre de Daniel et dans les temps qui lui succéderont est un ré-aménagement du mental, une re-création de l’imaginaire social, politique, théologique. »

Le livre de Daniel illustre donc « la conception dramatique d’une histoire allant du commencement à la fin, avec l’expérience d’une brisure imminente, vécue corporellement par la société », qui apparaît dès lors comme une caractéristique essentielle du genre apocalyptique.

https://books.openedition.org/pub/26768?lang=fr
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeMar 01 Mar 2022, 16:56

Pour rappel, il ne fau(drai)t pas confondre:
- les descriptions et récits disponibles, tendancieux et hostiles de la politique d'Antiochos et de ses partenaires juifs à Jérusalem avec les intentions et les projets réels de ces derniers, que nous ne connaîtrons sans doute jamais de leur propre point de vue puisque ce point de vue nous est inaccessible, mais dont nous pouvons au moins soupçonner qu'ils n'ont pas été aussi "diaboliques" que ça (soit dit en passant et mutatis mutandis, c'est assez proche de ce que nous remarquions à propos du traitement dans l'"information" dans les médias: notre "Antiochos" comme notre "Poutine" sont ceux de leurs adversaires respectifs, il y a sans doute d'autres regards sur les mêmes "acteurs", à commencer par les leurs, mais nous n'y avons pas accès; peu importe en définitive car un point de vue qui embrasserait tous les points de vue ne serait plut du tout un point de vue, capable d'"histoire");
- les effets religieux et littéraires du livre de Daniel avec les intentions, idées et croyances de ses auteurs (rédacteurs): quand on parle des suites "apocalyptiques" de Daniel, on se place déjà dans une perspective historico-littéraire qui suppose l'échec des "prophéties" de Daniel, lesquelles n'ambitionnaient nullement de créer une nouvelle "mode" littéraire ou une nouvelle "ère" religieuse, mais rien de moins qu'une "fin de l'histoire".

De ce point de vue historico-littéraire cependant, la résurgence massive de l'imagerie mythologique et polythéiste dans l'"apocalyptique" (dieux et déesses devenus princes ou veilleurs, anges ou démons, vierges ou prostituées fantastiques, monstres, bêtes sauvages ou dragons), dans des milieux par ailleurs violemment opposés à toute "idolâtrie" et même à toute iconographie, n'en est que plus remarquable.
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeJeu 03 Mar 2022, 12:03

La définition de l'eschatologie selon Daniel est un point essentiel. En quoi consiste pour lui le salut attendu? Pour faire saisir la réponse de A. Lacocque, je la distinguerai de celle de P. Grelot (Histoire et eschatologie dans le livre de Daniel, dans Apocalypses et théologie de l'espérance [coll. Lectio divina, 95], Paris, 1977, p. 63-109). P. Grelot s'exprime en ces termes: «La perspective ainsi ouverte ne ressemble en rien à une évasion dans l'Au-delà: le prophète salue la venue d'une ère nouvelle, où la pleine réalisation du dessein de Dieu sur son peuple constitue l'objet unique de l'espérance. La perspective est eschatologique, en ce sens que 'le terme assigné au désolateur' (9, 27d) est arrivé, mais l'ouverture sur un Avenir absolu n'implique pas la disparition du monde présent» (p. 103). L'eschatologie de Daniel se relie ainsi étroitement à l'actualité historique de la renaissance juive, après la reprise de Jérusalem par Judas Maccabée (ibid., p. 108). Autrement dit, le livre s'explique suffisamment en fonction des événements de 170 à 163, même si l'espérance conduit au-delà. La datation du livre est, dès lors, très importante. Est-il conçu et écrit avant ou après la restauration du culte le 25 Kislev 164 ? Pour Grelot, les visions des ch. 8, 9 et 10-12 supposent connue la dédicace. En revanche, pour A. Lacocque, les événements racontés à partir de 11,40 sont décrits avec tant d'imprécision qu'ils devaient être seulement espérés par l'écrivain. «L'auteur de Daniel 11, écrivant au début de 166, n'attend nullement les événements surprenants de la seconde moitié de 166: la succession de Mattathias par son fils Judas et la mise en déroute par ce dernier des généraux Lysias, Nicanor et Gorgias ... La péricope finale de Daniel 11 s'ouvre sur l'imprécision: 'au temps de la fin' (v. 40), et se poursuit par une évocation d'événements qui n'eurent pas lieu historiquement» (p. 43). 

Il ne faut ni minimiser, ni exagérer la différence des deux lectures. Là où, selon Grelot, Daniel exprime la signification d'événements tragiques en fonction du dessein divin, il propose, selon Lacocque, une espérance. L'ouverture eschatologique s'accroche mieux, à première vue, à cette seconde lecture. Mais si l'on se souvient que la prophétie de Jérémie sur les soixante-dix ans trouve ici sa deuxième réalisation, l'actualisation des prophéties de Jérémie comporte virtuellement l'actualisation ultérieure des prophéties non seulement de Jérémie, mais aussi de Daniel, considéré à Qumran et dans le Nouveau Testament comme prophète (je nuancerais en ce sens ce que A. L. dit de Daniel comme «Écrit» de la Bible juive, p. 10 et n. 6). La lecture d'une prophétie accomplie peut donc continuer à nourrir l'espérance, plus sûrement même que dans la perspective où l'accomplissement, une fois survenu, n'est pas réitérable.

L'herméneutique appliquée par Daniel à Jérémie peut être appliquée par nous à Daniel et à Jérémie. Pour ma part, c'est dans cette direction que je cherche l'interprétation des oracles daniéliques. Plus fermement encore que P. Grelot, je crois que le livre de Daniel, et en particulier la dernière vision (ch. 10 à 12), est écrite peu après décembre 164 (dédicace). Une observation que je crois neuve invite en effet à considérer le délai de 1335 jours évoqué en 12,12 comme étroitement lié à la date mentionnée en 10,4 (le 24 du Ier mois). En effet, si l'on appuie le calcul sur l'année de 364 jours du calendrier sacerdotal, les 1 335 jours font 3 ans (3 x 364 = 1 092), 8 mois (6 mois de 30 jours et 2 mois de 31 = 242) et 1 jour, c'est-à-dire exactement le délai entre le 24 du Ier mois et, trois ans plus tard, le 25 du IXe mois (Kislev), entre la date de la vision (10, 4) et celle de la dédicace du temple en décembre 164 avant J.-C. En 167, la date indiquée en 10,4, le 24 du Ier mois, pourrait correspondre avec l'attaque traîtresse d'Apollonios. 

Si cette observation est exacte, elle démontre que la vision des ch. 10 à 12 et ses mentions chronologiques au début et à la fin (10, 4 et 12, 12) sont liées et que l'écrivain connaît l'issue de la persécution. Ce calcul, plus simple et plus exact que celui de P. Grelot (qui s'appuie sur une année de 360 jours) et donc préférable, confirme sa manière générale de lire Daniel.

Mais l'interprétation que A. Lacocque donne du livre de Daniel a le grand mérite d'être globale, à la fois respectueuse du texte et de l'histoire; elle ne se perd pas dans l'explication des realia. Dans un langage accessible, elle propose un commentaire ouvert sur le Nouveau Testament. Sur les mécanismes qui conduisent au Nouveau Testament, on pourrait avoir d'autres opinions, non sur le fait. 

Deux erreurs matérielles: p. 34, Ménélas devient grand prêtre en 172 ou 171, non en 163; p. 78, la composition de Daniel est placée dans la deuxième moitié du IIe s., mais par ailleurs l'auteur écrit 166, ainsi p. 63, ce qui correspond avec tout ce qu'il affirme. Il doit s'agir de lapsus.

https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1985_num_16_2_2113_t1_0210_0000_1


Dernière édition par free le Jeu 03 Mar 2022, 13:42, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeJeu 03 Mar 2022, 12:52

Recension toujours intéressante, bien qu'il y ait eu beaucoup d'autres études et commentaires de Daniel depuis les années 1980...

Pour ma part je ne crois pas à une unité d'"auteur" sur l'ensemble du livre: tout suggère une composition plurielle et complexe, des changements de langue (hébreu / araméen) conservés par le texte massorétique à l'édition très différente de la Septante (plus exactement: de la ou des versions grecques attestées avant Théodotion) qui est aussi bien une "rédaction" à part entière (les sections devenues "deutérocanoniques" ne représentent qu'une petite partie des différences), outre la concordance très approximative des "visions" entre elles (voir les fils que nous avons consacrés aux différents chapitres de Daniel). Mais beaucoup plus importante que la question d'"auteur" est ici celle de la date, c'est-à-dire du "point de vue" temporel qui n'est pas le même d'une section ou d'une rédaction à l'autre (ce qui est une référence passée dans un passage donné ne l'est pas forcément dans un autre, ce qui était futur sera passé, ou non réalisé et susceptible de réinterprétation, à la lecture ou à la réécriture suivante). Cela n'empêche pas une certaine continuité "idéologique" -- c'est cette continuité même qui constitue une "école" ou une "tradition", jusque dans les divergences, schismes et oppositions: les héritiers d'une "prophétie ratée" (qui était une "vraie fausse prophétie", une authentique prédiction, pour ses "auteurs" au moment où ils l'ont écrite ou conçue) sont bien obligés de la transformer d'une manière ou d'une autre, de la réinterpréter, de la renouveler ou de la prolonger, pour la faire survivre au-delà de son échec, même relatif -- et peu importe que lesdits "héritiers" soient les "auteurs" eux-mêmes ou leurs successeurs...

L'hypothèse de Bogaert sur les 1335 jours me semble fragile (mais dans les années 1980 les interprétations audacieuses fondées sur les découvertes encore récentes du "calendrier solaire" de la littérature hénochienne, notamment les Jubilés, et des textes "sectaires" de Qoumrân étaient monnaie courante); je ne vois surtout pas en quoi l'énoncé d'une durée précise (dont le point de départ, terminus a quo, ne se rattache clairement à aucun "événement" marquant dans le texte, et dont le terme final, terminus ad quem, serait de toute façon passé) serait d'une quelconque utilité (contrairement à l'annonce d'un délai supplémentaire: c'est au lecteur-auditeur qu'est promis le "bonheur", s'il attend encore, relire 12,12; bien entendu ce "point de vue" est lui-même perdu sitôt le délai passé, a fortiori pour "nous", de sorte qu'on peut y "lire" absolument tout ce qu'on voudra).

Bogaert souligne avec raison que l'eschatologie de Daniel n'implique aucune "fin du monde" au sens "cosmique" (ciel et terre), et donc aucun "monde nouveau" stricto sensu (contrairement à l'Apocalypse "de Jean"). En revanche c'est bien une "fin de l'histoire", en ce sens que l'histoire débouche sur un jugement dernier et une éternité désormais sans "histoire".
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 07 Mar 2022, 15:42

QUI ÉTAIT DARIUS LE MÈDE ?

Selon Daniel, lorsque Babylone fut renversée, un roi nommé “ Darius le Mède ” commença à régner (Daniel 5:31). On n’a toutefois pas encore trouvé le nom de Darius le Mède, ni dans les sources profanes, ni dans les découvertes archéologiques. C’est pourquoi le Dictionnaire encyclopédique de la Bible (par A. Westphal), par exemple, affirme que ce Darius “ n’a jamais existé ”.

Certains spécialistes se montrent plus prudents. Après tout, à une époque les critiques affirmaient également au sujet de Belshatsar qu’il n’avait “ jamais existé ”. Il ne fait aucun doute qu’un jour Darius sortira aussi de l’ombre. Des tablettes cunéiformes ont déjà révélé que Cyrus le Perse ne porta pas le titre de “ roi de Babylone ” immédiatement après la conquête de la ville. Un chercheur émet cette hypothèse : “ Celui qui porta le titre de ‘ roi de Babylone ’ était un roi vassal de Cyrus, et non Cyrus lui-​même. ” Se peut-​il que Darius ait été le nom de règne ou le titre d’un puissant fonctionnaire mède à qui Babylone fut confiée ? Certains pensent que Darius fut un homme du nom de Goubarou. Cyrus nomma Goubarou gouverneur de Babylone, et les récits profanes confirment qu’il était investi d’un pouvoir considérable. Une tablette cunéiforme déclare qu’il établit des gouverneurs subalternes à Babylone. Détail à relever, Daniel signale que Darius nomma 120 satrapes pour gouverner le royaume de Babylone. — Daniel 6:1.

Peut-être finira-​t-​on par mettre au jour des indices plus directs qui révéleront l’identité précise de ce roi. Quoi qu’il en soit, le silence apparent de l’archéologie est loin de constituer un motif d’affirmer que Darius n’a “ jamais existé ”, et encore moins de rejeter tout le livre de Daniel en le disant frauduleux. Il est bien plus rationnel de considérer le récit de Daniel comme le rapport d’un témoin oculaire plus détaillé que les récits profanes qui ont subsisté.

https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1101999021



Continuités et ruptures avec l’historiographie perse

Si de tels parallèles sont utiles pour mieux appréhender l’historiographie judéenne tardive, reste à se demander quelle connaissance les habitants d’une province obscure et éloignée pouvaient avoir de cette historiographie. Il est indéniable surtout qu’un grand nombre de récits judéens tardifs ont pris pour cadre narratif la fin de Babylone et l’avènement de l’empire perse, à commencer par les récits légendaires qui constituent la première partie du livre de Daniel (Dn 1 à 6), et des livres entiers comme Judith, Esther et Tobie. Comparés cependant aux récits des historiens grecs contemporains – grands géographes et voyageurs comme Hécatée de Milet et Hérodote, qui manifestent une connaissance souvent directe de cet empire, les livres de Daniel, Judith et Esther posent de sérieux problèmes quant à une connaissance des réalités qu’ils décrivent : à côté de traits qui sonnent justes se trouvent d’invraisemblables anachronismes. En voici quelques exemples. Si le livre de Daniel contient des détails authentiques sur les derniers jours de Babylone, il n’en confond pas moins le roi Nabuchodonosor avec Nabonide et crée de toute pièce un « Darius le Mède », vainqueur de Babylone ! De semblable manière, le livre d’Esther décrit avec un certain réalisme le cérémonial complexe de la cour perse, avec ses banquets fastueux, son harem que gardent sept eunuques, son administration procédurière, et ses annales. Pour autant, il ne craint pas certaines distorsions dans la chronologie ; ainsi, selon Est 2, 5-6, Mardochée est déporté à Babylone en 597, mais il ne sera nommé vizir du roi perse qu’à la douzième année de son règne, soit 473 – c’est-à-dire cent vingt-quatre années plus tard ! Ce qui revient à faire de sa cousine Esther (2, 7) sa cadette d’une centaine d’années, et du roi perse Ahašwerôš le successeur du roi babylonien Nabuchodonosor … Un peu comme si on établissait un lien direct entre Louis XV et Léon Gambetta ! Que dire enfin de l’introduction du livre de Judith : « C’était la douzième année du règne de Nabuchodonosor, qui régna sur les Assyriens à Ninive, la grande ville, aux jours d’Arphaxad, qui régna sur les Mèdes à Ecbatane » (1, 1) ? C’est un peu comme si nous écrivions : « C’était la douzième année du gouvernement du général De Gaulle, qui gouverna sur les Turcs à Istanbul, la grande ville, aux jours d’Obama, qui gouverna sur les Aztèques à Mexico ». Il n’y a là que tissu d’anachronismes, jouant sur l’exotisme d’un temps depuis longtemps oublié. Et nous verrons bientôt que la mémoire des faits fait autant défaut en Chroniques qu’en Esdras-Néhémie.

https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2015-1-page-69.htm
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 07 Mar 2022, 16:33

Outre ce passage divertissant, l'article d'Abadie est fort instructif, mais surtout sur Esdras-Néhémie et les Chroniques.

La Watch, sans surprise, en reste à un argumentaire apologétique qu'elle puise et enrichit de temps en temps aux sources intarissables de l'arrière-garde du "fondamentalisme" anglophone et surtout américain -- même si ces positions sont depuis longtemps dépassées par des "évangéliques" académiquement plus sérieux (cf. p. ex. le commentaire de Goldingay dans la série Word Biblical Commentary, en 1989). Cela l'arrange doublement, car si l'on peut déjà faire passer les textes de Daniel qui se rapportent clairement à l'époque maccabéenne (voire romaine pour les "fondamentalistes") pour des "prophéties" énoncées plusieurs siècles à l'avance, il est d'autant plus facile de sauter de là à des interprétations "modernes" et particulières, qu'elles soient "fondamentalistes" ou "sectaires" (qui peut annoncer l'histoire des siècles à l'avance peut aussi bien le faire des millénaires à l'avance, on n'est plus à ça près).

Du point de vue de l'exégèse (sérieuse) de Daniel, bien entendu, l'"histoire" de référence n'est pas celle que l'historiographie moderne peut reconstituer par la comparaison des "sources" aujourd'hui disponibles, textuelles, épigraphiques et archéologiques, mais bien celle que les auteurs (du IIe siècle av. J.-C., au moins pour la composition de l'ensemble, et dans un lieu et un milieu très particuliers) avaient en tête, si différente soit-elle; et de cette histoire-là nous ne pouvons nous faire une idée que par le(s) texte(s)... de Daniel. Cette remarque tautologique, qui inscrit d'emblée l'interprétation de Daniel dans un "cercle" (herméneutique), peut paraître superflue, mais c'est un rappel indispensable chaque fois que nous sommes tentés d'"éclairer" les textes par une "histoire" que leurs auteurs, de fait, ne connaissaient pas: par rapport aux textes, tantôt nous n'en savons pas assez (p. ex. sur ce qui se passait et se disait exactement à Jérusalem dans les années - 160), tantôt nous en savons trop (sur des époques et des lieux plus éloignés de ce centre d'intérêt, les empires néo-babylonien ou perse du VIe au IVe siècle p. ex.). En l'occurrence, le nom de "Darius" est sans doute tout simplement tiré de la littérature, juive (Esdras 4,5; 5,5 etc.) et grecque (Hérodote etc.), concernant Darius Ier (v. 522-486) qui est l'organisateur de l'administration impériale (cf. Daniel 6,1) et le protagoniste de la première "guerre médique": dans ce sens ce n'est pas une "pure invention", mais il n'est pas placé au bon endroit ni à la bonne époque (avant Cyrus au lieu d'après); le Darius de Daniel 9,1 est aussi qualifié de "mède" et rien n'indique que dans la tête de l'"auteur" ce soit un "autre" (le "vrai", à sa place). Au demeurant, c'est vraisemblablement toute l'interprétation des "Mèdes" et des "Perses" comme deux puissances successives qui est "historiquement fausse", ou du moins anachronique, dans Daniel (depuis la statue du chap. 2) -- d'où la nécessité d'un "Mède" avant un "Perse" (cf. 6,28).
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeMar 08 Mar 2022, 14:17

L'EMERGENCE ET LES RACINES DE L'APOCALYPTIQUE 
Jacques Vermeylen

La composition du livre de Daniel et le point d'émergence de l'apocalyptique

4) Les sections secondaires du chap. 7 sont, avec les chap. 8-12, qui relèvent de la rédaction principale du livre, celles dont la teneur apocalyptique est la plus nette 2-\ Ces textes parlent avec grande insistance du temps de la Fin (7,26 ; 8,17,19 ; 9,26,27 ; 10,14 ; 11,10 ; 12,4,9,[13] ; voir déjà 2,28). Un tel intérêt s'explique au mieux, en effet, dans le contexte de la grande crise maccabéenne : à ce moment, Israël se trouve plongé dans des événements tellement dramatiques que l'hypothèse de sa disparition pure et simple doit être envisagée. Humainement, Israël est condamné, sans le moindre espoir d'avenir. Ce qui fait l'objet central du message apocalyptique, c'est le secret révélé au voyant dans ces circonstances extrêmes : le triomphe apparent des forces hostiles au Temple et au judaïsme est en réalité le dernier sursaut du Mal, dont les jours sont désormais comptés. Le temps de la Fin n'est pas celui de la destruction d'Israël, mais celui du triomphe définitif de YHWH sur le Mal. En d'autres termes, la naissance de l'apocalyptique s'explique comme interprétation d'une situation excessive, celle de la crise maccabéenne, vécue comme Fin d'Israël. Cette hypothèse est confirmée par l'analyse de 1 Hen. Encore une fois, il s'agit d'une œuvre composite, dont les passages qui présentent les traits apocalyptiques les plus accusés (le «Livre des Songes» et F «Apocalypse des Semaines») semblent avoir été rédigés au moment de la révolte maccabéenne, et plus précisément au cours de l'année 164. Cet événement marque donc, apparemment, la naissance de la littérature apocalyptique en tant que telle. Celle-ci se développera à l'occasion d'autres crises graves, comme la première guerre juive et la destruction du Temple en l'an 70 de notre ère, ou encore, dans le monde chrétien, certaines vagues de persécutions.

5) L'auteur «apocalyptique» du livre de Daniel n'a pas écrit une œuvre entièrement nouvelle : il a utilisé et prolongé des textes antérieurs, qui prennent sens dans sa composition. Ainsi, la révélation des chap. 8-12 est accréditée par la réalité des événements annoncés par Daniel, dépositaire du «mystère» (râzâ', 2,18,19,27,29,30,47; räzin, 2,28,47) et du «secret» (mcsaträtäh, 2,22) aux chap. 2-6. D'autre part, on voit Daniel «scruter les Ecritures» (9,2) et trouver réponse à ses questions dans le livre de Jérémie (Jr 25,11-12; 29,10). Ce procédé correspond d'ailleurs à ce qu'on observe dans la Bible entière : chaque fois qu'Israël se trouve confronté à une nouvelle question vitale -je songe par exemple aux terribles remises en question du temps de l'Exil (VIe siècle), ou encore à la non-manifestation de YHWH au cours de la période perse (Ve et IVe siècle) - on cherche à comprendre les événements en lisant les écrits antérieurs. Cela suppose une conviction implicite : les réponses ont déjà été données, mais nous ne les avions pas comprises ; il faut donc soumettre les textes à un nouvel effort d'interprétation. La réponse que l'on donne n'est pas entièrement neuve ; le plus souvent, elle sélectionne et reconfigure des éléments présents dans une littérature déjà existante. Ceci vaut aussi pour l'apocalyptique, qui utilise des matériaux plus anciens. Les matériaux de ce type, antérieurs à l'année 167, nous pouvons les appeler «pré-apocalyptiques».

II. Le Mystère révélé

Au cœur du livre de Daniel et de la littérature apocalyptique en général, on trouve un discours sur la Fin, qui vient clôturer une histoire entièrement déterminée par des forces supra-humaines et, en particulier, par la volonté divine. C'est ce qui permet le procédé de la pseudonymie : les événements ne peuvent se dérouler que conformément au plan prévu de toute éternité, et le temps de la Fin est programmé au jour fixé. Ainsi, le songe de Nabuchodonosor (au VIe siècle) annonce déjà «ce qui doit arriver à la fin des jours» (Dn 2,28). D'autre part, la Fin apparaît comme l'ultime combat de YHWH contre la puissance du Mal, qui dépasse infiniment l'homme ; c'est pourquoi on a parlé - non sans exagération, quelquefois - d'un «dualisme» de la pensée apocalyptique. L'histoire échappe à la volonté humaine : elle résulte de l'affrontement de forces supérieures, et c'est bien pourquoi la souveraineté de YHWH en garantit l'issue heureuse. Conception du temps et de l'histoire, d'une part, et «dualisme», d'autre part, ont donc partie liée.

Cette représentation de l'histoire et de sa Fin s'appuie sur une lecture des Ecritures. On ne trouve en Dn aucune référence directe à la Torah - peut-être parce que les prêtres qui l'enseignaient au Temple s'étaient ralliés en grand nombre à l'hellénisme persécuteur - mais, comme nous l'avons déjà vu, un renvoi explicite à Jérémie (9,3). L'auteur apocalyptique de Dn s'inspirerait-il de la seule prédication prophétique et la prolongerait-il avec des accents propres ? Je crois plutôt qu'il amalgame deux types de discours bien attestés dans la Bible : une eschatologie ou «discours sur la Fin», et un autre discours sur le déroulement «supraterrestre» de l'histoire.

https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=rtp-003:1997:47::472
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeMar 08 Mar 2022, 15:54

Présentation exceptionnellement claire (le fait que ce soit le texte d'une conférence, qui rejette en notes les explications les plus "techniques", y est sûrement pour quelque chose); elle date déjà d'un quart de siècle mais on pourrait toujours la recommander sans réserve à quiconque tente une première approche du "livre de Daniel" et de ce qu'on nomme l'"apocalyptique".

Reste l'éternel problème dont nous avons déjà beaucoup parlé (p. ex. supra 24.2.2022), celui du "point de vue" du texte et, en ce qui nous concerne, de l'appréciation que nous portons sur sa "situation". Parler de "persécution(s)", c'est déjà adopter pour l'essentiel le point de vue du texte (chose d'autant plus facile que c'est celui de tous les textes disponibles, Hénoch, Maccabées, Josèphe etc.) sur la "crise maccabéenne", sans avoir la moindre idée du "point de vue" opposé, qui n'est pas seulement celui d'Antiochos et de l'administration séleucide mais encore d'un bon nombre de prêtres et de notables de Jérusalem, non moins "juifs" que les autres. Cela devrait nous mettre la puce à l'oreille: c'est quand même curieux que des prêtres "persécutent" leur propre "religion", ou que des responsables politiques veuillent la "fin" de leur propre peuple. Ce discours est évidemment celui d'un "camp", celui qui a localement et provisoirement "gagné", quitte à se déchirer aussitôt après (cf. Qoumrân); non celui du "camp" d'en face, qui pouvait voir dans la "mondialisation" hellénistique une chance pour la Judée et pour la "religion", la "culture" et l'ethnos "judéens/juifs" en général. Bref, par-delà le discours partisan, unilatéral, on retrouve une dynamique étrangement familière, celle du "progrès" et des réactions qu'il déclenche, "conservatrices" ou "identitaires" -- sauf qu'ici nous ne connaissons que le "point de vue" de la "réaction". -- Pour prendre un exemple qui vaut ce qu'il vaut, si l'on ne connaissait le concile Vatican II que par des textes "intégristes", on aurait aussi l'impression que le pape et les cardinaux sont soudain devenus les ennemis jurés du catholicisme...
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 14 Mar 2022, 11:10

En ce qui a trait au cadre temporel, il est fixé d’emblée : Darius, le Mède, reçut la royauté, à l’âge de soixante-deux ans. Darius trouva bon d’établir sur le royaume cent vingt satrapes répartis dans tout le royaume (v.1-2). Tout cloche dans ce cadre historique établi par le narrateur. 1) Aucun Darius le Mède n’est connu de la littérature extra-biblique. 2) Cyrus est unanimement reconnu comme le conquérant de Babylone. 3) Babylone en 539 n’est pas tombée aux mains des Mèdes, mais des Perses. 4) Trois rois perses se sont nommés Darius, dont le premier est certes reconnu pour son organisation des satrapies comme le mentionne Daniel, mais n’est pas arrivé à Babylone avant 52290. 5) Et Darius 1er était dans sa trentaine et non dans sa soixantaine à ce moment. Bref, les critiques pensent généralement que le rédacteur du livre de Daniel a simplement transplanté Darius 1er (522-486) dans le contexte de la chute de Babylone et a fait de lui un Mède pour répondre aux aspirations prophétiques (És 13.17; Jr 51.11, 28) (Rowley). Les conservateurs proposent plusieurs tentatives d’harmonisation plus ou moins satisfaisantes : Darius serait le nom d’intronisation du gouverneur de Babylone Gubaru (Whitcomb), le nom de règne babylonien de Cyrus (Wiseman), ou le nom du général vainqueur et vassal de Babylone Ugbaru (Shea). Je propose plutôt une hypothèse narrative personnelle m’appuyant sur les considérations suivantes :

1. Il m’apparaît peu probable qu’un narrateur démontrant une si grande connaissance de la bible hébraïque fasse une « erreur aussi extraordinaire » sur un sujet sur lequel elle est unanime (2 Ch 36.22-23; Esd 1.1-8; 3.7; 4.5; 5.13-6.14; És 45.1).

2. Je remarque une situation récurrente, que je qualifierais de constant léger déphasage historique, relativement aux personnages dans le livre de Daniel, qui même s’ils ne  sont pas ceux attendus par l’Histoire, comportent toujours une certaine proximité historique. Par exemple. 1) Joïaqim est présenté comme le roi de la chute de Jérusalem (1.1-2), alors que les événements relatés ont plutôt eu lieu sous son fils Joïaqîn (2R 24.8-16). Par contre, Joïaqim a bien été vassal de Nabuchodonor pendant trois ans (2R 24.1). 2) La folie de Nabuchodonosor est une reprise de la prière de Nabonide (4QPrNab). Ainsi, le roi qui a vu tomber Babylone est remplacé par le roi qui a vu tomber Jérusalem. 3) Belshatsar n’est pas le dernier roi de Babylone, mais il est tout de même le fils de son dernier roi. 4) Darius n’est pas l’artisan de la chute de Babylone, mais il l’a tout de même vaincu une quinzaine d’années plus tard et est bien reconnu comme l’instigateur des satrapies. Comment donc expliquer narrativement ces constants légers déphasages historiques ? J’y vois une validation de la théorie de Sims, présentée au premier chapitre, comprenant les inexactitudes historiques du livre de Daniel comme une stratégie littéraire du narrateur servant son propos théologique. Toutefois, l’article de Sims ne fait qu’exposer une solution littéraire potentielle aux difficultés historiques du livre sans tenter de les expliquer. 

3. Que ce soit une date (1.1), une mesure (3.1), un nombre (5.1; 6.2) ou un âge (6.1), les chiffres sont une énigme répétitive dans le livre de Daniel. Les improbabilités numériques ont peut-être pour fonction d’inciter le lecteur à chercher des explications ailleurs. Ayant déjà relevé la valeur symbolique probable de la taille de la statue (3.1) et des grands nombres (5.1; 6.2), je me propose maintenant de fournir une explication à la référence historique introductive (1.1) et à l’âge de Darius (6.1), qui me permettra d’étayer mon hypothèse de la stratégie narrative théologique des inexactitudes historiques dans le livre de Daniel. Hamilton a expliqué les nombreuses réinterprétations canoniques successives aboutissant aux soixante-dix années d’exil de Jérémie (Lv 26.34 et Dt 4.29; Jr 25.11-12; 2Ch 36.20-21), qui deviennent des semaines symboliques en Daniel (9.24-27)95. Or, puisque ces semaines sont indéniablement une clé herméneutique du livre, peut-être faut-il chercher de ce côté pour saisir la signification de certaines références historiques. 1) La mention datant le début du livre du règne du roi Joïaqim (609-598) se comprend mieux quand on réalise qu’il y a exactement 70 ans entre la chute de Babylone (539) et le début de son règne. 2) Les 62 ans de Darius doivent certainement avoir reçu un traitement similaire du narrateur compte tenu de l’importance de la soixante-deuxième semaine dans la vision de Daniel (9.26). De plus, le fait que celle-ci soit reçue sous le règne de Darius (9.1) est un indice majeur pointant vers une interprétation théologique de l’âge de Darius. Nabuchodonosor commence à régner en 605, et si on prend le même point d’arrivée de la chute de Babylone en 539 (l’édit de Cyrus de 538 n’étant pas mentionné comme ailleurs dans la Bible), il y aurait 66 ans entre le début et la fin de son règne. Darius serait donc né 4 ans après le début du règne de Nabuchodonosor puisqu’il a 62 ans au moment de la chute de Babylone. Comment expliquer cet écart ? Les récits de Daniel ne comportent que deux ellipses narratives d’années : après (תָצְ ק (trois ans de formation pour Daniel et ses amis (1.5), et après (תָצְ ק (douze mois de folie pour Nabuchodonosor (4.26). L’introduction du deuxième récit le situe à l’intérieur de la période de ces trois ans de formation (2.1; 1.1). L’étrange absence de notices pour les suivants peut laisser supposer qu’ils se déroulent dans le même espace-temps. Selon la logique du récit, la naissance de Darius aurait donc eu lieu l’année de la renaissance de Nabuchodonosor. Le message théologique derrière l’âge de Darius serait donc le suivant : la restauration de Nabuchodonosor porte la semence de sa chute. De la  même manière que le début du règne de Joïaqim portait la semence de la chute de Babylone. 

4. L’insertion d’un Mède dans le cycle narratif était finalement nécessaire au narrateur. D’abord, pour respecter son principe du léger décalage historique, car même si Babylone n’est pas tombé aux mains des Mèdes, ils étaient toutefois étroitement liés aux Perses (Est 1.3; Dn 5.28). Ensuite, pour accomplir son principe éditorial des quatre règnes établi au chap. 2 et repris dans la section apocalyptique (7-12)101 : ce sont en effet sous les quatre rois des récits (Nabuchodonosor, Belshatsar, Darius et Cyrus) que Daniel aura ses visions des quatre royaumes (babylonien, mèdes, perse et grec).

Les inexactitudes relatives aux évènements, personnages et date, sont donc cohérentes avec la logique interne du récit. En terme narratif, les difficultés historiques du livre de Daniel se résorbent quand on réalise que son cadre temporel est rarement chronologique, mais éminemment typologique.

https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/13811/Brassard_Gaetan_2015_m%C3%A9moire.pdf?sequence=2&isAllowed=y

(Page 95 ss).
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 14 Mar 2022, 12:14

Sans trop rentrer dans les détails (p. ex. Ugbaru et Gubaru peuvent être des variantes du même nom autant que deux personnages distincts), je trouve que cette interprétation illustre à merveille le défaut de méthode que je suggérais ci-dessus (7.3.2022), défaut qui consiste en un excès de "connaissance" historique et littéraire du commentateur-interprète par rapport au milieu producteur et récepteur du texte. A certains égards (sur l'époque néo-babylonienne et sur le début au moins de l'époque perse), on en sait plus que les auteurs et les les premiers lecteurs-auditeurs du livre de Daniel, donc on en sait trop et si on ne s'en méfie pas assez on finit par trouver des explications trop ingénieuses, qui peuvent nous paraître vraisemblables, mais qui n'avaient aucune chance de leur venir à l'esprit. Et ainsi le "fondamentalisme" (plus exactement: une certaine conception "magique" ou "surnaturelle" de "la Bible"; il est d'ailleurs symptomatique que l'auteur du mémoire parle de "Bible hébraïque" à une époque où il n'y a pas de "canon" établi, sans quoi "Daniel" n'y aurait jamais trouvé sa place) chassé par la porte rentre par la fenêtre, n'ayant fait que changer de forme ou d'objet: là où les apologistes d'hier cherchaient à prouver contre l'évidence une parfaite correspondance des textes avec "l'histoire", les apologistes d'aujourd'hui, à la faveur des analyses littéraires (narratives, rhétoriques, structurelles, sémiotiques, etc.), tentent d'établir une cohérence d'intention proprement géniale derrière les "erreurs historiques" -- soit un autre genre d'"inspiration divine".
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 14 Mar 2022, 13:30

Citation :
le nom hébreu mashiach sans l'article défini, nécessitant la traduction "un oint" plutôt que "l'oint".

L'absence d'article défini dans le texte hébreu se traduit comment ?
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 14 Mar 2022, 14:12

Je suppose que tu te réfères à ta citation du 28.2.2022 supra, concernant Daniel 9: l'absence d'article défini se traduit bien normalement en français par l'article indéfini, "un oint" (en référence d'abord à Josué-Jésus ou éventuellement Cyrus, puis à Onias); la seule autre possibilité grammaticale serait de le considérer comme un nom propre, Oint-Messie-Christ, ce que supposent les interprétations "messianiques" (stricto sensu) ou "christologiques" (= Jésus-Christ), mais qui serait, sauf erreur de ma part, sans autre exemple dans le corpus (je ne reviens pas l'absurdité générale d'une référence à Jésus-Christ dans Daniel).
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 14 Mar 2022, 14:18

Narkissos a écrit:
Je suppose que tu te réfères à ta citation du 28.2.2022 supra, concernant Daniel 9: l'absence d'article défini se traduit bien normalement en français par l'article indéfini, "un oint" (en référence d'abord à Josué-Jésus ou éventuellement Cyrus, puis à Onias); la seule autre possibilité grammaticale serait de le considérer comme un nom propre, Oint-Messie-Christ, ce que supposent les interprétations "messianiques" (stricto sensu) ou "christologiques" (= Jésus-Christ), mais qui serait, sauf erreur de ma part, sans autre exemple dans le corpus (sans parler de l'absurdité générale d'une référence à Jésus-Christ dans Daniel).

Merci Narkissos pour cette explication. 
Comment se présente le texte en hébreu et ou repère-t-on l'absence de l'article défini ?
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeLun 14 Mar 2022, 15:13

9:25: עַד־מָשִׁיחַ נָגִיד, `d-mšyh ngyd / `ad mashiah nagid / jusqu'à (un) oint prince; pour que ce soit L'oint prince il faudrait, en principe, הַמָּשִׁיחַ / ha-mashiah -- et ha-nagid pour lire "le prince" comme une épithète ou une apposition;
v. 26: יִכָּרֵת מָשִׁיחַ, ykrt mšyh / yikareth mashiah / (un) oint sera retranché; de même, pour que ce soit L'oint il faudrait, en principe, הַמָּשִׁיחַ ha-mashiah (cf. Lévitique 4,3 etc.).
Bien sûr, mashiah peut être déterminé par autre chose qu'un article, notamment par un "état construit" qui l'associe à un nom propre ("l'oint de Yahvé", dans ce cas il y aura un article défini en français mais pas en hébreu), ou par un suffixe possessif (mon, ton, son, notre, votre, leur oint); mais ce n'est pas le cas dans Daniel.

(Je ne sais évidemment pas quelles sont tes intentions, ni même si tu en as, pour poser cette question, mais je ne crois pas trop à l'utilité des arguments linguistiques à défaut d'une certaine pratique de la langue de référence -- même s'il s'agit, dans le cas des langues mortes, d'une pratique "passive", c.-à-d. de lecture. Pour celui qui ne pratique pas la langue cela se résumera toujours à un argument d'autorité, faites-moi confiance parce que je dis abracadabra...; quant à celui qui la pratique, il lit ce qui est écrit et n'a pas besoin d'argument -- tout au plus d'une analyse qui explicite les problèmes et les choix de lecture le cas échéant. D'autre part, du côté de l'argumentateur, j'ai dit assez de bêtises en parlant d'hébreu et de grec avant d'apprendre et de lire ces langues pour ne recommander ça à personne...)
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeMar 15 Mar 2022, 15:24

"Tu dois savoir et comprendre que, depuis l’ordre de rétablir et de rebâtir Jérusalem jusqu’au Messie, le Guide, il y aura 7 semaines, et aussi 62 semaines. Elle sera rétablie et rebâtie, avec une place publique et un fossé, mais ce sera dans une période de détresse" (9,25 - TMN)

"Sache-le donc et comprends ! Depuis qu'a été émise la parole disant de rétablir, de rebâtir Jérusalem, jusqu'à un chef ayant reçu l'onction, il y a sept semaines ; pendant soixante-deux semaines, places et fossés seront rétablis, rebâtis, mais en des temps d'angoisse" (9,25 - NBS)

« Sache donc et comprends : Depuis le surgissement d’une parole en vue de la reconstruction de Jérusalem, jusqu’à un messie-chef, il y aura sept septénaires. Pendant soixante-deux septénaires, places et fossés seront rebâtis, mais dans la détresse des temps (9,25 - TOB). 

La TMN additionne les 7 semaines et les 62 semaines dans le même mouvement et la même perspective : "l’ordre de rétablir et de rebâtir Jérusalem jusqu’au Messie, le Guide". Cela interroge, pourquoi l'auteur aurait-il éprouvé le besoin de scinder une seule et même période en 2 et pourquoi n'a-t-il pas dit directement : 69 semaines.
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeMar 15 Mar 2022, 16:11

Ça me rappelle une histoire idiote de ma jeunesse, celle du type qui, écrivant à un ami explorateur et ne sachant pas si l'on dit "chacals" ou "chacaux", finit par écrire: "S'il te plaît, envoie-moi un chacal. Pendant que tu y es, tu peux m'en envoyer un autre."

C'est bien le souvenir que j'avais gardé de l'interprétation de la Watch (aucune différence entre la première "semaine de semaines [d'années]" et les suivantes, donc aucune raison pour le texte de les différencier), mais il semble que ça ait un peu bougé, au plan de l'interprétation sinon de la traduction, cf. supra 24.2.2022: en singularisant la date de - 406, même sans avoir aucun texte ou "événement" à lui associer, elle (la Watch) tente maintenant de donner un certain sens à la séparation textuelle des périodes -- elle ne peut évidemment pas lui reconnaître son sens le plus probable, sinon obvie (7 x 7 = 49 / 50 ans de désolation de Jérusalem stricto sensu, à partir 587/6), puisque ça imposerait de renoncer d'une part aux "70 ans d'exil" nécessaires à la date de - 607 (=> 1914), et d'autre part à toute portée "messianique" de Daniel 9 (ce qui serait probablement moins grave à ses yeux).

Je reviens sur une remarque un tantinet lapidaire, ou péremptoire, de mon avant-dernier post (dernière parenthèse): en déclarant a priori "absurde" l'idée d'une référence d'un texte à un événement ultérieur, je prête évidemment le flanc à une objection "fondamentaliste" classique -- raisonnement circulaire, pétition de principe, préjugé rationaliste qui présume que personne ne puisse prédire l'avenir, en tout cas à coup sûr, dans le détail ou des siècles à l'avance. Si à Dieu tout est possible, le raisonnement tombe. Mais alors tombe aussi tout raisonnement, toute raison, toute critique, tout jugement, toute possibilité d'évaluer aucun discours ou récit. Si tout est possible, je n'ai pas plus ni moins de "raisons" de croire ou de ne pas croire à n'importe quoi, à un récit d'apparition ou de miracle ou à une prédiction quelconque, que ça vienne de Lourdes, de Nostradamus ou de n'importe qui. Aucune règle de "raison", de "cohérence" ou de "non-contradiction" ne tient plus, sinon par un raisonnement également circulaire, dogmatique ou sectaire, qui le borne arbitrairement à un cadre comme "la Bible" -- et à une certaine interprétation de "la Bible", qui refuse notamment à "Dieu" le pouvoir de se contredire, même s'*il* se contredit.
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeMer 16 Mar 2022, 14:00

Onias iii est mis à mort vers la fin de 171 ou le début de 170, sur l'ordre de mélénas - C'est du moins la version donnée en 2 M 4,30-38 mais aussi en Daniel 9,25-26 (ou il est désigné sous l'expression "chef oint") et en 11,22 (ou il est désigné sous l'expression "chef de l'alliance"). En revanche Flavius Josèphe fait mourir Onias iii de mort naturelle dès 174, ajoutant que son fils Onias IV est encore mineur à cette époque (antiquité judéennes XII, § 237) : cette présentation est donc en désaccord avec celle qui est donnée en  2 M 4,30-38 et confirmée par Daniel 9,25-26 et 11,22. De ce fait, le récit par Flavius Josèphe de la mort d'Onias iii essaie de cacher l'irrégularité de la nomination de Jason : c'est pourquoi, avec de nombre de critiques, il parait préférable de suivre le récit de 2 M, plutôt que celui de  Flavius Josèphe. (Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère ... De Simon Claude Mimouni). 

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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeMer 16 Mar 2022, 14:56

Excellente lecture (à première vue je trouve Mimouni meilleur sur cette époque que sur le Ier siècle "apr. J-C.", mais c'est sûrement parce que l'époque m'est moins familière). Elle permet au moins de se faire une idée de la difficulté qu'il y a à reconstituer une histoire ("réelle" ou à peu près) à partir de l'"historiographie" ancienne (biblique ou non). En tout cas pour le "lecteur de la Bible" en un sens quasi exclusif (celui qui ne connaît que la Bible selon l'un ou l'autre "canon", ou même la littérature "para-biblique" jusqu'à Josèphe sur les époques concernées) l'enjeu est considérable: ce qui, dans la littérature "apocalyptique", se présente sous la forme dualiste d'un combat absolu du bien et du mal identifiés respectivement à un "judaïsme" (présumé authentique) et à  un "hellénisme" (présumé au moins culturellement uni) recouvre, traduit et trahit une immense complexité d'alliances et de vassalités en tout genre, de l'Egypte lagide à la Syrie séleucide, jusqu'à Sparte et Rome, qui implique aussi (accessoirement dans une vision d'ensemble, mais non pour nos textes) les différents clans dynastiques de l'aristocratie sacerdotale de Jérusalem, tous aussi "hellénisés" les uns que les autres. On remarquera au passage que les généalogies, surtout sacerdotales, reflètent presque toujours des enjeux "politiques", et que celles de "la Bible", notamment d'Esdras-Néhémie ou des Chroniques, ont été très affectées par l'époque "hellénistique" (d'Alexandre aux hasmonéens).
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeJeu 17 Mar 2022, 13:40

Testament et mort de Mattathias

49Les jours de Mattathias approchaient de leur fin, et il dit à ses fils : « Voici maintenant le règne de l’arrogance et de l’outrage,
le temps du bouleversement et l’explosion de la colère.
50A vous maintenant, mes enfants, d’avoir le zèle de la Loi,
et de donner vos vies pour l’alliance de nos pères.
51Souvenez-vous des actions accomplies par nos pères en leur temps,
et vous gagnerez une grande gloire et une renommée éternelle.
52Abraham n’a-t-il pas été fidèle dans l’épreuve,
et cela ne lui a-t-il pas été compté comme justice ?
53Joseph, au moment de sa détresse, observa la Loi
et devint seigneur de l’Egypte.
54Pinhas, notre père, par son zèle ardent
a reçu l’alliance d’un sacerdoce éternel.
55Josué, pour avoir accompli sa mission,
devint juge en Israël.
56Caleb, pour son témoignage véridique,
reçut de l’assemblée une terre en patrimoine.
57David, pour sa piété,
hérita d’un trône royal pour les siècles.
58Elie, pour avoir brûlé du zèle de la Loi,
fut enlevé au ciel.
59Ananias, Azarias, Misaël, pour leur confiance en Dieu,
échappèrent aux flammes.
60Daniel, pour sa droiture,
fut sauvé de la gueule des lions. (1 MACCABÉES 2)


b) Le Livre de Daniel inconnu avant le milieu du IIe siècle av. J.-C.

Le Livre de Daniel commence à circuler à partir de la 2e moitié du IIe siècle av. J.-C. et on en a retrouvé plusieurs fragments dans les grottes de Qumrân au milieu d’autres écrits, tant canoniques que pseudépigraphes. Il est par ailleurs fait référence à deux épisodes rapportés par Daniel dans le premier Livre des Maccabées rédigé entre 130 et 100 av. J.-C. (I Maccabées II, 59, 60). Mais le Livre de Daniel n’est mentionné par aucun auteur antérieur aux années 160 av. J.-C. Au contraire, le Siracide, qui écrit, lui, vers 190-180 av. J.-C., et qui fait l’apologie par ordre chronologique de tous les prophètes ayant laissé un livre (ainsi que de quelques autres n’ayant rien écrit comme Nathan ou Élie), ne fait aucune mention ni allusion au Livre de Daniel, pourtant de très loin le plus extraordinaire de tous les livres au niveau prophétique (Siracide XLVI, 13 à XLIX, 16). Il mentionne, comme Daniel, des faits relatifs à Jérusalem en rapport avec les prophéties de Jérémie. Mais il ne dit pas un seul mot des nombreux événements rapportés par Daniel sur le mode prophétique et qui ont pourtant déjà en grande partie trouvé de façon extraordinaire leur « réalisation » au moment où lui-même écrit (début du IIe siècle av. J.-C.). Évidemment, ces difficultés ne sont pas insurmontables : on ne peut pas, en effet, demander à des documents quels qu’ils soient de citer des sources qui n’existent pas encore au moment de leur rédaction …

https://thierry-murcia-recherches-historico-bibliques.over-blog.com/2017/11/a-quand-remonte-la-redaction-du-livre-de-daniel.html
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MessageSujet: Re: Le livre de Daniel est-il authentique?   Daniel - Le livre de Daniel est-il authentique? - Page 3 Icon_minitimeJeu 17 Mar 2022, 14:56

(Parenthèse de simple curiosité: j'ai souvent remarqué le nom de Thierry Murcia, aussi dans des textes relatifs aux TdJ -- ce n'est pas directement le cas de celui-ci -- et j'ai fini par l'imaginer comme un "ex": le connaîtrais-tu, par hasard ?)

N.B.: dans 1 Maccabées 2 "Daniel" est mentionné comme un personnage, a priori du lointain passé (après Elie), et pour des "faits" (la fosse aux lions, idem 3 Maccabées 6,7; 4 Maccabées 16,3.21; 18,13) qui correspondent grosso modo à la première partie (narrative) du livre de Daniel (avec les trois qui sont curieusement dissociés de "Daniel" en Daniel 3). Non pour ses "visions" ou "prophéties" (Daniel 7ss, outre l'interprétation des rêves de la première partie). Cela tend  à confirmer le décalage "idéologique" (et pas seulement chronologique) entre Daniel et les Maccabées, qui ont en commun la position et l'évaluation du "problème" ("diabolisation" d'Antiochos et de l'hellénisme syrien), mais non la "solution": comme on l'a montré précédemment, l'issue militaro-politique de la révolte des Maccabées et sa suite hasmonéenne ne pouvaient pas satisfaire l'eschatologie absolue, purement divine, de la partie "apocalyptique" du livre. Réciproquement, pour le pouvoir hasmonéen le livre de Daniel ne pouvait constituer une référence fondatrice, il était plutôt revendiqué par ses "adversaires" (pharisiens, esséniens-hénochiens-qoumraniens, etc.) -- mais naturellement au prix d'une réinterprétation continue des "prophéties ratées".


Dernière édition par Narkissos le Jeu 17 Mar 2022, 15:07, édité 1 fois
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