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| La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. | |
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Auteur | Message |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 26 Oct 2020, 10:48 | |
| - Narkissos a écrit:
- Ils ne le "voient" que dans le Christ (lire la suite)…
Effectivement … ce n'est pas facile d'appréhender une telle pensée. Le chapitre 7 (entre autre) me semble illustrer ton propos : "Car ce témoignage lui est rendu : Tu es prêtre pour toujours selon l'ordre de Melchisédek (…) Et cela ne s'est pas fait sans serment. Les autres, en effet, sont devenus prêtres sans serment ; mais lui l'est devenu avec un serment, par celui qui lui a dit : Le Seigneur l'a juré, il ne le regrettera pas : tu es prêtre pour toujours (…) La loi en effet institue grands prêtres des humains sujets à la faiblesse ; mais la parole du serment postérieur à la loi institue le Fils qui a été porté pour toujours à son accomplissement" (7,17- 20-22 et 28) L’épître aux Hébreux présente Christ comme l’Éternel prêtre et cette présentation s’organise autour de la figure de Melchisédech. Fils de Dieu à l'instar de Melchisédech "demeure prêtre pour toujours" (v.3). ce sacerdoce est éternel en son essence même. La pérennité de ce sacerdoce selon Melchisédech est établi par un "serment" (v 20-22) : " Le SEIGNEUR l'a juré, il ne le regrettera pas : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Malki-Tsédeq" (Ps 110,4). L'auteur de l'Epître présente Ps 110,4 comme une parole adressée directement par Dieu au Christ. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 26 Oct 2020, 12:31 | |
| L'épître aux Hébreux utilise de façon remarquable la temporalité ou la chronologie apparente des textes ("bibliques") au service de sa conception (quasi "platonicienne") de l'éternité: Melchisédek apparaît dans la Genèse avant la loi sacerdotale et sacrificielle, mais aussi dans les Psaumes après. De même le "repos" dans la Genèse et dans les Psaumes, avant et après Josué-Jésus. L'"aujourd'hui" vaut pour l'engendrement du Fils avant tout "âge-monde", et encore après dans les Psaumes, pour un "Jésus" déjà passé quoique indépassable, "à la fin des temps", et pour les croyants destinataires. C'est une manière d'affoler les repères temporels de "l'histoire sainte" et de l'eschatologie habituelles, obligeant à une pensée archi-, hyper-, supra- ou ultra-temporelle de l'éternité qui ne saurait s'exprimer directement, sinon sur un mode purement négatif (non-temps) et par là même beaucoup moins riche, car le langage et la représentation restent forcément temporels. |
| | | free
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 22 Jan 2021, 16:46 | |
| Que reste-t-il des rites après Jésus? Une lecture de Pépître aux Hébreux
Une mention du baptême
En lien avec cette démarche de foi, l'épître, cependant, fait clairement allusion au rite fondamental du baptême chrétien : « Approchons nous donc avec un coeur droit et dans la plénitude de la foi, le coeur purifié de toute faute de conscience et le corps lavé d'une eau pure » (10,22). Le contexte parle d'accès au sanctuaire et donc d'activité sacerdotale. Le verbe proserchomai, qui ouvre le v. 22, introduit d'ailleurs, à lui seul, une atmosphère liturgique. C'est le sang du Christ, ce que E. Nardoni appelle « the consecrating power of the blood of Christ2 2 », qui permet aux chrétiens d'avoir cet accès, d'agir ainsi « sacerdotalement ». Or cette consécration se produit au baptême comme en témoigne 10,22 : « le corps lavé d'une eau pure ». Toute cette argumentation fonde, on le voit, la légitimité de ce qu'on appelle le sacerdoce des croyants dont il sera plus loin question.
Le ministère de la Parole
Si les activités sacramentelles de cette communauté sont plutôt laissées en retrait, par contre, le ministère de la Parole s'y trouve fortement souligné. Deux passages s'y réfèrent explicitement, 13,7 : « Souvenez-vous de vos dirigeants qui vous ont annoncé la parole de Dieu... » et 13,17 : «Obéissez à vos dirigeants et soyez-leur dociles; car ils veillent personnellement sur vos âmes et devront en rendre compte ». Ce « souvenez-vous » en appelle-t-il à un mémorial collectif, à une anamnèse communautaire? Laquelle devrait alors se faire selon des prescriptions et dans un temps précis? On peut soulever la question. Il est difficile d'aller plus loin. Le discours des guides d'autrefois, qui furent, peut-être, les fondateurs de la communauté, pourrait avoir porté sur le logon tes arches Christou de 6,1 : le discours du début du Christ ou l'enseignement élémentaire sur le Christ, selon les traductions. Ce qui rejoint les « éléments du commencement des paroles de Dieu » de 5,12 dans lesquels les destinataires devraient être passés maîtres (didaskaloi). La concentration de ce langage didactique laisse supposer la présence, dans la communauté, de structures d'enseignement, qui avaient aussi pour but la permanence de la parole. De même, l'« obéissez » ou le « laissez-vous persuader » de 13,17évoque un enseignement, qui non seulement s'est exercé jadis, mais s'exerce toujours dans la communauté. Ce qui requiert, en soi, des temps et des lieux de rencontre pour l'exercice de ce service de la parole. Il faut donc reconnaître, dans cette communauté, l'existence d'une structure ministérielle. Elle est décrite en 13,17 comme un « pastorat de veilleur » (l'image du berger semble impliquée dans le verbe agrupneô : ne pas dormir parce qu'on veille dans les champs...), entraînant des responsabilités particulières et se rattachant ainsi à la tâche de celui que l'épître appelle magnifiquement, en finale : « le grand pasteur des brebis notre Seigneur Jésus » (13,20). Ce ministère des guides ou des dirigeants se trouve défini dans la ligne prophétique, sans que jamais le vocabulaire sacerdotal ne soit employé pour en définir la charge, alors qu'il l'était largement pour expliquer l'œuvre de Jésus et même, parfois, pour caractériser la communauté (12,28 et 13,15-16)3 0 . L'épître elle-même, d'ailleurs, qui se présente comme un « discours d'exhortation : logos paraklèseôs », relève du ministère prophétique de la paraclèse, caractéristique des prophètes du Nouveau Testament. https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/1996-v4-n1-theologi2886/602431ar.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 22 Jan 2021, 17:38 | |
| Faute de percevoir la logique (médio-)"platonicienne" de l'épître aux Hébreux, on peut toujours constater (qu'), mais on ne comprend pas pourquoi elle se montre relativement indifférente -- non pas hostile, simplement indifférente -- à l'égard du rituel chrétien, mis au fond sur le même plan que le rituel juif en tant que rituel: s'il diffère, c'est par sa signification supérieure au rite, mais cette signification est dès lors aussi bien celle du rituel juif, par laquelle celui-ci différerait donc de lui-même comme le corps de l'ombre et l'idée du corps. L'insistance du texte sur l'"une fois pour toutes" de l'accès "aujourd'hui" à l'éternité ne peut que faire d'un rituel répétitif, fût-il "chrétien", une "ombre" (presque) comme les précédentes. Témoin, entre autres choses, la façon dont sont traités les "baptêmes" ou "ablutions" (baptismoi, non le terme habituel du NT mais celui de Marc 7,4.8, autre texte judéo-hellénistique et anti-rituel, à l'instar du discours d'Etienne en Actes 7), indifféremment juifs et chrétiens, en Hébreux 6,2 et 9,10. Pour rappel, la majeure partie du chapitre 13 relève par ailleurs d'une rédaction simili-paulinienne, hétérogène au corps du livre, ce qui rend douteux tout rapprochement entre ses préceptes ecclésiastiques ou éthiques et la doctrine principale.
A mon sens, du reste, le livre est à peine plus "éthique" que "rituel", il l'est beaucoup moins en tout cas que les traités de Philon qui ont pourtant une "infrastructure philosophique" similaire. Toute l'argumentation de Philon pourrait se résumer à ceci que la "vraie religion" (juive) s'accomplit dans l'ascèse philosophique, sans préjudice de son aspect rituel (que contrairement à d'autres "hellénistes" il ne songe pas à abolir), ascèse qui unit développement "intellectuel" et "moral" dans la poursuite de "vertus logiques" ou "rationnelles" (soit une synthèse de médio-platonisme et de stoïcisme): or cet aspect-là de la pensée philonienne, qui lui est essentiel, est beaucoup moins sensible dans l'épître aux Hébreux, où tout le contenu "éthique", si l'on veut l'appeler ainsi, se concentre sur l'idée de la mort libératrice (2,14s), qui est beaucoup plus destructrice que constructrice d'une "morale" (même si l'auteur ne vise pas la destruction de la morale; en quoi d'ailleurs les préceptes du chapitre 13 ont pu sembler une compensation nécessaire). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Dim 07 Mar 2021, 13:15 | |
| La lecture de la transcription d'un séminaire de Jacques Derrida ( Le parjure et le pardon, deuxième séquence 1998-1999, Seuil 2020) me ramène à une partie de ce fil ( supra 24.3.2020), où nous avions déjà rapproché Hébreux 6,13ss et 9,15ss, le "serment" et le "testament" de Dieu qui ne garantissent ce qu'ils garantissent qu'à partir d'une certaine "mort de Dieu", gage paradoxal d'éternité et d'immutabilité qui est aussi une impossibilité ( a-dunatos, qui signifie également au sens actif, si l'on peut dire, impuissant, impotent ou incapable, 6,18, cf. v. 4; 10,4; 11,6; et ailleurs Marc 10,27//; Actes 14,8; Romains 8,3; 15,1; a-dunateô, Matthieu 17,20; Luc 1,37): en l'espèce impossibilité de mentir, de changer d'avis, de se rétracter ou de se parjurer, toutes choses qui sont aussi, dans une certaine logique et dans de nombreux textes "bibliques", des "possibilités" inaliénables d'un Dieu "vivant", "libre" ou a fortiori "tout-puissant". Malheureusement Derrida connaissait assez mal la Bible et se réfère très peu à l'épître aux Hébreux (qu'il appelle classiquement épître "de Paul", c'est tout dire), mais il retrouve tout cela à partir de la conclusion de La Cité de Dieu ( De civitate dei) de saint Augustin (xxii, 28ss, dont on peut lire une vieille traduction ici; le texte latin est là). Augustin, naturellement, connaît bien l'épître aux Hébreux et s'il ne la cite guère (peut-être à cause du "montanisme" de Tertullien), elle l'inspire constamment (il n'est que de voir les thèmes du chapitre: sabbat, repos, etc.), il en est encore plus proche qu'il ne le croit du fait de son propre (néo-)"platonisme". En tout cas on assiste dans ce texte à une sorte d'équivalence générale entre des termes hautement contradictoires, selon des lignes de contradiction multiples: "vie" et "mort" en "Dieu" et dans l'"éternité", "fin sans fin", "liberté" plus grande dans l'"impossible" que dans le "possible" (ne pas "pouvoir" mentir, pécher, mourir, c'est être plus "libre" que de le "pouvoir"), et ainsi de suite. C'est une série de "commentaires" indirects, mais extrêmement éclairants aussi sur l'épître aux Hébreux qui les génère, quand même celle-ci est occultée ou perdue de vue par les commentateurs (saint Augustin ou Derrida en l'occurrence). Je cite presque au hasard un passage du séminaire (p. 195s): - J. Derrida a écrit:
- Ce qui nous a menés là, c'est l'inquiétude de cette pensée de l'impossible, notamment chez saint Augustin, et le devenir-possible de l'impossible en tant que tel, c'est-à-dire le devenir-possible de l'impossible demeuré impossible. Partout où nous nommons l'impossible comme la chose même, l'impossible du don, du pardon, de l'hospitalité, de la foi absolue, de l'anéconomie, la possibilité de cette expérience de l'impossible inconditionnel nous tourne bien vers ce que nous appelons Dieu, mais ce Dieu est aussi le nom de la mort. A la fois parce que l'inconditionnel lève toutes les conditions, jusqu'à l'économie de la vie, l'économie de soi comme l'économie du propre en général, et parce que ce Dieu qui fait et donne et est l'impossible, c'est le Dieu qui meurt, qui se donne la mort, qui donne la mort à ce qu'il aime le plus au monde, son fils. En faisant l'impossible, comme Abraham s'apprêtait à le faire, et pour faire l'impossible, la rédemption par la grâce surabondante, Dieu donne et fait la mort, le mort (l'homme-Dieu mort) et comme cette mort est un miracle, la condition du miracle de la résurrection, la feinte, la ruse sacrificielle, se réintroduit et Dieu fait le mort en faisant la mort.
Dieu est, faisant le mort, le temps mort entre la promesse infinie et son accomplissement dans l'acte même de la promesse. Et comme la mort est ce repos, et que, nous disait saint Augustin, ce septième jour nous le sommes, eh bien, nous sommes ou nous participons à cette divinité qui consiste à faire le mort. Et ce n'est pas nécessairement blasphémer, jurer ou parjurer que de dire que Dieu fait la mort et fait le mort. Il est l'impossible résurrection ou la résurrection comme l'impossible, le pardon comme l'impossible, etc., mais l'impossible possible... Au-delà de l'épître aux Hébreux, de saint Augustin et de Derrida, je trouve cette (impossible) notion d'"impossible" tout à fait cruciale, infiniment fragile (qu'est-ce que l'"impossible" sinon la négation du "possible", de la "puissance" et du "pouvoir", du "virtuel", lesquels forment déjà comme un nuage d'ir-réalité et de quasi-négation autour du prétendu "réel": ce qui n'est pas mais peut, pourrait ou aurait pu être, ce qui peut toujours arriver même si ça n'arrive jamais, etc.) et cependant incontournable, parce que c'est elle et rien d'autre que vise, avec ou sans le savoir, ce qu'on appelle la "foi", la "volonté", le "désir" ou encore le "devoir". A chaque fois que j'ai dû répondre sérieusement à la question de ce que je voulais, c'est le mot fort peu sérieux d'"impossible" qui m'est venu à l'esprit, et souvent aux lèvres. On retrouverait là aussi Tertullien et toute la tradition du quia absurdum -- Tertullien dit en fait quia ineptum et quia impossibile ( Liber de carne christi, v, 5)... on pourrait en faire un autre fil, "croire, vouloir, devoir, savoir -- l'impossible", et il serait interminable, quand même on n'y avancerait pas d'un pouce. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 08 Mar 2021, 13:03 | |
| Merci Narkissos pour cette très belle (et complexe) analyse. En te lisant, j'ai intuitivement pensé à la formule "je suis qui je suis" qui implique que Dieu ne peut pas être autre chose que ce qu'il est, un Dieu prisonnier de son "être" , de son "essence" et de ses engagements, donc un Dieu faible qui est limité par ses propres règles et principes. il ne peut pas faire ce qu'il veut, "en l'espèce impossibilité de mentir, de changer d'avis, de se rétracter ou de se parjurer". L'immuabilité de Dieu peut se révéler être un handicap.
Un extrait :
L’idée fondamentale est que l’impasse est due à une approche concurrentielle des rapports entre grâce et liberté. La transcendance de Dieu n’ayant pas été suffisamment prise en compte, son action a été pensée sur le modèle de l’action des causes secondes, et l’ambition spéculative n’a pas respecté le caractère irréductiblement mystérieux de l’action de Dieu. L’acte libre salutaire doit être pensé comme étant tout entier de l’homme et tout entier de Dieu. Comme l’avait si bien formulé saint Bernard : « Ce n’est pas en partie la grâce, en partie le libre arbitre, mais ils font l’œuvre tout entière par une seule opération indivise : lui, certes, la fait tout entière, et elle la fait tout entière, mais comme elle la fait tout entière en lui, il la fait tout entière par elle». Cette conjonction est un mystère, et elle doit être respectée comme telle : « La compossibilité de l’être divin et du nôtre, écrit Sertillanges, alors que d’une certaine façon Dieu est tout, est un mystère. C’est le même mystère qui se retrouve quand il s’agit de la compossibilité de l’action libre – ou contingente – avec l’action créatrice appelée cette fois motion. On ne prétend pas comprendre et on ne demande à personne de comprendre ». https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2014-1-page-107.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 08 Mar 2021, 14:06 | |
| Voir absolument ceci...
A mon sens la formule d'Exode 3 est parfaitement ambiguë, autant et parce que tautologique: "être ce que / qui l'on est", cela peut s'entendre de façon limitative et fataliste, au plan de l'identité et de l'ipséité, de la nature ou de l'essence -- on n'est que ce que l'on est et qui on est, on ne sera jamais que ça et jamais autre chose ni quelqu'un d'autre, cela vaudrait pour "Dieu" comme pour n'importe qui; mais on peut aussi bien de façon "ouverte" et "libre" (surtout à l'"inaccompli" de l'hébreu qui n'est pas exactement un futur): on sera qui / ce qu'on sera, quoi qu'on soit ou devienne (c'est pour ça que l'introduction du "devenir" dans les dernières révisions de la NWT/TMN me paraît fascinante, et probablement pas mesurée par les réviseurs) -- et dans ce cas la "réponse" divine est aussi bien un refus de réponse, Dieu ne se laissera jamais enfermer par quoi que ce soit, à moins qu'il s'y enferme lui-même, librement, et dans ce cas la "mort de Dieu" est déjà inscrite dans la moindre "parole de Dieu", y compris celle-là, mais cette "mort" est sa "vie" même; promesse, serment, alliance ou testament ne sont à cet égard que des redondances. C'est l'aporie ou le mystère, fondamental(e) et abyssal(e), sur quoi on retombera toujours quel que soit le mot, le concept ou l'opposition logique par lesquels on y entre -- liberté-détermination, possibilité-impossibilité, grâce-nature, être-devenir, temps-éternité, tous ces vrais-faux problèmes logiques reconduisent à la même impasse, à la paralysie de la pensée qui est la pensée même, le commencement sans commencement et la fin sans fin de la pensée... (je me rappelle soudain que ma toute première dissertation de théologie systématique à Vaux-sur-Seine, un peu plus d'un an après ma sortie des TdJ, disait à peu près la même chose, et qu'elle avait mis le professeur-correcteur "évangélique" dans un grand embarras).
Nous nous écartons de l'épître aux Hébreux, c'est ma faute, mais en même temps nous ne nous écartons de rien puisque c'est bien là que la pensée de ce texte, comme de tous les autres si "original" soit-il, nous reconduit immanquablement.
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| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 08 Mar 2021, 15:37 | |
| " Et encore : C'est toi, Seigneur, qui as fondé la terre au commencement, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains ; Ils disparaîtront, mais toi, tu demeures ; ils s'useront tous comme un vêtement ; Tu les rouleras comme un habit, et ils seront changés comme un vêtement, mais toi, tu es le même, et tes années ne finiront pas" (Hé 1,10-12). L'épitre aux Hébreux insiste sur l'immuabilité de Dieu, le Dieu qui demeure et reste le même. Même constat pour Jésus Christ : "Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et pour toujours" (13, . |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 08 Mar 2021, 16:13 | |
| Sous réserve de tout ce qui différencie le chapitre 13 du corps du traité (cf. encore ci-dessus 22.1.2021), en effet...
Au regard de la notion d'"éternité" proprement idéale ou idéelle (penser l'éternelle vérité des "idées" à partir de leurs modèles mathématiques, nombres, axiomes arithmétiques ou géométriques, qui sont toujours "vrais" sans "exister", sans "arriver", sans "devenir", sans "naître" ni "mourir"), intemporelle, anhistorique, non-événementielle, que l'épître aux Hébreux a héritée du platonisme, que l'"auteur" en ait ou non, plus ou moins conscience, il est évident que "Dieu" selon sa figure traditionnelle héritée des dieux, Dieu personne et personnage, acteur et locuteur, sujet d'action et de passion, de volonté et de décision, de pensée et de sentiment, Dieu vivant en un mot, ne peut être lui-même que figure, du même caractère figural (eidos -> idea, la forme visible du "sensible" à l'"intelligible") que les types ou paradigmes célestes et leurs antitypes, hypodigmes ou ombres terrestres et provisoires, malgré sa préséance et sa prééminence sur tous les autres; et qu'un tel "Dieu" ne peut que faire le mort au plan du temps, de l'histoire, de l'événement ou du phénomène pour révéler en lui-même l'"éternel". D'où le privilège paradoxal de tout ce qui dans le récit représente sa "mort" -- promesse-serment, alliance-testament, la mort du Fils-Christ comme figure indépassable de son propre "dépassement" ou de sa propre "relève", pour parler comme Hegel (Aufhebung), qui est d'un autre "idéalisme" mais "idéaliste" quand même, et dont toute la "phénoménologie de l'esprit" est aussi bien une théologie, chrétienne et christologique, avec sa "mort de Dieu" ou son "Vendredi-Saint spéculatif". |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 15 Sep 2022, 10:43 | |
| 5 – Nous irons jusque là-haut
Enfin, les commentaires se sont attachés aussi aux mots « Nous irons jusque là-haut » (nelkha ‘ad ko). « Rabbi Yehoshua ben Lévi dit : allons voir quelle sera l’issue de ce ko ».
Ce commentaire appelle évidemment une explication. En Genèse 15,5, Dieu avait dit à Abraham : « Telle (ko) sera ta postérité ». Ce mot de ko est employé dans ce passage pour qualifier la postérité d’Abraham, postérité qui n’existe pas encore lorsque cette parole est prononcée. On retrouve le même mot dans le récit de la ligature d’Isaac pour désigner le but ultime du voyage d’Abraham et d’Isaac sur le Moria : « Nous irons jusque là-haut (‘ad ko) ». Selon le commentaire de Rabbi Yehoshua ben Lévi, Abraham veut aller jusqu’au bout du voyage pour voir ce qu’il en sera de cette postérité, et donc de la promesse qui lui a été faite. Sa démarche n’est pas seulement commandée par l’obéissance à l’ordre divin ; il veut savoir comment Dieu tiendra sa promesse : « C’est par Isaac qu’une postérité portera ton nom » (Gn 21,12). Il est décidé à offrir son fils — et les commentaires soulignent à ce sujet sa disponibilité et son empressement à faire la volonté divine — mais il n’a aucun doute sur la fidélité de Dieu à sa parole.
II – Données du Nouveau Testament
1 – L’Épître aux Hébreux
Deux passages du Nouveau Testament présentent des affinités manifestes avec ces traditions. Le premier se trouve dans l’Épître aux Hébreux :
Par la foi, Abraham, mis à l’épreuve, a offert Isaac ; il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et qu’on lui avait dit : C’est par Isaac qu’une descendance te sera assurée. Même un mort, se disait-il, Dieu est capable de le ressusciter ; aussi, dans une sorte de préfiguration, il retrouva son fils. (He 11,17-19)
Comme dans le midrash qui vient d’être cité, la foi d’Abraham consiste précisément en ceci qu’il ne doute pas que Dieu lui accorde une postérité issue de son fils Isaac qu’il s’apprête pourtant à sacrifier. Dans l’un et l’autre cas, c’est là la pointe de l’argument.
La variété des traductions des trois mots grecs rendus ici par « dans une sorte de préfiguration » trahit la difficulté que présente leur interprétation. Sans s’aventurer dans le domaine de l’exégèse du Nouveau Testament, on se permettra au moins une question : n’y a-t-il pas dans ce passage de l’Épître aux Hébreux une disproportion entre l’objet de la foi d’Abraham, qui ne doute pas que Dieu soit capable de rendre la vie à un mort, et l’issue de l’épisode, par laquelle Isaac va échapper de justesse à l’immolation, ce qui n’est pas à proprement parler une résurrection ? Le commentaire de la Traduction Œcuménique de la Bible parle à ce sujet de « l’espèce de résurrection dont Isaac fut l’objet en échappant à la mort ». On peut évidemment comprendre qu’Abraham ne doutait pas que Dieu fût capable de ressusciter son fils, s’il l’avait effectivement immolé, et qu’en conséquence de sa foi, il a été dispensé de le sacrifier. La comparaison avec les textes de la tradition juive que nous venons de lire suggère pourtant d’aller plus loin. Même si la question de la chronologie des sources juives et de leur rapport avec le Nouveau Testament pose un problème qu’il est souvent impossible de résoudre avec certitude, on ne franchit pas les limites imposées par la prudence en soulignant la similitude entre ce qui est dit ici de la foi d’Abraham qui ne doute pas que Dieu soit capable de rendre la vie à un mort et l’assurance dont fait preuve ce même Abraham selon les sources juives lorsqu’il affirme aux serviteurs : « Nous reviendrons ». Si ces traditions sont anciennes, on peut proposer comme une hypothèse légitime que l’auteur de l’Épître aux Hébreux les connaissait sous une forme ou sous une autre et que la récompense de la foi d’Abraham, selon lui, a été plus que cette « espèce de résurrection » qu’aurait constitué un contrordre de dernière minute.
Quelle que soit la valeur de cette hypothèse, on peut au moins affirmer comme un fait objectif que l’auteur de l’Épître est en accord avec la tradition juive lorsqu’il rattache à l’épisode de la ligature d’Isaac l’affirmation de la foi en la résurrection des morts.
https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2010-4-page-529.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 15 Sep 2022, 12:30 | |
| Article intéressant -- il ne faudrait d'ailleurs pas s'arrêter à ce seul extrait, car les attestations rabbiniques d'une lecture "maximaliste" (mort et résurrection, et non seulement substitution) du récit de Genèse 22 sont nombreuses, sans préjudice de leur date et de leur provenance (sans doute principalement pharisienne, bien que la croyance à la résurrection se soit répandue, depuis l'époque perse, au-delà du seul pharisaïsme; et qu'une telle lecture ait certainement posé des problèmes tout aussi redoutables, du côté du "sacrifice humain", aux pharisiens qu'à d'autres).
En ce qui concerne Hébreux 11, à la lettre le v. 17 serait tout aussi clair: "Abraham offrit Isaac, celui qui avait reçu les promesses offrait le fils unique" (pros-pherô deux fois, à l'aoriste puis à l'imparfait; sur ce verbe qui n'est pas toujours littéralement "sacrificiel", mais qui l'est souvent dans cette épître, comparer 5,1.3.7; 8,3s; 9,7.9.14.25.28; 10,1s.8.11s; 11,4; 12,7). Quant à l'expression sur laquelle Remaud fait mine d'hésiter au v. 19, elle est formellement assez simple, mais ambiguë: "et il (Abraham ou Dieu ?) le reçut (komizô, de même 10,36 et 11,39) en parabole (aussi 9,9)". Mais là encore, c'est la perspective générale de l'épître (proche du médio-platonisme) qui fait la différence, dans la mesure où ce qui est visé ou signifié par la parabole (l'antitype, l'hypodigme, l'ombre), c'est toujours le même modèle idéal (type, paradigme, etc.), l'éternel. Cela modifie considérablement la notion même de "résurrection" qui ne peut plus, au moins du côté "idéal", se limiter à un "événement" temporel (avant/après): cf. l'usage discriminant d'anastasis, "résurrection-relèvement", v. 35 (une résurrection contre une meilleure résurrection) et 6,2 (résurrection des morts comme "doctrine élémentaire" à dépasser); 11,19 est dans l'épître le seul emploi d'egeirô ([s']éveiller, [se] réveiller, [se] lever, [se] relever) qui est ailleurs le verbe le plus courant. |
| | | free
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mar 20 Sep 2022, 09:46 | |
| "Sa voix ébranla alors la terre, et maintenant il a fait cette promesse : Une fois encore, je ferai moi-même trembler non seulement la terre, mais aussi le ciel. Ce « une fois encore » montre bien que doit être mis à l'écart ce qui, ayant été fait, peut être ébranlé, pour que demeure ce qui ne peut être ébranlé" (12,26-27 - NBS).
"Lui, dont la voix ébranla alors la terre, fait maintenant cette proclamation : Une dernière fois je ferai trembler non seulement la terre mais aussi le ciel. Les mots une dernière fois annoncent la disparition de tout ce qui participe à l’instabilité du monde créé, afin que subsiste ce qui est inébranlable" (TOB).
"À cette époque, sa voix a ébranlé la terre, mais maintenant, il a promis : « Une fois de plus, je vais ébranler non seulement la terre, mais aussi le ciel. »Or, l’expression « une fois de plus » indique la suppression des choses qui sont ébranlées, choses qui ont été faites, afin que les choses qui ne sont pas ébranlées continuent d’exister" (TMN).
La note de la NBS : Notes : Hébreux 12:27 que doit être mis à l’écart : litt. la mise à l’écart (ou le changement, le transport, le déplacement) ; même terme en 7.12 ; 11.5n.
La BdJ emploie la formule suivante : "les choses ébranlées seront changées". |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mar 20 Sep 2022, 10:40 | |
| C'est le mot metathesis (métathèse), à la fois très courant et concret (construit comme trans-position, trans-port, trans-fert, trans-lation, d'après le latin trans- équivalent au grec meta-), et très abstrait et "philosophique" -- qu'on se rappelle tous les débats de la philosophie grecque naissante sur le mouvement et le changement, de Parménide et Zénon d'Elée à Platon et Aristote. Pour le "médio-platonisme" de l'épître aux Hébreux c'est un concept absolument central, qui fait la différence entre le monde du temps, de l'histoire, des "ombres" transitoires (antitypes, hypodigmes, etc.) et l'éternité idéale, immobile, immuable, inchangeable, des types et paradigmes. Il n'est que de voir ses autres occurrences et celles du verbe correspondant (meta-tithèmi) dans l'épître (ou le traité; et nulle part ailleurs dans le NT, en ce qui concerne le substantif metathesis qui fait précisément "concept"): - la prêtrise étant changée (metatithèmi; d'Aaron à Melchisédek, ou l'inverse, et/ou à Jésus-Christ), il y a nécessairement (ex'anagkès) changement (metathesis) de loi (nomos) -- 7,12 - par la foi Hénoch a été changé (déplacé, transporté, transféré metatithemi) pour ne pas voir la mort, et on ne le trouva plus parce que le dieu l'avait changé (idem); car avant son changement (etc., metathesis) il lui avait été attesté qu'il plaisait au dieu -- 11,5.
En 12,26ss l'auteur ramène le vocabulaire spécifique de l'"ébranlement" (saleuô et a-saleuton pour "inébranlable", v. 28) associé aux réminiscences de l'Exode (tremblement de la montagne et de Moïse, v. 21, d'après Deutéronome 9,19 peut-être mâtiné de 1 Maccabées 13,2, pour entromos) et à la citation d'Aggée 2,6 (v. 26, seiô secouer, faire trembler, d'où "séisme"), à la notion générique de mouvement ou de changement (metathesis). Le v. 27 clarifie encore l'implication "métaphysique" de la chose: ce qui "change" c'est tout ce qui a été "fait" (poieô, participe parfait passif), autrement dit tout le "créé", ipso facto mobile et transitoire (cf. 1,10ss avec une autre image, celle de l'usure du vêtement, et un autre vocabulaire pour le changement, allassô, s'altérer, devenir autre; mais qui s'étend aussi, d'après le psaume 102[101LXX] cette fois, à la totalité des cieux et de la terre); noter aussi l'association au "toucher", v. 18ss: le "créé-fabriqué", le "tangible", c'est aussi le mobile et le mu(t)able, le provisoire, le transitoire, non l'éternel.
Petite réflexion marginale: je serais tenté de dire que la philosophie antique (d'Anaximandre à Plotin, au moins) a été aussi sensible aux apories du "temps" qu'elle l'a peu été à celles de l'"espace" -- d'où sa propension à échapper à celles-là en se vautrant dans celles-ci, et en cultivant l'idée (c'est le cas de le dire) d'une "éternité" comme quasi-espace immobile, non affecté par le "temps", mais où il y aurait quand même de la place pour des "choses" comme rangées les unes à côté des autres ou articulées les unes aux autres, organisées ou construites, "idées" intelligibles à l'image des "formes" sensibles (idea > eidos, toujours la métonymie du visuel, donc du spatial). La modernité, au contraire, s'est trouvée de plus en plus consciemment dans l'impossibilité de penser un "espace" sans "temps" et un "temps" sans "espace", et dans la nécessité (qui est peut-être aussi une impossibilité) de penser le tout ensemble, inséparablement espace-et-temps, comme "phénomène" -- que ce soit sous l'angle de la physique avec Einstein ou de la philosophie avec Bergson, Husserl ou Heidegger. |
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| | | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 22 Sep 2022, 10:59 | |
| Puisque le document, traité en image et non en texte, ne peut faire l'objet de recherche automatique (du moins je n'ai pas trouvé comment), je signale que l'extrait ci-dessus correspond à la note 11 de la p. 54, dans l'article de l'excellent Hugues Cousin. Par ailleurs il y a certainement beaucoup d'autres choses utiles dans ce numéro presque entièrement consacré à l'épître aux Hébreux, même s'il commence à dater (1994). Sur le sens de 1,6, on pourra se reporter à ce fil et à ses liens (à partir du 16.1.2012): pour rappel, l'histoire sous-jacente (bien connue de l'islam, bien que d'origine juive) ce serait l'ordre donné aux anges de se prosterner devant Adam; c'est donc en tant qu'homme originel, image de Dieu (cf. 1,1ss), que le Premier-né ( prôtotokos; Philon appelle prôtogonos, dans un sens équivalent, l'Adam originel et le logos) entrerait dans le monde (ici oikoumenè, littéralement "[terre] habitée"). Cela permettrait de mieux comprendre l'enchaînement des citations, et en particulier celle du Psaume 8 en 2,5ss: certes, cette fois-ci l' oikoumenè est dite mellousa, "à venir", mais il s'agit justement de faire ressortir le contraste de "l'homme / fils de l'homme" originellement supérieur aux anges, provisoirement abaissé "un peu" au-dessous des anges, et déjà élevé en "Jésus". L'"à-venir", comme dans toute l'épître (cf. les autres usages de mellô qui fonctionne un peu comme notre verbe "aller" dans notre "futur proche", "je vais faire ceci ou cela, 1,14; 6,5; 8,5; 9,11; 10,1.27; 11,8.20; 13,14), se confond avec l'"éternel", ce n'est pas seulement "plus loin dans le temps" mais un "ailleurs" où le temps (spatialisé) ne peut que retomber, se résorber ou se résoudre, dont il n'est en fait jamais vraiment sorti parce que l'éternel le surplombe ou le sous-tend, "tout le temps". Pour essayer d'expliquer, au risque de la forcer, une nuance un peu subtile: du point de vue (médio-platonicien, allégorique, alexandrin) de l'épître aux Hébreux, le rapport (implicite) de "Jésus" à "Adam" dans les deux premiers chapitres serait au fond le même que celui, explicite et massif, de "Jésus" à "Melchisédek" dans la suite, et plus marginalement et allusivement à beaucoup d'autres personnages "bibliques" (Moïse, Josué, David, Abel, Hénoch, Noé, Abraham, etc.): c'est le même à différents niveaux et à différents points du récit et du texte, qu'il s'agit précisément de reconnaître en dépit d'écarts variables. En revanche, la dogmatique chrétienne ultérieure, en imposant l'idée d'un "Fils de Dieu" préexistant sans aucun rapport substantiel avec "Adam" ni avec d'autres figures du récit biblique, passe totalement à côté de cette "logique", qui nous paraît du coup farfelue, alors qu'elle devient assez claire (je trouve) dès qu'on commence à l'entrevoir.
Dernière édition par Narkissos le Jeu 22 Sep 2022, 11:42, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 22 Sep 2022, 11:29 | |
| - Citation :
- La question de "l'âge-monde à venir" est plus complexe: comme on l'a vu c'est une formule commune à l'eschatologie juive (notamment pharisienne) et chrétienne (tout au moins dans les courants chrétiens portés sur l'eschatologie, cf. p. ex. Matthieu 12,32), qui s'entend a priori dans un sens temporel (futur, que l'on considère qu'il n'est pas encore là ou qu'il a déjà commencé). Mais son usage par l'épître aux Hébreux est beaucoup plus problématique, dans la mesure où celle-ci témoigne d'une tout autre notion de l'éternité: non pas seulement future mais antérieure à tout "âge-monde" et pour ainsi dire tangente à tout point du temps (Melchisédeq, Jésus, l'"aujourd'hui" qui est à la fois celui où l'on entend la parole de Dieu et celui de l'engendrement du Fils), ce qui dépasse (infiniment, c'est le cas de le dire) la perspective d'une eschatologie futuriste ordinaire.
https://etrechretien.1fr1.net/t45p100-la-lettre-aux-hebreux-son-contenu-et-son-auteur-eventuel " En effet, nous qui sommes venus à la foi, nous entrons dans le repos dont il a dit : J'ai donc juré dans ma colère : En aucun cas ils n'entreront dans mon repos ! Ses œuvres étaient cependant faites depuis la fondation du monde ; en effet, il a dit quelque part, à propos du septième jour : Et Dieu se reposa de toutes ses œuvres le septième jour" (Hé 4,3-4). L'épitre aux Hébreux utilise la formule " depuis la fondation du monde" (9,26) qui m'intrigue, j'ai trouvé ce qui suit (déjà cité il me semble) : 3. Genèse 2 : le repos dès la fondation du mondea) Repos et typologie En 4.1-2, l’auteur explicite le parallèle entre la génération du désert et celle des croyants d’aujourd’hui : la première est, de toute évidence, le type de la seconde qui fonctionne comme antitype. Les croyants sont exhortés à ne pas imiter l’incrédulité de leurs pères mais à entrer dans leur « pays promis » par la foi. Le développement aurait pu s’arrêter là si l’auteur n’avait une autre idée en vue : celle de donner une nouvelle dimension aux promesses de Dieu à son peuple. C’est précisément la raison pour laquelle il s’attache, dans les v. 3-5, à relier le repos de Dieu au repos originel du septième jour de la création. En partant de ce cadre originel, il redéfinit le repos promis à la génération de l’Exode – c’est-à-dire le pays de Canaan – comme un antitype du type originel : le repos divin de Genèse 2.220. Mais la vision de l’auteur n’est pas simplement linéaire (repos de Dieu repos de Canaan repos des croyants), car le repos promis aux croyants est bien plus qu’une copie améliorée du repos de Canaan. En puisant directement à la source de Genèse 2.2, l’auteur montre que le repos que Dieu tient en réserve pour son peuple est présent dès l’origine, et que toutes les formes de repos proposées jusque-là n’étaient que des ombres du repos originel auquel les croyants ont enfin pleinement accès. À la dimension horizontale et temporelle de la typologie paulinienne, l’auteur de l’épître ajoute une dimension verticale, transcendant le temps et où se rejoignent, par la foi, l’histoire du peuple de Dieu et l’éternité de son Créateur. http://flte.fr/wp-content/uploads/2015/09/ThEv_2011-2-Repos_roi_ep_Hebreux_lumiere_royaume.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 22 Sep 2022, 12:06 | |
| N.B.: j'ai ajouté un dernier paragraphe à mon post précédent (tentative d'explication dont je serais curieux de savoir si elle est utile ou non). L'article de Richir a effectivement été aperçu ici (25.2.2020). L'auteur me semble surtout n'avoir rien compris à l'originalité de la "typologie" de l'épître aux Hébreux qu'il continue de rapporter à une typologie ordinaire (dans la veine paulinienne-antiochienne puis protestante-adventiste, p. ex.; soit type avant, antitype après dans un même temps linéaire) alors que c'est tout autre chose, qui relève davantage d'une logique allégorique (conformément au médio-platonisme d'Alexandrie): le "type" ou "paradigme" (modèle idéal) n'est pas AVANT mais AU-DESSUS, il surplombe les "antitypes" et "hypodigmes", copies, ombres etc., qui eux sont "dans le temps" (et peu importe dès lors qu'ils y soient "avant" ou "après", ils ne "se répètent" pas, ne s'"annoncent" pas, ne s'"accomplissent" pas simplement les uns les autres sans répliquer à chaque fois le même modèle qui est en quelque sorte hors-temps -- avec toute la spatialisation du temps que ça implique, je n'y reviens pas). La "fondation (ou jeter, lancer) du monde", katabolè kosmou, est en 4,3 et 9,26 (outre katabolè avec un autre complément en 11,11), mais c'est visiblement une formule très populaire dans beaucoup de milieux chrétiens (au moins; Platon parle déjà de katabolè tôn anthrôpôn, fondation ou jeter des hommes, mais ce n'est pas tout à fait la même chose): Matthieu 13,35; 25,34; Luc 11,50; Jean 17,24; Ephésiens 1,4; 1 Pierre 1,20; Apocalypse 13,8; 17,8. Reste que comme toutes les formules spatio-temporelles, si courantes soient-elles, elle est affectée par la perspective très particulière de l'épître aux Hébreux sur le temps: la référence du chapitre 4 renvoie au premier récit de la Genèse (fin de la semaine de création), associé à l'histoire du désert et au Psaume 95 pour montrer que le "repos" de Dieu, éternel, est en quelque sorte coextensif à tout temps, coïncidant aussi bien "dans" le temps avec l'"aujourd'hui" de l'écoute de la parole, qu'"en dehors", avec celui de la génération éternelle du Fils ("je t'ai engendré aujourd'hui"). Et au chapitre 9 (sur quoi voir aussi supra 27.3.2020) le "sacrifice" du Christ (sacrifice de "volonté" plutôt que de chair ou de sang comme le rappelait Attridge) ne se répète pas dans le temps, parce que du point de vue de l'éternité il coïncide aussi bien avec son "commencement" qu'avec sa "fin", "une fois pour toutes". |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 22 Sep 2022, 13:21 | |
| - Citation :
- Sur le sens de 1,6, on pourra se reporter à ce fil et à ses liens (à partir du 16.1.2012): pour rappel, l'histoire sous-jacente (bien connue de l'islam, bien que d'origine juive) ce serait l'ordre donné aux anges de se prosterner devant Adam
En regardant cette vidéo (https://www.youtube.com/watch?v=gYDtMQnKTHU&t=4279s ), j'ai découvert ceci, concernant Adam dans le Coran, ce qui m'a fait penser à Hé 1,3ss ("Que tous les anges de Dieu se prosternent devant lui !") :
Le Jésus du Coran, par contre, n’a pas de père à repousser. Il se distingue de Moïse et Noé – et de tous les autres protagonistes du Coran sauf Adam – par sa naissance miraculeuse sans père. Pour Adam et Jésus, l’Esprit de Dieu prend la place du père. Notamment en deux occasions l’annonce de la création d’Adam est suivie par un ordre divin aux anges de se prosterner devant lui : « Quand ton Seigneur dit aux Anges : “Je vais créer d’argile un être humain”. Quand Je l’aurai bien formé et lui aurai insufflé de Mon Esprit, jetez-vous devant lui, prosternés » (38,71-72 ; cf. 15 :,28-29 ; Gn 2,7). On soupçonne que la logique de cet ordre – qui pourrait sembler un blasphème (comment se prosterner devant quelque chose outre Dieu ?) – est liée à la présence de l’esprit divin en Adam. C’est cette présence en lui qui justifie l’adoration angélique. Ce parallèle entre Adam et Jésus dans le Coran – évoqué d’une façon explicite en 3,59 – développe, ou bien réinterprète, le parallèle entre les deux mêmes figures dans la tradition chrétienne. Pour les chrétiens, l’histoire de la prosternation angélique devant Adam (une histoire qui se trouve dans les textes comme La vie d’Adam et ève et La caverne de trésors5) a un sens christologique. L’adoration d’Adam par les anges – avant son péché et sa chute – anticipe l’adoration de Jésus par les anges. On trouve ce parallèle dans le Nouveau Testament, dans la belle hymne de saint Paul, qui fait un contraste implicite entre Adam et Jésus et fait référence à l’adoration angélique de Jésus (Phil 2,6-11). https://journals.openedition.org/asr/1455https://etrechretien.1fr1.net/t45p50-la-lettre-aux-hebreux-son-contenu-et-son-auteur-eventuel - Citation :
- Pour essayer d'expliquer, au risque de la forcer, une nuance un peu subtile: du point de vue (médio-platonicien, allégorique, alexandrin) de l'épître aux Hébreux, le rapport (implicite) de "Jésus" à "Adam" dans les deux premiers chapitres serait au fond le même que celui, explicite et massif, de "Jésus" à "Melchisédek" dans la suite, et plus marginalement et allusivement à beaucoup d'autres personnages "bibliques" (Moïse, Josué, David, Abel, Hénoch, Noé, Abraham, etc.): c'est le même à différents niveaux et à différents points du récit et du texte, qu'il s'agit précisément de reconnaître en dépit d'écarts variables.
Est-ce la même réalité qui s'est exprimé sous des figures différentes Le sacerdoce du Fils qui est qualifié d’éternel, d’immuable et d’intransmissible (He 6,20; 7,24) était déjà l'œuvre dans le sacerdoce de Melchisédek qui était lui-même une manifestation du Fils ???
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 22 Sep 2022, 13:53 | |
| Merci du rappel, j'avais complètement oublié cette reprise très intéressante -- notamment grâce à la conférence de G. Dye -- dans ce fil même, supra 16.3.2020. - free a écrit:
- Est-ce la même réalité qui s'est exprimé sous des figures différentes Shocked
Je comprends bien que ça paraisse complètement absurde dans une idée moderne et linéaire du temps, si l'on ne joue pas le jeu d'une "éternité hors-temps" qui est la condition même de ce genre de "logique", mais qui pour nous ne peut plus être qu'un jeu intellectuel (ou mystique, ou virtuel, etc.). Si rien ne "surplombe", ne "sous-tend" ou ne "transcende" ce qu'on appelle "le temps", alors on ne peut plus établir que des correspondances linéaires, formelles et arbitraires, d'un "temps" à l'"autre" dans le même "temps", en rapportant un événement A à un événement A' (A "annonce" ou "préfigure" A', A' "accomplit" ou "réalise" A, mais entre A et A' il n'y a aucune identité essentielle, il n'y en aurait qu'en postulant "hors du temps" un A° qui ne ferait que se répliquer en A et A', qui ne serait en somme l'un et l'autre qu'à condition de ne pas être seulement l'un ni seulement l'autre: nous avons connu l'une des versions les plus saugrenues du genre de "typologie-à-plat" chez les TdJ: si Elie et Elisée annoncent Jean-Baptiste et Jésus, ceux-ci peuvent bien annoncer à leur tour Russell et Rutherford, il n'y a aucune raison que ça s'arrête...). Par contre, s'il y a une réalité éternelle unique qui se manifeste -- dans le temps du texte encore plus que dans le temps de l'histoire -- en Adam, Abel, Hénoch, Noé, Melchisédek, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Josué, David, etc., c'est sans doute pour nous une façon insolite et un peu artificielle de penser mais ce n'est pas strictement inintelligible. A propos de Melchisédek qui n'est dans l'épître aux Hébreux que l'exemple le plus central, massif, explicite, développé, de la "méthode allégorique" sous-jacente, il n'est pas inintéressant de reparcourir le présent fil (et peut-être d'autres sur l'épître aux Hébreux) en cherchant "mel" (pas plus, parce que les transcriptions varient ensuite): après l'avoir fait je ne vois pas trop quoi y ajouter. |
| | | free
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 22 Sep 2022, 14:54 | |
| "Ce Melkisédeq, roi de Salem, prêtre du Dieu Très-Haut, est allé à la rencontre d’Abraham, lorsque celui-ci revenait du combat contre les rois, et l’a béni. 2C’est à lui qu’Abraham remit la dîme de tout. D’abord, il porte un nom qui se traduit « roi de justice », et ensuite, il est aussi roi de Salem, c’est-à-dire roi de paix. 3Lui qui n’a ni père, ni mère, ni généalogie, ni commencement pour ses jours, ni fin pour sa vie, mais qui est assimilé au Fils de Dieu reste prêtre à perpétuité"(7,1-3).
C. Jésus et Melchisédech
L’auteur de l’ Épître aux Hébreux, en 7,1-28, assimile Jésus à la figure angélique de Melchisédech de Gn 14,17-20, alors qu’il l’a déjà situé, en 1,7-14, totalement à l’écart des autres anges: c’est une des autres grandes particularités de ce texte. Ainsi, après avoir signifié fortement la supériorité de Jésus par rapport aux anges, il affirme ensuite combien le sacerdoce nouveau de Jésus s’enracine dans la lignée céleste, sans ascendance, de Melchisédech, à la différence de celui d’Aaron (He8,11-28). Bref, pour l’auteur de l’ Épître aux Hébreux , Jésus est prêtre «à la manière de Melchisédech» (He 7,17), expression qu’il emprunte au Ps 110,4.
Les traditions autour de la figure de Melchisédech, dont les premières attestations sont bibliques, y apparaissant deux fois (en Gn14,17-20 et en Ps 110,4), sont, comme l’a souligné, il y a longtemps déjà Moritz Friedländer, d’un grand intérêt pour la compréhension du messianisme judéen des deux premiers siècles de notre ère, tellement on la retrouve dans divers milieux apparemment différents pour ne pas dire divergents.
L’auteur de l’ Épître aux Hébreux développe l’idée d’un tout autre sacerdoce qui s’inaugure alors, dans la lignée de Melchisédech, «lui qui n’a ni père, ni mère, ni généalogie, ni commencement pour ses jours, ni fin pour sa vie, mais qui est assimilé au Fils de Dieu» (He 7,3) – autrement exprimé, Jésus relève du monde divin, comme c’est le cas pour Melchisédech.
Cette figure se trouve déjà dans un manuscrit retrouvé dans une grotte proche du Khirbet Qumrân: en 11Q13 (= 11Q Melchisédech)II. Dans ce document, qui est fragmentaire, Melchisédech («Melki Sedeq»)est considéré comme un messager messianique prévu pour la fin des temps, et son rôle est considérablement développé selon une perspective particulière: c’est ainsi qu’il est nommé l’héritier, le successeur, l’interprète des prophètes, et le garant de la figure du messie, conduisant à le considérer comme une des figures angéliques et même à le classer parmi les dieux (les ’Elohim) – au point de voir son nom se substituer au tétragramme divin.
https://www.academia.edu/26675626/_Le_grand_pr%C3%AAtre_J%C3%A9sus_%C3%A0_la_mani%C3%A8re_de_Melchis%C3%A9dech_dans_l_%C3%89p%C3%AEtre_aux_H%C3%A9breux_dans_Annali_di_storia_dell_esegesi_Bologne_33_2016_p_79_105 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 22 Sep 2022, 15:24 | |
| Voir supra 15.6.2020.
Cela n'arrangerait pas du tout l'auteur de l'épître aux Hébreux que Melchisédek fût un "ange", puisqu'il y a pour lui supériorité radicale du Fils sur les "anges" (qui s'enracine, selon moi, dans un modèle "adamique" ou "anthropologique": c'est en tant qu'"homme" au sens prototypique, image de Dieu, que le Christ-Fils est supérieur aux "anges"; ce n'est d'ailleurs pas une exception dans le NT quand on pense au rôle de l'Adam et/ou de l'anthrôpos originel/nouveau en Corinthiens, Romains, Philippiens, Colossiens, Ephésiens etc.) et, au contraire, équivalence parfaite du Fils à Melchisédek (cf. 7,3); en revanche cela ne gênerait nullement, quelque temps plus tard (?) et dans une méthodologie (alexandrine, philonienne) voisine, un Justin Martyr dont la christologie peut être à la fois "logique" (du logos) et "angélique" ("l'ange du Seigneur" lui-même appelé "Seigneur"); chez Philon il n'y avait pas non plus d'antinomie entre les images "anthropologiques" (Adam originel) et "angéliques" (ou archangéliques, au sens de l'archange unique et non des archanges multiples de la tradition hénochienne) du même logos (ou encore de la "Sagesse" autrement rattachée et à Dieu et à l'homme).
Rappel: ce qui nous a rendu tous ces textes difficiles à comprendre, bien avant la perte moderne du sens "classique" (principalement platonicien) de l'éternité, c'est déjà la rupture absolue entre "Dieu" et "la création" qui résulte des querelles gnostiques dans l'Eglise du IIe siècle. Dès lors que "l'homme" comme "les anges" sont "créés" et que le "créé" ne peut plus être "divin", ni "l'homme" ni les "anges" ne peuvent plus servir de modèle christologique: il faut que la génération du "Fils de Dieu" soit une affaire "intra-divine", qui ne concerne plus en rien la création, ni de l'"homme" ni des "anges", quitte à la combiner ensuite avec la création (surtout humaine) par une opération supplémentaire, hétérogène et quasiment accessoire (incarnation, union hypostatique, qui intervient comme une péripétie accidentelle, nullement essentielle à la notion purement divine de "Fils de Dieu"). Or ce cadre de pensée n'est pas présupposé par les textes (juifs ou chrétiens) du Ier et d'une bonne partie du IIe siècle (de Philon à Justin p. ex., en passant par la quasi-totalité du NT) pour lesquels le rapport de "Dieu" au "monde", aux "hommes", aux "anges" ou au "temps" est conçu de façon beaucoup plus simple, comme un flux continu ou un rayonnement ininterrompu qui ne se heurte à aucune "frontière" métaphysique.
Les textes en question (et notamment l'épître aux Hébreux) ont cependant contribué à ce changement de paradigme, et donc à leur propre incompréhension future, dans la mesure même où ils ont participé à creuser le fossé entre "Dieu" et "la création" (pour l'épître aux Hébreux, en particulier sous la forme de l'opposition entre l'éternel et le temporel): il y avait une tension (qui fait d'ailleurs une grande partie de leur intérêt) entre la "logique" dont ils relevaient encore, celle d'un dieu agissant librement dans le monde comme un acteur parmi d'autres, fût-il suprême, et celle vers laquelle ils tendaient plus ou moins consciemment, à laquelle en tout cas ils allaient aboutir, d'un Dieu radicalement transcendant et étranger au monde, requérant pour communiquer avec celui-ci tout un artifice de médiation hétérogène, combinant le divin et l'humain, l'incréé et le créé, l'éternel et le temporel, toutes choses qui n'étaient pas conçues précédemment comme incompatibles. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 23 Sep 2022, 13:25 | |
| @ free: j'essaie de mettre tes trois fichiers (format image et non texte) ici: Puisque ça a l'air de marcher, dis-moi si tu les voulais ici ou ailleurs; si tu peux nous préciser d'où ça sort, ce serait bien... |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 23 Sep 2022, 13:35 | |
| - Citation :
- Puisque ça a l'air de marcher, dis-moi si tu les voulais ici ou ailleurs; si tu peux nous préciser d'où ça sort, ce serait bien...
Merci infiniment Narkissos. Voici le lien dont est issu cet extrait (P 81) : http://lumiere-et-vie.fr/numeros/N217_20-_201994.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 23 Sep 2022, 13:43 | |
| Merci: c'est donc le même numéro de "Lumière & Vie" (1994) qui nous avait explosé la page hier... mais cette fois il s'agit de l'article de J. Massonnet, p. 77ss, pour qui voudrait lire l'ensemble. C'est en effet très instructif, à condition de ne pas perdre de vue que les traditions rabbiniques (y compris Yoma) relatives au temple (y compris au "temple de Salomon", là où il est question de l'arche censée avoir disparu à l'époque néo-babylonienne) sont celles d'une époque où il n'y a plus du tout de temple (même plus de "Second Temple", fût-ce dans sa reconstruction hérodienne; pour rappel, l'épître aux Hébreux de son côté ne parle pas du temple de Jérusalem, mais de la tente de la Torah, autrement dit d'un texte -- comme Philon qui commente principalement le Pentateuque); et surtout qu'elles sont rapportées d'un point de vue pharisien, c'est-à-dire "laïc", qui ne rate pas une occasion d'humilier ou de ridiculiser les (grands) prêtres ( a priori sadducéens) en les soumettant de fait aux pharisiens (sages, scribes, rabbis, émissaires du sanhédrin, gardiens de la tradition orale que précisément les sadducéens rejettent; j'ai le vague souvenir de traditions synagogales où celui qui tenait le rôle du prêtre -- il suffisait de s'appeler Cohen, Kohn, Kahn etc. -- était guidé par un enfant). Bien entendu, les traditions relatives au nom divin et à son évitement ordinaire, absolu en contexte synagogal (puisqu'on n'y a plus le prétexte d'un rite sacrificiel pour le prononcer), sont aussi pharisiennes... La thématique du nom ne me semble pas particulièrement insistante dans l'épître aux Hébreux -- la formule de 1,4 ressemble beaucoup à l'hymne de Philippiens 2, avec la même ambiguïté de référent (Seigneur = kurios comme substitut de Yahvé, cf. v. 10 [c'est la Septante qui supplée kurie au Psaume 101/2,26] ? "Dieu" = theos, v. 8s, d'après Psaume 44/5,8s ? "Jésus", 2,9 ? "Fils", 1,2.5.8; 3,6, etc. ?) qui n'est même pas forcément ressentie comme telle (on peut très bien lire la phrase "il a hérité d'un nom plus remarquable [litt. plus différent, diaphorôteron] que le leur" sans penser à un nom concret et précis, et donc sans se demander lequel c'est -- exactement comme en Philippiens). Plus intéressant peut-être est le problème du "sang" qui montre les limites de l'allégorie platonisante, ou la nécessité de son auto-dépassement continu: évidemment il ne s'agit pas de dire que du sang humain vaut mieux que du sang animal (ce serait un simple retour à la logique rituelle du sacrifice humain), mais on ne voit pas non plus en quoi le sang du Christ accéderait au ciel, si le "sang" comme le "ciel" n'étaient pris comme des images (copies, ombres) d'"idées" intelligibles et/ou morales, p. ex.: le sacrifice de la volonté (cf. 10,7ss) qui débouche sur l' éternité (cf. 9,14, l'esprit éternel de l'offrande de soi) -- revoir éventuellement à ce propos l'article d'Attridge, § 33, dont nous avons reparlé dernièrement ici, 20.9.2022. L'intention ne fait guère de doute, mais l'expression reste ambiguë... (comme on l'a noté précédemment -- cf. supra à partir du 12.3.2020 -- le "ciel" figure l'éternité, mais au nom de l'éternité le ciel même doit être dépassé; de même le soleil au-dessus la caverne de Platon, qui commande toute l'allégorie depuis les ombres du fond de la caverne jusqu'aux corps de l'extérieur, mais qui doit devenir à son tour figure d'une lumière allégorique, supra-sensible, lumière sans lumière). |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Sam 01 Oct 2022, 16:54 | |
| Au fil de nos discussions sur l'épître aux Hébreux (ces jours-ci sur le chap. 10) je me suis souvenu d'une particularité de la TMN, la prêtrise "sans aucun successeur" en 7,24 (2018: "qui ne se transmet à personne", alors que seule la syntaxe de la NWT avait légèrement changé en 2013: "his priesthood has no successors", au lieu de "he... has his priesthood without any successors") -- traduction d'intention manifestement anticatholique, cf. Darby "la sacrificature qui ne se transmet pas". Vérification faite, nous en avons déjà parlé ci-dessus, 28.3.2020: "intransmissible" ou "incessible" sont des sens possibles selon le contexte, mais ce ne sont pas les plus probables parce qu'ils sont devancés, au moins à la première lecture, par des acceptions plus générales de l'adjectif (immuable, intangible, inviolable, inaltérable, etc.); "inaliénable" (p. ex. NBS) correspond plutôt bien, par l'étendue de son champ sémantique et la différence de ses usages plus ou moins généraux ou spécialisés, à a-parabaton, où la "non-transmissibilité" n'est pas la première idée qui vienne à l'esprit hors contexte juridique. Mais c'est aussi l'occasion de remarquer quelque chose d'assez important dans le texte, au-delà du mot: le rapport entre Melchisédek et le Christ -- d'après la fameuse formule "selon l'ordre de Melchisédek", `l-dbrty mlky-çdq dans l'hébreu du Psaume 110 et kata tèn taxin melkhisedek dans le grec de la Septante (109), n'est justement pas de succession: Jésus n'est pas le successeur de Melchisédek, celui-ci est aussi dépourvu de successeurs ( a-genealogètos, sans généalogie ou sans descendance, 7,3) que celui-là, puisque l'un comme l'autre est éternel, ainsi que son sacerdoce (7,3, eis to diènekès, de même 10,1.12.14 pour le Christ): c'est précisément cette absence de succession qui fait un ordre, une manière, un genre singulier et paradoxal, au confins de l'identité (puisque c'est sans pareil avant ou après, "dans le temps", ce ne peut être que le même... autrement, au plan de l'"essence éternelle"). --- Remarque générale dans ce fil général: l'épître aux Hébreux est à bien des égards l'un des textes les plus difficiles du NT (parce qu'il se réfère à des textes plus ou moins obscurs de l'AT, dans une traduction grecque assez éloignée de nos bibles, selon une méthode allégorique et dans un cadre philosophique qui nous sont étrangers et que nous ne pouvons approcher que de façon "savante"), pourtant la fascination qu'elle exerce ne se limite pas à une curiosité intellectuelle: on sent bien qu'elle touche à quelque chose d'essentiel et qui nous est cependant inaccessible, parce que ça n'a pas vraiment d'équivalent concevable dans notre façon de penser. On peut toujours traduire les mots et les phrases du grec en français, décrire des "méthodes" herméneutiques et des "systèmes" philosophiques anciens comme autant de paysages exotiques, on ne trouvera pas pour autant une place dans notre "réalité" -- si imaginaire soit-elle -- pour une quelconque "éternité" de ce type (c'est le cas de le dire), à la fois tangente et opposable au "temps". Cela, bien sûr, ne concerne pas également tout le monde: il y a des gens assez enracinés dans une tradition religieuse pour pouvoir encore penser intuitivement l'"éternité" à peu près comme au moyen-âge ou dans la Basse-Antiquité; et d'autres, beaucoup plus nombreux, trop immergés dans la conception moderne du temps pour en ressentir aucun manque. Ce sont ceux qui se trouvent entre ces deux catégories (et qui s'intéressent à l'épître aux Hébreux, critère encore plus sélectif !) qui éprouvent le besoin d'explications, mais les explications ne peuvent plus les conduire à un "sens" acceptable dans la "réalité" et la "rationalité" communes et contemporaines. De ce point de vue la " foi" ne peut être que réinventée (et peut-être ainsi retrouvée, selon l'étymologie de l' inventio), comme une (autre ? nouvelle ?) forme de rapport à l'"impossible"; dans un sens il en a sans doute toujours été ainsi, chaque génération de croyants (fidèles, etc.) en tout genre, du moins de ceux qui ne pouvaient pas "croire" sans "penser", n'aura pu s'"ap-proprier" sa tradition qu'en la trans-formant ou en la ré-formant, plus ou moins radicalement. |
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