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| La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. | |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mar 04 Oct 2022, 10:21 | |
| 2.1. « Ou kata tên taxin Aarôn »
Deux remarques s’imposent toutefois avant qu’on n’expose ici le parallèle établi par He 7 entre Jésus et Aaron.
Tout d’abord, on fera observer qu’un développement comme celui que nous amorçons n’est pas superflu dans une étude sur le sacerdoce “secundum ordinem Melchisedech”. Dès le début de son exposé sur le Nouveau Melchisédech (7,11 ; cf. v.16), He met en effet une équivalence entre « kata tên taxin Melchisédech » et « ou kata tên taxin Aarôn » : la comparaison avec le roi-prêtre de Salem et la démarcation par rapport à l’ancêtre du sacerdoce lévitique sont corrélatives et complémentaires. Ce que l’un révèle en positif et “en plein”, l’autre l’annonce en négatif et “en creux”. Les points de vue sont interchangeables : “à la ressemblance de Melchisédech” signifie pour l’auteur “à la différence d’Aaron”, et vice-versa.
Cela entraîne une seconde remarque préliminaire : si telle est la signification du parallèle avec Aaron, He 7 l’exploite de la même façon que celui qu’il établit d’autre part avec Melchisédech. Il ne part pas du type pour définir, par contraste cette fois, l’antitype ; il part au contraire de Jésus pour discerner, dans le sacerdoce aaronique, des “défauts” qui sont chez lui l’exact répondant des “qualités” que, par la même méthode, il reconnaît à Melchisédech.
Il en résulte que, dans le contraste établi avec Aaron, l’intention première de l’auteur n’est pas de montrer que le lévitisme est disqualifié29, et de prouver comment et pourquoi il l’est, de même que la comparaison avec Melchisédech ne se proposait pas d’exalter pour lui-même le prêtre de Salem. Dans les deux cas, He ne vise à exploiter le parallèle que pour mieux mettre en valeur le sacerdoce de Jésus, le Christ. Ainsi, fondamentalement, la pensée n’est-elle pas que ce sacerdoce est parfait parce que celui d’Aaron ne l’est pas. À l’inverse, la disqualification du lévitisme est présentée comme résultant inéluctablement de la perfection du Nouveau Melchisédech. En ce qui concerne d’ailleurs l’utilisation du Ps 110,4, il n’est pas dit que c’est parce que les médiations antiques échouaient, qu’un autre prêtre devait être annoncé et est effectivement venu. Il est bel et bien affirmé d’emblée que cet autre prêtre est venu, conformément à la promesse ; et il en est déduit que ce qui précédait devait être remplacé. C’est, évidemment, beaucoup plus fort. Comme dans le cas du “traitement” de Melchisédech, la réflexion d’He sur Aaron n’est pas seulement chronologiquement postérieure au Christ : elle l’est aussi dialectiquement.
Deux traits confirment que telle est bien en effet la dialectique de l’auteur. D’une part, lorsqu’il vient de citer, pour engager le débat, l’oracle qui annonce un nouveau type de prêtre (Ps 110,4) et qu’il commente : « quel besoin y avait-il que se présentât un autre prêtre qui […] ne fût pas dit selon Aaron ? » (v.11), He emploie le présent (« anistasthai / se présenter » et « legesthai / être dit »). C’est que, selon son habitude (cf. v., il considère que l’Écriture (ici le Ps 110, « postérieur à la Loi ») nous apporte le témoignage de Dieu sur le salut que présentement Il nous offre. L’oracle prend un sens dans notre aujourd’hui, puisqu’il est réalisé en Jésus : le Christ est présent comme prêtre et il est dit selon Melchisédech. Et c’est à partir de là que se construit la réflexion. En second lieu, il est remarquable qu’à chaque fois que, par la suite, He évoque Aaron, il commence par présenter le Christ, qui est à la ressemblance de Melchisédech (v.15) et qui est investi avec serment (v.20, cf. v.23). Il appuie ensuite cette affirmation sur une citation du Ps 110,4. Et ce n’est qu’en finale qu’il en déduit (« gar », v.18 ; « kata tosouto kai », v.22 « hothen kai », v.25) la révocation de l’institution antérieure.
Cela étant dit sur la manière dont He 7 entend le contraste, il faut maintenant voir quelle est sa pensée sur ce sacerdoce qui, étant selon l’ordre de Melchisédech, n’est pas selon l’ordre d’Aaron. Il s’agit certes d’un sacerdoce transcendant, mais qui est véritablement incarné ! Si le parallèle avec Melchisédech donne à He 7 le moyen de montrer le caractère céleste et éternel du sacerdoce du Christ, l’avantage du contraste opéré avec Aaron est dès lors de rendre sensible le fait que cette éternité et cette exaltation céleste représentent le terme et le couronnement d’un ministère sacerdotal qui n’est autre que celui qu’a exercé le Jésus de l’histoire. Cela donne aux prérogatives propres du sacerdoce « secundum ordinem Melchisedech » un étonnant relief.
https://journals.openedition.org/rsr/1971#tocto3n2 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mar 04 Oct 2022, 12:24 | |
| Article très riche de J. Doré -- de 2011 et non de 1971, comme je l'avais d'abord imaginé à la seule vue du lien. C'est d'autant plus étonnant pour moi qu'à cette date tardive une étude exégétique de ce niveau (d'un grand théologien, fût-il en fin de parcours) puisse encore faire à ce point l'impasse sur le cadre philosophique et herméneutique (médio-platonisme alexandrin, allégorie, etc., et accessoirement leurs analogies formelles dans l'"apocalyptique" qoumranienne et la "gnose" où la figure de Melchisédek a été tout autrement mise en valeur) qui conditionne de part en part l'intelligibilité du texte.
Dans les jeux de miroirs de la typologie, surtout "verticalisée" (pour rappel: type ou paradigme "en haut", éternel et idéal, antitypes, hypodigmes, copies, ombres "en bas", à différents points du temps linéarisé qui ne se renvoient pas les uns aux autres, horizontalement pour ainsi dire, sans "repasser" à chaque fois par le type céleste: entre A et A', avant et après, il n'y a analogie que parce que l'un et l'autre reflètent semblablement un A° céleste et/ou éternel), il finit par être très difficile de savoir de qui on parle (ou qui l'on vise). Distinguer le "sujet" de l'"attribut" ou du "prédicat" dans une proposition, même d'identité, reste nécessaire -- ce n'est pas la même chose de dire "Clark Kent est Superman" et "Superman est Clark Kent", bien que ça suppose la même "réalité", de fiction en l'occurrence: ça ne répond pas à la même question, la question ne porte pas sur le même personnage ni sur le même genre de personnage, l'"identification" n'a pas le même effet dans un sens et dans l'autre.
Pour revenir à l'épître aux Hébreux, il faudrait être extrêmement attentif à distinguer les noms (titres, pronoms, etc.) entre lesquels sont tissés des relations d'"équivalence" qui ne sont d'ailleurs pas équivalentes entre elles: "le Fils", "(le) Christ", "le Seigneur", "Jésus", "Jésus-Christ", "l'homme", "le fils de l'homme", "Melchisédek", "le grand prêtre", etc., au commencement ou à la fin du monde, au ciel ou sur la terre, dans un livre ou dans un récit, c'est le même et ce n'est pas le même, et c'est l'ensemble de ces différences qui rend le jeu du texte possible, quand même l'auteur ou les auteurs ne se tiennent pas à des distinctions terminologiques nettes et fixes.
Pour le lecteur ordinaire (dit "lambda"), "Jésus", "Jésus-Christ", "le Christ", renvoie avant tout à un personnage humain supposé historique, dans la première moitié du "Ier siècle apr. J.-C." Pour le lecteur religieux s'y ajoutent d'autres déterminations plus ou moins précises, "Fils de Dieu", "union hypostatique de la deuxième personne de la trinité divine à la nature humaine", etc. Par rapport à cette identification préalable pour ledit lecteur (ce qu'il sait ou croit savoir déjà) tout ce qu'il va rencontrer dans les textes va paraître second, supplémentaire, accessoire, métaphorique, tropique, "façon de parler" de celui-là dont il croit connaître l'essentiel, ce qui le définit comme "sujet", "agent", "référent". Qu'on l'appelle ensuite logos, sagesse, ange du Seigneur, homme ou fils de l'homme, premier ou dernier Adam, Melchisédek, ce ne seront que des "attributs" plus ou moins "figurés", jamais mis sur le même plan que le sujet, bloc signifiant-signifié-référent présumé connu indépendamment de tout texte, "Jésus(-Christ)".
Bien sûr cela fonctionne certainement déjà de façon similaire pour les premiers lecteurs ou auditeurs des textes du NT: même s'il n'y a pas encore d'"évangiles" ou de "vies de Jésus", encore moins de définitions dogmatiques du Christ comme celles des conciles des IVe/Ve siècles, "Jésus-Christ" est le référent par défaut du culte des communautés réceptrices, qui les distingue aussi bien du judaïsme synagogal pharisien que des (autres) "mystères" païens. Mais ce qu'est ou qui est "Jésus-Christ" reste ouvert à une très large palette d'explications, comme en témoigne la diversité des textes du NT et des premières générations du christianisme, "orthodoxe" ou pas...
Or cette référence a priori est d'emblée inversée, ou dépaysée, par l'épître aux Hébreux (1,1ss): le sujet c'est "le dieu" et aussitôt "le fils" (comme dans le Prologue johannique "le logos", sauf que comme on l'a vu le modèle est plutôt ici l'Adam ou homme archétypique, image de Dieu qui hérite du monde et le soumet). "Jésus" n'arrive qu'en 2,9 (+ 3,1; 4,8[= Josué].14; 6,20; 7,22; 10,10.19; 12,2.24; 13,8.12.20s), "Christ" en 3,6 (+ 14; 5,5; 6,1; 9,11.14.24.28; 10,10; 11,26; 13,8.21), après "Seigneur" et "Dieu" attribués au Fils (1,8ss). En somme, il s'agit moins de dire "qui est Jésus-Christ", au sens de l'attribut d'identité, de qualité, de nature du sujet "Jésus-Christ" présumé connu, que de dire qui (sujet) est ou devient (dans un sens quasi actif et transitif des verbes d'état, proche de "produire", cf. là-dessus Schelling et Heidegger) celui qu'on appelle "Jésus-Christ". Nuance subtile mais importante. |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 06 Oct 2022, 10:49 | |
| LE CHRIST, LA FOI ET LA SAGESSE DANS L'ÉPITRE AUX HÉBREUX (Hébreux 11 et 1)
La Sagesse divine devient donc en Héb. 1 le Christ créateur et rédempteur. La sagesse humaine devient en Héb. 11 la foi courageuse et pleine d'espérance. La Sagesse avec majuscule est au Christ ce que la sagesse avec minuscule est à la foi. C'était par la Sagesse divine que les Juifs devenaient sages et par la sagesse humaine qu'ils connaissaient la Sagesse divine. C'est par le Christ que les chrétiens deviennent croyants et par la foi qu'ils connaissent le Christ. Cette structure parallèle explique, à mon avis, le verset 3 a d'Héb. 11 qui est surprenant. Dans tous les autres exemples de ce chapitre, la foi est la vertu opérant l'acte exemplaire rappelé : ainsi la foi de Noé l'embarquant sur les ondes. Or, au verset 3, nous lisons : « C'est par la foi que nous comprenons que les siècles ont été créés par la parole de Dieu. » Il est vraisemblable que dans la tradition recueille ce fut par la Sagesse que Dieu créa tout l'univers, par la Sagesse divine, mentionnée une fois comme point de départ des exemples de sagesse humaine qui allient suivre. Transférant les deux sagesses sur le Christ et sur la foi, le rédacteur fait de la création du monde une œuvre de la Parole de Dieu, donc du Christ et conçoit la foi comme moyen de connaissance : « C'est par la foi que nous comprenons... » Il faudrait avoir le temps de montrer combien la relecture chrétienne des listes sapientiales (ch. 11) et des spéculations sapientiales (ch. 1) est une activité créatrice et critique. L'exemple du verset 3 vient de nous montrer la différence entre la tradition et la rédaction ainsi que l'apport constructif de cette dernière. Deux détails vont nous indiquer dans quelle direction s'oriente l'effort critique du rédacteur. Comme il est chrétien, il n'oubli ni l'incarnation, ni la croix ; c'est pourquoi, il ajoute en Héb. 1, 3 « ayant accompli la purification des péchés », alors que la Sagesse divine ne se livrait jamais elle-même pour procurer aux hommes le pardon ». De même, à la suite d'Héb. 11, il tente de corriger ce que la foi, sous l'influence de la sagesse, risquait d'avoir de trop vertueux, de trop anthropocentrique par sa mention du Christ au début du ch. 12. Jésus-Christ, dernier témoin et martyr de la liste, est en fait beaucoup plus qu'un exemple. N'est-il pas « le chef et le réalisateur de la foi ».
https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=rtp-003:1968:18::452 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 06 Oct 2022, 12:00 | |
| Cette fois c'est F. Bovon en tout début de carrière (leçon inaugurale de 1967 à Genève), et à mon avis il vise tout à fait juste en replaçant l'épître aux Hébreux dans le contexte littéraire alexandrin (Siracide, Sagesse, Maccabées -- surtout IV Maccabées qui est le plus "philosophique" de la série -- et Philon; le rapport chronologique à 1 Clément, qui a beaucoup de points de contact avec l'épître aux Hébreux, est plus problématique): cela rend compte aussi bien des développements de la "personnification" (ou "hypostatisation") de la Sagesse à l'arrière-plan d'Hébreux 1,1ss (ou du Prologue de Jean et d'autres hymnes christologiques, Colossiens 1 etc.) que de la liste illustrative d'une "vertu" (en l'occurrence la foi) au chapitre 11. En revanche, ce que n'a pas vu Bovon, et qu'il aurait pourtant pu retrouver facilement chez Philon, c'est l'aspect "adamique" ou "anthrop(olog)ique" de la personnification sapientiale: la Sagesse toute seule, si je puis dire, en soi, appelle grammaticalement (genre féminin de hokhma ou sophia) une personnification féminine (de Proverbes 8 à Sagesse 7), dans la ligne de la Ma'at égyptienne et de ses équivalentes hellénistiques (Sophia mais aussi Alètheia, Dikè, Nemesis, etc., toutes les divinités personnifiant des "principes" moraux et/ou cosmiques; en hébreu le genre féminin favorise aussi son identification à la Torah, également féminine, dès le Siracide, mais ça marche moins bien en grec puisque nomos est masculin). Pour y voir un "Fils", masculin (Hébreux 1,1ss), on pourrait se contenter superficiellement de remplacer sophia par logos (masculin), mais ce n'est justement pas ce que fait l'introduction d'Hébreux qui évite logos en employant rhèma ("dit", neutre) et en le rapportant au Fils (v. 3b: "il soutient tout par le dit de sa puissance"; ou, si l'on veut simplifier le sémitisme -- ou septuagintisme: "par sa parole puissante" ou "son dit puissant"). Par contre, l'" image de Dieu" (v. 3a "éclat de sa gloire, empreinte de sa substance" ou "caractère de son hypostase") est bien "adamique" (Genèse 1) avant d'être "sapientiale", et elle est naturellement les deux à la fois (parce que "l'image de Dieu" a été très tôt interprétée dans un sens sapiential, cognitif, intellectuel, verbal ou langagier, du "propre de l'homme" qui est aussi divin; cf. déjà Proverbes 8,31, la Sagesse se plaît aux fils des hommes; même le second récit de la Genèse, sur un mode plus antagoniste, dit à peu près la même chose: la connaissance-sagesse est commune aux hommes et aux dieux, elle est seulement volée au lieu d'être donnée). Et bien sûr on peut en dire autant des thèmes de l'héritage et de la domination du monde qui se prolongent de Hébreux 1,1 aux deux premiers chapitres, et viennent aussi de Genèse 1 (l'équivalence "à l'image de" = "fils" est posée en écho dans la généalogie de Genèse 5). |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mer 12 Oct 2022, 16:19 | |
| À la réflexion, il y a deux façons sensiblement différentes de comprendre ce verset :
1. Nous ne savons rien des parents de Melchisédech ni de son ascendance, pas plus que de sa naissance et de sa mort (mais, comme tout être humain, il a évidemment connu tout cela). Cette situation fait qu’il peut évoquer le Christ, dont nous confessons qu’il est sans commencement ni fi n : il lui ressemble.
2. Melchisédech n’a réellement eu ni père ni mère, il n’est réellement jamais né et jamais mort : il s’identifie au Christ lui-même, qui a voulu ainsi apparaître en personne à Abraham.
Dans la première interprétation (sens « faible »), Melchisédech apparaît comme une figure du Christ, à l’instar de bien d’autres personnages bibliques dans l’herméneutique chrétienne. L’épistolier tire parti des silences du texte biblique à l’endroit de Melchisédech, roi de Salem, comme il jouait au verset précédent sur le sens de son nom et de son titre : « roi de justice » et « roi de paix ». Nous restons au plan de la typologie.
Mais la deuxième interprétation (sens « fort ») nous fait basculer dans une tout autre perspective : il y aurait eu, pour le Christ, une « incarnation avant l’incarnation » ! N’est-ce pas dans cette direction que tend également l’auteur du quatrième évangile, quand il fait dire à Jésus : « Avant qu’Abraham fût, je suis » (cf. Jn 8,58) ?
Rétablir la généalogie de Jésus
On le voit : le personnage de Melchisédech a suscité bien des interrogations. Le verset de l’épître aux Hébreux qui a retenu notre attention s’efforçait sans doute d’y répondre… mais, en raison de sa hardiesse, il devait constituer une véritable « bombe à retardement » pour l’exégèse chrétienne. Il s’avère en effet bien périlleux de déclarer un être humain « sans père, sans mère, sans généalogie », et d’affirmer que son existence n’a ni commencement ni fi n ! Si ces expressions s’appliquent au roi de Salem, on voit mal quelle peut être leur signification ; et s’il faut les rapporter à Jésus-Christ, on court le risque de dissoudre son humanité.
On s’accorde généralement à situer la rédaction de l’épître aux Hébreux peu avant l’année 70. Une décennie plus tard, les évangiles de Matthieu et de Luc allaient voir le jour : est-ce un hasard si ces deux livrets, indépendamment l’un de l’autre (et de façon discordante, ce qui suscitera de nouvelles perplexités…), attribuent à Jésus une généalogie en bonne et due forme ?
http://lumiere-et-vie.fr/numeros/LV_295_pages_64-69.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mer 12 Oct 2022, 17:27 | |
| Complément intéressant: les "clés de lecture" (allégorique et plus ou moins platonicienne) sont bien passées en partie du judaïsme alexandrin (exemplairement Philon) au christianisme hellénophone (l'épître aux Hébreux en est un des premiers témoins), non seulement à Alexandrie (plus tard Clément, Origène) mais à Rome (l'autre Clément, le cas échéant) et dans beaucoup de grandes villes de l'empire; en revanche, elles ont été ignorées ou délibérément rejetées par le judaïsme pharisien et rabbinique qui se repliait sur l'hébreu et l'araméen, mais aussi par un christianisme syriaque (Ephrem) ou latin plus "provincial" (de Tertullien à Jérôme); or là où elles sont perdues et dans la mesure où elles le sont, on retombe forcément dans une lecture au premier degré, "littérale" et "historique", qui ne peut générer que des absurdités. Si Melchisédek (ou Adam, Hénoch, Noé, Abraham, Moïse, Elie, etc.) et Jésus ne sont que des personnages ayant vécu à différents moments du même temps et de la même histoire, tous les rapports qu'on peut établir entre eux relèvent de ce que j'appelais une "typologie à plat", horizontale, monolinéaire, et du même coup arbitraire, sans "raison" qui ne pourrait se situer que sur un autre "plan". Qu'on dise alors qu'il y a égalité ou identité entre A et A' (Melchisédek et Jésus en l'occurrence), que ce sont deux personnages de même "valeur" (qu'est-ce que ça veut dire ?) ou le même personnage qui "revient" (même question), on arrive à des conclusions sinon aberrantes dans l'absolu (l'aberration est-elle seulement possible dans une imagination absolue ?), du moins très éloignées des principales doctrines juives ou chrétiennes.
En revanche, quand on comprend que le "type" ou le "paradigme" (au sens de l'épître aux Hébreux) est et reste céleste et/ou éternel, il n'y a plus de difficulté logique (si du moins on peut intégrer de genre de logique) à ce qu'il se manifeste à différents points du temps, du récit ou du texte, "bien des fois et par bien des tours" (cf. 1,1), à différents degrés de ressemblance et de différence selon les cas (de la copie fidèle à l'ombre qui l'est moins: Melchisédek plus "semblable" au Fils que les anges, Moïse ou Aaron p. ex.). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 14 Oct 2022, 11:00 | |
| TERRE PROMISE ET PATRIE CÉLESTEDANS HÉBREUX 11 Katell BERTHELOT
L’Épître aux Hébreux, elle, est aux antipodes d’une telle évolution. En effet, l’auteur ne met en avant aucun droit de propriété des patriarches ou d’Israël, mais affirme au contraire qu’ils vinrent s’établir en étrangers résidents sur la terre de la promesse, et que cette terre appartenait à d’autres. L’auteur de l’Épître affirme en outre que le peuple d’Israël n’est jamais vraiment entré en possession de la terre promise, même du temps de Josué (He 4, 8: «En effet, si Josué leur avait donné le repos, il n’aurait pas, après, parlé d’un autre jour»)! Comme le souligne Knut Backhaus, l’Épître aux Hébreux utilise l’expression «terre de la promesse» pour désigner non pas tant la terre promise que la terre sur laquelle est donnée la promesse, qui renvoie à l’événement Christ. L’auteur procède en fait à une réinterprétation radicale de la notion de terre promise, qui équivaut à une désacralisation des biens de la première alliance au profit d’une réorientation christologique.
Cette réinterprétation va à contre-courant de la tradition juive et rend la liste des figures bibliques du chapitre 11 très novatrice par rapport aux listes des grands ancêtres connues dans la littérature juive du Second Temple, comme Siracide 44 à 50 ou 1 Maccabées 2, 50-61. Pamela Eisenbaum a raison de voir dans les figures bibliques d’Hébreux 11 des héros chrétiens plutôt que juifs, et d’affirmer que le but de l’auteur est de «dénationaliser» l’histoire d’Israël. Elle écrit aussi: «God’s promises, which in biblical history are traditionally nationalistic – promises for land, temple, and monarchy – are depicted as not having been fulfilled, in order thata new ending might be grafted onto the story: the heavenly rest nowattainable because of Christ (vv. 39-40; cf. He 4,6-11)». Et elle conclut qu’Abraham et Moïse sont les héros paradigmatiques d’Hébreux 11 précisément parce qu’ils ne vivent pas l’accomplissement de ces promesses à dimension «nationale».
À la terre de Canaan qui demeura pour les patriarches une terre étrangère, l’auteur de l’Épître oppose en effet une patrie céleste (vv. 14-16),une notion à forte connotation médio-platonicienne que l’on rencontre à plusieurs reprises chez Philon. Dans le De Confusione Linguarum ,Philon écrit ainsi :
«[…] tous ceux que Moïse appelle sages sont décrits comme des étrangers résidents. Leurs âmes ne constituent jamais une colonie établie hors du ciel; mais elles ont coutume de voyager dans la nature terrestre pour satisfaire leur envie de voir et de connaître. Aussi, une fois qu’elles ont passé un certain temps dans le corps et qu’elles ont observé par son intermédiaire l’ensemble du monde sensible et périssable, retournent-elles vers l’endroit d’où elles s’étaient élancées au début, car elles estiment que leur patrie, c’est l’espace céleste, où elles jouissent de tous leurs droits, et que l’étendue terrestre où elles ont résidé leur est étrangère. En effet, pour ceux qui fondent une colonie, la terre qui les reçoit devient naturellement une patrie à la place de la cité mère, pour les voyageurs au contraire, c’est le pays d’où ils sont partis qui reste la patrie vers laquelle ils désirent revenir» ...
... Dans l’Épître aux Hébreux, à l’inverse, les patriarches n’aspirent pas à retourner dans leur patrie d’origine. Ils tendent vers une patrie meilleure, c’est-à-dire céleste (v. 14-16), mais celle-ci n’est pas le lieu d’où ils viennent. En réalité, à la différence de Philon, Hébreux ne procède pas à une lecture allégorique des récits bibliques: les patriarches restent les personnages «historiques» qu’ils ont été, ils ne représentent pas l’âme humaine ou un type d’homme en particulier, même si leur expérience doit servir d’exhortation aux destinataires de l’Épître. En outre, l’opposition entre leur patrie d’origine et celle vers laquelle ils tendent est certes de l’ordre d’une opposition entre le terrestre et le céleste, mais elle ne recoupe nullement une opposition corps/esprit, comme chez Philon. C’est la personne tout entière qui est destinée à la cité céleste, et non la seule âme. L’opposition entre le terrestre et le céleste recoupe en fait une opposition temporelle, chronologique autant que théologique, entre le temps de la première alliance et celui inauguré par la mort et la résurrection du Christ. Par-delà le vocabulaire commun à Philon et à l’auteur de l’Épître, leurs propos sont donc très différents. Sans compter que leurs démarches, elles aussi, diffèrent: Philon s’attèle à un véritable commentaire de l’Écriture, dont le contenu conditionne son propos, tandis que l’Épître, même si elle est informée par une certaine compréhension des traditions bibliques, ne se veut nullement un commentaire.
https://www.academia.edu/28412606/_Terre_promise_et_patrie_c%C3%A9leste_dans_H%C3%A9breux_11_in_Hebrews_and_the_Boundaries_of_Identity_ed_R%C3%A9gis_Burnet_Leuven_Peeters_2016_p_137_151 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 14 Oct 2022, 12:56 | |
| Remarque générale, à la lecture de cette excellente étude: on y voyait globalement plus clair sur l'épître aux Hébreux vers le milieu du XXe siècle (entre Spicq et Vanhoye, côté francophone), quand les principaux éléments de comparaison étaient encore Philon et la littérature alexandrine, païenne, juive ou chrétienne, avant que les nouvelles découvertes (Qoumrân et Nag Hammadi principalement, le temps de l'édition et de l'analyse) ne viennent occuper le devant de la scène. Celles-ci étaient assurément utiles (l'idée d'un Melchisédek céleste, éternel, voire divin, n'était pas une pure invention de l'épître aux Hébreux), mais elles ont déporté une bonne partie de l'interprétation dans des directions assez regrettables à mes yeux, à cause d'une méprise élémentaire: le "platonisme" et l'"apocalyptique" (pour faire très vite) ont en commun une même structure générale de représentation (double scène, ciel / terre, sans préjudice de la multiplication des cieux et des mondes souterrains), mais l'usage qu'ils en font est totalement différent. Pour le premier, il s'agit d'illustrer l'opposition du sensible-temporel à l'intelligible-éternel, qui invite à un dépassement infini, à la fois cognitif et moral, même du ciel en tant qu'image (cf. la caverne de La République et son soleil qui est un progrès par rapport aux ombres du feu, mais qui n'est lui-même qu'une image de la "lumière" de l'intelligence); pour la seconde, les cieux sont comme l'écran ou la série d'écrans qui surplombe le cours de l'histoire terrestre, indépassablement temporelle, de façon à en révéler ( apokaluptô) et en signifier ( sèmainô, cf. Apocalypse 1,1) le sens, sur un mode plus ou moins crypté; l'horizon de l'apocalypse reste temporel, jusqu'à la fin de l'histoire (eschatologie) le cas échéant. Katell Berthelot a cependant tout à fait raison de distinguer Philon et l'épître aux Hébreux, malgré le fonds philosophique et méthodique prépondérant qu'ils partagent. A mon sens la différence principale, ce n'est pas qu'un auteur est juif et l'autre chrétien, mais que le premier cherche surtout à interpréter philosophiquement un héritage religieux et littéraire, en l'orientant vers une édification intellectuelle et éthique, tandis que la visée du second reste foncièrement "religieuse" ou "myst(ér)ique": ce qui fait passer du temps à l'éternité pour l'épître aux Hébreux, ce n'est pas essentiellement un processus cognitif et comportemental dont le lecteur-philosophe serait seul responsable, comme chez Philon, mais la participation (certes pensée et non seulement rituelle) à un "mystère" ou à un "mythe" divin qui dépasse l'individu, le périple du "Fils" de la terre au ciel, de la chair à l'esprit, etc. La "vertu" principale de ce point de vue, c'est donc la "foi" (si du moins on considère comme secondaires les exhortations parénétiques et "télégraphiques", simili-pauliniennes, du chap. 13). Je suis moins sûr de ce qu'elle dit sur la différence "corps* / esprit", car le passage de la terre au ciel ou du temporel à l'éternel est aussi celui du "voile de la chair": l'au-delà n'est pas plus "matériel" ou "corporel" que chez Platon ou Philon, même s'il paraît moins "intellectuel" ou "abstrait". Quant à savoir si la patrie de destination est ou non celle d'origine, tout dépend de l'interprétation qu'on fait du "Fils-image-de-Dieu": si l'on y discerne le modèle "adamique", alors les fidèles participent de la même provenance en tant que fils (ou filles), enfants ou frères (et soeurs). Au chapitre 11, on peut aussi bien comprendre qu'Abraham (etc.) ne confond pas son origine "terrestre" et son origine "céleste" (en quoi on se rapprocherait aussi du johannisme et de la gnose, malgré de profondes différences: ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'esprit est esprit, d'en haut ou d'en bas, du Dieu-Père ou du monde...). Sur le thème de la "ville" ou de la "cité" vers lequel glisse effectivement (cf. la fin de l'article) celui de la "patrie" ou "pays" (d'origine et/ou de destination), voir ici et là. --- * Le "corps" ( sôma) qui, comme on l'a vu ailleurs, fait une entrée remarquée dans l'épître aux Hébreux avec la citation déformée ou transformée du Psaume 40/39LXX au chapitre 10 (v. 5.10.22), qui d'autre part correspondrait dans une logique platonicienne à l'antithèse de l'ombre ( skia, cf. Colossiens 2,17), ne reviendra plus que dans le supplément du chapitre 13 (v. 3.11). Alors que le "corps" du chapitre 10 ne valait que par l'offrande ( prospherô etc.) de la "volonté" ( thelô, thelèma etc.), l'argumentation assez confuse de 13,10ss laisse le "corps" hors d'une "ville" plutôt terrestre et temporelle que céleste et éternelle, pour aboutir à une recommandation de "sacrifices" religieux et moraux, mais temporels (louange, action de grâce, bienfaisance, communion-solidarité). --- P.S. et H.S. ( post scriptum et hors sujet): le départ annoncé (en privé) est retardé; merci de vos gentils messages, et ne vous inquiétez pas. |
| | | free
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 20 Oct 2022, 11:38 | |
| - Citation :
- P.S. et H.S. (post scriptum et hors sujet): le départ annoncé (en privé) est retardé; merci de vos gentils messages, et ne vous inquiétez pas.
Heureux de cette prolongation, nous profitons pleinement de ta présence et de l'enrichissement que tu nous apportes. Merci encore. - Citation :
- l'argumentation assez confuse de 13,10ss laisse le "corps" hors d'une "ville" plutôt terrestre et temporelle que céleste et éternelle, pour aboutir à une recommandation de "sacrifices" religieux et moraux, mais temporels (louange, action de grâce, bienfaisance, communion-solidarité).
" Nous avons un autel dont ils n'ont pas le droit de tirer leur nourriture, ceux qui célèbrent le culte dans la tente. En effet, les corps des animaux dont le sang a été apporté par le grand prêtre dans le sanctuaire, pour le péché, sont brûlés hors du camp. C'est pourquoi Jésus aussi, pour consacrer le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte de la ville. Sortons donc hors du camp pour aller à lui, en portant son humiliation. Car nous n'avons pas ici de cité qui demeure, mais nous cherchons celle qui est à venir" (Hé 13,10-14). L'idée de culte est suggérée dans la phrase d'Hé 13,10 ... ( pages 35 et 36). https://publication-theses.unistra.fr/public/theses_doctorat/2011/MASSENGO_Judith_Clementine_2011.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 20 Oct 2022, 12:30 | |
| Merci à toi, je "profite" tout autant de ces échanges; la dernière thèse que tu apportes -- et que je n'ai encore fait que "feuilleter" -- semble d'ailleurs particulièrement intéressante par le choix de son thème: l'héritage, qui peut passer inaperçu par l'habitude des "expressions bibliques" (p. ex. hériter un nom, une promesse, etc.) et se trouve pourtant au carrefour de nombreux thèmes connexes (l'alliance comme "testament" impliquant mort et succession, l'"entrée" dans le repos, la terre promise, le monde, le ciel, le sanctuaire, etc.).
Sur la question difficile du rapport du chapitre 13 au reste du livre, et en particulier des v. 10ss qui imitent en partie le genre "allégorique" du corps du traité sur des bases assez différentes, voir ci-dessus 28.5.2008 et surtout 22.3--2.4.2020. L'idée de la crucifixion hors de la porte de la ville, rapprochée de l'extérieur du camp (du désert et de la Torah), semble bien dériver d'un "récit de la Passion", proto- ou para-évangélique; quoique aucun des récits de la Passion canoniques, sauf oubli de ma part, ne mentionne de "porte", leur effet d'ensemble tend bien à situer "Golgotha" hors de la ville (Jérusalem); si ce n'est pas évident chez Marc (15,20ss, ex-agô, ils le firent sortir -- a priori du bâtiment -- mais il y encore un trajet ensuite), ça le devient notamment chez Matthieu (27,53) et Jean (19,20). Cependant l'"allégorie" d'Hébreux 13,10ss n'a plus grand rapport avec celles du corps du livre, même si elle part d'une intention similaire ("sortir", c'est bien le mouvement général); elle est même à contresens dans la mesure où il ne s'agit plus de "sortir" du temporel vers l'éternel, mais bien d'un temporel (juif) vers un autre (chrétien, à la fois cultuel et éthique, durable et répétitif). |
| | | free
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 21 Oct 2022, 11:41 | |
| Lire He en un temps séculier - Benoit Bourgine
1.1.4. Opposition entre le présent et l’âge futur
Cette opposition n’est pas de même nature que celle entre l’âge passé et le présent eschatologique, puisque le futur n’est pas totalement absent du présent. On observe, en premier lieu, une opposition entre, d’une part, l’aujourd’hui de l’écoute de la Parole de Dieu, de l’encouragement mutuel contre l’endurcissement et de la promesse (3,7.13 ; 4,7) et, d’autre part, l’âge du repos sabbatique (4,9). La parénèse en 3-4 crée une tension dans le présent des fidèles, aimanté par l’horizon d’un avenir. L’adverbe (...) connote le caractère d’immédiateté existentielle et souligne en même temps son caractère provisoire : c’est l’unité de temps qui compte pour marcher vers le Sabbat. On note, en second lieu, l’opposition entre les cités transitoires et la cité de l’avenir (13,14 : allitération entre [...] et [...]).Les Patriarches aspirent à la ville préparée par Dieu (11,16), qui n’est autre que la Jérusalem céleste (12,22). Le statut eschatologique de la cité est corroboré par l’adjectif (...) qui est ailleurs mis en relation avec l’espace de la vie de Dieu. Cette opposition temporelle est étroitement articulée à la finalité parénétique : l’auteur exhorte à la foi et à l’espérance en un présent appelé à faire la place à un âge futur permanent. On peut souligner le caractère élaboré de l’eschatologie d’He : on n’attend pas seulement un événement ponctuel et singulier ; c’est un nouvel âge comportant la seconde apparition du Christ (9,28), mais aussi la résurrection des morts et le jugement, un sabbat éternel et une cité céleste.
Cette opposition temporelle est étroitement articulée à la finalité parénétique : l’auteur exhorte à la foi et à l’espérance en un présent appelé à faire la place à un âge futur permanent. On peut souligner le caractère élaboré de l’eschatologie d’He : on n’attend pas seulement un événement ponctuel et singulier ; c’est un nouvel âge comportant la seconde apparition du Christ (9,28), mais aussi la résurrection des morts et le jugement, un sabbat éternel et une cité céleste.
https://www.academia.edu/34759262/Lire_He_en_un_temps_s%C3%A9culier
Dernière édition par free le Mer 23 Nov 2022, 11:00, édité 1 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 21 Oct 2022, 14:05 | |
| Je trouve la visée herméneutique de Bourgine (voir surtout le début et la fin de l'article) intéressante et importante, même s'il se fonde en l'espèce sur deux études exégétiques (Portalatin et Docherty) qui me paraissent -- d'après sa présentation certainement honnête et intelligente -- de véritables caricatures de l'évitement de l'essentiel: 1) méconnaissance de la différence qualitative (spécialement, mais pas exclusivement platonicienne) de l'"éternité" au "temps", qui réduit l'horizon de l'épître aux Hébreux à la pire platitude temporelle, passé-présent-futur; 2) méconnaissance de la "méthode allégorique" du judaïsme alexandrin au profit des traditions rabbiniques ultérieures qui l'ont délibérément rejetée, tout en en gardant malgré elles quelques traces... Si les bases étaient mieux posées, le problème herméneutique n'en serait d'ailleurs que plus aigu, car ce qu'il faudrait pouvoir "traduire" dans le cadre d'une pensée moderne ou post-moderne, ce n'est pas seulement une "eschatologie" ou une "théologie de l'histoire" qui l'ont de fait accompagnée, sous des formes religieuses et sectaires ou sécularisées (idéologie du "progrès" politique, social, moral, technique) jusqu'aux trois quarts du siècle dernier, mais quelque chose qu'elle a perdu depuis bien plus longtemps (cinq siècles au bas mot): le sens d'une " éternité" autre du "temps", sinon autre que "le temps". Celle-ci ayant quand même de son côté l'avantage, fût-il le seul, d'être précisément "éternelle", c'est-à-dire accessible à n'importe quel "aujourd'hui": quand ce n'est plus par le concept et la représentation rationnelle, du moins par une certaine expérience, poétique ou mystique, qui n'est pas plus ni moins "impossible" qu'elle l'a toujours été. |
| | | free
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 24 Nov 2022, 11:38 | |
| LA FINALE DE L’ÉPÎTRE AUX HÉBREUX :UNE ADDITION ALEXANDRINE DE LA FIN DU IIe SIÈCLE ? PAR Régis BURNET
He 13, 19.22-25 est une entité séparée
1° une différence formelle.
2° une différence générique
3° Une différence de contenu. Les buts de l’addition finale
1° du point de vue formel.
2° du point de vue sémantique
3° du point de vue littéraire
L’histoire de la réception d’Hébreux comme outil pour dater la finale épistolaire
1° une origine romaine du texte long.
2° le tournant du IIIe siècle : l’introduction en Orient sous le nom de Paul.
3° du IIIe au Ve siècle : résistances à l’Ouest, canonisation à l’Est.
https://www.academia.edu/38015478/La_finale_paulinienne_dH%C3%A9breux_une_posture_alexandrine_In_Revue_Biblique_Vol_120_no_3_p_423_440_2013_ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 24 Nov 2022, 11:58 | |
| Cf. supra 28.3.2020: c'est une autre page d'Academia (nous sommes apparemment ciblés par les mêmes automates publicitaires car j'avais ça dans ma boîte ces jours-ci), mais c'est bien le même article de Burnet dans la "Revue biblique" (2013). Très instructif sur la finale au sens le plus étroit (13,19.22-25, mais cette délimitation même est contestable car la rupture avec le corps du livre commence beaucoup plus tôt, au moins depuis le début du chapitre 13), dont l'intérêt théologique est pour le moins limité (l'unique allusion du livre à une résurrection du Christ, à contresens de sa logique générale, v. 20, n'en ferait pas partie), mais qui ne justifie nullement ce qu'il présuppose sur le reste du texte -- en particulier sa datation "haute", avant 70.
Outre que le corps de l'épître aux Hébreux (dont j'excepte tout le chap. 13, ce qui n'exclut pas que les v. 19ss y soient un ajout supplémentaire) ne parle pas du temple de Jérusalem, contemporain ou pas, mais de la "tente" dans le commentaire d'un texte (la Torah, cf. supra 23.3.2020), sa datation est solidaire de celle de l'ensemble des textes du NT (en tout cas des plus "anciens", ceux qui n'ont pas de "précédents" évidents dans une datation relative: ainsi les premières épîtres de Paul, p. ex. la correspondance corinthienne), et de l'idée générale qu'on se fait de l'émergence d'un "christianisme". Entre les années 70 et 130 (correspondant pour partie aux deux "guerres juives") il apparaît clairement que ce qui reste du "judaïsme" se fédère autour de deux noyaux opposés, la synagogue pharisienne et l'Eglise chrétienne, judéo-païenne, toutes deux "messianiques" à leur façon mais avec des idées fort divergentes du "Messie" / "Christ". Il est bien évident que ces deux tendances ne sont pas sorties de nulle part en 70, mais leur "préhistoire" nous reste obscure: "Paul" à lui seul n'explique pas la large diffusion d'un culte judéo-païen de "Christos" (voire de "Christos Ièsous") dans le monde hellénistique, en marge de la diaspora juive, mais un Jésus galiléen crucifié à Jérusalem dix ans plus tôt ne l'expliquerait pas davantage; ce n'est pas chez Philon d'Alexandrie, dont "Paul" serait en partie contemporain selon sa datation usuelle, et qui présente une parenté littéraire et philosophique certaine avec l'épître aux Hébreux, qu'il faut en chercher l'origine, car Philon ne s'intéresse absolument pas au "Messie / Christ" ni à l'eschatologie en général (tout comme les "sadducéens" de l'aristocratie sacerdotale du temple de Jérusalem jusqu'en 70). Il y a à coup sûr dans l'épître aux Hébreux une adaptation originale d'une pensée de type alexandrin à un milieu de type paulinien, partageant le même culte de "Christos-Ièsous" (ce qui a rendu le nom d'Apollos séduisant, d'après ce qu'en disent les Actes), mais pas grand-chose de positif qui permette de la dater. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 13 Jan 2023, 11:55 | |
| J'espère que ce n'est pas une redite.
"Or la foi, c'est la réalité de ce qu'on espère, l'attestation * de choses qu'on ne voit pas. C'est par elle que les anciens ont reçu un bon témoignage. Par la foi, nous comprenons que les mondes ont été formés par une parole de Dieu, de sorte que ce qu'on voit ne provient pas de ce qui est manifeste" (11,1-3).
La Sagesse divine devient donc en Héb. 1 le Christ créateur et rédempteur. La sagesse humaine devient en Héb. 11 la foi courageuse et pleine d'espérance. La Sagesse avec majuscule est au Christ ce que la sagesse avec minuscule est à la foi. C'était par la Sagesse divine que les Juifs devenaient sages et par la sagesse humaine qu'ils connaissaient la Sagesse divine. C'est par le Christ que les chrétiens deviennent croyants et par la foi qu'ils connaissent le Christ. Cette structure parallèle explique, à mon avis, le verset 3 a d'Héb. 11 qui est surprenant. Dans tous les autres exemples de ce chapitre, la foi est la vertu opérant l'acte exemplaire rappelé : ainsi la foi de Noé l'embarquant sur les ondes. Or, au verset 3, nous lisons : « C'est par la foi que nous comprenons que les siècles 6 ont été créés par la parole de Dieu. » Il est vraisemblable que dans la tradition recueillie ce fut par la Sagesse que Dieu créa tout l'univers, par la Sagesse divine, mentionnée une fois comme point de départ des exemples de sagesse humaine qui allaient suivre. Transférant les deux sagesses sur le Christ et sur la foi, le rédacteur fait de la création du monde une œuvre de la Parole de Dieu, donc du Christ et conçoit la foi comme moyen de connaissance : « C'est par la foi que nous comprenons... » Il faudrait avoir le temps de montrer combien la relecture chrétienne des listes sapientiales (ch. 11) et des spéculations sapientiales (ch. 1) est une activité créatrice et critique. L'exemple du verset 3 vient de nous montrer la différence entre la tradition et la rédaction ainsi que l'apport constructif de cette dernière. Deux détails vont nous indiquer dans quelle direction s'oriente l'effort critique du rédacteur. Comme il est chrétien, il n'oublie ni l'incarnation, ni la croix ; c'est pourquoi, il ajoute en Héb. 1, 3 « ayant accompli la purification des péchés », alors que la Sagesse divine ne se livrait jamais elle-même pour procurer aux hommes le pardon ». De même, à la suite d'Héb. 11, il tente de corriger ce que la foi, sous l'influence de la sagesse, risquait d'avoir de trop vertueux, de trop anthropocentrique par sa mention du Christ au début du ch. 12. Jésus-Christ, dernier témoin et martyr de la liste, est en fait beaucoup plus qu'un exemple. N'est-il pas « le chef et le réalisateur de la foi » ?
https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=rtp-003%3A1968%3A18%3A%3A452
* Notes : Hébreux 11:1 – attestation ou démonstration, voire conviction. – qu’on ne voit pas v. 3,7,27 ; cf. Rm 8.24s ; 1Co 13.12 ; 2Co 4.18 ; 5.7.
Quel est le sens du terme "démonstration" (peut-être avons déjà abordé la question), un sens de "démonstration" logique et implacable ?
* |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 13 Jan 2023, 21:42 | |
| Sur le texte de Bovon, voir supra 6.10.2022; et sur Hébreux 11,1, 12.3.2020 -- pour en rester à ce fil-ci, car nous sommes trop souvent revenus sur ce verset à cause de son pire contresens moderne, particulièrement fréquent dans les milieux fondamentalistes et sectaires, celui qui consiste à définir la "foi" (comprise au sens "objectif", fides quae creditur, ce qu'on croit, croyance ou doctrine) comme résultat ou produit d'une "démonstration" rationnelle, scientifique ou empirique.
"Démonstration" traduit elegkhos (prononcer elenkhos, si l'on tient à prononcer quelque chose), qui est un des mots-clés de la rhétorique grecque: par quoi il faut penser au contexte judiciaire plu(s)tôt qu'au politique, au philosophique ou au religieux. C'est la preuve ou l'évidence produite par le discours (y compris les témoignages le cas échéant, mais aussi le raisonnement logique) qui convainc le coupable de son crime, le menteur de son mensonge, et par la même occasion persuade les juges et entraîne le verdict. Avec lui toute discussion, en principe, est close. Cf. le verbe elegkhô employé plus largement dans le registre de la réprimande et de la discipline (Matthieu 18,15; Luc 3,19; Jean 3,20; 8,9.46; 16,8; 1 Corinthiens 14,24; Ephésiens 5,11.13; 1 Timothée 5,20; 2 Timothée 4,2; Tite 1,9.13; 2,15; Hébreux 12,5; Jacques 2,9; Apocalypse 3,19; elegxis 2 Pierre 2,16, Balaam par son ânesse), mais toujours avec la même idée de "convaincre quelqu'un de quelque chose", faute, péché, erreur, mensonge, comme par une évidence irréfutable.
Toutefois dans Hébreux 11,1 l'elegkhos est construit en parallèle avec un autre attribut du sujet (le sujet étant pistis = foi): hupo-stasis ou "hypostase" (comme plus tard pour les "personnes" de la Trinité, en grec), ce qui se latiniserait exactement en sub-stantia, sub-stance, ce qui se tient dessous, le sujet = subjectum, cf. sous-jacent, substrat, substructure, etc.. "La foi est (quoi ?) A: la sub-stance des choses espérées, A' l'évidence des invisibles." En ce sens la foi (telle que la comprend l'auteur) n'est pas seulement un "moyen de comprendre" quelque chose, comme une faculté cognitive (qui en tant que telle serait effectivement très inférieure à une connaissance), ni un "moyen de (nous) faire comprendre", comme un signe, un indice ou une preuve, trace dans ce monde d'un au-delà du monde: elle est cela même qu'il y a à comprendre (comme l'intelligible platonicien) à même le monde des ombres sensibles. (Revoir éventuellement la discussion de 2020 à laquelle je viens de renvoyer, chez moi elle est à la p. 2.) |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mar 21 Fév 2023, 11:41 | |
| " Et encore, quand il introduit le premier-né dans le monde, il dit : Que tous les anges de Dieu se prosternent devant lui ! Pour les anges, il dit : Il fait de ses anges des esprits, de ses serviteurs un feu flamboyant. Mais pour le Fils : Ton trône, ô Dieu, est établi pour toujours, le sceptre de ton règne est un sceptre d'équité.Tu as aimé la justice et tu as détesté le mal ; c'est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t'a conféré une onction d'huile d'allégresse, à toi plus qu'à tes compagnons.Et encore : C'est toi, Seigneur, qui as fondé la terre au commencement, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains ; Ils disparaîtront, mais toi, tu demeures ; ils s'useront tous comme un vêtement ; Tu les rouleras comme un habit, et ils seront changés comme un vêtement, mais toi, tu es le même, et tes années ne finiront pas. Et pour lequel des anges a-t-il jamais dit : Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied" (1,6-13). Même si une interprétation incarnationnelle de la chaîne de He 1 serait utile à notre étude de la christologie d’Hébreux, ce n’est ni le seul passage ni, en fin du compte, le passage le plus important. Qu’on lise la chaîne en He 1 comme recelant ou non une affirmation de l’incarnation, le fait est qu’elle souligne avec force la phase finale du processus d’incarnation et de retour au statut céleste, comme l’indiquent nettement les citations scripturaires à la fin de la chaîne. La première d’entre elles, aux versets 8-9, à savoir Ps 44,7 (LXX), affirme que le trône du Fils est éternel ; le Fils y est apparemment appelé « Dieu ». La suivante, aux versets 10-12, consiste en une longue citation du Ps 101 (LXX), où le caractère éternel du Fils exalté est mis en évidence : il était présent lors de la création, contrairement aux cieux il est pour toujours « le même » (v. 12 : su de o autos ei), une affirmation à laquelle la fin de l’homélie fait écho (13,8 : Ièsous Kristos ekthès kai sèmeron o autos). La dernière citation, tirée de Ps 110,1, invite le Fils à prendre possession du trône céleste jusqu’à l’élimination, vraisemblablement eschatologique, de ses ennemis. Même si l’on ne peut pas en dire autant de la totalité de la chaîne. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2014-3-page-293.htm Quel dommage toutefois que ce genre de question détourne précisément du texte, où le connaisseur des traditions juives et même musulmanes reconnaîtrait sans peine dans le "Fils" offert à la prosternation (hommage, culte) des anges non pas "Dieu" mais "l'Homme", cet Adam premier-et-dernier évoqué (quelle coïncidence !) à l'article précédent, cette "image-de-Dieu" devant laquelle le "Satan", précisément, aurait refusé de s'incliner... (cf. Vie ["latine", mais aussi arménienne ou géorgienne]d'Adam et Eve, xiiss; Sourate xii, 4ss etc.). Ce qui est opposé aux "anges" dans cette enfilade de citations n'est pas la supériorité pour ainsi dire "naturelle" de "Dieu", mais bien celle, paradoxale, de "l'homme" -- ce qui devient tout à fait explicite dans la dernière de la série (ii, 5ss): Car ce n'est pas à des anges qu'il a soumis le monde à venir dont nous parlons. Mais quelqu'un a rendu quelque part ce témoignage: "Qu'est-ce que l'homme, pour que tu te souviennes de lui? Qu'est-ce que le fils d'homme, pour que tu t'occupes de lui? Tu l'as fait un peu inférieur aux anges, tu l'as couronné de gloire et d'honneur, tu as tout mis sous ses pieds." https://etrechretien.1fr1.net/t708-adorer-ou-rendre-hommage-a-jesus-hebreux-16Dans le scénario que propose l'auteur qui sont ces "ennemis" et quel moment se situe cette soumission ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mar 21 Fév 2023, 13:19 | |
| Sur l'article d'Attridge, voir ici 24.2.2020.
Pour rappel, le Psaume 110 (109 LXX) est le plus cité du NT, dans des sens très différents, et il ne faut pas confondre tous les usages qui en sont faits: en 1 Corinthiens 15 le sens est clairement "eschatologique", même si l'eschatologie est entamée par la résurrection du Christ, et le "dernier" (eskhatos) des "ennemis" est identifié (à "la mort", ho thanatos, masculin). En Hébreux 1,13 il s'agit de montrer la supériorité du Fils sur les anges, ici par son statut permanent (assis à la droite) opposé au caractère pour ainsi dire ponctuel et fonctionnel des "anges" ("envoyés", selon le sens de ml'k = aggelos comme des "esprits" = "vents", selon le Psaume 104,4, rwh = pneuma), au service des "héritiers" du salut (qui du coup leur sont aussi supérieurs, avec le Christ homme et fils d'homme qui est leur frère, cf. la suite au chap. 2); en 10,13 le langage paraît eschatologique parce qu'il est question d'attendre (sens courant d'ek-dekhomai), et il provient certainement du "fonds commun" du christianisme primitif où l'interprétation eschatologique du Psaume 110 est dominante, sinon exclusive. Mais la perspective très particulière (médio-platonicienne) de l'épître aux Hébreux détourne ce langage dans un autre sens, puisqu'au fond pour lui il n'y a rien à "attendre", sinon l'accès à l'éternel qui est déjà ouvert par la mort du Christ, immédiat dans la "foi", et déjà au-delà de toute "fin du monde" (non seulement de la terre, mais aussi du ciel; on ne relira jamais assez). On peut bien appeler ça une perspective eschatologique, dernière au sens absolu, mais c'est tout sauf un "scénario" enchaînant des événements dans une succession temporelle (ça c'est ou c'était le "monde" des "ombres"). D'"ennemis" il n'est question que dans les deux citations du Psaume, l'auteur d'Hébreux ne cherche nullement à les identifier... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 17 Aoû 2023, 10:02 | |
| Consummatum est, ou la kénose de la parole
Comme les Pères conciliaires le feront après lui, Jean de la Croix trouve dans le prologue de l’Épître aux Hébreux (He 1,1-2) un appui néotestamentaire à cette idée d’une Révélation close : « Et c’est le sens du texte par lequel saint Paul veut induire les Hébreux à se retirer de ces premières manières et façons de traiter avec Dieu selon la loi de Moïse, et à jeter seulement les yeux sur le Christ, disant : Ce que Dieu, autrefois, a dit à nos pères par ses prophètes en maintes sortes et manières, maintenant, en ces derniers jours, il nous l’a dit en son Fils tout en une seule fois[26] ». Ayant rappelé ainsi l’affirmation inaugurale de l’Épître aux Hébreux, le Docteur de l’Église la commente de la manière suivante : « En quoi l’Apôtre donne à entendre que Dieu est demeuré quasi muet et qu’il n’a plus rien à dire, parce que ce qu’il disait alors par parcelles aux prophètes, il l’a tout dit en lui, en nous donnant le Tout, qui est son Fils[27] ». Pour Georges Morel, « la doctrine de saint Jean de la Croix est ici […] d’une netteté admirable : elle est d’ailleurs conforme à l’Évangile et à la théologie paulinienne, notamment au célèbre prologue de l’épître aux Hébreux[28] ». Vraiment ? À la lettre, il faut plutôt souligner que « la doctrine de saint Jean de la Croix » n’est pas tout à fait conforme au prologue de l’Épître aux Hébreux, que le Docteur de l’Église cite de travers, comme ces étudiants peu scrupuleux ou pressés par les échéances qui trafiquent les citations en mêlant leurs propres mots à ceux des auteurs qu’ils invoquent. En effet, si Jean de la Croix cite bel et bien l’Épître aux Hébreux quand celle-ci affirme que « ce que Dieu, autrefois, a dit à nos pères […] maintenant, en ces derniers jours, il nous l’a dit en son Fils » (He 1,1-2), c’est Jean de la Croix qui ajoute subrepticement « tout en une seule fois ». En ajoutant la clausule « une seule fois » au Prologue, Jean de la Croix ne sort pas totalement de la logique de l’Épître aux Hébreux, qui insiste sur l’unicité et la singularité de l’événement Jésus-Christ. L’auteur de l’Épître cherche à montrer que le Christ, à la différence du prêtre ordinaire, n’a pas besoin de réitérer son sacrifice :
Ce n’est pas, en effet, dans un sanctuaire fait de main d’homme, simple copie du véritable, que Christ est entré, mais dans le ciel même, afin de paraître maintenant pour nous devant la face de Dieu. Et ce n’est pas afin de s’offrir lui-même à plusieurs reprises, comme le grand prêtre qui entre chaque année dans le sanctuaire avec du sang étranger. Car alors il aurait dû souffrir à plusieurs reprises depuis la fondation du monde. En fait, c’est une seule fois, à la fin des temps, qu’il a été manifesté pour abolir le péché par son propre sacrifice. Et comme le sort des hommes est de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement, ainsi le Christ fut offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude et il apparaîtra une seconde fois, sans plus de rapport avec le péché, à ceux qui l’attendent pour le salut (He 9,26-28).
Mais Jean de la Croix n’ajoute pas simplement « une seule fois », il écrit que Dieu a dit en son Fils « tout une seule fois » (todo de unía vez). Cette référence à la totalité revient d’ailleurs dans le commentaire que Jean de la Croix propose du prologue de la Lettre aux Hébreux quand il précise qu’en nous donnant son fils, Dieu nous a donné le « Tout ». Et c’est pourquoi Tout (nous) a été donné, qu’il ne lui reste plus rien, ou qui lui reste le rien : Dieu a tout dit, Il ne lui reste plus rien à dire, si bien qu’Il est maintenant « quasi muet ».
En introduisant subrepticement l’idée de la totalité dans la citation biblique et en y insistant encore dans son commentaire, Jean de la Croix déplace un peu la perspective précédemment ouverte quant au rapport entre l’ancienne et la nouvelle alliance : il ne s’agit plus alors de la distinction entre le régime du signe et le régime d’une Parole énoncée clairement, il s’agit de la distinction entre une révélation partielle et une révélation totale. Cette révélation est totale en ce qu’elle constitue une entité close, autosuffisante, complète. Elle l’est également parce qu’en Jésus, la Parole n’a pas seulement été entendue, elle a été vue. Donc, circulez ! Il n’y a plus rien à entendre, plus rien à voir. Dieu a dit le Tout, il a tout dit en Jésus-Christ. Il est maintenant muet. Comme mort. Disant cela, je vais plus loin que Jean de la Croix lui-même. Mais lui-même — j’insiste encore — va plus loin que l’auteur de l’épître aux Hébreux, non seulement en trafiquant le texte biblique, mais en lui faisant dire davantage et autre chose que ce qu’il dit. Il en est d’ailleurs parfaitement conscient, car il écrit que « l’Apôtre donne entendre[29] » que Dieu n’a plus rien à dire : affirmer qu’il « donne entendre », c’est reconnaître qu’il ne le dit pas vraiment… De fait, l’auteur de l’Épître aux Hébreux affirme simplement que Dieu a dit en Jésus ce qu’Il avait déjà dit partiellement aux prophètes. Jean va un peu plus loin : « Il affirme […], que Dieu nous a donné, purement et simplement, Tout. Dieu ne garde rien par-devers Lui, mais donne tout ce qu’il a, sans réserves. Dieu est pauvre, il ne lui reste plus rien[30] ».
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2011-v67-n1-ltp5003005/1005570ar/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 17 Aoû 2023, 12:12 | |
| Merci pour cet excellent article de l'excellent François Nault, qui intéresserait beaucoup d'autres discussions récentes et anciennes, sur le " dernier dieu", la " révélation", la " tradition", la " transfiguration", le silence, et j'en passe, encore plus que celui-ci, puisque le Prologue de l'épître aux Hébreux n'y intervient guère que pour ce que saint Jean de la Croix y ajoute ( todo de una vez, selon ce texte espagnol peut-être modernisé; mais saint Jean de la Croix mérite d'être lu pour lui-même, ce texte étant d'ailleurs au départ un commentaire sur le fameux poème de la "nuit obscure", noche oscura). Sur le "une fois (pour toutes)" de l'épître aux Hébreux, spécialement 9,26ss, voir aussi ici -- et là, car le refus de la "repentance" s'inscrit dans celui de la répétition en général, selon la logique médio-platonicienne de l'une-fois-éternel... Le paradoxe de la prosopopée (quand Dieu ne parle plus, il faut le faire parler, ne fût-ce que pour dire qu'il ne parle plus) dans le texte de Jean de la Croix est délicieux -- par coïncidence, je revoyais hier Ohayo (= Bonjour) de Ozu, où les enfants qui ont décidé de garder le silence s'aperçoivent que c'est très compliqué de ne rien dire... Cela rappellerait aussi le récit talmudique que nous avons évoqué plusieurs fois ces derniers temps (p. ex. ici, 14.6.2023), des rabbins qui déclarent irrecevables des miracles et autres manifestations ou paroles divines dans une discussion sur la Torah: la Torah nous a été donnée, elle est sur terre, c'est à nous de l'interpréter, le ciel n'a plus à s'en mêler -- ce qui fait rire Dieu qui s'avoue vaincu par ses enfants, mais pour ça aussi il faut le faire parler (prosopopée). Nault ne le dit pas parce qu'il s'inscrit dans le cadre d'une discussion catholique, mais cette logique de la "révélation close" est aussi vieille que la "révélation" elle-même. Certes les textes du "Nouveau Testament" opposent leur "maintenant" d'"après Jésus-Christ" à un "avant Jésus-Christ", judaïsme, loi, ancienne alliance ou Ancien Testament, etc. Mais aussi loin qu'on remonte dans l'"Ancien Testament" lui-même on la retrouve. Non seulement, comme on l'a souvent noté, dans le Trito-Isaïe ou dans les Psaumes qui interrogent l'inaction ou le silence présents de Yahvé (pourquoi ne parles-tu pas, n'agis-tu pas, ne te manifestes-tu pas comme autrefois ?), mais aussi, dès le Deutéronome par exemple, par l'interdiction d'ajouter ou de retrancher, aussitôt démentie par la suite même, du texte et du canon qui continuent, y compris à faire agir et parler Yahvé... "Dieu" a toujours déjà tout dit, il n'a jamais rien dit d'autre, et on ne peut pas le faire taire... |
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