| | méditations islamiques | |
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Auteur | Message |
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free
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| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 17 Déc 2015, 16:24 | |
| - Citation :
- Tout autre est la situation des "communautés" musulmanes dans les Etats occidentaux, auxquelles ceux-ci peuvent imposer un strict confinement de "l'islam" à la sphère "religieuse" et "privée" selon leurs propres critères de partage (énième mouture du principe cujus regio ejus religio, chacun organise son territoire selon ses règles, que l'islam avait su appliquer bien avant les "guerres de religion" occidentales, en distinguant entre "terre d'islam" et "terre étrangère"). L'islam en pareil cas se déjuridise naturellement, comme le judaïsme en diaspora. Dans la mesure où (p. ex.) les musulman(e)s comme les catholiques se marient et divorcent en France selon un droit laïque et égalitaire, le caractère "normatif" de la législation islamique ou du droit canon perd de facto tout caractère contraignant et devient un objet d'étude et d'interprétation relativement abstrait -- dépourvu en tout cas de toute conséquence concrète nécessaire. Mais cela n'est pas exportable ailleurs, là où le souverain (qu'il s'agisse d'un "prince" ou d'un "peuple") entend fonder sa loi sur l'islam.
Narkissos, Un grand merci pour cette analyse pertinente et nuancée (on devrait t'inviter sur les plateaux TV). - Citation :
- Si l'on veut s'y faire entendre, il faut oser parler et inventer "au nom de Dieu" (bi-smi-llâh) -- et donc au risque du sacrilège ou du blasphème: toute "prophétie" court ce risque qui fait dire à la divinité autre chose que (= qui ne se contente pas d'"interpréter") ce qu'elle a déjà dit. D'où la question théologique cruciale de la clôture de la révélation (sur laquelle, jusqu'ici, je n'ai rien remarqué de très net dans le Coran).
Pourquoi la question de l’interprétation du Coran apparaît-elle aussi centrale et urgente dans les débats sur l’ancrage de l’islam dans la modernité ?
Avant tout parce qu’elle est nouvelle. L’islam souffre d’un déficit de plusieurs siècles durant lesquels la non-interprétation du Coran a prévalu. Alors que l’exégèse coranique a été d’actualité tout au long de son histoire première. Pour adapter l’islam à notre temps, il nous faut retrouver la créativité des anciens. Cette nécessité a été ressentie avec la même urgence par les intellectuels qui ont suscité la Nahda, le réveil de la pensée musulmane, à la fin du XIXe siècle. Il faut, à chaque période, forger les outils de réflexion appropriés aux enjeux contemporains, dans un double mouvement d’adaptation et d’accommodation : adapter le Coran à la modernité et lire la modernité en fonction de ce que dit le ... http://www.scienceshumaines.com/adapter-le-coran-a-la-modernite_fr_23302.html Une telle déconstruction remettrait d'abord en cause l'idée très répandue selon laquelle les premières générations de musulmans, les "pieux anciens" (as-salaf as-sâlih), avaient une meilleure connaissance et une meilleure application des préceptes de l'islam. En effet, les premiers musulmans qui avaient en charge de mettre en application ce qu'ils comprenaient de l'islam ne pouvaient le faire que dans le cadre des systèmes cognitifs et sociaux à leur disposition. Leurs solutions étaient dictées par des impératifs qui ne sont plus les nôtres. S'y conformer aujourd'hui revient en définitive à couper le lien entre la religion et la vie. En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/savoirs-et-connaissances/article/2007/10/11/l-islam-aujourd-hui-face-a-la-modernite-par-abdelmajid-charfi_965794_3328.html#Td8vGD0gwpWZkEDR.99 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12269 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 17 Déc 2015, 20:12 | |
| La Nahda musulmane a eu un pendant (et un précédent) dans la Haskala juive, intégration des "Lumières" européennes (et américaines) qui a commencé dès le XVIIIe siècle en Europe et s'est étendue aux communautés juives d'Afrique du Nord au XIXe (avec la colonisation) -- du reste la Nahda est elle-même consécutive à la Campagne d'Egypte (de Bonaparte). Ces mouvements étaient tributaires d'une confiance générale (voir aussi des gens comme Tagore en Inde) en la "modernité" (occidentale) que le XXe siècle a largement ruinée (par la Shoah aux yeux du judaïsme, par la répression coloniale et le sionisme aux yeux de l'Islam) -- excepté dans une "élite" intellectuelle qui était aussi une "classe dominante" au point de vue socio-économique, et souvent politique, et qui est devenue extrêmement suspecte aux yeux des "communautés" et des "peuples" concernés. D'où le succès populaire (et donc démocratique) de leur antithèse, les "fondamentalismes" anti-modernes. -- L'Occident n'est d'ailleurs pas moins atteint par cette "crise de la modernité" qui est aussi une crise de confiance envers les "élites" dépositaires de l'héritage rationaliste et scientiste des XVIIIe et XIXe siècles: le succès sur son propre "territoire" des fondamentalismes chrétiens, des populismes politiques et des conspirationnismes en tout genre en est un symptôme flagrant. Seule la poésie, qui n'appartient à personne, me paraît capable (peut-être, paradoxalement, par ce qu'elle a d' intraduisible) de passer les frontières religieuses, politiques et sociales, bien plus que le débat "rationnel", exégétique, juridique ou herméneutique. Elle est en islam -- et peut-être partout -- l'expression privilégiée de la mystique. --- C'est l'occasion de revenir sur le rapport profond entre deux traits qui ont été relevés séparément à la p. 1 de ce fil -- entre le "fond" abyssal (autrement dit le sans-fond) de la prédication coranique, la "grâce" ( rahma) absolument arbitraire du "Dieu" unique, toujours créateur et toujours destructeur, et sa "forme" incroyablement répétitive, où le style poétique se loge dans l'in-fini des variations (on serait tenté de parler d'arabesques) sur le même thème. Pour le dire simplement quoique paradoxalement, voilà ce qui arrive quand on n'a qu'une seule chose à dire et qu'on ne peut rien en dire (ce qui n'est pas sans rappeler la conclusion énigmatique de Tractatus de Wittgenstein: ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire). "Dieu" est "l'Inconnaissable", et "Mahomet" (ou l'ange Gabriel) ne prétend pas connaître ni faire connaître l'inconnaissable. Ce qui est dit est comme le rayonnement divergent d'un foyer in-visible, obscur parce qu'éblouissant, aveugle parce qu'aveuglant. Comme chez Platon, l'image solaire s'impose d'autant qu'elle est explicitement niée ou surmontée. Ce type de discours, par sa modestie même, fournit des armes redoutables au moralisme, au légalisme, au ritualisme, à l'exotérisme contre la "mystique": plutôt que de fixer la (source de) lumière in-visible au risque de s'en aveugler, il faut se concentrer sur ce qu'elle éclaire -- et ce qu'elle éclaire, ce n'est pas une "doctrine théologique" positive comme dans le christianisme "ecclésiastique", du corpus paulinien à l'élaboration trinitaire (où l'on a plein de choses à dire sur "Dieu"), mais exclusivement une "pratique" (et en cela l'islam rejoint le judaïsme phariséo-rabbinique et le judéo-christianisme anti-paulinien, par exemple celui de Matthieu ou de l'épître de Jacques: c'est ce qu'on fait qui compte; cf. aussi ceci). Toutes les propositions du Coran sur "Dieu" sont négatives, autant que celles de la "théologie négative" du moyen-âge chrétien, soit formellement (dans leur syntaxe: pas d'[autre] dieu, pas d'image, pas d'enfant, pas d'associé, etc.) soit "au fond" (parce que le lexique apparemment "positif" désigne des concepts négatifs: l'un c'est le non-multiple, la grâce la non-nécessité, la justice la non-faveur, etc.). |
| | | free
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| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 18 Déc 2015, 12:32 | |
| - Citation :
- Ce type de discours, par sa modestie même, fournit des armes redoutables au moralisme, au légalisme, au ritualisme, à l'exotérisme contre la "mystique": plutôt que de fixer la (source de) lumière in-visible au risque de s'en aveugler, il faut se concentrer sur ce qu'elle éclaire -- et ce qu'elle éclaire, ce n'est pas une "doctrine théologique" positive comme dans le christianisme "ecclésiastique", du corpus paulinien à l'élaboration trinitaire (où l'on a plein de choses à dire sur "Dieu"), mais exclusivement une "pratique" (et en cela l'islam rejoint le judaïsme phariséo-rabbinique et le judéo-christianisme anti-paulinien, par exemple celui de Matthieu ou de l'épître de Jacques: c'est ce qu'on fait qui compte).
NarKissos, Je retiens deux phrases importantes de ton analyse, il est primordiale que l'on ai plein de choses à dire sur "Dieu" plutôt que de croire que c'est ce qu'on fait qui compte (c'esr un raccourci, je sais). La question suivante se pose : Le fanatisme est il une dérive de la pratique religieuse ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 18 Déc 2015, 13:04 | |
| - free a écrit:
- Je retiens deux phrases importantes de ton analyse, il est primordiale que l'on ai plein de choses à dire sur "Dieu" plutôt que de croire que c'est ce qu'on fait qui compte (c'esr un raccourci, je sais).
A vrai dire, je n'entendais pas du tout choisir entre ces deux formules -- c.-à-d. entre 1) une "théologie" positive ou affirmative, systématique ou dogmatique, explicite ou bavarde (au nom de laquelle on a aussi beaucoup massacré par le passé) et 2) la "pratique" morale ou rituelle plus ou moins réglée par une "loi" religieuse. L'une et l'autre à mon sens peuvent passer à côté de "l'essentiel", comme on dit, mais la seconde a quelquefois le mérite de le faire délibérément, par respect pour "l'essentiel". Je serais plutôt partisan de courir le risque de l'expression "mystique" et "poétique": parler (ou écrire) quand même de ce dont on ne peut parler, mais en parler de manière -- tout est dans la manière -- à ne rien en dire, ou du moins à ne rien en dire qui tienne ou qui reste en se suffisant à soi-même; rien qui fasse "système", doctrinal, éthique ou juridique. Cela implique un travail ou un jeu de la contradiction, de l'affirmation et de la négation, qui doit se méfier continuellement des ruses (paradoxales ou dialectiques) de la contradiction elle-même, pour se défaire presque aussitôt qu'il se fait (l'image de l'écriture sur le sable, toute abusive qu'elle soit par rapport à son contexte évangélique, reste très éloquente). Ce travail-là est toujours déjà commencé et jamais fini: on en a toujours déjà trop dit et pas assez, ce qui a été dit doit encore et encore être corrigé et raturé, et on ne saurait le clore sans le continuer. A cet égard le dire répétitif et subtilement différencié du Coran, sa façon de dire toujours et jamais la même chose, son principe même d'"abrogation" des textes les uns par les autres (sans qu'on puisse jamais dire avec certitude ce qui abroge quoi), tout cela me paraît intéressant au-delà de ce qu'il "dit" effectivement. - Citation :
- Le fanatisme est il une dérive de la pratique religieuse ?
Une dérive, sans doute, dans la mesure où il confond le dire et le dit: le "fond", la "source" éternelle, et même le "cours" in-fini de la révélation religieuse, avec ses concrétions ou résidus historiques. C'est un "amour de Dieu" frustré de son "objet" (parce que celui-ci n'est précisément pas un "objet") qui se reporte sur les "objets" qui en restent (commandements, préceptes, traditions). Ironiquement, le "fanatisme" peut être lu comme un fétichisme et une idolâtrie, non pas tant parce qu'il s'attache à de tels objets, mais parce qu'il les charge d'un "sacré" qui ne reviendrait qu'à "Dieu". J'insiste néanmoins sur le fait que le Coran me semble a priori très peu propice à cette "pente", pour toutes les raisons que j'ai énoncées depuis le début de ce fil: ses préceptes sont ceux de la "piété consensuelle" du lieu et de l'époque, ils se veulent d'emblée minimaux -- c'est un repli sur le "monothéisme par défaut" du hanif, emblématiquement Abraham, en-deçà des "suppléments" que sont à ses yeux la Torah de Moïse et l'Evangile de Jésus. Le Coran souligne à maintes reprises que la Torah juive est plus sévère (il reproduit d'ailleurs plusieurs fois, sans doute à son insu, le fameux argument d'Ezéchiel 20 sur les sacrifices des premiers-nés: c'est pour le châtier de son manque de foi ou d'obéissance qu'Allah aurait donné à Israël une "loi" particulièrement difficile). Du christianisme (tel qu'il le connaît) il se distingue plutôt (mais toujours en retrait) en matière de croyance que de pratique, et il reste totalement étranger à sa tendance "ascétique". Tout précepte religieux connaît des exceptions (plus larges que la piqquah nephesh rabbinique, et surtout inscrites dans le texte même du Coran et pas seulement dans une tradition secondaire): prier, jeûner, faire l'aumône ou le pèlerinage, c'est toujours si on peut et comme on peut. On est sur toutes ces questions de pratique religieuse aux antipodes d'un "fanatisme". Ce qui en revanche conduit facilement au fanatisme, et de la pire espèce, c'est le discours guerrier, surtout si on perd de vue ses limites. Le "combat" ( jihâd), même lorsqu'il est littéral, est d'abord défensif; et même quand il devient offensif il ne se propose pas de conquérir le monde ni de convertir qui que ce soit par la force -- les communautés explicitement mentionnées, juifs, chrétiens, zoroastriens, sabéens, doivent demeurer jusqu'au jugement dernier où "Allah les informera de ce sur quoi elles s'opposent" -- une autre phrase qui revient très souvent, c'est (en substance) "si Allah l'avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté". La préservation de nombreuses communautés religieuses, notamment juives et chrétiennes, en "terre musulmane" (de la péninsule ibérique à la Perse) depuis l'hégire témoigne que ce principe, dans l'ensemble, a plutôt bien résisté à ses perversions. Le "problème" tient au fait que "l'énergie" du "principe" religieux fondamental, de la "confession-témoignage" centrale ( shahada) du Dieu créateur, destructeur et re-créateur, et son rapport particulièrement immédiat à la mort (le shahid, comme le martus grec, peut être le "témoin" et le "martyr"), peut être en pratique canalisée au profit de n'importe quel programme politique -- mais cela vaut, malheureusement, de tous les "principes", et pas seulement religieux. ---- Il est remarquable que la shahada principielle (et, semble-t-il, originale, puisque "Mahomet apôtre-envoyé [ rasul] d'Allah" passe pour une addition ultérieure) consiste en une double négation -- pas de dieu sinon dieu, sans rien qui différencie formellement un "dieu" de l'autre -- profession d' athéisme nécessaire et préalable à celle du (mono-)théisme. On peut d'ailleurs en dire autant du deutéro-Isaïe, hormis la concision de la formule. Monothéisme ou monolâtrie ? On pourrait hésiter dans la mesure où les dieux (ou les "associés", šariq, notion qui rappelle encore le deutéro-Isaïe: personne avec moi, cf. 43,11; 44,6.8; 45,5s.14.21s; 46,9) tantôt ne sont rien (ne font ni bien ni mal, cf. Isaïe 41,23; 44,10; 45,20), tantôt existent assez pour se désolidariser de leurs adorateurs à l'heure du jugement, comme des "égarés" qui en ont égaré d'autres. Mais, là encore, ce flottement se retrouverait, sinon dans le deutéro-Isaïe, à coup sûr dans l'AT. Quelquefois (p. ex. xxxiv) ce sont les djinns qui représentent la part de "réalité" des "faux dieux" (ou des "associés"), comme les "démons" dans le Deutéronome ou 1 Corinthiens 10. Etonnante (et belle) idée que celle de la prière de Dieu, xxxiii,42/3 (cf. 56/7): "C'est Lui qui prie sur vous ainsi que Ses Anges, pour vous faire sortir des Ténèbres vers la Lumière. [C'est lui] qui est miséricordieux envers les Croyants." Surtout quand on la rapproche du fréquent rejet de l'intercession (qui a aussi des parallèles bibliques, p. ex. Jérémie 7,16; 11,14; 14,11 et 1 Jean 5,16), notamment (mais pas seulement) à l'heure du jugement. -- A propos de la "désolidarisation" générale en cette heure, je relève la fomulation terrible de xxxi,32/3: "Craignez un jour où nul père ne vaudra pour son enfant et où nul enfançon ne vaudra rien pour son père." Si les versions coraniques de la "chute" (ou descente, voir supra) de l'Eden ignorent le thème-clé du "vol" de la connaissance (du moins je ne l'y ai pas trouvé jusqu'ici), cette lacune trouve peut-être une compensation en xxxii,72: "Nous avons proposé la confiance ( al-'amanata, cf. hébreu 'amen, 'emouna) aux cieux, à la terre et aux montagnes. Ils ont refusé de s'en charger et s'en sont effrayés, alors que l'Homme s'en est chargé, car il est injuste et ignorant de toute loi." Ici ce qui différencie (dangereusement) l'homme (du reste) de la création, ce n'est pas exactement la "connaissance", ce serait plutôt la responsabilité d'un rapport indirect (de foi-fidélité) au Créateur qui implique à la fois distance et jugement (il faut pouvoir être, dans une certaine mesure, "sans Dieu" pour avoir à "Dieu" un rapport de "foi-fidélité"). -- Le trait rappelle par ailleurs la légende rabbinique selon laquelle Dieu aurait proposé en vain la Torah à toutes les (70) nations et seul Israël l'aurait acceptée. Autre relativisation de la "supériorité humaine" en xl,59/7: "Créer les cieux et la terre est certes plus grandiose que créer les Hommes, mais la plupart des Hommes ne savent point." |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 06 Jan 2016, 19:43 | |
| Je reprends (toujours dans le plus grand désordre thématique) mes notes au fil de la lecture du Coran. La "désolidarisation" générale au jour (ou à l'heure) du Jugement (voir supra) atteint le corps même des réprouvés en xli,19/20ss: "... leurs oreilles, leurs regards, leurs peaux témoigneront contre eux de ce qu'ils faisaient. Et ils demanderont à leurs peaux: 'Pourquoi avez-vous témoigné contre nous ?' [Leurs peaux] répondront: 'Allah nous a donné la parole, [Lui] qui donna la parole à toute chose, Lui qui vous créa une première fois et vers qui vous serez ramenés. [Sur terre] vous ne pouviez vous cacher [au point] que ni vos oreilles, ni vos regards, ni vos peaux ne témoignassent contre vous [à la résurrection]. Vous pensiez toutefois qu'Allah ne connaîtrait pas un grand nombre de vos actions. Cette pensée qui était en vous, sur votre Seigneur, vous a perdus et vous vous trouvez parmi les Perdants." (Ailleurs ce sont les anges qui inspectent et écrivent les œuvres de chacun dans des livres-rôles qui seront présentés aux intéressés au Jugement dernier, cf. Apocalypse 20.) Blachère signale que cette idée du corps-témoin est d'origine talmudique, sans donner de référence. Dans la Bible hébraïque on peut penser à des expressions similaires, quoique d'un sens assez différent (Isaïe 3,9; Osée 5,5; 7,10). Ce texte renvoie aussi, par sa façon de prendre à la lettre le "témoignage" (au sens verbal), à la notion ancienne de l'universalité potentielle du langage, dont nous avons déjà parlé ici: que "nos" corps mêmes se mettent à parler de "nous" sans "nous", voire contre "nous", voilà qui pourrait donner à penser. -- Variante en l,15/16ss: "Certes, Nous avons créé l'Homme. Nous savons ce que lui suggère son âme. Nous sommes plus près de lui que sa veine jugulaire lorsque recueillent [son discours] les deux [Anges] Recueillants, assis à droite et à gauche. L'Homme ne profère aucune parole [cf. Matthieu 12,36s !] sans que soit auprès de Lui un Observateur préparé. Vienne l'ivresse de la Mort, avec la Vérité ! Voilà, [Homme], ce dont tu t'écartais ! Qu'il soit soufflé dans la Trompe ! Voilà le Jour de la Menace ! Que chaque âme vienne avec un Conducteur et un Témoin ! Certes, tu étais dans l'insouciance de cela. [Mais] nous t'avons ôté ton voile et, aujourd'hui, ta vue est perçante." (Suit un dialogue entre l'ange-Témoin [à charge, façon "satan" de Job ou de Zacharie] qui rapporte les faits qu'il a constatés et le Conducteur qui décline toute responsabilité dans l'égarement du réprouvé.) Un autre point qui revient souvent et qui est également lié (qu'est-ce qui ne l'est pas dans le Coran ?) au Jugement dernier, c'est l'idée que Dieu a créé le monde "avec sérieux" et "non par jeu" (toujours selon la traduction de Blachère) -- et que pour cette raison même il doit y avoir jugement. Sous réserve du texte arabe qui est derrière ces expressions françaises, cela me fait penser à une formule du deutéro-Isaïe (45,18, qui consonne et contraste avec Genèse 1,2 par l'utilisation du même mot hébreu tohou[-et- bohou]: Yahvé n'a pas créé la terre "pour rien", "en vain", "au hasard" ou "pour [le] chaos"). Le monothéisme moral semble moins vulnérable à la contradiction interne qui résulte de son déterminisme absolu (Dieu jugerait des êtres que non seulement il aurait créés ex nihilo mais qu'encore il aurait dirigés ou égarés pas à pas) qu'à l'hypothèse dévastatrice que Dieu, la création, l'histoire, puissent ne pas être tout à fait "sérieux" -- qu'il puisse y avoir dans tout cela du jeu (au sens ludique, scénique, mécanique, etc.), de la légèreté, de la plaisanterie et du rire, comme il y en a depuis toujours chez les dieux. Ce qui renverrait à cet autre fil dont je regrette qu'il n'ait encore inspiré personne. :) -- A la réflexion toutefois, une part de jeu se réinscrit dans les multiples récits coraniques de jugements divins "historiques" en provenance de la tradition juive (le déluge de Noé, Abraham confondu [comme Saül] avec Gédéon dans le rôle de briseur d'idoles, Lot et Sodome, Moïse et Pharaon puis le veau d'or, Jonas et Ninive, etc.) ou arabe (les `Ad, les Tamoud, les Saba, tous réputés punis pour ne pas avoir écouté un prophète), où Allah détruit une génération impie et la remplace par une autre, avec la menace constante: il pourrait en faire autant de vous. Comme on l'a souligné précédemment, le schème création-destruction-résurrection/re-création a aussi pour effet de dé-réaliser le réel, de le rendre en un sens aussi factice et artificiel qu'une scène de théâtre. Le "sérieux" ne tient ici (et jamais, du reste) qu'à la perspective des acteurs ou des spectateurs (c'est de mon sort qu'il s'agit). Un autre motif rabbinique se retrouve dans la notion de "présence divine", "transcendance dans l'immanence" ( sakina manifestement emprunté à l'araméen shekina, qui a aussi curieusement fait son chemin jusque dans les publications de la Watchtower bien qu'il ne soit pas strictement "biblique"), p. ex. en xlviii,4: "C'est Lui qui a fait descendre la Présence Divine dans les cœurs des Croyants, afin qu'ils ajoutent une foi à leur foi". Cette dernière expression rappelle l'énigmatique formule paulinienne de Romains 1,17 (cf. 2 Corinthiens 2,16; 3,18 ); elle pourrait être éclairée en contexte coranique par l'image du serment qu'on trouve un peu plus loin dans la même sourate, v. 10: "Ceux qui te prêtent serment d'allégeance prêtent seulement serment d'allégeance à Allah, la main d'Allah étant [posée] sur leurs mains" -- ce qui suggère qu'Allah s'engage (malgré tout ce qui a été dit plus haut de la préservation jalouse de sa liberté dans la grâce) dans l'engagement de foi-fidélité du (bien-nommé) "fidèle". Il semble qu'en arabe comme en hébreu ou en araméen, la "foi" (de la même racine sémitique 'mn) reste indissociable de la "fidélité", davantage en tout cas qu'elle ne l'est en grec ( pistis): penser aux expressions médiévales comme "jurer sa foi" = "promettre fidélité". Petit détail: toute "fatigue" d'Allah après les six (ailleurs huit) jours de création est expressément niée (p. ex. l,37/8) -- mais on retrouve la même tension avec Genèse 1--2 dans le deutéro-Isaïe (40,25ss) |
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| Sujet: Re: méditations islamiques Mar 19 Jan 2016, 17:33 | |
| Pour l'Islam, Marie est un modèle Dieu est le seul point de référence pour les Musulmans. Mais Marie vient immédiatement à sa suite, car elle reflète sa sainteté. C'est pourquoi on peut considérer Marie comme une excellente source du dialogue entre chrétiens et musulmans. C'est la seule femme dont le nom figure 34 fois dans le Coran. Sa foi radicale et sa parfaite soumission à la volonté de Dieu en font le grand modèle du croyant. Parlant des musulmans, la déclaration Nostra Aetate de Vatican II s'exprime ainsi: « Ils honorent Marie, la mère virginale de Jésus, et souvent ils l'invoquent avec dévotion ». C'est pourquoi, les musulmans entreprennent souvent des pèlerinages aux sanctuaires mariaux, spécialement à Fatima. D'ailleurs le nom de Marie est fréquent chez les femmes musulmanes. D'après le Coran, un ange, par l'ordre de Dieu, annonça à Marie qu'elle donnerait naissance à un fils très pur. Le message troubla Marie. Toujours selon le Coran, elle donna naissance à Jésus, sous un palmier qui la nourrit miraculeusement. Elle était vierge et pure. Elle sauvegarda sa virginité et Dieu lui donna son Esprit, la faisant, elle et son fils, un signe pour les humains . On lit toujours dans le Coran que Marie « est préférée, purifiée et choisie par Dieu au-dessus de toutes les femmes de la terre ». Il est sûr cependant que certains points du Coran sur Marie diffèrent de la tradition chrétienne. C'est ainsi que le refus de la divinité de Jésus Christ chez les musulmans affecte leur vision de Marie. Il reste un fait positif, c'est que la tradition musulmane propose Marie comme un modèle pour le croyant de l'Islam. http://maranatha.mmic.net/Marie-Islam.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Mar 19 Jan 2016, 20:15 | |
| Détail: sous le même nom de "Mariam", il y a aussi une certaine confusion dans le Coran entre la soeur de Moïse et d'Aaron et la mère de Jésus (celle-ci étant notamment rattachée à Imran = Amram); cf. déjà l'apparentement avec la "sainte famille bis", sacerdotale et prophétique (Zacharie-Elisabeth-Jean), dans Luc, qui s'inspire de celle de 1 Samuel (Elqana-Hanna-Samuel). Rien d'étonnant bien sûr en contexte de tradition orale: il suffit de penser au nombre de personnages évangéliques qui se sont fondus dans la Marie-Madeleine du moyen âge.
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En arrivant au bout, je conseillerais peut-être au lecteur novice de commencer par la fin: les dernières sourates, très brèves (l'ordre canonique est grosso modo celui du volume décroissant, avec beaucoup d'irrégularités, comme c'est aussi le cas de certaines portions du canon biblique, p. ex. les épîtres pauliniennes) et d'expression poétique concise et imagée, "passent" beaucoup mieux en traduction que les longs développements fastidieux et répétitifs des premières (à l'exception de la toute première qui est aussi parmi les plus courtes et les plus connues), et elles sont souvent très belles. P. ex. xciii: "Par la Clarté diurne ! Par la Nuit quand elle règne ! ton Seigneur ne t'a ni abandonné ni haï. Certes, la [Vie] dernière sera meilleure pour toi que la [Vie] première ! Certes, ton Seigneur te donnera et tu seras satisfait ! Ne te trouva-t-Il point orphelin si bien qu'Il [te] donna un refuge ? Ne te trouva-t-Il point égaré si bien qu'Il [te] guida ? Ne te trouva-t-Il point pauvre si bien qu'Il [t']enrichit ? L'orphelin, ne le brime donc pas ! Le mendiant, ne le repousse donc pas ! Du bienfait de ton Seigneur, parle [à autrui] !" -- On notera au passage - la fréquence (supérieure, me semble-t-il, dans les dernières sourates) des adjurations "cosmiques" (par le Jour et la Nuit, le Soleil, la Lune et les étoiles, le Ciel et la Terre, les montagnes ou les lieux sacrés, la Mecque mais aussi le Sinaï ou le mont des Oliviers), qui "font" à la fois (à nos yeux, du moins aux miens) très "poétique", "polythéiste" et "biblique"; cf. aussi xci: "Par le Soleil et sa clarté ! Par la Lune quand elle le suit ! Par le Jour quand il le fait briller ! Par la Nuit quand elle le couvre ! Par le Ciel et Ce (sic) qui l'a édifié ! Par la Terre et Ce qui l'a étendue ! Par l'Âme (nafs = nepheš) et Ce qui l'a formée harmonieusement et lui a inspiré son libertinage et sa piété ! heureux celui qui aura purifié cette âme, malheureux celui qui l'aura abaissée !" - l'importance que prend la morale, en particulier sociale (ainsi dans l'énoncé des "deux voies" de la sourate xc, qui rappelle à la fois Matthieu et le trito-Isaïe: la "voie ascendante" et "droite", celle qui aboutit au jugement favorable de la main droite d'Allah, c'est "affranchir un esclave / ou bien, un jour de disette, nourrir / un orphelin proche parent / ou un pauvre dans le dénuement"). |
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| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 08 Fév 2024, 15:51 | |
| Rûmî, poète de l’amour mystique
Un poète soufi du XIIIe siècle
Mohammad Jalal al-dîn Balkhî, plus connu en Occident sous le nom de Rûmî, est un poète musulman du Moyen-Âge, de langue persane (farsi), qui vécut au XIIIe siècle au Moyen-Orient. Selon Leili Anvar, sa poésie toute entière découle d’une rencontre bouleversante avec un maître spirituel, Shams de Tabriz, qui fut comme une révélation. Rûmî, qui était déjà alors un religieux respecté, fut subjugué par cette rencontre qui lui inspira ses poèmes mystiques, depuis devenus des textes majeurs du soufisme.
Si Leili Anvar parle de « religion de l’amour », c’est qu’en effet l’amour est omniprésent sous la plume du poète. Un amour spirituel que Rûmî éprouvait pour son maître et, au-delà, pour Dieu lui-même. Il faut ici imaginer un amour enflammé, incandescent, qui transporte l’être tout entier. Aussi, le premier point de comparaison qui m’est venu, en lisant les poèmes de Rûmî, a été le Cantique des Cantiques, poème biblique où l’amour pour Dieu s’exprime avec la même ardeur. C’est dire que la relation à Dieu, loin d’être uniquement intellectuelle, se manifeste avant tout sous la forme d’un amour spirituel.
« Ô Bien-Aimé »
Aussi le champ lexical du sentiment amoureux est-il abondant dans ce choix de poèmes, notamment sous la forme de l’interjection « Ô Bien-Aimé » qui revient à plusieurs reprises et qui définit le registre de la louange. Le poème inscrit en tête de la préface de Leili Anvar est à ce titre caractéristique :
« Il est survenu, l’Amour Comme le sang, il coule dans mes veines Il m’a vidé de moi Il m’a rempli de l’Aimé L’Aimé a envahi Chaque parcelle de mon être De moi ne reste qu’un nom Tout le reste, c’est Lui »
Ce quatrain 325 (que la traduction étend sur huit vers) montre à quel point l’Amour divin emplit la totalité de l’individu. Il y produit une transformation, chassant ce qu’on pourrait appeler l’ego, les particularités individuelles bassement humaines, au profit du sentiment du divin. Dans la poésie mystique, s’exprime une relation personnelle, directe, avec Dieu. Leili Anvar, reprenant des expressions employées par Rûmî lui-même, parle de l’amour divin comme d’un feu qui embrase l’individu tout entier.
Et Shams de Tabriz répond à cet amour, à travers des poèmes qui nous sont restés :
« C’est toi que je veux Toi, tel que tu es Je veux un désirant Un assoiffé Un affamé L’eau pure recherche l’assoiffé »
La douleur de la séparation Leili Anvar raconte la grande détresse de Rûmî quand celui-ci dut affronter la disparition de son maître. Par ses explications, on comprend que cette disparition est, en somme, une énième leçon dispensée à l’élève. Rûmî écrivit de magnifiques poèmes où il dit la douleur de la séparation, dont plusieurs sont cités.
« Ô toi collyre de l’œil de l’âme, où donc es-tu parti ? Reviens »
La disparition de Shams dans le livre de Rûmî fait l’objet de magnifiques poèmes où s’exprime la douleur de la perte. On peut penser que cette disparition est en elle-même une leçon spirituelle : le maître s’éclipse volontairement, et oblige en quelque sorte à retrouver à l’intérieur de soi-même sa présence. Du moins est-ce comme cela que je l’ai compris, comme une leçon d’autonomie, consistant à apprendre à se passer du maître. Il me semble, quoique je n’en sois pas certain car je fais appel à des souvenirs anciens, que le Christ, de même, enseigne à ses apôtres, par sa mort, à ce que ceux-ci surmontent la douleur de la séparation physique pour poursuivre son oeuvre. Je me demande aussi s’il n’y a pas une leçon semblable dans le moment où Mentor, chez Fénelon, disparaît, laissant Telemaque puiser dans ses propres ressources.
Concision et intensité du quatrain
L’intérêt du choix de poèmes présenté par Leili Anvar réside aussi dans l’aperçu de la diversité des formes pratiquées par Rûmî. Cela va de quatrains, parfois traduits sur huit vers, qui offrent une expression très concise de cet amour mystique, jusqu’à des extraits longs de plusieurs pages, issus du Masnavî, longue œuvre de plus de 25000 distiques, et du Fîhi ma fîhi, transcription de propos oraux tenus par le maître soufi, ici traduits en prose.
La concision des formes brèves permet de feuilleter le recueil à la recherche d’une pépite spirituelle qui se lit en quelques secondes et qui se médite beaucoup plus longtemps. L’expression de l’amour y est très intense :
« Te dire par des mots, c’est faire obstacle à la vision Ô mon Aimé L’éclat de ta face met un masque sur ton visage Ô mon Aimé Le souvenir de tes lèvres me parle de tes lèvres Ô mon Aimé Le souvenir de tes lèvres forme un voile sur tes lèvres »
La répétition de l’interjection souligne l’intensité du sentiment amoureux, tandis que la mention des « lèvres » donne des contours presque charnels à cet amour divin. Il faut y voir une métaphore : c’est par le lexique de la passion que s’exprime l’amour mystique, qui reste ineffable et ne peut se dire qu’indirectement. Le poète évoque ici une vision ineffable, qui donc ne saurait se traduire en mots. D’où le motif de l’obstacle et du voile.
https://litteratureportesouvertes.wordpress.com/2018/10/20/rumi-poete-de-lamour-mystique/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 08 Fév 2024, 16:09 | |
| Pour qu'on s'en souvienne quand on l'aura oublié, nous venions aujourd'hui de là où cette belle citation eût été tout aussi pertinente -- la "poésie", au sens étroit ou large, relativise beaucoup les différences de surface entre les "religions", en approfondissant les différences linguistiques et culturelles. Une des choses qui m'avaient marqué quand j'avais un peu fréquenté ces textes persans (d'abord Hallaj, puis aussi Hafez, Khayyâm, etc.), c'est que leur érotique mystique (à la différence du Cantique des cantiques dont nous parlions de l'autre côté) est volontiers, voire de préférence homosexuelle, comme l' erôs grec du Banquet de Platon (avec d'ailleurs ici la même différence d'âge et de statut entre l'aimant et l'aimé, le maître et le disciple, Socrate et Alcibiade ou Shams et Rûmî). Cela, qui est certainement d'origine pré-islamique (tradition persane du shahed bazi, le jeu de l'amoureux témoin de la beauté unique et transcendante -- c'est bien le même shahed ou shahid, araméen avant l'arabe jusque chez le Laban de la Genèse, qui est devenu "martyr", comme le martus grec, fût-il aussi "terroriste"), ainsi que le rôle du vin dans cette poésie (le Banquet de Platon est sum-posion, boire-ensemble, comme le mishteh hébreu, p. ex. ceux d'Esther en Perse), est tout à fait étonnant quand on voit ce qu'est devenu l'islam moderne, notamment iranien, aussi alcoolophobe qu'homophobe et érotophobe... Anachronisme cultu(r)el: ce qui a pu paraître à un Houellebecq "la religion la plus con" était à son apogée culturelle quand l'Europe chrétienne était dans les choux, dans son "moyen âge" selon sa propre périodisation ultérieure. Il pouvait encore paraître "supérieur" au catholicisme aux yeux de la modernité occidentale du XIXe siècle, de Napoléon à Jules Ferry (p. ex.). C'est son tournant antimoderne, paradoxalement inspiré du "fondamentalisme" protestant et anglo-saxon, qui a été le moteur de son regain non moins paradoxal, à la fois en bêtise et en puissance politique... |
| | | free
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| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 09 Fév 2024, 11:21 | |
| Foi chrétienne et versets coraniques Maurice Borrmans
Tous, fils d’Adam
Même si le double récit de la création qui inaugure le texte biblique n’a que de faibles échos, plus ou moins dispersés dans le Coran, il n’empêche que celui-ci, à l’instar du premier, insiste tout autant sur la création d’Adam. Le premier homme a été façonné de la glaise, « créé d’une argile tirée d’une boue malléable » (15, 26), mais Dieu dit, en même temps, que « J’aurai en lui insufflé de Mon esprit (rûh) » : humilité de ses origines et harmonie de sa constitution, car, ajoute le texte coranique, « Nous avons créé l’homme en la plus belle prestance » (95, 4), thèmes que théologiens et mystiques ont longuement médités, tant dans le christianisme que dans l’islam. Bible et Coran semblent ainsi se rejoindre, d’autant plus qu’Adam est le père du genre humain. Chrétiens et musulmans auraient-ils donc, avec les juifs, une même anthropologie, marquée par un même dessein divin ? Tous, en effet, découvrent dans leurs Ecritures qu’Adam, leur modèle et leur père, se révèle être faible et versatile, impatient et disputeur, réfractaire à la foi et ingrat envers son Seigneur (14, 34 ; 33, 72, 70, 19), en même temps qu’il se voit, par celui-ci, promu à une dignité sans pareille au milieu des créatures qui sont toutes comme mobilisées (taskhîr) à son service (14, 32-34, 16, 12-14 ; 45, 13). Curieux destin, donc, que celui que le Coran et la Bible assignent à l’être humain, « être béni » entre toutes les créatures ! « Nous avons certes honoré les Fils d’Adam, dit le Coran… Nous les avons placés bien au-dessus de beaucoup de ceux que nous avons créés » (17, 70). Comment n’y point trouver, comme en écho, ce qu’en dit le psalmiste s’adressant à Yahvé : « Qu’est donc le mortel que Tu en gardes mémoire, le fils d’Adam que Tu en prennes souci ? A peine le fis-Tu moindre qu’un dieu ! » (Ps 8, 5-6). Eminente dignité de l’homme que, bien vite, musulmans et chrétiens commentent et précisent dans des directions plus ou moins opposées. Pour les premiers, c’est Dieu qui proposa à l’homme « le dépôt » (al-amâna) (3 3, 72) que celui-ci accepta, c’est lui qui « apprit à Adam tous les noms » (2, 3 1) et qui en fit son représentant (khalîfa, calife) sur la terre : dignité certes, mais tout simplement humaine, qui ne saurait en rien attenter à l’unique et universelle grandeur du Maître des Mondes. Pour les seconds, c’est « l’homme [qui] donna des noms » à toutes les créatures (Gn 1, 28) ; c’est encore à lui et à Eve que Dieu dit : « Emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28) ; c’est toujours avec lui que se nouent les alliances successives au cours de l’Histoire ; et c’est enfin à une adoption filiale qu’il le destine, se révélant à lui, par Jésus-Christ, comme un Père « déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus-Christ » (Ep 1, 5).
Tous les monothéistes affirment néanmoins, et ensemble, que l’homme est « objet et sujet de droits » et peuvent ainsi, avec bien d’autres, fonder par là une philosophie et une théologie des droits de l’homme qui transcendent les idéologies et les cultures. Nombreuses ont été les rencontres islamo-chrétiennes qui en ont précisé le contenu et détaillé les implications, malgré des divergences qui demeurent parfois insurmontables — les chrétiens renvoyant à une « loi naturelle » que Dieu met dans le cœur de tout homme et les musulmans à une « loi positive divine » (la Sharî‘a) dont réformistes et intégristes disent qu’elle est valable pour tous « les fils d’Adam ». Double différence fondamentale qui sépare en partie les anthropologies chrétienne et musulmane : pour les disciples de Jésus, « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu Il le créa » (Gn 1, 27), tandis que, pour les croyants de l’islam, selon un hadîth, « Allâh créa Adam à l’image » qu’il s’en était faite dans son projet créateur, et sans plus, car le Coran répète inlassablement que « rien ne lui est semblable » (laysa ka-mithli-hi shay’) puisque Allâh est le « Tout Autre ». Seule la tradition judéo-chrétienne a développé, en philosophie, les multiples implications de cette « analogie de l’être » à laquelle chacun participe à des degrés divers, en cohérence avec sa foi, dans l’incarnation du Verbe de Dieu : Jésus n’est-il pas, pour les chrétiens, « l’image du Dieu invisible, le Premier Né de toutes créatures » (Col 1, 15), et sa manifestation ultime et parfaite ?
Ensemble, chrétiens et musulmans
Les rapports entre les disciples de Jésus et les fidèles de l’islam dépendraient-ils particulièrement de ces profonds malentendus à propos d’une histoire sainte dont les personnages prennent des profils contrastés et dont l’islam serait comme le point final et parfait ? Il est vrai que les chrétiens du Coran (ne seraient-ils que « Nazaréens » ?) y sont présentés avec sympathie et leurs vertus exaltées : « Tu trouveras, certes, que les hommes les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent “Oui, nous sommes chrétiens !”, et cela parce qu’on trouve parmi eux des prêtres et des moines, et parce qu’ils ne s’enflent pas d’orgueil » (5, 82), alors que juifs et polythéistes n’éprouveraient qu’inimitié pour les musulmans. Et il est bien vrai que ce monachisme (rahbâniyya) des chrétiens est des plus appréciés par le Coran : Dieu n’a-t-il pas mis « dans le cœur de ceux qui l’ont suivi [Jésus] compassion, miséricorde et vie monacale » (57, 27), même si beaucoup y voient, non un ordre divin, mais une innovation chrétienne due à de bonnes intentions ? Et le magnifique verset où Dieu est décrit comme « lumière des cieux et de la terre…, lumière sur lumière » (24, 3 5), lumière comparée à celle des lampes des sanctuaires, n’est-il pas l’expression merveilleuse de ce qu’on découvre en des lieux, ermitages ou couvents, « où des hommes célèbrent les louanges de Dieu à l’aube et au crépuscule : nul négoce et nul troc ne les distraient du souvenir de Dieu » (24, 36) ? Comment ne pas envisager alors avec joie cette amitié possible entre musulmans et chrétiens, si ces derniers vivent intégralement leur idéal évangélique ?
Et pourtant, voici que d’autres versets détournent les premiers de ces relations amicales et, par suite, laissent le chrétien perplexe quant au désir de tous de « vivre ensemble ». « Ô vous qui croyez, y est-il dit, ne prenez point les juifs et les chrétiens comme alliés ; ils sont alliés les uns avec les autres. Quiconque, parmi vous, les prendra comme alliés sera des leurs » (5, 5 1), car « ils prennent votre religion en raillerie » (5, 57). D’autant plus qu’il est dit, ailleurs : « Combattez… ceux qui, parmi les Gens du Livre, ne pratiquent pas la vraie religion, jusqu’à ce qu’ils payent personnellement le tribut tout en étant humiliés » (9, 29). N’est-ce pas à partir de ce verset que les jurisconsultes de l’islam ont élaboré le statut de dhimmitude pour les minoritaires non musulmans qui vivent en terre d’islam ? Alors, comment renouveler les rapports souhaitables entre les uns et les autres ? En relisant peut-être ensemble et en réinterprétant plus largement des versets en faveur d’un pluralisme respectueux, sinon amical, puisqu’il est aussi dit : « Nous vous avons constitués en peuples et en tribus pour que vous vous connaissiez entre vous » (49, 13) ; et qu’il est également affirmé : « Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté. Mais [il ne l’a pas fait] pour vous éprouver par le don qu’il vous a fait. Concurrencez-vous donc dans les bonnes actions » (5, 48).
Et n’en est-il pas de même du sort ultime que Dieu réserve à ses créatures ? Chrétiens et musulmans croient en une résurrection des corps et en un jugement général où Dieu sera tout à la fois justice et miséricorde ; mais le paradoxe, ici, veut qu’ils s’en fassent des représentations contrastées. Le Coran abonde en descriptions apocalyptiques de ce grand tremblement où « la terre restituera ses poids » (99, 2) et fonde, chez les musulmans, leur foi en la résurrection sur la puissance toujours créatrice du Tout-Puissant. L’Evangile rappelle aux chrétiens que tout se fonde sur cette victoire sur le péché et la mort qu’est la résurrection de Jésus-Christ lui-même, « Premier Né d’entre les morts » (Col 1, 18) et donc prémices du Royaume qui vient, dont on sait qu’il est tout autre que cette « première vie ». C’est pourquoi les chrétiens s’entendent dire : « Ressuscités [en espérance] avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, là où se trouve le Christ, à la droite de Dieu » (Col 3, 2). Croyances communes, donc, vocabulaires semblables ou analogues, et pourtant visions bien différentes quand il s’agit de comparer cette « vie éternelle » qui attend musulmans et chrétiens, avec tous les autres. Mais certains versets coraniques semblent vouloir rassurer les uns et les autres, puisqu’il y est dit : « Ceux qui croient, ceux qui pratiquent le judaïsme, ceux qui sont chrétiens ou sabéens, ceux qui croient en Dieu et au dernier jour, et qui font le bien, voilà ceux qui trouveront leur récompense auprès de leur Seigneur. Ils n’éprouveront alors plus de crainte, ils ne seront pas affligés » (2, 62 ; 5, 69). Pourquoi cette « largeur d’esprit » du texte devrait-elle être abrogée par un verset subséquent où Allâh décrète qu’« aujourd’hui… j’agrée l’Islam comme votre religion ! » (5, 3 ; 3, 19), alors que l’islâm ici évoqué pourrait s’appliquer à tous ces croyants qui se sont « soumis » à Dieu, en quelque tradition religieuse que ce soit. Le succès (falâh ou fawz) des musulmans et le salut (khalâs) des chrétiens ne sont-ils pas à la portée de tout homme sincère dans sa religion ? D’autant plus que le Coran, à l’instar de la Bible, insiste beaucoup sur la foi et les œuvres, nécessaires toutes deux pour obtenir cette « satisfaction » (ridwân) de Dieu qui n’est peut-être pas sans analogie avec la « grâce » (ni‘ma) qu’espèrent les chrétiens. Qui plus est, il existe un hadîth sacré (qudsî) qui propose aux musulmans de dépasser toute description sensible du paradis et qui reproduit étrangement un texte de saint Paul (1 Co 2, 9) où Dieu dit : « J’ai préparé pour mes bons serviteurs ce que l’œil n’a jamais vu, ce que l’oreille n’a jamais entendu et ce qui n’est jamais advenu au cœur de l’être humain. » Musulmans, juifs et chrétiens ne peuvent qu’assentir à ce même dessein divin !
https://www.cairn.info/revue-etudes-2003-7-page-59.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 09 Fév 2024, 12:00 | |
| Ce texte complète très utilement, et d'un point de vue bien mieux informé que le mien (je n'ai lu le Coran que deux fois dans ma vie, en traduction, et plus ce que je lis s'éloigne de mon "canon" premier et principal moins bien je le comprends et plus vite je l'oublie), l'approche "comparative" tentée dans ce fil...
Reste que les "religions", comme les langues ou les civilisations, n'ont jamais été faites pour être comparées, même s'il est fatal que ça arrive, et d'autant plus dans une société "cosmopolite", "multiculturelle", "mondialisée" en matière d'"information" et de "communication" plus que dans tout autre domaine. De plus ou moins bon aloi, la comparaison qui n'était accessible pendant des siècles ou des millénaires qu'à de très rares "savants" sur de très rares textes et corpus est aujourd'hui, tout azimut, à la portée de n'importe qui, et ça n'arrange pas vraiment les choses. Les discours religieux, y compris ceux d'une "religion" ou d'une "civilisation" donnée sur les autres, goïm, "barbares", "païens", "gens du Livre" ou infidèles, mécréants, idolâtres etc., discours tolérants, bienveillants, condescendants au sens favorable ou péjoratif du terme, inclusifs, universalistes ou bien exclusifs, suprémacistes, sectaires ou belliqueux, ne s'adressaient jamais à ces "autres". Or il est inévitable aujourd'hui que ceux-ci les entendent, et le surcroît de "connaissance" qui en résulte démultiplie les occasions de malentendu, y compris sous la forme paradoxale d'un trop-bien-entendu...
Cela vaut aussi pour les discours "occidentaux", non seulement religieux mais laïques, politiques, médiatiques, scientifiques des "sciences humaines", de la sociologie à l'histoire des religions, sur "l'islam". Avec une certaine condescendance (le terme reste pour moi ambigu) "nous" plaquons sur "l'islam" l'idée que nous nous faisons du "bien" ou du "mal" dans notre propre "histoire", et lui souhaitons, dans le meilleur des cas, de l'"évolution", du "progrès", des "réformes", des "Lumières", des "révolutions", du "droit", de la "démocratie" et ainsi de suite, pour qu'enfin "il" soit à notre image, indiscernable de "nous", annihilé par assimilation; pas étonnant que ça entraîne des réactions, de type fondamentaliste, sectaire, identitaire, communautariste ou "séparatiste"... |
| | | free
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| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 15 Fév 2024, 15:23 | |
| Torah orale et hadith : transmission, interdit de l'écrit, rédaction Gregor Schoeler
1 « Le Hadith entretient avec le Coran la même relation que, dans le judaïsme, l’enseignement oral vis-à-vis de l’enseignement écrit ». Cette analogie en soi évidente, telle qu’elle a été formulée par Josef Horovitz, n’est nullement admise de manière unanime dans les études islamiques. Ignaz Goldziher ne l’a mentionnée dans son étude fondamentale « Ueber die Entwickelung des Hadīth » (« Sur le développement du Hadīth ») que pour la rejeter aussitôt énergiquement comme « trompeuse » et « inexacte ».
2 Pour Goldziher, les nombreuses preuves fournies par Aloys Sprenger dans son étude « Ueber das Traditionswesen bei den Arabern » (« Sur le système de la Tradition chez les Arabes ») du fait que des hadiths avaient déjà été fixés par écrit dans les temps les plus anciens semblaient contredire l’idée qu’aurait dominé, dans l’ancienne génération de l’Islam, l’opinion selon laquelle la mise par écrit était exclusivement réservée au Coran, le Hadith devant circuler en parallèle sous la forme d’un enseignement oral. Ces notes consistent naturellement, comme le savait déjà Sprenger, non en « des livres au sens littéraire du terme », mais en « des scripta, en général des notes écrites, peut-être […] des recueils de dictons, des collections, destinés à un usage personnel ».
3 Goldziher reconnaissait néanmoins que la mise par écrit des hadiths, même parmi les spécialistes de la Tradition, avait des adversaires. Selon lui, cette « aversion pour l’écrit » ne domina pas dès les premiers temps, mais fut « la conséquence de préjugés qui se sont développés ultérieurement ». Il se forma en effet, parmi les spécialistes du hadith, une longue querelle, pour savoir s’il fallait seulement conserver les traditions au moyen de la mémoire et les transmettre oralement, ou bien si l’on pouvait aussi les mettre par écrit sans hésitation. Cette querelle fut toutefois, comme le souligne Goldziher à deux reprises, purement « théorique » et ne s’immisça pas dans la « pratique généralisée » de la mise par écrit des hadiths.
4 Goldziher n’a ainsi nullement prétendu qu’après une première période durant laquelle on aurait mis par écrit des hadiths sans réserve, des intérêts théologiques et des préoccupations religieuses seraient apparus, qui auraient provoqué une aversion à l’égard de l’écrit et l’arrêt de sa diffusion (comme on peut le lire dans un ouvrage de référence, qui souhaite dissiper une « superstition » – à savoir celle du caractère oral qu’aurait longtemps revêtu la transmission du Hadith –, mais qui a fait naître à son tour une autre « superstition », à travers la restitution déformée qu’il propose des conceptions de Goldziher).
5 Toutefois, dans son rejet de l’analogie en question, Goldziher était parti du principe que l’enseignement oral des juifs – c’est-à-dire le contenu du Talmud (Mishna et Gémara) et le Midrash (l’exégèse de textes bibliques) formant avec lui une unité –, qui existe aujourd’hui sous une forme écrite et imprimée, tout comme l’enseignement écrit – le Pentateuque ou la Bible –, avait été effectivement transmis à l’origine, durant des siècles, de manière purement orale. En revanche, on sait aujourd’hui qu’il n’en fut pas ainsi. On a pu réunir de nombreux témoignages de l’utilisation de notes écrites. Il n’y eut jamais d’interdit formellement promulgué et universellement reconnu. Toutefois, « il est vrai qu’une forte opposition à l’écrit s’est fréquemment élevée, en particulier contre l’écriture des halakhōth (règles en matière de prescriptions religieuses) ». Cette désapprobation, cependant, vise moins l’écrit en soi, que « l’écrit à des fins d’utilisation publique ». De ce point de vue, Saul Lieberman a établi une comparaison avec les catégoriques hellénistiques de l’ekdosis (version autorisée, publiée) ou du syngramma (le livre au sens propre du terme) et de l’hypomnēma (note destinée à un usage privé). Seule la Bible était un syngramma. Dans l’institut d’enseignement, elle ne devait du reste être lue qu’à partir de pages écrites et ne devait pas être récitée par cœur. À l’inverse, la loi orale – pour autant qu’elle fût fixée par écrit – n’a longtemps existé que sous la forme d’hypomnēmata. Ces derniers ne devaient toutefois pas être utilisés au sein des instituts d’enseignement ou lors de discussions publiques. Toujours est-il que la loi orale a été enseignée et transmise durant toute l’époque des Amoraïm (ca. 200-500 ap. J.-C.) sans support écrit.
6 Les faits mis en avant doivent donc suffire à montrer combien l’analogie « entre le rapport du hadith au Coran et la relation de l’enseignement oral à l’enseignement écrit dans le judaïsme » est discutable.
https://journals.openedition.org/trivium/6480 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Jeu 15 Fév 2024, 16:19 | |
| Ma connaissance de l'islam est beaucoup trop rudimentaire pour que j'arrive à suivre utilement cet article jusqu'au bout, mais ce que j'en comprends me suggère que la "dialectique" de l'"oral" et de l'"écrit" dessine à peu près partout le même genre... d'arabesques. Parce que la frontière entre l'oral et l'écrit n'en finit pas de se déplacer: le Coran, Qur'an, signifie "leçon" au sens de lecture ou de récitation à haute voix, de la racine qr' qui aussi en hébreu signifiait appeler, crier, réciter ou lire à haute voix... Comme d'ailleurs la torah a signifié l'instruction orale du prêtre avant de désigner un ou plusieurs "livres", ou l'"évangile" une "bonne nouvelle" orale avant de devenir un livre ou plusieurs. Ce qui n'empêche pas que la chronologie se renverse quand le "Coran", l'"Evangile" ou la "Torah" sont écrits après une préhistoire orale qu'on ne peut qu'essayer de deviner à travers les écrits, qui sont tout ce qui nous en reste, de même que les "traditions orales", écrites à leur tour, dont ils sont censés se distinguer comme l'écrit de l'oral. Qu'on rapporte ça au Phèdre de Platon ou à son commentaire dans la Pharmacie de Platon de Derrida, on comprendra que le problème, l'aporie ou le sac de noeuds, ne se limite pas à une ou à plusieurs "religions" dites "du Livre", que ce soit ou non du même "Livre"... C'est tout de même remarquable que dans pas mal de livres il y ait le mythe d'un "auteur" qui n'écrit pas et qui se fait écrire par d'autres, Socrate par Platon, Jésus par Paul ou les évangélistes, Mahomet différemment par les rédacteurs du Coran et des hadiths, Yahvé par Moïse (qui brise les tablettes écrites du doigt de Yahvé, que celui-ci les récrive ou non), Moïse différemment par les rédacteurs de la Torah dite écrite ou orale selon la tradition pharisienne et rabbinique... Qui a dit que l'écriture était solitaire ? (Cf. La carte postale, de Derrida encore, qui tourne autour d'une représentation graphique de Socrate et de Platon l'un derrière l'autre dont on ne sait pas au juste qui est qui, qui inspire, dicte, écrit ou sodomise l'autre). |
| | | free
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| Sujet: Re: méditations islamiques Lun 19 Fév 2024, 13:22 | |
| L'apophatisme chez les mystiques de l'Islam [article] Eric Geoffroy
III. La création comme « pur néant »
«... Que disparaisse ce qui n 'a jamais été, et que subsiste ce qui n 'a jamais cessé d'être ». Pour les spirituels musulmans, le véritable enjeu du tawhîd - et de la formule « il n'y a de dieu que Dieu » - n'est pas de nier la dualité ou la multiplicité de la divinité. Ce polythéisme grossier a été vécu dans des stades antérieurs de l'humanité, et ne constitue plus désormais un réel danger. Non, cet enjeu, d'ordre ésotérique, consiste bien plutôt à nier toute réalité ontologique à autre que Dieu : l'Être n'appartient qu'à Dieu seul et, sous ce rapport, les créatures sont « pur néant », le 'adam mahd auquel fait directement écho la formule eckhartienne ein luter nicht. Ici encore, les soufis se sont nourris de sources scripturaires telles que cette parole du Prophète : « Dieu est, et rien n 'est avec Lui ».
Le tawhîd ainsi compris a donné lieu à de multiples développements métaphysiques, au sein de la doctrine de l' « unicité de l'Être » {wahdat al-wujûd). On attribue souvent la formulation de cette doctrine à Ibn 'Arabî et son école, mais elle est déjà en germe chez les soufis anciens. Pour aussi élaborée qu'elle soit, elle n'est pas une philosophie abstraite mais l'aboutissement de l'expérience du fana', de l' « extinction en Dieu ». Dans cette expérience en effet, le mystique ne voit plus que Dieu, ne sent plus que Dieu, ne goûte plus que Dieu. Il devient donc pour lui évident qu'il n'y a d'être qu'en Dieu : c'est « l'unicité de l'Être ». « Ce qui définit tel étant particulier, c'est la privation d 'être qui lui est propre et en raison de laquelle il est un cheval, une fleur, un homme, et non pas Etre pur, ou, si l 'on préfère, en raison de laquelle il n 'est pas Dieu ».
« L 'existence de l 'homme est cernée par le néant qui précède cette existence ainsi que par celui qui la suivra ; l 'être humain est donc lui-même pur néant {'adam) », disait Abu l-'Abbâs al-Mursî (m. 1287). Son successeur à la tête de l'ordre shâdhilî, Ibn 'Atâ' Allah al-Iskandarî (m. 1309) commente ainsi cette parole : « En effet, les créatures ne détiennent en aucune manière l 'Être absolu (al-wujûd al-mutlaq), lequel n 'appartient qu 'à Dieu ; dans cet Être réside Son Unicité absolue (ahadiyya). Les mondes, quant à eux, n 'existent que dans la mesure où II les dote d'un être relatif. Or, celui dont l'existence puise sa source chez autrui n 'a-t-il pas pour attribut foncier le néant ? (20) ». On relève incontestablement ici des affinités avec la « métaphysique augustinienne de la relation ».
Les créatures sont donc potentiellement amenées à l'existence du fait qu'elles sont contenues de toute éternité dans la Science divine, mais cette existence n'a qu'une valeur relative, voire nulle. Les maîtres shâdhilis les comparent tantôt à la poussière qui se trouve dans l'air, tantôt à l'ombre : elles n'ont aucune consistance, aucune essence autonome. Seul Dieu leur « confère l'être », comme le note Maître Eckhart (22). « Le soufi, affirmait le cheikh Abu l-Hasan al-Shâdhilî, est celui qui, en son être intime, considère les créatures comme la poussière qui se trouve dans l 'air : ni existantes ni inexistantes ; seul le Seigneur des mondes sait ce qu'il en est [...] Nous ne voyons aucunement les créatures, assurait-il également : y a-t-il dans l'univers quelqu'un d 'autre que Dieu, le [seul] Réel ? Certes les créatures existent, mais elles sont tels les grains de poussière dans l'atmosphère : si tu veux les toucher, tu ne trouves rien ». « Lorsque tu regardes les créatures avec l 'oeil de la clairvoyance, écrit à son tour Ibn 'Atâ' Allah, tu remarques qu'elles sont totalement comparables aux ombres [...] Les « traces » (al-âthâr) que constituent les créatures revêtent donc I 'aspect d 'ombres (zilliyya), mais elles se réintègrent dans l'Unicité de Celui qui imprime ces traces (al-mu 'aththir) ».
Les soufis reconnaissent généralement un degré d'existence relatif à la création, mais les tenants de l'« Unicité absolue » (al-wahda al-mutlaqa), avec à leur tête Ibn Sab'în (m. 1270), ne font aucune concession et considèrent l'univers comme une pure illusion. Ils transposent d'ailleurs la formule « il n 'y a de dieu que Dieu » en « Il n 'y a rien si ce n'est Dieu» {laysa illâ Allah). Ibn Sab'în résorbe le monde manifesté en observant la progression suivante dans le dhikr (remémoration-invocation de Dieu) : « // n'y a de dieu que Dieu », puis « pas d'agent sinon Dieu » (lâfâ 'il illâ Allah), puis « pas d 'étant sinon Dieu » (la mawjûd illâ Allah), et enfin « Dieu, Dieu » (Allah,Allah) (24). C'est par la négation totale du relatif que je peux goûter et donc affirmer l'Absolu, que je peux me débarrasser totalement de F « associationnisme » entrevu plus haut. Cette conclusion extrême, condamnée par les exotéristes de l'islam et même par certains soufis postérieurs à Ibn Sab'în, est pourtant contenue dans l'enseignement des premiers maîtres. Voici ce que disait, au ixc siècle, Ruwaym de Bagdad : « Le tawhfd consiste à effacer toute trace d 'humanité (mahw âthâr al-bashariyya), afin que ressorte, dépouillée, la divinité (tajarrud al-ulûhiyya).
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1998_num_72_4_3458 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: méditations islamiques Lun 19 Fév 2024, 13:59 | |
| Le rapport (in-)essentiel de la négation (cf. supra 17-18.12.2015) à l' uni(ci)té, du "non" à l'"un" (conçu comme non multiple, non pluriel, non plusieurs, non autre, non nombre), est en effet profondément marqué (sinon compris) dans tout l'islam, mais nulle part aussi explicitement, si l'on ose dire (puisqu'il s'agit précisément d'inter-dire l'explicite), que dans sa "mystique" (soufie ou autre) qui communique autant avec la théologie apophatique de l'Occident (du pseudo-Denys à Eckhart) qu'avec un Orient plus lointain (bouddhisme, brahmanisme, taoïsme etc.). Cela rend d'autant plus problématique la notion même de " création" (et l'on retrouverait là tout le débat "gnostique" aux origines du "christianisme", mais aussi du "judaïsme" rabbinique et de son insistance parallèle sur l' ex nihilo), inséparable d'une "illusion" -- ce qui met en abyme l'insistance du Coran sur le "sérieux" de la chose, et à vrai dire de toute "chose" (cf. supra 6.1.2016): tout ce qui est "fait" est par là même "dé-fait", rendu factice, voire fictif: le "monde" n'est plus qu'un décor de carton-pâte, ou un rouleau livre comme dans l'Apocalypse, qui se replie comme il s'est déployé; pas de "je" qui tienne, de "sujet" ou sub-jectum sub-stantiel et sub-sistant, pas même de "ça", de "chose" ( res) ou de "ré-alité" face à l'unique divin; le divin même n'étant autre, en dernière analyse, que ce jeu-là: rien ne distingue au fond un pur monothéisme d'un panthéisme, ni d'un athéisme. Là encore, l'"impermanence" bouddhique et l'inessence eckhartienne ne sont pas loin (mais l' apeiron d'Anaximandre ou le mè on de Platon non plus). |
| | | free
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| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 21 Fév 2024, 12:19 | |
| Questions de théologie selon l'Islam Emilio Platti
Raison et Christianisme?: une inévitable tension ?
Hani Ramadan joint au problème de l’incompréhension des mystères chrétiens celui du cléricalisme. D’après lui, tous les deux ont été mis en cause par les Lumières. L’Occident s’est alors libéré de l’oppression de l’Église, mais en s’élançant davantage sur le chemin de la liberté, il a dévié vers une liberté absolue de projet, engendrant ainsi l’athéisme. D’après Hani Ramadan, c’est à ce point que commence « la dérive de l’Occident ». Et c’est dans le célèbre petit traité de Sartre « L’existentialisme est un humanisme », que d’après lui, se trouve exprimé le plus clairement cet athéisme occidental?: Dieu n’existant pas, il n’y a pas de projet humain en dehors de celui que l’homme se projette. N’ayant donc aucune « essence » préétablie à la naissance, l’homme doit inventer son chemin. D’après Hani Ramadan et de nombreux auteurs musulmans, ce projet ouvert et libre, ne peut mener qu’au matérialisme?; et c’est précisément ainsi qu’a dérivé l’Occident. En se libérant de l’emprise de l’Église, l’être humain a perdu le sens de sa vocation?; car pour l’islam, celle-ci fait partie de ce qu’il est vraiment?: sa « nature » profonde (al-fitra) s’ouvre sur le salut que Dieu lui offre gracieusement. C’est à l’être humain de décider s’il veut s’engager sur ce chemin établi par Dieu. Pour le musulman, il n’y aurait donc pas vraiment de liberté de projet, mais seulement liberté de choix : ce que dénient certainement des musulmans plus libéraux, qui renvoient au concept coranique de lieutenance, al-Khilâfa, l’homme étant « lieutenant de Dieu sur terre », alors que d’autres s’appuient plutôt sur la finalité de la Loi divine, les « maqâsid al-Sharî‘a », les objectifs de la Loi, pour s’ouvrir davantage à une liberté de projet et d’imagination.
On se rend pourtant bien compte combien lourde de conflits avec l’Occident démocratique – avec toutes ses « libertés » – est le rejet par certains idéologues islamistes de « man made laws », « des lois conçues par l’homme », d’après l’expression maududienne consacrée.
À cette critique s’ajoute souvent une critique du christianisme paulinien?: la liberté excessive prônée par l’Occident moderne aurait déjà ses racines chez saint Paul. Car c’est lui qui aurait aboli la Loi divine elle-même en voulant s’émanciper de la Loi de Moïse. En disant que désormais, dans le Christ, nous ne sommes plus soumis à la Loi, ni serviteurs, ni esclaves (‘abd) de Dieu, il aurait amputé le christianisme de ce qui fait l’essence même de la religion?: la soumission à la Loi de Dieu, la Sharî‘a. Par l’Incarnation et la Filiation, le christianisme a fini par faire de l’homme un dieu?; ce qu’un musulman, soucieux de respecter le statut de dépendance essentielle de l’homme par rapport à Dieu, ne peut d’aucune manière envisager.
Même si de nombreux penseurs musulmans contemporains ont ouvert des brèches importantes dans l’édifice islamique classique ou fondamentaliste, il reste que dans l’ensemble l’islam se conçoit généralement encore dans le sens d’une orthopraxie contraire à un libéralisme à l’occidentale; c’est une religion qui met en avant la vraie nature de l’être humain, soumise à la Loi de Dieu, sans prétendre dévoiler le Mystère de Dieu lui-même.
C’est au sujet de cette Loi de Dieu que se pose encore maintenant une question majeure de la théologie musulmane traditionnelle?: quelle peut être une juste rétribution quand on attribue à Dieu l’attribut divin de justice (‘adl), tout en sachant que l’action de Dieu reste imprévisible, Dieu étant radicalement transcendant ? Cette question a été soulevée lors d’un séminaire par un enseignant qui avait répété en classe la Tradition prophétique musulmane dont voici l’abrégé?: « Il y avait deux hommes parmi les enfants d’Israël liés par un pacte de fraternité?; tandis que l’un péchait, l’autre s’abîmait dans la dévotion. Or, celui qui s’astreignait au bien critiqua l’autre?: cesse donc! Dieu ne te pardonnera pas?! Il ne t’introduira pas au paradis?! Ils moururent et comparurent auprès du Seigneur des mondes, qui dit au vertueux?: Me connaissais-tu? Avais-tu pouvoir sur ce qui est entre mes mains ? Puis Il dit au pécheur?: Va et entre au paradis de par ma miséricorde. Et il dit à l’intention de l’autre?: Amenez-le au feu! »
L’enseignant se trouva interpellé par une jeune musulmane qui mit en doute l’authenticité de la tradition, alors qu’elle est pourtant bien attestée dans les grands recueils de Abû Dawûd et de Ahmad Ibn. Pour elle, la tradition n’était pas conforme au concept musulman de rétribution. Dieu doit rétribuer en parfaite justice?; et dans ce cas, la piété devrait l’emporter sur le péché.
La réaction de refus de la jeune musulmane nous rappelle l’objection célèbre du théologien Abû l-Hasan al-Ash‘arî (m. 935) contre les Ahl al-‘Adl, les gens de la Justice, c’est-à-dire les Mu‘tazilites rationalistes, qui tenaient que Dieu se devait de rétribuer le bien. L’être humain est responsable du mal qu’il fait et du fait même s’expose à l’enfer. Dieu se doit de rejeter le mal, et le pécheur sera donc puni par Dieu, s’il ne s’est repenti, et il subira la peine d’un enfer éternel. À ceux qui ont évité les péchés majeurs (al-kabâ’ir), Dieu, par sa promesse, a garanti le paradis. C’est apparemment la position soutenue par l’étudiante musulmane, probablement très influencée par le réveil musulman contemporain rationaliste et rigoriste.
L’objection d’al-Ash‘arî tend à démontrer la faiblesse de ce type de position rationaliste qui enferme Dieu dans une logique purement humaine. Elle est contenue dans l’anecdote qui relate comment al-Ash‘arî mit en difficulté son maître Mu‘tazilite Abû ‘Alî al-Djubbâ’î (m. 915)?: « Supposons trois frères. L’un meurt adulte, dans l’obéissance de Dieu?; le second adulte, dans la désobéissance?; le troisième meurt avant l’âge de raison. Qu’advient-il d’eux? - Le premier est récompensé par le paradis, répondit al-Djubbâ’î, le second puni par l’enfer, le troisième n’est ni récompensé ni puni. - Soit, rétorqua al-Ash‘arî?; mais si le troisième dit?: O Seigneur, pourquoi m’as-tu fait mourir enfant, et ne m’as-tu pas laissé vivre pour que je t’obéisse et entre au paradis?, que dira le Seigneur? Et al-Djubbâ’î de répondre?: Le Seigneur dira?: Je sais que si tu avais grandi, tu aurais désobéi et serais allé en enfer?; aussi le meilleur pour toi a été de mourir enfant. Al-Ash‘arî reprit alors?: Et si le deuxième dit?: O Seigneur, pourquoi ne m’as-tu pas fait mourir enfant, je ne serais pas entré en enfer!? - que dira le Seigneur? Et al-Djubbâ’î resta coi?; et al- Ash‘arî s’éloigna des Mu‘tazilites »
Depuis lors, c’est plutôt la position Ash‘arite qui prévaut dans la théologie musulmane?: laissons à Dieu l’ultime jugement ; car Il est au-delà de nos jugements. La réaction de l’étudiante nous rappelle néanmoins que le rigorisme islamiste actuel tend à souligner davantage une logique de rétribution pour condamner avec force toute désobéissance à la Sharî‘a et exiger sa stricte application : à la lettre.
https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2008-3-page-355.htm#:~:text=L'%C3%AAtre%20humain%20est%20responsable,promesse%2C%20a%20garanti%20le%20paradis. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12269 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 21 Fév 2024, 13:02 | |
| Réflexion intéressante, aussi par sa date: en 2008 les frères Ramadan n'étaient pas encore aussi "diabolisés" qu'aujourd'hui... Les deux petits contes (paraboles, midrashim, haggadoth) des hadiths sont remarquables, ainsi que la réaction rapportée de l'étudiante: symptôme, une fois encore, de l'appauvrissement qui va de pair avec la résurgence contemporaine d'un islam "fondamentaliste" et "politique", paradoxalement imité du "fondamentalisme" chrétien, protestant et américain qui a aussi appauvri et dynamisé la tradition chrétienne.
Les arabesques de la "morale" ou de l'"éthique" (je n'y mets pas de différence) traversent assez semblablement toutes les "religions", avec les mêmes effets pervers. Même les réactions "amorales", divergentes, de la dogmatique, de la mystique ou de l'athéisme occidental-moderne (qui rebascule en ce moment dans un hyper-moralisme, malgré le changement de "contenu"), en font partie...
Au passage, la présentation (sommaire) du shi'isme me semble assez réductrice: je repense à des lectures anciennes d'Henry Corbin (cf. supra 11.12.2015), qui mettait bien en évidence une tentative originale d'articuler doctrine, morale, mystique, organisation religieuse et politique -- dont il ne reste pas non plus grand-chose dans l'Iran actuel que Corbin n'a pas eu le temps de connaître, puisqu'il est mort en 1978, un an avant la naissance de la République islamique... |
| | | free
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| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 01 Mar 2024, 14:44 | |
| Monothéismes biblique et coranique Une approche intertextuelle du Coran Geneviève Gobillot
Critique de la mise en pratique du monothéisme par les Fils d’Israël
Dans le premier cas, le Coran reprend l’épisode du veau d’or en proposant de comprendre quelle a été la position des Fils d’Israël dans cette affaire. Pour ce faire, il renvoie au passage biblique selon lequel leur attitude vis-à-vis de cette statue aurait été, selon leurs dires, liée à l’absence de Moïse, voire même directement causée par elle : « Allons, fais-nous un dieu qui aille au-devant de nous, car ce Moïse, qui nous a fait monter du pays d’Égypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé » (Exode, 32, 1). Dans le récit coranique, ils expliquent à Aaron que c’est pour cela qu’ils ont adopté le veau et qu’ils y resteront fixés (‘âkifîn), tant que leur messager ne sera pas revenu auprès d’eux (C 20, 91 : Nous y resterons fixés tant que Moïse ne sera pas revenu parmi nous). Une analogie verbale avec le verset C 7, 138 rappelle toutefois qu’ils avaient, suite à leur traversée de la mer, remarqué un peuple qui restait « fixé » à ses idoles et demandé à Moïse de leur procurer un dieu qui présente les mêmes caractéristiques (« Après que nous avons fait traverser la mer aux Fils d’Israël, ils remarquèrent un peuple qui était fixé sur ses idoles et ils dirent : “Ô Moïse, donne-nous un Dieu qui soit semblable à leurs divinités”. Il dit : “C’est un peuple ignorant” »). Ce rappel confirme leur propension à quêter, avant même l’épisode du veau, des représentations de la divinité, et invite ainsi à relativiser le prétexte de l’absence de Moïse.
Le deuxième exemple est également sous-tendu par une information figurant dans le texte biblique. Il s’agit d’un manque de détermination à suivre les ordres donnés par Dieu, même si, en paroles, ce peuple a toujours proclamé son intention d’obéir. Son attitude se voit définie selon le Coran par une prononciation presque inaudible du shema Israël : (C 4, 46 : « Ils (les Fils d’Israël à qui une partie du Livre a été donnée, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas l’Évangile, ni le Coran) disent : “[…] Entends !” (“Écoute !”) d’une manière inaudible (sma‘ ghayru musma‘). Il est fait là allusion à la proclamation de foi figurant en Deutéronome 6, 4-6 (« Écoute Israël : YHW notre Dieu, YHW est un. (5) Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. (6) Que ces paroles que je te dicte aujourd’hui restent dans ton cœur ! Tu les répèteras à tes fils[…] ») que des Fils d’Israël sembleraient avoir prononcée en langue arabe devant des fidèles du Coran.
La nuance se joue en effet dans le cadre du passage de l’hébreu à l’arabe. En se fondant sur la prononciation hébraïque du chema, ces gens auraient énoncé un « sma‘ » arabe peu audible, c’est-à-dire dépouillé de son attaque vocalique, et qui, de ce fait, ne rendrait pas correctement compte de la conjugaison du verbe à l’impératif dans cette langue. C’est pourquoi le Coran précise : « (Vous prononcez) un « Écoute (Israël) » inaudible. Dites (clairement et avec une attaque vocalique franche qui exprime la décision ferme de suivre l’ordre donné : isma’) « Écoute » (sous-entendu : “Israël, écoute la parole de Dieu qui, à présent, t’est adressée en arabe”, ce qui semble être la seule signification possible du passage). Le Coran suggère par là d’une part que si les Fils d’Israël avaient su se montrer vraiment fidèles à l’ordre donné par Dieu dans la Torah, nul parmi eux n’aurait rejeté le Messie, Jésus venu pour l’accomplir (C 3, 50 : « Me voici, manifestant la véridicité de ce qui existait avant moi de la Torah et déclarant licite pour vous une partie de ce qui était interdit »), d’autre part que, devant la révélation coranique, ils se montreraient réceptifs, puisqu’elle transmet le même ordre divin.
Cette rectification recouvre aussi de manière symbolique une mise en garde les invitant à une vigilance particulière à l’égard de l’intransigeance de la déclaration d’unicité « chema’ isrâ’il » qui suit l’ordre d’écouter : « YWH est notre Dieu, YWH est Un ». La prononcer en la détériorant devant des Arabes qui ont reçu le Coran pour éviter d’avoir à reconnaître que l’unique vrai Dieu peut s’adresser à un autre peuple et espérer ainsi conserver le titre de « peuple élu», revient à défigurer la proclamation de l’Unicité divine.
https://www.cairn.info/revue-communio-2020-3-page-87.htm?ref=doi |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12269 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Ven 01 Mar 2024, 16:09 | |
| Merci pour cette étude très précieuse qui documente utilement, par collationnement des textes (surtout Lactance et les pseudo-Clémentines), cette relation d'un certain "judéo-christianisme" (appellation très vague) à l'islam coranique qui me paraît depuis longtemps intéressante, bien que je n'aie jusqu'ici lu et entendu à ce propos que des considérations trop générales. Il semble évident que l'islam naissant a capté bon nombre d'éléments "centrifuges" d'un christianisme oriental qui ne se reconnaissait ni dans l'"orthodoxie" byzantine, ni dans les "hérésies" qu'elle générait et repoussait (nestoriens, jacobites): à tout ceux-là la redécouverte d'un "monothéisme" pur et simple a pu paraître une aubaine...
L'ironie de l'histoire (des religions ou des idées, entre autres), c'est que la confession ou la pensée de l'"un" qui devrait logiquement "unir" produit systématiquement l'effet contraire, depuis la nuit des temps, et que ça n'empêche pas chaque génération de voir en elle la solution miraculeuse de tous ses problèmes, conflits ou divisions, en créant fatalement des conflits et des divisions supplémentaires... |
| | | free
Nombre de messages : 9921 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Lun 04 Mar 2024, 12:57 | |
| Esprits terrestres (djinns) et relations sexuelles en islam traditionnel
1 Dans la cosmologie musulmane traditionnelle, décrite dans le Coran et dans les traditions prophétiques (hadīth-s), l’univers est peuplé par trois catégories d’êtres conscients : les anges, les djinns et les hommes. Les anges sont des êtres purs, créés de lumière ; ils sont des serviteurs obéissants de Dieu, des exécutants de ses volontés dans toutes les parties de sa création, depuis son Trône jusqu’aux confins des terres inférieures et au fond des Enfers. Ils sont purs de toute transgression1. Par leur intermédiaire, le monde est organisé, et la révélation est transmise aux prophètes – par Gabriel ou Séraphiel nommément. Chez de nombreux mystiques, ils représentent aussi le guide intérieur sur la voie vers Dieu, comme Henry Corbin l’a mis en évidence dans plusieurs études. Il nous est cependant impossible de considérer les anges comme des « esprits familiers » : ils sont au contraire le rappel d’une pure transcendance, le témoignage de ce qu’il y a de moins familier en chaque homme et qui fait de lui un « étranger » en ce monde. Toute autre est la situation des djinns. Les djinns sont des êtres terrestres ; ils n’ont pas accès aux cieux. Leur vie est assez parallèle à celle des hommes : ils mangent, se reproduisent, meurent et seront ressuscités par Dieu comme eux. Conscients et responsables, ils sont concernés par la prédication des prophètes, par la religion et par la morale. C’est aux rapports entre les djinns et les humains que sera consacré ce chapitre, et notamment sur les éventuels rapports sexuels entre les deux populations.
2 La croyance dans les djinns existait en Arabie bien avant l’islam. Elle faisait partie de la culture commune à tous. La présence des djinns imprégnait en fait toute la vie sociale. Les djinns étaient rendus responsables de nombreuses maladies physiques ou mentales, d’une multitude de faits inexpliqués ; les magiciens étaient censés recourir à leurs services, et l’on attribuait le talent des grands poètes à leur « génie » familier. Cette conception d’un peuple d’êtres subtils et non humains a été intégralement reprise dans le Coran et dans la tradition prophétique ; les musulmans ne peuvent donc douter de leur existence. Le rôle des djinns dans la vie des hommes s’est cependant trouvé profondément modifié dans la nouvelle religion. Pour résumer, on peut dire qu’ils n’occupent aucune fonction particulière dans l’économie du salut, et que les hommes sont invités à éviter tout contact avec eux.
4 La sourate LXXII explique d’ailleurs que certains djinns sont croyants et vertueux, d’autres mécréants et pécheurs. Des traditions ultérieures expliquent qu’ils sont répartis selon l’exacte croyance des hommes : certains djinns sont musulmans – sunnites, ou chiites – d’autres sont juifs ou chrétiens etc. Comme les humains, ils sont confrontés aux choix de l’obéissance et de la transgression, ils sont responsables de leurs actes devant la Loi religieuse et devant le Jugement Dernier. Ceci dit, la confusion entre les démons (shaytān-s) et les djinns est constante dans la littérature religieuse comme dans la religion populaire. D’après une tradition, Iblīs/Satan serait en effet le père des djinns, tout comme Adam est le père du genre humain. Ce point est important pour évaluer les considérations qui vont suivre.
6 Les djinns, nous le disions, n’ont pas de rôle important à jouer dans la vie religieuse des musulmans. Avant l’islam, il semble que des Arabes établissaient un lien entre les djinns et les anges ; mais l’exégèse coranique rejeta toute confusion entre les deux, et a fortiori qu’un rapport direct entre Dieu et les djinns puisse exister. Ce refus vise la croyance anté-islamique selon laquelle les déesses protectrices de La Mecque auraient été les filles issues du mariage entre Dieu (Allāh) et des jinniyya-s. La Loi religieuse de l’islam invite les croyants à ne pas accorder d’attention aux djinns. Bien que le Coran raconte que le roi Salomon soumit les djinns pour accomplir la construction d’énormes bâtiments, les savants musulmans insistent sur ce point : pour les croyants ordinaires, le contact avec les djinns est inutile, et peut même devenir dangereux. Ce danger peut être matériel (possession, maladies), mais aussi spirituel ; car ils sont une tentation de pratiquer une forme d’idolâtrie, ce qui est en islam le péché le plus grave qui puisse être commis. Les djinns, répétons-le, ne sont en rien assimilables aux anges, et plusieurs exégètes nient même que les djinns bénéficient de la félicité paradisiaque. Par voie de conséquence, les djinns sont cantonnés dans une zone non dite, obscure, de la conscience et de la culture des musulmans. C’est en cela précisément que réside leur intérêt pour ce volume. Le discours théologique officiel n’accorde pas beaucoup d’attention aux djinns. Mais ceux-ci jouent par contre un rôle considérable dans la vie quotidienne de millions de croyants. Dans certaines sociétés, nous allons le voir, ce sont pratiquement toutes les actions quotidiennes qui sont influencées par l’idée d’une présence ou une intervention possible des djinns.
7 Un des contacts possibles entre djinns et humains sont les relations sexuelles. Les djinns, nous l’avons dit, se reproduisent de façon sexuée. Mais ils peuvent également avoir des rapports avec les humains. Le Coran mentionne les vierges du Paradis, les houris, comme des femmes « au regard modeste, que ni homme ni djinn n’aura touchées avant eux ». Dans ce domaine précis, notre principale source de traditions islamiques est le traité Les collines de corail concernant le statut des djinns, un ouvrage de synthèse sur les données traditionnelles sur cette question en islam sunnite composé par Badr al-dīn al-Shiblī (m. 1367). Shiblī explique dans l’introduction de ce traité qu’il en décida la rédaction après une discussion portant précisément sur la question du mariage entre humains et djinns. La question semble donc avoir eu une certaine importance. Selon la plupart des érudits cités par Shiblī, les djinns peuvent rester invisibles, mais peuvent aussi apparaître sous un aspect physique. Sous quelles formes ? Ici, l’imagination de la tradition islamique se montre fertile. Beaucoup d’histoires les décrivent comme prenant un aspect humain, mais ayant des yeux fendus verticalement comme des chats, et des jambes ressemblant à celles de chèvres ou de chameaux. Leurs femelles apparaissent comme de vieilles femmes horribles à la poitrine tombante, mais aussi sous l’aspect de jeunes filles d’une fascinante beauté. Beaucoup de ces savants estiment que les djinns peuvent prendre l’aspect qu’ils veulent. Ainsi, l’effrayante démone dite ghūla cherche à attaquer les hommes isolés dans le désert pour leur prendre leur esprit, les rendre fous et/ou avoir des rapports sexuels avec eux. Le poète Ta’abbata sharran décrivit le combat qu’il livra, seul dans le désert, contre la terrible ghūla :
« Elle avait deux yeux comme ceux d’un chat, un visage horrible, la langue fendue, deux jambes squelettiques, le crâne d’un chien, et sa peau semblait un manteau de cuir de chèvre élimé. »
https://books.openedition.org/pur/121455?lang=fr#:~:text=Les%20djinns%20sont%20des%20%C3%AAtres,religion%20et%20par%20la%20morale. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12269 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Lun 04 Mar 2024, 13:45 | |
| Démons et merveilles... La démonologie n'a pas de frontières, ni ethniques ni culturelles ni religieuses, mais en islam comme ailleurs elle est plus populaire que savante (y compris "théologique"): d'où aussi la relative rareté des "démons" et autres "esprits impurs" dans la Bible (ceux de l'AT, associés de préférence aux ruines, aux déserts et aux animaux sauvages, ressemblent beaucoup aux djinns arabes préislamiques), qui fait ressortir par contraste leur "explosion" dans les évangiles synoptiques à partir de Marc (contrairement à "selon Jean"). En islam comme dans le judaïsme ou le christianisme la littérature et la tradition "périphériques" sont plus prolixes à ce propos que les textes "canoniques" (le Coran en l'occurrence). Pour rappel, la tradition "démonologique" relative à Salomon est déjà largement juive, cf. encore ici -- où l'on remarquera que la tradition juive, "intertestamentaire" ou prérabbinique, oscille aussi entre interprétation "réaliste" et "morale", quand les démons deviennent des allégories des vices comme dans les Testaments des patriarches. [Variante chrétienne, et moderne: je voyais récemment Le roi des rois (1927) de C.B. De Mille, où par un jeu de superposition d'images les "sept démons" qui sortent de Marie-Madeleine (selon Luc) sont les "sept péchés capitaux".] Même si l'on refuse tout lien étymologique entre le djinn et le genius, comme le fait cet article, la coïncidence verbale est significative et communique par-dessus ou par-dessous la tête des linguistes avec tout le vocabulaire du genre, du générique, de la génération et du génital, jusque dans la confusion grecque de gennaô et gi(g)nomai, engendrer-enfanter-naître et devenir ou advenir. On peut aussi penser, du côté "positif", à toute la tradition du daimôn grec, assumée par Socrate selon Platon (bien qu'en l'espèce le "démon" soit à la lettre "négatif", il dit "non", empêche ou retient de dire ou d'agir, à la Bartleby, mais cette "réticence" n'est pas sans mérite). Lecture instructive en tout cas. --- En revoyant entre-temps, une énième fois, l'admirable Ugetsu monogatari, Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi, je ne saurais m'empêcher d'y remarquer la coïncidence japonaise, peu suspecte d'influence "judéo-chrétienne" historique, des thèmes du "démon", du "fantôme" et de la "sexualité" -- auquel le protagoniste échappe en l'occurrence par la grâce graphique d'un mantra bouddhique écrit à même sa peau... Et comme j'ai revu peu de temps avant l' Orphée de Cocteau où c'est la mort même qui est "personnifiée" et "sexualisée" comme "mort personnelle", possessive autant que possédée, mort d'Orphée (Maria Casarès / Jean Marais) qui vient le regarder dormir, avant de le capturer et de le libérer: amour de la mort dans tous les sens imaginable du génitif, lui-même indissociable du genre et du génie. |
| | | free
Nombre de messages : 9921 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Lun 11 Mar 2024, 14:26 | |
| Choisir l’absence de repas : le jeûne Implications théologiques d’une pratique dans le judaïsme, le christianisme et l’islam
3. Le jeûne en islam
58 « Le jeûne vous a été prescrit, comme à vos devanciers (Qur 2,183) » : par ces mots, le discours coranique invite à lire les prescriptions du jeûne du mois de Ramaḍân en référence aux prescriptions antérieures. L’observance du jeûne en islam s’inspire de certaines pratiques juives et chrétiennes, et innove à son tour : quelles sont ses implications théologiques ? Quelle relation au corps, à la vie et à la mort implique le jeûne en islam ?
3.1 Le jeûne du Ramaḍân et la révélation coranique
59 « Quand le mois de Ramaḍân commence, les portes du Jardin paradisiaque s’ouvrent, les portes du Feu infernal se ferment et les démons sont enchaînés », dit un ḥadîth rapporté par Abû Hurayra (Al-Ghazâlî 2001, 105). Selon Goitein, les motifs présentés par ce dit prophétique sont comparables à ceux de la liturgie juive du jour de l’Expiation (Goitein 1966, 161). D’après la tradition, le Ramaḍân est une période bénie : « Son commencement est miséricorde, son milieu pardon, son terme affranchissement du feu » (DC, 729).
60 Moïse reçoit les Tables de la Loi après avoir jeûné quarante jours. D’après la Sîra, Muḥammad reçoit la première révélation durant le mois de Ramaḍân. Dans la sourate 2, un parallèle peut être discerné entre la révélation mosaïque et la révélation coranique : le jeûne est la théophanie dans laquelle Dieu manifeste Sa grâce et Sa miséricorde et révèle aux êtres humains Sa Parole (Goitein 1966, 161-162).
61 « Ramaḍân » est le seul mois de l’année qui se trouve nommé dans le texte du Coran (DC, 728). D’après la Sîra, c’est au cours d’une nuit du mois de Ramaḍân de l’an 610 que le Prophète Muḥammad reçoit pour la première fois la Parole divine que lui transmet l’ange Gabriel, alors qu’il effectue une retraite dans une grotte située sur les flancs du mont Ḥira (DC, 728).
62 Un ḥadîth rapporté par Bukhârî affirme que Gabriel vient à la rencontre du Prophète chaque nuit du mois de Ramaḍân pour lui enseigner le Coran, établissant lui aussi un lien entre le mois de Ramaḍân et la révélation coranique (Bukhârî, Ṣaḥîḥ, 6).
63 On peut lire dans la sourate 2, qui contient les prescriptions du jeûne de Ramaḍân : « Le mois de Ramaḍân dans lequel (fî-hi) le Coran a été révélé […] » (Qur 2,185). Ibn ʿArabî (m.1240) commente ainsi ce verset : selon lui, le vocable fî-hi (dans lequel) se rapporte ici, non pas au mois de Ramaḍân, mais au jeûne qui l’accompagne : « dans lequel », c’est-à-dire « dans le jeûne duquel ». Pour Ibn ʿArabî, le Coran est descendu au moyen du jeûne durant la « Nuit du Décret » (Laylat al-Qadr) : le jeûne du mois de Ramaḍân et la révélation du Coran apparaissent à Ibn ʿArabî, comme les deux faces d’une unique et même réalité (Ibn ʿArabî 1996, 33-4).
64 Selon un ḥadîth rapporté par Bukhârî (m. 870), celui qui prie au cours de la « Nuit des Décrets », en toute sincérité, confiant dans la récompense divine, obtient la rémission de tous ses péchés. Ce lien entre le Ramaḍân, la révélation coranique et la miséricorde divine s’exprime en la pratique des tarâwîḥ, ces séances de prières nocturnes qui, dans les mosquées, permettent d’assurer une récitation intégrale du Coran durant ce mois (DC, 729-730 ; Bukhârî, Ṣaḥîḥ, 35).
65 Extérieurement, l’observance du jeûne du mois de Ramaḍân implique le respect de certaines règles : le jeûne doit commencer le premier jour du mois, jour identifié grâce à la vision par un témoin oculaire du croissant de la nouvelle lune ; l’intention de jeûner doit être renouvelée chaque nuit par le croyant ; le jeûne doit débuter à l’aurore et être rompu lorsque le soleil disparaît derrière la ligne d’horizon[7] ; il comprend l’abstention de toute boisson, de tout aliment, et l’abstinence à l’égard des relations conjugales.
66 Intérieurement, son observance consiste en l’abstention de toute parole inconvenante ou malveillante, de tout acte susceptible d’éveiller les passions en soi ou chez les autres et implique le devoir d’assistance à autrui (DC, 730 ; EIS, v. 9, 99 ; Al-Ghazâlî 2001, Ch. I.). D’après un ḥadîth, celui qui jeûne en ayant la foi et l’espérance d’une récompense obtiendra le pardon de ses fautes passées (Bukhârî, Ṣaḥîḥ, 38).
67 Le jeûne revêt une dimension sociale : partager le repas de rupture du jeûne (ifṭâr) avec la famille, les voisins ou les amis permet de resserrer les liens et de vivre cette période de privation dans un esprit de partage et de fraternité. À la fin du mois, lors de la fête de la rupture du jeûne (ʿÎd al-Fiṭr), les croyants s’acquittent d’une zakât spéciale, aumône « purificatrice » : l’argent économisé grâce au jeûne doit favoriser le partage des biens. Ce mois est un mois d’attention et de compassion à l’égard des plus démunis.
68 Si l’épreuve de la faim, de la soif et de la faiblesse occasionnée par le jeûne doit permettre de ressentir de la compassion à l’égard des plus pauvres, le jeûne ne doit cependant pas mettre en péril la santé : les personnes souffrantes ou âgées, les femmes qui attendent ou allaitent un enfant peuvent s’en dispenser et s’en acquitter par l’aumône. Les voyageurs et ceux qui accomplissent des travaux pénibles peuvent reporter leurs jours de jeûne à plus tard (al-qaḍâ’). Les enfants en sont dispensés jusqu’à l’âge de la puberté : ces prescriptions montrent distinctement que la pratique musulmane du jeûne se veut respectueuse de la santé et de la vie.
3.3 Instrument de libération
Selon Rûmî (m.1273), les créatures sont de trois sortes : les anges, dont la nature et la nourriture sont l’obéissance et le souvenir de Dieu (dhikr) ; ensuite les animaux, qui sont pure concupiscence, n’ont ni raison ni obligations ; et enfin les pauvres humains, composés de raison et de concupiscence. L’humain serait donc à mi-chemin entre l’ange et l’animal. Alors que l’ange est sauvé par la connaissance, l’animal est sauvé par son ignorance. Entre les deux, l’humain est en litige (Rûmî 1982, ch.17, 108-109). Le salut de l’humain, sa libération, dépend « principalement de son refus de se soumettre aux appétits de son corps et de sa capacité à les dominer » (Benkheira 2000, 199). Le jeûne est donc un instrument de libération. C’est pourquoi il est pratiqué comme initiation à la vie spirituelle. Cette initiation est ressentie par les ṣûfîs comme une lutte contre l’âme charnelle (nafs), siège des passions et des penchants égocentriques, ou contre le « Soi ».
https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2015-v23-n1-theologi03170/1040868ar/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12269 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Lun 11 Mar 2024, 15:31 | |
| Fascinant tour d'horizon -- du côté chrétien et spécialement néotestamentaire, celui qui nous est le plus familier, il y aurait eu bien d'autres choses à dire sur le jeûne, mais le panorama était trop vaste. Ce qui semble assez évident dans toutes les traditions religieuses, c'est l'antagonisme qu'elles génèrent et tentent diversement de contenir entre la pratique et la pensée du rite -- au lieu de "pensée" on peut dire intelligence, interprétation, allégorie, symbolisme, moralisation, intériorisation, spiritualisation (etc.). Plus le rite est "pensé" et plus sa pratique paraît accessoire, plus on est tenté de s'en dispenser (avec ou sans jeu de mots en français, où la pensée comme la dispense sont cousins de la pesée). C'est déjà le problème que rencontrait Philon avec son interprétation philosophique, morale et allégorique de la Torah, qui à ses yeux ne se substituait nullement à son observance concrète, alors que nombre de gens du même milieu (judaïsme hellénisé, philosophique et allégorisant d'Alexandrie) en tiraient la conclusion contraire: si ce qui compte c'est la conduite morale, le développement intellectuel ou spirituel, l'intériorité, peu importe le rite littéral, matériel, corporel (soit ce qu'on va retrouver dans plusieurs christianismes, notamment celui de Marc, de Paul, de l'Etienne des Actes ou de l'épître aux Hébreux, avec des réactions contraires notamment chez Matthieu -- y compris sur le jeûne). Réciproquement, rien ne garantit que l'observance concrète d'un rite rende meilleur, plus intelligent ou plus spirituel, quoi qu'on entende par là... Bien entendu cette bipolarité pensée / pratique est aussi sociale, au moins par l'"éducation": il y a une religion de l'"élite" (cf. section 3.4, § 71ss) et une religion du "peuple", mais il n'y a vraiment "religion" (et non secte ou école philosophique) que quand l'une et l'autre coexistent et communiquent, malgré d'inévitables malentendus. Il y a une continuité évidente de la perte du rite et de la "religion populaire" en Occident moderne, qui passe par le protestantisme ultra-paulinien, les Lumières et la sécularisation ou "laïcité" générale -- par rapport à quoi l'islam marque un retour spectaculaire (si l'on compare, par exemple, le poids médiatique du Ramadan à ce qui reste du carême)... Mais comme le signale rapidement l'article, il y a d'autres compensations apparemment non religieuses, de type politique (grèves de la faim), hygiéniques ou pathologiques (du végétarisme et autres modes alimentaires "sans x ou y" à l'anorexie en tout genre). En tout cas, avec le jeûne comme avec le sabbat on a une valorisation paradoxale du négatif ( ne pas manger, boire, ou travailler, cesser de faire...) que cet article met bien en évidence (p. ex. § 82) et qui rejoint ce dont on parlait plus haut (19.2.2024), sur le rapport profond de la "négation" à l'"un" particulièrement sensible dans le monothéisme musulman comme dans celui du deutéro-Isaïe ( pas d'autre). |
| | | free
Nombre de messages : 9921 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 13 Mar 2024, 11:20 | |
| Violence et Islam : le triangle anthropologique "violence, sacré, vérité" de Mohammed Arkoun
6. Construction historique de toutes les formes de « la vérité »
Toutes les expressions de «la vérité» s'inscrivent dans l'histoire, avec des contenus et des formes concrètes variés qui se transforment au fil des siècles. Le texte coranique, à l'image de tous les textes scripturaires et profanes, s'inscrit dans un contexte socio-historique et une dynamique intertextuelle intrinsèquement mêlés à ses conditions historiques d'émergence. La reconnaissance de l'historicisation des textes scripturaires constitue une avancée majeure de la pensée moderne, qui change complètement le statut théologique de ces textes religieux. En ce qui concerne ce point crucial, Arkoun le voit bien, le fossé existant aujourd'hui entre la pensée islamique et les avancées réalisées par la pensée théologique, catholique et protestante en particulier, est immense et ce décalage traverse «son expression historique la plus tragique avec le terrorisme».
Les trois expressions de l'expérience monothéiste revendiquent la «vérité» (al-haqq), censée fonder la loi divine, et réactivent à chaque stade prophétique le fonctionnement du triangle anthropologique avec «des intervalles de gestion 'orthodoxe' de la Loi». Pour le cas de l'islam, la transformation de la vérité (al-haqq) du discours coranique en «régime théologico-juridique d'une vérité codifiée», nommé fiqh (jurisprudence islamique), est passée quelque peu inaperçue car la sourate 9, qui selon les raisonnements juridiques abroge une série de versets antérieurs, contient les premières énonciations normatives.
Pour comprendre le caractère construit de « la vérité », il est important d'analyser les conditions - vérifiables - d'émergence de l'idée de vérité en tant que force historique influant la destinée d'un individu ou d'une collectivité. L'histoire de la raison islamique commence avec l'avènement du fait coranique (lié à l'état d'oralité coranique) et du fait islamique (lié à la codification du Coran), qui débute avec ['«expérience de Médine». Cette dernière est transformée par l'orthodoxie en modèle de Médine, autrement dit en histoire du salut. L'idée de vérité religieuse est intrinsèquement liée à la religion officielle, qui s'érige de la sorte en orthodoxie. Dans une optique politico-historique, toute orthodoxie est une vision idéologique orientée vers l'intérêt du groupe auquel elle appartient. C'est ainsi que le courant rationaliste mu'tazilite de l'islam devient doctrine officielle de l'État entre 827 et 847, porteuse de vérité religieuse en reléguant le sunnisme au statut d'hétérodoxie. La situation se renverse par la suite. De même, dans une autre configuration socio-politique, le shiisme aurait pu l'emporter. Dans cette perspective, la vérité religieuse, processus idéologique et historique, est toujours le résultat d'un rapport de force. Pour les acteurs historiques, le phénomène de l'« orthodoxisation » est capital car les groupes sociaux perçoivent et construisent l'histoire au moyen du système de croyances et au moyen des imaginations établies par l'orthodoxie en qualité de religion d'État. Cette dernière, fruit d'une construction historique, érige en essences transcendantales des réalités transitoires. L'orthodoxie sunnite, religion officielle - porteuse de la vérité religieuse - depuis le ixe siècle, a ainsi balisé le pensable en renvoyant à la sphère de l'impensé et de l'impensable les pensées hétérodoxes.
D'ailleurs, souligne Arkoun, la question du Coran créé, introduite par les mu'tazilites, demeure un impensable majeur pour l'orthodoxie sunnite. Dans l'histoire de la théologie médiévale musulmane, la question centrale, autour de laquelle les plus vives - voire les plus violentes - discussions portaient, était celle relative au statut de la « Parole divine ». Contrairement à la théologie orthodoxe sunnite, selon laquelle le Coran est la Parole éternelle et incréée de Dieu, les mu'tazilites, au tout début du ixe siècle, rejettent l'existence d'attributs éternels, qu'ils assimilent à une forme de polythéisme. Pour ces derniers, le Coran est créé par Dieu, autrement, disent-ils, il y aurait deux dieux, à savoir : Allah et la Parole (ou le Livre). Ils défendent le caractère créé du Coran dans sa transmission orale en langue arabe au prophète et dans sa transformation, par ses compagnons, en texte écrit. Les mu'tazilites, opposés à toutes formes d'anthropomorphisme, renvoient Dieu à un sens inconnaissable, absolu et éloigné du monde. Le Coran est considéré par ces derniers comme un attribut descriptif de Dieu dont la récitation ne peut être que créée et donc inscrite dans l'histoire. Cette école, qui se fonde sur le primat de la raison et le libre arbitre de l'être humain, est érigée en doctrine officielle par le calife abbasside Al-Ma'mun en l'an 827. Toutefois, l'école de l'imam Ibn Hanbal (t 855) prend le contre-pied des mu'tazilites en condamnant leurs conceptions et leurs méthodes, qu'elle considère comme autant d'innovations nocives et pécheresses par rapport au Coran et aux hadîths. Pour Ibn Hanbal, il faut suivre à la lettre et de façon très stricte les textes sacrés, en évitant toutes les interprétations qui s'écarteraient de leur sens littéral. Il réussit à obtenir du calife Al-Mutawakkil, en l'an 847, l'adoption officielle de sa posture doctrinale.
https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=rtp-003%3A2018%3A150%3A%3A344 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12269 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: méditations islamiques Mer 13 Mar 2024, 12:26 | |
| Merci (encore) pour cet article très intéressant.
Autant que pour le jeûne dont on parlait précédemment, même si le sujet paraît très éloigné, il y a décalage et malentendu entre la "religion populaire" et la "religion" de l'"élite savante", aussi dans son rapport à la politique, à la guerre ou au terrorisme. Mais ces deux pôles sont eux-mêmes divers et changeants: les idéologues islamistes de ces derniers temps ne sont certainement pas des imbéciles ni des ignorants, mais ils ne sont généralement ni théologiens ni spécialistes des "sciences humaines" (historiens, philologues, sociologues, ethnologues, etc.); et ces diverses espèces de "savants" ne se comprennent pas beaucoup mieux entre elles que le "peuple" ne les comprend.
Le débat "mu'tazilite" me rappelle beaucoup d'analogies chrétiennes et juives (que j'avais d'ailleurs évoquées dès le premier post de ce fil), contemporaines (du moyen-âge chrétien, du judaïsme médiéval avec lesquels il va interférer historiquement, dans la scolastique, la mystique ou la qabbale) ou plus anciennes (patristique chrétienne, débats "gnostiques" paradoxalement fondateurs de la "grande Eglise", catholique et orthodoxe, judaïsme du Second Temple, hellénistique et philosophique ou apocalyptique): ainsi la situation de la "Parole" entre "Dieu" et "création" qui travaille le "monothéisme pur" de l'islam ressemble comme deux gouttes d'eau aux figures du logos ou de la Sagesse, qui concurrençaient celles du Père et du Fils, des deux "Seigneur", de l'Ange du Seigneur ou de l'Esprit qui re-présentent différemment le Dieu unique dans les premières christologies chrétiennes, reflétant à leur façon des pensées juives et/ou hellénistiques; la distinction du "Coran créé" et "incréé" rejoue celle de la Torah éternelle, qui précède et rend possible le jeu de la Torah orale et écrite, etc..
Bien sûr tout cela prend des sens différents selon la philosophie qui le rend intelligible, autrement d'une lecture à l'autre: dans un néo-platonisme qui distingue l'idéel du réel, de l'historique, du contingent, du "concret", encore différemment dans l'aristotélisme que l'islam a réintroduit en Occident. Pour un penseur moderne et humaniste comme Arkoun, cerné par l'horizon de l'historicité, l'idée d'un Coran incréé est catastrophique, parce qu'elle est synonyme de vérité éternelle ou perpétuelle, intangible, non sujette à interprétation ni à révision, qui motive tous les "intégrismes" ou "fondamentalismes" modernes (eux-mêmes historicistes) ainsi que les velléités politiques de conquête et de pouvoir. Mais pour un penseur médiéval, qu'il soit chrétien, juif ou musulman, l'idéel (logos, noûs, pneuma,, "esprit" en plus d'un sens en-deçà de toute "parole" phénoménale, proférée dans le temps, répétée, récitée, écrite) peut aussi bien relativiser le "réel" et l'"histoire" (le livre, la tradition), comme il arrive chez les "mystiques", là encore indépendamment des frontières religieuses. (Arkoun, qui avait beaucoup lu et fréquenté Derrida à ses débuts, c'est encore sensible dans les "déconstructions" de ce texte, aurait pu sur ce point le lire davantage...) |
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