Merci, et tant pis pour l'article de Falque (2017) -- on finira peut-être par retomber dessus*...
Celui de Sonnet (2014) est très riche aussi, et il appellerait une réflexion encore plus vaste sur le
langage, qui n'est pas seulement promesse tacite, implicite, avant toute parole (promesse de parler, de dire la vérité, sous-entendue dès qu'on ouvre la bouche, mais jamais prononcée ni décidée à sa place inaugurale, parce qu'on a toujours déjà commencé à parler, en répondant et en répondant de soi, à la première personne, je, moi, à une interpellation à la deuxième, tu, toi); mais aussitôt trahison, mensonge, parjure, erreur, fiction, à commencer par la fiction de la
soi-disant "première personne", je, moi, sujet feignant d'emblée d'être quelqu'un, identique à lui-même, responsable, fiable, capable de tenir parole, de soutenir une parole comme sienne dans le temps, comme s'il était immortel, immuable, "divin"... La fiction des dieux (anges, esprits, etc.) s'ensuit comme elle y est présupposée: l'"homme" ne parle pas tout seul, et ce n'est pas vrai que pour l'"individu" qui a besoin d'interlocuteurs réels, contemporains, et de toute la sédimentation transgénérationnelle d'une langue: en lui l'"animal", si l'on se réfère au
zôon logon ekhôn, animal rationale, d'Aristote, ne parle pas non plus sans le dieu, fût-il réduit au "sujet transcendantal"...
La présentation de Sonnet prend un tour apologétique parce qu'elle se déploie dans le cadre restreint et balisé de "la Bible" (chrétienne, AT/NT), produisant l'illusion que tout ce qui se passe là serait exceptionnel, de manière à conforter un catéchisme rassurant; l'illusion s'évanouirait dès qu'elle sortirait de ce cadre, parce qu'elle se reproduirait dans tout autre corpus, canon, recueil -- celui qui reste toute sa vie dans sa Bible le sait aussi bien que celui qui s'aventure au dehors, et le "choix", si c'en est un, est très relatif, puisque chacun présuppose l'autre et en a structurellement besoin.
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* P.S.: C'était en fait un texte antérieur de Falque (2013) que j'avais en tête et que je viens de retrouver, avec pas mal de points communs,
ici (29.4.2024). Du coup j'ai pris le temps de (vraiment) lire l'article du jour: l'auteur se cite et se récite beaucoup, il cite même ceux qui le commentent et les livres qu'il n'a pas encore écrits, mais en dépit de ces manières discutables il reste intéressant: cet article-ci rejoindrait également
ce fil-ci, celui-là et beaucoup d'autres sur des thèmes connexes (p. ex.
celui-ci).
Il faut toujours de la différ
ance, dès le commencement, c'est justement ce qui manque ou fait défaut à tout principe unique: une différence originaire par excès et par défaut, un plus-et-moins d'un ou un plus-ou-moins qu'être (
epekeina tès ousias), un différer aussi temporel, une esquisse d'itération, d'hésitation ou de bégaiement, d'altérité et d'altération, un presque-deux qui tend à la dualité sans se figer en dualisme, un désajointement, une déhiscence, pour que l'identité ne puisse jamais se fermer sur elle-même et que
ça joue, que ça passe dans l'impasse où logiquement rien ne passe (aporie). Pour qu'il y ait quelque chose et/ou rien, un monde et des dieux, un Père et un Fils, un en-deçà ou un au-delà, une finitude avec ou sans in-fini. Et quand il y a ça, fatalement la fêlure, la faille, la béance, le chaos, l'abîme, la faute, le péché, le mal y sont déjà aussi même si à la lettre ils ne sont rien. Tout ce que Falque croit inventer, les "gnostiques" ou un Eckhart l'avaient compris il y a longtemps, mais ça n'enlève rien au plaisir de le découvrir soi-même. Seulement ce tout-là n'est précisément pas totalisable, et pour revenir au thème de ce fil il n'appellerait ni oui, ni non, comme premier ou dernier mot; plutôt zut, pour rester poli, ce qui ne serait peut-être pas très loin de Job... et/ou le silence. Réciproque: celui, celle, ceux ou celles à qui on pourrait dire oui ou non ne sont justement pas "tout": ni "Dieu" ni "être".
P.P.S.: J'ai découvert avec plaisir à la bibliothèque un séminaire de Derrida,
Répondre -- du secret (1991-2), qui vient d'être publié cette année et touche nombre de nos discussions récentes... Il commence sur le Bartleby de Melville,
I would prefer not to..., mot-à-mot "je préférerais ne pas (le faire, le dire)", plus idiomatiquement en français "j'aimerais mieux pas"... Dans la tonalité ce n'est pas très loin non plus de la réponse de Job, et de fil en aiguille ça m'a rappelé le "c'était pas la peine" des
Enfants de Duras...