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 Le possible et l'impossible

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MessageSujet: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeLun 13 Fév 2023, 17:42

"Jésus dit à ses disciples : Amen, je vous le dis, il est difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux. Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. Les disciples, en entendant cela, restèrent complètement ébahis. Ils se demandaient : Qui peut donc être sauvé ? Jésus les regarda et leur dit : Pour les humains, c'est impossible, mais pour Dieu tout est possible" (Mt 19,23-26).

Ce texte m'a fait penser aux notions de "possible" et d'"impossible", en autre en rapport avec Dieu mais pas seulement. Le texte de Mt 19, semble affirmer que pour Dieu tout est possible, même l'impossible.  


La déconstruction, expérience de l'impossible.

A chaque fois qu'est tentée la déconstruction d'un mot, d'un thème ou d'un concept, ce mot (par exemple : don, pardon); ce thème (par exemple : invention, amour, mort), ce concept (par exemple : hospitalité, déconstruction, justice), à chaque fois apparaît une division entre le possible et l'impossible. Le possible est soumis à des conditions - qui dépendent des contextes et des circonstances, qui peuvent faire l'objet de calculs, de contrats ou de compromis -, tandis que l'impossible, unique, imprévisible, incalculable et inconditionnel, apparaît comme la seule possibilité digne de ce mot, de ce thème ou de ce concept. Le possible et l'impossible sont hétérogènes, incommensurables, mais en étroit rapport entre eux; l'impossible est la visée du possible, tandis que le possible n'est concevable que sans l'impossible. La déconstruction, donc, se présente comme possible, on peut la désirer, la tenter et même la pratiquer, la démontrer, mais cette pratique, dit Derrida, est une invention de l'impossible. Comme elle n'a ni règle, ni procédure pré-établie, elle ne peut s'expérimenter que comme autre, toute autre, c'est-à-dire insituable et intraduisible.

L'impossible n'est pas l'impensable. Le donner à entendre, le nommer, c'est aussi le penser. La déconstruction partage avec ce qu'on nomme la théologie négative l'expérience de la possibilité (impossible) de l'impossible, du plus impossible. L'impossible ici n'est pas l'opposé modal du possible, c'est un plus-que-possible, une transgression, une chance, une rupture, un tout autre. Aucune théorie philosophique ne peut rendre compte de cette pensée, qui ne se donne pas dans l'unité d'un sens.

https://books.openedition.org/pucl/2280?lang=fr
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeLun 13 Fév 2023, 21:57

Voir ici (surtout à partir de 2017) pour le côté biblique, chrétien, religieux de la chose (avec quelques ouvertures "philosophiques" tout de même). Pour rappel, l'inter- (ou intra-)textualité est plus intéressante chez Marc que chez Matthieu (qui à l'évidence en dépend littérairement: il y a beaucoup ajouté, peu retranché, mais modifié de l'essentiel): c'est non seulement à "Dieu", mais aussi à "celui qui croit / a foi" que "tout est possible" -- spécialement l'"impossible" (aux hommes / sans "foi"). Et que la "foi" même est une "foi de dieu". Bref, il ne serait pas inutile de relire au moins la dernière page de ce fil-là avant de poursuivre celui-ci.

Ton lien renvoie à une longue annexe du livre de Jacques Colette, digne successeur du regretté Jean Brun (le seul vrai professeur de philo dont j'aie suivi les cours), sur Kierkegaard; c'est un texte très riche et parfaitement pertinent au thème, mais je ne sais pas trop ce qu'on peut en tirer si l'on n'a pas lu (et relu) Kierkegaard -- en tout cas ça vaut la peine d'essayer. Toutefois il ne correspond pas au texte que tu as copié au-dessus, et qui me semble plutôt venir de là ("sur" Derrida). Dans un sens ces deux textes sont complémentaires, parce qu'ils ne se rencontrent quasiment pas: Colette récuse la philosophie moderne qui abandonne le "sujet", à partir de Foucault; il n'est pas question de Kierkegaard dans l'autre page, bien que Derrida s'y soit aussi intéressé (notamment à propos d'Abraham et de Kafka dans Donner la mort; mais Colette rapproche aussi Kafka de Kierkegaard).

Possible / impossible est une antithèse qui paraît toute simple, évidente, triviale dans son usage quotidien; mais elle engage toute la pensée sous un angle particulièrement fécond: pouvoir, puissance, potentialité, virtualité, réalité, actualité, être, néant, temps, espace, passé, mémoire, avenir, anticipation, désir, crainte, liberté, nécessité, hasard, risque, chance, occasion, probabilité, sujet, tout cela est impliqué dès qu'on emploie le verbe "pouvoir", ça (se) peut ou ça ne (se) peut pas, et tout ce qui en découle, à commencer par la notion de "possibilité"...


Dernière édition par Narkissos le Mar 14 Fév 2023, 13:09, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeMar 14 Fév 2023, 12:59

Citation :
Ton lien (annexe du livre de Jacques Colette, digne successeur du regretté Jean Brun, sur Kierkegaard; texte très riche et parfaitement pertinent au thème mais assez long et dense; je l'ai lu avec plaisir mais je ne sais pas si un lecteur moins familier de Kierkegaard en aura la patience, en tout cas ça vaut la peine d'essayer) ne correspond pas au texte que tu as copié au-dessus, et qui me semble plutôt venir de là ("sur" Derrida).

Merci d'avoir corrigé l'erreur. 

Pour Marc, ce n'est pas seulement à "Dieu" mais à "celui qui croit" que "tout est possible" (9,23; 10,27), même ou surtout l'(autrement) "impossible" (là encore, la formule de 9,23 et l'équivalence "foi" <=> "Dieu" qu'elle établit avec 10,27 disparaissent des "parallèles"); c'est du moins par rapport à un tel "impossible" qu'une telle "foi" se joue.

https://etrechretien.1fr1.net/t323p50-pour-vous-qu-est-ce-que-la-foi



"C'est ainsi qu'après s'être montré patient Abraham obtint ce qui avait été promis. En effet, les humains jurent par ce qui est plus grand qu'eux, et le serment, en confirmant leur parole, met un terme à toute contestation. En ce sens, Dieu, décidé à donner aux héritiers de la promesse une preuve supplémentaire du caractère immuable de ses décisions, intervint par un serment, afin que, par deux choses immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu mente, nous ayons un puissant encouragement, nous dont le refuge a été de nous attacher à l'espérance qui nous était proposée. Cette espérance, nous l'avons comme une ancre solide et ferme pour l'âme ; elle pénètre au-delà du voile, là où Jésus est entré pour nous comme un précurseur, devenu grand prêtre pour toujours, selon l'ordre de Melchisédek" - (Hé 6,15-20).


L'impossibilité que Dieu mente me semble être liée au "caractère immuable de ses décisions", cette impossibilité de mentir fait partie de l'essence même Dieu, car immuable.


Un extrait :

a) Le concept biblique d'immuabilité.

En premier lieu, il appert, selon ces auteurs, que le concept d'immuabilité impliqué dans la solution traditionnelle ne provient pas de la Bible, mais est directement issu de la philosophie grecque. Le théologien Hans Kùng a particulièrement développé ce point. A la suite de Pannenberg et contre Ritschl et Harnack, il fait remarquer que, dans la théologie chrétienne primitive, la « référence à la philosophie grecque ne se produisit pas sans discernement critique... En principe du moins, la métaphysique grecque fut subordonnée à la foi chrétienne » (10). « Cependant, continue-t-il, Pannenberg, précisément, fait aussi remarquer que l'analyse critique et la refonte du concept philosophique de Dieu ne furent pas toujours exécutées avec suffisamment de profondeur» (11). C'est le cas en particulier pour l'attribut d'immuabilité. L'histoire de la christologie des cinq premiers siècles « révèle clairement que, directement ou indirectement, c'est le Dieu absolument transcendant et rigidement immuable de la métaphysique grecque qui occupe l'arrière-plan » (12). En gros, la théologie chrétienne, spécialement dans l'élaboration du dogme christologique, a emprunté sa conception de l'immuabilité divine à tout un courant de pensée qui, issu de Parménide, en passant par les « antiqui naturales », par Platon, Aristote et Plotin, atteindra la scolastique du Moyen Age. Or ce courant de pensée se caractérise par son opposition à une philosophie radicale du devenir (Heraclite) et par son affirmation de la primauté de l'être sur le mouvement. Pour le cas d'Aristote, Kûng va même jusqu'à parler d'une « peur du devenir » (13) car, pour le Stagirite, bien que pure actualité, le noûs divin serait tellement figé dans l'immuabilité et il exclurait tout mouvement de façon si radicale qu'il ne connaîtrait que lui-même et ne tolérerait ni prattein et poiein appliqué à un autre (14). 

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1976_num_50_3_2763
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeMar 14 Fév 2023, 13:32

J'ai un peu développé le post précédent (écrit trop rapidement hier soir) en t'attendant Smile

Soit dit en passant, la plupart de nos adjectifs en -able ou -ible comportent la notion de possibilité ou d'impossibilité -- ainsi "immuable" => ce qui est incapable ou ce qu'il est impossible de changer. Ce qui met en abyme ou en miroir le "pouvoir" dans  "possible" ou "impossible" (pouvoir pouvoir, etc.).

Sur l'impossible dans l'épître aux Hébreux, voir ici -- en particulier le dernier échange à partir de l'article de Cobb, 18.10.2022. Sans surprise, la notion s'y trouve directement liée à toute la conception (médio-platonicienne) d'"éternité" -- entendue comme autre sinon contraire du temps, sans temps ni espacement ni succession, où strictement aussi rien ne serait "possible".

Je reviendrai sur l'article de Gervais plus tard.

--

Plus tard donc: ça ne date pas d'hier (1975/6), mais c'est un excellente lecture pour se faire une idée de la crise moderne de la théologie classique; j'entends "moderne" en son sens "historien", depuis la Renaissance, bien que la "crise" ne soit devenue "incontournable" en théologie, toutes confessions confondues, que dans la seconde moitié du XXe siècle -- les théologiens catholiques comme Rahner et Küng rejoignant un débat déjà ouvert depuis le XIXe siècle au moins dans le protestantisme. Et par "théologie classique" je n'entends pas seulement la catholique ni la "scolastique" (notamment Thomas d'Aquin), mais l'ensemble du corp(u)s dogmatique partagé au fond par toutes les branches du christianisme "historique", tel qu'il s'est contitué depuis le IIe siècle (avec l'unification de la "grande Eglise" contre les "hérétiques", en particulier "gnostiques"), en passant notamment par les IVe et Ve (Trinité et christologie, donc "union hypostatique" en Jésus-Christ de la nature divine et humaine / créée, "natures" artificiellement mais absolument séparées à l'étape précédente); de cet immense édifice la scolastique de la fin du moyen-âge ne fait que constituer une dernière (?) synthèse en s'aidant des nouveaux apports d'Aristote, revenu à l'Occident par l'Orient judéo-musulman. Ce qui s'effondre (lentement mais sûrement) dès la Renaissance, c'est justement la possibilité (!) de penser une "éternité" autre que le "temps", ce qui oblige à penser le devenir (donc la possibilité) en "Dieu" -- ce à quoi la théologie classique ne préparait absolument pas, sinon involontairement, par son caractère hétérogène (sources "philosophiques" excluant cette "possibilité", sources bibliques, scripturaires, littéraires, contraignant à penser "Dieu" comme un "dieu", vivant, en devenir, dans le temps comme ses créatures, qui "peut" ou ne "peut" pas. On ne peut (!) pas dire qu'une théologie systématique soit arrivée tout à fait à intégrer harmonieusement ce nouveau paradigme, malgré des efforts considérables (du côté protestant on peut citer aussi Tillich, Jüngel, etc.).
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeJeu 16 Fév 2023, 13:07

Malebranche et les mondes impossibles

Le xviie siècle est, pour ainsi dire, la première époque des mondes possibles. Qu’il s’agisse de la scolastique moderne ou des philosophies post-cartésiennes, les spéculations sur le possible et le meilleur des mondes possibles connaissent un développement incomparable. C’est à la métaphysique et plus spécialement à la théologie naturelle qu’il revient de démontrer a priori que le monde actuel est le meilleur possible. Or, si le nom de Leibniz et sa théodicée viennent immédiatement à l’esprit, on sait que Malebranche s’inscrit à bon droit dans une telle entreprise, en affirmant constamment que Dieu choisit, au regard d’un certain nombre de critères déterminables a priori, le meilleur monde parmi une infinité de mondes possibles connus dans son entendement. C’est même à cette fin qu’il élabore une des thèses les plus caractéristiques de sa philosophie, en formulant le principe dit de la simplicité des voies. Il s’agit en effet de donner à comprendre pourquoi le monde actuel, en dépit de ses imperfections et des nombreux maux dont Malebranche ne cherche pas à minorer la réalité , est bel et bien le meilleur des mondes possibles. C’est que Dieu n’a pas seulement égard à la perfection de son ouvrage, mais aux moyens ou voies de son exécution. En dépit de ce qui, à certains égards, peut apparaître comme un contre-sens leibnizien, la perfection divine éclate plus encore dans la simplicité et la généralité des lois prescrites au monde. En dépit de leurs divergences quant à l’interprétation métaphysique de l’occasionnalisme et d’un usage pour le moins différent du principe de raison, une conception partiellement commune de la rationalité libère, chez les deux auteurs, la possibilité d’une théodicée. À l’encontre de la thèse cartésienne de la libre disposition par Dieu des vérités éternelles, mais aussi des possibles, Malebranche et Leibniz font retour à une certaine univocité des principes de la raison et affirment que les vérités géométriques, arithmétiques et morales, autant que les principes de la logique, sont identiques pour tout entendement, fini ou non. Malebranche ira plus loin encore dans l’affirmation de cette univocité, en montrant, dès La Recherche de la vérité, que nous voyons par les idées mêmes de Dieu , et en développant, dans le Xe Éclaircissement à la Recherche (1678), le concept d’une raison « plus indépendante que Dieu même». Alors que (comme nous avons tenté ailleurs de le montrer), la conception cartésienne d’une disposition des vérités éternelles rend ipso facto non pertinente une spéculation relative à d’autres mondes possibles, dans la mesure où les vérités qui structurent notre intelligence du monde créé, contemporaines de celui-ci parce qu’elles relèvent de la même causalité efficiente de Dieu, ne sauraient valoir pour d’autres mondes possibles, le retour à une certaine univocité de la raison (mouvement commun aux grands post-cartésiens) restaure les conditions d’une spéculation sur les possibles, du moins sur les critères a priori de la possibilité, auxquels accède l’entendement fini. Dans le contexte d’une critique de la thèse cartésienne, deux affirmations concernent immédiatement une réflexion sur le possible et l’articulation des possibles en mondes possibles : a) en connaissant les idées divines elles-mêmes, assimilées aux essences éternelles, archétypes de la création connus dans le Verbe indépendamment de leur existence actuelle, nous avons accès aux possibles, c’est-à-dire aux créables contenus dans l’entendement de Dieu, bien que, rappelons-le dès maintenant, nous n’accédions pas de même aux existences, dont l’origine relève de l’unique volonté divine ; b) En accédant (au moins en principe) aux créables par vision des idées en Dieu, il nous est loisible de rendre raison du choix que Dieu a fait de ce monde au regard d’une infinité d’autres qu’il pouvait créer. En d’autres termes, l’univocité du principe de contradiction (qui mesure en premier lieu la possibilité du possible), ainsi que l’unicité du medium de la connaissance (l’idée archétype accessible à tout entendement) nous mettent en quelque sorte du conseil de Dieu, pour reprendre (a contrario) le mot même de Descartes. Or si l’entreprise de la théodicée a pu paraître concluante en sa version leibnizienne, elle semble sujette à caution dans le cas de Malebranche, quelles que soient ses intentions explicites.

https://www.cairn.info/revue-philosophique-2015-4-page-473.htm
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeJeu 16 Fév 2023, 15:22

Article difficile mais instructif: on est là dans la phase d'intellectualisation et de mathématisation extrêmes de la pensée moderne, dans le sillage immédiat de Descartes (Spinoza, Malebranche, Fénelon, Leibniz), qui produit ce que Pascal (qui dépend aussi de Descartes, même s'il s'oppose à lui) appelle le "Dieu des philosophes". Pour ma part j'ai surtout lu Leibniz -- c'est d'ailleurs un des rares philosophes "classiques" que j'avais commencé à lire à l'époque où j'étais surtout occupé de théologie -- qui me semble développer une conception beaucoup plus riche de la "possibilité", dans la ligne d'Aristote et de Spinoza, en distinguant le "possible" qui n'est qu'une rétroprojection imaginaire du réel (actuel, factuel, événementiel) sur son passé, y compris par la négation qui l'ouvre sur un "irréel" (du présent ou du passé au sens grammatical: ce qui aurait pu ou pourrait avoir lieu mais n'a ou n'aura jamais eu lieu), de la "puissance" qui tend à l'"actualisation" effective (selon le modèle aristotélicien, dunamis / energeia, en latin "potentia / actus, mâtiné du conatus spinoziste qui le tire du côté de l'effectivité du "désir" et de la "vie" -- ce qu'appréciera aussi Nietzsche beaucoup plus tard). Chez Malebranche en effet on reste dans une "possibilité" purement abstraite (en oubliant qu'elle est abstraite de quelque chose, de l'expérience vivante et sensible d'un monde "réel" -- de res = chose -- ce que l'idéalisme des "Lumières" ultérieures sera obligé de mieux prendre en compte: Kant, Schelling, etc.).

Bien entendu, cette intellectualisation cartésienne et post-cartésienne affecte le vocabulaire religieux, spécialement en latin et en français (qu'écrit encore Leibniz): des mots comme "Verbe" (de logos traduit tantôt par verbum et tantôt par ratio, "raison"), "âme" (anima) ou "esprit" (spiritus) en viennent ainsi à désigner un pur intellect (contre toute étymologie les "animaux" n'ont pas d'"âme" !), indifféremment divin ou humain (spécialement chez Malebranche où c'est quasiment le même, notre intellect n'étant que participation à l'intellect divin). Tout cela est assurément très éloigné des usages "bibliques" des équivalents hébreux ou grecs de ces termes (nephesh / psukkhè / anima, rouah / pneuma / spiritus, logos / verbum-ratio), mais a été préparé par toute la théologie patristique et médiévale, finalement scolastique.
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeVen 17 Fév 2023, 15:33

Spinoza et le Dieu qui peut tout

Ainsi, Dieu ne peut choisir de faire ou de ne pas faire en fonction d’un supposé libre arbitre. Contrairement à l’homme, Dieu est parfait, de sorte qu’il ne peut se repentir d’avoir fait une chose telle qu’elle est. Il est, par conséquent, impossible que Dieu change ses décrets au gré de ses humeurs, sans renoncer à sa perfection. Ainsi, chaque chose déterminée par Dieu ne peut se rendre elle-même indéterminée. Si cela arrivait, remarque Spinoza, cela contredirait l’ordre établi, et conséquemment, Dieu ne serait pas infini : « S’il se produisait donc, dans la nature, quelque chose qui ne suivrait pas de ses lois, cela contredirait nécessairement l’ordre que Dieu a établi pour l’éternité par les lois universelles de la Nature. » L’ordre et l’enchaînement des choses obéissent donc à un ordre fixe et immuable allant de la cause à l’effet, ce qui veut dire que les décrets divins ne peuvent être autrement, et ne sont pas susceptibles de changement : « La Nature observe toujours des lois et des règles qui enveloppent une nécessité et une vérité éternelle, quoique toutes ne nous soient pas connues et donc aussi un ordre fixe et immuable. »

Par conséquent, la volonté de Dieu est nécessaire. En affirmant cela, Spinoza n’a pas la prétention de limiter le pouvoir d’action de Dieu, mais plutôt de l’étendre à la totalité du réel, c’est-à-dire aux lois de celui-ci. En fait, Spinoza veut démontrer que la volonté de Dieu découle de la perfection de sa nature même, de sorte que tout ce qui existe provient de Dieu comme l’effet découle de la cause. Ainsi, Dieu n’agit pas comme un tyran, mais tout ce qu’il conçoit, il le fait par une nécessité de nature. En évoquant l’infinité de Dieu, Spinoza s’attaque à cette connaissance imparfaite et confuse que l’homme a de Dieu, en démontrant que Dieu ne peut ni être limité, ni agir par une cause externe à lui. Comme on peut le constater chez Spinoza, l’action libre est celle qui dérive d’une nécessité de nature. À cet effet, il affirme que « [l]a vraie liberté n’est uniquement ou n’est rien d’autre que la cause première, laquelle n’est aucunement contrainte ni nécessitée par autre chose et par sa seule perfection est cause de toute perfection ».

En affirmant qu’il n’y a pas de volonté libre, Spinoza rejette la possibilité que Dieu puisse faire ce que lui dicte son bon plaisir, c’est-à-dire ses inclinations. S’il arrivait que Dieu agisse selon son bon plaisir, cela signifierait qu’il n’est pas parfait, mais écartelé en mille directions, au même titre que les hommes. Mais cette propension des hommes à attribuer le libre arbitre à Dieu viendrait, selon Spinoza, « de ce qu’on ne conçoit pas correctement en quoi consiste la vraie liberté, laquelle n’est en aucun cas, comme ils l’imaginent, le pouvoir de faire ou de ne pas faire quelque chose de bien ou de mal ». À travers cet énoncé, Spinoza affirme que la liberté de Dieu ne peut s’accommoder de l’inconstance, dans la mesure où elle repose sur la nécessité de la perfection de sa nature.

C’est précisément cette nécessité parfaite de sa nature qu’il nomme liberté, comme en témoigne ce propos qui résume sa thèse principale : « Dieu agit par les seules lois de sa nature et sans subir aucune contrainte. » La liberté de Dieu ne se traduit pas par une sorte d’arbitraire, au sens où il aurait le pouvoir de faire ce qu’il veut, comme il veut, au point de se contredire, comme le prétend le vulgaire, qui entend « par puissance de Dieu une volonté libre et un droit s’étendant à tout ce qui est, et pour cette raison toutes choses sont communément considérées comme contingentes. Dieu, dit-on en effet, a le pouvoir de tout détruire et tout anéantir ». Mais sa liberté est l’expression d’une volonté parfaite, c’est-à-dire exempte d’émotions. Cette manière de penser philosophiquement la nature de Dieu à partir de cette propriété apparaît chez Spinoza comme la clé de la libération de l’homme, dans la mesure où elle fournit une idée claire de Dieu, dont l’intérêt est de mettre un terme aux préjugés anthropomorphiques.

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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeVen 17 Fév 2023, 21:07

Spinoza aussi est fascinant (je l'ai surtout jusqu'ici approché par Deleuze -- et Leibniz, qui s'en est beaucoup inspiré et a eu le courage et l'honnêteté de lui rendre hommage, ce qui n'allait pas de soi s'agissant d'un juif hérétique aussi bien au regard du catholicisme et du protestantisme que du judaïsme). D'une certaine façon il "déconstruit" avant la lettre le système cartésien en poussant ses propres principes à leur limite aporétique et tautologique, où s'effondrent toutes les antithèses classiques (entre volonté et intellect, nécessité et liberté, etc.); mais cela rend problématiques toutes les distinctions que requiert la construction de son propre "système" -- par exemple, "Dieu" ne "veut" pas arbitrairement comme un "tyran", pour lui la liberté et la nécessité sont une seule et même chose; mais le "tyran" qui sert sur ce point de contre-modèle à "Dieu" est aussi une partie intégrante, libre et nécessaire de la perfection de "Dieu", puisque stricto sensu il n'y a rien d'autre que ce "Dieu"-là... On comprend qu'à partir de là le principal souci sera l'éthique, difficile à fonder sur une telle tautologie.

En ce qui concerne le présent sujet, cela illustre aussi une des façons dont la toute-puissance ou la toute-possibilité bascule dans l'impuissance ou dans l'impossibilité absolues. Le "Dieu" (ou la "foi") à qui tout serait possible est en un autre sens celui (ou celle) qui n'aurait jamais rien fait et ne ferait jamais rien, le pouvoir pur qui pour être ce qu'il est doit rester en retrait de tout exercice du pouvoir, de tout acte -- car dès lors qu'il fait ce qu'il peut faire, il ne peut plus ne pas l'avoir fait, et d'acte en acte posés et combinés dans le même espace-temps le champ des possibilités se restreint (en "compossibilité" comme dit Leibniz: deux choses peuvent être séparément "possibles", mais exclusives l'une de l'autre, donc "incompossibles"). La toute-puissance exigerait paradoxalement, mais logiquement, qu'aucune "puissance" ne soit jamais exercée, que rien n'en passe à l'"acte", de sorte qu'elle serait indiscernable d'une impuissance absolue. Mais ce fond de toute-impuissance (on peut parler à ce propos d'"arrière-monde", comme Nietzsche, sauf qu'il n'aurait rien d'un "monde" ni même d'un "Dieu") est le seul qui préserve dans le monde des faits et des enchaînements nécessaires ou contingents, de plus en plus déterminé même s'il s'autodétermine de part en part, quelque chose comme une possibilité de l'impossible -- fût-ce une illusion. Contre sa propre logique, échappant paradoxalement à sa tautologie de principe, le "panthéisme" (ce que qu'on a le plus reproché à Spinoza) préserve un excès du theos sur le pan, du "Dieu" sur le "tout" (ou la "nature"), à l'instar de l'"au-delà de l'être" platonicien. Un excès qui est aussi bien un défaut, ou un en-deçà, dont il est rigoureusement impossible de rendre compte: l'impossible même qui ouvre tous les possibles. On retrouverait plutôt ici Eckhart, le fond abyssal (Abgrund) de "Dieu" qui est aussi celui de l'"âme", pur "être" indiscernable du "rien". Béance et déclosion (pour faire résonner à distance Lacan et Nancy).

On comprend que ce type de pensée défie la logique binaire, exclusive (ou bien... ou bien...) et son "principe de (non-)contradiction" compris de façon superficielle (Aristote avait pourtant eu soin d'exclure la prière, le souhait ou l'expression du désir, soit le lieu même de l'"impossible", du régime prédicatif de vérité: vrai ou faux ne vaut que pour un certain type de proposition, la prédication logique, S est p, sujet est prédicat, p. ex. cette maison est blanche). Il faut revenir à la "coïncidence des opposés" de Nicolas de Cues, ou plus loin encore à la structure des formules (anté-aristotéliciennes, pas forcément ou forcément pas anti-aristotéliciennes) d'Héraclite: Ceci est et n'est pas cela. Le "Dieu des philosophes" en retrouve quelque chose mais au prix de cette hyper-intellectualisation qui le rend étranger au "Dieu" de toute tradition religieuse et, au fond, de toute religion (ce n'est effectivement plus le Dieu d'Abraham ni de Jésus-Christ, la remarque de Pascal reste juste face à la philosophie de son temps, à condition de ne pas l'extrapoler à la philosophie d'avant ou d'après).

De là l'intellectualisme post-cartésien bascule à son tour dans un empirisme radical (exemplairement Berkeley: du cogito [ergo] sum, "je pense [donc] je suis", dépouillé de son douteux pouvoir de déduction [= donc], à esse est percipi aut percipere, "être c'est être perçu ou percevoir"), voire au subjectivisme et au solipsisme absolus, d'autant que le "sujet" n'est plus "Dieu" mais l'"homme", entendu de surcroît comme individu: n'est (vrai) pour chacun que ce qu'il pense (tel). Où l'on rejoindrait, au moins formellement, non seulement Parménide (c'est le même que le penser et l'être) ou Nietzsche (qui se croyait pourtant aux antipodes de Parménide), mais à nouveau la lettre de l'évangile selon Marc (celui qui a la "foi de dieu" déplace effectivement les montagnes, "cela sera pour lui"); foi à ce stade indiscernable d'une folie.

Au passage, il suffit de changer une lettre en français et de retourner la "puissance" de l'actif au passif pour passer de l'impossible à l'impassible, dont nous avons déjà parlé ailleurs, par exemple ici et : le Dieu, ou le fond sans fond (subjectum) qui peut tout et ne peut rien, souffre tout et ne souffre rien.
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeLun 20 Fév 2023, 12:06

Le possible. La réalité

Le possible

La notion de possible se prend en trois acceptions principales : est possible, en premier lieu, ce qui n’est pas mais qui pourrait être. En ce sens, le possible s’oppose au réel, si l’on entend par « réel » cela même qui est donné dans une expérience et qui n’est pas seulement à l’état imaginaire, contrairement au fictif, au virtuel, au projet, voire à l’éventualité. L’impossible désigne alors soit ce qui, par nature, ne saurait être promu au rang de réalité, soit ce qui s’avère irréel momentanément ou provisoirement. Le possible signifie également ce dont l’existence n’implique pas contradiction et s’apparente ainsi à l’essence et à la définition, par distinction d’avec le contingent. Le possible, enfin, caractérise ce qui ne contredit pas les lois de la nature, différent en cela du miracle, par exemple.

Ces significations nous orientent vers une triple problématique ontologique (le rapport entre le possible et le réel, l’essence et l’existence), épistémologique (la question de la représentation et de la connaissance) et pratique (la question morale du permis et celle, technique, du réalisable). En effet, l’idée de possible, qui s’offre dans un nombre considérable d’expressions témoignant de son extraordinaire polyvalence, recoupe à la fois ce qui est concevable ou représentable et, sur un plan pratique, ce qui est autorisé et susceptible de réalisation. On peut envisager le possible comme une réalité en puissance, le réel possédant alors une prééminence par rapport au possible qui désigne un non-être. Dans une perspective inverse, le possible prévaut sur le réel qui n’en est qu’un réarrangement, de sorte que du réel sont exclus le hasard et la contingence. Mais le possible peut incarner la dimension du projet libre, de l’avenir, de l’action, plutôt qu’un déploiement de ce qui existe déjà. Le possible : un non-être, une moindre réalité ou bien ce qui excède la réalité, la révèle, voire l’accomplit ? Le possible ne désigne-t-il pas une « création continue d’imprévisible nouveauté » (Bergson, La pensée et le mouvant) et, à ce titre, une dimension fondamentale de l’action et de la liberté ?

La réalité

La notion de réalité s’offre dans un nombre considérable d’expressions qui témoignent d’abord de son extraordinaire polyvalence : on parle de la réalité en général, mais aussi de la réalité d’un fait, d’une théorie, d’un rêve, d’une hallucination, pour signifier l’ensemble des choses qui possèdent une existence objective, ainsi que l’être véritable des choses. Une double acception se fait jour : la réalité comme totalité synthétique des différentes réalités ; le caractère de ce qui est réel, actuel, donné, par opposition à l’invention, l’illusion, l’apparence, la fiction, le rêve.

Toutefois, si la réalité désigne un type d’existence caractérisé par la permanence, la fiabilité, la limitation, s’imposant et résistant à ceux qui tentent de l’oublier ou de la nier (contrairement à l’apparence qu’on peut justement faire disparaître ou qui disparaît d’elle-même), l’objectivité ne semble pas être le seul attribut de la réalité : une chose peut être réelle pour moi sans pour autant avoir une existence concrète, scientifiquement avérée (la réalité du délire psychotique, par exemple). L’idée de réalité ne se confond pas non plus avec celle de fait, dans la mesure où la première résulte d’une démarche de rectification d’une erreur, par distinction d’avec la croyance, le préjugé ou le raisonnement abstrait. La réalité peut alors jouer le rôle d’une norme sur laquelle la connaissance doit s’étayer, si cette dernière souhaite prétendre à une certaine légitimité.

L’idée de réalité nous renvoie tout droit du côté d’une problématique à la fois ontologique et épistémologique qui se double d’une perspective éthique : se demander s’il existe une réalité en soi, indépendante du sujet ou de l’esprit qui la conçoit, revient non seulement à s’interroger sur le fondement de la connaissance et des représentations, mais aussi sur le sens qu’il convient de conférer à l’existence humaine. Car selon le statut que l’on accorde à la réalité – simple illusion, construction de l’esprit humain, absolu, etc. – découlent des attitudes et des projets philosophiques radicalement différents.

https://www.cairn.info/revue-l-enseignement-philosophique-2009-5-page-3.htm
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeLun 20 Fév 2023, 14:12

Cours de philo exemplaire, pour le meilleur et pour le pire, qui donne l'illusion de suivre un thème (ou deux) à travers deux millénaires et demi d'histoire de la philosophie en parlant toujours de la même chose, comme si les différences des époques, des langues, des civilisations, des systèmes épistémologiques, moraux, politiques, juridiques, sociaux, économiques, techniques, ne l'affectaient pas, du moins pas assez pour déranger l'apparence d'unité ou de dualité constante du "sujet" (possibilité et réalité)...

Peut-être pourtant parle-t-on toujours de la même chose, à la fois "être" et "pouvoir" (possum / posse = potis + sum / esse), mais celle-là ne se laisse ni conceptualiser ni thématiser, tout au plus métaphoriser ou poétiser, comme un tremblement de l'être.
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeMer 08 Mar 2023, 11:11

La mort comme aporie

Tout pour Derrida se joue dans cette formule : « la possibilité de l’impossible ». Comment entendre son sens ? « Est-ce là une aporie ? où la situer ? dans l’impossibilité ou, ce qui ne revient pas nécessairement au même, dans la possibilité d’une impossibilité ? Comment penser cela ? Comment le dire dans le respect de la logique et du sens ? Comment approcher, vivre, exister cela ? Comment en témoigner ? ». Pour Heidegger, on le sait, il s’agit de la possibilité la plus propre du Dasein; pour Derrida, au contraire, il s’agira d’en souligner le caractère aporétique, et de pencher vers l’impropre et l’expropriation car, comme il l’explique dans Apories, si la possibilité la plus propre et la plus extrême se révèle être la possibilité de l’impossible, alors il faudra dire « qu’une certaine expropriation de l’Enteignis aura toujours habité le propre de l’Eigentlichkeit ». . Lorsque Heidegger parle de la possibilité de la mort « comme celle de l’impossibilité de l’existence en général » (als die der Unmöglichkeit der Existenz überhaupt), Derrida l’entendra comme manifestant que la possibilité est approchée comme impossibilité, car ce « n’est pas seulement la possibilité paradoxale d’une possibilité de l’impossibilité, c’est la possibilité comme impossibilité »; et donc, comme la disparition de la possibilité dans l’impossible : il explique ainsi que la mort, pour le Dasein, « est à la fois sa possibilité la plus propre et cette même possibilité (la plus propre) en tant qu’impossibilité (donc la moins propre, dirais-je, mais Heidegger ne le dira jamais ainsi) », car, continue-t-il, « nous aurons à nous demander comment une possibilité (la plus propre) en tant qu’impossibilité peut encore apparaître comme telle sans disparaître aussitôt, sans que le “comme tel” sombre d’avance… » . Bref, il s’agit pour Derrida d’entendre cette expression comme aporie (« Il y a plusieurs manières de penser la possibilité de l’impossibilité comme aporie »), même s’il reconnaît aussitôt que Heidegger « n’accepterait sans doute pas » cette logique de l’aporie, cette logique aporétique qui selon Derrida consacrerait de fait la ruine de l’analytique existentiale, de l’opposition du propre et de l’impropre, et des démarcations conceptuelles opérées dans Sein und Zeit. Derrida voit dans ce traitement du mourir l’exemple d’une logique de l’aporie, une figure de l’aporie, qui marque et détermine « tout ce qui n’est possible, s’il y en a, que comme l’impossible : l’amour, l’amitié, le don, l’autre, le témoignage, l’hospitalité, etc. ». Et l’éthique en tant que telle...

https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2007-1-page-73.htm

J'avoue trouver ce texte très hermétique ... Shocked
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeMer 08 Mar 2023, 12:58

L'article mérite pourtant d'être lu tranquillement dans sa totalité, car dans l'ensemble c'est une présentation exceptionnellement claire (d'un aspect) de la pensée de Derrida, à partir de textes relativement simples (notamment une de ses rares interviews à un journal "grand public", si on pouvait encore appeler ainsi "L'Humanité" en 2004, année de la mort de Jacques Derrida).

Que "ma mort" soit à la fois ce que j'ai de plus "propre" et de plus "impropre" et "inappropriable", d'une part parce qu'elle m'expropriera de tout y compris de mon "propre moi", d'autre part parce que "je" ne la vivrai jamais jusqu'au bout, "je" ne l'atteindrai jamais ou "elle" ne "m'"atteindra jamais (je mourrai mais je ne serai jamais mort), tout cela est à la portée de n'importe quelle "pensée" depuis que l'homme, la femme ou plu(s)tôt l'enfant dit "je" et "moi", c'est par là même qu'il commence à y avoir une "pensée". Mais cette structure "aporétique" par laquelle la pensée échoue au point même où elle commence, que le soi-disant "sujet" rencontre de façon privilégiée dans la considération de "sa mort" (ou aussi bien de "sa naissance") se retrouve à vrai dire dans chaque événement, dès lors qu'il n'est pas totalement prévu, programmé, planifié, organisé, maîtrisé d'avance. Tout ce qui arrive comme de nulle part, sans qu'on le voie venir, et qui suscite souvent un "c'est pas possible !". -- Qu'on l'accueille d'ailleurs sur le mode de l'hostilité ou de l'hospitalité (c'est la même famille de termes que Derrida aura déclinée dans tous les sens, host-guest-ghost, comme habitation-habitude-hantise, obsession comme vocabulaire du siège, "obsidionalité", etc.), la question "éthique" naît précisément de l'im-possibilité comme possibilité de l'impossible ou impossibilité d'un possible (prévisible, programmable, planifiable); en quoi les parcours de Levinas et de Derrida, qui pouvaient paraître très antagonistes au début, se rejoignent effectivement sur un même fond heideggerien qu'ils ont d'ailleurs toujours reconnu l'un et l'autre, même s'ils avaient de bonnes raisons d'être réservés sur le personnage Heidegger...

Pour comprendre un peu mieux dans le détail l'extrait précité, il faut savoir que le mot Ereignis qui devient un terme-clé de Heidegger après Sein und Zeit (1927) est le mot allemand le plus banal pour "événement" (ce que ne permettent plus d'entendre ses traductions françaises alambiquées en "avenance", etc.), mais qu'il est évidemment surinterprété, longtemps à partir d'une fausse étymologie qui l'apparente à eigen, (le) "propre" (pas le contraire du sale mais de l'impropre, de l'étranger, de l'autre, etc.); Heidegger prendra en compte sur la fin une étymologie plus juste qui le ramène au champ de la vision (augen), ce qui apparaît, devient visible, etc., qui rejoint par un autre bout une thématique majeure et encore plus ancienne de sa philosophie (être comme apparaître ou entrer en présence). Toujours est-il que dans le paragraphe en question, c'est avec l'Ereignis ("événement" compris comme "ap-propriation") que jouent l'Enteignis comme désappropriation ou expropriation, et l'Eigentlichkeit comme "propriété" au sens conceptuel, caractère de ce qui est propre... Derrida en suivant ce fil écrira souvent exappropriation... Je rappelle aussi, quoi que ce soit plus connu, que le Dasein ("être là", "être le là" écrira même exceptionnellement Heidegger en français) est le mot allemand courant pour "existence" (plus naturel que le latin Existenz), et que c'est le terme-clé de Sein und Zeit -- l'"homme" compris non plus comme animal rationale ou zoon logon ekhôn, "sujet"-subjectum ou "conscience", mais comme "être là" ek-statique, en entendant bien "être" au sens verbal...
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeMar 19 Déc 2023, 15:23

1. La déconstruction, expérience de l'impossible.

A chaque fois qu'est tentée la déconstruction d'un mot, d'un thème ou d'un concept, ce mot (par exemple : don, pardon); ce thème (par exemple : invention, amour, mort), ce concept (par exemple : hospitalité, déconstruction, justice), à chaque fois apparaît une division entre le possible et l'impossible. Le possible est soumis à des conditions - qui dépendent des contextes et des circonstances, qui peuvent faire l'objet de calculs, de contrats ou de compromis -, tandis que l'impossible, unique, imprévisible, incalculable et inconditionnel, apparaît comme la seule possibilité digne de ce mot, de ce thème ou de ce concept. Le possible et l'impossible sont hétérogènes, incommensurables, mais en étroit rapport entre eux; l'impossible est la visée du possible, tandis que le possible n'est concevable que sans l'impossible. La déconstruction, donc, se présente comme possible, on peut la désirer, la tenter et même la pratiquer, la démontrer, mais cette pratique, dit Derrida, est une invention de l'impossible. Comme elle n'a ni règle, ni procédure pré-établie, elle ne peut s'expérimenter que comme autre, toute autre, c'est-à-dire insituable et intraduisible.

L'impossible n'est pas l'impensable. Le donner à entendre, le nommer, c'est aussi le penser. La déconstruction partage avec ce qu'on nomme la théologie négative l'expérience de la possibilité (impossible) de l'impossible, du plus impossible. L'impossible ici n'est pas l'opposé modal du possible, c'est un plus-que-possible, une transgression, une chance, une rupture, un tout autre. Aucune théorie philosophique ne peut rendre compte de cette pensée, qui ne se donne pas dans l'unité d'un sens.

5. Aller où il est impossible d'aller.

L'impossible n'est jamais possible, sauf la mort. D'une part elle est toujours imminente, toujours possible, toujours visible quand c'est l'autre qui meurt; d'autre part il est impossible pour un vivant de vivre le mourir, de l'expérimenter. Je n'ai jamais rapport à "ma mort" comme telle. Absolument certaine et absolument indéterminée, la mort restera toujours pour moi toute autre, impossible. C'est, peut-être, l'unique occurrence de l'aporie comme telle, une aporie qui, dès qu'elle apparaît, n'arrive qu'à s'effacer. Et pourtant il faut l'endurer, il faut s'y rendre, d'un certain pas.

Il faut nommer l'impossible, dit Derrida : nommer le rien (rien de terrestre), nommer l'impensable du sans (qui ne peut ni se dire ni s'entendre), nommer l'effondrement sans fond (qui désertifie le langage). Ce qu'on appelle théologie négative, c'est ce qui invite à aller au-delà du nom, où il est impossible d'aller. Comment nommer le sans contenu, ce dont on ne peut avoir aucune connaissance objective ou constative? Il reprend parfois le syntagme nom de Dieu. En termes grecs, c'est l'au-delà de l'être (epekeina tes ousias). En termes plus courants, c'est la passion, l'excès, le désir insatiable qui conduit toujours plus loin.

https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1206131127.html
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeMar 19 Déc 2023, 17:31

N.B.: c'est toujours le texte du post initial (malgré une erreur de lien qui a été corrigée ensuite).

Comme on l'a remarqué ailleurs (p. ex. sur la "justice", le "pardon" ou le "don"), le geste de Derrida ne fait que prolonger ceux des auteurs qu'il "déconstruit", et d'abord celui de Platon qui vise dans l'"idée" un au-delà du "réel", quitte à le renverser en "en-deçà", origine, source, fondement, modèle ou type du "réel" qui l'imite plus ou moins bien, de la copie fidèle à l'ombre trompeuse. Il est antagoniste à la façon du judoka qui entraîne le mouvement même de l'adversaire jusqu'à sa chute. Soit dit en passant c'est aussi la stratégie ou la tactique du Sermon sur la montagne, telle que l'avait bien comprise Nietzsche: ne résistez pas au mal, ajoutez-y plutôt (tendre l'autre joue, etc.).

Le désir est peut-être toujours désir de l'impossible, mais il est rare qu'il se reconnaisse tel, sans prétendre possible l'impossible, sans renoncer à le désirer -- ce qui rejoindrait aussi Lacan: ne pas céder sur son désir, ce n'est surtout pas le "réaliser"...
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeSam 20 Juil 2024, 12:47

Avant de rendre à la bibliothèque Sauf le nom, le petit livre de Derrida dont j'ai beaucoup parlé ces jours-ci ici et , je note dans ce fil-ci deux autres citations de Silesius (p. 33 et passim) qui s'y rapportent admirablement:

Das überunmöglichste ist möglich.
Du kanst mit deinem Pfeil die Sonne nicht erreichen,
Ich kan mit meinem wol die ewge Sonn bestreichen.


Le plus (qu')impossible est possible.
Tu ne peux de ta flèche atteindre le soleil,
Je peux bien, de la mienne, prendre sous mon tir le soleil éternel.
(VI, 153)

Geh hin, wo du nicht kanst; sih, wo du sihest nicht:
Hör wo nichts schallt und klingt, so bistu wo GOtt spricht.


Va où tu ne peux, vois où tu ne vois pas:
Ecoute où rien ne bruit ni ne résonne, ainsi es-tu là où Dieu parle.
(I, 199)
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeLun 22 Juil 2024, 12:54

Derrida et l'éthique de l'im-possible (Article très complexe).
François Raffoul

À Meri « Depuis le cœur même de l’im-possible, on entendrait ainsi la pulsion ou le pouls d’une “déconstruction”.
Papier Machine, p. 308.

Mais remonter aux possibilités de l’éthique signifie immédiatement : faire retour à ses limites, à ses apories, qui sont à la fois constitutives et incapacitantes, possibilisantes et impossibilisantes… L’un des sens de la déconstruction, telle que Derrida l’a pratiquée, aura en effet été de révéler les apories propres aux systèmes, apories qui sont néanmoins constitutives de ce qu’elles interrompent, et en ce sens phénomènes positifs (d’où le sens « positif » ou « affirmatif » que Derrida reconnaît à la déconstruction  ). L’aporie ne sera pas synonyme de fermeture mais constituera une limite à travers laquelle, insiste Derrida, s’annonce quelque chose de positif, sur un mode affirmatif. L’aporétique est constitutif : ici se laisse entrapercevoir la pensée renouvelée chez Derrida du possible et de l’impossible, de l’impossible comme possible et du possible comme impossible, de la « possibilité de l’impossible ». L’impossible ne serait plus l’opposé du possible, mais au contraire ce qui « hante le possible », ce qui « peut » véritablement dans le possible, ce qui l’ouvre ou le possibilise. L’im-possible est possible, non pas au sens où il deviendrait possible, mais dans le sens plus radical où l’impossible est possible, comme impossible. Parallèlement, il s’agit de « convertir le possible en impossible » et de reconnaître que si l’impossible est possible (comme impossible), le possible d’une certaine manière est l’impossible . Dans le contexte d’une discussion sur l’événement, Derrida écrit ainsi :

Je dirai, j’essaierai de montrer… en quoi l’impossibilité, une certaine impossibilité de dire l’événement ou une certaine possibilité impossible de dire l’événement, nous oblige à penser autrement… ce que veut dire possible en histoire de la philosophie.
Autrement dit, j’essaierai d’expliquer pourquoi et comment j’entends le mot « possible » dans cette phrase où ce « possible » n’est pas simplement « différent de » ou le « contraire de » « impossible », pourquoi ici « possible » et « impossible » veulent dire le même.

Remonter aux conditions de possibilité serait donc une démarche aporétique, qui conduit à l’aporie ou à l’impossible. En retour l’aporie est la condition de possibilité (ou d’impossibilité, comme Derrida l’écrit parfois) de ce dont elle est l’aporie. C’est pourquoi Derrida précise : « Ce qui m’intéresse, ce sont, en fait, les apories de l’éthique, ses limites » (L’Humanité, 28/1/2004). C’est dans l’aporie, dans l’impossible, qu’il faudra situer l’éthicité de l’éthique. « Ce que je fais est alors aussi bien an-éthique qu’éthique. J’interroge l’impossibilité comme possibilité de l’éthique : l’hospitalité inconditionnelle est impossible, dans le champ du droit ou de la politique, de l’éthique même au sens étroit… Faire l’impossible ne peut pas être une éthique et, pourtant, c’est la condition de l’éthique. J’essaie de penser la possibilité de l’impossible. »

LES APORIES DE L’ÉTHIQUE

La mort comme aporie

Tout pour Derrida se joue dans cette formule : « la possibilité de l’impossible ». Comment entendre son sens ? « Est-ce là une aporie ? où la situer ? dans l’impossibilité ou, ce qui ne revient pas nécessairement au même, dans la possibilité d’une impossibilité ? Comment penser cela ? Comment le dire dans le respect de la logique et du sens ? Comment approcher, vivre, exister cela ? Comment en témoigner ? »Pour Heidegger, on le sait, il s’agit de la possibilité la plus propre du Dasein; pour Derrida, au contraire, il s’agira d’en souligner le caractère aporétique, et de pencher vers l’impropre et l’expropriation car, comme il l’explique dans Apories, si la possibilité la plus propre et la plus extrême se révèle être la possibilité de l’impossible, alors il faudra dire « qu’une certaine expropriation de l’Enteignis aura toujours habité le propre de l’Eigentlichkeit ». Lorsque Heidegger parle de la possibilité de la mort « comme celle de l’impossibilité de l’existence en général » (als die der Unmöglichkeit der Existenz überhaupt), Derrida l’entendra comme manifestant que la possibilité est approchée comme impossibilité, car ce « n’est pas seulement la possibilité paradoxale d’une possibilité de l’impossibilité, c’est la possibilité comme impossibilité »; et donc, comme la disparition de la possibilité dans l’impossible : il explique ainsi que la mort, pour le Dasein, « est à la fois sa possibilité la plus propre et cette même possibilité (la plus propre) en tant qu’impossibilité (donc la moins propre, dirais-je, mais Heidegger ne le dira jamais ainsi) », car, continue-t-il, « nous aurons à nous demander comment une possibilité (la plus propre) en tant qu’impossibilité peut encore apparaître comme telle sans disparaître aussitôt, sans que le “comme tel” sombre d’avance… ». Bref, il s’agit pour Derrida d’entendre cette expression comme aporie (« Il y a plusieurs manières de penser la possibilité de l’impossibilité comme aporie »), même s’il reconnaît aussitôt que Heidegger « n’accepterait sans doute pas » cette logique de l’aporie, cette logique aporétique qui selon Derrida consacrerait de fait la ruine de l’analytique existentiale, de l’opposition du propre et de l’impropre, et des démarcations conceptuelles opérées dans Sein und Zeit. Derrida voit dans ce traitement du mourir l’exemple d’une logique de l’aporie, une figure de l’aporie, qui marque et détermine « tout ce qui n’est possible, s’il y en a, que comme l’impossible : l’amour, l’amitié, le don, l’autre, le témoignage, l’hospitalité, etc. ». Et l’éthique en tant que telle...

https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2007-1-page-73.htm#:~:text=Derrida%20ajoute%20m%C3%AAme%20%3A%20%C2%AB%20Le%20don,avoir%20lieu%20que%20comme%20impossible.
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeLun 22 Juil 2024, 13:55

Cela me paraît sans doute un peu moins "complexe" parce que je me suis progressivement familiarisé avec la pensée et l'écriture de Derrida (et de Heidegger) depuis une vingtaine d'années, et qu'en plus il se trouve que j'ai relu il y a seulement quelques jours plusieurs des textes cités ici... mais je pense que si tu lis cursivement l'article dans son ensemble, sans trop t'arrêter sur le détail, tu n'auras pas de mal à en saisir les idées générales.

Contrairement à Deleuze par exemple, Derrida n'est pas vraiment un "créateur de concept" qui cherche à associer fermement des mots à des idées claires et univoques, sinon simples (idées qui ne le sont jamais, claires et univoques, que par opposition, ou du moins par distinction, par rapport à d'autres idées-mots également présumées claires et univoques), pour les utiliser comme des outils. Il s'agit plutôt pour lui de faire jouer la distinction ou l'opposition, et par là la définition même de chacun des termes distingués ou opposés, par exemple possible-impossible, pour faire apparaître la limite du concept, de la nuance ou de l'antithèse. Travail et jeu de pensée, même si la pensée a bien d'autres façons de travailler et de jouer.

Après tout, qu'est-ce que le "possible" ou l'"impossible", sinon une abstraction et/ou une illusion rétrospective du "réel" rétro-pro-jeté ou fantasmé dans l'"irréel" du passé ou du futur; autrement dit, de l'"événement" temporel, de ce qui arrive ou pas, et le cas échéant comme ça arrive (cf. Wittgenstein, le réel, le monde, c'est ce qui arrive, ce qui est le cas, was der Fall ist) ? Un dé "peut" tomber sur n'importe quel chiffre tant qu'il n'est pas jeté, une fois jeté il ne le "peut" plus, à moins d'être jeté à nouveau, mais je "peux" toujours me dire qu'il "aurait pu" (irréel du passé) tomber sur un autre, et qu'il le "pourra" si je le relance. Cette "possibilité" parfaitement irréelle, verbale et imaginaire, et pourtant réalisable indéfiniment, se combine et se confond avec toutes sortes de "pouvoirs", de "puissances", de "virtualités" physiques, psychiques, techniques, dès qu'on passe d'un dé à un vivant inter-essé (p. ex. le lanceur de dés) qui mémorise et anticipe, retient et projette, désire ou craint, calcule et spécule. Leibniz avait déjà remarquablement pensé la question, dans la veine de Spinoza et d'Aristote (cf. supra février 2023).
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeMar 23 Juil 2024, 15:15

La théologie négative adresse à l'ami l'injonction ultime : il faut qu'en naissant de rien et en tendant vers le rien, il vienne à l'être, il se fasse écriture

Jacques Derrida part de la dernière phrase du livre d' Angelus Silesius : "Ami, en voilà assez. Et si tu veux lire au-delà, Va - et deviens toi-même l'écrit et toi-même l'essence" (c'est la traduction de Derrida, on lira ci-contre à droite celle du traducteur). Comme Saint Augustin dans ses Confessions, Angelus Silesius s'adresse à Dieu pour s'adresser à l'autre : le lecteur, le disciple, l'ami. Au-delà du dernier verset de son texte (en post-scriptum), il appelle à l'amour, à la charité, à la fraternité. Tu dois te rendre au-delà du lisible, au-delà de la signature, et pour cela, tu dois te faire écrit, écriture ou livre (un appel qui ressemble à celui que l'ange Raphaël adresse à Tobit, que Derrida n'a pas manqué de commenter, lui aussi, en post-scriptum). Quelle est cette place? Angelus Silesius ne peut rien en dire, il n'en sait rien. Il exige pourtant de l'ami qu'il se fasse écriture, ou plutôt que le lecteur, en écrivant, se fasse ami, devienne un ami. Pour celui qui écrit, qu'il soit père de l'Eglise (Saint Augustin), théologien de la théologie négative (Angelus Silesius) ou philosophe (Derrida), quand il écrit, le lecteur n'est rien (comme Dieu), mais il lui faut quand même un interlocuteur, il lui faut s'adresser à un inconnu comme à un ami. S'adresser à ce rien, c'est faire venir une naissance, un changement, une transformation qui s'effectue par elle-même, qui se porte elle-même. Cela donne-t-il à l'ami une consistance, une substance? Non, il n'est rien, il est toujours rien, rien d'autre que l'essence de l'amitié. L'être de ce destinataire produit par le texte est le Rien (comme Dieu).

Voici ce que dit, ailleurs dans Le voyageur chérubinique, Angelus Silesius : "Devenir le Rien, c'est Dieu devenir. Rien ne devient qui soit d'avance : si tu ne deviens (le) rien, / Jamais tu ne sera né de l'éternelle lumière" (VI, 130). Il faut, pour être, devenir le Rien (comme Dieu). Cette exigence, c'est l'impossible, le plus impossible.

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Narkissos

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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeMar 23 Juil 2024, 15:45

C'est bien sur cette page le livre (Sauf le nom) dont je parlais (supra 20.7.2024), mais je découvre grâce à l'hypertexte d'"idixa" le commentaire sur Tobit que je n'avais pas lu (Mémoires d'aveugle).

Devenir "oeuvre" ou "écriture", il faudrait entendre Blanchot là-derrière, ce n'est rien d'autre que "la mort" -- pas seulement celle qui finit par arriver à la fin de "la vie", aussi telle qu'elle se joue à même "la vie", à chaque chaque instant et chaque événement, chaque action et/ou passion qui prend acte d'elle-même, en mémoire d'elle-même comme d'une autre, pour chaque étant-vivant qui en étant ou en vivant au présent aura été et aura vécu, dans ce futur antérieur indélébile même s'il n'est écrit nulle part, à la lettre eschatologique comme le livre des morts ou le livre de vie de l'Apocalypse: dédoublement, démultiplication des temps à même le même temps... ce serait encore l'image photo- ou cinémato-graphique de celui ou celle qui tout en vivant se regarderait vivre, et s'imaginerait regardé au présent infini d'un futur indéfini comme dans l'"objectif" d'une caméra, par tous les yeux du monde, ceux de Dieu comme de n'importe quel spectateur, sous réserve de tous les montages et remontages à venir, ceux qu'il croit maîtriser et ceux qui lui échappent, qui sont une chance autant qu'un risque: c'est aussi ça "l'oeuvre", ergon et poièsis, ce qui reste de l'action ou de la passion même quand il n'en reste rien.
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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeLun 29 Juil 2024, 11:16

Le désespoir. Le possible et l’impossible

3/ L’impossible et la démesure

L’excessif peut se dire de manière affirmative, telle l’hyperbole, l’hyperbolē grecque qui signifie aussi surabondance, surpassement sans aucune connotation d’exagération ou d’enflure, sans répréhensible abus de langage. Très différent et même tout autre se profile ce qui ne peut se dire que négativement : les mirages de l’excédentarité (Überschuss), le non maîtrisable, l’irreprésentable, le radicalement inattendu (là aussi en grec : le paradoxal), le démesuré. A l’extrême de ce qui est difficilement dicible apparaîtrait l’impossible à dire (impossibile dictu, Fénelon). Le langage a ses limites. Voilà ce qu’en admettant l’existence d’une couche préexpressive de la vie solitaire de l’âme, certains penseurs peuvent avouer, non d’ailleurs pour freiner mais pour orienter la réflexion. Merleau-Ponty en a souvent appelé à Husserl, à l’expérience encore muette qu’il faut acheminer vers l’expression pure de son propre sens33. Husserl, encore et toujours en quête de l’expression propre et donc non métaphorique, confesse l’impossibilité d’une véritable nomination de la subjectivité absolue : les noms nous manquent34. Quant au sujet pensant et parlant, il doit être mis en garde contre les dangers qui le guettent parce qu’ils menacent le langage, il lui faut d’abord apprendre à exister dans ce qui n’a pas de nom35. Les lendemains de l’idéalisme absolu, de la phénoménologie husserlienne, heideggérienne et post-heideggérienne ont laissé place libre à diverses avancées qui, plutôt que du type du dépassement ou de l’esquive, se posent résolument comme transgressives36.

A propos de l’éthique ou de la religion qui visent à « dire quelque chose de la signification ultime de la vie », Wittgenstein faisait état des limites du langage : on n’en peut parler sans avoir à « affronter les bornes du langage. C’est parfaitement, absolument, sans espoir de donner ainsi du front contre les murs de notre cage »37. Cependant, vouloir parler de ce qui donne à la vie une valeur absolue est tout-à-fait respectable et conforme à une tendance fondamentale de l’esprit. On ne peut s’empêcher de s’élancer « contre les frontières du langage. Kierkegaard lui aussi a bien vu cet élancement et le décrit dans des termes tout à fait semblables (comme manière de s’élancer contre le paradoxe). S’élancer contre les frontières du langage, c’est là l’éthique »38. Mais Wittgenstein laisse ouverte une perspective : « L’indicible [ce qui m’apparaît plein de mystère et que je ne suis pas capable d’exprimer] forme peut-être la toile de fond à laquelle ce que je puis exprimer doit de recevoir une signification »39. Cet Hintergrund, cette toile de fond, n’est donc pas condamnée à s’effondrer dans les dunes du silence. L’ineffable n’est peut-être pas destiné à scintiller seulement çà et là métamorphosé en fable. Au-delà des limites il pourrait ne pas y avoir que vide et abîme, l’Hintergrund ne serait pas qu’arrière-plan, simple décor, mais aussi soubassement, sol nourricier.

Dans son premier grand ouvrage pseudonyme Kierkegaard s’est approché de certaines expériences de l’extrême par le biais de leurs expressions d’ordre esthétique. Il est bien des expressions artistiques de la fascination par l’illimité, par la démesure de ce qui arrive. Mais comme toute représentation, elles ne vont pas sans quelque distanciation. Représenter, schématiser, thématiser, figurer et finalement dire, c’est s’approcher de l’apeiron en ce qu’il peut avoir de redoutable, mais en le circonvenant déjà et inévitablement. C’est l’art grec du « peuple le plus naturel »40 qui est parvenu à donner forme à l’affrontement non seulement des dieux aux formes très humaines, mais de l’informe, du destin sans visage. Seules de magistrales œuvres d’art valent comme autant d’approches de l’illimité, réponses à l’offre de l’immense, de l’abîme qui attire. Il n’invente ni ne maîtrise le démesuré, l’artiste qui le laisse paraître en le mettant en scène. « La tragédie est le remède naturel contre le dionysiaque. Il doit pouvoir être vécu : donc le pur dionysisme est impossible »41. Et cependant, alors même qu’il entend l’appel de l’illimité, il ne résigne pas sa souveraineté puisqu’il y répond en le laissant paraître sine ira et odio »42

Cette réponse est aussi une critique de la démesure absolue, celle de la sauvagerie animale du dieu qui envahit la scène (Le Dionysos des Bacchantes d’Euripide), démesurée aussi la mort qui s’avance macabre sous la carapace de la statue de marbre. Jusqu’alors immédiatement triomphant, le désir inextinguible de Don Juan vient s’écraser dans l’affrontement de la démesure qui l’engloutit. La course effrénée du désir exacerbé s’arrête non pas lorsque est atteint l’extrême du possible, mais quand la main tendue ne touche que l’armure glacée du Commandeur. Ici meurt le désir, il n’y a plus ni contact, ni rapport, mais radicale froideur de l’impossibilité pure. Ce que rencontre Don Juan, l’homme « du désir combattant, ce n’est pas l’extrême du possible, mais l’impossibilité, l’abîme du non-pouvoir, la démesure glacée de l’autre nuit »43. Mais chez Mozart, par la grâce de la musique, la démesure est comme tenue à distance. « Ainsi donc dans l’opéra, Don Juan est conçu avec un sérieux esthétique et il en va de même pour le Commandeur »44.

Une approche non esthétique de l’avancée vers l’illimité est possible, certes hors dialectique spéculative et donc non sans risque, sans être pour autant de l’ordre du coup de dés. C’est lorsque peut se dessiner une expérience qui consiste à s’en remettre à l’inattendu (para-doxon), à s’affranchir de la tyrannie de « l’entendement fini »45, mais aussi de la longue durée des siècles pour se faire « contemporain de la gloire du dieu […] dans l’autopsie de la foi »46. Pensant aux géniales mises en scène de l’affrontement de l’impossible, de l’illimité, de la démesure, un autre pseudonyme avertit : « La foi n’est pas une émotion d’ordre esthétique ; elle est quelque chose de bien plus élevé et précisément parce qu’elle présuppose la résignation ; elle n’est pas l’immédiate pulsion du cœur, mais le paradoxe de l’existence ». A la différence des assurances innocentes et naïves qui croient magiquement possibles la réalisation de leurs désirs, l’exaucement de leurs vœux, la foi « ose dans la douleur de la résignation regarder en face l’impossibilité »47.

Dans La Maladie à la mort où s’expose la dialectique du possible et du nécessaire, il est recommandé de se servir avec prudence du miroir de la possibilité, car le soi possible que l’on y voit est et reste imaginaire et ne renvoie l’individu qu’à une possibilité angoissante « qui finit par l’éloigner de lui-même, si bien qu’il périt soit dans l’angoisse, soit dans l’état où le jetait l’angoisse de périr »48. Mais il sera voué à un désespoir de sens opposé, celui qui se cramponne à la nécessité où il se voit et se veut cloué ; pour lui, « à vues humaines », rien de plus impossible que le salut, « rien de plus certain que sa perte — et son âme en proie au désespoir lutte désespérément pour avoir le droit de désespérer […]. C’est ce qu’a exprimé de manière excellente et incomparable le Poète des poètes : Maudit sois-tu, cousin, de m’avoir écarté de la douce voie du désespoir »49. Richard II, ce dernier roi médiéval qui a reçu l’onction sacrée, devrait se sentir responsable devant Dieu, mais il s’installe dans une déchéance désespérée, solitaire face à la mort. Dans le monologue de l’acte V, il médite sur les paroles qui se mélangent et se contredisent quand les pensées se portent vers les choses divines, quand apparaît la démesure d’une difficulté qui vire à l’impossibilité :
As thus, « Come, little ones, » and then again,
« It is as hard to come as for a camel
To thread the postern of a small needle’s eye »50.

https://books.openedition.org/pucl/2280?lang=fr

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MessageSujet: Re: Le possible et l'impossible   Le possible et l'impossible Icon_minitimeLun 29 Juil 2024, 13:20

Merci pour ce texte remarquable, l'un des meilleurs que j'aie lus depuis longtemps sur Kierkegaard (entre autres), et qu'il vaut assurément la peine de lire patiemment malgré sa longueur... Ce qui ne dispenserait toutefois pas de lire les nombreux ouvrages cités, surtout, ici, de Kierkegaard.

Il intéresserait nombre d'autres discussions, particulièrement celle-ci, sur le paradoxe ou l'aporie d'un choix qui est aussi non-choix (non-décision, etc.), avec quoi toute la pensée occidentale (au moins) se débat depuis Paul jusqu'aux contemporains en passant par toutes sortes de chemins et d'oppositions conscientes ou inconscientes (Paul-Jacques, Augustin-Pélage, Luther-Erasme, Kierkegaard, Nietzsche, Freud, Heidegger, etc.): l'idée de "choix inconscient" semble "annoncer" (par anachronisme rétrospectif) toute la "psychanalyse", elle me rappelle aussi Cioran dont je parodierais ainsi l'une des formules "vicaires" ou "substitutives": se savoir désespéré pour tous ceux qui le sont et ne le savent pas (c'était peut-être "malheureux" au lieu de "désespéré", je ne me souviens plus exactement de la lettre cioranesque, bien que son mouvement m'ait impressionné).

Sur le possible et l'impossible, voir aussi (et peut-être surtout) la fin de l'annexe, section 7, § 55ss, qui éclairerait plusieurs de nos échanges antérieurs dans le présent fil. On remarquera que dans le danois de Kierkegaard, comme dans l'allemand de Hegel ou de Heidegger, ce qui est traduit le plus souvent par désespoir, ce n'est pas une négation ou une privation de l'espoir ou de l'espérance comme en français (ce qui rend les doublets de synonymes indifférents et leur distinction à chaque fois arbitraire), mais une intensification ou absolutisation du "doute" (Tvilv, Zweifel -> Fortvivlelse, Verzweiflung): cf § 66 et les notes. A noter aussi l'importance chez Kierkegaard du concept de "résignation", directement lié à celui d'"impossible": sans "résignation" (qui est aussi bien une vertu "païenne", grecque, tragique et stoïcienne notamment, et que le christianisme "historique", ou la "chrétienté", a malheureusement -- pour SK -- contribué à faire perdre), on n'accède même pas à l'idée d'impossible, qui est la condition paradoxale d'une possibilité de l'impossible, identique à la foi (comme ultime saut, pirouette ultra-dialectique ou transfiguration du temporel par l'éternel, ou de l'existence historique par l'idée). "Foi" paradoxalement nécessaire avant elle-même pour envisager l'impossible et la résignation, et faire le choix, dès lors aussi non-choix... (voir aussi ici ou ).
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