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| variation sur une absence | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
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| Sujet: variation sur une absence Jeu 04 Fév 2010, 14:34 | |
| Hénoch marchait avec le Dieu; puis il n'est plus, car Dieu l'a pris. Genèse 5,24.
Encore un peu de temps, et le méchant n'est plus. Tu examines le lieu qu'il habitait: il n'est plus! Psaume 37,10.
L'homme! Ses jours sont comme l'herbe, il fleurit comme la fleur des champs. Lorsqu'un vent passe sur elle/lui, elle/il n'est plus, et le lieu qu'elle/il habitait ne la/le reconnaît plus. Psaume 103,15s. |
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| Sujet: Re: variation sur une absence Jeu 04 Fév 2010, 15:19 | |
| - spermologos a écrit:
- Hénoch marchait avec le Dieu; puis il n'est plus, car Dieu l'a pris.
Genèse 5,24.
Encore un peu de temps, et le méchant n'est plus. Tu examines le lieu qu'il habitait: il n'est plus! Psaume 37,10.
L'homme! Ses jours sont comme l'herbe, il fleurit comme la fleur des champs. Lorsqu'un vent passe sur elle/lui, elle/il n'est plus, et le lieu qu'elle/il habitait ne la/le reconnaît plus. Psaume 103,15s. L'expression "il n'est plus" correspond à la mort, la mort comme absence ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Jeu 04 Fév 2010, 15:47 | |
| Au moins comme absence phénoménale, apparente* -- puisque dans le cas d'Hénoch la tradition va l'interpréter à l'opposé d'une mort. (Encore faudrait-il savoir si l'immortalité est le contraire ou un autre nom de la mort. "Mort - immortel. Peut-être l'extase", écrivait Blanchot.) Ce que je voulais surtout montrer (plutôt que commenter, puisque j'ai placé ce fil dans la rubrique "Un jour, un verset" qui se veut lieu de méditation et non de discussion), c'est qu'une expression identique ("et il n'est plus", we'eynenou) va se charger de connotations très différentes selon le sujet: le juste ou l'élu, le méchant ou le réprouvé, l'homme ou n'importe qui... *dans les psaumes absence d'un lieu (maqom) qui survit, indifférent, à la disparition. "Rien n'aura eu lieu que le lieu..."? (Mallarmé, Un coup de dés). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Dim 27 Aoû 2023, 14:32 | |
| C'est un joli mot que l'absence, en plus d'une langue une jolie composition: ab-esse, ap-eimi, d'où ap-ousia opposée à par-ousia, Ab-wesenheit (qui me rappelle le film de Handke), etc.; ablatif, privatif, séparation, détachement, éloignement, démission, désertion, détournement ou achèvement d'un " être" qui a toujours plus d'un tour dans son sac, parce qu'il n'a pas d'"autre", parce qu'il est "autre" autant qu'" un"; profondeur ou abîme infini de l'"être" qui "est" jusque dans ses "contraires", absence ou néant; qui pourrait même s'absenter d'une absence, sans disparaître ni reparaître nulle part. Je repense à ces vers d'Eluard (Le front aux vitres) qui m'auront accompagné depuis l'adolescence: "et je ne sais plus tant je t'aime / lequel de nous deux est absent". Et encore à Villon: où sont les neiges d'antan ? |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Lun 28 Aoû 2023, 10:12 | |
| Sartre / L'absence « J'ai rendez-vous avec Pierre à quatre heures. J'arrive en retard d'un quart d'heure : Pierre est toujours exact ; m'aura-t-il attendu ? Je regarde la salle, les consommateurs et je dis : « il n'est pas là ». Y a-t-il une intuition de l'absence de Pierre ou bien la négation n'intervient-elle qu'avec le jugement ? A première vue il semble absurde de parler ici d'intuition puisque justement il ne saurait y avoir intuition de rien et que l'absence de Pierre est ce rien. Pourtant la conscience populaire témoigne de cette intuition. Ne dit-on pas, par exemple : « j'ai tout de suite vu qu'il n'était pas là » ? S'agit-il d'un simple déplacement de la négation ? Regardons-y de plus près.
Il est certain que le café, par soi-même, avec ses consommateurs, ses tables, ses banquettes, ses glaces, ses lumières, son atmosphère enfumée, et les bruits de voix, de soucoupes heurtées, de pas qui le remplissent, est un plein d'être. Et toutes les intuitions de détails que je puis avoir sont remplies par ces odeurs, ces sons, ces couleurs, tous phénomènes qui ont un être transphénoménal. Pareillement, la présence actuelle de Pierre en un lieu que je ne connais pas est aussi plénitude d'être. Il semble que nous trouvions le plein partout.
Mais il faut observer que, dans la perception, il y a toujours constitution d'une forme sur un fond. Aucun objet, aucun groupe d'objets n'est spécialement désigné pour s'organiser en fond ou en forme : tout dépend de la direction de mon attention. Lorsque j'entre dans ce café, pour y chercher Pierre, il se fait une organisation synthétique de tous les objets du café en fond sur quoi Pierre est donné comme devant paraître. Et cette organisation du café en fond est une première néantisation. Chaque élément de la pièce, personne, table, chaise, tente de s'isoler, de s'enlever sur le fond constitué par la totalité des autres objets et retombe dans l'indifférenciation de ce fond, il se dilue dans ce fond. Car le fond est ce qui n'est vu que par surcroît, ce qui est l'objet d'une attention purement marginale. Ainsi cette néantisation première de toutes les formes, qui paraissent et s'engloutissent dans la totale équivalence d'un fond, est la condition nécessaire pour l'apparition de la forme principale, qui est ici la personne de Pierre. Et cette néantisation est donnée à mon intuition, je suis témoin de l'évanouissement successif de tous les objets que je regarde, en particulier des visages, qui me retiennent un instant (« si c'était Pierre ? ») et qui se décomposent aussitôt précisément parce qu'ils « ne sont pas » le visage de Pierre. Si, toutefois, je découvrais enfin Pierre, mon intuition serait remplie par un élément solide, je serais soudain fasciné par son visage et tout le café s'organiserait autour de lui, en présence discrète.
Mais justement Pierre n'est pas là. Cela ne veut point dire que je découvre son absence en quelque lieu précis de l'établissement. En fait Pierre est absent de tout le café ; son absence fige le café dans toute son évanescence, le café demeure fond, il persiste à s'offrir comme totalité indifférenciée à ma seule attention marginale, il glisse en arrière, il poursuit sa néantisation. Seulement il se fait fond pour une forme déterminée, il la porte partout au-devant de lui, il me la présente partout et cette forme se glisse constamment entre mon regard et les objets solides et réels du café, c'est précisément un évanouissement perpétuel, c'est Pierre s'enlevant comme néant sur le fond de néantisation du café.
De sorte que ce qui est offert à l'intuition, c'est un papillotement de néant, c'est le néant du fond, dont la néantisation appelle, exige l'apparition de la forme et c'est la forme – néant qui glisse comme un rien à la surface du fond. Ce qui sert de fondement au jugement : « Pierre n'est pas là », c'est donc bien la saisie intuitive d'une double néantisation ».
Sartre, L'être et le néant (1943) |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Lun 28 Aoû 2023, 11:20 | |
| Lien (j'ai l'impression de l'avoir déjà vu il y a peu mais je ne sais plus à quel propos).
On pourrait poursuivre en disant que je ne serais même pas allé chercher Pierre au café si je n'avais pas été capable, ailleurs, de penser (à) "Pierre" et (à) son rendez-vous; ailleurs où Pierre évidemment n'était pas, mais où je n'étais pas vraiment non plus si j'étais capable, là, de penser (à) autre chose que ce qui était ou se passait là. Pas de "pensée", au sens le plus élémentaire (penser à quelque chose ou à quelqu'un), sans cette étrange faculté de s'absenter de la plénitude de présence où l'on est toujours et partout et qui devrait ou pourrait nous occuper totalement en permanence. Toute pensée se creuse dans une absence ou se dérobe à une présence, inévitablement "plus" et "moins être" à la fois, altération de l'"être" en tout cas.
Il n'y a qu'à voir la réaction d'un animal ou d'un petit enfant quand on lit, dans un livre ou sur un écran, ou qu'on est, comme on dit, "absorbé dans ses pensées": il cherchera à attirer notre attention pour nous ramener à la présence ou à la vie, car pour lui c'est comme si on était là sans être là, quasi mort. De ce point de vue pourtant il n'y a jamais de pure présence, pas même pour l'animal capable de rêver, de chercher ailleurs ce qui n'est pas là, de réagir à des signes et à des signaux et d'en émettre, etc. -- mais il y a assurément des jeux, des degrés et des combinaisons de présence et d'absence, infiniment variables même parmi les humains, de l'analphabète à l'intellectuel ou à l'aliéné, et d'un moment à l'autre; modulés par toutes les techniques, parole, musique, danse, image, représentation, rite, écriture, imprimerie, téléphone, ordinateur, smartphone. Plus ou moins de virtuel dans le réel, plus ou moins d'absence dans la présence, la présence même étant toujours un jeu de présence et d'absence, Fort, Da, etc. Le Da(-)sein heideggerien peut "être (le) là" dans la mesure même où il peut ne pas être (totalement, entièrement, constamment) là où il est, au lieu et au temps où il se trouve (comme Heidegger dit, imprudemment, l'animal benommen, totalement pris, saisi, capturé ou captivé par le présent): c'est le jeu, l'espace et le temps mêmes d'une "pensée", de la plus rudimentaire à la plus "philosophique". |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Lun 28 Aoû 2023, 11:53 | |
| Merci Narkissos pour cette belle analyse.
La certitude de l'absence du Dieu juif définit la modernité et commande toute l'esthétique et la critique modernes
Jacques Derrida parle de l'écriture, de l'origine de l'oeuvre. Au départ, il y a l'absence. Seule l'absence peut inspirer. Quelle absence? D'abord, l'absence du Dieu juif. Nous avons la certitude de l'absence d'écriture divine, il faut partir de cela, c'est-à-dire de l'athéisme (que l'écrivain soit athée ou non).
Le sens ne précède pas l'écriture. Il ne nous attend pas. Il s'habite lui-même.
Citant Jérémie soumis à la dictée de Dieu, Derrida insiste sur l'angoisse et la solitude. Le prophète ne transcrit pas une parole, il est lui aussi devant l'absence, comme si la tora était déjà moderne. Le Dieu juif n'a pas à s'absenter, il est déjà absent, tandis que le Dieu de Leibniz ne connaît pas l'angoisse, il pense les possibles en acte.
https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0504040952.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Lun 28 Aoû 2023, 12:20 | |
| Là encore, je ne crois pas qu'il faille opposer le "Dieu juif" à un autre ou la "modernité" à quelque autre "époque". Toute "religion", même "polythéiste" et "idolâtre" aux yeux des monothéistes, consiste dans un jeu de présence et d'absence, d'apparition et de disparition, de secret et de révélation, d'appel et de réponse sans réponse, qui joue de l'espace et du temps. Et ce n'est pas parce que la modernité fait l'économie des "dieux" que ça y change grand-chose. Quoi qui compte pour une société, un groupe ou individu quelconque, idées, idéaux, sentiments, etc., cela se jouera toujours par le même genre de jeu de présence et d'absence. Même l'ascétisme d'une pure absence n'y tiendrait pas, il devrait de temps à autre s'accorder le plaisir, la jouissance, la fête de la présence, si artificielle, fictive et illusoire soit-elle. |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 29 Aoû 2023, 10:29 | |
| 2. La parousie épistolaire : une stratégie face au temps qui passe
Sur le plan du langage, tout d’abord. Sous la plume de l’apôtre en effet, surgit à plusieurs reprises la dialectique de la présence et de l’absence. Précisément, Paul investit fortement la racine πάρειμι30, en contraste avec la racine ἄπειμι, pour caractériser la relation que médiatise son écriture en forme de lettre. Un langage en partie conventionnel à en croire plusieurs attestations similaires dans la littérature épistolaire que connaît le monde antique31. Mieux, à cette dialectique de la présence et de l’absence s’ajoutent chez Paul – là encore en continuité avec la phraséologie épistolaire antique32 – d’autres binômes qui viennent en circonscrire la nature exacte : les couples σῶμα/πνεῦμα (1 Co 5,3b) ou πρόσωπον/καρδία (1 Th 2,27). Bref, est ainsi mise en scène à la fois la distance physique, qui affecte en particulier le voir et qui sépare Paul de ses correspondants dans le maintenant de la communication, et leur coprésence spirituelle, rendue possible par la médiation épistolaire.
L’autre exemple nous est fourni par ce que les exégètes ont pris pour habitude de désigner, à la suite de Robert Funk33, du nom de « parousie apostolique ». Soit, au sortir des lettres de Paul, l’évocation de ses projets de voyage, l’envoi de proches collaborateurs ou, alors, la mise en abyme de sa propre activité d’écriture (Rm 15,14-29 ; 1 Co 16,1-12 ; 2 Co 12,14–13,10 ; Ph 2,19-30 ; Phlm 22)34. Avec quel(s) effet(s) de sens ? Adossés à la distance spatiale séparant l’apôtre de ses correspondants, ces trois motifs tendent, chacun à leur façon, à en surmonter le handicap. En clair, le désir paulinien de rendre visite à ses communautés, la députation d’émissaires dont il recommande le bon accueil ou la mise en scène de son écriture épistolaire participent d’une seule et même visée rhétorique : renforcer son autorité personnelle auprès de ses enfants dans la foi35. C’est dire également que, dans l’attente d’une comparution prochaine, l’apôtre est d’ores et déjà présent auprès de ses correspondants via les navettes de collaborateurs et – ce qui nous intéresse particulièrement ici – sous la forme de la fiction épistolaire36. Une présence épistolaire dont l’homme de Tarse a d’ailleurs fait un usage non seulement contraint par les circonstances empiriques mais aussi délibéré. Ainsi, au cœur du confit l’opposant aux chrétiens de Corinthe, a-t-il préféré écrire plutôt que de se déplacer (cf. 2 Co 1,23–2,4), conscient de la fonction de lieutenance reconnue à son écriture et sensible à ses potentialités pragmatiques et théologiques dans un contexte tendu37. Avec succès si l’on en croit la sortie de crise (2 Co 7,4-16) et, plus largement, le poids reconnu à ses missives dans les communautés de son aire missionnaire (cf. 2 Co 10,9-10)38.
Partant, nul hasard si, dans le sillage de Paul, l’écriture épistolaire a été réquisitionnée par ses héritiers et successeurs 39 . Et cela, afin de manifester et de construire durablement son autorité apostolique sur fond d’absence physique et, désormais aussi, d’éloignement temporel (cf. 1 Tm 3,15 : ἐὰν δὲ βραδύνω). On a ainsi souvent noté la reprise en Col 2,5 du topos paulinien de la présence dans l’absence. Dans un même ordre d’idée, 2 Thessaloniciens institue, face à l’absence de Paul, l’écrit attaché à son autorité apostolique comme « lieu de mémoire »40 où se recueille sa présence et, singulièrement, sa parole originelle : « Ne vous souvenez-vous pas que, alors que j’étais encore auprès de vous, je vous disais ces choses ? » (2,5). Est ainsi affirmée « la conformité de l’enseignement eschatologique transmis dans la lettre avec la prédication apostolique originaire »41. Bref, face à la distance – à la fois spatiale et temporelle – qui sépare le Paul historique du christianisme deutéro-paulinien se développe une tradition à caractère normatif, une tradition dont le relais n’est plus seulement la parole orale mais dorénavant aussi l’écriture épistolaire (2 Th 2,15 : στήκετε καὶ κρατεῖτε τὰς παραδόσειςἃς ἐδιδάχθητε εἴτε διὰ λόγου εἴτε δι’ ἐπιστολῆς ἡμῶν ; cf. 3,14.17).
http://ed.theologie.unistra.fr/fileadmin/upload/edtsr/Documents/programme_doctoral/2015-2016/conferences_presentations/Simon_BUTTICAZ.pdf
En tant qu'écriture, la différance suppose une absence spécifique, qui ne saurait (être) une modification de la présence
Alors que l'échange vocal exige la perception présente (Je te parle, Je t'entends), l'écriture présuppose l'absence du destinataire. Ici Jacques Derrida prend le mot absence dans un sens original. Ce n'est pas seulement une distance, un écart, un retard (il est absent ici et maintenant, mais il pourra être là plus tard). C'est une absence absolue, une rupture radicale de présence. La fonction même du destinataire, ou de l'ensemble empiriquement déterminable des destinataires, a disparu. Alors l'écriture n'est plus qu'une marque, dépourvue de sens, qui peut être répétée par n'importe quel expéditeur.
Dans la structure qui se constitue, l'écriture reste lisible, même si l'émetteur et le destinataire ont disparu. Cette structure est répétable, itérable,. Elle fonctionne sans qu'un code déterminé à l'avance ne soit nécessaire [c'est le lecteur qui déchiffre en fonction de son propre code].
[Pour qu'on puisse parler de différance, avec un a, et non pas seulement de différence, il faut une rupture de code, une "disruption" entre l'émission et la réception, une lecture hétérogène par rapport au langage de départ]
https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0806161242.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 29 Aoû 2023, 14:20 | |
| C'est intéressant de rapprocher ces deux textes:
La différance derridienne, telle que je la comprends, est à coup sûr "radicale", mais pas au sens d'une déclaration tonitruante, affirmation ou négation massive, paradoxe ou dialectique -- bien au contraire. C'est plutôt un travail patient, subtil, voire subreptice ou insidieux, qui à partir de l'écriture revient vers le discours philosophique ou ordinaire et sape ou mine ses assurances -- les définitions ne définissent plus vraiment, les oppositions ne s'opposent plus tout à fait, rien ni personne ne dit ce qu'il veut dire. Et ce fil (de détissage ou de détricotage) se saisit exemplairement à partir d'une écriture qui a pour vocation d'être lue autrement qu'elle a été écrite, ailleurs, plus tard, plus loin, dans un autre contexte, traduite, trahie, tronquée, déformée, ce processus étant déjà à l'oeuvre dans l'écriture même; en quoi d'ailleurs elle ne diffère que relativement de la parole qui elle aussi peut être mal entendue, mal interprétée, d'un "mal" qui était bien là, en puissance, comme une "virtualité" aussi positive que toute "intention". L'auteur le plus attentif n'est jamais sûr d'avoir écrit ce qu'il voulait dire, le locuteur n'est pas sûr à la fin de sa phrase d'avoir dit ce qu'il voulait dire en la commençant, ni de ce qu'il voulait dire alors, ni qu'il veuille encore le dire maintenant... Livre de sable, dirait Borges, parole mouvante, pensée errante.
Quand on revient de là à l'étude classique de Butticaz, de grande qualité dans le genre académique, on voit tout de suite la fragilité des définitions, des distinctions et des oppositions sur lesquelles son analyse repose: tout ce qui est dit de la "pseudépistolographie" s'applique aussi bien aux épîtres d'un "Paul" présumé authentique, à son "absence" et à sa "présence" qu'une signature authentique ou contrefaite met en jeu et en scène sans pouvoir contrôler leurs effets, qui ne s'arrêtent jamais à des "destinataires" (la preuve, c'est que bien ou mal nous les lisons, les lettres présumées authentiques comme les pseudépigraphes, alors que ni les unes ni les autres ne nous étaient destinées); sa "présence" étant tout aussi ambiguë que son absence, puisqu'elle doit être complétée ou corrigée par des lettres qui créeront autant de malentendus ou d'ententes inattendues qu'une présence; présence qui ne serait elle-même la présence de "quelqu'un" que dans la mesure où ce quelqu'un aurait été absent et pourrait encore l'être, signe en somme d'une absence toujours énigmatique et insaisissable, sur laquelle on ne saurait mettre la main une fois pour toutes pour la tenir (de la préhension à la compréhension, au concept, Begriff, etc.: tout nous file entre les doigts).
Présence, absence, fort / da, c'est aussi le rythme d'une respiration (Atemwende, "renverse du souffle" dit Celan traduit par J.P. Lefebvre) ou d'un battement de coeur qui n'est pas sans l'alternance de ses mo(uve)ments. |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Ven 01 Sep 2023, 10:00 | |
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Hénoch le voyageur céleste
Cette catégorie est précisément celle qui distingue Hénoch des autres patriarches justes. Le texte de Gn 5 indique seulement qu’il est monté aux cieux. Sur cette base, 1 Hénoch développe ensuite considérablement les mouvements du personnage.
De nombreux passages décrivent le contact d’Hénoch avec les habitants du monde d’en haut. Il est en quelque sorte intégré à la cour céleste. Il parcourt les diverses régions de l’au-delà sous la direction d’anges interprètes selon les normes de la littérature apocalyptique. Comme les autres habitants du ciel, il bénéficie de la vision du Saint (1,2). Selon la curieuse formulation de 1 Hn 12,2, « ses travaux étaient avec les Veilleurs et ses jours avec les Saints ».
Sa position lui permet d’acquérir la connaissance de nombreux mystères du monde d’en-haut, mystères qu’il pourra ensuite exposer aux hommes à travers son enseignement. Hénoch est mandaté pour des missions dans le monde d’en-bas, comme dans le cadre du jugement des Veilleurs (12,4), ce qui suppose qu’il fasse plusieurs fois l’aller-retour entre les deux mondes. Tous ces éléments contribuent à établir Hénoch dans la position classique du visionnaire de la littérature apocalyptique. Hénoch reçoit ses visions dans le cadre d’un déplacement physique dans le monde d’en haut, mais aussi par le mode de la vision et du songe (13,7-.
Dans les chapitres 70-71, l’enlèvement aux cieux place Hénoch dans un statut très particulier. Selon 70,3, il n’est « plus compté parmi les hommes ». Cela peut signifier simplement qu’Hénoch a quitté la terre, en d’autres termes le monde des humains. Mais cela peut aussi être compris comme un changement de statut, une angélisation ou même une divinisation d’Hénoch. Le chapitre 71 place Hénoch au centre d’une scène très originale : tous les membres de la cour céleste et Dieu lui-même sortent du palais céleste pour venir à la rencontre du patriarche. Il est alors intronisé « fils d’homme » par Dieu. Dans la logique des Paraboles, cela établit Hénoch dans un statut supra-angélique. Hénoch devient alors le juge eschatologique par excellence, celui qui siège sur le trône même de Dieu. Le chapitre se termine en instituant Hénoch comme guide de salut pour le monde (1 Hn 71) :
16Chacun suivra ta voie, la justice ne te quittera jamais. C’est avec toi qu’ils auront leur demeure, c’est avec toi qu’ils auront leur lot, et ils ne se sépareront pas de toi, pour toujours, pour les siècles des siècles. 17Et ainsi, la longévité accompagnera ce fils d’homme, la paix sera pour les justes, la rectitude sera pour les justes, au nom du Seigneur des esprits, pour les siècles des siècles.
À partir de la simple mention de l’ascension d’Hénoch dans le monde d’enhaut de Gn 5, 1 Hénoch élabore ainsi un scénario beaucoup plus complexe. D’abord simple spectateur de visions célestes, Hénoch devient acteur dans le monde d’en-haut comme dans le monde d’en-bas. Son élévation n’est pas seulement spatiale. Il prend place au sommet de la hiérarchie céleste, juste en dessous de la divinité.
https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2016-4-page-639.htm
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Ven 01 Sep 2023, 10:48 | |
| La Genèse décrivait surtout une absence, si l'on peut dire ( w-'ynnw, et il n'y a pas ou il n'y a plus de lui, il n'[y ]est pas ou il [y ]est plus, LXX oukh èurisketo, il ne fut plus trouvé: c'est le sens même de l' ab-esse, d'où absentia: ablatif, privatif, départ de l'être dans toute l'ambiguïté du "de", génitif subjectif ou objectif, ablatif de séparation, de provenance ou d'origine, etc.); absence phénoménale, si l'on peut encore dire, du point de vue de la terre (son lieu, comme disent les psaumes: cf. post initial). En revanche, les récits d' ascensions et de voyages célestes caractéristiques de l'"apocalyptique" (Daniel, Hénoch, etc.; mais déjà Ezéchiel) accompagnent l'ascenseur le voyageur qui leur reste toujours présent, et qui revient sur terre au moins sous forme d'écrit, même quand il reste au ciel ou s'y découvre, comme un "double" éternel, préexistant, subsistant... ce qui complique singulièrement une narration linéaire, d'autant que le "ciel apocalyptique" c'est aussi le passé, le présent et l'avenir (de la terre) "ré-vélés" ou "dé-voilés" (cf. la fameuse variante de Jean 3,13: le "fils de l'homme" qui est monté au ciel et en est descendu, tout en y étant toujours, ce serait précisément l'Hénoch des Paraboles, 1 Hénoch 37--71). Bref, dans ce genre de texte on aurait plutôt une saturation de présence qu'une absence, mais il reste remarquable que les deux communiquent: c'est la disparition d'Hénoch qui se traduit en une profusion d'apparitions, d'image et de son, de visions et de paroles. |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Ven 27 Sep 2024, 11:02 | |
| Psychanalyse et christianisme À propos du dernier livre de Jean-Daniel Causse (1962-2018)
1. Le « tombeau vide » et le trou de la vérité
La mort qui l’a frappé sans prévenir, nous laisse abasourdis, consternés. Comment est-ce possible, comment peut-on arrêter ainsi la pulsation constante, la pulsion de vie qui rugissait sous l’énergie de sa pensée ? Lire et comprendre dans Lacan et le christianisme, et dans tous ses textes, la progression de sa réflexion, percevoir l’ampleur de son érudition, et réaliser dans un saisissement effaré qu’à tout cela un terme a été mis, peut amener à se dire, peut-être pour se donner un instant l’illusion de comprendre, qu’il s’agit là de ce que Lacan a formalisé sous le terme de Réel. « L’arrêt de mort » n’est-il pas véritablement une manifestation de ce Réel qui revient régulièrement sous la plume de Jean-Daniel Causse dans son dernier livre ? La mort n’est-elle pas la meilleure et la plus claire illustration de ce qu’est le Réel ? Lacan a multiplié les manières de le désigner, comme si aucune ne pouvait y suffire. Car c’est justement cela, la particularité du Réel, c’est de ne pouvoir se laisser enfermer dans le langage ; Jean-Daniel Causse aborde cette question dans le dernier chapitre de son livre : « Qu’est-ce que la vérité ? » Il fait apparaître le registre du Réel dans la définition de la vérité, et c’est en lien avec la symbolique chrétienne qu’on en comprend alors la teneur. « Une fois débarrassé de sa gangue imaginaire mythique, le tombeau vide apparaît comme le réel du christianisme, si l’on entend par “réel” ce qui demeure impossible à circonscrire dans le langage et qui, de ce fait, ne peut ni se dire ni s’écrire » (p. 223). C’est pourtant sur cet impossible à dire et à écrire que se fonde le christianisme, soutient J.-D. Causse. Cet « ab-sens » ou « hors-sens » du tombeau vide, qui fait trou dans le langage comme le signifiant « résurrection », est à l’image de toute vérité : elle échappe à la représentation et au savoir, mais elle ouvre au savoir ; elle est ab-sens, mais elle permet le sens. Ce réel de la vérité, qui « ne cesse pas de ne pas s’écrire » pour reprendre la formule lacanienne[5], constitue l’essence de la vérité selon Lacan, et conditionne ce que l’on peut en connaître et en dire ; parce que c’est un noyau de réel indicible qui se trouve au coeur de la vérité, jamais elle ne pourra se dire toute ; ainsi Lacan dit de la vérité qu’elle n’est jamais que « mi-dite », et il trouve dans le christianisme une religion qui corrobore sa conception de la vérité. J.-D. Causse cite alors cette remarque étonnante du Séminaire Encore : « Les quatre textes évangéliques sont ce qui va au coeur de la vérité, la vérité comme telle, jusque et y compris le fait, que moi j’énonce qu’on ne peut la dire qu’à moitié » (p. 223). Est-ce là une simple communauté de vision entre Lacan et « le genre littéraire évangélique » (p. 224), entre son élaboration théorique et l’essence du christianisme ? Ou bien est-ce la preuve que Lacan est « inspiré » par le christianisme, pénétré par cette religion comme on a pu dire que la psychanalyse freudienne n’aurait pas vu le jour sans le judaïsme de son inventeur ? J.-D. Causse ne se livre jamais à de telles conclusions sans doute trop hâtives et simplistes, mais il montre les points de contact, et parmi eux, la conception lacanienne du réel et de la vérité présente une affinité particulière avec la symbolique chrétienne. « Le réel du tombeau vide ouvre à l’interprétation et au monde du sens » (p. 224) ; le réel de la vérité, avec son sens ab-sens, fait parler, autrement dit, provoque et engendre du sens.
Dans la pensée de Lacan, il est frappant de constater que c’est à partir d’une absence, à partir d’un « il n’y a pas », à partir donc d’un « tombeau vide », que certaines questions sont pensées et certains systèmes élaborés. Le « il n’y a pas de rapport sexuel », le « la femme n’existe pas », le « il n’y a pas d’autre de l’autre », le « l’Autre n’existe pas », pour ne citer qu’eux, induisent des manières de penser à partir d’une catégorie préconçue mais déconstruite a posteriori, reconnue comme non existante en tant que telle mais dont la fonction cependant est de générer autre chose à partir de son absence. C’est en particulier le propre de l’impossible, lequel est par définition irreprésentable, que d’exister cependant du fait justement de sa non-existence, en tant que catégorie permettant de penser ce qui est mais aussi ce qui ne peut pas être. Et c’est avec ce terme de Réel que Lacan donne corps à l’inexistence de ce que l’on peut tout de même penser. Le Réel donne ainsi à dire et à parler. Jean-Daniel Causse revient sur la « dit-mension » de la vérité, au sens d’un réel qui fait dire, en citant Lacan lorsqu’il met en lien cette dit-mention avec les Évangiles : « La vérité, c’est la dit-mention, la mention du dit […]. Dans ce genre, les Évangiles, on ne peut pas mieux dire. On ne peut pas mieux dire de la vérité. C’est de cela qu’il résulte que ce sont des Évangiles » (p. 224).
Ainsi, Dieu (et la mort ?), ne sont-ils pas d’autres noms de ce Réel qui ne cesse pas de faire dire ? Lacan l’exprime à propos de Dieu dans un extrait d’Encore mentionné par J.-D. Causse : « Dieu est proprement le lieu où, si vous m’en permettez le jeu, se produit le dieu, — le dieur — le dire. Pour un rien, le dire ça fait Dieu. Et aussi longtemps que se dira quelque chose, l’hypothèse Dieu sera là » (p. 209).
La mort est aussi cette grande ab-sens, brutale émergence du vide dans l’événement de la disparition, à partir de quoi existera ce qui se dira d’elle et de celui qui en fut l’objet ; la mort, comme la vérité, impossible et sans loi, Réel qui nous fait écrire ici.
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2019-v75-n1-ltp05123/1067506ar/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Ven 27 Sep 2024, 11:56 | |
| Alliance inhabituelle que celle de la nécrologie et de la recension, à trois voix de surcroît; mais Jean-Daniel Causse le valait bien, et la chose illustre remarquablement ce qu'elle dit: l'absence, l'absent(e), la mort, le mort, la morte, la disparition, le ou la disparu(e), réels ou fictifs d'ailleurs, autrement dit la négation, le néant, le vide, le manque, l'abîme, donnent ce qu'ils n'ont pas: de l'être, du réel, de la fiction, du sens, du non-sens, de la grâce, de la présence, de la parole, de la pensée, de la vérité, de la vie, de la lumière, de l'esprit, du mouvement, dans tous les sens, en plus d'un sens -- comme le moteur non mu d'Aristote ou l'amour de Dante, che muove il sole e l'altre stelle. |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Ven 27 Sep 2024, 14:31 | |
| La certitude de l'absence du Dieu juif définit la modernité et commande toute l'esthétique et la critique modernes
Jacques Derrida parle de l'écriture, de l'origine de l'oeuvre. Au départ, il y a l'absence. Seule l'absence peut inspirer. Quelle absence? D'abord, l'absence du Dieu juif. Nous avons la certitude de l'absence d'écriture divine, il faut partir de cela, c'est-à-dire de l'athéisme (que l'écrivain soit athée ou non).
Le sens ne précède pas l'écriture. Il ne nous attend pas. Il s'habite lui-même.
Citant Jérémie soumis à la dictée de Dieu, Derrida insiste sur l'angoisse et la solitude. Le prophète ne transcrit pas une parole, il est lui aussi devant l'absence, comme si la tora était déjà moderne. Le Dieu juif n'a pas à s'absenter, il est déjà absent, tandis que le Dieu de Leibniz ne connaît pas l'angoisse, il pense les possibles en acte.
https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0504040952.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Ven 27 Sep 2024, 14:57 | |
| Cf. supra 28.8.2023. "Le judaïsme" de référence, c'est évidemment le rabbinique, qabbalistique ou hassidique, de toute façon post-pharisien, celui qui pendant près de deux millénaires s'est pensé nécessairement sans temple, sans prêtrise, sans terre, sans nation, sans roi, sans politique, sans armée, sans puissance... L'Etat d'Israël a détruit ce judaïsme-là bien plus radicalement que tous les antisémitismes du monde; mais pour autant que ce judaïsme est effectivement pensée de l'absence (heureusement ou malheureusement pour lui, il n'est pas que ça), il a aussi anticipé cette destruction-là et sa survie au-delà. Comme, par le plus grand des hasards, j'ai le livre de Derrida cité ( L'écriture et la différence, p. 21) sous la main, je constate que la référence est assez trompeuse, ce qui ne m'étonne qu'à moitié: "Cette certitude perdue, cette absence de l'écriture divine, c'est-à-dire d'abord du Dieu juif qui à l'occasion écrit lui-même, ne définit pas seulement et vaguement quelque chose comme la "modernité". En tant qu'absence et hantise du signe divin, elle commande toute l'esthétique et la critique modernes." Dans l'Exode le "Dieu juif" écrit, son écriture est détruite, il promet de réécrire mais à la fin on ne sait plus très bien s'il le fait ou pas, ni si c'est la même chose qu'avant, ni ce qui resterait d'une "écriture divine" dans l'écriture humaine, fût-elle de Moïse (cf. 17,14; 24,4.12; 31,18; 32,15s.32; 34,1.27s; comparer Deutéronome 4,13; 5,22; 9,10; 10,2ss; 31,9). De même, comme on l'a vu (notamment ici, à partir du 7.4.2022), pour Jérémie avec le rouleau écrit, lu (à haute voix), détruit, réécrit autrement. De Jérémie il est aussi question un peu plus haut dans L'écriture et la différence ("Force et signification", p. 19): "L'écriture est l'angoisse de la ruah hébraïque éprouvée du côté de la solitude et de la responsabilité humaines; du côté de Jérémie soumis à la dictée de Dieu ("Prends un livre et tu y écriras toutes les paroles que je t'ai dites.") ou de Baruc transcrivant la dictée de Jérémie, etc. (Jérémie 36-2, 4)..." Il y a eu, il n'y a plus, c'est ce que dit toute trace, en-deçà du vivant, de l'animal, de l'humain, du langage, du signe, de la signification, du sens, qui retournent à la trace, par l'écriture, le dessin, le symbole, le rite en tout genre. |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 01 Oct 2024, 10:47 | |
| - Citation :
- *dans les psaumes absence d'un lieu (maqom) qui survit, indifférent, à la disparition.
"Rien n'aura eu lieu que le lieu..."? (Mallarmé, Un coup de dés). Excepté peut-être une constellation Maurice Benhamou 8Quant au problème du « lieu d’apparition » – que désespère de trouver le poète qui, du corps, ne connaît que « cette force bestiale qui le pousse à émerger15 » – il demande à être posé clairement. Rien n’aura eu lieu que le lieu16. 9Le futur antérieur de l’apparaître, nous dit Mallarmé, finit par le restreindre au seul site de son apparition. L’archaïque « apparoir » au contraire parlerait d’un avoir lieu indépendant d’un lieu. La forme impersonnelle « il appert » signifie que l’on constate, avec la neutralité d’un jugement juridique, une apparition qui a lieu sans lieu assignable ou sans considération du lieu. 10Or Mallarmé a prévu cette autre voie possible puisqu’il poursuit ainsi : « Rien n’aura eu lieu que le lieu – excepté peut-être une constellation17 ». 11Cette exception qui vaut bien sûr pour lui-même vaut aussi pour Jean-Louis Giovannoni dont les mots surviennent dans le vide comme des étoiles dans le néant. La création poétique est chez lui cet « acte vide » selon l’expression mallarméenne. 12Les mots hasardés comme dés perdent leur contingence non parce qu’ils sont « lancés dans des circonstances éternelles du fond d’un naufrage18 », mais parce que la contingence est ressaisie comme une nécessité cosmique. Jean-Louis Giovannoni s’éloigne de « ces parages du vague en quoi toute réalité se dissout19 ». Vague corps, être vague. Le poème renoue avec l’infini que n’interrompt plus l’accident de l’être. Nous sommes condamnés à n’approcher l’être que comme un manque à être. 13« Raréfier l’air des mots20 » et dissimuler aussi l’r du mot « mort ». Symboliquement – car ils restent tous marqués par la mort que chacun sous-entend puisqu’ils n’existent qu’en raison de l’absence ou la disparition des êtres. La fleur sera toujours « absente de tout bouquet » et l’esprit ne pourra jamais coïncider avec le réel environné d’une frange de néant, « ce qui autour de chaque chose se priverait d’être pour laisser apparaître cette chose21 ». 14C’est en cette zone que s’origine la création apophatique du poème qui consiste dans l’effort d’« enlever l’essentiel afin qu’il manque terriblement22 ». Cette réserve autour des êtres et des choses existe aussi autour des mots et les isole. 15Or « aucun mot ne vit isolé sans appeler23 ». Quelle est la nature de ces appels ou leur concert en « un tout mugissant » alors que « nous vivons avec des mots qui sont sûrement déjà morts24 » ? 16Ce qui fonde le poème ce ne sont pas les mots, fût-ce dans la neutralité d’un apparoir cosmique, mais la voix descellée de ces mots-morts, leur écho. Comme en montagne, l’appel d’un homme en danger qui serait déjà mort quand sa voix se répercuterait encore de paroi en paroi jusqu’à la vallée ou comme la lumière des si lointaines Céphéides qui nous enchante alors qu’elles sont des trous noirs depuis des millénaires. 17À force, c’est en cette lacune du réel que se tient le poète qui ne revendique qu’une seule fonction : « Tout simplement border le monde25 ». En ce lieu, cela va de soi, tout est insaisissable. « Que de soif pourtant26 ». Il faut user du regard tactile, ruser, guetter les mouvements d’énergie. « Tu ne peux voir le vol d’un oiseau qu’en tenant en toi l’immobile de son mouvement ; tu es le bord de son envol27 ». Border le monde constitue une éthique. Se tenir sur les bords de tout, et même au ras des bords au-delà desquels on ne peut aller : « Là où on ne peut pas saisir, commence le bord des choses28 ». C’est se condamner à « demeurer à côté de chez soi29 », à vivre dans le vertige, sur une plaie de l’espace, dans l’abscission, ou mieux à l’intersection entre abscisse et ordonnée, au point zéro où tout s’annule, le seul point que l’on pourrait qualifier d’espace sans espace. Le lieu précis de la coupure et de l’extrême neutralité. Le lieu de l’effacement de soi, de son corps : « Effacer ce n’est pas faire disparaître, c’est placer dans l’oubli30 »… Parce que, à l’évidence, ce que l’on place dans l’oubli devient inoubliable. https://journals.openedition.org/rsh/313 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 01 Oct 2024, 11:35 | |
| Merci, merci pour cette belle découverte d'un poète contemporain, Jean-Louis Giovannoni, que je ne connaissais pas du tout -- j'ai lu, hélas ! très peu de poésie depuis mon adolescence, au lycée; sur le tard, presque seulement des "classiques", fussent-ils aussi contemporains, au hasard des références d'autres lectures, surtout "philosophiques". Cela ne se lit de toute façon qu'à petites gorgées, avec beaucoup de silence, de blanc, de noir ou de couleur autour. On a souvent remarqué que la philosophie, en plus de congédier théoriquement les poètes (Platon), rompait pratiquement avec le style poétique (du mythe et de l'épopée au théâtre), au profit d'une "prose" peu écrite auparavant -- sauf dans les références, citations, allusions, réminiscences poétiques: la poésie hante la pensée comme ses ombres, fantômes, revenants. Le "point de vue", espace sans espace, c'est à peu de choses près (le zéro: tout point est potentiellement l'origine d'un plan ou d'un espace) ce que nous disions hier, ici; sans oublier l' oubli; "mot à mort", ça m'était aussi (re-)venu, il y a longtemps déjà. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 01 Oct 2024, 12:00 | |
| La sépulture mallarméenne. Pour un tombeau d'Anatole Par Laurie Laufer
Écriture du fragment, hors fonction significative
« Il est hors de doute que Mallarmé a été constamment tenté de rendre le langage, en poésie, indépendant de sa fonction proprement significative », analyse Paul Bénichou. La poésie pour Mallarmé est l’acte éthique même. Le projet poét(h)ique de Mallarmé est hors psychologie, il n’a de sens que l’acte de nomination qu’il profère. Ainsi, ce que nombre d’exégètes de la poésie mallarméenne ont appelé hermétisme, afin de mieux l’enfermer dans une herméneutique, se sont laissés aller à une jouissance interprétative du texte mallarméen, là où l’acte se disait comme éthique du bien dire entre le « rien » et le « donc ». « Nous savons, captifs d’une formule absolue, que, certes n’est que ce qui est », écrit Mallarmé dans La musique et les lettres.
our Mallarmé, l’absence de sens participait également de la fonction de deuil. Il n’y a pas de signification, pas de sens à trouver pour une mort d’enfant ; là, la mort touche à l’ordre du langage. C’est pourquoi le fait de parole est réduit à « sa presque disparition vibratoire, pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure », selon les propos de Mallarmé. Ainsi, écrit Blanchot, « désormais ce n’est pas Mallarmé qui parle, mais le langage se parle, le langage comme œuvre et l’œuvre du langage [25] ». La parole a évacué l’auteur, cédé l’initiative aux mots, et rendu l’objet à son absence. Le langage se parle, telle est l’apparition du sujet poétique. Et comme Mallarmé l’inscrit dans le poème Le coup de dés : « Rien n’aura eu lieu… que le lieu », qui est le langage hors événement, si ce n’est qu’en tant que tel il fait événement. Le lieu est celui de l’acte même du langage.
L’acte poét(h)ique de Mallarmé est jeu de langage qui inscrit la disparition du poète lui-même, c’est cela son procès d’écriture. Être sans intention de dire, mais créer le lieu où le langage a lieu, hors l’intention du poète. Tel serait également le jeu de l’inconscient. L’« esth/éthique » (pour reprendre le terme composé par Paul Audi) de Mallarmé est celle de l’effet et non de la signification. Mallarmé écrit lui-même qu’il s’agit de « peindre non la chose mais l’effet qu’elle produit ». Et pour cela, l’écriture fragmentaire épouse les mouvements de la « disparition élocutoire du poète » : « L’œuvre pure implique la disparition élocutoire du poète, qui cède l’initiative aux mots, par le heurt de leur inégalité mobilisés », dit le poète lui-même.
Écrire le fragmentaire, le trébuchement, est pour Mallarmé tracer les marques mêmes de l’effacement de soi.
par la guéri d’un mal me rattrappe à cela p. être [26].
C’est par l’incomplétude même que Mallarmé donne consistance à l’acte poétique. Et comme le dit Blanchot : « Écrire relève du fragmentaire quand tout a été dit [27]. » Il ajoute :
« Écrire n’est pas destiné à laisser des traces, mais à effacer, par les traces, toutes traces, à disparaître dans l’espace fragmentaire de l’écriture, plus définitivement que dans la tombe on ne disparaît, ou encore à détruire, détruire invisiblement, sans le vacarme de la destruction. Écrire selon le fragmentaire détruit invisiblement la surface et la profondeur, le réel et le possible, le dessus et le dessous, le manifeste et le caché. Il n’y a pas alors de discours dérobé qu’un discours évident préserverait, pas même une pluralité ouverte de significations attendant la lecture interprétative. Écrire au niveau du murmure incessant, c’est s’exposer à la décision d’un manque qui ne se marque que par un surplus sans place, impossible à mettre en place, à distribuer dans l’espace des pensées, des paroles et des livres. Répondre à cette exigence d’écriture, ce n’est pas seulement opposer un manque à un manque ou jouer avec le vide pour procurer quelque effet privatif, ce n’est pas non plus seulement maintenir ou indiquer un blanc entre deux ou plusieurs affirmations-énonciations ; alors ? peut-être d’abord porter un espace de langage à la limite d’où revient l’irrégularité d’un autre espace parlant, non parlant, qui s’efface ou l’interrompt et dont on ne s’approche que par son altérité, marquée par l’effet d’effacement [28]. »
L’acte poétique fragmentaire est sa propre interprétation. Pas de sens caché, pas de contenu latent derrière une intention voilée. L’énonciation est le sens même de l’acte poétique. C’est pourquoi il y a aussi chez Mallarmé une « vraie chorégraphie de l’idée », selon la belle expression de Jacques Rancière, un mouvement de la pensée plus que la pensée elle-même. Un corps en mouvement qui rend « les choses visibles », reproduisant « la topographie du théâtre de l’esprit [29] ». Il y a donc une visée calligrammatique et topographique. Un lieu d’écriture qui n’a de lieu que le lieu.
https://shs.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2009-2-page-97?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 01 Oct 2024, 13:33 | |
| Merci encore pour ce texte remarquable, dont tu ne peux savoir combien ni surtout comment il me touche... On en retrouverait cependant aisément quelques traces dans le(s) tout premier(s) post(s) de mon blog. Et alors je n'avais pas encore (re-)lu Mallarmé comme je l'ai fait ensuite -- toujours pas assez.
A propos de la "constellation" (échange précédent, Un coup de dés), qui répond, comme une exception possible ("Excepté peut-être") et néanmoins exemplaire, à la tautologie neutralisante du lieu qui borne l'événement ("rien n'aura eu lieu que le lieu"), je pensais entre-temps ceci que je vais essayer d'écrire, en sachant qu'on écrit toujours autre chose que ce qu'on pense. Une constellation, comme un arc-en-ciel ou n'importe quelle image, visage ou paysage, c'est toujours une illusion de perspective qui dépend d'un point de vue. Ce qui fait Orion, la Grande Ourse ou Céphée, c'est la figure reconnaissable dès lors qu'on la reconnaît et la nomme, fictive (figure et fictif du même fingere, façonner et feindre), que dessinent ou tracent du seul point de vue terrestre des étoiles qui n'ont le plus souvent aucun lien "réel" entre elles, qui peuvent être en leur propre lieu et en leur propre temps proches ou lointaines, mortes ou vivantes, dans la métonymie de la mort et de la vie "biologiques" bien sûr. Illusion de part en part, et pourtant la seule (re-)connaissance possible: c'est la part de vérité, poétique malgré lui, de Platon quand il appelle "idée" (idea > eidos, de la même famille que le video latin) l'"intelligible", forme sans forme, forme au-delà ou en-deçà de la forme "sensible" ("esthétique"), vision sans vision. Et cela passe précisément par la disparition, l'oubli et la reconnaissance, le jeu de l'absence et de la présence, jusque dans la répétition de la re-présentation (fort, da); et d'autant mieux qu'il ne s'agit pas d'image au sens "propre" mais "figuré", de musique, de rythme, de mélodie ou d'harmonie, de goûts ou de parfums où l'on reconnaît des formes sans forme, des analogies de formes, sans pouvoir les décrire verbalement, autrement que par des analogies spatiales et visuelles; mais qu'on reconnaît instantanément, qu'on retrouve même intactes à la seule évocation d'un nom propre ou commun. L'absence, l'éclipse de la sensation, de la perception, de la présence, du point de vue, de la vie en somme, est le passage obligé de ce que nous appelons (re-)connaissance, sans quoi (sans sans, sans sans sens, sans absence de sens) nous ne saurions rien, quand même par elle nous ne savons rien non plus, ou nous savons seulement, comme Socrate dit-on, que nous ne savons rien. Cela n'en fait pourtant ni un moyen ni un instrument en vue de quelque fin qui le neutraliserait en le justifiant: il est en plus d'un sens sa propre fin, passage sans passage, impasse, aporie, mais aussi (non-)lieu du renversement infini, de rien en tout, de nulle part en partout (et inversement). |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 01 Oct 2024, 15:48 | |
| - Citation :
- Merci encore pour ce texte remarquable, dont tu ne peux savoir combien ni surtout comment il me touche... On en retrouverait cependant aisément quelques traces dans le(s) tout premier(s) post(s) de mon blog. Et alors je n'avais pas encore (re-)lu Mallarmé comme je l'ai fait ensuite -- toujours pas assez.
? rien rien à dire rien à faire enfin pour rien commencer le(s) tout premier(s) post(s) de mon blogJe suis très heureux d'avoir porté à ton attention ce texte qui te touche ... Mais que signifie ce "rien" (Si ce n'est pas indiscret). - Citation :
- Sartre / L'absence « J'ai rendez-vous avec Pierre à quatre heures. J'arrive en retard d'un quart d'heure : Pierre est toujours exact ; m'aura-t-il attendu ? Je regarde la salle, les consommateurs et je dis : « il n'est pas là ». Y a-t-il une intuition de l'absence de Pierre ou bien la négation n'intervient-elle qu'avec le jugement ? A première vue il semble absurde de parler ici d'intuition puisque justement il ne saurait y avoir intuition de rien et que l'absence de Pierre est ce rien. Pourtant la conscience populaire témoigne de cette intuition. Ne dit-on pas, par exemple : « j'ai tout de suite vu qu'il n'était pas là » ? S'agit-il d'un simple déplacement de la négation ? Regardons-y de plus près.
Sartre : l'envers de la phénoménologiePar Patrick VaudayHusserl/SartreDans La Voix et le Phénomène, Derrida remarque que si avec Husserl déjà l’imagination cesse d’être une simple faculté parmi d’autres pour devenir le mode par excellence de présentation des essences, indépendamment de toute position de réalité, sa conception reste néanmoins tributaire de l’héritage classique, précisant qu’il entend par là « la reproduction d’une présence, même si le produit en est un objet purement fictif… elle garde en elle la référence première à une présentation originaire, c’est-à-dire à une perception et à une position d’existence, à une croyance en général [5].» Le modèle qui permettrait de penser l’image chez Husserl resterait finalement celui de la re-présentation, de la présentation une seconde fois d’une présence première, fût-elle neutralisée par l’imaginaire. Incontestablement Sartre doit à Husserl l’idée que l’imagination n’est pas une simple faculté mais qu’elle est pour le moins « la reine des facultés » pour parler comme Baudelaire, en ceci qu’elle est la voie royale pour l’appréhension des essences indépendamment de toute position d’existence. Reste que pour Husserl, comme le remarque Derrida, même si l’image neutralise l’existence empirique de l’objet imaginé, ce qui la distingue de l’expérience perceptive et du souvenir, elle n’en inclut pas moins la croyance à l’objet imaginé. Si l’objet de l’imagination n’est pas présent « ici et maintenant », du moins existe-t-il en quelque sorte idéalement ; si l’objet n’est pas donné dans l’intuition, du moins est-il présentifiable. Pour le dire autrement, si l’objet de l’image n’existe pas, le propre de l’imagination serait de faire croire à son existence à partir de sa représentation, ce qui rejoint la remarque classique selon laquelle l’image, à la différence du concept, est toujours image d’un objet particulierC’est ici que Sartre se sépare de Husserl. Pour lui, en effet, l’image ne renvoie à aucune présence car, écrit-il, « la conscience imageante pose son objet comme néant » [6]. À la différence de l’absence qui résonne d’une présence ailleurs ou antérieure dont le souvenir se fait l’écho, la néantisation ignore jusqu’à l’absence de l’objet pour en disposer librement dans l’imaginaire. Le mieux qu’on puisse faire pour saisir la différence de perspective est de reprendre l’exemple forgé par Sartre lui-même : l’ami Pierre est à Berlin, je l’imagine en son absence. Que dirait Husserl ? Il dirait qu’à travers l’image de mon ami absent, je vise sa présence qui ne m’est pas actuellement donnée, comme si l’image était un ersatz de présence, une façon de me souvenir de sa présence en son absence. Sartre dit tout autre chose, non seulement que dans cette image « je saisis rien », c’est-à-dire ni Pierre ni l’ombre de Pierre, mais plus encore « que je pose le rien » [7]. Selon Sartre, l’image de Pierre ne vise pas sa présence, mais bien son inexistence comme telle ; imaginer Pierre en son absence, autrement que sous la forme du souvenir ou de l’anticipation de son arrivée prochaine par exemple, revient pour le sujet imaginant à quitter le monde réel pour poser un « irréel », à littéralement vider Pierre de sa substance réelle, à le rayer momentanément de la carte du monde pour le remplir, à vide pourrait-on dire, de sa seule intention. Il n’y a donc rien derrière l’image qui lui donne consistance, nulle présence pour en répondre, elle ne renvoie qu’au sujet qui se « donne » l’objet « comme un néant » [8]. C’est pourquoi Sartre peut soutenir qu’entre l’image d’un centaure qui n’existe pas et l’image de Pierre qui lui existe bel et bien, il n’y aucune différence : dans les deux cas, l’objet y est visé dans son inexistence même. Imaginer, au sens de la conscience imageante, c’est se donner l’objet qu’il n’y a pas, peupler le vide d’une absence, d’un rien ou d’un presque rien. Dépourvu de consistance et incessamment menacé de ruine, l’objet imaginaire ne tient pour le coup qu’au désir du sujet qui le soutient inlassablement, en même temps que vainement, dans son inexistence même ; il existe moins qu’il n’insiste.Un rapprochement s’impose ici avec la photographie dont l’exemple revient à plusieurs reprises dans L’Imaginaire. Bien que dans la photographie, selon une remarque de Barthes [9], le référent adhère à son image qui disparaît, comme une vitre, dans sa propre transparence – c’est le fameux réalisme photographique –, rien n’empêche en même temps de l’appréhender comme un rien, comme un simple bout de papier glacé qui n’arrive pas à restituer la présence dont il donne pourtant d’abord l’illusion. L’effet de réalité est paradoxalement ce qui fait l’irréalité même de la photographie puisque constamment ruiné par la mince matière de son support. En décollant en quelque sorte l’objet de lui-même, de sa réalité en chair et en os, elle en fait un fantôme de lui-même, un irréel inconsistant qui flotte à la surface du monde réel. On comprend mieux du même coup pourquoi Barthes a pu dédier La Chambre claire au Sartre de L’Imaginaire.https://shs.cairn.info/revue-rue-descartes-2005-1-page-8?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 01 Oct 2024, 16:46 | |
| - free a écrit:
- Mais que signifie ce "rien" (Si ce n'est pas indiscret).
Ben... rien, justement -- si je puis renvoyer par cette référence inter-, hyper- et infra-textuelle, sous une réponse sans réponse, à une discussion à peu près contemporaine en son point de départ (2008/9). Bien sûr le "rien" de chaque moment, tout en n'étant rien d'autre que le "rien" d'un autre moment, diffère en fonction de ce qui le précède: ma tentative d'écriture tant soit peu autonome, en ce qu'elle n'entendait plus parler ni répondre à personne, après le jéhovisme, la théologie, la traduction et l'annotation bibliques (NBS), quelques articles thématiques (Théolib) et forums plus ou moins spécialisés (JWD, TJQ avant celui-ci), ne se compare certes pas à celle de Mallarmé; mais ça m'amuse quand même de constater que le "rien" y est aussi inaugural, tout en étant, forcément, l'aboutissement de quelque histoire particulière. Dans mon cas il s'y disait déjà pas mal de perte, d'absence, d'abandon, de solitude, de désillusions, voulus et/ou subis, qui n'ont fait que s'approfondir depuis, en abyme, vers un fond sans fond illisible par (in-)définition. (Cela dit tu trouveras peut-être des éclaircissements sur ce que j'avais en tête à l'époque en lisant la suite, grâce aux boutons "<<" -- puisque ça se présente dans un ordre chronologique inversé.) Le texte de Vauday (2005) illustre fort bien, à partir du cas particulier de Sartre (cf. supra 28.8.2023 pour le contexte de ta seconde "citation") entre Husserl et Lacan (entre autres: sur ce thème on pourrait aussi remonter à Epicure ou à Platon), l'inépuisable ambiguïté de ce qu'on appelle tranquillement " image", comme si on savait ce que c'est, alors qu'elle n'est ce qu'elle est qu'à condition d'être autre chose que ce qu'elle est (signe, symbole, icône, représentation, oeuvre d'art, réel décadré du réel par son cadre ou son contexte, etc.): entre "idée" et "idole", "représenté" et "représentant", "signifié" et "signifiant", ni l'un ni l'autre, à la fois l'un et l'autre... ambiguïté qui n'est pas pour autant " profondeur", mais jeu et effet de surface(s), y compris dans la réflexion spéculaire ou spéculative (miroir, Narcisse, anneau de Möbius, etc.). |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mer 02 Oct 2024, 11:24 | |
| Olivier Abel, philosophe
L’archive et la trace du passé
Dans Temps et Récit III, Ricœur, qui vient de parler de cette symbolique de l’absent que figurent nos ancêtres et nos descendants, voit dans la trace un mixte et même un connecteur entre le temps physique et le temps vécu que la phénoménologie heideggérienne dissocie. La trace est ce que présuppose tout document et donc toute archive. Les archives sont une institution qui enregistre, préserve, classe et permet la consultation de ces documents témoins du passé. D’où une première critique : quels sont les choix idéologiques qui président à la production et à la sélection, à cette collecte intentionnelle ? A qui, à quoi sert la monumentalisation ainsi proposée de tel ou tel passé? La trace vient ici en soutien critique car : « n’importe quelle trace laissée par le passé devient pour l’historien un document, dès lors qu’il sait interroger ses vestiges, les mettre à la question. A cet égard, les plus précieux sont ceux qui n’étaient pas destinés à notre information (…) Cette critique de premier niveau enchaîne bien avec la notion de témoignage involontaire — les témoins malgré eux de Marc Bloch » (p.173). Une seconde critique émane de l’histoire sérielle, qui cherche à constituer des banques de données les plus larges possible, et prétend établir ainsi des séries causales d’où toute intention interprétative aurait été éliminée. Mais Ricœur estime qu’il faut préserver la dimension significative de la donnée, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’objectivité quantitative, mais de quelque chose qui a été vécu par des êtres passés.
D’où ce qu’il appelle le paradoxe de la trace, qui d’une part est visible ici et maintenant comme un vestige, une empreinte, une marque, mais qui d’autre part évoque ce qui est passé par là et qui n’est plus là, bref qui indique le passage sans montrer ce qui est passé. C’est pourquoi l’histoire est une connaissance par trace — marquage, passage, marque du passé[5]. Et c’est pourquoi la trace articule un double rapport de causalité (suivre une trace dans son marquage effectif) et de signifiance (chercher le sens du passé vécu) : la trace est un effet-signe, placé sous la double extériorité du passé physique et du passé vécu et transmis par tradition (cf. p. 331)[6].
Le texte aborde alors une discussion serrée avec Heidegger, pour montrer dans le vestige qui subsiste une part de passé qui n’est plus, et trouver dans l’historialité même de quoi déplier un temps datable, qui emprunte au temps vulgaire, qui prend appui sur lui aussi bien, pour former ensemble un temps hybride. Comme toujours ici, Ricœur cherche le mixte, et pointe chez Heidegger la difficulté à redescendre du temps pur vers le temps ordinaire, et de l’historial vers l’historiographique : « On ne peut faire progresser l’analyse de la trace sans montrer comment les opérations propres à la pratique historienne, relatives aux documents et monuments, contribuent à former la notion d’un être là ayant été là. Or cette mise en convergence d’une notion purement phénoménologique avec les procédures historiographiques, que l’on peut toute ramener à l’acte de suivre ou de remonter la trace, ne peut se faire que dans un temps historique qui n’est ni un fragment du temps stellaire, ni le simple agrandissement aux dimensions communautaires de la mémoire personnelle, mais un temps hybride » (p.179).
D’une part ainsi la trace sera datable, permettra de déchiffrer sur l’espace l’étirement du temps, et de le projeter dans un temps public qui rend les durées privées commensurables (p.181). D’autre part « si l’on veut se laisser conduire par la trace, il faut être capable de ce dessaisissement, de cette abnégation, qui font que le souci de soi-même s’efface devant la trace de l’autre » (p.182). C’est ici que Ricœur rencontre la méditation sur la trace de Levinas, dans L’humanisme de l’autre homme[7], où la trace n’est pas un signe comme un autre, mais indique une absence, et signifie en dehors de toute intention de faire signe.
Mais justement on recroise ici l’idée de Marc Bloch des témoins malgré eux, et il faut toujours pouvoir faire le trajet inverse, pouvoir revenir de la signifiance de la trace vers le temps vulgaire, et vers cet autre non plus absolu mais relatif qu’est le passé historique[8]. « Je voudrais plutôt tenir en réserve la possibilité qu’il n’y ait finalement d’Autre relatif, d’Autre historique, que si le passé remémoré est signifiant à partir d’un passé immémorial » (p.183).
La trace refigure donc le temps en permettant le recouvrement du temps existentiel et du temps empirique. Ricœur parle même du schématisme de la trace entre le présent vécu et le temps successif : la trace nous oblige à nous figurer le monde qui manque (TRIII p.268-269). Par la suite cette fonction mimétique de la trace comme refiguration traverse la catégorie du même (suivre la trace c’est réeffectuer le passé même, montrer sa persistance dans le présent), puis celle de l’autre (pointer dans la trace les écarts, les différences, et l’absent de nos reconstructions), pour se réfugier enfin dans celle de l’analogue (« être comme, c’est être et n’être pas » TRIII p.226). Interpréter la trace, c’est se sentir obligé par ce qui a été, en préservant la dette et le deuil envers ce qui fut, mais aussi en reconnaissant les potentialités enfouies dans ce qui a été de ce qui aurait pu être, et n’est pas fini (p.227).
Ici s’achève cette première ligne de lecture du thème de la trace, dans son parcours au long de Temps et récit III. Ricœur essaye me semble-t-il d’y échapper à des alternatives ruineuses : si la trace n’est qu’une marque et effet d’une cause, elle n’a plus de signifiance par rapport au passé et l’on peut élargir autant qu’on veut la base de données, il n’y a même plus de mémoire à rectifier (premier scepticisme) ; si la trace est pure signifiance, signe d’un vécu tout Autre et inaccessible, elle n’accroche plus dans le temps commun et datable, et ne dérange bientôt plus rien (second scepticisme). Ce n’est là que l’un des zig-zags que Ricœur opère, et qui l’oblige à ce constant va et vient, à cette incertitude réglée par laquelle sa recherche est tenue ouverte.
https://www.olivierabel.fr/2022/09/11/la-trace-comme-reponse-et-comme-question/
Qu’est-ce donc qu’une trace, et quelle est sa fonction épistémologique ? État des lieux Sybille Krämer
4. Les caractéristiques de la trace
1. L’absence
13Dans le creux que laisse apparaître une empreinte, et par lequel un mouvement dans le temps prend forme dans l’espace, on peut voir que quelqu’un ou quelque chose est passé. La présence de la trace témoigne de l’absence de ce qui l’a formée. Dans la visibilité de la trace, ce qui l’a engendrée se dérobe à nous et demeure invisible : la piste permet certes d’émettre des déductions, mais cette reconstruction ne sera jamais qu’une reproduction, une représentation dont le caractère imagé indique toujours l’absence de ce qui est représenté. Une empreinte laissée par un contact physique ne permet aucunement d’identifier avec certitude ce qui l’a laissée9. La trace ne rend jamais présent ce qui est absent ; elle représente la non-présence de l’Absent. Les traces ne donnent pas à voir ce qui est absent, mais plutôt l’absence même. « Le trait tracé sur le sable n’est pas l’élément d’un sentier, mais le vide même de la passée »10. Est-ce donc à dire que la lecture de traces constitue une sorte de « métaphysique du quotidien » ?
https://journals.openedition.org/trivium/4171#:~:text=La%20trace%20ne%20rend%20jamais,mais%20plut%C3%B4t%20l'absence%20m%C3%AAme. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: variation sur une absence Mer 02 Oct 2024, 13:09 | |
| Deux textes très intéressants, de genres bien différents (O. Abel, 2022, centré sur Ricoeur et sa bibliothèque, dont Abel est devenu pour ainsi dire le grand prêtre; S. Krämer, 2012, introduction à un recueil collectif et thématique, rassemblant une diversité de points de vue sur le même "sujet", topic, de topos, "lieu", subjectum aussi à sa manière, celle du sol ou de la matière, du support qui sub/porte et porte la trace) mais qui se complètent utilement -- et intéresseraient aussi, notamment, ce fil-ci. Une trace en effet n'est pas un signe, ni un indice, même si elle peut en devenir un à la faveur d'une interprétation, qui d'une part la relève, la sélectionne et l'identifie comme telle, comme trace, pour la lire aussitôt comme signe, reconnu comme tel à partir d'un certain code qui suppose une série, une répétition, une "itérabilité" comme dit Derrida, condition de toute signification. "Lecture" qui en l'occurrence peut être animale, végétale, minérale, technique, même si nous la pensons toujours selon l'analogie d'une écriture humaine, écriture d'une parole et d'une langue verbale. La trace en soi, si l'on peut dire, ne nécessite ni intention, ni finalité, ni sens: qu'on le veuille ou non, tout "être", toute chose, tout événement laisse des traces, qui seront relevées ou non, interprétées ou non, correctement ou non. Rapporter la trace à une "connaissance", scientifique, historique, philosophique ou théologique, c'est encore une "illusion de perspective", sans laquelle toutefois nous n'aurions même pas la notion de "trace", ni aucune autre notion d'ailleurs -- cela n'empêche évidemment ni un chien ni un ordinateur de reconnaître et de lire des traces à sa façon. Si on l'interroge, si on la fait parler, dans un sens d'investigation scientifique ou policière, la trace répondra peut-être, de façon univoque ou équivoque, mais toujours déterminée par la question qu'on lui pose. D'elle-même elle ne dira rien, pas plus l'absent (ce qui a eu lieu) que l'absence (le concept); ni ce qui a eu lieu ni ce qu'est l'avoir-eu-lieu, l'être ou le ne-plus-être, la présence ou le passé; on y sentira tout au plus la vibration de l'"il y a" dans "il y a eu, il n'y a plus" ( fort / da), soit le lieu même de l'avoir lieu dont le "y" français de l'expression idiomatique "il y a" porte... la trace, locative ou dative; plus discrète que le es gibt / gab allemand, "ça donne, ça a donné / donnait", ou même que le there is / was anglais (encore et plus explicitement le lieu, comme dans le da-sein allemand de l'"existence"). Au lieu où x était, ou il y avait x, il n'est plus, il n'y en a plus, comme dans les expressions bibliques évoquées au début de ce fil: il manque à sa place, comme disait Lacan du "sujet", comme disent les bibliothécaires, avec ou sans "fantôme" à la place de l'ouvrage manquant; rétention du passé dans le présent, protention d'un à-venir aussi, promesse ou menace de retour d'un revenant. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: variation sur une absence Mer 02 Oct 2024, 14:50 | |
| Une théologie de l’altérité : Michel de Certeau( Texte ardu ) Deuxième partie[1] 8 Poursuivons. Pourtant, paradoxalement, Destrempes (2005, 141) nous dit bien que « [c]ette expérience n’est jamais donnée par le langage qui tente de la raconter, si bien que la langue mystique est dépossédée de son Autre ». Qu’est-à-dire ? Qu’il ne peut y avoir d’énoncé qui peut représenter ce qu’il en est de cette expérience qu’autrement que par l’enjeu d’un procès énonciatif, c’est-à-dire que la relation demeure une ouverture, elle n’est jamais achevée, l’écriture théologique ne cessera pas de ne pas pouvoir l’écrire. Certeau dira : « L’écrit est l’effet et la fiction de la relation » (Certeau 1987a, 176). La relation d’un corps désirant et d’un manquant appartient à une impossibilité[6]. L’altérité chez Certeau a donc affaire avec la perte et l’absence, avec ce qui crée un « vide ». Le « vide » ne peut se cerner qu’à partir d’un acte énonciatif, il n’est pas de l’ordre d’un énoncé mais d’un évidement. Ainsi, l’absence n’est pas une non-présence, elle répond d’un corps désirant et non pas d’une altérité dans sa transcendance inaccessible. L’impossibilité dont un Réel se marque, c’est cette impossibilité d’en suturer le « vide », de le combler par quelque objet, voire tout autant par un ordre représentatif ou langagier. L’autre demeure inassimilable, il indique une pure différence. Un sans objet, un évidement, une absence sert de transfuge à l’investissement du désir faisant marcher vers l’autre à même le « non-lieu » de l’Autre en son surgissement, d’où un sujet s’efface pour laisser l’espace à la rencontre insaisissable et pourtant inaliénable, dirons-nous : « [N]ous touchons ici à un dépassement du schème sujet/objet, puisque deviennent interchangeables les places du “je” et de l’autre : “l’Autre toujours institue le sujet en l’aliénant” (HPSF, 183) » (Destrempes 2005, 146). Ce dernier point nous amène à poser la question du rapport à l’autre, celui-ci à la fois nécessaire et manquant ; autrement dit, qu’elle peut être l’écriture du « vide », c’est-à-dire « examiner ce qui advient d’un langage qui n’est plus soutenu par un corps ? » (Destrempes 2005, 144). 9 Cette question introduit en filigrane la question du croire[7] chez Certeau. Les analyses certaliennes sur la mystique au xvie-xvie siècle constituent l’écriture de la mise en acte de ce manquant nécessaire. Le rapport à l’autre est inséparable d’un langage et d’un corps. Ce qui se mettra en oeuvre par l’énonciation mystique est le langage d’un corps s’ouvrant à son désir, mais désir prenant son élan dans l’absence, dans la privation de l’Autre dont l’écriture mystique se reçoit : Sa littérature a donc tous les traits de ce qu’elle combat et postule : elle est l’épreuve par le langage, du passage ambigu de la présence à l’absence ; elle atteste une lente transformation de la scène religieuse en scène amoureuse, ou d’une loi en une érotique ; elle raconte comment un corps « touché » par le désir et gravé, blessé, écrit par l’autre, remplace la parole révélatrice et enseignante. Les mystiques luttent ainsi avec le deuil, cet ange nocturne. Mais la propédeutique médiévale d’une assimilation à la vérité devient chez eux un corps à corps. 10 Ce désir « gravé », « blessé » est relation mais relation sans objet ; l’altérité, comme on a souligné, est chemin de traverse d’une impossible captation : « La dynamique même du désir implique qu’il doit se passer de son objet ; dès qu’il atteint celui-ci, il s’éteint en se réalisant » (Destrempes 2005, 145). Comment faire lien avec ce qui s’absente ? Un croire en l’autre met en relation un désir et un absent, un tracé d’écriture à la fois corps et acte énonciatif, fruit de l’insaisissable rencontre, tiendra lieu de cette relation : « La croyance est “le mouvement né et créateur d’un vide” ; “ce qui noue l’écriture au ‘rien’ : un croire” (HPSF, 141) » (Destrempes 2005, 147). |
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