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 Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge

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Narkissos

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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeJeu 28 Nov 2019, 17:26

Il faut réfléchir à deux fois avant de verser ces textes au dossier "monothéisme vs. polythéisme". Les "autres dieux" ou "dieux étrangers", ce sont aussi, à un certain stade au moins (monolâtrique, mais pas encore strictement monothéiste) de la phraséologie dite "deutéronomiste", des dieux qui "existent" bel et bien mais ne sont pas celui d'Israël, dont la souveraineté (exclusive et jalouse, comme on sait) se borne à "sa" terre (cf. Deutéronome 32,8ss; Juges 11,24, et le reproche de David à Saül, 1 Samuel 26,19: le chasser de la terre de Yahvé, c'est le condamner à "servir d'autres dieux"). De ce point de vue, au-delà du fleuve (l'Euphrate) on ne peut que "servir d'autres dieux" (sauf exception comme celle de Naaman, qui n'en est d'ailleurs pas une dans la mesure où il emporte justement de la terre d'israël pour adorer Yahvé ailleurs).

La touche "deutéronomiste" qui s'insère exceptionnellement en Genèse 35,2 ("supprimez" ou "écartez" les dieux étrangers, swr hiphil comme en Josué 24 en effet; mais on ne compte plus les choses que le Deutéronome veut ainsi "supprimer", hauts-lieux, stèles, divination, etc.) peut évoquer la même étrangeté territoriale: les dieux sont notamment les teraphim de Laban (cf. chap. 31). Quoi qu'il en soit, elle est considérablement affaiblie par le contexte -- ne serait-ce que parce que Jacob enfouit lesdits dieux sous un arbre (sacré ? cela peut en tout cas s'entendre comme une référence supplémentaire au sanctuaire de Sichem, cf. 12,6 etc.), au lieu de les livrer au feu comme l'exigerait le Deutéronome...

Sur ta dernière remarque: en effet, toute alliance, tout serment implique une malédiction conditionnelle (malheur à moi si je mens, trahis, etc.). Revoir éventuellement ici.
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeVen 29 Nov 2019, 11:12

Dans ces quelques mots par lesquels Josué entame sa rétrospective de l’histoire du peuple qu’il va inviter ensuite à l’alliance avec Dieu, l’élection d’Abraham par Adonaï est liée à une rupture décisive avec l’idolâtrie de ses ancêtres, jusqu’à celle de son père Tèrakh. Mais pour la tradition juive, avant même d’être appelé, Abraham était attaché au Dieu unique. Voici ce que raconte le Midrash Rabba de la Genèse (38,10) :

Térah était un fabriquant d’idoles. Un jour qu’il devait aller quelque part, il laissa Abraham vendre à sa place. […] Une femme, tenant un plat de farine, vint et lui dit : Prends et offre-le leur. Il se leva, prit un bâton, fracassa toutes les idoles et mit le bâton dans les mains de la plus grande. De retour son père s’écria : Qui a fait cela ? — Comment te le cacherais-je, répondit Abraham ! Une femme, tenant un plat de farine, est venue et m’a dit : Prends et offre-le leur. Et c’est ce que j’ai fait. Mais une idole s’est écriée : C’est moi qui mangerai la première. Une autre s’est écriée : Non, c’est moi ! La plus grande s’est alors saisie d’un bâton et les a toutes fracassées. — Que me racontes-tu, s’exclama Térah, elles ne comprennent rien ! — Père, répliqua Abraham, tes oreilles seraient-elles sourdes à ce que dit là ta bouche ! Térah se saisit d’Abraham et le livra à Nemrod [le roi].

Nemrod dit à Abraham : Adore le feu. — Autant adorer l’eau puisqu’elle éteint le feu ! — Eh bien, adore l’eau ! — Autant adorer les nuages puisqu’ils portent l’eau ! — Eh bien, adore les nuages ! — Autant adorer le vent (rouah≥ ) puisqu’il disperse les nuages ! — Eh bien adore le vent ! — Autant adorer l’homme qui porte (en lui) le souffle (rouah) ) ! — Tu me payes de mot ! Moi, je me prosterne devant le feu, je vais t’y jeter et que ce Dieu devant qui tu te prosternes vienne t’en délivrer ! Haran (le frère d’Abraham) était partagé : Si Abraham sort victorieux, méditait-il, je dirai : Je suis pour Abraham. Si Nemrod sort victorieux je dirai : Je suis pour Nemrod. Une fois Abraham jeté dans la fournaise ardente puis délivré, on demanda à Haran : Pour qui es-tu ? — Je suis pour Abraham ! On se saisit alors de lui et on le précipita dans  la fournaise. Ses entrailles furent consumées et en sortant il mourut devant son père.C’est ce que le texte dit : « Haran mourut devant son père Térah »

Cet amusant petit récit n’illustre pas seulement l’opposition du jeune Abraham à l’idolâtrie. Il est surtout plein d’enseignement sur la logique de l’idolâtrie qu’Abraham refuse. Sa façon de relater à son père la destruction des statuettes en dit long, en effet, sur ce que l’idolâtrie représente à ses yeux.
https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal%3A177634/datastream/PDF_01/view



Selon le Coran

Le Coran nomme Azar le père d'Abraham ; il le présente également comme un idolâtre dans la sourate Les Prophètes verset 52. Certains théologiens, estimant que les Prophètes ne descendent pas de polythéistes, concluent qu'Azar n'est pas le père biologique d'Ibrahim. Le
Coran et les hadiths relatent l'épisode où Azar questionne Ibrahim sur le fait d'avoir détruit les statues, ainsi que le moment où il est jeté dans le feu. L'histoire du frère d'Ibrahim n'est cependant pas mention. https://fr.wikipedia.org/wiki/Terah
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeVen 29 Nov 2019, 12:46

Soit dit en passant, il est tentant de rapprocher Josué 24 de Deutéronome 26, dont nous avons déjà parlé au sujet de Jacob: ces deux textes sont aussi semblables par la forme (confession historico-ancestrale solennelle) qu'opposables par le contenu (dans Deutéronome 26, Abraham n'est même pas mentionné, ni sa migration depuis la Mésopotamie ni le séjour en Canaan: le Syrien ou Araméen errant passe directement en Egypte).

L'article d'A. Wénin (excellent exégète au demeurant) me laisse un peu perplexe: d'un côté, il illustre admirablement les ressources inépuisables d'une certaine pratique rabbinique de lecture qui surinvestit le moindre détail du texte (biblique et massorétique en l'occurrence) pour en dégager du sens; mais cet excès de sens, comme celui que produisaient les lectures "allégoriques" de l'Antiquité surtout alexandrine et du moyen-âge, échappe lui-même à tout rapport au texte et à tout contrôle exégétique: il est indifféremment disponible pour tout discours, pensée ou prédication qui le mobilise. Ainsi dans un certain judaïsme moderne et philosophique, disons de la Haskala (réception de l'Aufklärung ou des "Lumières" par une partie du judaïsme européen) à Rosenzweig, Buber, Scholem ou Levinas, le "monothéisme" lui-même en vient à être interprété selon un schème essentiellement éthique et/ou socio-psychologique où il ne se distingue plus guère d'un athéisme. C'est sans doute un aspect constitutif et décisif de tout monothéisme, on en a assez parlé: celui qui affirme un seul Dieu est aussi et d'abord quelqu'un qui nie les dieux et tout ce qui leur ressemble, donc qui finira aussi par nier le Dieu qu'il affirme en ce qu'il ressemble encore trop à un dieu ou à une idole. Mais en portant cette tradition ou ce mouvement à leurs conséquences ultimes, on se garde de les interroger eux-mêmes -- ce que fait en revanche une lecture plus simple ou plus naïve de la Genèse, en montrant (par l'histoire d'Abraham notamment) la possibilité d'un tout autre "monothéisme", inclusif ou non polémique, qui n'a pas besoin pour exister de nier les dieux ou de briser les idoles.
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeVen 29 Nov 2019, 14:04

Merci Narkissos pour cette analyse et de mettre en évidence que le monothéisme d'Abraham était  "non polémique, qui n'a pas besoin pour exister de nier les dieux ou de briser les idoles".


 Le départ d’Abram-Abraham

Et l’Éternel dit à Abram : « Pars hors de ton pays, hors de ton enfantement, hors de la maison de ton père, vers le pays que je te ferai voir pour que je fasse de toi une grande nation, et que je te bénisse et que je grandisse ton nom. Et sois bénédiction, que je bénisse ceux qui te bénissent – mais celui qui te méprise, je le maudirai ; et que par toi acquièrent pour eux bénédiction toutes les familles de la terre. (4) Abram partit comme le lui avait dit le Seigneur, et Lot partit avec lui. Abram avait soixante-quinze ans quand il quitta Harrân. Il prit Saraï sa femme, Lot son neveu, tous les biens qu’ils avaient amassés et les êtres qu’ils avaient acquis (faits) à Harrân. Ils sortirent pour le pays de Canaan. (Genèse 12, 1-5)

Une question se pose : Abram est-il déjà parti avec son père ? Reçoit-il l’appel de Dieu alors qu’il est déjà à Harrân ou le reçoit-il à Our en Chaldée ?
Quand Dieu s’adresse à Abram il lui dit : « Va pour toi-même hors de ta terre, hors de ta famille, hors de la maison de ton père, vers le pays que je te ferai voir. »
« Hors de ta terre » semble indiquer qu’Abram a reçu cet appel à Our. Mais l’enchaînement chronologique des récits, tel que reçu par le rédacteur biblique, laisse penser qu’il était déjà parti avec Térah et toute sa famille et qu’il se trouvait donc à Harrân.
(...)
Ou encore, Abram peut être considéré comme celui qui réalise le vœu profond de son père, qui n’a pas été mené jusqu’au bout, puisqu’il s’est arrêté à Harrân. Ainsi il arrive souvent qu’une génération recueille et accomplisse les projets, les espoirs que la génération précédente n’a pas réalisés pour elle-même.


Et Dieu par son appel à Abram sanctifie d’une certaine façon cet espoir et ce projet en le rendant réalisable et en lui donnant un sens nouveau, qu’on pourrait comprendre ainsi :

Citation :
Si nos projets ne naissent et ne se nourrissent que de notre seule volonté, de notre seule imagination… nous ne pourrons pas les conduire jusqu’au bout, ou bien ils risquent fort d’être pervertis par notre volonté de puissance.
https://www.cairn.info/revue-pardes-2013-1-page-111.htm
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeVen 29 Nov 2019, 17:18

Par "monothéisme d'Abraham", j'entendrais bien sûr le (ou les, ou certains des) "monothéisme(s) de la Genèse" -- car non seulement un tel monothéisme n'aurait guère de sens historique à l'époque reculée où la "méta-histoire" qui résulte de l'intertextualité biblique place le personnage (IIe millénaire av. J.-C. en tout cas), mais dans les récits mêmes ce monothéisme n'est pas affiché comme tel: Abra(ha)m se contente d'obéir à son dieu sans dénigrer les autres et sans faire de théorie sur son unicité -- cf. la traduction (fausse mais) géniale, sinon "inspirée", de la Septante qui rend "je suis El-Shaddaï" par "je suis ton dieu"; incidemment cela me rappelle la prière prêtée à Janusz Korczak dans le film éponyme d'Andrzej Wajda que j'ai revu il y a quelques jours, qui m'avait beaucoup marqué à sa sortie mais que j'avais un peu oublié depuis: mon Dieu, je ne t'appelle pas grand, ni juste, ni bon, mais je t'appelle mon Dieu, et cela me rassure, me console, me donne du courage...

La question de savoir qui part pour Canaan, et pourquoi, se pose surtout par rapport à la notice généalogique du chapitre 11 (v. 27ss, en particulier 31), intercalée entre la "tour de Babel" et la "vocation d'Abraham" qui sont d'un tout autre genre narratif. Mais la juxtaposition et le rafistolage de textes et de rédactions différents produisent d'eux-mêmes un effet et un excès de "sens" aussi incontrôlable qu'inépuisable (cf. mon post précédent).
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeLun 02 Déc 2019, 10:48

Abraham, entre errance et appartenance, apprentissage de la filiation

Chaque migration d’Abraham s’accompagne d’un changement de sa nature, d’une étape vers son accomplissement personnel. Il est peut-être un des seuls personnages bibliques pour qui l’itinéraire géographique est autant chevillé à l’humain.

Le cheminement d’Abraham est triangulaire. À ce titre, ses pérégrinations apparaissent comme une évocation « préminitoire » des pérégrinations du peuple juif à venir. Babylone (l’étude) – Canaan (la terre – le faire) – Égypte (l’esclavage – la naissance). Le premier des patriarches naît en exil, et se forge son identité à Ur et Haran. C’est là qu’il découvre Dieu. Il le cherche, le suscite, le déduit bien des années avant qu’il ne lui adresse la parole. Il part vers l’ouest, symbole du futur, tournant le dos au passé, représenté par l’est. Il lance par là le cheminement naturel du futur monothéisme, qui finira par embraser l’Occident. Lorsqu’il quitte Haran, c’est un voyage sans retour, il ne reviendra jamais dans sa terre de naissance, il crée un big-bang théologique.

Descendre en Égypte : l’angoisse de la perte : La découverte de Sarah  avec les yeux des autres

Abram marche sur les traces de ses descendants. Joseph, puis ses frères et son père Jacob, descendront également en Égypte suite à l’apparition d’une famine.
Abram est très proche de sa femme, trop proche ? Il n’en perçoit peut-être pas l’étrangeté, sans qui la possibilité de séduction n’existe pas. Elle est la fille de son frère défunt. Lorsqu’il annonce qu’elle est sa sœur, il ne ment pas forcément. Une part non négligeable de lui en est intimement convaincue. Abram et Saraï, c’est le nouveau couple année zéro, le nouvel Adam et Ève, le premier maillon d’un peuple à venir. Alors, là, sur le chemin de l’Égypte, au contact des autres marchands, il va se rendre compte que sa femme est très belle, même s’il n’intègre pas tout de suite l’information. Tel un étranger en Égypte, il va progressivement cesser de la considérer comme un être de la famille et la découvre avec les yeux de l’époux, les yeux de l’Autre. La vie conjugale peut naître.

Abram déclare qu’elle est sa sœur. Il a la vie sauve, mais elle est enlevée. Il est possible que Saraï, dont le texte ne dit pas grand-chose des atermoiements, est blessée, humiliée de servir de bouclier humain, de marchandise « otage », à seule fin pour sauver son époux. Il y a de l’Esther chez Saraï, et de l’Assuerus chez ce pharaon dont elle est en passe de devenir la favorite.

Abram quitte finalement le pays des pyramides, et on assiste à une réplique en miniature de la sortie d’Égypte. Plaies sur le Pharaon, transfert de richesses. Mais le ver est dans la pomme. Dans les bagages de Saraï se trouve une belle esclave ayant pour nom Agar, qui ne serait autre qu’une des propres filles du Pharaon. Et tout laisse à penser qu’Abram va en tomber follement amoureux. https://www.cairn.info/revue-pardes-2013-1-page-105.htm
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeLun 02 Déc 2019, 13:56

Le "paratexte juif" des textes bibliques qui s'est longuement construit et sélectionné depuis leur rédaction (par l'édition, la recension, la traduction grecque ou araméenne, la paraphrase, le commentaire, la création littéraire du genre "apocryphe" ou "midrashique", d'abord tous azimuts puis filtrés aux prismes successifs du pharisaïsme, du rabbinisme, du qaraïsme ou de la qabbale -- sans parler des interférences de l'histoire moderne de l'Etat d'Israël qui sont assez sensibles dans cet article) est en soi tout à fait fascinant, mais comme tout "paratexte" il tend à se substituer aux textes qu'il est censé "éclairer" et les occulte. Ce n'est plus le texte qu'on lit -- et à cet égard, la différence n'est pas si grande avec l'islam qui supprime la référence aux textes antérieurs au profit de ses propres récits coraniques ou postérieurs (d'ailleurs largement inspirés de la tradition juive ou judéo-chrétienne, comme on l'a vu ici et ailleurs).

Au passage, une difficulté supplémentaire pour le lecteur français consiste dans la coïncidence de la translittération des noms de Haran frère d'Abra(ha)m et de la ville de Haran, qui sont différents en hébreu (ce n'est pas le même "h", et heth respectivement) -- il y a entre eux allitération et peut-être jeu de mots, mais non identité formelle. Certaines traductions marquent autrement la différence (par exemple en redoublant le r de Harran pour la ville -- une différence qui se voit mais ne s'entend pas, contrairement à l'hébreu).
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeMar 03 Déc 2019, 11:14

C'est sans doute pendant l'Exil à Babylone (587-538 av. J.-C.) qu'ont été mis en forme les récits sur Moïse et le don de la terre promise mais aussi les récits sur Abraham. L'ancêtre du peuple d'Israël, disait-on, était parti de Mésopotamie (Babylone est non loin de Ur). Sur la seule parole de Dieu.

Le prophète que l'on appelle le "second" Isaïe écrit au creux de l'exil et de la détresse. Il appelle à l'espérance en tournant le regard vers Abraham et Sara (Isaïe 51,1) :

Écoutez-moi, vous qui êtes en quête de justice, vous qui cherchez le Seigneur :
Regardez le rocher d'où vous avez été taillés,
et le fond de tranchée d'où vous avez été tirés ;
regardez Abraham votre père, et Sara qui vous a mis au monde ;
il était seul en effet, quand je l'ai appelé ;
or je l'ai béni, je l'ai multiplié !

Plus tard, après l'exil, à partir de sources diverses, on a mis en récit l'histoire d'Abraham. En allant de la carte au texte, on mesurera tout ce que cet itinéraire a de symbolique.
https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/47.html
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeMar 03 Déc 2019, 12:31

Cette notice vague et lénifiante ne l'est encore pas assez pour éviter de se contredire en quelques lignes (pendant / après l'exil)... Smile

Il est intéressant de comparer Isaïe 51 et Ezéchiel 33 qui se réfèrent tous deux à Abraham dans le contexte apparent de l'exil (qu'ils aient été écrits ou réécrits, tels que nous les lisons, à ce moment-là ou plus tard): comme on l'a souvent relevé, ce sont deux aspects distincts de la tradition d'Abraham qui sont mis en valeur, respectivement la promesse de la descendance improbable et de la possession du pays; mais, surtout, le sens de l'argument "prophétique" est diamétralement opposé: en Isaïe 51, il s'agit de faire croire aux exilés (ou déjà rapatriés) qu'ils sont ou que le dieu les rendra capables de reconstruire et de repeupler le pays (partiellement) dévasté; en Ezéchiel 33, au contraire, ce sont les non-exilés qui fonderaient sur Abraham leur espoir de posséder le pays (partiellement) dépeuplé, et le prophète qui combattrait cette espérance. Il est clair en tout cas que les motifs qui finiront par être rassemblés et conjugués dans les récits de la Genèse représentent pour des milieux différents, à des époques différentes, des enjeux différents mais également importants -- autant de "points de vue" qui ne sont pas nécessairement celui ou ceux de la Genèse elle-même, mais n'en participent pas moins à la construction de ses "traditions".
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeMar 10 Déc 2019, 13:08

Merci Narkissos pour ces précisions éclairantes.

De la dispersion au rassemblement: Gn 12,1-9

L'auteur du récit de la vocation d'Abraham (Gn 12,1-9) a compris l'histoire de la "tour de Babel" comme un échec des hommes à parvenir par eux-mêmes à l'unité perdue. Il construit ainsi la vocation d'Abraham comme un contre-projet de Dieu par rapport à Gn 11,1-9. Alors que l'humanité en Gn 11,4 veut se faire un nom, en Gn 12, 2, c'est Yhwh qui promet à Abraham de rendre grand son nom. Alors que Gn 11,9 se termine par la dispersion des humains sur toute la terre, Gn 12,3 annonce le rassemblement en Abraham: "en toi seront bénis tous les clans de la terre". Gn 12 (ou 11,27ss dans la version sacerdotale) ouvre une nouvelle époque dans la chronologie du Pentateuque, celle des origines d'Israël. Mais, via Abraham, cette concentration sur l'ancêtre du peuple va s'accompagner d'une perspective universaliste.

Théologie et anthropologie des récits patriarcaux.
Une vision généalogique des origines


Les récits patriarcaux nous présentent une conception généalogique des origines d'Israël. De nombreuses cultures connaissent deux façons de dire l'identité d'un groupe: soit par les liens de parenté et donc de descendance d'un ancêtre commun, soit par l'acceptation de tous les membres d'un contrat qui règle le fonctionnement du groupe. Ceci est également le cas du Pentateuque qui combine les deux conceptions: la généalogique dans la Gn, la vocationnelle dans Ex, Nb et Dt. On constate en effet que les généalogies, alors omniprésentes dans la Gn, disparaissent dès le livre de l'Exode (l'exception est la généalogie de Moïse en Ex 6, mais qui ne devient pas un ancêtre).


Le système généalogique de Gn combine en effet le cycle des origines et les récits des Patriarches. Ce lien est sans doute dû à l'école sacerdotale. Les différentes généalogies qui se construisent à partir des Patriarches apparaissent ainsi comme le prolongement d'un système qui englobe toute l'humanité. Ainsi la généalogie d'Israël s'inscrit dans un régime où l'humanité apparaît comme une famille (Crüsemann parle d'une "family of men"). A l'intérieur de cette famille, toutes sortes de différenciations existent, mais les liens entre les différents peuples sont indissolubles, même s'ils peuvent être conflictuels (cf. p. ex. la différenciation entre les trois fils de Noé en Gn 9,20-27 et la mise en relation de Yhwh avec la descendance de Sem).
Via Abraham, cette perspective œcuménique se poursuit; c'est seulement via Jacob que la généalogie se concentre sur Israël, pour ensuite, via Joseph, de nouveau s'ouvrir aux autres peuples. Ainsi, Gn 12-50 met en place trois types d'ancêtres: Abraham, l'ancêtre œcuménique, Jacob, l'ancêtre d'Israël, et Joseph, l'ancêtre de la diaspora (Isaac n'a dans les récits de la Gn guère de profil propre).
http://www.unige.ch/theologie/distance/cours/ats3/lecon4/lecon4.htm
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeMar 10 Déc 2019, 21:44

Comme nous l'avons déjà remarqué (cf. supra 13.11.2019), "se bénir (par / en)" ne signifie pas forcément "être béni (en / par)". D'autre part (quoique ce ne soit pas sans rapport avec cette nuance), je ne suis pas sûr qu'il soit très judicieux d'interpréter le contraste au récit de Babel en termes de "rassemblement", ce qui reviendrait à faire prévaloir le modèle centripète de Babel: Yahvé appelle, nomme, bénit, féconde, distingue, différencie à même la dispersion, tel serait plutôt, à mon avis, le "sens" général des cycles patriarcaux -- cf. les séparations successives d'Abraham et de Lot, d'Isaac et d'Ismaël, d'Esaü et de Jacob, et même dans un premier temps de Joseph et de ses frères, qui marquent sans doute des préférences mais n'en "bénissent" pas moins les parties écartées. (Mutatis omnibus mutandis, même la Pentecôte des Actes, en tant qu'elle suggère une autre antithèse à Babel, le fait aussi sur le mode de la dispersion -- des langues, des peuples, des nations, de Jérusalem aux "extrémités de la terre" qui se confondent alors avec celles de l'empire romain; l'aboutissement à Rome ne constitue pas [encore] un nouveau centre de rassemblement.)
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeMer 13 Déc 2023, 12:02

MONOTHÉISME ET RÉCONCILIATION EN ESAÏE 40-55 

IV. EN GUISE DE CONCLUSION : DE LA PATERNITÉ D'ABRAHAM À LA PATERNITÉ DE YHWH

L'activité littéraire de 1 'école ésaïenne se poursuit en Es 56-66, le soi-disant Trito-Esaïe. Il s'agit là de textes reflétant les problèmes du judaïsme à 1' époque postexilique et certains textes de cet ensemble viennent sans doute du .même calame que certains passages rédactionnels d'Es 40s. Ainsi, on trouve en 58,14, dans une exhortation à respecter le sabbat (v.13s ; pour la problématique, cf. également Jr 17,19-27), une référence au père Jacob. À celui qui respecte le repos sabbatique, YHWH promet : je te ferai chevaucher sur les hauteurs de la terre, et je te donnerai comme nourriture le patrimoine de Jacob, ton père». Cette image, indiquant 1' abondance des richesses agraires est reprise de Dt 32,1325 . Dans le contexte de Dt 32, c'est la génération du désert et de la conquête qui est appelée «Jacob» (Dt 32,9.15). En Es 58,14 Jacob est devenu, comme Abraham en 51 ,2, le père des destinataires.

Cependant, cette valorisation des figures patriarcales posa très vite (de nouveau ?) des problèmes. Le grand psaume de lamentation, intégré dans le Trito-Esaïe en 63,7-64,11 27 , a comme centre l'appel à l'intervention de YHWH (v.15-16). Cet appel reçoit la motivation suivante :

En effet, c'est toi notre père
En effet, Abraham ne nous connaît pas
et Israël ne nous reconnaît pas
C'est toi YHWH. notre père
notre rédempteur depuis toujours,
c'est ton nom (63,14)

On constate dans ce texte un refus catégorique d'appliquer le titre de père à Abraham et Jacob (Israël). Ce refus va de pair avec un retour à la conception deutéronomiste qui voit les origines du peuple liées à la sortie d'Egypte. En effet, la strophe précédente (63,11-14), situe les jours des origines à l'époque de Moïse (v.ll), et la révélation du nom de YHWH depuis toujours au moment du passage de la mer (v.l2). La mise en garde contre une trop grande valorisation des patriarches dans cette prière tardive a ses raisons d'abord dans la polémique contre la vénération des ancêtres voire de la nécromancie qui étaient toujours pratiquées à l' époque postexilique, comme le montre par exemple Es 65,529. De manière plus générale, nous avons 1ci affaire à un auteur qui veut empêcher des tendances ségrégationistes d'un Israël qui pourrait croire que la référence généalogique aux Patriarches lui procure automatiquement une relation privilégiée avec Dieu. Ainsi, YHWH seul devient le père d'Israël (Cf. 64,7) comme celui de tout l'univers. L'application du titre «père» à YHWH qui est plutôt rare dans l'Ancien Testament est néanmoins préparée par un bon nombre de textes du corpus deutéro-ésaïen qui utilisent des métaphores paternelles et maternelles (!) pour exprimer la dialectique entre le Dieu unique et sa relation spéciale avec Israël (Cf. 42,14; 43,6-7; 45,11 ; 49,15 ; etc.). Cette modification de la foi monothéiste (méfiance envers une légitimation généalogique, patriarcale, et transposition de la fonction paternelle sur Dieu) préparent d'ailleurs la conception monothéiste néo-testamentaire. Ainsi, Jean-Baptiste met en garde ses interlocuteurs : «ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : «nous avons pour père Abraham». Car je vous le dis des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham» (Mt 3,9). Et dans l'évangile de Jean, Jésus rejette l'argumentation abrahamique des Juifs (Cf. Jn 8,31-59). A la question : «serais-tu plus grand que notre père Abraham?», il répond: «Si je me glorifiais moimême, ma gloire ne signifierait rien. C'est mon Père qui me glorifie, lui dont vous affirmez qu'il est votre Dieu.» (v.53-54). C'est ainsi que le christianisme a pu reprendre le message monothéiste de la Bible hébraïque, notamment dans sa forme ésaïenne, en affirmant que le Dieu de l'univers est celui que nous pouvons appeler «père».

https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_06AAA55BCEDD.P001/REF.pdf
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeMer 13 Déc 2023, 13:09

Merci pour cet article de Römer, déjà assez ancien (1994) -- on en trouvera d'autres, plus récents, dans les liens du présent fil et de celui-ci sur Jacob -- mais toujours intéressant, surtout sur les différences de perspectives du (grand) "livre d'Isaïe"... Cela rejoint également nos discussions de ces derniers jours sur les "Samaritains" (p. ex. ici), dans la mesure où tout cela peut être décrit comme l'évolution d'une même "relation", tantôt conflictuelle tantôt pacifique, sur près d'un demi-millénaire (de l'exil à l'époque hasmonéenne), nonobstant les changements d'"identité" des parties (de l'antagonisme des "exilés" et des "non-exilés" à celui des "Juifs-Judéens" et des "Samaritains", ce ne sont plus les mêmes partenaires ni les mêmes enjeux et c'est pourtant le même jeu qui se poursuit).

Au passage, on peut remarquer que la notion de "paternité" ("métaphorique" ou non au sens de la rhétorique classique qui distingue sens "propre" et "figuré", "métaphorique" toujours en un sens plus radical, cf. la legal fiction de Joyce) peut elle-même s'entendre dans un sens "inclusif" ou "exclusif", à l'instar du "monothéisme". Inclusivement, Dieu est Père en-deçà et au-delà des pères humains, physiques, concrets, réels, dans un sens platonicien il serait l'idée, le modèle, le type dont ceux-ci sont les images, les copies ou les ombres plus ou moins fidèles ou trompeuses (cf. Ephésiens, le Père à qui toute paternité, patrie ou patriarcat doit son nom); exclusivement, il est le seul Père qui annule toute (autre) paternité (cf. Matthieu: n'appelez personne votre père sur la terre, car un seul est votre père, le céleste). De la même manière un "Abraham" peut devenir autant le synonyme de "Dieu" comme "Père" (cf. le sein d'Abraham, etc.) qu'un rival ou une médiation de trop, selon les points de vue et les enjeux d'une époque, d'un lieu et d'un milieu donnés...
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeMar 19 Déc 2023, 11:26

Abraham et sa signification pour la foi chrétienne

En parlant de l'universalisme d'Abraham il faut se demander si ses origines remontent au Yahviste, ce qui modifierait déjà considérablement les représentations qu'on se faisait il y a environ une vingtaine d'années, ou s'il est possible de trouver des traces de cet universalisme dans l'histoire même d'Abraham, car il ne nous semble nullement indifférent de faire accorder, lorsque c'est possible, la théologie avec les données de l'histoire. Il y a beaucoup de vraisemblance que le mouvement des Abrahamides soit à mettre en relation avec celui des Hapiru, de ces bandes remuantes qui au cours du deuxième millénaire s'agitent le long du croissant fertile et qui, tout en menant une existence indépendante grâce à la rapine et au pillage, se louent parfois comme mercenaires aux princes des empires établis pour des activités licites d'ordre guerrier ou commercial. La tradition qui présente Abraham comme un guerrier (Gen. 14) ou comme un commerçant (Gen. 23) repose sur de solides fondements historiques ; son état de semi-nomade lui permet de traiter dans une relative indépendance avec les Cananéens, les Hittites et les Egyptiens, et l'intervention d'Abraham à la tête de ses 318 hommes, à propos de laquelle il est appelé l'Hébreu, c'est-à-dire le Hapiru (Gen. 14 13), pourrait être un des éléments historiques les plus valables de l'énigmatique chapitre 14 de la Genèse. Il y a dans ce même chapitre un aspect religieux de cet universalisme qui pourrait lui aussi avoir des attaches fort anciennes : il s'agit de la rencontre d'Abraham avec Melkisedeq. A Jérusalem, Abraham, dont le dieu était probablement un dieu familial, tutélaire du clan, rencontre un roi-prêtre du dieu El Elyon, dont il est dit qu'il était «créateur des cieux et de la terre ». L'attitude d'Abraham est significative : non seulement il accepte la bénédiction de ce dieu suprême qui ne pouvait être à ses yeux qu'un dieu païen, mais, dans sa réponse au roi de Sodome, il en adopte le titre qu'il donne désormais à son dieu qui, d'après la forme actuelle du récit, ne peut être que Yahweh lui-même (v. 22). La figure du dieu El nous a été révélée par les textes d'Ougarit et ceux qui l'ont étudiée de plus près ont abouti à la conclusion qu'entre El et Yahweh, la parenté était plus grande que ce qui les opposait et que, par conséquent, Yahweh devait avoir adopté bien des traits de ce grand dieu cananéen. La rencontre entre El et Yahweh a pu se produire dès l'époque patriarcale, à un moment où le dieu d'Israël n'était pas encore connu sous le nom qu'il aura à partir de Moïse, mais l'héritage du culte de El n'est devenu vraiment effectif qu'à partir de la conquête de Jérusalem par David. C'est à ce moment-là que l'universalisme, qui était déjà présent à l'état latent, a fait son entrée dans la religion d'Israël et que la foi d'Israël a intégré à son patrimoine les notions universalistes du dieu créateur et du dieu-roi, et cela d'autant plus facilement qu'elles s'harmonisaient parfaitement avec l'expérience qu'Israël avait faite de la puissance de son dieu. On peut se demander si cet universalisme se manifestait non seulement sous une forme littéraire et liturgique, dont les Psaumes rapportent mainte trace, mais encore par la présence à Jérusalem, lors de certaines cérémonies de représentants de peuples étrangers. Le Psaume 47, qui est un des chants les plus typiques de la royauté de Yahweh, mentionne au dernier verset «les princes des peuples qui s'assemblent comme peuple du dieu d'Abraham », ce qu'on peut entendre comme la réunion à Jérusalem de peuples étrangers avec le peuple d'Israël pour former ensemble non pas le peuple élu ayant passé par l'expérience de l'exode et du Sinaï, mais le peuple du dieu d'Abraham. Si Abraham a vraiment été le trait d'union entre peuples divers réunis à Jérusalem, nous aurions là une application sur le plan cultuel de la promesse de bénédiction de Genèse 12 1-3, et plus généralement de l'importance de la promesse faite à Abraham comme modèle et prototype de la promesse de Yahweh à David (II Sam. 23 5), ainsi que l'a suggéré il y a quelques années G. Mendenhall. Le thème abrahamitique a été repris chaque fois qu'il s'est agi de mettre en lumière l'universalisme du salut ; à l'époque préexilique, la théologie yahviste avec la promesse de Genèse 12, a toujours dû être présente à la foi d'Israël ; le chapitre 15 de la Genèse apparaît également comme un miroir de tout ce que la religion d'Israël trouvait dans l'histoire d'Abraham : les couches littéraires diverses sont la marque des actualisations successives de l'histoire d'Abraham dont la vérité était confirmée par la réalisation des promesses ; en même temps, nous y trouvons, mises en relation avec Abraham, deux réalités essentielles de la foi d'Israël, la théophanie dont Abraham a été l'objet avant Moïse et les prophètes, et la conclusion d'une alliance qui, d'après les analogies des textes de Mari, pourrait avoir eu lieu à l'époque même d'Abraham 12. Lorsque pendant l'exil la réalité de l'élection et de l'alliance fut mise en doute, le rappel d'Abraham servit à montrer que rien n'était perdu et que tout pouvait recommencer. «Abraham était seul et il a eu le pays en possession », dira Ezéchiel pour confirmer chez les captifs la certitude du retour (33 24). Le second Esaïe, qui est le prophète de l'universalisme par excellence, est le premier à donner à Abraham le titre d'ami de Dieu (41 s) et le compare au rocher d'où les générations successives ont été extraites, image qui exprime fort bien la réalité de la personne collective qui englobe et dépasse les personnes individuelles, ainsi que le miracle de l'élection qui tire du néant et de la ruine ce qui est (51 2) ; il se pourrait même que, dans la figure synthétique du serviteur de Yahweh, soient entrés certains traits empruntés à Abraham 13. Abraham et le serviteur sont des illustrations du salut consistant dans une pure élection ; l'un et l'autre offrent à Dieu ce qu'ils ont de plus précieux, le premier la vie de son fils unique, le second sa propre vie ; l'un et l'autre provoquent par leur obéissance la conversion des peuples païens (cf. Gen. 22 le ss. et Es. 53 10 ss.). Même le texte dont on a dit à juste titre qu'il constituait un sommet de l'universalisme de l'Ancien Testament 14, l'oracle d 'Esaïe 19 21 ss., contient peut-être une réminiscence à Abraham, car, la route menant d'Egypte en Assur, c'est Abraham qui a été le premier à la parcourir ; là encore, il a été l'initiateur et le père de ce qui apparaît d'une manière plus développée dans les traditions qui se réfèrent à l'exode (cf. Es. 11 15-1 β). Si laissant de côté les écrits apocryphes et pseudépigraphes, où à côté de l'élection du père des peuples (p. ex. Siracide 44 19 ss.) apparaissent d'autres motifs tels que celui du parfait monothéiste, briseur d'idoles 15 (livre des Jubilés 12), et du juste auquel ses œuvres ....

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1962_num_42_2_3700
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MessageSujet: Re: Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge   Abraham le Patriache, le Père des croyants et le mensonge - Page 3 Icon_minitimeMar 19 Déc 2023, 14:26

Il suffit de comparer cet article (Jacob, 1962) avec le précédent (Römer, 1994) pour mesurer ce qui a changé entre-temps: ce n'est pas seulement une affaire d'auteur (quoique Jacob ait probablement été plus "conservateur" en son temps que Römer dans le sien). Plus personne aujourd'hui à ce niveau -- hors milieux "fondamentalistes" ou "sectaires" -- n'irait chercher de l'histoire (du IIe millénaire av. J.-C. !) dans les récits patriarcaux de la Genèse... Les observations littéraires et idéologiques (sur l'"universalisme", ou le "monothéisme inclusif" associé à Abraham) demeurent tout à fait valables, mais elles prennent sens dans de tout autres contextes -- de l'antagonisme entre les exilés qui reconstruisent le temple de Jérusalem au début de l'époque perse et se réfèrent surtout à la tradition de l'Exode, et les non-exilés qui privilégient la tradition des Patriarches (c'est le sens contextuel de la citation d'Ezéchiel), à la rupture définitive entre Judéens = Juifs et Samaritains, à l'époque hasmonéenne... Deux légendes, plusieurs origines exogènes factices (Mésopotamie pour Abraham, Syrie pour Jacob, Egypte pour Moïse) qui auront néanmoins réussi à se combiner malgré leurs tensions dans un seul grand récit à peu près cohérent, grâce à la suture narrative entre la Genèse et l'Exode apportée par un supplément, le "roman de Joseph" (l'ajouté, suivant le jeu de mots étymologique du texte, Genèse 30,24s; cf. la "tosephta" qui désigne des ajouts dans la tradition talmudique).
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