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| Le révélé et le caché - Colossiens | |
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free
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mar 07 Jan 2020, 16:18 | |
| "et c'est en lui que tout se tient"
Ce texte fait penser au Logos Johannique, le cosmos trouve son unité et sa cohérence dans la personne du Christ, sans lui, le cosmos menace de se rompre. L'hymne indique également qu'il est "le commencement", formule énigmatique. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mar 07 Jan 2020, 17:09 | |
| C'est du verbe employé ici, sun-istèmi, que dérive notre mot "système".
Autant ce type de pensée (d'un "principe" qui soit à la fois origine et fin, cause et but, "moyen" de cohésion et de régulation de tout) nous est devenu étranger, voire exotique, autant il était commun et quasiment consensuel dans le monde du Nouveau Testament -- en aucun cas une "originalité" johannique, (deutéro-)paulinienne ou philonienne, mais un point de référence quasi-obligé de toute "philosophie populaire", qu'elle soit plutôt influencée par le stoïcisme ou par le (médio-)platonisme. C'est bien là pour nous le plus difficile à concevoir, que nous soyons plutôt fascinés par son côté "sublime" ou repoussés par son côté "mystifiant" -- que ç'ait pu être une simple évidence de la pensée, fondamentale et abyssale à la fois, paradoxalement au plus près d'un "impensé".
Dernière édition par Narkissos le Mar 07 Jan 2020, 17:39, édité 1 fois |
| | | free
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mar 07 Jan 2020, 17:38 | |
| En Col, Christ est à la fois Créateur et créature, humain et divin "Premier-né de toute créature" (1,15), "en lui tout a été créé par lui et pour lui" (1,16), "Dieu vous a donné la vie avec lui" (2,13), cette "double nature" complexifie la compréhension de l'hymne. La créature devient Créateur et même s'identifie à lui, il est "image du Dieu invisible" (1,15). créature et créateur se trouvent réunis en Christ. La création est englobée dans le Christ, en même temps qu'il est le lieu de la divinité : "Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute plénitude" (1,19). Col met le Christ du côté de Dieu, sans qu’il y ait confusion entre le Fils et le Père, tout en partageant "la plénitude de la divinité".
Concernant le titre «premier né de toute créature» et le débat qui entoure ce titre que nous avons déjà abordé :
Le titre «premier né de toute créature» en Col 1,15 ne souligne-t-il pas d’ailleurs cette différence? Certes, mais l’appellation est ambiguë, car elle peut insister sur l’être-créature du Christ – «premier-né» connoterait alors le commencement d’une série, dont le Fils serait le numéro un (première créature, mais créature tout de même) – ou, au contraire, indiquer l’antériorité absolue et la communauté de vie éternelle avec Dieu – le Fils serait premier-né de Dieu avant que ne soit opérée l’œuvre créatrice. Avec St Jean Chrysostome, dans ses homélies sur Col, on peut noter que «premier-né» (prôtotokos) ne veut pas dire «premier-créé» (prôtoktistos) , mais l’ambiguïté subsiste, dans la mesure le titre «premier-né» semble souligner l’humaine condition de Jésus. Certes, le terme fut appliqué à d’autres qu’à l’aîné: Israël, par exemple, appelé premier-né sans que cela signifie une antériorité temporelle par rapport aux autres peuples; le terme connote alors l’élection, la préférence. Mais, même comme titre d’excellence, «premier-né» ne fait pas de soi sortir du statut de créature. Comment ce titre, qui ne se trouve tel quel nulle part ailleurs, doit-il donc être compris ?
Sans nous arrêter aux diverses lignes d’interprétation, des Pères à l’exégèse contemporaine, rappelons que pour déterminer le sens de l’expression il faut tenir compte de la composition du passage. Or les vv. 16-17 montrent que «premier-né de toute créature» doit être compris en fonction de ce qui suit, c’est-à-dire de la médiation unique du Fils dans l’œuvre de création; Paul ne parle pas de la création du Fils, mais de celle de tout le créé – êtres terrestres et célestes ont tous été créés en/par lui. Mais s’il en est ainsi, pourquoi Paul ne dit-il pas explicitement que, comme Fils de Dieu, le Christ n’appartient pas à la série des créatures? En réalité, le Fils bien aimé c’est l’homme Jésus, mort et ressuscité, qui comme tel, fait (aussi) partie des créatures; le syntagme «premier né de toute créature» ne peut plus alors (seulement) connoter l’antériorité, puisque Jésus est né dans le cours du temps, mais la préséance sur le reste du créé. On objectera sans doute que «premier né de toute créature» ne s’applique pas à l’homme Jésus, mais seulement au Fils préexistant, comme semblent l’exiger les v. 15-17, selon une distinction soulignée par certains exégètes :
v. 15-17 le Fils préexistant en sa médiation créatrice v. 18-20 le Fils incarné en sa médiation salvatrice.
Lien corrigé
Dernière édition par free le Mer 08 Jan 2020, 12:10, édité 2 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mar 07 Jan 2020, 19:00 | |
| Lien corrigé à cet article, décidément très riche, de J.N. Aletti (cf. supra 17.12.2019).
Pour rappeler ce qui a été dit un peu plus haut (un peu plus bas par rapport à la référence précédente, à partir du 19.12.2019), il n'y a pas lieu de parler de "double nature" ou d'"union des natures" tant qu'on n'a pas commencé à distinguer et surtout à opposer radicalement des "natures" (divine, incréée, créatrice vs. humaine ou angélique, mais créée), ce qui est surtout l'affaire des siècles postérieurs au NT. Aletti s'en garde bien d'ailleurs, même s'il ne me semble pas en tirer toutes les conséquences. D'autre part, nous avons souvent remarqué que dans l'interprétation de ce genre de texte christologique (non seulement Colossiens-Ephésiens, mais aussi Jean 1, Hébreux 1--2 ou Philippiens 2) il ne faut pas négliger, outre la figure de la Sagesse juive (qu'Aletti écarte un peu vite à mon avis) ou du logos grec (dont il ne parle pas du tout), celle de l'Adam primordial (explicitement évoqué en 1 Corinthiens 15 et Romains 5, implicitement dans bien d'autres passages), qui se confond souvent avec les précédentes dans la littérature juive contemporaine (notamment chez Philon) et rejoint des "anthropo-logies" similaires dans les traditions grecques (Platon p. ex.) et hellénistiques (mystères, hermétisme, gnosticisme): c'est aussi Adam ou l'Anthrôpos primordial en tant qu'Homme éponyme, générique et idéal qui est d'emblée "Fils de Dieu", "image du Dieu invisible", "premier-né", donc (si l'on veut) à la fois "créé" et "incréé", "spirituel" = "pneumatique" et "psychique", "charnel" ou "matériel", "céleste" et "terrestre", "éternel" et "engendré" et "mortel", etc.
Le problème majeur à mon sens, c'est que plus on rentre dans ces considérations historico-littéraires indispensables à l'intelligence des textes du NT mais très éloignées de notre univers culturel, plus s'éloigne de nous la possibilité d'une "appropriation" directe de ces textes. On en reste à l'impression vague que "les premiers chrétiens" croyaient des choses très bizarres que nous ne pouvons pas croire, ni même vraiment comprendre. Tout le travail de "traduction", au sens profond ou superlatif (on pourrait dire hypertraduction si toute traduction n'était pas hyper-, excès, débordement, passage en force, arrachement violent d'un texte à ce qu'il est), qui nous permettrait de penser quelque chose de semblable avec notre propre "cosmologie" ou "vision du monde" sans "Dieu" ni "dieux", ni "anges" ni "puissances célestes", ni "création" ni même "cosmos" au sens d'univers stable et ordonné, reste à faire. Or une telle "traduction" est nécessaire, non que notre conception du "monde" ou de nous-mêmes soit achevée, parfaite et définitive, ou même "objectivement" meilleure que ses ancêtres antiques, mais simplement parce que c'est la nôtre et que c'est avec elle que nous pouvons penser et croire -- sans elle nous ne pouvons que faire semblant de croire des choses que nous ne pouvons pas penser (problème de tous les croyants modernes, qu'ils s'en rendent compte ou non). Alors qu'au fond notre désir ou notre besoin de rapporter l'ensemble de nos connaissances provisoires et de notre expériences à quelque manière d'unité positive ou négative (1 ou 0, tout, rien ou autre chose), autrement dit d'une conception du monde digne de ce nom, reste à peu près intact et insatisfait -- que nous nous disions "croyants" ou non. Bien entendu, il reste à chacun la possibilité de bricoler sa "religion" ou sa "philosophie" dans son coin avec les outils dont il dispose, mais cela n'est plus guère susceptible de "communication" ni générateur de "lien social"... |
| | | free
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mer 08 Jan 2020, 13:32 | |
| - Citation :
- c'est aussi Adam ou l'Anthrôpos primordial en tant qu'Homme éponyme, générique et idéal qui est d'emblée "Fils de Dieu", "image du Dieu invisible", "premier-né", donc (si l'on veut) à la fois "créé" et "incréé", "spirituel" = "pneumatique" et "psychique", "charnel" ou "matériel", "céleste" et "terrestre", "éternel" et "engendré" et "mortel", etc.
Cette notion ou concept de : "à la fois "créé" et "incréé", "spirituel" = "pneumatique" et "psychique", "charnel" ou "matériel", "céleste" et "terrestre", "éternel" et "engendré" et "mortel", est difficile à comprendre et à intégrer.Une nouvelle compréhension du ChristLa christologie de l'épître aux Colossiens a des traits clairement universalistes, voire cosmologiques. Le texte de référence est Col 1,15-20, un hymne connu des destinataires. Cet hymne, qui faisait partie de la confession de foi de la communauté, fut adapté au contexte par l'auteur de l'épître aux Colossiens de la manière suivante. Premièrement, l'hymne a été intégré dans l'épître pour devenir sa base d'argumentation théologique. Deuxièmement, il a été légèrement retravaillé (je suppose deux ajouts rédactionnels : en 1,18 "de l'Église" et en 1,20 "par le sang de sa croix"). Troisièmement enfin, il a été, de surcroît, interprété par les versets qui suivent (1,21-23).Les reprises de l'hymne dans la partie polémique de la lettre, c'est-à-dire dans 2,9-15, montrent clairement que l'hymne ainsi interprété fonctionne comme base centrale de l'argumentation épistolaire. Le Christ est le Seigneur du monde. En lui, le cosmos qui, d'après la conception hellénistique du monde, est toujours en danger de se rompre, trouve son unité et sa cohérence fondamentale. Christ est non seulement le Seigneur de la sphère visible, mais aussi de la sphère invisible ; il a ainsi autorité sur tous les pouvoirs du monde (1,16; 2,10.15). La force argumentative de cette thèse est évidente dans le contexte de communication originelle : la vénération des anges, par exemple, est démasquée comme absurde car, d'après la compréhension christologique de Col, ces êtres célestes n'ont en réalité pas de pouvoir sotériologique. Seul le Christ est "à la droite" de Dieu, tous les autres êtres ne sont que "monde".L'épître aux Colossiens: un exemple de réception de la théologie paulinienne DETTWILER, Andréas |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mer 08 Jan 2020, 14:15 | |
| Lien vers l'article de Dettwiler. - Citation :
- Cette notion ou concept de : "à la fois "créé" et "incréé", "spirituel" = "pneumatique" et "psychique", "charnel" ou "matériel", "céleste" et "terrestre", "éternel" et "engendré" et "mortel", est difficile à comprendre et à intégrer.
Le pire, c'est qu'il (le concept) ou elle (la notion) est aussi inutile, en principe, à la lecture des textes (Colossiens en l'occurrence), parce que foncièrement anachronique -- d'où mon "si l'on veut". Pour essayer de le redire plus simplement: c'est seulement à partir des développements théologiques du IIe siècle, fruit durable y compris dans l'"orthodoxie" de ses débats avec la "gnose", qu'on pose une distinction et une opposition absolues ENTRE "Dieu" et "le monde", ENTRE l'"incréé" (mais éventuellement "engendré") et le "créé", ENTRE la "nature divine" et la "nature humaine". Et que la christologie doit dès lors être pensée sur le mode du "à la fois", comme une UNION paradoxale de CONTRAIRES absolus (en dernière analyse, l'union hypostatique du Ve siècle qui est comme le point d'orgue de ce type de pensée). Mais dans les textes du NT, c.-à-d. pour l'essentiel AVANT ou EN AMONT DE ces distinctions et oppositions, le "problème" ne se pose pas et par conséquent sa "solution" n'est pas requise. Le Christ (mystère, plérôme, etc.) peut réunir, "réconcilier" ou "récapituler" Dieu et la création, le monde ou l'humanité sans que ça apparaisse comme une contradiction et un paradoxe -- du moins pas de façon aussi aiguë qu'après. |
| | | free
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mer 08 Jan 2020, 15:15 | |
| - Citation :
- Mais dans les textes du NT, c.-à-d. pour l'essentiel AVANT ou EN AMONT DE ces distinctions et oppositions, le "problème" ne se pose pas et par conséquent sa "solution" n'est pas requise. Le Christ (mystère, plérôme, etc.) peut réunir, "réconcilier" ou "récapituler" Dieu et la création, le monde ou l'humanité sans que ça apparaisse comme une contradiction et un paradoxe -- du moins pas de façon aussi aiguë qu'après.
Merci Narkissos, cela devient plus clair. Christ premier. Certains des passages où il est posé que le Christ est englobant affirment concurremment qu'il est premier. Cette primauté du Christ est la fois spatiale (1,17; 1,18), temporelle ( 1,15 ; 1,18), somatique (1,18) et sérielle (2,10). Le Christ est «premier-né de toute créature» (1,15); il est «par-devant tout» (1,17), «il est, lui, la tête du corps, qui est l'Église» (1,18) et il occupe, «lui, le premier rang» (1,18).Là encore, quelques remarques s'imposent. En affirmant que le Fils est «premier né de toute créature» le texte pose une suite ordonnée dont le Fils est le premier terme: c'est-à-dire que, hiérarchiquement parlant, les autres termes sont déduits de lui sans que lui-même ne puisse être déduit d'aucun autre. Sémiotiquement parlant, nous dirons qu'il s'agit des relations d'implication qui interviennent à l'intérieur d'une même deixis (La deixis est une des dimensions fondamentales du carré sémiotique, qui réunit, par la relation d'implication, un des termes de l'axe des contraires avec le contradictoire de l'autre terme contraire).Christ totalité. Le Christ est non seulement premier et ce qui englobe tout; mais il est aussi «tout et en tous» (3,12). Or s'il constitue cette totalité même, il est l'ensemble auquel appartiennent les éléments cieux, terres, êtres visibles et invisibles, Trônes et Souverainetés plus haut énumérés pour décrire cette totalité (1,16; 1,17). En cela, il occupe le même rang et la même fonction que l'englobant, il unit. Notons à cet effet que Paul emploie le singulier pour décrire cette totalité, «tout». Il vise donc moins à décrire une collection discrète et universelle d'individus qu'une grandeur intégrale et non divisée6 où toutes choses sont unies.Mais Paul s'empresse également d'utiliser le pluriel «en tous» et nous renvoie du coup aux grandeurs discrètes formant cet ensemble. Le Christ étant dans tous les membres de l'ensemble, il est placé aux deux extrémités du spectre formé par la totalité des englobants et des englobés. Premier englobant et dernier englobé, il confine et borne toute la création par le dehors et le dedans7. C'est là une autre façon encore d'affirmer qu'il est la totalité8. Mais le Christ étant aussi premier et dernier membre de cet ensemble, outre le fait qu'il soit placé sur deux paliers logiques différents, il constitue aussi une coïncidence des opposés, c'est-à-dire qu'il fusionne les termes contraires d'une catégorie. En sémiotique, nous désignons cette grandeur paradoxale par le vocable de «terme complexe». Or, tout devenir, toute transformation dans un récit consiste en un transit d'un pôle à l'autre de la catégorie. Si tant est que les termes de cette catégorie fusionnent, il n'y a plus d'histoire. https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1992-v48-n1-ltp2142/400661ar.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mer 08 Jan 2020, 16:18 | |
| Rien de tel qu'une pincée de sémiotique quand ça paraît trop clair ! Je plaisante, bien sûr: cet article est très intéressant et relativement clair dans son genre, avec un brin d'humour qui ne gâche rien (trait assez rare, me semble-t-il, chez les sémioticiens). Je trouve en particulier bienvenus ici le concept de "saturation" (qui pourrait être une traduction de plèrôma) et l'analyse des jeux logiques et anti-logiques qu'il implique, à défaut de les autoriser, pour qu'une histoire ait lieu dans ce tout-plein qui ne lui laisse a priori aucune place (sempiternelle aporie non seulement de toute [mono-]théologie, mais de toute ontologie depuis Parménide et les Eléates au moins). (Si on veut chipoter: "tout" dans le grec du NT -- y compris dans l'hymne de Colossiens 1,15ss -- n'est généralement pas un singulier mais un pluriel neutre, ta panta = "toutes choses"; entre "tout" et "tous" la différence formelle n'est donc pas de nombre, mais de genre [neutre / masculin <=> impersonnel / personnel]; mais ça ne change pas grand-chose à la démonstration, d'autant qu'avec un sujet pluriel neutre les verbes se conjuguent au singulier.) |
| | | free
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mer 08 Jan 2020, 16:43 | |
| Lorsque le texte affirme que le "Fils bien-aimé" est "l’image du Dieu invisible", il fait surement allusion à quel chose de beaucoup plus intense que le simple "reflet". il est l’image même de Dieu, dans ce sens qu’il a en lui la plénitude de l’essence même du divin. Le mot image est employé dans le même sens que dans Hébreux 1.3. :
"Ce Fils, qui est le rayonnement de sa gloire et l'expression de sa réalité même, soutient tout par sa parole puissante" (NBS)
"Ce Fils est resplendissement de sa gloire et expression de son être et il porte l’univers par la puissance de sa parole" (TOB)
Dieu est invisible, Jésus-Christ est visible. C’est dire que Jésus-Christ nous rend visible, en sa personne, le Dieu invisible. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mer 08 Jan 2020, 22:50 | |
| Je ne sais pas trop à quoi tu fais allusion en parlant de "reflet" (supposé moins "intense" que l'"image"): peut-être à la TMN de Hébreux 1,3 ("le reflet de la gloire") ? Dans ce texte en tout cas (ça nous éloigne un peu de Colossiens bien que l'idée soit très semblable) on rencontre: 1. ap-augasma dont l'élément principal ( augasma) dénote bien l'idée "lumineuse" de "rayonnement" ou de "resplendissement", avec ou sans la connotation de lumière réfléchie, selon l'interprétation (ou la surinterprétation) qu'on fait du préfixe ( apo) -- peu importe d'ailleurs puisque c'est une notion assez commune (cf. Sagesse 7,25s; 2 Corinthiens 4,4 etc.); du reste le complément doxa ("gloire") suggère déjà des représentations similaires (cf. encore 2 Corinthiens 3--4), de sorte que l'expression est de toute façon redondante; 2. kharaktèr tès hupo-staseôs, où l'on reconnaît facilement le "caractère", c.-à-d. l'impression, l'empreinte ou l'effigie (d'un sceau p. ex), et l'"hypo-stase" que calque très exactement le latin sub-stantia, proprement "ce qui se tient dessous", comme notre "sujet" = sub-jectum; hupostasis revient en 3,14 et 11,1 et il est, comme on sait, promis à un brillant avenir théologique, puisqu'il dénotera tantôt l'"essence" divine commune (plutôt ousia en grec patristique, mais substantia en latin), tantôt (au contraire) les "personnes" distinctes de la Trinité ( hupostaseis <-> personae). Mais dans l'épître aux Hébreux on n'en est pas à ce degré de précision "technique" et l'idée générale d'"empreinte", d'"effigie", d'"expression", de "manifestation" ou de "représentation" de l'"essence", de la "réalité" ou de l'"être" divin est tout à fait suffisante. Pour rappel, on a aussi noté (p. ex. ici) que dans l'épître aux Hébreux tout ce discours sur le "Fils" (de Dieu) est en même temps un discours sur le "Fils de l'homme" supérieur aux anges (cf. chap. 2): il ne s'agit donc nullement d'opposer "Dieu" et "l'homme", mais bien de reconnaître en celui-ci (en particulier sous la figure de l'Adam primordial et idéal qui continue de surplomber l'humanité historique ou phénoménale et s'identifie aussi bien à la Sagesse ou au logos, comme chez Philon) l'image de Dieu (d'après Genèse 1). Il n'échappera à personne que le concept d' image (sous-entendu: visible) de l'invisible est ostensiblement (c'est le cas de le dire) paradoxal: c'est peut-être déjà le cas en Genèse 1, ça l'est explicitement en Romains 1,20 qui n'a rien de christologique, puisque là c'est la "création du monde" qui rend visible l'invisible. D'autre part, une formule commode telle que "Dieu est invisible, Jésus-Christ est visible" se compliquerait d'elle-même: c'est bien "Dieu", ou même "le Père", qui se rend "visible" en "Jésus-Christ" (Jean 14 etc.), et réciproquement celui-ci n'est pas toujours "visible" (cf. p. ex. Jean 20,29; 1 Pierre 1,8; 1 Timothée 6,16) -- à la lettre, pour nous et sans doute déjà pour les tout premiers lecteurs des textes du NT il n'est pas du tout "visible". L'aporie de la visibilité de l'invisible n'est autre que celle de la révélation du mystère, d'autant plus mystérieux qu'il est révélé -- l'im-possible, ni plus ni moins. |
| | | free
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Jeu 09 Jan 2020, 11:07 | |
| - Citation :
- Mais dans les textes du NT, c.-à-d. pour l'essentiel AVANT ou EN AMONT DE ces distinctions et oppositions, le "problème" ne se pose pas et par conséquent sa "solution" n'est pas requise. Le Christ (mystère, plérôme, etc.) peut réunir, "réconcilier" ou "récapituler" Dieu et la création, le monde ou l'humanité sans que ça apparaisse comme une contradiction et un paradoxe -- du moins pas de façon aussi aiguë qu'après.
L'idée que le Christ peut réunir, "réconcilier" ou "récapituler" Dieu et la création, le monde ou l'humanité est peut-être mieux exprimée en Ephésiens :"Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le projet bienveillant qu'il s'était proposé en lui, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis : récapituler tout dans le Christ, ce qui est dans les cieux comme ce qui est sur la terre." Ep 1,9-10 - Citation :
- Je ne sais pas trop à quoi tu fais allusion en parlant de "reflet" (supposé moins "intense" que l'"image"): peut-être à la TMN de Hébreux 1,3 ("le reflet de la gloire") ?
En ce qui me concerne, la notion "d'image" ne correspond pas au reflet dans un miroir, à une "image" sans consistance, éthérée mais que cette "image" est constituée de matière, la substance divine, «car en lui habite toute la plénitude de la divinité». (J'ai bien conscience d'employer de mots contradictoires). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Jeu 09 Jan 2020, 13:33 | |
| N.B.: même si ça ne peut s'entendre en français qu'à partir du latin (caput = tête), "récapituler" (ana-kephalaioô) fait jeu de mots avec kephalè (tête); le verbe ne dérive pas directement de kephalè mais par un autre dérivé, kephalaion qui signifie somme, résumé, en divers sens le "capital" (autre dérivé de caput en français): abstraitement, "point capital" (Hébreux 8,1), ou concrètement, une somme d'argent (Actes 22,28) p. ex. Mais vu l'importance du mot kephalè au sens de tête-chef dans Ephésiens, le rapport reste assez évident.
L'image du miroir (au sens multiple de l'expression) ne suppose pas toujours un défaut ou un manque dans le NT: sans doute en 1 Corinthiens 13,12 (inférieure au face-à-face), sûrement pas en 2 Corinthiens 3,18, pas forcément en Jacques 1,23 dont nous avons parlé il n'y a pas très longtemps. De toute façon elle ne s'impose pas en Colossiens 1 ou Hébreux 1 (pas plus qu'en Genèse 1 pour "l'homme"-'adam), mais elle peut être présente quand même (cf. l'emploi très positif de Sagesse 7,25s on le retrouve l'apaugasma d'Hébreux 1,3). Cela dit, ta remarque montre toute la difficulté pour nous de penser avec les "catégories" grecques ou hellénistiques: nous associons spontanément "substance", "consistance" et "matière" (et "réalité", et "être") alors que pour les Anciens (non seulement les philosophes d'une école particulière mais n'importe quel auteur teinté de telle ou telle nuance de "philosophie populaire") ce sont des notions très différentes, et parfois opposées.
Dernière édition par Narkissos le Jeu 09 Jan 2020, 13:56, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Jeu 09 Jan 2020, 13:50 | |
| La description proprement sémiotique de la figurativisation de ces énoncés d'état donne les résultats qui suivent. La figure image (eikôn) résume les versets 16-18. Le Fils est image de Dieu parce que (v. 16-18) englobant absolu de la création, comme Dieu l'est. Il est représentation absolue en tant qu'englobant absolu. Sur l'isotopie de la création, sous la catégorie totalisante du visible/invisible, l'image englobe dans la visibilité du Fils (premier-né de toute créature) et le Dieu invisible et la création matérielle, et dans celle-ci et les êtres visibles et les êtres invisibles. En lui apparaît l'invisible sur les parcours figuratifs et de la filiation divine et de la hiérarchie et du cosmique et du somatique (figures: corps, tête, église). En lui est subsume le visible universel également, car le tout de la création est venu à l'être et a été établi en lui, à travers lui (cause exemplaire en langage thomiste), polarisé par lui. Nous assistons dans ce premier volet à la spatialisation de l'acteur Fils, à son extension spatiale aux dimensions du cosmos entier, jusqu'à en capturer Dieu lui-même dans la visibilité. https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1992-v48-n1-ltp2142/400658ar.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Jeu 09 Jan 2020, 14:43 | |
| Pour expliciter un peu une précédente remarque (19.12.2019) qui se référait précisément, mais trop allusivement, à cet article: en neutralisant les référents pour se concentrer sur l'analyse des structures et des fonctions productrices de sens, le discours sémiotique fait souvent ressortir des choses très intéressantes, mais qui risquent de devenir totalement absurdes sitôt qu'on les raccroche de nouveau à des référents. Si j'appelle "Jésus" (en pensant a priori "l'homme Jésus", historique ou légendaire mais avant tout humain, individuel, etc.) le référent principal, voire unique, de l'épître aux Colossiens, je réduis le texte à un monceau d'énormités (du genre: l'univers a été créé en, par et pour M. Tartempion; et encore dit comme ça c'est rigolo, parce que M. Tartempion est n'importe qui, mais si ce n'est pas n'importe qui ça devient franchement idiot -- si génial que soit M. Tartempion). Evidemment ce n'est pas d'un tel "individu", ordinaire ou même extraordinaire, qu'il est essentiellement question, quoique l'aspect "humain" et surtout "mortel" en constitue un moment; et quand bien même (comme je le crois) la figure d'Adam joue un rôle dans cette construction, ce n'est pas comme "un homme parmi d'autres", mais bien comme une figure idéale de L'Homme qui est plus et autre chose qu'un homme particulier, le premier ou même la totalité de la série phénoménale des hommes réels ou fictifs. |
| | | free
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Ven 10 Jan 2020, 14:11 | |
| Les expressions propres à Colossiens "Père de notre Seigneur Jésus Christ" (1,3 - hormis Ep 1, 3 ), "Fils de son amour" (1,13), expriment-elles l'idée que Dieu "engendre" le Christ et de situent-elles cette relation d'"engendrement" à partir des images du père et du fils ? Ce Fils est réellement créature humaine puisqu'il a " dans son corps de chair" (1,20). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Ven 10 Jan 2020, 14:32 | |
| Sur la première expression, voir p. ex. Romains 15,6; 2 Corinthiens 1,3; 11,31 -- sans compter les nombreuses combinaisons à peine différentes des mêmes éléments qui en font une formule extrêmement banale; la seconde l'est un peu moins à cause du sémitisme "fils de son amour" <=> "fils bien-aimé".
En effet "Père" et "Fils" supposent "engendrement" et vice versa, mais tout ce vocabulaire commun aux christianismes primitifs est plus ou moins pensé thématiquement et élaboré selon les milieux et les contextes. En tout cas, en Colossiens il n'y a aucune contradiction entre "création" et "engendrement", contrairement au distinguo christologique des IVe-Ve s. (Fils "engendré, non pas créé", mais de par son incarnation "incréé et créé"), lui-même héritier des débats du IIe siècle avec la gnose (autour de la "création" bonne ou mauvaise, mais désormais comprise de part et d'autre comme antithèse du divin).
En rapport avec mon post précédent: c'est tout autre chose de dire que le "Fils" (divin-cosmique) a un "moment humain" (donc "mortel", donc "créé"), et même un moment "mort" (crucifié, cadavre), encore plus décisif pour l'ensemble de son parcours et de sa "figure" -- que de rapporter l'ensemble du discours sur le "Fils" (divin-cosmique) à un homme (ce qui ne fait aucun sens). |
| | | free
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Ven 10 Jan 2020, 15:05 | |
| "Si donc vous vous êtes réveillés avec le Christ, cherchez les choses d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu. Pensez à ce qui est en haut, et non pas à ce qui est sur la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Quand le Christ, votre vie, se manifestera, alors vous aussi vous vous manifesterez avec lui, dans la gloire." (3,1-4)
Jusqu’à présent, nous avons constaté l’insistance que met Paul sur la préséance absolue du Christ, qui est au dessus de tout et domine tout. On pourrait alors se demander si son élévation même ne l’éloigne pas des baptisés. Or il n’en est rien, déclare Paul à ses lecteurs: «ensevelis avec lui dans le baptême, c’est aussi avec lui que vous êtes ressuscités par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité des morts» (Col 2,12; voir aussi 3,1). Si, de fait, les baptisés sont ressuscités avec lui, ils ne sauraient être séparés ni éloignés de lui; ils sont déjà avec lui au ciel. Col 3,1 peut en conséquence demander aux croyants de «chercher les choses d’en haut»; non qu’ils devraient contempler le Christ comme s’ils étaient très en dessous de lui : étant ressuscités avec lui, étant avec lui, ils doivent regarder les réalités du lieu où ils demeurent avec le Christ, c’est-à-dire aux cieux. Les croyants ne pouvaient désirer une union plus forte. Mais la (nouvelle) formulation de Col et Ep n’est pas sans problèmes, car, c’est la première fois que l’apôtre parle de la résurrection des croyants comme d’un état déjà obtenu. Si,en Rm 6,4-8 par ex., la résurrection était pour la fin des temps, elle est ici décrite comme un état déjà acquis, comme un effet du baptême. Certes Paul ne dit pas que les croyants ont déjà le corps glorieux que la résurrection leur assurera à la fin des temps. Cet emploi figuré – dérivé du premier –dissocie ce que les protopauliniennes maintenaient ensemble, à savoir la vie ressuscitée et la gloire avec Christ. De fait, en Rm 6,1-14; Rm 8, et 1Co 15, la résurrection finale implique une totale transformation du corps terrestre – sa glorification –, puisque, par elle, les croyants irradieront la gloire divine, avec et comme le Ressuscité, leur gloire étant la sienne, indissociablement. Mais Col 2,12-13 et 3,1-4 font une distinction entre le déjà là de l’être-ressuscité avec Christ – que les protopauliniennes appellent la vie nouvelle et transformée du baptisé –, et la manifestation finale où les croyants seront dans la gloire avec leur sauveur (Col 3,4). [url=http://www.theologica.fr/!_TheologieDogmatique/CHRISTOLOGIE/La chrsitologie de l%27%C3%A9p%C3%AEtre aux Colossiones.pdf]http://www.theologica.fr/!_TheologieDogmatique/CHRISTOLOGIE/La%20chrsitologie%20de%20l%27%C3%A9p%C3%AEtre%20aux%20Colossiones.pdf[/url] |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Ven 10 Jan 2020, 15:23 | |
| L' aporie de la révélation (manifestation, etc.) prend ici un (dé-)tour remarquable, puisque son premier effet sur ses bénéficiaires présumés serait de les intégrer au mystère -- donc, en un sens, de les précipiter dans l'occulte, le secret, le caché, l'obscur -- en sorte que la révélation-manifestation, présente mais toujours à venir, soit aussi bien la leur que celle de Dieu ou du Christ (noter au passage, en rapport avec notre conversation précédente, que dans ce cas le Christ "caché" n'est précisément pas du côté du "visible"). Comparer 1 Jean 3,1ss qui offre un langage très similaire, avec un soupçon d'éventualité supplémentaire dans la subordonnée eschatologique: hotan phanerôthè / ean phanerôthè, quand (que ce soit qu')il sera manifesté / s'il est (ou vient à être) manifesté (cf. p. ex. ici 20.2.2019; et plus généralement, sur la phase d'obscurcissement, d'occultation, de voilement que présuppose toute notion d'illumination, de manifestation ou de révélation, là). On peut d'ailleurs voir là une mutation de l'"économie dynamique" que nous avons souvent remarquée (p. ex. ici) dans le "premier paulinisme" (celui de la correspondance corinthienne, qui trouve à cet égard son expression la plus nette dans 2 Corinthiens): comme par extension ou implication du "mourir-pour" du Christ, l'évangile produit chez "nous" (les "apôtres" au sens paulinien) la mort, la souffrance, l'humiliation, mais chez "vous" (les destinataires, les chrétiens-en-général) la vie, la joie, la gloire. Dans les deutéro-pauliniennes, cette distinction interne et sa fonction s'estompent (il en reste quelque chose en Colossiens 1,24, avec un "apôtre" unique -- et pseudépigraphique -- souffrant dans sa chair pour l'ensemble du corps, monde ou Eglise), mais du coup c'est la totalité des destinataires -- "l'Eglise" plus expressément dans Ephésiens que dans Colossiens -- qui s'identifie au mystère, y compris dans son "côté obscur": être "caché" pour être "manifesté", c'est dès lors indifféremment le trait, le destin ou la vocation de "Dieu", du "Christ", de tous et de chacun. |
| | | free
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Lun 13 Jan 2020, 12:32 | |
| "Cette bonne nouvelle est parvenue chez vous, tout comme elle porte du fruit et croît dans le monde entier ; il en est de même chez vous, depuis le jour où vous avez entendu et connu la grâce de Dieu en vérité" (1,6)
Seul le Christ rend Dieu visible sur la terre, parce que la grâce de Dieu devient présente, elle est reçue et connue.
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Lun 13 Jan 2020, 13:07 | |
| L'introduction est d'une facture (proto-)paulinienne plutôt classique (ce qui fait, le cas échéant, partie intégrante du jeu pseudépigraphique: on ne prend pas seulement le nom d'un "auteur", on imite un minimum son style et on reprend quelques-uns de ses thèmes, avant d'y introduire une pensée "originale" -- ce qui arrive ici, assez progressivement d'ailleurs, à partir des v. 12-13; et symétriquement dans la conclusion on reviendra à la forme épistolaire habituelle de l'auteur nominal). Dans la première partie du chapitre 1, donc, rien que de très (proto-)paulinien, avec l'accent sur la proclamation de l'évangile, entendu et cru (cf. notamment Romains), AVANT de passer aux catégories visuelles et spatiales plus caractéristiques de l'épître. |
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Lun 24 Fév 2020, 17:51 | |
| "Dès lors, que personne ne vous juge à propos de ce que vous mangez ou buvez, pour une question de fête, de nouvelle lune ou de sabbat : tout cela n'est qu'une ombre de ce qui est à venir, mais la réalité, c'est le corps du Christ." (Col 2,16-17)
Notes : Colossiens 2:17 la réalité… : litt. le corps est (celui) du Christ ; le mot grec correspondant à corps (v. 9n ; 1.18+) est couramment utilisé, dans les courants philosophiques héritiers de l’idéalisme platonicien, et en particulier chez Philon d’Alexandrie, pour désigner la réalité opposée à l’apparence (= l’ombre) ; cf. Hé 10.1n où le mot traduit par image joue un rôle comparable.
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Lun 24 Fév 2020, 18:06 | |
| La traduction est en effet écartelée entre des impératifs contradictoires: il faut faire entendre sôma comme "corps-réalité" opposé à l'"ombre" (je ne reviens pas sur mes réserves étymologiques concernant le mot de "réalité" qui en franco-latin se rattache à res, la "chose"), dans une perspective platonicienne qui est ici bien présente, mais marginale, par comparaison à l'épître aux Hébreux où elle est dominante; et le même sôma comme "corps" du Christ-Eglise dans toute la tradition paulinienne depuis 1 Corinthiens (Christ d'abord éventuellement distingué comme "esprit" puis comme "tête" par rapport à ce corps, précisément à partir de Colossiens, 1,18 etc.). En l'occurrence la double traduction a paru la moins mauvaise solution -- à condition de ne pas en faire une habitude... |
| | | free
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| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mar 13 Juin 2023, 10:48 | |
| En vue de l'espérance qui vous est réservée dans les cieux (Col 1, 5)
« Nous ne cessons de rendre grâces au Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, en pensant à vous dans nos prières, depuis que nous avons appris votre foi dans le Christ Jésus et la charité que vous avez à l'égard de tous les saints, en vue de l'espérance qui vous est réservée dans les cieux » (Col 1, 3-5).
La seconde partie du verset 5 a fait difficulté. Comment comprendre le « en vue de l'espérance... » ? Plusieurs auteurs ont voulu rattacher l'expression introduite par « en vue de » 9 directement au verbe « nous ne cessons de rendre grâces », pour éviter le danger de subordonner la foi et surtout la charité à l'espérance. Pour éviter aussi, selon certains, de donner à la charité fraternelle une motivation mercantile comme si elle était surtout intéressée par la récompense céleste.
Nous croyons qu'il faut conserver à la phrase la construction la plus normale et rattacher la fin du verset concernant l'espérance directement à la première qui parle de la foi et de la charité. On peut le faire sans tomber dans les inconvénients mentionnés plus haut. Voici quelques remarques qui peuvent nous introduire dans le sens profond de cette expression : en vue de l'espérance qui vous est réservée dans les cieux :
a) le terme d'espérance ne signifie pas ici une vertu désignant l'attitude de celui qui espère mais plutôt les biens espérés, « l'héritage promis à tous les saints » (Col 1, 12)
b) La foi et la charité chrétiennes ne peuvent pas être dissociées de la plénitude attendue. La foi introduit le chrétien dans un dynamisme de vie, dans une histoire sainte qui ne reçoit son sens que de son point de maturité : l'avènement total du Royaume de Dieu. La charité, participation à l'amour par lequel Dieu aime tous les hommes, ne peut que tendre de tout son poids vers la plénitude de ce qu'elle ébauche sur la terre, vers la communion intense et définitive entre Dieu et les hommes.
c) Du reste la préposition dia qu'on traduit par « en vue de » ne désigne pas seulement la cause (comme si la foi et la charité étaient produites et motivées par les biens attendus) mais aussi le but (la cause finale dirait-on en philosophie), ce but vers lequel et en vue duquel le processus du salut se développe.
d) La foi et la charité, quelle que soit leur intensité, nous situent, tant que nous vivrons sur la terre, dans une réalité inachevée, en marche vers sa perfection. Ici, le « en vue de l'espérance » désigne cette perfection, ce point de consommation (ce telos, en grec). G. Didier nous semble avoir bien saisi le passage :
« Ce n'est pas pour obtenir le ciel que les Colossiens sont charitables, mais parce qu'ils voient dans leurs frères terrestres leurs concitoyens d'éternité. Mais peut-être le texte de saint Paul recèle-t-il d'autres profondeurs. Ce terme bienheureux qu'ils espèrent, les chrétiens l'anticipent ici-bas, Paul le rappellera plus loin : ils sont déjà morts avec le Christ, ressuscités avec lui, et la vie divine qui éclatera en eux au jour de la Manifestation a déjà pris naissance, cachée en Dieu. En un sens, l'objet de leur espérance, identifiée avec le Christ, ils le possèdent dès maintenant (Col 1, 27). Dans ce contexte (...) on conclura qu'entre la foi et la charité du v. 4 et la béatitude espérée du v. 5, il existe plus qu'une relation de causalité : un lien organique, celui qui fait de la semence sortir la plante adulte. En croyant et en s'aimant, les fidèles vivent déjà ce qu'ils espèrent. Comme le suggère du reste l'ordre de l'énumération des vertus, leur foi et leur charité s'orientent vers l'espérance qui les attend au ciel, non point comme un travail vise à son salaire, mais comme un amour se hâte vers sa consommation ».
Cette espérance est « réservée » ou « déposée » dans les cieux. L'expression peut paraître étonnante. Elle s'apparente au vocabulaire utilisé dans la tradition de l'apocalyptique juive. Dans cette perspective, les biens futurs sont si sûrs qu'on les présente déjà comme quasi existants dans le ciel, à l'abri des puissances d'érosion ou de destruction. Dieu a préparé pour les justes un trésor dans le ciel (cf. Mt 6,20 s.). L'épître aux Ephésiens, toujours si proche de celle aux Colossiens, développe l'idée contenue ici : « Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les saints » (Ep 1, 18).
https://www.aasm.ch/pages/echos/ESM073027.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le révélé et le caché - Colossiens Mar 13 Juin 2023, 11:44 | |
| Les phrases ou "périodes" du grec en général, et des "deutéro-pauliniennes" en particulier (Colossiens et surtout Ephésiens, caractérisées par un style épistolaire ecclésiastique ou liturgique, solennel voire pompeux, indépendamment de la question d'auteur), sont tellement looongues (ici au minimum v. 3-8, en Ephésiens c'est encore plus long; pour rappel et pour ne rien arranger, il n'y a aucune ponctuation dans les textes anciens) que la "logique", si marquée qu'elle soit par divers connecteurs (prépositions, conjonctions, ici dia + accusatif qui signifie bien habituellement "à cause de" plutôt qu'"en vue de"), s'y perd. L'exégèse peut toujours essayer de préciser, mais elle ne peut le faire sans arbitraire, ni sans perdre à son tour quelque chose de la souplesse un peu vague, floue, berçante, voire soporifique de l'"original". D'autre part nous avons souvent parlé de la "double scène" céleste et terrestre, étrangement commune à l'"apocalyptique juive" et à la "philosophie grecque" qui l'utilisent différemment, et des complications qu'elle apporte à toute considération temporelle: ce qui est "présent" au ciel ce peut être le "futur" ou le "passé" d'un point de vue terrestre, mais "révélés" sous un autre jour, ou encore une "éternité" idéale, immuable, intemporelle, qui ne fait que se refléter dans le terrestre temporel, transitoire et illusoire (les ombres, de la caverne de Platon à l'épître aux Hébreux p. ex.). Dans les deutéro-pauliniennes, ce qui est "au ciel" est donc aussi bien le "vrai présent" des croyants que leur "futur", lequel glisse de l'à-venir comme venue d'un événement ou d'un avènement plus ou moins attendu à l'"épiphanie" ou "manifestation" d'une réalité présente mais secrète (cf. le début de ce fil sur Colossiens 3, Ephésiens 2 etc.: les croyants sont déjà "ressuscités au ciel"). Cela d'ailleurs ne fait qu'approfondir l'ambiguïté fondamentale de l'" espérance", qui peut être prise activement et subjectivement, comme le fait même (action, passion ?) d'espérer, maintenant, un futur quelconque, ou passivement et objectivement, comme la "chose" (future) espérée (maintenant)... |
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