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| Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Jeu 06 Fév 2020, 17:26 | |
| (Je retrouve là, avec plaisir, le type de théologie systématique -- Barth, Ebeling, Jüngel -- avec lequel j'ai ressenti le plus d'affinité il y a une trentaine d'années... jusqu'à ce que les circonstances, et d'abord le travail "biblique", me détournent de la théologie systématique.)
Du point de vue de la traduction, je remarquerai seulement que "vider" et "dépouiller" sont deux images opposées (intérieur / extérieur), et que le langage unique de Philippiens qui correspond clairement à la première mérite d'être distingué de la seconde, assez fréquente ailleurs (dépouiller la chair, les passions, les puissances, l'homme ancien vs. revêtir le Christ, l'homme nouveau, l'armure spirituelle etc.). On peut à la rigueur critiquer la NBS pour la préposition ("de lui-même"), mais elle est ambiguë en français (on peut comprendre "de sa propre initiative" aussi bien que "de lui-même" comme "contenu"), et le grec l'est aussi quoique d'une manière un peu différente (l'accusatif heauton, "lui-même", peut désigner le "contenant" ou le "contenu" "vidé"). Bien sûr, la traduction d'une "image" d'une langue à l'autre n'est jamais sans inconvénients -- sans compter les accidents typographiques, tel l'"évidement" devenu "évidemment" dans l'article précédent (Hurley).
Le texte reste en tout cas plus "vertigineux" ou "abyssal" que toutes ses interprétations. |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Jeu 06 Fév 2020, 17:31 | |
| - Citation :
- On peut à la rigueur critiquer la NBS pour la préposition ("de lui-même"), mais elle est ambiguë en français (on peut comprendre "de sa propre initiative" aussi bien que "de lui-même" comme "contenu"), et le grec l'est aussi quoique d'une manière un peu différente (l'accusatif heauton, "lui-même", peut désigner le "contenant" ou le "contenu" "vidé")
Intuitivement, j'aurais tendance à dire qu'il s'est vidé lui-même, DE lui même. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Jeu 06 Fév 2020, 17:52 | |
| Quelle que soit la façon dont on le dit, c'est encore plus difficile à penser ou à faire -- cela vaut aussi, bien entendu, pour toutes les formules comparables, p. ex. "se dépouiller", "se renier / renoncer à soi-même", "perdre / déposer sa vie / son âme", etc.; mais (du point de vue du traducteur) ce n'est pas une raison pour les mélanger, car si on les mélange d'avance le lecteur n'aura plus rien à comparer.
Comme on l'a déjà souligné à diverses occasions, l'"hymne" offre une symétrie frappante au récit de l'Eden, et celle-ci est d'autant plus compréhensible si l'on tient compte de la dualité de la figure d'Adam dans la tradition juive: à la fois image de Dieu, fils de Dieu, principe et sommet de la création, supérieur aux anges (cf. Hébreux 1--2), premier-né comme la Sagesse (ou le logos chez Philon) ET transgresseur terrestre, mortel, humilié, voire maudit; l'homme qui veut être comme les dieux aboutit à l'humiliation et à la mort, le dieu qui rejoint les hommes à l'extrême de leur humiliation aboutit à l'élévation suprême. A partir de schéma, un grand nombre de questions de la théologie classique ne se posent plus, ou du moins plus dans les mêmes termes: il ne s'agit pas de rapporter un "Jésus terrestre" au "Fils de Dieu céleste" avant et après lui, comme si le premier était un travestissement provisoire du second, mais bien d'une révélation conjointe, par ce mouvement même, d'un "homme" et d'un "dieu" qui ne sont pas ce que l'on croyait, qui en dernière analyse ne sont pas opposables ainsi qu'on le présumait. Mais précisément -- c'est encore un avatar de ce que j'appelle l'aporie de la révélation -- la révélation présuppose la précompréhension qu'elle renverse comme une mécompréhension, elle n'est pas plus compréhensible sans elle que sans son renversement. Avec d'autres concepts, on retrouve le même mouvement chez Luther: il faut que la "justice de Dieu" soit d'abord comprise comme incompatible avec la justification du pécheur pour qu'elle apparaisse telle qu'elle est vraiment, justice de Dieu pleinement accomplie dans la justification du pécheur, comme si elle n'avait jamais été autre chose que ça. Il y a une déhiscence logique entre les prémisses et la conclusion, et une dynamique, un passage en force ou en contrebande de celles-là à celle-ci qui déjouent la logique même; ou alors il faut repenser la "logique" même comme une "dynamique", ainsi que le fera Hegel. |
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Ven 07 Fév 2020, 11:23 | |
| Narkissos, penses-tu qu'il y a contradiction entre ces deux textes ?
Notes : Philippiens 2:6qui était (ou qui est) vraiment divin : litt. existant en forme (ou en figure) de Dieu, cf. v. 7n ; le mot correspondant à forme ou figure évoque souvent la nature ou l’identité véritables et non une simple apparence ; on traduit aussi lui qui possédait (ou qui possède) la condition divine… il a pris la condition d’un esclave… ; termes apparentés pour configurer en 3.10,21n ; Gn 1.26s ; 5.1 ; Jn 1.1s ; 3.13+ ; 17.5 ; Col 1.15 ; Hé 1.3 ; 1Jn 1.1s. https://lire.la-bible.net/verset/Philippiens/2/6/NBS
Pour déceler au fil du texte de l’hymne, les éléments qui lisent Jésus comme le véritable Adam, il faut prendre au sérieux le parallélisme entre les deux premières strophes et les lire en les juxtaposant, sans introduire dans le texte une séquence chronologique qui ne s’y trouve pas15. Deux points de vue successifs sont envisagés, comme le suggère le terme répété deux fois dans chaque strophe: d’abord, on envisage Jésus «en forme de Dieu», en tant qu’image de Dieu; ensuite, on le contemple en «ressemblance d’être humain», en tant qu’image d’humain. D’emblée, Jésus est donc défini littéralement «en forme de dieu» (v. 6). Le terme morfß16 pose un énorme problème de compréhension. Il est souvent rendu par «condition». Mais si ce choix va bien avec «esclave», que signifie-t il dans l’expression «condition de Dieu»? De plus, le terme grec ne semble pas avoir cette signification18 qui, en tout cas, est loin de son sens premier19. Comme cette traduction semble donner pour acquise l’idée, problématique dans ce texte, de la préexistence, il est sans doute plus judicieux de conserver le sens assez neutre de «forme»20, en le précisant peut-être par le mot «aspect» au sens d’image qui apparaît. Ce qu’affirmerait alors le début de l’hymne, c’est qu’en Jésus, on peut reconnaître les traits de Dieu21, quelque chose de son aspect, d’une image visible de lui: dans la mesure où l’homme Jésus est vraiment à l’image de Dieu, il le révèle adéquatement. Cette interprétation suggère en réalité un subtil rapprochement avec l’humain de la Genèse créé à l’image de Dieu (Gn 1,26), où s’amorce le thème de Jésus véritable ’adam, humain accompli à l’image de Dieu. Mais il y a plus, car, selon la structure proposée ci-dessus, le poème établit immédiatement le parallèle avec le serviteur (v. 7): celui qui est ên morf±Ç qeoÕ prend également morf:registered:n doúlou (v. 7). Ainsi, il apparaît d’emblée que Jésus est à l’image de Dieu en tant qu’il donne l’«image d’un esclave» en se faisant serviteur (voir Jn 13). Pour saisir ceci, il faut aller relire les premières pages de la Genèse. https://www.persee.fr/docAsPDF/thlou_0080-2654_2012_num_43_2_4022.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Ven 07 Fév 2020, 11:46 | |
| Entre QUELS "deux textes" ? Entre l'article de Di Pede & Wénin (ci-dessus) et celui de Vial (hier) ? Ou entre Di Pede & Wénin et la note de la NBS ? |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Ven 07 Fév 2020, 11:49 | |
| - Narkissos a écrit:
- Entre QUELS "deux textes" ? Entre l'article de Di Pede & Wénin (ci-dessus) et celui de Vial (hier) ? Ou entre Di Pede & Wénin et la note de la NBS ?
Entre Di Pede & Wénin et la note de la NBS. A l'inverse de la note, l'article de Di Pede & Wénin semble résumer le mot "forme" à la notion d'aspect et lui donner un sens d’image, alors que la note insiste sur le concept de "nature" ou d’identité véritable. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Ven 07 Fév 2020, 13:16 | |
| La note de la NBS, contrairement à l'article de Di Pede & Wénin (ou même à celui de Vial), ne prétend pas offrir une interprétation générale du texte, mais simplement dire ce qu'il dit ("littéralement"), et indiquer (trop succinctement) pourquoi, en l'occurrence, il a été traduit autrement.
Je m'explique: on est là dans un cas, sinon unique, du moins extrême ou limite, du rapport entre "traduction" et "note": d'habitude, la traduction de la NBS colle autant que possible au texte "original" (hébreu, araméen ou grec) jusque dans sa forme; elle ne s'en écarte que quand une traduction "littérale" serait, en français, plus obscure que le texte ou, pire, prêterait à contresens (ce qui arrive plus souvent qu'on ne croit, mais beaucoup moins souvent que ne le prétendaient les adeptes de l'"équivalence fonctionnelle" à son heure de gloire). Cela nous a semblé être le cas ici, dans la mesure où en français la "forme", habituellement opposée au "fond", dénote la simple "apparence" des choses, éventuellement trompeuse, en tout cas superficielle et accessoire -- or ce n'est justement pas le cas de la morphè grecque qui, du moins dans un langage tant soit peu philosophique, est précisément du côté de l'"essence" des choses (je n'y reviens pas). Il a donc été décidé, de manière exceptionnelle, d'opter pour une traduction relativement vague, moins précise que le texte grec ("vraiment divin... vraiment esclave", cela peut s'entendre de façon plus ou moins stricte ou lâche, comme tout "vraiment"), à charge pour la note d'indiquer le mot-à-mot du grec et la raison de l'écart. (Naturellement, toute cette "économie" de la traduction et de l'annotation est perdue dans une bible sans notes, dont la publication n'était pas envisagée au départ.)
Moyennant quoi il n'y a aucune incompatibilité de principe entre cette présentation du texte (traduction + note) et une interprétation (au moins partiellement) "adamique" -- d'ailleurs cette note et les suivantes renvoient à la Genèse. L'"image de Dieu" n'est pas non plus (ce qu'on appelle en français) une "simple forme", extérieure, superficielle, accessoire, éventuellement changeante et trompeuse, et elle est aussi susceptible d'usages christologiques (Colossiens 1,15 etc.).
La principale difficulté de cette interprétation, c'est que sa référence n'est pas simplement "textuelle"; entre l''adam nom commun générique et collectif, humain-homme-et-femme, de Genèse 1 et le personnage individuel, masculin, de Genèse 2--3 qui va aboutir plus loin à un "Adam" nom propre, il n'y a pas de réelle identité, tout du moins au point de vue de l'exégèse moderne qui distingue clairement les deux récits. En revanche, ceux-ci sont bien "mixés" et de nombreuses manières dans les lectures juives postérieures qui forment la toile de fond effective du NT. De même il n'y a aucune opposition nécessaire entre une lecture "adamique" et une lecture "sapientiale", puisque les deux sont déjà fusionnées chez Philon p. ex. (l'"homme" idéal et la "sagesse", ou le logos, sont la même "image de Dieu"). Même l'idée d'un "Dieu au service de l'homme" (où Di Pede & Wénin rejoignent en partie Vial, à ceci près qu'elle est préalable à la christologie pour les uns et conséquence pour l'autre), qui serait un parfait contresens par rapport aux deux récits de la Genèse pris séparément, devient possible dès lors qu'on les "mixe". |
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Ven 07 Fév 2020, 14:59 | |
| Certes, on objectera que morphê ne peut être traduit par « essence, nature » à cause du parallèle morphên doulou au verset 7 : l’esclavage n’est pas « l’essence » de l’homme, sa « nature », il « n’appartient pas à la définition de l’homme ». On répondra pourtant que c’est bien par la métaphore de l’esclave que Paul définit ailleurs la condition humaine (Ga 4,1-7, cf. verset 3 ; Rm 6,12-18, cf. verset 17) L’utilisation par deux fois du terme morphê pourrait alors traduire cette conviction des premiers chrétiens, fondamentalement inexprimable parce que contradictoire : le préexistant a endossé notre humanité jusque dans la condition d’esclavage qui la caractérise , allant jusqu’à l’humiliation la plus totale de la « mort sur une croix » (verset . Il ne s’agit pas ici, insistons sur ce point, d’affirmer que Paul déploie une christologie métaphysique . Plus fondamentalement, il exprime au moyen du langage poétique le mystère du salut dans ce qu’il contient d’absurde et de scandaleux pour la raison humaine : le Crucifié est celui qui, existant auprès de Dieu, s’est dépouillé de sa condition divine pour habiter jusqu’au bout la condition humaine. Il n’en reste pas moins vrai que choisir de façon exclusive une interprétation contre une autre, c’est courir le risque d’objectiver un langage qui cherche à exprimer le mystère d’une foi confessant, dans le même mouvement, le Christ vivant auprès de Dieu et le Christ incarné dépouillé de ses attributs divins assumant la condition humaine et donc confronté à la tentation d’y échapper. Choisir de façon exclusive une lecture plutôt qu’une autre, c’est réduire l’hymne à des propositions dogmatiques – qu’elles soient conservatrices ou libérales – s’excluant réciproquement, tandis qu’il cherche à exprimer, dans le même mouvement, la décision de celui qui est « de condition divine » (verset 6) de ne pas se prévaloir de son statut divin, et le refus de « celui qui était à la ressemblance des hommes » (verset 7) de vouloir se prévaloir de ce même statut. La fonction du langage poétique est ici de fonder l’existence croyante en lui donnant une origine et un achèvement qui résident dans la figure du Christ. Tel qu’il est décrit par l’hymne, le parcours du Christ structure la vie du croyant – il en est l’origine –, il lui donne un espace de construction et d’épanouissement, lui indique une ouverture. On retrouve les traces de cette ouverture dans l’ensemble de l’Épître. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2014-3-page-373.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Ven 07 Fév 2020, 16:11 | |
| (J'espère avoir répondu assez clairement à ta question précédente.)
Ce qui m'amuse en lisant Cuvillier, c'est la hantise du "mythe" qui traverse toute la théologie moderne, de Hegel à Caputo au moins en passant notamment par Bultmann. Qu'on veuille "démythifier" ou "démythologiser" en interprétant, en logicisant, en symbolisant, en moralisant, en phénoménologisant, en existentialisant, en psychanalysant, en structuralisant, en politisant ou en déconstruisant les "mythes", ceux-ci ressortent indemnes de toutes ces opérations qu'ils génèrent ou suscitent tour à tour: ce sont toujours des "mythes" et ils fonctionnent comme tels, peu importe qu'il s'agisse de "Dieu" ou d'un "dieu", d'un "Homme" archétypique (Adam, Anthrôpos), ou même d'un personnage historique ou littéraire comme "Jésus". Il est d'ailleurs remarquable que les "philosophies" de référence (celles qui offrent aux théologiens des avatars successifs d'un "autre du mythe", d'un langage présumé non-mythique en quoi traduire le "mythe" pour qu'il n'en soit plus un: p. ex. Hegel, Kierkegaard, Husserl, Heidegger, Freud, Jung, Lacan, Derrida dans cette séquence) sont bien moins "allergiques" au mot et au concept de "mythe" que les théologiens eux-mêmes. Assumer le "mythe" comme "mythe", cela n'empêcherait nullement de l'interpréter (au contraire) et permettrait en revanche une considérable économie de bavardage (dont la visée est toujours apologétique même et surtout quand il s'en défend). |
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Ven 07 Fév 2020, 16:16 | |
| - Citation :
- (J'espère avoir répondu assez clairement à ta question précédente.)
Merci Narkissos, une réponse complète et toutes en nuances, un vrai plaisir à lire. Un autre texte m'interpelle, celui de (2,7) :"mais il s'est vidé de lui-même en se faisant vraiment esclave, en devenant semblable aux humains ; reconnu à son aspect comme humain" Pourquoi l'auteur juge-t-il nécessaire de préciser : "reconnu à son aspect comme humain", alors que juste avant, il avait déjà indiqué : "en devenant semblable aux humains", n'est pas redondant ? J'ai le sentiment qu'il était impératif qu'il soit "reconnu" comme "pleinement" humain. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Ven 07 Fév 2020, 17:10 | |
| De toute façon c'est redondant, mais la redondance contribue à l'effet (d'ailleurs très réussi) de descente en cascade ou en escalier, qui repart à chaque fois de la marche ou de l'étape précédente pour tomber encore plus bas (non seulement homme mais humilié, non seulement humilié mais mort, non seulement mort mais sur la croix; ça ne correspond sans doute pas à notre échelle de valeurs mais bien à celle, dominante, de l'Antiquité, où la crucifixion est notamment le supplice des esclaves). Toutefois on peut effectivement se demander si le skhèma (ici traduit par "aspect") fait écho à la morphè ("forme", "condition", du côté de l'"essence" réelle), dont il est un quasi-synonyme plausible, ou à l'homoiôma ("ressemblance", "semblable à"), qui marque plutôt la distance d'une "apparence" (cf. Romains 8,3). A cause du parallélisme de structure (en homoiômati / skhèmati, datif), j'inclinerais vers la seconde hypothèse.
Cependant l'accent ne porte pas du tout sur le "pleinement humain" au sens du dogme ultérieur, par opposition au "docétisme": la formulation est bien "docétique" à sa manière, fût-ce avant la lettre, de par la distance suggérée par l'homoiôma (comme en Romains 8 ). Outre l'"aspect" (skhèma[ti]), cette distance serait encore marquée par le "comme" (hôs): skhèmati euretheis hôs anthrôpos, "quant à l'aspect trouvé comme un homme", on ne s'exprimerait surtout pas ainsi si l'on voulait insister sur une "nature humaine réelle". Ce n'est pas avec l'"homme" que le "dieu" contraste, mais avec l'"esclave" -- morphè theou, morphè doulou, telle est dès le départ l'antithèse directrice. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Ven 07 Fév 2020, 17:24 | |
| - Citation :
- Ce n'est pas avec l'"homme" que le "dieu" contraste, mais avec l'"esclave" -- morphè theou, morphè doulou, telle est dès le départ l'antithèse directrice.
Merci Narkissos pour cette analyse et cette précision, je pensais que le contraste (abaissement/élévation) s'effectuait entre le divin et l'humain. Je comprends mieux ce texte et je l'apprécie davantage. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Ven 07 Fév 2020, 18:40 | |
| Ce sont presque toujours des "complexes questions-réponses" (CQR, je retiens la formule d'un des articles que tu as cités plus haut) anachroniques (notamment ceux de l'argumentaire anti-trinitaire, le plus souvent fondé sur des caricatures de la "trinité" et de l'"union hypostatique" orthodoxes des IVe-Ve siècles) qui nous ramènent à ce genre de texte; il faut pourtant nous débarrasser de ces "complexes" pour lire les textes tels qu'ils sont écrits, somme toute beaucoup plus simples et clairs qu'on pouvait le craindre, mais sans l'ombre d'une réponse aux questions de départ, si ce n'est justement qu'elles ne s'y posent pas. Cela vaut également pour la notion de "pré-existence", qui n'est "pré-" que par rapport à un "Jésus humain", sinon "historique", considéré implicitement comme sujet et point de départ réels de toute christologie (ce qui revient, ironiquement, à ne pas prendre le discours christologique au sérieux; cf. à ce sujet nos dernières discussions sur Colossiens).
Il faut encore se défaire de catégories plus récentes dans l'histoire de la théologie, mais tout aussi tenaces, telle l'opposition entre christologies "hautes" et "basses" ou "descendantes" et "ascendantes", qui perdurent dans la vulgarisation alors même que les "spécialistes" les ont abandonnées depuis longtemps: une christologie "adamique" ou "anthropologique", "angélique", "pneumatique", "sapientiale", "logique" au sens du logos, ou même "royale", "sacerdotale" ou "prophétique" ne sont pas nécessairement plus "basses" qu'une christologie strictement "théo-logique", au sens où "Dieu" en serait le sujet explicite -- tout dépend de l'idée qu'on se fait du "modèle", Adam ou homme archétypique-idéal, ange, esprit, sagesse, parole-logos, royauté, sacerdoce ou prophétie où "Dieu" peut être tout aussi directement impliqué. D'autre part il y a toujours un mo(uve)ment de "descente" et un mo(uve)ment d'"ascension", du plus haut au plus bas et inversement, qui pourtant ne s'annulent pas en revenant au même.
Or dans ce mouvement et dans tous ses moments "Dieu" lui-même est entraîné, qu'il y soit nommé ou non. Bien que l'hymne de Philippiens 2 (puisqu'on en parle) ne le dise pas expressément, il est impossible de le lire sans comprendre que "Dieu" lui-même n'est pas exactement le même à la fin qu'au début, comme d'ailleurs dans toute "histoire" où il interviendrait à quelque titre que ce soit: même si c'est un Christ "Adam idéal" ou "anti-Adam" qui est au centre du propos, "Dieu" en est forcément affecté: lui non plus ne saurait se contenter d'être platement "égal à Dieu", par l'ensemble de ce périple il est aussi abaissé et élevé au-dessus ou au-delà de ce qu'il était ou paraissait être au début. Or pour dire ce genre de chose, comme pour toute "révélation", il faut précisément un "mythe", une histoire où les dieux sont des personnages qui agissent, subissent et deviennent comme des hommes, des animaux ou des choses, où ils ne se contentent pas d'"être" simplement et invariablement ce qu'ils sont -- qu'on appelle cela "théo-po(ï)étique", comme Caputo et Cuvillier à sa suite, ne change rien à l'affaire, c'est toujours que ce qu'avant on appelait un "mythe" et dont aucune "théologie" ne saurait faire l'économie sauf à se vouloir pure "métaphysique", laquelle sera du reste toujours moins "pure" qu'elle le prétend. Car tant qu'elle veuille opposer un logos (au sens de "parole-pensée" ou "discours rationnel") au muthos, la philosophie même ne se passe pas du mythe et y retombe invariablement (Platon et Heidegger en sont peut-être les meilleurs exemples, à plus de 2000 ans d'intervalle) -- à supposer que ce soit une rechute. Quand elle se voudrait parfaitement "athée" (ce qui n'est pas le cas des précités, et somme toute est plutôt rare dans son histoire), il lui faudrait encore du "mythe" pour se donner ne serait-ce que l'illusion provisoire d'échapper à la tautologie compacte d'une "anthropologie humaniste"; pour se ménager la possibilité, logiquement injustifiable, d'un espacement ou d'une différence entre "l'homme" et "l'homme", de façon à pouvoir en dire quelque chose qui ait au moins une apparence de "sens".
Reste que si la phase ascendante du parcours aboutit à une sorte d'horizon eschatologique et universel (<=> Dieu tout en tous, plérôme, réconciliation ou récapitulation théo-cosmique, etc., dans d'autres textes du corpus paulinien et au-delà), le "mystère" n'est accessible que par sa phase descendante: dans le sens de l'abaissement, de l'humiliation, de la souffrance, de la mort, de la croix. A cet égard, malgré la variété des mots et des images, il y a bien coïncidence du "mythe" christique et de ce qui est requis du disciple ("se vider [de] soi-même" <=> "se renier", "renoncer à soi", "perdre sa vie / son âme", etc.). Cela, qui est aussi le sens (la direction) de la theologia crucis luthérienne, l'"hymne" de Philippiens 2 le dit particulièrement bien. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Lun 10 Fév 2020, 13:20 | |
| Depuis les controverses christologiques des IVe et Ve siècles, l’histoire de l’interprétation de Philippiens 2 a été profondément marquée par des lectures dogmatiques (ou anti-dogmatiques), ou plus exactement des lectures présupposant comme point de départ les définitions christologiques des conciles de Nicée et Chalcédoine. Dans une telle perspective, on s’efforce de vérifier si les expressions utilisées par Paul corroborent ces définitions, ou sont simplement compatibles avec elles mais susceptibles d’autres interprétations, ou encore si elles posent de réels problèmes vis-à-vis de ces définitions et comment ceux-ci peuvent être résolus. De telles lectures sont respectables dans la mesure où chaque lecteur interprète le texte à partir des questions de son temps.
Mais aujourd’hui nombre de lecteurs contestent que les questions christologiques doivent encore être posées dans les catégories philosophiques du IVe siècle ; la question mérite en tout cas d’être posée, car le cadre de référence anthropologique et les préoccupations de la plupart des lecteurs modernes sont autres. Par ailleurs, la première tâche de l’exégète des lettres pauliniennes est une attention au texte lui-même, interprété à partir des catégories de Paul (telles qu’elles ressortent de ses autres lettres authentiques) et en fonction du but que celui-ci poursuivait pour convaincre ses destinataires eux-mêmes en situation. Or, il paraît évident que Paul n’a pas réfléchi dans les catégories philosophiques des discussions métaphysiques du ive siècle, et la précision du statut ontologique de la personne du Christ n’est pas l’objet de sa discussion avec les chrétiens de Philippes.
Contexte littéraire et fonction de l’hymne
Le passage étudié se distingue de son contexte par son aspect fort rythmé. Il relève de la poésie ou à tout le moins de la prose rythmée. Son objet est le sens essentiel, le sens authentique de l’aventure christique. Celle-ci n’est pas racontée en détail. L’hymne tente plutôt d’en dire le sens ; ce dernier ne relève pas à proprement parler du savoir, mais du sens indicible, irreprésentable qui ne peut être approché que dans un langage évocateur, symbolique. Certains diront que l’on se trouve en présence du genre littéraire du mythe entendu au sens d’un langage de foi utilisé pour parler d’une réalité qui nous échappe, celle des choses initiales et des choses dernières, de l’archè et du telos. La fonction de l’hymne relève alors du fondement de l’existence croyante en lui présentant une origine et un achèvement à travers la figure du Christ. https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200279.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Mar 11 Fév 2020, 13:01 | |
| Bien résumé.
Dans la mesure où l'"hymne" de Philippiens 2 et la "christologie" en général consistent en une narration (récit ou histoire du Christ, du noyau élémentaire mais narratif quand même de la mort-résurrection/élévation aux développements évangéliques plus ou moins longs) ou en la description d'un mouvement (ici descente et ascension successives, donc temporelles ne fût-ce que dans le temps qu'il faut pour les dire), il est évident qu'aucune proposition "dogmatique" ne leur fera justice, pour autant qu'elle consiste pour sa part en énoncés statiques (qui est ou qu'est-ce que "Dieu", "le Christ", "le Père", "le Fils" etc., comme si l'on pouvait fournir à ces question d'"id-entité" ou d'"essence" une réponse vraie une fois pour toutes, sans changement ni événement; comme s'il ne s'y passait jamais rien). Ce n'est même pas la faute de l'"ontologie" (c.-à-d. du discours de l'"être") en soi, mais seulement d'une ontologie statique, que les Pères de l'Eglise ont pourtant rendue aussi "dynamique" ou "mobile" que possible grâce à des notions paradoxales comme celles d'engendrement ou de procession éternels, de périchorèse ou de communication des "personnes" ou "hypostases" divines ou des "natures" divine et humaine du Christ. Si ces formules interprétatives nous paraissent aujourd'hui incompréhensibles, elles l'étaient sans doute autant pour la grande majorité des chrétiens de leur temps, comme celles de nombreux théologiens modernes pour le "grand public" contemporain. En tout cas elles n'ont pas vocation à remplacer le "mythe" (le "récit fondateur" si l'on préfère) mais à s'inscrire à sa suite, dans son sillage, comme une possibilité de "penser" ce que l'on récite sur un mode liturgique ou mythopoétique. Sans lui elles n'ont aucune "vérité", sinon tout à fait aucun "sens".
Mais il ne faut surtout pas s'imaginer qu'on évitera la difficulté en basculant de l'"ontologie" à l'"éthique", de la "théorie" à la "pratique", ou de l'indicatif-constatif à l'impératif-performatif -- de ce qui "est" à ce qu'"il faut". Le sermon moralisant "il faut être humble, s'abaisser, servir, se sacrifier", déconnecté du "mythe" divino-humain qui lui donne un "sens", une provenance et une finalité d'en-deçà et d'au-delà de "l'homme" dans sa compréhension moderne (sans "Adam" ni "Anthrôpos" primordial et idéal), paraîtra encore plus arbitraire et insupportable à des oreilles modernes que la "dogmatique" de la fin de l'Antiquité. |
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Mar 11 Fév 2020, 13:09 | |
| Un article qui me parait très intéressant :
"Lui qui existant sous forme de Dieu n’a pas considéré les honneurs divins comme une chose à saisir."
Pour des raisons qui deviendront par la suite évidentes, je préfère interpréter l’expression ἐν μορφῇ θεοῦ comme un terme philosophique renvoyant à une « essence » qui ne change pas. Dans son article, Heen expose les deux options principales qui ont été proposées pour résoudre les problèmes interprétatifs du v. 6 et qui affectent également l’interprétation de l’hymne dans son ensemble.
Puisque l’hymne au Christ commence dans la sphère céleste où Jésus a la forme de Dieu (v. 6), l’interprétation traditionnelle le comprend en termes d’un Christ préexistant qui s’humilie par son acte d’incarnation (v. 6-7) avant de se faire introniser par Dieu (v. 9-11). On le lit comme si le texte parlait, à l’instar du prologue de Jean, de la préexistence du Christ. Contre cette tendance, une minorité d’exégètes entendent le v. 6 non pas comme une référence à la préexistence de Jésus mais à son « humanité », en opposition à celle d’Adam. Plutôt qu’un drame en trois actes, ces exégètes voient dans l’hymne un drame en deux actes ; le premier portant sur la vie de Jésus comme esclave humain, le deuxième sur son exaltation. Lorsque l’on considère l’hymne sur fond de culte impérial, dit Heen, une nouvelle option interprétative se présente qui consiste à voir dans l’expression ἴσα θεῷ une référence à la tradition civique grecque de l’attribution des honneurs divins. Il note par ailleurs que le topos de la récompense divine pour une vie de service figurait dans les panégyriques des dirigeants et des empereurs.
Mais même si on accepte la suggestion par ailleurs fort plausible de Heen selon laquelle l’expression ἴσα θεῷ a été empruntée au contexte du culte impérial où l’on attribuait des honneurs divins à l’empereur ou encore au contexte de l’apothéose des empereurs décédés, la divinisation de Jésus dans ces versets ne suit pas tout à fait le même pattern que celui proposé pour ces autres hommes promus au rang des dieux, et cela même si l’on ne présuppose pas la préexistence de Jésus. Au début de l’hymne, Jésus est déjà ἐν μορφῇ θεοῦ, il est déjà divin. En ce sens, son élévation finale ne ressemble pas à une apothéose, mais se présente plutôt comme la révélation d’une vérité qui n’était pas connue ou comprise avant la mort sur la croix. Le Jésus que Paul construit pour les Philippiens à l’aide du culte de l’empereur a quelque chose de plus qu’aucun empereur n’a jamais eu, soit une essence divine qui précède l’acclamation par des assemblées et l’apothéose post mortem. Paul exploite une pratique théopolitique bien connue de ses lecteurs et lectrices, mais il ajoute des nuances qui veulent traduire la nouveauté, la spécificité voire la supériorité de Jésus par rapport à ces autres prétendants à la divinité. https://www.erudit.org/en/journals/ltp/1900-v1-n1-ltp5003005/1005568ar/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Mar 11 Fév 2020, 14:32 | |
| N.B. Cet article a déjà été présenté ci-dessus (6.2.2020). Pour éviter les allers-retours, je me permets de reproduire ici mon commentaire (du même jour): - Citation :
- A mon avis, les éléments de tension avec l'ordre socio-politique de l'empire romain relèvent moins des textes du NT (à l'exception notable de l'Apocalypse) que des "proto-christianismes" qui les précèdent: tout le vocabulaire potentiellement "subversif", "Christ" compris comme "Messie", "fils de David" et "roi" (il peut l'être aussi comme "prêtre", sans compter la proximité de khrèstos "bon, utile"), "Seigneur-kurios" ou "fils de dieu" (notamment sous la forme théou huios) qui sont aussi des titres impériaux, tout cela existe manifestement dans les communautés proto-chrétiennes en amont de la rédaction des premières épîtres pauliniennes et a fortiori du premier évangile, et les textes du NT (toujours à l'exception de l'Apocalypse) me semblent au contraire faire tout pour en neutraliser, ou du moins en atténuer, la portée socio-politique éventuelle (et peut-être originale, du moins chez certains groupes proto-chrétiens).
Pour résumer sans trop répéter une bonne partie de ce qui a été dit depuis, je soulignerais que la notion même de "révélation" implique une structure narrative (comme celle du "mythe"): il y a mouvement, changement, passage (par définition temporel), du "caché" au "révélé", de l'implicite à l'explicite, de l'idée fausse à l'idée vraie, bref du point de départ au point d'arrivée; et dès lors qu'il se passe quelque chose c'est (aussi) une "histoire". |
| | | free
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Mer 12 Fév 2020, 12:36 | |
| En effet, qui a connu la pensée du Seigneur, pour l'instruire ? Or nous, nous avons la pensée du Christ." (1 Cor 2,16)
"Ayez entre vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ" (2,5)
Peut-on établir un lien entre l'encouragement à avoir les dispositions qui sont en Jésus-Christ et l'affirmation que le croyant a la pensée du Christ ?
Peut-on également faire une un rapprochement avec Marc qui présente Jésus comme celui qui est venu pour servir, et en servant il offre un modèle à ses disciples :
"Car le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude"
Le sentiment d'abandon qu'exprime Jésus dans cet évangile souligne le lien avec l'hymne : A la neuvième heure, Jésus cria : "Eloï, Eloï, lema sabachthani ? ce qui se traduit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" (15,34). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Mer 12 Fév 2020, 13:26 | |
| Rapprochements intéressants.
Entre 1 Corinthiens 2,16 et Philippiens 2,5 il y a en grec une différence de vocabulaire qui pourrait se confondre en français sous le même mot de "pensée": d'une part le noûs, l'esprit-intellect en général, aussi "théorique"; d'autre part le verbe phroneô, qui appartient plutôt au langage de la "sagesse" et se trouve par là connoté d'orientation "pratique": "façon de penser, attitude d'esprit" etc. Mais les deux usages reposent assurément sur le même fondement ("mythique-mystique"): (le) "Christ" en "nous".
Il y a aussi une évidente parenté, mais également une différence, entre le statut de l'"esclave" (doulos) en Philippiens 2 et la fonction du "serviteur", voire du "serveur" (diakoneô etc., dont l'image de base, plus ou moins présente selon le contexte, est toujours celle du service à la table) en Marc 10. Le mouvement d'abaissement volontaire du "maître" est bien ici le même, quoiqu'il y ait a priori moins d'"humiliation", et plus d'"utilité" apparentes, dans la fonction de serviteur que dans le statut d'esclave.
Il me semble par contre que l'idée d'abaissement volontaire est tout à fait absente du cri de la Passion selon Marc (15,34); même si on peut comprendre de l'ensemble du récit que "Jésus" a lui-même déclenché l'ensemble du processus, à ce stade il ne décide plus rien, il subit (c'est le sens même de la "passion"). Il en est tout autrement, par exemple, dans l'évangile selon Jean où la "Passion" est voulue et agie de part en part (notamment avec l'image de la "[dé-]pose de l'âme ou de la vie", comme du vêtement du serviteur encore; cf. 10,11.15.17s; 13,4ss.37s; 15,13; 1 Jean 3,16). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Mer 12 Fév 2020, 14:35 | |
| L'idée de kénose est absente dans l'évangile de Jean, si Logos a "établi sa tente" parmi les humains et si il est devenue "chair" ayant "fait sa demeure parmi nous" (1,14), l’incarnation, n’implique nullement l’absence de la divinité, au sens ou il se serait vraiment dépouillé ou vidé de sa divinité. Le Jésus humain laisse entendre qu’il est l’"égal de Dieu" (5,18) et il affirme que lui et le Père sont un (10,30), ce qui provoque une réaction très hostile. l’Évangile traduit, dans une certaine mesure, la kénose de l'hymne de philippiens, puisque Jésus prend la forme d’un esclave, en effet il se ceint d’un linge et exécute la tâche d’un serviteur vis-à-vis de ses disciples (13,1-11). Jésus parle de l'acte du lavement des pieds comme d’un "exemple" à suivre : "Si vous savez cela, heureux êtes-vous, pourvu que vous le fassiez !" (13,17). Enfin, Jésus affirme qu'il n’est de plus grand amour que de se dessaisir de sa vie pour ses amis (15,13). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Mer 12 Fév 2020, 14:53 | |
| Ce qui se présente dans le "mythe" (narratif) comme des événements successifs (abaissement PUIS élévation) se superpose et devient pour ainsi dire simultané dans le "paradoxe" johannique: emblématiquement la croix, qui représente le point le plus "bas" du parcours mythico-narratif dans Philippiens, EST l'élévation même dans le discours johannique (pareillement le serviteur est le maître, l'humilié le glorieux, le jugé le juge, etc.). Cependant la "kénôse" (s'il est loisible d'exporter au johannisme le terme de l'épître aux Philippiens) n'est pas moins profonde sous ce schème paradoxal, puisque le Christ égal à Dieu, en qui le Père que nul n'a jamais vu se donne à voir, etc., n'est précisément RIEN par lui-même. A la limite, c'est par son absence totale d'existence propre, parce qu'il n'est rien d'autre que "Dieu", rien d'autonome ou d'indépendant de celui-ci, qu'il est le révélateur parfait. En ce sens (qui n'est pas exactement celui de l'hymne de Philippiens) on peut dire, oxymore inclus, que le Christ johannique qui est la plénitude (plèrôma) même de Dieu est "pleinement vidé" de lui-même. |
| | | free
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Jeu 13 Fév 2020, 14:12 | |
| Car ce n'est pas à des anges qu'il a soumis le monde à venir dont nous parlons. Mais quelqu'un a rendu quelque part ce témoignage : Qu'est-ce que l'homme, pour que tu te souviennes de lui ? Qu'est-ce que le fils d'homme, pour que tu t'occupes de lui ? Tu l'as fait un peu inférieur aux anges, tu l'as couronné de gloire et d'honneur, tu as tout mis sous ses pieds. En lui soumettant tout, en effet, il n'a rien laissé qui ne lui soit soumis. Maintenant, certes, nous ne voyons pas encore que tout lui soit soumis, cependant nous voyons celui qui a été fait un peu inférieur aux anges, Jésus, couronné de gloire et d'honneur, à cause de la mort qu'il a soufferte ; ainsi, par la grâce de Dieu, il a goûté la mort pour tous." (Hé 2,5-9)
Ce texte semble faire allusion à un abaissement et une élévation. L'auteur attribue à Jésus le titre de "fils d'homme" afin d'attirer notre attention sur son statut d'humain qui a été "fait un peu inférieur aux anges" (abaissement) mais qui est "couronné de gloire et d'honneur, à cause de la mort qu'il a soufferte" (élévation). |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Jeu 13 Fév 2020, 14:57 | |
| (Re-)voir ici: dans la lecture (quasi platonicienne) que l'épître aux Hébreux fait du psaume, c'est bien l'homme qui est abaissé "un peu" au-dessous des anges, quoique étant (essentiellement) au-dessus (relire depuis le chapitre 1); autrement dit, c'est encore une figure de l'Adam idéal, de l'homme-image-de-dieu, qui configure le discours christologique. Comme dans le johannisme il y a "télescopage" ou superposition des phases narratives (avant/après), mais sur un autre mode, le rapport de l'éternel (l'Homme-Dieu-Adam-Christ essentiellement au-dessus) au temporel (l'abaissement provisoire au-dessous et tout ce qui en découle dans le monde des "ombres"). |
| | | free
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| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Jeu 13 Fév 2020, 15:34 | |
| "En effet, puisque celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire beaucoup de fils à la gloire, il convenait qu'il porte à son accomplissement, par des souffrances, le pionnier de leur salut. Car celui qui consacre et ceux qui sont consacrés sont tous issus d'un seul. C'est la raison pour laquelle il n'a pas honte de les appeler frères,
lorsqu'il dit : J'annoncerai ton nom à mes frères, je te louerai au milieu de l'assemblée." (2,10-12)
Ce texte souligne la solidarité du Christ avec l’humanité, puisqu'il est "celui pour qui et par qui tout existe", ce qui implique qu'il a des "fils" qu'il doit conduire à la "gloire". "Pionnier de leur salut", car par sa participation à la vie de l’humanité, le Christ devient le précurseur pour ses frères. dans la mesure ou il a partagé "la même condition" que ses frères, à avoir "le sang et la chair". Le chapitre 2 d’Hé souligne l’humanité de Jésus et considère sa mort un moyen de l'établir "pionnier" de "l'assemblée" de ses frères en route vers la gloire céleste :
"Ainsi donc, puisque ces enfants ont en commun le sang et la chair, lui aussi, pareillement, a partagé la même condition, pour réduire à rien, par sa mort, celui qui détenait le pouvoir de la mort, c'est-à-dire le diable, et délivrer tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient retenus dans l'esclavage toute leur vie." (2,14-15) |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Si sur quelque point vous pensez différemment - Epitre aux Philippiens Jeu 13 Fév 2020, 16:41 | |
| Je ne sais pas si c'est ici le lieu de s'étendre sur l'épître aux Hébreux, mais dans la mesure où le Christ est pensé sur le modèle d'Adam ou de l'Homme idéal (entre autres: il le sera plus loin sur celui de Melchisédek), d'une part il n'y a pas d' opposition essentielle entre celui-ci et le "Dieu" dont il est l'image, d'autre part la "solidarité" entre lui et "les hommes" (au sens ordinaire) est pour ainsi dire "naturelle", à la lettre affaire de "naissance": en tant qu'il est l'unique dont ils sont issus ce sont ses "fils" ou ses "enfants", en tant qu'il est lui-même "fils d'homme" ce sont ses "frères". (A suivre éventuellement ici.) |
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