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 dieu pitoyable

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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable - Page 2 Icon_minitimeJeu 21 Avr 2022, 11:19

Dieu se plaint de son peuple infidèle

"De quoi m'accuseriez-vous ? Vous vous êtes tous révoltés contre moi — déclaration du SEIGNEUR. C'est inutilement que j'ai frappé vos fils ; ils n'ont pas voulu recevoir l'instruction ; votre épée a dévoré vos prophètes, comme un lion destructeur. Eh ! vous, gens de cette génération, considérez la parole du SEIGNEUR ! Ai-je été pour Israël un désert, ou un pays de ténèbres ? Pourquoi mon peuple dit-il : Nous allons où nous voulons, nous ne voulons pas revenir à toi ! — La jeune fille oublie-t-elle sa parure, la mariée sa ceinture ? Mon peuple, lui, m'a oublié depuis des jours sans nombre. Comme tu as bien su faire ton chemin pour rechercher l'amour ! Même aux pires des femmes tu donnerais des leçons ! Jusque sur les pans de ton vêtement on retrouve le sang des pauvres, des innocents que tu n'as pas surpris en flagrant délit d'effraction : voilà ce qui te perd. Et tu dis : Je suis innocente ! Que sa colère se détourne de moi ! — Eh bien, j'entre en jugement avec toi, puisque tu dis : Je n'ai pas péché !" (Jé 2,29-35). 

Ce texte décrit un Dieu impuissant, toutes les tentatives d'attirer son peuple à lui, ont échoué, méthodes violentes ou pédagogiques ("C'est inutilement que j'ai frappé vos fils ; ils n'ont pas voulu recevoir l'instruction"). Le peuple rejette un Dieu qui ne le supporte pas et qui est pris, emprisonné entre sa colère (accusations amères) et sa douleur ... Dieu lutte avec lui-même. Dieu semble même arriver jusqu'à une certaine remise en cause ou à un questionnement sur des reproches éventuels : "De quoi m'accuseriez-vous ?" ; "Ai-je été pour Israël un désert, ou un pays de ténèbres ?". La divinité regrette l'indépendance de son peuple et son refus de se placer sous sa direction : "Nous allons où nous voulons, nous ne voulons pas revenir à toi !". L'amour passionnel et le dépit amoureux ressortent de cette déclaration : "Comme tu as bien su faire ton chemin pour rechercher l'amour !" ... L'amoureux qui n'accepte pas la rupture.
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable - Page 2 Icon_minitimeJeu 21 Avr 2022, 11:57

Texte très touchant.

Toute la qualité à la fois "religieuse" et "littéraire" de "la Bible", évidemment variable selon les textes, tient au fond à son incohérence -- à la tension irréductible qui subsiste entre 1) un "monothéisme absolu" à la limite du "panthéisme", "Dieu" majuscule, cause de tout et en dernière instance jamais opposable à rien (cf. l'échange précédent sur le "potier"), et 2) le dieu minuscule qui reste (du "polythéisme", même en régime de "monolâtrie" ou de "monothéisme relatif", notamment "moral") un personnage, acteur et locuteur parmi d'autres -- autres humains dès lors que les autres dieux sont sortis de la scène et surtout tant qu'ils n'y sont pas encore revenus sous forme d'"anges" et de "démons", "diable" éminemment compris (dualisme) -- autres foncièrement égaux en tant qu'acteurs et locuteurs, quelque subordination qu'on puisse par ailleurs supposer entre les uns et les autres. Ce "dieu"-ci peut faire tout ce dont ce "Dieu"-là serait incapable, par sa toute-puissance même, d'elle-même renversée en impuissance absolue: agir, pâtir = souffrir, parler, argumenter, combattre, gagner, perdre, vouloir, désirer, réussir ou échouer, aimer ou haïr, être jaloux, en colère, triste ou gai, discuter, négocier, argumenter, ressentir, éprouver et exprimer des sentiments, des émotions ou des passions, précisément parce qu'il (le dieu minuscule) n'est qu'un parmi d'autres, une voix, une volonté parmi d'autres, se heurtant à d'autres qui ne sont pas "lui". Tout ce qui se pense comme "kénose" (etc.) se joue en fait entre "Dieu" et "dieu" (casse décisive, au sens typographique du mot: majuscule / minuscule = haut et bas de casse). Un monothéisme religieux, je veux dire à la fois pensant et priant, "théologique" et "mystique" si l'on veut, n'a jamais affaire à "Dieu" que par "son dieu" qui est et n'est pas le même. C'est l'espace ou l'espacement même entre le "fond" impensable et tout ce qui peut en être pensé, nommé, représenté, figuré ou conçu, qui rend possible une "christologie", mais aussi bien n'importe quelle "religion" (cf. aussi ici).
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable - Page 2 Icon_minitimeDim 28 Aoû 2022, 11:25

Parce que rien ne se cache si bien que l'évidence, on ne remarque pas -- ou autant de fois qu'on l'ait remarqué on oublie -- que le mouvement du divin célébré comme descente (condescendance en son sens jadis élogieux, abaissement, humiliation, kénose, etc., mais aussi tout ce qui est impliqué dans la "visite" ou l'"intervention" quelconque, favorable ou défavorable, d'un dieu parmi les mortels) est le même qui est dénoncé ailleurs (hommes, anges, diable) comme chute, faute, scandale, déchéance, décadence, dégénérescence, dégradation, déclin, etc.: ambivalence de l'Untergang, ou grâce de la pesanteur. Le catéchisme s'émerveille d'une "solution" qui ressemble étrangement au "problème", par un tour de passe-passe homéopathique (où le remède imite le mal, comme le serpent du désert): descente de Dieu contre chute de l'homme et/ou du diable selon l'ordre superficiel du grand récit, mais aussi bien pour toute réflexion tant soit peu profonde, descente du divin ou du supra-divin prévenant et enveloppant toute chute (supralapsaire, comme disent les théologiens); il n'y a peut-être ni "problème" ni "solution", seulement à contempler les jeux de sens d'un même mouvement qui est à la fois plus et moins univoque qu'il n'en a l'air.
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable - Page 2 Icon_minitimeLun 29 Aoû 2022, 11:01

Éthique et orthopraxie

En second lieu, la dimension éthique de la kénose désigne les résultats d’une interprétation contemporaine tournée vers l’action, vers la transformation du monde actuel.

Par exemple, dans sa réflexion sur le judaïsme et la kénose, Emmanuel Levinas montre bien que cette « énigme de l’humilité dans le Dieu biblique » est attestée dans la littérature vétérotestamentaire. Mais, en plus, il souligne que cette humilité divine, qui se manifeste en une sorte de mise à disposition de l’homme, est l’autre face de la responsabilisation de l’homme. En affirmant, Talmud à l’appui, que l’homme assure les conditions de l’association de Dieu aux mondes et assure l’être des mondes, que « Dieu lui-même n’a pas reculé devant cette égalité avec l’Humain et même devant une certaine subordination à l’Humain» et, enfin, que Dieu a besoin de la prière des hommes, Levinas indique la dimension éthique de la kénose : un appel divin fait à l’homme, un appel qui invite ce dernier à la responsabilité, un appel à sortir de soi. On ne peut pas ne pas faire le rapprochement entre cette lecture éthique de la kénose et la théorie de l’éthique de la responsabilité qu’il propose.

 https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2010-3-page-323.htm
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable - Page 2 Icon_minitimeLun 29 Aoû 2022, 12:42

L'angle "pratique" ou "éthique" modestement annoncé par l'auteur, et correspondant en principe à sa discipline (Jobin est professeur de "théologie morale"), aboutit à une étude "théorique" fort intéressante, qui concerne d'ailleurs beaucoup plus Vattimo que Levinas (dont nous avons parlé plus haut) -- cela dit pour en encourager une lecture complète.

C'est la "logique" même d'un mouvement du genre kénose (ou abandon, ou déréliction, qui n'est qu'un autre aspect de la même "chose") que tout s'y perde (et on retrouverait au sujet de la perte et de la perdition l'ambivalence indécidable que je tentais d'exprimer dans mon post précédent à propos de la descente et de la chute). Rien ne subsiste, rien de fixe, de stable ou de constant, ni "origine", ni "nature", ni "essence", ni "identité", ni "ipséité", ni "intention" ni "motif", ni "but ni "fin", pas plus pour un "autre" que pour un "soi", tout le substantiel est emporté par le mouvement même qui efface ses traces à mesure qu'il les génère, sauf la différance qui les rend provisoirement lisibles, interprétables, jouables, imitables, réitérables. [Soit ce que nous avions nommé, avant même d'ouvrir un livre de philosophie, "devenir absolu", devenir de tout et de rien, de tous et de personne plu(s)tôt que de tel ou tel, de ceci ou de cela, devenir sans autre puisque ce serait l'autre même, si cela signifiait quelque chose.] La "participation" (autre concept évoqué dans la suite de l'article, voisin de la "communion" ou de la "périchorèse") relève de la même aporie où la "relation" ne se comprend plus entre des termes fixes (comme si la relation leur restait toujours extérieure et accessoire, ne les affectant pas essentiellement) mais les emporte comme elle les génère (ainsi l'"amour", p. ex., dans "Dieu est amour").
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable - Page 2 Icon_minitimeVen 02 Sep 2022, 10:48

Citation :
Parce que rien ne se cache si bien que l'évidence, on ne remarque pas -- ou autant de fois qu'on l'ait remarqué on oublie -- que le mouvement du divin célébré comme descente (condescendance en son sens jadis élogieux, abaissement, humiliation, kénose, etc., mais aussi tout ce qui est impliqué dans la "visite" ou l'"intervention" quelconque, favorable ou défavorable, d'un dieu parmi les mortels) est le même qui est dénoncé ailleurs (hommes, anges, diable) comme chute, faute, scandale, déchéance, décadence, dégénérescence, dégradation, déclin, etc.: ambivalence de l'Untergang, ou grâce de la pesanteur. 


Pourquoi le Christ est-il descendu aux enfers ?

Les éléments constitutifs du Samedi saint chez Balthasar

En premier lieu, le Christ partage la condition de ceux qui sont aux enfers : il est mort parmi les morts et il fait l’expérience de la déréliction, de l’abandon de Dieu ou poena damni. Celle-ci comprend notamment la perte de la foi, de l’espérance et de la charité, ainsi que l’isolement vis-à-vis des hommes Le Christ s’y trouve entièrement passif et impuissant. Il ne s’agit donc pas d’une descente active et triomphale du Rédempteur qui détruit les portes des enfers et saisit les protoplastes par le poignet pour les en délivrer. Il n’y a pas non plus de « prédication » aux enfers, sinon le fait de la croix, objectivement présenté par l’événement lui-même.

En second lieu, à la place de la visio Dei perdue se présente pour le Christ une visio mortis  . Celle-ci consiste en la contemplation d’un mystérieux « péché pur », c’est-à-dire de la masse du péché qui a été séparée des pécheurs par l’événement rédempteur de la croix et rassemblée aux enfers comme dans un cloaque. Après le chaos primordial dont l’univers est tiré, il s’agit d’un second chaos, créé cette fois-ci par la liberté de l’homme.

Troisièmement, cette condition de déréliction est une forme ultime d’obéissance du Fils envers le Père, qui accomplit la mission confiée par celui-ci. Il s’agit de la seule véritable obéissance « de cadavre » – selon l’expression de François d’Assise –, d’une obéissance « aveugle », tant la perception de l’abandon par le Père la vide de son sens et de toute espérance ...

... Enfin, c’est à partir des enfers, « d’entre les morts », que le Christ ressuscite. La Résurrection surgit non pas malgré l’enfer, mais du cœur de l’enfer, comme le fruit et l’aboutissement de la perte de soi la plus extrême : « La descente jusqu’au fond de l’enfer peut, à l’instant absolu de la Résurrection, se renverser en la suprême intimité au ciel. » L’articulation des deux premiers éléments avec ces deux derniers implique que « le mystère du Samedi Saint comprend deux aspects à la fois : la pointe ultime de l’exinanitio et le début de la gloire, avant même la Résurrection ».

https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2015-3-page-493.htm#:~:text=1%C2%AB%20Il%20est%20descendu%20aux,mort%20et%20les%20puissances%20infernales.
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable - Page 2 Icon_minitimeVen 02 Sep 2022, 12:21

Présentation passionnante de la théologie de Balthasar (que j'avais lu et apprécié jadis, notamment sur les Pères de l'Eglise, mais pas assez dans sa propre théologie, car à l'époque je lisais plutôt les théologiens protestants, de Barth à Jüngel), malgré la volonté (expresse, prudente, mesurée, mais pénible quand même) qu'a le re(-)censeur de la retenir ou de la ramener dans le strict cadre de l'orthodoxie et de la tradition (catholiques) telles qu'il les comprend. On reconnaîtra beaucoup de thèmes que nous avons déjà évoqués, en particulier autour du "Samedi-saint"...

C'est remarquable qu'un "mythème" (ou élément narratif) comme la "descente aux enfers", qui n'apparaît que très peu et obscurément dans le NT (1 Pierre surtout), le plus souvent passée sous silence ou totalement impensée, de sorte qu'on ne peut la lire, dans les évangiles ou dans les divers énoncés christologiques, que par "eis-égèse" (reading into, introduire dans un texte ce que l'on veut y trouver, comme le lapin dans le chapeau), en faisant arbitrairement parler le silence, finisse par devenir le lieu central et incontournable du "mystère" et de son élucidation théologique, par nécessité topologique: la mort, le monde souterrain, les enfers sinon l'enfer, le point le plus bas (nadir), le fond même sans fond où toute "descente" s'arrête au moins parce qu'il n'y a plus rien à en dire, et où le mouvement ne peut que s'inverser en remontée -- ou se paralyser indéfiniment dans l'inquiétude de remonter toujours trop tôt...

Je l'ai dit cent fois mais je le redis quand même: quand je parle de "mythe", ça n'a rien de méprisant ni de péjoratif, parce que je crois au contraire irréductible et fondamental, au cœur de tout langage (logique ou rationnel, théologique, philosophique, historique, politique, scientifique, technicien) ce que j'appelle "mythe": quand il s'agit de rapporter un discours humain quelconque à un fond qui échappe à tout discours, on n'a pas d'autre option que de faire l'impossible, et cet impossible ne peut passer, ouvertement ou honteusement, que par un (dé-)tour narratif; il s'agit de raconter l'irracontable. C'est ce que fait poétiquement le "mythe", qu'il se traduise en épopée, en tragédie ou en comédie, en philosophie ou en "mystère", en hymne ou en liturgie, mais aussi en discours logique ou scientifique. On peut regretter de ce point de vue que le mythe christique ait (du moins un temps assez long et et dans un espace assez vaste) éclipsé la richesse des mythes d'avant et d'ailleurs, mais il en a aussi "sauvé" l'essentiel, la possibilité pour chacun, individu ou communauté, de relier sa vie, sa mort, son histoire, ses désirs et ses craintes, au fond sans fond d'un absolu qui assume, subsume et absout tout, à condition de se laisser raconter d'une manière ou d'une autre...

Soit dit en passant, la notion d'"obéissance de cadavre" est fort paradoxale, puisque le cadavre c'est tout aussi bien le contraire de l'obéissance, incapable d'obéir autant que de désobéir, sinon à la "loi" de la pesanteur ou à d'autres forces extérieures, et encore, avec une certaine résistance (rigor mortis)... en tout cas c'est une question qui rejoindrait facilement plusieurs de nos discussions récentes (p. ex. celle-ci, celle-là ou celle-là).
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