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| LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE | |
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Narkissos
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Lun 09 Oct 2023, 11:30 | |
| Merci pour cet article instructif, qui complète utilement, du côté de l'exégèse rabbinique médiévale, celui de Katell Berthelot cité et discuté précédemment (22.9.2023).
Si la "sensibilité morale" dont on parlait à cette occasion n'est pas une constante, sinon comme variable -- parce qu'elle a toujours varié et n'a jamais fini de varier -- on ne peut pas réduire à la "conscience moderne" l'embarras de ces histoires d'extermination; et pas non plus à la conscience juive, pharisienne ou rabbinique, de l'époque romaine ou du moyen-âge: les contradictions ou incohérences des textes "bibliques" qui ont offert une prise aux interprétations adoucissantes, ou édulcorantes, des commentateurs juifs ou chrétiens traduisaient déjà, au cours de leur rédaction, une diversité de points de vue sur la question (fût-ce autour de récits complètement fictifs, ce qui a priori ne change pas grand-chose au problème "moral"). Mais les textes survivent à leurs interprétations, et même ceux qui ont été longtemps "neutralisés" par une tradition de lecture "pacifique" ou "humaniste" peuvent se réveiller du jour au lendemain avec un potentiel de violence extrême, pour peu que les circonstances s'y prêtent...
Pour rappel, la tradition rituelle du hrm (d'où, en version arabe, harem, haram, etc.), traditionnellement traduit par "interdit" ou "anathème", est diverse et complexe: tous les récits de destruction ou d'extermination ne la convoquent pas, et réciproquement elle n'implique pas toujours de destruction -- ce peut être aussi le plus haut degré de sacralité, par exemple dans le cas d'un voeu irrévocable dont on ne peut pas "racheter" l'objet (Lévitique 27). Comme on l'a souvent remarqué, les pôles antagonistes du pur et de l'impur, du sacré et du profane communiquent, aux deux extrémités il s'agit de ce qu'on ne doit pas toucher, fût-ce pour des "raisons" opposées (totem ou tabou, numineux et immonde, etc.). |
| | | free
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Lun 09 Oct 2023, 12:12 | |
| Mais pourquoi donc Elie a-t-il tué les prophètes de Baal (1 Roi 18,40) ?
Il nous faut revenir à ce dialogue entre Akhab et Élie qui avait été à l'origine de l'ordalie et où Akhab et Élie s'étaient accusés mutuellement de «perturber» Israël (1 R 17, 17, 18), une accusation grave puisque touchant à l'intérêt national et qui est, comme on va le voir, lourde de menace. Le terme hébreu correspondant, cakar, est peu fréquent. En dehors de ces deux occurrences il n'est attesté que douze fois dans la Bible hébraïque : une fois dans un psaume (Ps 39, 3), quatre fois dans le cadre d'un proverbe (Pr 11, 17, 29 ; 15, 6, 27) et sept fois dans un contexte narratif (Gn 34, 30 ; Jos 6, 18 ; 7, 25 -deux fois -; Jg 11, 35 ; 1 S 14, 29 ; 1 Ch 2, 7).
Parmi ces dernières références, celles de Josué et du Chroniste sont tout particulièrement intéressantes pour notre propos. Les quatre attestations en question renvoient à un épisode tragique de la conquête : Immédiatement après la prise spectaculaire de la forteresse de Jéricho (Jos 6), les Israélites s'attaquent à Aï, localité de bien moindre importance et dont les espions envoyés par Josué avaient estimé qu'il suffisait de deux à trois mille hommes pour en venir à bout (Jos 7, 2-3). Or, contre toute attente, non seulement la ville ne peut pas être prise mais le détachement israélite est mis en déroute et défait (v. 4-5). Le caractère anormal de cette situation conduit Josué à s'adresser à Yhwh (v. 6-9), lequel lui révèle que cet échec résulte de la transgression, hata du pacte conclu avec Israël avant l'assaut et dont les clauses avaient été clairement énoncées (v. 10-12) : à l'exception de Rahab et de sa famille, tous les êtres vivants, humains et animaux, devaient être tués et le butin de guerre, intégralement versé au trésor de Yhwh (Jos 6, 17-19), Israël étant expressément averti que toute appropriation de ce que Yhwh avait ainsi déclaré hèrèm entraînerait aussitôt une «perturbation » d'Israël (v. 18). L'origine de cette «perturbation » une fois établie, Yhwh demande à Josué de procéder à un tirage au sort afin de déterminer qui est le coupable (Jos 7, 13-15). Le tirage au sort désigne, lakad, Akân (v. 16-18) qui, ayant reconnu son forfait, hata'tî (v. 19-21) -sa culpabilité est clairement établie par la découverte du butin (v. 22-23) -, est aussitôt conduit hors du camp et lapidé, avec sa famille, par «tout Israël », tandis que tous leurs biens sont brûlés (v. 24-26). Après quoi la prise d'Aï se fera sans coup férir (Jos 8, 1-29).
(...)
Dans tous ces récits on retrouve le même schéma en cinq parties :
1. Au point de départ, une situation anormale : un échec militaire inattendu (Jos 7), une famine (2 S 21), une tempête d'une force inhabituelle (Jon 1), l'absence de réponse de Yhwh (1 S 14).
2. Cette situation anormale n'est pas considérée comme purement accidentelle, comme le simple fait du hasard, ou comme une fatalité. Elle est interprétée, spontanément (1 S 14 ; Jon 1) ou par Yhwh (Jos 7 ; 2 S 21), comme ayant une cause humaine : elle est considérée comme une perturbation, cakar, (Jos 7) qui fait que le déroulement normal des choses est bloqué, celle-ci étant la conséquence d'un manquement, hatta't, (1 S 14 ; cf. aussi Jos 7).
3. Il est donc impératif d'identifier le coupable, ce qui se fait par consultation de Yhwh (2 S 21) et plus précisément par tirage au sort (Jos 7 ; 1 S 14 ; Jon 1). Le coupable ainsi identifié, lakad, avoue spontanément sa faute (Jos 7, natan tôdah ; 1 Samuel 14 ; Jon 1). Celle-ci consiste, selon le cas en la transgression d'un interdit (édicté par Yhwh, Jos 6-7 -il s'agit ici plus précisément de la transgression d'un pacte, berît -, ou par le roi, 1 S 14 -l'interdit étant ici renforcé par une imprécation) ou d'un serment (2 S 21) ou d'une instruction divine (Jon 1). Le coupable n'est pas un simple bouc émissaire. Sa culpabilité n'est pas purement fictive mais bien réelle. Elle est expressément reconnue par l'intéressé, ou par des témoins (2 S 21) et, le cas échéant, confirmée par la saisie du corps du délit (Jos 7).
4. À la suite de cette confession le coupable est immédiatement rejeté hors du groupe et mis à mort en dehors du territoire du groupe (Jos 7 ; Jon 1 ; cf. 2 S 21), ceci par l'ensemble du groupe (tout Israël, Jos 7 ; les Gabaonites, 2 S 21 ; les marins, Jon 1).
5. En conséquence de quoi, la situation redevient aussitôt normale : l'offensive victorieuse se poursuit (Jos 8 ; 1 S 14), la pluie revient (2 S 21), la tempête prend fin (Jon l).
https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1998_num_78_1_5485 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Lun 09 Oct 2023, 12:58 | |
| Je suis ravi de relire Alfred Marx, même si cet article est centré sur un autre texte que Josué: j'ai toujours trouvé ses analyses très éclairantes, en particulier sur tout ce qui concerne le "rituel" (domaine qui nous paraît souvent obscur et arbitraire, mais qui a sa "logique"). En l'occurrence cela rappellera aussi ce qu'on a souvent caractérisé comme l'aspect automatique, machinal ou mécanique, impersonnel, immanent, quasi physique d'un "châtiment" qui n'implique aucun jugement, aucune décision, aucune volonté d'une divinité personnelle, mais fonctionne comme la conséquence naturelle d'une "faute" rituelle, qui elle-même n'a rien de "moral". On l'a vu avec les notions de malédiction et de colère, de péché, de pureté et d'impureté, on le retrouve ici avec la racine `kr que Marx traduit "perturbation" et qui dans Josué 6--7 fait allitération avec le nom d'Akan ( `kn; il s'appelle d'ailleurs Akar en 1 Chroniques 2,7 avec jeu de mot explicite, `kr `wkr ysr'l, Akar le perturbateur d'Israël) et le toponyme Akor (Josué 7,24ss; 15,7; Isaïe 65,10; Osée 2,15). Du point de vue rituel c'est un accident ou un incident qui provoque une panne (ça ne marche plus), laquelle requiert une intervention "technique" pour résoudre le problème, et le problème résolu ça re-marche aussitôt: le rituel est une tekhnè comme une autre, il faut s'y connaître pour reconnaître le "problème" et connaître sa "solution", c'est le savoir-faire des prêtres et assimilés -- entre le "rituel" antique et notre "technique" les ressemblances sont frappantes. L'automatisme joue notamment dans le rapport de l'individuel au collectif: le "mal" de l'un menace le tout, qui ne peut se sauver qu'en l'isolant et en s'en désolidarisant: exclusion, ostracisme, bannissement, ablation, retranchement, lapidation aussi où l'on ne touche pas ce qu'il ne faut pas toucher (parce que celui qui a touché le hrm est devenu hrm, la contagion ne peut que se propager si on ne l'arrête pas). Tout cette façon de penser continue de hanter notre modernité aussi bien dans ses superstitions et autres "complotismes" populaires que dans sa technoscience la plus pointue. Pour revenir sur le hrm (interdit, anathème), il faut signaler que ce n'est absolument pas une particularité "biblique", puisqu'on le trouve déjà sur la fameuse "stèle de Mes(h)a" (au Louvre), l. 17 où c'est le roi de Moab qui "hérémise" Ataroth associée à Gad et à Israël... et cela se retrouve dans les textes "bibliques" où ce sont souvent les non-Israélites qui "hérémisent", y compris Israël (cf. 2 Rois 19,11 // Isaïe 37,11 // 2 Chroniques 32,14; Jérémie 25,9; Daniel 11,44; 2 Chroniques 20,23). A noter aussi Nombres 21,2s où le sens d'extermination est associé au sens de "voeu"... |
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Mar 10 Oct 2023, 08:11 | |
| SORT, LOT Le mot hébreu gôral désigne à la fois le sort jeté en vue d’un partage et ce qui est obtenu par le sort, le lot ; il est donc employé littéralement ou figurément, dans le sens de “ lot ”, de “ part ” ou de “ portion ”. (Jos 15:1 ; Ps 16:5 ; 125:3 ; Is 57:6 ; Jr 13:25.) La coutume de jeter les sorts avait cours dans les temps anciens pour trancher certaines questions. La méthode consistait à jeter des cailloux ou des petites tablettes de bois ou de pierre dans le pan d’un vêtement, le “ giron ”, ou dans un vase, puis à les secouer. La personne choisie était celle dont le sort (l’objet utilisé) tombait ou était tiré. Le tirage au sort, comme le serment, comprenait une prière. Celle-ci pouvait être prononcée ou simplement sous-entendue, mais l’intervention de Jéhovah était recherchée et attendue. Utilisations. Proverbes 16:33 dit : “ On jette le sort dans le giron, mais toute décision du sort vient de Jéhovah. ” En Israël, l’utilisation convenable du sort était celle qui permettait de mettre fin à une contestation : “ Le sort fait cesser les querelles, et il sépare même les puissants l’un de l’autre. ” (Pr 18:18). On n’y recourait pas pour se divertir ou pour miser de l’argent. Il n’y avait ni paris, ni enjeux ; ni gains, ni pertes. Le but n’était pas d’enrichir le temple ou les prêtres ni de financer des œuvres de charité. À l’inverse, les Romains envisageaient un gain égoïste lorsque, comme l’avait annoncé Psaume 22:18, ils jetèrent les sorts pour les vêtements de Jésus. — Mt 27:35. Le tirage au sort est mentionné pour la première fois dans la Bible en rapport avec le choix des boucs pour Jéhovah et pour Azazel le jour des Propitiations (Lv 16:7-10). À l’époque de Jésus, le grand prêtre effectuait ce tirage au sort dans le temple d’Hérode en prenant dans un récipient deux sorts faits, dit-on, de buis ou d’or. Les deux objets, dont l’un portait l’inscription “ Pour Jéhovah ” et l’autre “ Pour Azazel ”, étaient ensuite mis sur la tête des boucs. C’est par tirage au sort que fut déterminé l’ordre dans lequel les 24 divisions de la prêtrise effectueraient leur service au temple (1Ch 24:5-18). Les noms des chefs de maisons paternelles furent inscrits par le secrétaire des Lévites, puis vraisemblablement choisis l’un après l’autre. Les Lévites furent affectés de la même façon au service du temple comme chanteurs, portiers, trésoriers, etc. (1Ch 24:31 ; chap. 25, 26 ; Lc 1:8, 9.) Après le retour d’exil, on se servit des sorts pour organiser la fourniture du bois destiné au service du temple et pour désigner ceux qui devaient s’installer à Jérusalem. — Ne 10:34 ; 11:1. Il n’est pas explicitement question de sorts en rapport avec l’Ourim et le Thoummim que Moïse avait mis dans le pectoral porté par le grand prêtre (Lv 8:7-9) ; on ne sait d’ailleurs pas exactement ce qu’étaient cet Ourim et ce Thoummim. Cependant, ils étaient utilisés pour régler certains problèmes de la même manière que deux sorts. Il semble qu’en 1 Samuel 14:41, 42 l’Ourim et le Thoummim soient associés à un tirage au sort. On les appelle parfois les sorts sacrés. Lorsque, dans la nation, une question importante était soulevée, qu’il n’était pas possible de trancher, le grand prêtre se présentait devant Jéhovah et, au moyen de ces sorts sacrés, prenait connaissance de Sa décision. Jéhovah ordonna qu’on répartisse la Terre promise entre les 12 tribus en jetant les sorts (Nb 26:55, 56). Dans le récit détaillé du partage que donne le livre de Josué (chap. 14-21), le mot gôral, traduit par “ sort ” et par “ lot ”, apparaît plus de 20 fois. Les tirages au sort furent effectués devant Jéhovah, près de la tente de réunion qui se trouvait à Shilo, sous la direction de Josué et du grand prêtre Éléazar (Jos 17:4 ; 18:6, . Les villes lévitiques furent également choisies par le sort (Jos 21: . De toute évidence, Jéhovah accorda le résultat du tirage avec sa prophétie ancienne concernant la répartition générale des tribus. — Gn 49. On recourait au tirage au sort pour découvrir un coupable. Dans le cas de Yona, les marins jetèrent les sorts pour savoir qui attirait sur eux la tempête (Yon 1:7, . Yonathân fut désigné par le sort comme étant celui qui avait enfreint le serment insensé de Saül. — 1S 14:41, 42. Les ennemis d’Israël utilisaient les sorts pour répartir entre eux le butin et les prisonniers pris à la guerre (Yl 3:3 ; Ob 11). Hamân fit jeter “ le Pour, c’est-à-dire le Sort ”, procédé divinatoire avec lequel il détermina le jour propice pour l’extermination des Juifs dans tout l’Empire perse (Est 3:7). Pourim, le pluriel de ce mot, est à l’origine du nom de la fête des Pourim, aussi appelée fête des Sorts. — Est 9:24-26. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1200002775
Dernière édition par free le Ven 13 Oct 2023, 13:42, édité 1 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Mar 10 Oct 2023, 10:14 | |
| C'est amusant que la notion de "divination" soit soigneusement évitée, sauf pour les "païens", alors qu'en Israël (ou dans l'Eglise du début des Actes, cf. la suite) la pratique est sensiblement la même qu'ailleurs, d'après "la Bible" même.
Au-delà du champ lexical spécifique (goral etc.; c'est goral qui "traduit" pour, pourim, probable déformation du perse, en Esther; on a vu dans l'histoire d'Akan lkd pour "prendre", désigner une personne ou un groupe parmi plusieurs) le tirage au sort se reconnaît à ses effets dans le récit, par exemple chaque fois qu'on "interroge" (š'l, aussi "demander", d'où Saül ou she'ol; avec ou sans complément de divinité interrogée, les morts répondant comme les dieux, et inversement, cf. 1 Samuel 28) et que la réponse est sommaire, équivalant à un "oui", un "non" ou une absence de réponse (p. ex. deux blancs, deux noirs, ou un blanc et un noir, mais il y a bien des façons d'obtenir le même effet "réponse"; ainsi avec l'"éphod" quand il n'est pas comme dans la Torah simple vêtement sacerdotal, distinct de l'ourim-toummim, mais peut-être une sorte de bannière divinatoire). Dans l'histoire d'Akan (Josué 7) le contraste est saisissant entre un Yahvé qui répond à Josué par un oracle élaboré (v. 10-15), dans lequel il pourrait aussi bien désigner nommément le coupable, et le procédé de désignation qu'il prescrit et que la suite du récit décrit, où on arrive laborieusement au clan d'Akan par élimination (avec un certain effet de suspense). On pourrait également comprendre que Yahvé reconnaît le problème rituel et indique la procédure à suivre pour le résoudre, selon le schéma "technique" dont nous parlions plus haut (A. Marx), mais qu'il ne connaît pas lui-même le coupable... Pour le lecteur monothéiste, c'est à peu près la même différence "théologique" qu'entre le Yahvé guerrier surpuissant, sinon tout-puissant, qui donne la victoire par miracle (p. ex. Jéricho) et celui qui doit recourir à la ruse et au stratagème (p. ex. Aï, même après la "résolution du problème").
En ce qui concerne l'attribution de la terre (le cadastre, dirait Cazeaux), il faut se rappeler qu'elle s'inscrit à la base dans une conception polythéiste où tout ce qui relève du "lot" ou du (tirage au) "sort", notamment en matière de propriété ou de possession, de patrimoine ou d'héritage supposant répartition ou distribution (yrš, hlq, nhl; klèros, klèronomia, etc.), relève aussi d'une volonté divine ou supra-divine, décision du dieu suprême (El) ou de son "conseil", l'assemblée des dieux: à chaque dieu son peuple et sa terre, à chaque peuple son dieu et sa terre, à chaque terre son dieu et son peuple (et les vaches seront bien gardées), c'est la relation tripartite qu'on devine encore derrière des textes comme Deutéronome 32,8s ou Juges 11,22ss -- il n'y a pas en principe de "hasard" au sens moderne, "profane" ou "désenchanté", encore que la chose soit certainement interprétée de façon différente selon les milieux, plus ou moins savants et plus ou moins pieux. Dans le cas des tribus qui sont censées avoir le même dieu tutélaire la question se pose un peu différemment (c'est aussi un enjeu de l'autel sur le Jourdain, chap. 22), mais elle ressort bien dans le discours d'adieu de Josué où le rapport dieu-peuple-terre revient à plusieurs reprises (p. ex. 23,7.16; 24,2.14ss.20.23). |
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Mer 11 Oct 2023, 15:47 | |
| Abraham au-delà de l’idolâtrie André Wénin
« Ainsi parle Adonaï, Dieu d’Israël : Au-delà du Fleuve habitèrent vos pères depuis toujours, Tèrakh père d’Abraham et père de Nakhor, et ils servirent d’autres dieux. Et je pris votre père Abraham d’au-delà du Fleuve et je le fis aller dans toute la terre de Canaan… » (Jos 24,2-3a)
Dans ces quelques mots par lesquels Josué entame sa rétrospective de l’histoire du peuple qu’il va inviter ensuite à l’alliance avec Dieu, l’élection d’Abraham par Adonaï est liée à une rupture décisive avec l’idolâtrie de ses ancêtres, jusqu’à celle de son père Tèrakh. Mais pour la tradition juive, avant même d’être appelé, Abraham était attaché au Dieu unique. Voici ce que raconte le Midrash Rabba de la Genèse (38,10) :
Térah≥ était un fabriquant d’idoles. Un jour qu’il devait aller quelque part, il laissa Abraham vendre à sa place. […] Une femme, tenant un plat de farine, vint et lui dit : Prends et offre-le leur. Il se leva, prit un bâton, fracassa toutes les idoles et mit le bâton dans les mains de la plus grande. De retour son père s’écria : Qui a fait cela ? — Comment te le cacherais-je, répondit Abraham ! Une femme, tenant un plat de farine, est venue et m’a dit : Prends et offre-le leur. Et c’est ce que j’ai fait. Mais une idole s’est écriée : C’est moi qui mangerai la première. Une autre s’est écriée : Non, c’est moi ! La plus grande s’est alors saisie d’un bâton et les a toutes fracassées. — Que me racontes-tu, s’exclama Térah, elles ne comprennent rien ! — Père, répliqua Abraham, tes oreilles seraient-elles sourdes à ce que dit là ta bouche ! Térah se saisit d’Abraham et le livra à Nemrod [le roi]. Nemrod dit à Abraham : Adore le feu. — Autant adorer l’eau puisqu’elle éteint le feu ! — Eh bien, adore l’eau ! — Autant adorer les nuages puisqu’ils portent l’eau ! — Eh bien, adore les nuages ! — Autant adorer le vent (rouah) puisqu’il disperse les nuages ! — Eh bien adore le vent ! — Autant adorer l’homme qui porte (en lui) le souffle (rouah) ! — Tu me payes de mot ! Moi, je me prosterne devant le feu, je vais t’y jeter et que ce Dieu devant qui tu te prosternes vienne t’en délivrer ! Haran (le frère d’Abraham) était partagé : Si Abraham sort victorieux, méditait-il, je dirai : Je suis pour Abraham. Si Nemrod sort victorieux je dirai : Je suis pour Nemrod. Une fois Abraham jeté dans la fournaise ardente puis délivré, on demanda à Haran : Pour qui es-tu ? — Je suis pour Abraham ! On se saisit alors de lui et on le précipita dans la fournaise. Ses entrailles furent consumées et en sortant il mourut devant son père. C’est ce que le texte dit : « Haran mourut devant son père Térah ».
Cet amusant petit récit n’illustre pas seulement l’opposition du jeune Abraham à l’idolâtrie. Il est surtout plein d’enseignement sur la logique de l’idolâtrie qu’Abraham refuse. Sa façon de relater à son père la destruction des statuettes en dit long, en effet, sur ce que l’idolâtrie représente à ses yeux. Pour lui, le fond de l’attitude des idoles est la convoitise : chacune veut se jeter la première sur la farine offerte pour en profiter au maximum, quoi qu’il en soit des autres. À ce jeu de rivalité, le plus fort finit toujours par dicter sa loi aux autres et par les éliminer – ce que soulignent la mise en scène d’Abraham et le récit explicatif fait à son père ...
https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal%3A177634/datastream/PDF_01/view |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Mer 11 Oct 2023, 22:01 | |
| On trouve toujours des choses intéressantes dans les lectures éclectiques ou hétéroclites (catholiques, rabbiniques, psychanalytiques, etc.) de Wénin... La citation du Midrash Rabba rappellera aussi la confusion des personnages d'Abraham et de Gédéon / Yeroubbaal dans le Coran (dans les Juges c'est le second, lui-même sans doute confusion de deux personnages, qui détruit l'autel de son père, cf. ici 6.1.2016), et la suite de l'article une autre confusion classique entre Nemrod ou Nimrod et la tour de Babel, dont nous avons reparlé il n'y a pas très longtemps. Le texte de Josué 24,2, pour sa part, n'excepte absolument pas Abraham (au nom déjà "grandi", quoique "de l'autre côté du fleuve", c.-à-d. au nord-ouest de l'Euphrate, ce qui vaut aussi bien pour Harran que pour Our ou Ur; cf. v. 14s) du culte ou "service" d'"autres dieux" ( `bd, pluriel: Terah n'était pas le seul à les "servir"). On peut rappeler qu'en Genèse 35 la "mise à l'écart" ( swr, comme en Josué 24,14.23) des dieux (qui n'est pas une destruction, puisqu'on les enterre religieusement, dans un lieu sacré) est associée à Jacob (Genèse 35,2ss; même si l'on peut rattacher ces dieux-là à l'épisode des teraphim de Laban/Rachel, chap. 31). Dans la Genèse en général, comme on l'a maintes fois remarqué, le "monothéisme" est volontiers inclusif du polythéisme (c'est toujours le même dieu sous différents noms, et on respecte la différence des noms divins dans les relations "interethniques"), ce qui signifie qu'à tout le moins les dieux ne sont pas "jaloux" les uns des autres -- alors que par d'autres traditions on arrive au paradoxe d'un dieu jaloux même quand il n'a plus de rival (aussi en Josué 24,19; comparer le 'el 'elohim, "dieu des dieux" ou "El des dieux", du serment des tribus orientales en 22,22)... En tout cas on a bien dans le(s) discours d'adieu(x) de Josué un ou des textes très tardifs, qui supposent une Torah déjà bien formée et connue, de la Genèse au Deutéronome (ou plutôt du Deutéronome à la Genèse, selon un ordre de rédaction/compilation/édition plus vraisemblable): les textes comportant des résumés aussi complets (mentionnant à la fois Abraham, Isaac et Jacob, et Moïse et l'Exode), sont extrêmement rares dans l'"Ancien Testament", qui n'arrivent qu'à un stade avancé de la constitution du corpus (comparer p. ex. la "confession" de Deutéronome 26,5, où l'"origine" invoquée est "syrienne" ou "araméenne"). D'autre part il faut remarquer la dramatisation (en partie "rhétorique") qui fait de l'abandon de Yahvé une faute plus grave que de ne pas le choisir d'emblée, en lui préférant "d'autres dieux" -- chose d'autant plus étonnante que les Israélites sont supposés déjà "engagés" depuis le Sinaï: comme si on leur donnait une "dernière chance" de ne pas choisir Yahvé, qui serait bien une sorte d'"apostasie", mais moins sérieuse qu'une autre survenant plus tard -- ce qui renforce évidemment l'aspect "auto-malédiction" de l'"alliance" (vous êtes témoins contre vous-mêmes, 24,15.19ss; comparer 22,27ss et Deutéronome 4,26; 30,19; 31,19ss.26ss; 32,46; et les usages relativement banalisés de la Genèse, 21,30; 31,44ss). |
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Jeu 12 Oct 2023, 11:41 | |
| "Josué dit au peuple : Vous ne pourrez pas servir le SEIGNEUR (YHWH), car c'est un Dieu saint, c'est un Dieu à la passion jalouse : il ne pardonnera pas vos transgressions et vos péchés. Lorsque vous abandonnerez le SEIGNEUR (YHWH) et que vous servirez des dieux étrangers, il se retournera pour vous faire du mal et il vous exterminera, après vous avoir fait du bien. Le peuple dit à Josué : Non ! Nous servirons le SEIGNEUR (YHWH) . Josué dit au peuple : Vous êtes témoins contre vous-mêmes que c'est vous qui avez choisi le SEIGNEUR (YHWH) pour le servir. Ils répondirent : Témoins ! — Supprimez donc maintenant les dieux étrangers qui sont en votre sein et inclinez votre cœur vers le SEIGNEUR (YHWH), le Dieu d'Israël. Le peuple dit à Josué : C'est le SEIGNEUR (YHWH), notre Dieu, que nous servirons ; c'est lui que nous écouterons" (24,19-24)
La part intolérable : peut-on intégrer ce qu'on ne peut tolérer ? - Philippe Lefebvre
Les sept nations à éviter sont-elles six ?
À la fin du livre de Josué, la liste complète des nations reparaît : les sept peuples sont dûment cités, mais ils le sont dans une phrase si étrange qu'ils tendent à perdre leur substance ethnique pour devenir les prête-noms de tout étranger hostile. Le vieux Josué rappelle l'entrée en Terre promise, marquée jadis par la prise de Jéricho. Il dit ‡ son peuple : "Les maîtres de Jéricho vous ont combattus les Amorrhéens, les Perizzites, les Cananéens, les Hittites, les Guirgashites, les Hivvites et les Jébuséens mais je les ai livrés entre vos mains" (Josué 24,11). Les Hébreux ont bien conquis Jéricho dont les murailles sont miraculeusement tombées, mais nulle part il n'a été fait mention d'un combat organisé par les "maîtres de Jéricho". A cette dernière formule semblent apposés les noms de notre liste, comme si les leaders de la cité des bords du Jourdain résumaient à eux seuls ces nations tout entières. Entre resserrement communal (les bourgeois de Jéricho) et extension du domaine de la lutte (sept nations coalisées), notre phrase semble clôturer dans ce livre l'usage de la liste des nations conspuées en lui donnant une portée symbolique et peut-être ironique. Le peuple d'Israël a été mis à même de vaincre des ennemis, ses victoires locales (à Jéricho) ont pu avoir l'envergure de triomphes grandioses (sur sept nations !) ; il n'empêche que ce même peuple, aux dires de Josué, ne sera pas capable de servir le Seigneur (Josué 24, 19) et qu'il transporte encore avec lui des dieux glanés à l'étranger (Josué 24, 23). Vaincre les nations tout en s'appropriant leurs divinités revient peut-être à ne pas les avoir vraiment vaincues, voire à être vaincu par elles. L'ultime chapitre du livre de Josué jette donc le trouble : finalement, qui a vaincu qui ? La démarcation entre Israël et les (sept) nations est-elle toujours pertinente ? Face ‡ ces peuples qu'il faudrait combattre, Rahab, la prostituée de Jéricho, a établi une alliance sans précèdent avec les Hébreux, selon le deuxième chapitre du livre de Josué. Elle a ainsi sauvé sa vie et celle de tous les gens de sa cité qui s'étaient réfugiés chez elle. Cette Rahab "a habité au milieu d'Israël jusqu'à ce jour" (Josué 6, 25). Dans le corps même d'Israël, des dieux étrangers gisent toujours et des alliés inattendus fleurissent.
https://www.unifr.ch/at/fr/assets/public/files/Personen/Lefebvre/la-part-intol%C3%A9rable-colloque.pdf |
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Jeu 12 Oct 2023, 15:29 | |
| Toujours intéressant, le Philippe Lefebvre de Fribourg, avec une légèreté et un humour qui ne gâchent rien. Au-delà de Josué, tout l'article mérite d'être lu, sans grand mérite d'ailleurs parce qu'il se lit très agréablement: c'est un exploit, car une présentation systématique des multiples fluctuations des listes des "peuples étrangers / ennemis" et des "tribus d'Israël", où il y a plus d'exceptions que de règles, avait toutes les chances d'être assommante. A mon avis l'alternative théorique entre "intention" (d'"auteur") et "accident" se dissout d'emblée dans l'écriture (toute écriture et n'importe quelle écriture, même la "monographie" la plus maîtrisée de l'"auteur" le plus obsessionnel), a fortiori dans ce genre d'écriture qui se construit sur des générations avec une grande diversité d'"intentions" successives et simultanées, comme une cathédrale ou comme une langue... Comme indiqué dans mon post précédent, ce qui est traduit par "supprimer" (les dieux) dans la traduction que tu cites signifie plus proprement "écarter" ( swr, comme en Genèse 35). Sur la question que tu soulignes, "qui a vaincu qui ?", la citation d'Horace (n. 11 p. 33) mérite le détour: la victoire militaire de Rome sur la Grèce est une victoire culturelle de la Grèce sur Rome, c'est une observation classique en tous les sens du terme -- déjà romaine. Et on pourrait en dire à peu près autant de la défaite juive devant une Rome qui allait être christianisée (donc aussi judaïsée) quelques siècles plus tard -- à supposer que des "identités" collectives et transgénérationnelles comme "grec", "juif" ou "romain" conservent la moindre unité de sens au fil des siècles... Tout autre chose, mais toujours sur Josué, et sur la question de la "confession" dont on parlait aussi ici et là aujourd'hui même: la formulation extraordinairement douce et polie de l'adjuration à Akan en 7,19, qui détonne par rapport au contexte, m'avait frappé dès mes premières lectures de la Bible: "S'il te plaît ( na') mon fils, donne gloire à Yahvé, dieu d'Israël, et rends-lui grâce (ou louange, toda, de ydh associé dès Genèse 49,8 à "Juda" dont Akan est prince; toda est devenu l'équivalent de notre "merci" en hébreu moderne); s'il te plaît ( na'), révèle-moi ce que tu as fait, ne me le cache pas." |
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Ven 13 Oct 2023, 11:09 | |
| D’Abraham à la conquête - L’Hexateuque et l’histoire d’Israël et de Juda Thomas Römer
Pentateuque et Hexateuque
C’est donc à l’époque perse que se sont construites l’histoire et les lois fondatrices des Judéens en diaspora et dans le pays, ainsi que des Samaritains. Cette construction de la Torah s’accompagnait d’un débat sur l’étendue de cette Torah : fallait-il un Penta- ou un Hexateuque ? Jos 24 a été depuis longtemps compris comme la tentative d’inclure le livre de Josué dans le document fondateur du judaïsme, puisque Josué y récapitule selon l’expression heureuse de Gerhard von Rad un « Hexateuque en miniature », tout en étant présenté ensuite comme un deuxième Moïse qui conclut une alliance entre Yhwh et le peuple et donne à celui-ci des lois et des coutumes (Jos 24, 25). La localisation du dernier chapitre de cet Hexateuque à Sichem a certainement dû obtenir la faveur des Samaritains ; la figure de Josué joue d’ailleurs un rôle important et positif dans la tradition samaritaine . C’est finalement le « projet Pentateuque » qui l’a emporté, sans doute parce que la perspective de l’Hexateuque est celle de la possession du pays, alors que le Pentateuque se termine avec la mort de Moïse en dehors du pays et avec l’insistance sur sa fonction de médiateur incomparable (Dt 34, 10-12) . La finale du Pentateuque correspond davantage à une situation de diaspora, et c’est sans doute pour cette raison que le Pentateuque, la Torah de Moïse, s’est imposé comme document fondateur du judaïsme naissant.
Cela signifie-t-il que la trame narrative de l’Hexateuque soit une construction de l’époque perse ou s’agit-il simplement d’une rédaction et d’un élargissement d’une histoire déjà contenue dans un document plus ancien? Cette dernière option a de nombreux supporteurs qui posent la question, légitime, de savoir si l’on peut imaginer une histoire de l’exodos sans que celle-ci soit suivie d’un eisodos. Cette idée reçoit un certain soutien de textes comme le « petit credo » en Dt 26, 5-9 et d’autres (Dt 6, 21-23 ; Ps 136) qui présentent la libération d’Égypte et le don du pays comme une seule action salvatrice de Yhwh. Pour cette raison, Gertz, Knauf et d’autrespostulent l’existence d’un « Hexateuque » présacerdotal qui, de fait, n’en est pas un, puisqu’il s’agit seulement d’une narration couvrant l’Exode et la conquête. À l’exception de R. , qui a tenté de reconstruire cette narration verbatim, la plupart des avocats d’un ancien Hexateuque reconnaissent qu’il est impossible de le reconstruire. Puisque le livre de Josué se présente dans un style deutéronomiste et apparaît étroitement lié au livre du Deutéronome, il n’est guère possible de trouver dans ces textes une trame narrative qui aurait été la suite directe du récit de la sortie d’Égypte. Faut-il alors revenir à une intuition de M. Noth, qui, jadis, avait été très critiquée, à savoir que l’ancien récit de la conquête aurait été supprimé en faveur de la version deutéronomiste du livre de Josué ? Si l’on ne peut donc exclure un récit préexilique de la sortie d’Égypte et de la conquête, celui-ci ne se laisse guère reconstruire sur le plan littéraire. Et un tel récit n’a certainement pas englobé les traditions patriarcales.
https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2015-1-page-35.htm#re14no14
La canonisation du Pentateuque Thomas Römer
Penta- ou Hexateuque ?
Apparemment, il y avait une coalition de scribes et de prêtres qui voulaient intégrer, dans la Torah, le livre de Josué qui à l’époque de la promulgation de la Torah existait déjà. Pour ce faire, ils ont intégré, dans la Torah, des versets qui rendent nécessaire le livre de Josué pour qu’ils deviennent compréhensibles.
Nous nous contentons de deux exemples : le premier concerne la promenade des ossements de Joseph. En Genèse 50,25, avant sa mort, Joseph ordonne à ses frères d’emporter ses ossements lorsqu’ils partiront du pays d’Égypte ; et c’est, en effet, ce qu’ils font selon Exode 13,19. Mais, ensuite, dans le Pentateuque cela devient un motif aveugle car ces ossements ne sont plus mentionnés. Pour savoir ce qui est arrivé aux ossements de Joseph, il faut, de fait, lire la fin de Josué 24 (v. 32) qui relate l’enterrement des ossements de Joseph.
Le deuxième exemple concerne la durée du don de la manne. Selon Exode 16,35 :
« Les fils d’Israël mangèrent de la manne pendant quarante ans jusqu’à leur arrivée en pays habité ; c’est de la manne qu’ils mangèrent jusqu’à leur arrivée aux confins du pays de Canaan.
Dans le Pentateuque, on ne sait pas quand la manne s’est arrêtée. Il faut lire Josué 5,12 :
La manne cessa le lendemain, quand ils mangèrent des produits du pays. Il n’y eut plus de manne pour les Israélites ; ils mangèrent des produits de Canaan cette année-là.
L’idée d’un Hexateuque se trouve surtout dans le dernier chapitre du livre de Josué (ch. 24). Au chapitre 23, Josué fait un discours d’adieu dans lequel il annonce sa mort. Curieusement, au chapitre 24, on trouve un deuxième discours d’adieu, dans lequel Josué récapitule tous les événements depuis Abraham jusqu’à l’entrée dans le pays.
Ce résumé est comme l’avait déjà observé Gerhard von Rad, « un Hexateuque en miniature ».
Josué 24 construit en effet Josué comme un deuxième Moïse.
25 Josué conclut une alliance (berît) avec le peuple en ce jour-là ; il lui fixa des lois et des coutumes à Sichem. 26 Josué écrivit ces paroles dans le livre de la Loi de Dieu (sepher torat-’elohîm). Il prit une grande pierre qu’il dressa là, sous le chêne, dans le sanctuaire de Yhwh.
L’expression sepher torat-’elohîm est très rare et ne se retrouve dans la Bible hébraïque qu’en Néhémie 8,8 et 18.
« 17 Toute l’assemblée – ceux qui étaient revenus de la captivité – fit des huttes et habita dans ces huttes. Or, depuis le temps de Josué fils de Noun jusqu’à ce jour, les fils d’Israël n’avaient pas fait cela. Ce fut une très grande joie. 18 On lut dans le livre de la Loi de Dieu chaque jour, depuis le premier jour jusqu’au dernier ».
On peut alors supposer que l’expression « livre de la loi de Dieu » était le titre que l’on voulait donner à l’Hexateuque, alors que le nom « livre de la loi de Moïse » (sepher torat moshê) désignait, dès l’époque perse, le Pentateuque.
Cette alternative entre un Hexa- et un Pentateuque se reflète aussi dans le récit de la mort de Moïse en Deutéronome 34 :
Après le récit de la mort de Moïse (v. 5-7), les versets 8-9 font une transition directe avec l’époque de Josué :
8 Les fils d’Israël pleurèrent Moïse dans les vallons de Moab pendant trente jours. Puis les jours de pleurs pour le deuil de Moïse s’achevèrent ; 9 Josué, fils de Noun, était rempli d’un esprit de sagesse, car Moïse lui avait imposé les mains ; et les fils d’Israël l’écoutèrent, pour agir suivant les ordres que Yhwh avait donnés à Moïse.
64Après ces versets, on peut passer directement à Josué 1,1 :
Après la mort de Moïse, serviteur de Yhwh, Yhwh dit à Josué, fils de Noun, auxiliaire de Moïse….
Cependant les protagonistes du Pentateuque ont ajouté à Deutéronome 34,8-9 les versets 10-12 qui introduisent une césure qualitative entre le Pentateuque et les livres suivants:
Deutéronome 34 : « 10 Plus jamais en Israël ne s’est levé un prophète comme Moïse, lui que Yhwh connaissait face à face, 11 lui que Yhwh avait envoyé accomplir tous ces signes et tous ces prodiges dans le pays d’Égypte devant le Pharaon, tous ses serviteurs et tout son pays, 12 ce Moïse qui avait agi avec toute la puissance de sa main, en suscitant toute cette grande terreur, sous les yeux de tout Israël ».
Ces versets font clairement une coupure avec l’histoire suivante. Il pourra y avoir des prophètes mais aucun d’eux n’égalera la figure de Moïse.
https://www.cairn.info/revue-communio-2019-5-page-23.htm?ref=doi |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Ven 13 Oct 2023, 14:17 | |
| Deux articles importants et relativement récents de Römer (2015, 2019), qui se recoupent et se complètent en partie. Dans le premier, en ce qui concerne Josué il faut aussi lire la dernière section (à partir de l'intertitre "Josué, Josias et la conquête", § 25ss -- j'accède de nouveau aux documents du site Cairn sous ce format, sans avoir compris pourquoi ça s'était interrompu): on y trouvera notamment des analogies avec les textes assyriens, à l'appui de l'idée de la constitution d'un premier récit de conquête à l'époque de Josias (mais qu'à mon avis on pourrait aussi bien faire remonter à Ezéchias, sans oublier Manassé, voir supra 22.8.2023)...
L'enjeu "judéo-samaritain" est en effet crucial pour toute cette histoire, et il n'est pas facile à comprendre à partir de "l'histoire sainte" que nous connaissons, telle qu'elle s'est construite à partir de la "Bible juive", proto-massorétique. Par "juive" il faut bien entendre judéenne ou plutôt judéo-babylonienne, puisqu'il s'agit des exilés revenus ou non en Judée, par opposition à ceux qui ne sont jamais partis, le "peuple du pays" qui va paradoxalement passer pour "étranger" aux yeux de la communauté de Jérusalem et de la diaspora à mesure que les relations entre Samarie et Jérusalem et leurs temples respectifs s'enveniment, et que le rapport de force entre les deux "capitales" ou "chefs-lieux" s'inverse (Samarie étant la capitale provinciale sous l'empire perse, cf. Esdras-Néhémie, et passant sous le joug de Jérusalem à l'époque hellénistique, jusqu'à la destruction du temple du Garizim par les hasmonéens). Le rapport variable aussi bien aux "patriarches" de la Genèse qu'à Moïse et Josué (donc aussi aux conceptions d'un "penta-/hexa-teuque") est directement fonction de ce rapport historique, à la fois religieux et politique, tantôt négocié et tantôt violemment conflictuel, entre ces deux partis: nous ne connaissons a priori que la version des "vainqueurs" judéens, encore réduite par la standardisation pharisienne des textes après les guerres judéo-romaines; il y a donc beaucoup à "déconstruire" pour commencer à entrevoir une "histoire" vraisemblable.
[Par coïncidence, je suis tombé l'autre jour sur une vieille traduction du Traité théologico-politique de Spinoza (par J.G. Prat, 1872, rééditée par Bernard Pautrat en 2015), qui est évoqué dans le premier paragraphe du premier article: c'est une tarte à la crème de toutes les introductions à la critique historico-littéraire de l'AT, mais je ne l'avais jamais lu et c'est fort intéressant -- 350 ans plus tard on a l'impression d'un curieux mélange d'intuitions géniales et d'un reste de naïveté confondante, un peu comme quand le soleil déchire la brume, celle-ci comptant au moins autant que celui-là dans la beauté du spectacle...] |
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Ven 13 Oct 2023, 15:13 | |
| "Comme Josué était à Jéricho, il leva les yeux et regarda : un homme se tenait en face de lui, son épée tirée. Josué marcha vers lui et lui dit : Es-tu pour nous ou pour nos adversaires ? Il répondit : Je suis le chef de l'armée du SEIGNEUR ; maintenant je suis arrivé. Josué tomba face contre terre, prosterné, et lui dit : Qu'as-tu à me dire, mon seigneur ? Le chef de l'armée du SEIGNEUR dit à Josué : Ote tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est sacré. Josué fit ainsi" (5,13-15).
La vision du « chef de l'armée de YHWH » par Josué en Josué 5,13-15 renvoie à la vocation de Moïse en Exode 3.
Variations et constantes dans la figure de l'ange de YHWH
La réflexion théologique est bien plus prononcée dans les traditions sur l'Exode, mais le fait que la théophanie de l'ange y soit mêlée à celle du nom, de la face, de la tente et de la nuée, et le mélange du naturel et du surnaturel ne permettent pas d'en saisir exactement la spécificité 15 . Le mal'ak tient une place non négligeable dans la sortie d'Egypte et dans l'entrée dans la terre promise et signifie la présence tantôt salvifique tantôt menaçante de Celui qui dirige la marche. Toujours en mouvement l'ange passe de l'avant à l'arrière pour mieux protéger les Israélites de la poursuite des Egyptiens, mais il prend par là même le risque de s'exposer davantage aux attaques de ces derniers (Ex 14.19), rôle qu'il partage d'ailleurs avec la colonne de nuée (20). Entre le Code de l'Alliance et le récit de la conclusion de l'alliance au Sinaï le rédacteur a inséré une série de recommandations où Loi et Alliance sont placées sous la garantie du mal'ak (Ex 23.20-33). Ce dernier est revêtu d'une autorité souveraine, car la puissance de Dieu, contenue dans son nom, et présente réellement en lui et lorsque le peuple rencontrera l'hostilité, Dieu sera avec lui s'il observe ses consignes ; sinon les ennemis auront le dessus. La scène se répète au chapitre 33 après l'épisode du veau d'or qui a mis en question la réalité de l'alliance, et aussi la présence même de Dieu qui se retire, affirmant qu'il ne montera pas avec le peuple, car il ne pourrait faire autrement que de l'anéantir. Mais ce Dieu momentanément absent confie néanmoins la tâche de conduire le peuple à Moïse et à l'ange. Moïse et l'ange ne sont pas confondus : l'ange doit être le gardien de Moïse et le rendre apte à accomplir sa mission en lui promettant la présence de Dieu, même si elle est voilée.
On retrouve l'ange lors de la conquête. C'est lui qui est présent dans la mystérieuse figure du «Chef des armées de Yahweh » qui avec son épée dégainée rappelle à Josué que la terre qu'il va recevoir appartient à Dieu, à un moment où on pouvait être tenté de l'oublier et de s'en attribuer le mérite (Josué 5.12-15) et lorsque la conquête est achevée l'ange de Yahweh rappelle à son peuple, comme au temps de l'exode, ses manquements aux clauses de l'alliance, ses complaisances pour le paganisme et les invite à un acte d'humiliation (Juges 2.1-5)
https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1988_num_68_4_4990 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Ven 13 Oct 2023, 15:51 | |
| J'avais trouvé particulièrement stimulant, sur ce passage, le commentaire de Cazeaux, dans l'article que tu avais cité supra 28.9.2023, § 13, sous l'intertitre "Une signature symbolique". On se demande déjà ce que Josué fait à Jéricho qu'il n'a pas encore prise; il y a un "non" (l'/lo') qui n'est pas traduit parce qu'il fonctionne mal en français en réponse à une question alternative (pour nous ou pour nos adversaires, "oppresseurs" selon Cazeaux), on pourrait dire "ni l'un ni l'autre" mais ce serait un peu surtraduire. En tout cas le signe de dépossession au moment de l'"entrée en possession" est remarquable, d'autant que le "lieu" qui renvoie à l'Horeb-Sinaï de Moïse et du buisson ardent est suprêmement ambigu: est-ce Jéricho, Canaan, ou un "lieu" insituable, qui est aussi bien un instant, où Josué-Jésus se tient (debout) alors qu'il est prosterné ? Texte mystérieux, comme le combat nocturne de Jacob avec l'homme-ange-dieu-El au passage du Yabboq, Genèse 32, Osée 12, la lutte de Moïse ou de Séphora avec Yahvé au retour de Madian, Exode 4...
J'ai vu après coup l'article plus ancien d'Edmond Jacob (1988), qui est intéressant aussi. Dans un sens il est utile, et inévitable, de rapprocher et de comparer toutes les "figures intermédiaires" de la divinité présumée unique, surtout quand elles se présentent elles-mêmes comme unique, tel "l'ange-messager (ml'k / aggelos) de Yahvé" (selon le sens ordinaire de l'"état construit" hébreu avec un nom propre qui vaut déterminant comme l'article: ce n'est pas "un ange-messager de Yahvé"; sens qui se reporte vraisemblablement, mais non plus nécessairement, sur son calque grec, aggelos kuriou). Mais il faut être d'autant plus attentif aux différences de formulation, et ne pas se hâter de ranger dans la catégorie de l'"ange" (devenu pour nous désignation de "nature" ou d'"espèce", quelque chose entre "homme" et "dieu", et non plus de fonction, comme "messager / envoyé" qui peut aussi bien être un homme) des textes comme celui-ci qui ne disent pas ml'k, mais sr/sar, "prince" ou "chef" (terme qui s'applique aussi à des humains). Ici on a d'abord "homme" ('ish / anthrôpos), puis "chef/prince de l'armée de Yahvé" (sr-çb'-yhwh / arkhistratègos [dunameôs] kuriou, "archistratège [de la puissance] de Seigneur"), mais point d'"ange-messager" (ml'k / aggelos). |
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Mar 17 Oct 2023, 10:33 | |
| Un drame au long cours Enjeux de la «lecture continue» dans la Bible hébraïque
1. Les hommes-récits
Dans une série de textes, la conscience qu’a Israël de son identité narrative prend la forme d’un récit dans le récit . Paul Beauchamp a repéré au sein du canon biblique «un dispositif qu’on pourrait appeler une institution du raconter, qui est l’alliance», lié à des personnages qu’il appelle, à la suite de Tzvetan Todorov, des «hommes-récits». En des moments-clés du récit, l’un des personnages du récit-cadre (Moïse, Josué, Samuel, des représentants du peuple, le père de famille) énonce au profit d’une génération nouvelle d’auditeurs un abrégé du récit fondateur, parcourant les étapes de l’histoire canonique du peuple (ainsi en Nb 20,14-16; Dt 26,5-10; Jos 24,2-13; 1 S 12,8; Ne 9,6-31; Jdt 5,6-19). Il le fait à partir d’un butoir de départ qui peut varier – la création, l’appel d’Abraham, la sortie d’Égypte – mais porte presque invariablement le récit jusqu’à l’«aujourd’hui» de son énonciation (voir en particulier Nb 20,17; Dt 26,10; Jos 24,14-15; Ne 9,32-37; Jdt 5,20-21). Le cas est particulièrement impressionnant dans le discours de Josué en Jos 24,14-27; la narration de l’histoire y est déléguée au «je» divin avant que Josué fasse lui-même déboucher le récit sur un «et maintenant» caractéristique: «C’est de l’autre côté du Fleuve qu’ont habité autrefois vos pères, Tèrah père d’Abraham et père de Nahor, et ils servaient d’autres dieux. Je pris votre père Abraham de l’autre côté du Fleuve et je le conduisis à travers tout le pays de Canaan, je multipliai sa postérité et je lui donnai Isaac […]. Maintenant donc, craignez Yhwh et servez-le avec intégrité et fidélité. Écartez les dieux qu’ont servis vos pères de l’autre côté du Fleuve et en Égypte, et servez Yhwh» (v. 2-3 et 14). La reprise narrative peut prendre une forme extrêmement ramassée; elle se limite à un verset en 1 S 12,6 («Yhwh qui agit avec Moïse et Aaron et qui fit monter vos pères du pays d’Égypte») et à deux versets en Nb 20,15-16 («Et nos pères descendirent en Égypte et nous demeurâmes de longs jours en Égypte, mais les Égyptiens nous maltraitèrent, nous et nos pères. C’est pourquoi nous criâmes crié vers Yhwh et il entendit nos cris, et il envoya un ange, et nous fit sortir d’Égypte»). Le noyau narratif de la sortie d’Égypte en sa séquence minimale suffit pour inscrire une irréversibilité dans l’histoire, qui affecte toute l’histoire, antérieure et subséquente. Le rappel peut, à partir de ce noyau, s’étendre progressivement. Il énonce alors une histoire canonique qui épouse le «continuum» narratif de l’Exode et des livres qui l’entourent (en Jos 24, Ne 9, Jdt 511). Dans sa reprise, Jos 24 reproduit en l’abrégeant la narration des livres de la Genèse (depuis Gn 12), de l’Exode, des Nombres (en incluant des échos au Deutéronome) et de Josué, en respectant les séquences internes dans les livres en question.
II. UNE POÉTIQUE NARRATIVE À GRANDE ÉCHELLE
Le livre de Josué ne se termine pas sans que les ossements en question soient enterrés dans le territoire de la tribu de Joseph (voir Gn 48,21-22): «Quant aux ossements de Joseph, que les fils d’Israël avaient emportés d’Égypte, on les ensevelit à Sichem, dans la portion de champ que Jacob avait achetée pour cent pièces d’argent aux fils de Hamor, père de Sichem; ils firent partie du patrimoine des fils de Joseph» (Jos 24,32).
https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2011_num_42_3_3944 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Mar 17 Oct 2023, 13:49 | |
| Merci pour cet article très important de J.P. Sonnet (2011), sur la narrativité du "grand récit" qui est constitutive de "la Bible" (juive ou chrétienne) et de l'"histoire sainte", par là même inséparables -- mais aussi bien de n'importe quelle "culture" et de ses corpus (littéraires et/ou traditionnels). Parce qu'il s'agit justement de "la Bible" et que l'auteur est religieux (jésuite, si j'ai bien compris), j'éprouverais cependant le besoin de dissiper -- sans doute à mon détriment, comme eût dit le cardinal de Retz -- une ambiguïté qu'il me semble entretenir un peu trop prudemment. Rien en effet ne ressemble plus à la "logique narrative" du "grand récit" que le "Dieu" des monothéismes, à la fois "auteur" ou "inspirateur" des livres sacrés, créateur du monde et maître de l'histoire et des événements petits et grands, sujet absolu derrière tous les sujets humains, auteurs, rédacteurs, lecteurs, locuteurs, acteurs. Comme si tout ce qu'on peut ou croit "comprendre" se rapportait d'une façon ou d'une autre, à tort ou à raison, à son "intention" infaillible.
Je parlais plus haut (12.10) de langue et de cathédrale, je voudrais tâcher d'expliquer un peu ce que je voulais dire, même si je l'ai souvent fait: une langue comme le français n'a été "créée" ou "inventée" par personne, et elle fonctionne pourtant selon une indéniable "logique" qu'on peut après coup développer en grammaire, avec ses règles et ses exceptions d'usage qui n'auront été décidées par personne, quand bien même une académie s'efforce après coup de les répertorier et de les standardiser. Cette "logique" résulte d'un processus intégralement "aléatoire" dans un sens, intégralement "intelligent" dans un autre, dans la mesure où il implique l'interaction de milliers ou de millions d'"intelligences" simultanées et successives (les locuteurs). A un moindre degré la cathédrale, si elle est bâtie sur plusieurs générations (comme les fameux 107 ans de N.D. de Paris), commence bien avec un projet et un plan initial, mais celui-ci va évoluer avec les architectes, les maçons et les événements successifs, abandonné, repris avec de nouveaux plans, de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques et de nouveaux moyens, de nouvelles intentions qui devront néanmoins faire avec l'existant, pour arriver à un résultat qui ne correspondra à aucune "intention", ni celle du premier concepteur, ni celle du dernier, et où il y aura cependant toujours quelque chose à "comprendre" (a fortiori une "ville" construite, démolie, rebâtie sur plusieurs siècles ou millénaires). Par là même ces exemples "humains" et "intelligents", quoique non maîtrisés par une (seule) "intelligence" surplombante, en rejoindraient d'autres, non "humains", animaux, végétaux, minéraux, dans ce que nous appellerions la construction d'un paysage ou d'un écosystème, forêt ou désert, qui ne sont assurément décidés par personne mais qui nous semblent toujours régis par une "logique" et répondant à une "intelligence".
En somme, je vois la constitution de "la Bible" ou de "l'Histoire sainte" à peu près de la même manière: personne n'en a jamais vraiment décidé, mais c'est arrivé comme ça et pas autrement. Et au fil des rédactions il était inévitable que les fils (pluriel de fil) laissés pendants (comme le coffre-arche-sarcophage de Joseph qui précède et encadre son homologue rituel) soient repris un peu plus tard et plus loin par quelqu'un d'autre, aussi longtemps du moins que le texte n'était pas fixé, figé, standardisé et canonisé...
En ce qui concerne Josué 24, on peut remarquer que le "je" divin est bien introduit dans le discours de Josué (v. 2a: voici ce que dit Yahvé le dieu d'Israël), mais que le retour du "je" de Josué (v. 15b, quant à moi et ma maison) arrive sans crier gare, de sorte que le lecteur et a fortiori l'auditeur se demande depuis quand ce n'est plus Yahvé qui parle (p. ex. v. 14) et serait obligé, pour le savoir, de revenir en arrière, ce qu'évidemment l'auditeur peut moins facilement faire que le lecteur... Mais c'est un cas fréquent dans la combinaison de la narration et des discours (cf. Jean 3 où à plusieurs reprises on ne sait plus qui parle, Jean, Jésus ou le narrateur).
Au passage, je note le détail des "frelons" (çr`h, féminin singulier, seulement Exode 23,28; Deutéronome 7,20; Josué 24,8 ) qui est une curiosité et une énigme lexicographique: le mot ressemble à la "lèpre" (çr`), mais comme le "fléau" n'est jamais raconté ni décrit, seulement évoqué allusivement au futur ou au passé, on ne peut que deviner de quoi il s'agit, la lexicographie ayant oscillé, par analogie avec l'arabe ou d'après l'hébreu rabbinique, entre zoologie (frelons, guêpes, désignés collectivement au singulier, de Gesenius à BDB) et psychologie (découragement, etc., HAL) -- un peu comme notre "cafard" en somme. |
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Mer 18 Oct 2023, 11:15 | |
| L ’INSTITUTION DE LA GUERRE SAINTE AU DESERT A LA LUMIERE DE L’ALLIANCE MOSAÏQUE
D'après Jos. 24, les tribus hébraïques ont conclu à Sichem un pacte qui les liait entre elles et à Yahvé. Dans cet événement l’on voit communément l’inauguration du Système ou Fédération des Douze Tribus et la naissance d’Israël comme nation.2 Ce chapitre est aussi un des témoins les plus dignes de foi de cette tradition liturgique, juridique et littéraire, qui forme la base de ce qu’on appelle l’institution de l’Alliance.3
D’autre part, G. von Rad a montré la présence vitale d’une autre institution cultuelle dans les milieux amphictyoniques, à savoir, la Guerre Sainte.4 L’on ne peut mettre en doute les attaches toutes spéciales qui lient l'institution de la Guerre Sainte à l’Israël de la Fédération. Tout comme la liturgie de l'Alliance, le rite de la Guerre Sainte est une partie intégrante des structures de l’amphictyonie israélite. C’est aussi à cette époque, sans doute, que la tradition de la Guerre Sainte reçut cette consistance idéologique et rituelle qui lui permettra de se développer et de recevoir, soit chez les prophètes c dans les livres historiques, soit enfin dans la piété collective ou individuelle, maintes applications dans le domaine très général des relations de l’homme avec Dieu.5
Si G. von Rad a dûment mis en relief les attaches de la Guerre Sainte avec l'amphictyonie, il l’a fait, cependant, aux dépens de la période précédente, celle du désert. La conviction de l’Auteur est que l ’institution de la Guerre Sainte ne se présente comme une réalité historique qu’à partir de l’installation des Hébreux en Canaan. De l’existence d’une telle institution antérieure à l’amphictyonie, nous ne savons rien de précis; bien plus, la critique historique impose, à cet égard, la plus grande des réserves. Quelle confiance, en effet, peuvent bien nous inspirer les traditions historiques du désert et de la conquête, traditions qui, dans leur état actuel, reflètent l’influence prépondérante d’un milieu religieux bien postérieur?6
1) La Guerre Sainte
La Guerre Sainte est une institution religieuse de l’ancien Israël, comprenant un ensemble d'éléments rituels et une idéologie bien définie.
a) Eléments rituels :
— les combattants doivent être en état de pureté rituelle, « sanctifiés »; ils sont astreints à la continence;
— l’obligation de pureté rituelle s’étend au camp lui-même, car Yahvé y est présent;
— même les armes dont on se servira contre l’ennemi sont consacrées;
— lorsqu’il s’agit d’un appel aux armes motivé par une défaite précédente ou tout simplement par le désir de secouer le joug d'un oppresseur, l’armée se soumet à une liturgie de pénitence et de lamentation;
— des sacrifices aussi étaient offerts en vue du combat imminent;— une particulière importance revêtait le rituel de la consultation de Yahvé, qui se faisait avant le combat et au moyen de l’ephod et des sorts sacrés;
— l’Arche aussi jouait un rôle prééminent : signe visible de la présence de Yahvé, elle était le « palladium » d’Israël;9
— le signal du combat était donné pour la teru'ah . une espèce de cri de guerre rituel, qui avait aussi pour effet de semer l’effroi dans le camp ennemi;10
— à l’occasion des guerres saintes, des vœux étaient prononcés qui concernaient parfois des sacrifices d’actions de grâces11 et souvent la mise en exécution de l’anathème exterminateur, le terrible hérèm.
— le hérèm, l’anathème exécuté sur l’ennemi vaincu et sur ses biens, était certainement une affaire cultuelle, obéissant non seulement à une mentalité mais à un rituel déterminé. Avec cet acte tellement étranger à la mentalité de l’homme d’aujourd’hui, une guerre sainte recevait son couronnement rituel.
1 - Prologues historiques de l’Alliance
Jos. 24. Il est normal de commencer par ce texte très important. Comme nous l’avons dit (p. 4 et n. 2), tout le monde s’accorde maintenant pour y voir un témoin très authentique du pacte de Sichem et de la naissance de la Fédération des Douze Tribus. La haute antiquité de ce texte — certainement antérieur à J et à E dans sa forme originale —, est montrée par la fidélité qu’il présente à la structure typique de l'Alliance, telle que nous la connaissons d’après les modèles hittites30 et telle qu’elle vivait au second millénaire.31
La valeur de ce chapitre dans son ensemble se reflète naturellement dans les vv. 2-13 qui en constituent le prologue historique. Celui-ci, débarrassé des apports rédactionnels successifs, présente lui aussi un caractère très ancien. Cette ancienneté est indiquée par la manière dont est présentée l’histoire du salut. La division de celle-ci en périodes successives suit le schéma classique et original de la Heilsgeschichte. 33 De plus, l’insistance sur les seuls faits objectifs de cette Histoire, à l’exclusion de tout développement parénétique, est un signe en plus de la grande affinité que présente ce texte avec les plus anciennes professions de foi du culte israélite.34 Or, ce texte ancien présente trois des périodes essentielles de l’Histoire du Salut comme autant de Guerres Saintes. L'Exode, en effet, la Marche au Désert, la Conquête de Canaan, sont décrits en de termes appartenant, avec évidence, à l’idéologie de la Guerre Sainte. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Mer 18 Oct 2023, 12:03 | |
| Voir par exemple ici (1963).
Comme on l'a vu, le paradigme exégétique et historico-critique (au moins francophone ou européen-continental) s'est complètement renversé depuis les années 1960 (qui récitaient naturellement des synthèses antérieures, Noth ou von Rad, des années 1930 aux années 1950): quasiment plus personne ne prend aujourd'hui Josué 24 pour un texte ancien, témoin d'un Israël non seulement pré-exilique mais pré-monarchique -- avec l'idée d'une "amphictyionie" ou alliance historique des tribus antérieure à la royauté (laquelle ?); c'est bien l'image que présente Josué et avec lui l'"Histoire sainte", ou le "grand récit biblique" comme dirait Sonnet, mais ce n'est plus du tout ce dont peut parler une "histoire d'Israël" au sens moderne, scientifique, archéologique et épigraphique: une histoire distincte d'"Israël", dans un sens politique, commencerait plutôt à Samarie vers le VIIIe s. av. J.-C.
De même pour la notion de "guerre sainte": n'en déplaise à Cazeaux il y a bien de la "guerre sainte (sacrée, consacrée, qdš)" en Israël et dans les textes bibliques, mais à mon avis elle ne se distingue nullement des pratiques et des formules rituelles liées à la guerre dans tout le Proche-Orient ancien. Il y a une énorme aberration méthodologique (un "biais", comme on dit maintenant en franglais) à répertorier tous les traits rituels associés à la guerre dans un corpus quelconque ("biblique" en l'occurrence) pour les constituer en un (seul) rituel spécifique, distinctif et cohérent qui serait "LA guerre sainte" israélite ou biblique, différente de toutes les autres... Mais c'est facile à dire un demi-siècle plus tard, quand tout le monde (ou presque) s'en est aperçu. |
| | | free
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| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Jeu 19 Oct 2023, 12:01 | |
| D’Abraham à la conquêteL’Hexateuque et l’histoire d’Israël et de Juda Thomas Römer Le lien entre Patriarches et Exode et l’importance du document sacerdotal Le lien thématique et littéraire entre les Patriarches et l’Exode paraît aujourd’hui être une création tardive. En effet, les récits d’Abraham, d’Isaac et de Jacob peuvent se lire comme une histoire des origines du peuple qui ne nécessite nullement une suite. De même l’histoire de la sortie d’Égypte n’a pas besoin de l’histoire des Patriarches, mais offre une autre narration sur les origines allochtones des Hébreux. De nombreuses observations parlent en faveur d’une connexion récente entre les Patriarches et l’Exode. De nombreux sommaires historiques à l’intérieur de la Bible hébraïque font débuter l’histoire avec la situation des Hébreux en Égypte (par ex. Ez 20 ; Ps 78 ; 106 et 136) sans mentionner les Patriarches et lorsque Dieu présente à Moïse le pays vers lequel il doit conduire les Hébreux, ce pays est longuement décrit, mais sans référence aucune à une promesse faite à Abraham, Isaac et Jacob (Ex 3, . Le premier qui conçoit explicitement ce lien entre les Patriarches et l’épopée de la sortie d’Égypte est un auteur sacerdotal (P) . En Ex 6, la version sacerdotale de la vocation de Moïse, Dieu se présente à Moïse de la manière suivante : « 2C’est moi Yhwh. 3Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme El Shaddaï, mais sous mon nom, “Yhwh”, je ne me suis pas fait connaître d’eux. 4Puis j’ai établi mon alliance avec eux, pour leur donner le pays de Canaan, pays de leurs migrations, où ils étaient des émigrés. 5Enfin, j’ai entendu la plainte des fils d’Israël, asservis par les Égyptiens, et je me suis souvenu de mon alliance ». La mise en relation des Patriarches avec l’Exode est faite ici de deux manières. La raison de l’intervention divine en faveur des Hébreux opprimés en Égypte est, selon Ex 6, 4-5, le souvenir de Yhwh de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob, exactement comme en Ex 2, 24, un autre texte appartenant au document sacerdotal : « Dieu entendit leur plainte ; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob ». Ensuite, P construit une histoire de la révélation. L’affirmation des versets 2-3 renvoie explicitement à Gn 17 (P), où Yhwh se présente, en effet, à Abraham comme El Shaddaï. Selon P, Dieu se révèle à l’ensemble de l’humanité comme « elohim » (dieu[x]), à Abraham et ses descendants comme El Shaddaï, un nom qui reflète peut-être une certaine connaissance des pratiques religieuses de tribus arabeset seulement à Moïse et à Israël sous son vrai nom de Yhwh. Ce « monothéisme inclusif » construit sur le plan littéraire une succession de l’histoire des origines (Gn 1-11), de l’histoire des Patriarches (Gn 12-36) et de celle de Moïse et de l’Exode. Est-ce donc P qui aurait, pour la première fois construit un Hexateuque, relatant également la prise de possession du pays ? C’est l’avis d’un certain nombre de chercheurs. En Ex 6, 8, Yhwh promet en effet de donner aux Hébreux le pays. Ainsi, il a été proposé de voir en Jos 18, 1 la conclusion du document sacerdotal : « Toute la communauté des fils d’Israël s’assembla à Silo et on y installa la tente de la rencontre. Le pays leur était soumis. » Apparemment, il s’agit là d’une belle inclusion avec Gn 1, 1-2, 3, le premier texte sacerdotal qui culmine dans l’ordre à l’humanité de se soumettre la terre (Gn 1, 26 ; en hébreu ‘æræ? comme en Jos 18, 1). Or cette inclusion est trompeuse. L’ordre de Gn 1, 16 concerne l’ensemble de l’humanité et il n’est pas répété après la redéfinition du rôle de l’humanité après le Déluge (Gn 9, 1-2). De plus, si Jos 18, 1 était la fin du document sacerdotal, on ne comprend pas bien la mention de Silo, un lieu qui n’apparaît jamais avant ce texte et qui jouera un rôle important dans les livres de Samuel. Ainsi Jos 18, 1 est plutôt à comprendre comme un passage post-sacerdotal qui veut à la fin du récit de la conquête préparer la suite de l’histoire. Quant à la « promesse » du pays en Ex 6, 4 et 6, 8, il faut suivre l’analyse de Köckert selon laquelle Yhwh avait déjà donné le pays aux Patriarcheset qu’il est, par conséquent, inconcevable pour P de relater une conquête militaire du dit pays. La version primitive du document sacerdotal s’est donc probablement terminée avec le rituel du Jour du Pardon en Lv 16 . Cela signifie que le récit hexateucal résulte de décisions rédactionnelles et théologiques postérieures à la rédaction de P. https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2015-1-page-35.htm#re14no14 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: LE LIVRE DE JOSUÉ : HISTOIRE D'UNE PROPAGANDE - PROPAGANDE D'UNE HISTOIRE Jeu 19 Oct 2023, 13:05 | |
| Sur cet article de Römer (2015), voir supra 13.10.2023.
Outre les problèmes de transcription importés par la technique (scan + reconnaissance de caractères), Römer semble s'être emmêlé dans ses références (ça arrive aux meilleurs): le "soumettre la terre" (kbš + 'rç) de Josué 18,1 correspondrait à Genèse 1,28 -- qui comporte aussi le verbe rdh pour "dominer", également au v. 26 mais absent de Josué; quant à Genèse 1,16 pour le soleil et la lune qui "dominent" le jour et la nuit, c'est encore un autre mot, le substantif mmšlh qui ferait plutôt "inclusion" avec 1 Rois 9,19 (Salomon). Et en ce qui concerne Silo (šlh/shilo), tout dépend ce qu'on veut lire dans le fameux "Shilo" (šylh/shilo, mais l'orthographe varie selon les manuscrits) du texte très abîmé de Genèse 49,10, qui pourrait aussi bien se référer au même lieu et générer une autre "inclusion".
Sur Silo, voir aussi ici. Du point de vue de la rédaction des textes "bibliques" (Juges 18,31; 21,12ss; 1 Samuel 1--4; 14,3; 1 Rois 2,27; 14,2ss et "Ahiya le Silonite", 11,29 etc.; Jérémie 7,12ss; 26,6ss; 41,5) c'est toujours le modèle de l'antique sanctuaire désaffecté, sur lequel se reporte rétrospectivement l'idée "deutéronomique" du "sanctuaire unique" (notamment Jérémie, "là où j'avais fait reposer mon nom"), elle-même appliquée comme on l'a vu à plusieurs sanctuaires contemporains, notamment le "samaritain" (Sichem-Garizim, non loin de Silo) et le "judéen", Jérusalem (voir, dans le même document de Römer, les § 4s, 11, 18). |
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