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| Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie | |
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Auteur | Message |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie Lun 29 Juil 2024, 14:48 | |
| Écrire l’histoire judéenne aux périodes perse et grecque : un défi identitaire Philippe Abadie
L’historiographie selon le chroniste : construire l’identité judéenne comme réalité cultuelle
L’exemple lu ici montre bien la manière dont le livre d’Esdras construit par la narration historique, au sens large du terme, l’identité judéenne. Les citations (édit, liste d’objets cultuels) accréditent le récit, tout autant que le recours référentiel aux modèles exodique et prophétique. Mais pouvons-nous en dire autant des livres des Chroniques dont le propos semble proposer un tout autre modèle identitaire, patriarcal et autochtone? Ce modèle n’est d’ailleurs pas unique dans la Bible ; on le retrouve en partie dans la composition du livre de Ruth qui s’achève par la généalogie de David (Rt 4, 18-22), ou dans l’identité ethnique ouverte que proposent certains récits du cycle d’Abraham (Gn 16 et 25) à la différence d’autres (Gn 24, que relaie dans l’histoire de Jacob Gn 27, 46 - 28, 6) . À cet égard les livres des Chroniques correspondent parfaitement à ce modèle autochtone par la relecture qu’ils font des figures d’Abraham et de David. S’opposant à l’historiographie deutéronomiste comme au modèle exodique du livre d’Esdras, ils développent à l’extrême le mythe de l’origine patriarcale en déployant les généalogies (1 Ch 1 à 9), alors même qu’il relègue à l’état de témoin passé toute référence à l’exode . Cela transparaît bien dans la manière dont le chroniste déploie sa symbolique du temple, si différente de celle rencontrée en Esdras. Aussi est-ce l’exemple que nous choisissons de développer comme paradigmatique de l’écriture historiographique de l’œuvre.
L’intention première du chroniste étant de construire de manière proprement cultuelle l’identité judéenne du retour, sa relecture des figures royales de David (1 Ch 10-29) et Salomon (2 Ch 1-9) est pleinement orientée vers la construction du temple et l’organisation du culte jérusalémite; à quoi il convient d’ajouter d’autres figures restauratrices du culte comme Asa (2 Ch 14-16), Josaphat (2 Ch 17 - 21, 1), Ézéchias (2 Ch 29-32)et Josias (2 Ch 34-35) – soit au total les deux tiers de l’œuvre. Plutôt que d’y voir une polémique anti-samaritaine contre le temple du Garizim, nous avons tenté ailleurs de montrer que cette réécriture des figures traduisait les prétentions des chantres lévitiques de l’époque perse à recevoir un statut sacerdotal, d’où ce patronage sous un David, prophète et liturge;
À titre d’exemple : la symbolique du temple selon le chroniste
Qu’en est-il alors du lien entre identité judéenne et temple jérusalémite ? Par le rôle charnière qu’il joue dans l’œuvre, le récit de 2 Ch 1 ouvre un accès direct à la symbolique chronistique du temple. Le chroniste y opère un choix important par rapport à sa source (le livre des Rois) en centrant toute l’activité salomonienne sur la construction du temple, dès le songe de Gabaôn – d’où l’omission importante du jugement du roi (1 R 3, 16-28) et de sa sagesse administrative (1 R 4, 1-5, 14). Faut-il y voir la minimisation d’un attribut fondamental de Salomon dans la tradition biblique, sa sagesse (1 R 5, 9-11)? Une lecture rapide des notices conclusives du règne en 1 R 11, 41 (« Le reste des actes de Salomon, et tout ce qu’il a fait, ainsi que sa sagesse, cela n’est-il pas écrit sur le livre des Actes de Salomon ? ») et 2 Ch 9, 29 (« Ce qui reste des actes de Salomon, des premiers aux derniers, cela n’est-il pas écrit sur les Actes de Nathan le prophète, sur la Prophétie d’Ahiyya le Silonite, et dans les visions de Iddo le voyant au sujet de Jéroboam, fils de Nebat ? ») pourrait aller en ce sens. Mais ce serait oublier alors que la dimension sapientielle n’est pas absente de la construction chronistique de la figure mais mise en relation avec la construction du temple. Dès lors, à la lumière de ce récit inaugural, l’omission de toute référence à la sagesse salomonienne prend un singulier relief : le chroniste la met en scène dans la relation qu’entretient la figure royale avec la construction du temple, de sorte que l’apparition divine à Gabaon (2 Ch 1, 7-12) au terme d’une scène propre à l’auteur (le pèlerinage du roi au Haut Lieu de Gabaon : v. 2-6) fait écho au modèle référentiel du transfert de l’arche par David à Jérusalem (1 Ch 13-16). Dans ce travail de réécriture des figures, le premier acte officiel de l’un et l’autre roi est d’établir le culte comme fondement de l’identité judéenne :
1 Ch 13, 1-5 : « David tint conseil avec les chefs de mille et de cent, avec tous les princes. David dit à toute l’assemblée d’Israël […] ».
2 Ch 1, 2 : « Salomon parla à tout Israël, aux chefs de mille et de cent, aux juges et à tous les princes de tout Israël, chefs de maisons paternelles. »
À cette unité s’opposent les facteurs de rupture que constituent les règnes de Saül, « figure royale non-cultuelle »dont la faute fut de ne pas consulter (drs) le SEIGNEUR (1 Ch 10, 13-14a) et de négliger l’arche (1 Ch 13, 3b), et celui de Roboam (2 Ch 10, 16). Il n’est donc pas surprenant que le discours tenu par Abiyya à l’adresse de Jéroboam et tout Israël (2 Ch 13, 4-12 propre au chroniste) établisse un lien étroit entre l’élection davidique et la pratique cultuelle jérusalémite.
Par ce jeu de reprise, la venue de Salomon au sanctuaire de Gabaôn s’inscrit dans une thématique plus englobante, inscrite dès les v. 2-3 : « Salomon parla à tout Israël […] ; puis Salomon et toute l’assemblée avec lui, allèrent au haut lieu de Gabaon, car là était la tente de la Rencontre de Dieu, qu’avait faite Moïse, le serviteur du SEIGNEUR, dans le désert ». À l’écho davidique (1 Ch 16, 39-40) se joint ici la référence mosaïque (Ex 25, 22 ; etc.) , de sorte que la venue de Salomon au sanctuaire de Gabaon apparaît comme un pèlerinage aux sources du yahvisme, un trait d’union entre les deux traditions de l’arche et du tabernacle du désert. Le v. 4 rappelle encore que l’organisation cultuelle davidique n’est pas totalement achevée, puisque demeure une « distance » (signifiée par l’espace) entre la tente de la Rencontre sise « au Haut Lieu de Gabaon » et l’arche de Dieu déposée « dans une tente à Jérusalem ». Il reviendra à Salomon d’abolir cette distance selon 2 Ch 5, 5 : « Ils firent monter l’arche, ainsi que la tente de la Rencontre et tous les objets sacrés qui étaient dans la Tente. »
https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2015-1-page-69.htm#re33no33 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie Lun 29 Juil 2024, 15:18 | |
| Sur cet article, voir ici 12.4.2024 (et là un lien vers une citation encore antérieure). En ce qui concerne les Chroniques, on peut d'ailleurs (re-)lire avec profit le texte (d'Abadie) jusqu'à la fin -- après ton extrait, § 26ss, et les notes. L'un des intérêts de cette lecture, c'est qu'on y voit clairement se dessiner une sorte d'usage pré-canonique du corpus (pré-)"biblique", qui utilise l'ensemble des matériaux disponibles en dépit de leurs divergences, à partir d'une "idéologie" ou d'une situation unifiante. On pourrait dire que "le canon dans le canon", pour le(s) Chroniste(s) de l'époque hellénistique, c'est le temple: A partir de ce point de vue on peut recevoir et exploiter des textes a priori antagonistes, comme les récits "patriarcaux" qui favorisaient une certaine autochtonie, sans exil ni (re-)conquête, et les récits d'exils et d'exode, pour autant qu'ils se rattachent aussi au temple, à la prêtrise (au sens large) et au culte -- ainsi tout ce qui concerne la "Tente-tabernacle-Demeure du désert" qui ne fait plus qu'un(e) avec le temple de David-Salomon et celui des exilés-revenus de Babylone. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie Jeu 01 Aoû 2024, 15:22 | |
| Chapitre I. L'historiographie biblique ou les diverses façons de reconnaître l'action de Dieu dans l'histoire Pierre-Maurice Bogaert
B. Le Chroniste
L'œuvre du Chroniste comporte au minimum les deux livres des Chroniques. Commençons donc par eux. Pourquoi fallait-il récrire l'histoire racontée dans les livres de Samuel et des Rois, sinon parce qu'elle ne convenait plus ?
Pour le Chroniste, la destruction de Jérusalem et l'exil sont des faits anciens dont l'actualité n'est plus cultivée puisque le retour a eu lieu. Son souci n'est pas de les justifier au regard de la cohérence du dessein divin dans une rupture (c'était le cas du Deutéronomiste), mais au contraire de souligner au maximum la continuité. C'est ainsi que — tous les commentateurs le reconnaissent peu ou prou — l'organisation du culte, du personnel cultuel, prêtres, lévites, chantres, etc., est décrit longuement en proportion de l'importance et sous les traits que ces institutions avaient pris bien après le premier retour. Et puisqu'il n'est plus nécessaire d'expliquer par les péchés des rois la catastrophe de 587, la royauté elle-même, idéalisée car disparue, peut être présentée sous un jour serein. L'adultère de David, ce n'est qu'un exemple, est passé sous silence.
Pareillement le Chroniste tient le temps de l'exil pour le temps fini, limité aux 70 ans annoncés par Jérémie.
Il déporta à Babel ceux qui avaient échappé au glaive, et ils devinrent ses esclaves, à lui et à ses fils, jusqu'à l’avènement du royaume perse, accomplissant la parole de Yahvé par la bouche de Jérémie : jusqu'à ce que la terre se fût acquittée de ses sabbats, tout le temps qu'elle fut dévastée, elle chôme, accomplissant les soixante-dix ans. (II Ch 36,20-21)
L'idée, sous-tendue par un calcul, est que l'histoire des rois qui a duré quatre siècles a comporté autant de sabbats qu'il y a de jours non chômés en soixante-dix ans, ce qui est une façon impitoyable de proportionner le châtiment à la faute, mais en même temps de reconnaître la programmation du châtiment et plus encore du retour dans le dessein divin que le prophète a été capable de déchiffrer.
On tiendra volontiers aussi qu'une partie substantielle d'Esdras-Néhémie, le récit de la restauration du culte, du Temple, de la Ville s'inscrit dans la relecture faite de l'histoire des rois, avec le souci constant de faire se correspondre les institutions de l'époque royale (où ce qui touche le culte est amplifié) avec celles de la restauration. Ainsi le Chroniste veille-t-il à ce que l'incendie du Temple soit mentionné après l'enlèvement de tous les vases sacrés, de telle façon que, le moment venu, ceux-ci emportés à Babylone puissent servir de nouveau à l'autel et au Temple (II Ch 36,19). Alors que le Deutéronomiste avait à justifier une catastrophe, le Chroniste vise à montrer dans la continuité des institutions la légitimité d'une restauration autour du sacerdoce et non plus autour de la royauté.
https://books.openedition.org/pusl/19240?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie Jeu 01 Aoû 2024, 15:55 | |
| Cela aussi (je pense à une discussion d' hier sur un autre sujet) commence à dater (1997), d'autant que c'est une présentation "grand public", vulgarisante, plus "ecclésiastique" ou "pastorale", pour ne pas dire paternaliste, qu'académique ou exégétique: l'AT présenté du point de vue du catéchisme ou de l'histoire sainte ad usum delphini aut laicorum, Bogaert ne s'en cache même pas... Expliquer les textes bibliques à partir du "monothéisme moral" tel que le comprend la modernité (Dieu unique, personnel, bon, et homme libre), qui est, si l'on veut, un de leurs points d'arrivée (provisoires) mais certainement pas leur point de départ, c'est la pire introduction à une ex-égèse, qui à partir de là ne peut plus être qu' eis-égèse, reading into, introduire de force ou subrepticement dans les textes ce qui n'y était pas, ou n'y est que par l'anachronisme de deux millénaires et plus de lecture et de culture juives, chrétiennes, musulmanes et modernes. Sur Esdras-Néhémie, à ne surtout pas confondre avec les Chroniques ("idéologie" quasiment opposée), voir supra Macchi ou Nocquet; sur les 70 ans de Jérémie voir ici: pour rappel, je suis d'accord avec Bogaert pour dire que dans les Chroniques les 70 ans sont bien compris au sens littéral, comme une période de dévastation totale et idéale expliquée par l'arithmétique sabbatique du Lévitique (contrairement à Jonsson, qui à la fois par biblicisme et par anti-jéhovisme voulait tout harmoniser sur un exil -- historique -- de 50 ans). Mais tout cela répond à une logique "sacerdotale", ou "lévitique", qui n'a plus aucun rapport avec l'histoire réelle (étonnamment mieux conservée au IIe s. av. J.-C. par Daniel 9, la première semaine de semaines, 7 x 7 = 49 ans, proche de la durée de l'exil réel attestée aussi bien par Jérémie que par Zacharie). |
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