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 Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie

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Narkissos

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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMar 11 Juin 2024, 16:34

Pas grand-chose, dans cette paraphrase édifiante, timorée ou paresseuse, de l'"histoire sainte", qui intéresse particulièrement les Chroniques. Le lien narratif entre l'aire d'Araunah-Ornan et l'emplacement du temple est pourtant explicite en 1 Chroniques 21,28--22,1 -- le "Moriya" de la Genèse n'arrivant qu'en 2 Chroniques 3,1 -- alors qu'il n'y a rien de tel dans Samuel-Rois... Comme expliqué précédemment, la spécificité "idéologique" des Chroniques ne consiste certainement pas à insister sur la différence "théologique" et pseudo-historique entre "Israël" et "Canaan", ni entre la "religion d'Israël" et les "cultes païens": ça, c'est l'obsession de l'historiographie (dite) deutéronomiste (Deutéronome-Josué-Samuel-Rois) pour laquelle la rupture de l'Egypte, de l'Exode, du Sinaï et de la Conquête est essentielle, parce que la "loi de Moïse" (la Torah, où "Jérusalem" n'est jamais mentionnée) prime sur le temple. Les Chroniques insistent au contraire sur la continuité de la Genèse, des Patriarches et de leurs multiples lieux de culte au (Second) Temple, relativisant l'importance des exils et de leurs rétro-projections pseudo-historiques, dont l'Exode et la Conquête.
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMer 12 Juin 2024, 11:06

Salomon, figure du Messie
Bernard Renaud

A côté de la haute figure de David, qui structure en profondeur l'espérance messianique royale d'Israël, émerge peu à peu, à l'époque postexilique celle de Salomon, moins prestigieuse assurément mais pourtant significative. Une précédente étude avait proposé de voir dans les v. 8-1 1 et 17 du Ps. 72 une relecture messianique (1). Cette insertion a pour effet de donner à cette prière pour le roi une portée oraculaire qu'elle n'avait pas à l'origine. Le propos de cet article n'est pas de reprendre la démonstration. Il se voudrait plutôt un complément qui s'essaie à préciser les représentations théologiques qui sous-tendent cet effort de réflexion. Celles-ci tournent autour du terme shalôm, dont la traduction française « paix » n'est qu'une pâle approximation. Le terme signifie certes « paix » mais aussi bonheur, plénitude, harmonie... et son emploi caractérise les domaines aussi bien politique qu'anthropologique et même cosmique. L'articulation de ce thème avec Salomon repose, au moins en partie, sur la parenté entre shalôm et shelomoh (Salomon).

Cette articulation entre la personne de Salomon et le shalôm messianique s'inscrit à l'intérieur de représentations plus vastes dont la première partie de cet article retrace quelques éléments. Une seconde partie mettra en lumière les liens qui rattachent le fils de David à la paix messianique.

Le livre des Chroniques

Rédigé vers 350 av. J.-C, cet ouvrage procède à une relecture interprétative, de type midrashique, des récits des livres de Samuel et des Rois. Le thème central du temple domine la narration concernant Salomon, et le Chroniste voit en lui essentiellement le constructeur du temple. A ce titre, sa personne est tout auréolée de gloire (3).

Cette mission exige de lui qu'il soit un homme de paix. Le Chroniste fait dériver le nom de Salomon du terme shalôm, paix. 1 Ch. 22, 7-10 joue sur une double assonance : Shelomoh, Salomon, et shemô, nom, d'une part ; Shelomoh et shalôm, paix, d'autre part. En donnant ses consignes à Salomon, David lui rappelle les promesses de Dieu : Voici - c'est Dieu qui parle à David - qu'il t'est né un fils qui sera, lui, un homme de repos et auquel je donnerai le repos, vis-à-vis de tous ses ennemis d'alentour, car Salomon (Shelomoh) sera son nom (shemô), et je donnerai paix (shalôm) et tranquillité à Israël pendant ses jours. L'insistance est significative pour trois raisons ; tout d'abord, cette promesse n'a pas d'équivalent dans le livre des Rois ; il s'agit donc là d'une note qui tient à cœur au Chroniste. En second lieu, la formulation de I Ch. 22, 9 n'est pas sans rappeler un passage de la prophétie de Natan : Je t'ai donné, dit YHWH à David, du repos en écartant tous tes ennemis (2 Sam. 7, 1 0). Or, dans le texte de cette prophétie de Natan, élaboré par le Chroniste (1 Ch. 17, 10), celui-ci évite de lier à David le thème du repos et corrige ainsi : je t 'ai soumis tous tes ennemis, substituant le verbe kana, soumettre, au verbe nuah, se reposer. Enfin et surtout, 1 Ch. 22, 8 donne la raison de cette opération herméneutique : Tu (toi David) as répandu beaucoup de sang et tu as fait de grandes guerres. Tu ne construiras pas de maison pour mon Nom, car tu as répandu beaucoup de sang (4). Selon Dt. 12, 9-1 1, la construction du sanctuaire au lieu choisi par YHWH est liée au thème du repos. Ainsi commence à s'esquisser un contraste, sinon une opposition, entre David, 'ish milhamôt, « homme de guerre » (I Ch. 28, 3) et Salomon, 'ish menuhah, « homme de repos » (I Ch. 22, 9). On entrevoit dès lors la raison qui rend compte de cette promotion de la figure de Salomon. Il conviendra de vérifier l'hypothèse. Pour le moment, relevons qu'autour de Salomon se dégage comme une aura de shalôm, de paix. A sa façon, I R. 3-11 avait préparé le terrain, en montrant Salomon plus porté vers l'activité diplomatique que vers les arts martiaux. La mention des guerres et des révoltes n'apparaît qu'en fin de règne.

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1994_num_68_4_3286
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMer 12 Juin 2024, 11:58

Excellentes remarques.

Le reste de cet article de 1994 paraît d'autant plus pertinent à notre fil si on le rapproche des études plus récentes de B. Gosse que nous avons vues précédemment, sur la proximité non seulement chronologique, mais aussi idéologique et littéraire, des Chroniques et des Psaumes (ici 72 et 127--128) -- d'ailleurs les autres textes évoqués, jusqu'au Siracide, relèvent grosso modo de la même "époque", même si leurs affinités idéologiques varient: si le "davidisme" lui-même devient sacerdotal, son "onction" réalisée et actualisée par celle des prêtres, sans aucun "messianisme" eschatologique puisqu'il s'agit d'une institution, d'un ordre et d'un rituel permanents, alors "Salomon" ("oint" avec Z/çadoq le prêtre, 1 Chroniques 29,22) est a fortiori inclus dans le même mouvement. De fait son rôle de constructeur et d'inaugurateur du temple efface tout le reste (non seulement l'infidélité qui lui est reprochée par les Rois, mais aussi les traits positifs indépendants du culte, comme la "sagesse" du roi-juge civil, profane ou "séculier").

Je rappelle au passage, même si ce n'est pas dans les Chroniques, que le nom de Yedidya(h) donné à Salomon dans 2 Samuel 12,25 (mais auquel Renaud devine des allusions dans les Psaumes; cf. p. 412, 415, 424 note 42), est un prolongement évident (expressément théophore et "yahviste", selon 2 Samuel) du nom de David, de la même racine dwd, le verbe "érotique" par excellence, en ce sens aussi "bien-aimé"... (cf. le Cantique des cantiques, le triangle "homosexuel" Saül-Jonathan-David qui disparaît d'ailleurs tout à fait dans les Chroniques, David et Salomon également aimés des femmes, etc.)
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMer 12 Juin 2024, 12:33

Salomon, miroir des princes ?
Yvon Le Gall

Puisque tu as demandé cette chose, que tu ne m’as pas demandé pour toi de longs jours, que tu n’as pas demandé pour toi la richesse, que tu ne m’as pas demandé la vie de tes ennemis, mais puisque tu as demandé pour toi de discerner pour comprendre la jurisprudence, voici que j’agis suivant ta parole, voici que je te donne un cœur sage et intelligent, en sorte qu’il n’y aura eu avant toi pas de pareil à toi et qu’il n’existera après toi pas de pareil à toi.

1 Ainsi Iahvé s’adresse-t-il en songe au très jeune Salomon. Dès cet instant, celui-ci est gratifié d’un statut exceptionnel, et même exclusif 2. Il devient incomparable ou, à l’inverse, le pied de toute comparaison. Pour qui lit ce chapitre III du premier livre des Rois, il dépasse même son père, David, dont il rappelle les qualités au début de la réponse qu’il adresse à Dieu3. Troisième roi d’Israël, Salomon n’est-il pas promu au rang de miroir des princes ? Sans doute faut-il procéder à une adaptation de l’expression pour pouvoir en user. En effet, nous entendons appliquer à un homme une expression utilisée pour qualifier un traité dédié à un prince dans lequel l’auteur propose une description du prince idéal et de son comportement4, « à l’image d’un Josué ou d’un Salomon, choisis, prédestinés par Dieu pour guider le peuple sur le chemin de la rédemption », comme l’écrit J. Cornette5. C’est presque retrouver une démarche biblique, puisque, dans La Sagesse de Salomon, la sagesse est présentée comme « le reflet de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu et l’image de sa bonté6 ». Les relations entre Salomon et la sagesse sont bien connues. Mais, pour ce qui nous concerne, ce reflet doit être tourné vers les hommes, et plus particulièrement vers ceux qui les dirigent7. Convient-il de faire de Salomon l’incomparable le miroir, c’est-à-dire le modèle des princes, ou du moins l’un des modèles ? Au seuil du xvie siècle, Galeazzo Moderno sculpte un Jugement de Salomon pour orner le montant d’une lampe de bureau, dont nous ignorons le destinataire8. S’agirait-il d’un prince, d’un humaniste9, d’un homme de loi, ou d’un tout autre destinataire ? Il est loisible de penser que le sujet n’était pas sans rapport avec l’objet, et qu’il s’agissait d’éclairer l’intéressé dans tous les sens du terme. On n’oubliera pas qu’un ivoirier traite le même sujet sur l’un des plats du Prayer Book d’Elizabeth Ire d’Angleterre10.

2 Il y a deux approches possibles de Salomon, selon que l’on regarde celui qui écrit ou celui qui est décrit. Du premier, qui nous est présenté comme un auteur pléthorique par la Bible11, il ne reste que trois pièces avérées par l’Église au temps de saint Augustin, Les Proverbes, L’Ecclésiaste et Le Cantique des cantiques, qui lui valent un statut prophétique, tandis que La Sagesse de Salomon et L’Ecclésiastique ne sont qu’« autorisés12 ». Le prince y est exemplaire par ce qu’il profère dans un verbe inspiré. Il appelle à un comportement qui déborde évidemment les princes. Ce n’est pas ce Salomon-là qui nous importe au premier chef, même s’il contribue à l’image du Salomon « historique », tel que le décrit la Bible. Celle-ci fournit le matériau incomplet de l’homme d’État, essentiellement dans le premier livre des Rois et dans le deuxième livre des Chroniques, qui se recoupent plus qu’ils ne se complètent. Il est incontestable que ces deux œuvres offrent cette image superlative du souverain, dont nous avons donné un exemple en ouverture de notre propos13. Il l’est tout autant qu’elles narrent essentiellement ou quasi exclusivement ce que l’on pourrait qualifier de belles années du règne, celles de la jeunesse, au cours desquelles il construit le temple de Jérusalem et fait jouir son peuple des bienfaits multiples de la paix. Le royaume d’Israël, incarné dans son roi, atteint une renommée dont l’épisode de la reine de Saba, bien qu’assez brièvement relaté dans les textes, deviendra pour la postérité un moment emblématique14.

3 Après ce récit, les Chroniques shuntent littéralement le temps de la « vieillesse » et laissent le lecteur sur une idée glorieuse du règne15. Il n’en va pas de même pour les Rois, qui consacrent un chapitre de quarante-deux versets à la « vieillesse » du roi et au dérapage lié à son goût pour les « femmes étrangères », puisqu’il eut jusqu’à sept cents femmes princesses et trois cents concubines16. Or, comme l’écrit le texte, « ses femmes entraînèrent son cœur à la suite d’autres dieux et son cœur ne fut plus tout entier avec Iahvé, son Dieu, comme l’avait été le cœur de David, son père17 ». Le roi élève des autels pour les dieux de ses femmes étrangères, et encourt de ce fait la colère de Iahvé, qui lui rappelle l’avertissement qu’il lui avait donné lors de son apparition après la consécration du temple. Dès lors se met en place le mécanisme qui va conduire à une dépossession de Roboam, héritier de Salomon, de l’essentiel du royaume. Le règne s’achève ainsi sur des troubles intérieurs, que le roi a du mal à maîtriser. Le récit des Rois se termine donc sur une impression négative, même si le texte renvoie pour « le reste des actes de Salomon, tout ce qu’il a fait, et aussi sa sagesse » au Livre des Actes de Salomon18. L’exemplarité de Salomon devient donc problématique. Sans doute est-il possible d’exploiter le faux pas du roi pour en tirer des enseignements. Mais il est certain que, contrairement à ce que donnait à penser le passage avec lequel nous avons commencé cette intervention, Salomon ne saurait prétendre à tenir la plus haute marche du podium royal, réservée à son père David, comme on le sent bien à la lecture de quelques passages que nous avons rapportés. Si le père et le fils ont péché par amour pour les femmes, mais de façon différente, le premier a su se racheter par une pénitence, qui lui vaut la première place dans le palmarès des rois, bien que cette pénitence soit évoquée de manière particulièrement elliptique19. Mais il apparaît qu’il faut réunir David et Salomon pour obtenir l’idéal-type du monarque20, et que Salomon incarne mieux que David la vertu cardinale de la sagesse.

https://books.openedition.org/pur/38077?lang=fr

2Il semble qu’on ne retrouve ce trait superlatif dans le récit du même événement dans II Chroniques I, 11-12, que lorsqu’il est question des richesses. « […] la sagesse et le savoir te seront donnés, mais je te donne aussi la richesse, les biens, la gloire, tels que n’en ont pas eu les rois qui furent avant toi et que n’en auront pas ceux qui seront après toi. »

13Le rapprochement des deux textes auquel nous avons procédé à propos du fameux songe ne doit pas faire croire que les Chroniques seraient plus réticentes que les Rois. En effet, elles relatent ainsi l’accession de Salomon au trône : « Iahvé exalta Salomon au plus haut point, sous les yeux de tout Israël, et il le revêtit d’une majesté royale qui n’avait eu sa pareille chez aucun roi d’Israël avant lui. » I Chroniques XXIX, 25.

15En témoigne le septième verset avant la clôture de l’histoire du règne : « Le roi Salomon fut plus grand que tous les rois de la terre en richesse et en sagesse. Tous les rois de la terre cherchaient à voir la face de Salomon, pour entendre la sagesse que Dieu avait mise en son cœur. Et chacun d’eux amenait son présent : objets d’argent et objets d’or, vêtements, armures et aromates, chevaux et mulets, année par année. » II Chroniques IX, 22. Les quatre versets suivants continuent cette description de richesses et d’influence, tandis que le cinquième renvoie ceux qui voudraient en savoir plus sur « le reste des actes de Salomon, des premiers aux derniers » aux Actes du prophète Nathan, et que le dernier signale la mort du roi après quarante ans de règne.
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMer 12 Juin 2024, 14:04

Merci encore pour cet article (long mais) passionnant -- surtout dans la partie non (directement) "biblique" qui en constitue l'essentiel: ce qu'il advient des figures de David et de Salomon à la cour (aristocratique, ecclésiastique, politique, diplomatique, militaire, littéraire, philosophique, tous ces adjectifs ne s'excluant pas) des rois et des princes chrétiens, de France, de Navarre, de Castille, de Florence ou d'Angleterre. Bien sûr le rapport aux textes "bibliques" est indirect et confus, mêlés qu'ils sont dans le canon et la tradition, surtout catholiques, qui amplifient considérablement l'image salomonienne (non seulement avec le Cantique, les Proverbes et Qohéleth-l'Ecclésiaste, mais avec la "Sagesse de Salomon", et le Siracide-Ecclésiastique qui, bien qu'attribué à un autre auteur, se place toujours sous le même patronage sapiential), et plus généralement encore dans l'"histoire sainte" qui s'écrit autant par les arts plastiques (peintures, sculptures, vitraux) et représentatifs (mystères, théâtre, cantates, oratorios, opéra) que dans les livres. Malgré la diversité des situations de (re-)lecture, on peut facilement retracer les traits qui se distinguent dans cette littérature de cour à ceux qui s'esquissaient déjà dans les textes "bibliques".

Ce sont bien les Chroniques, comme on l'a vu, qui accentuent le contraste de la guerre (David) et de la paix (Salomon), contraste qui va beaucoup servir selon les circonstances politiques et militaires: les deux sont nécessaires, mais chacune a son temps (c'est déjà dans Qohéleth, c'était aussi chez Platon, Aristote ou Héraclite). On peut remarquer également, avec tout l'anachronisme que ça requiert, que l'alliance des Chroniques et des Psaumes, le passage de David bucolique, berger et harpiste, au psalmiste poète et compositeur, organisateur des lévites musiciens et chantres, implique aussi tout un développement de l'"art", de la tekhnè-ars antique à l'"art" moderne qui se sépare de l'artisanat comme la "littérature" d'autres "écritures", et comme "profane" du "sacré" pour devenir un nouveau "sacré". Selon la même logique sacerdotale ou cléricale au sens large, les Chroniques associent la "sagesse" de Salomon au temple qui demeure (2 Chroniques 2,11; 9,3s), alors que le "deutéronomisme" l'associait à la "loi" (dès le Deutéronome), de sorte que Salomon la perdait dès lors qu'il devenait infidèle... (de ce point de vue il y a bien une certaine continuité du Deutéronome au pharisaïsme "laïques", pour lesquels le temple et la prêtrise sont au mieux accessoires).
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeJeu 13 Juin 2024, 10:28

  • Le livre des Chroniques comme œuvre littéraire (Je reviens sur cette article très riche). 
  • Philippe Abadie
  • Plus subtilement, on doit noter que la sagesse de Salomon n’est nullement absente du récit chroniste, mais habilement transposée de la sphère du « gouvernement juste » (livre des Rois) à celle de la construction du Temple. Il n’est qu’à comparer les propos du roi de Tyr dans l’un et l’autre récits :


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En forçant un peu le trait, on ne peut donc dire que le Chroniste occulte la thématique sapientielle dans son récit, mais qu’il l’ordonne à sa construction de la figure salomonienne. Il ne convient pas d’évoquer une désidéalisation de Salomon (comme le fait S. Japhet), mais de parler de réinterprétation de la thématique sapientielle en fonction de la symbolique du Temple posée dans le livre.


B/B’ : faisant suite à l’encadrement que nous venons de lire, deux récits rapportent les relations entre le roi Salomon et des souverains étrangers. A priori, rien dans le texte source des Rois ne permettait un quelconque rapprochement entre l’alliance avec Hiram de Tyr (appelé Houram en Chroniques) et la visite de la reine de Saba. L’auteur s’emploie pourtant à créer ce lien entre les récits en incluant dans la correspondance du roi de Tyr un élément emprunté au récit de la reine de Saba : bien qu’étrangers à Israël, l’un et l’autre souverains célèbrent l’amour prévenant du Seigneur pour son peuple :
Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 RSR_id2913133169_pu2002-04s_sa04_art04_img025
Un tel effet de répétition est absent de la source où seule la reine de Saba tient pareil propos (1 R 10,9). Voici qui donne au récit une logique narrative propre.



Un second trait renforce encore le parallélisme des sections : de part et d’autre sont rappelées les relations commerciales entretenues entre Salomon et Houram :
Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 RSR_id2913133169_pu2002-04s_sa04_art04_img026
On notera surtout que, dans un cas comme dans l’autre, ces tractations commerciales sont mises au service de la construction du temple de Yhwh (voir 2,3ss et 9,11). Lues à la suite de 1 Ch 18,8 analysé plus haut, ces deux données contribuent à unifier autour d’une même thématique la figure salomonienne.


C/C’ : viennent ensuite deux sections apparentées par leur thématique, puisqu’il s’agit de construire


  • - le temple (voir 3,1ss)
  • - et des cités, en Israël et dans « l’empire » (8,2-6)
  • Venant renforcer ce lien, une seconde thématique est reprise de part et d’autre, la corvée imposée par le roi aux étrangers pour mener à bien pareil labeur :

  • Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 RSR_id2913133169_pu2002-04s_sa04_art04_img027
    Si cette dernière donnée reprend de manière presque identique 1 R 9,20-23, il n’en est rien pour 2 Ch 2,16-18. Selon le parallèle de 1 R 5,27, « le roi Salomon leva des hommes de corvée dans tout Israël ». Ce labeur imposé aux hommes libres d’Israël éclaire la finale du récit 1 R 11,28 selon laquelle Salomon établit l’éphraïmite Jéroboam comme « chef de la contribution », en quoi il faut entendre la corvée imposée à Israël. Faute de cela, ni la révolte de Jéroboam (sous-entendue par 1 R 11,40), ni la revendication des anciens d’Israël à Sichem (1 R 12,4) ne pourrait se comprendre.

  • La « correction » apportée par le Chroniste se comprend dès lors à un double niveau :

  • au niveau formel de la construction narrative, la répétition crée un lien entre 2 Ch 2,16-5,1 et 2 Ch 8,1-16 ;

  • au niveau thématique de la construction de la figure, Salomon sort grandi puisqu’il n’a pas commis de faute grave envers Israël, son peuple, et n’a fait que reprendre une tâche commencée par David, son père (1 Ch 22,2).



https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2002-4-page-525.htm
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeJeu 13 Juin 2024, 11:06

Cf. supra 30.5.2024.

En effet, l'histoire de Jéroboam sous Salomon (1 Rois 11,26ss) est expédiée en une allusion et une référence "bibliographique" (2 Chroniques 9:29; 10,2), incompréhensibles si on ne connaît pas Samuel-Rois. Les Chroniques ne visent pas à produire une histoire politiquement vraisemblable, mais théologiquement intelligible, du point de vue de la rétribution individuelle (du moins des personnages qui comptent, et notamment des rois: comme on l'a vu à propos du recensement, les milliers de "victimes innocentes" et anonymes ne comptent pas...): en l'occurrence, toute la faute du "schisme" repose sur Roboam. Le récit de la "faute de Jéroboam" (selon le leitmotiv de Samuel-Rois) est lui-même allusif, atténué ou dilué (lui et ses fils), et il devient du même coup "(théo-)logique" que Yahvé le protège, par un oracle, de la guerre (civile, de sécession, "opération militaire spéciale") que Roboam voulait lui faire (comparer chap. 11 et 1 Rois 12). On notera que les prêtres et les lévites sont globalement blanchis de tout soupçon d'infidélité, 2 Chroniques 11,13ss; 13,9ss.

En y regardant de plus près (comme je l'ai dit, je me souviens relativement mal des Chroniques), je remarque que la "faute cultuelle" est non seulement dissociée de la prêtrise du Nord, qui se rattache à Jérusalem, mais du "yahvisme" même: les veaux-taurillons étaient identifiés à Yahvé par l'effet du double récit des Rois et de l'Exode, ils sont associés à des "boucs" ou "démons caprins" (se`irim) dans 2 Chroniques 11,15, par un curieuse hybridation théo-démono-zoologique (LXX traduit "vaines idoles"). Il s'agit moins dans cette perspective de dénigrer d'autres sanctuaires en insistant sur l'exclusivité du temple (on a vu que ce n'était pas le souci des Chroniques, des Patriarches à Salomon au moins tous les lieux de culte sont valables) que d'opposer une véritable "religion", un "culte digne de ce nom", à un simulacre de religion (ce qui est très différent de l'exclusivisme qui oppose sa religion comme seule "vraie", au sens de véridique, à toutes les autres qu'il déclare "fausses", trompeuses, sans leur dénier la qualité de "religion"; ambiguïté permanente de la "vraie" et "fausse religion").
 
Pour rappel, il n'y a probablement rien d'"historique" dans tout ça, pas plus dans les Rois que dans les Chroniques: ni "royaume de Salomon" ni "schisme", l'opposition Roboam / Jéroboam (rhb`m / yrb`m) étant probablement construite à partir du seul Jéroboam "historique", celui que nous appelons Jéroboam II, roi d'Israël (Samarie) au VIIIe siècle av. J.-C., bien avant que Jérusalem n'émerge comme "royaume" indépendant; cf. 2 Rois 14--15.

Je note aussi, au passage, que dans les Chroniques toutes les références à "Moïse" sont cultuelles et se rapportent aux textes dits "sacerdotaux" de la Torah, sauf une, celle qui se réfère au Deutéronome pour la "rétribution individuelle" (2 Chroniques 25,4). En fait chaque "historiographie" invente ou réinvente ses personnages comme elle l'entend, comme on l'a vu précédemment pour David et Salomon; c'est bien cette différence intertextuelle qui est intéressante dans "la Bible", même si elle ne résulte de l'intention d'aucun "auteur", mais du hasard ou de la providence de la "canonisation".
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeLun 17 Juin 2024, 11:16

"Les débuts du Royaume de Juda en 2 Ch 10-20. Narration et idéologie" - Wénin, André

2 Chroniques 36,11-23 : Face à la fin d’un royaume

Versets 11-13. Les rédacteurs des Chroniques tirent trois éléments du livre des Rois : la notice de règne de Sédécias (v. 11), l’appréciation négative de son action vis-à-vis de Dieu (v. 12a) ainsi que la mention de sa révolte contre Nabuchodonosor (v. 13a : comparer avec 2 R 25,18-20). Plusieurs éléments sont cependant ajoutés aux indications laconiques qui figuraient dans leur source pour expliquer – du point de vue de la théologie chroniste de l’histoire – les raisons pour lesquelles Sédécias fut si durement sanctionné.

Les Chroniques mentionnent d’une part que Sédécias ne s’est pas humilié devant le prophète Jérémie et, d’autre part, que son endurcissement l’a conduit à ne pas revenir vers le Seigneur. L’attitude de Sédécias contraste radicalement avec celle de ses prédécesseurs Roboam, Ézékias, Josias et même le terrible Manassé qui, dans les Chroniques, « s’humilient » et « reviennent vers le Seigneur ». Sédécias se conduit, par contre, comme Joas qui, après avoir abandonné le Temple et avoir été averti par des prophètes, persiste dans ses erreurs et finit par y laisser la vie (2 Ch 24).

En précisant que Nabuchodonosor avait fait prêter serment « par Dieu », les Chroniques donnent à la révolte de Sédécias contre son suzerain une dimension théologique et renforce l’image d’impiété du dernier roi de Juda. Par cette brève notice, on comprend déjà ce qui deviendra évident lorsqu’il s’agira de Cyrus : la soumission des Judéens à l’ordre d’un empereur étranger n’est pas nécessairement illégitime.

Versets 17-20. Dans leur description de la fin du royaume de Juda, les Chroniques utilisent, sélectionnent et interprètent des informations tirées de sources historiographiques (2 R 25,9) et prophétiques (comparer le v. 17 avec Éz 9,5-7). Plusieurs éléments sont particulièrement significatifs :

• Selon le verset 17, c’est bel et bien le Seigneur qui fait venir Nabuchodonosor contre les Israélites. Le « Dieu des Chroniques » est maître de l’histoire et de
l’univers, il peut donc utiliser les souverains étrangers pour punir son peuple aussi bien que pour le sauver, comme on peut le voir aux versets 22-23.

• La destruction présentée est radicale. Elle affecte la ville, ses murs, ses palais, ses habitants – jeunes gens, jeunes filles, vieillards – et son Temple. Le texte chroniste insiste beaucoup sur le Temple; avant d’être détruit, il est lieu de massacre et les objets sacrés qui s’y trouvent sont emportés à Babylone avec les rescapés de Juda. D’une certaine manière, le culte part en exil et il faudra attendre son rétablissement consécutif à l’édit de Cyrus pour que les instruments cultuels reviennent à Jérusalem (Esdras 1,7-11).

• Notons la forte importance accordée au Temple (comme d’ailleurs dans le reste du livre) : deux versets sur le Temple ; et à peine un sur le massacre.

Le verset 21 mentionne le contenu de la prophétie de Jérémie et constitue une réflexion de synthèse sur plusieurs thèmes bibliques associés au motif de l’exil. La rédaction chroniste fait dans ce verset oeuvre d’exégèse.

Le motif des 70 ans de désolation est clairement repris d’annonces jérémiennes (Jr 25,11-13 ; 29,10) qui posaient sur le temps de l’exil un regard fondamentalement négatif, n’y voyant qu’un temps de désolation et de ruine. 

Les Chroniques lient à cette annonce un motif qui ne figurait pas explicitement chez Jérémie mais apparaissait dans le livre du Lévitique (26,34-35) : le temps de l’exil y prend une valeur rituelle, voire salvifique, puisqu’il est compris comme un temps de repos sabbatique régénérateur accordé au pays.

Dans la synthèse chroniste des réflexions sur l’exil apparaît donc une réflexion relativement nuancée suggérant que le temps du malheur revêt une fonction
importante. Comme temps sabbatique, les 70 ans de désolation préparent le nouveau départ, dont parlent les versets qui suivent, un peu comme chaque sabbat prépare la nouvelle semaine.

3. Enjeux théologiques

a) Un certain regard sur l’histoire et la responsabilité personnelle.

Les rédacteurs des Chroniques, lorsqu’ils réécrivent l’histoire d’Israël, ne le font pas par simple souci documentaire mais cherchent à donner sens aux évènements et à mettre en évidence les mécanismes et les logiques qui les régissent.

La lecture de l’oeuvre montre que les chronistes posent un regard relativement optimiste sur le fonctionnement du cosmos. Ils sont mus par la conviction que chaque génération est responsable de ses propres actions et doit en assumer les conséquences. Dans notre chapitre, ce qui frappe est que Sédécias et ses sujets portent l’entière responsabilité de la faute, et donc de la catastrophe. Alors que la plupart des rois avant lui s’étaient repentis, Sédécias et son peuple s’entêtent à rejeter les prophètes.

Sur ce point, les Chroniques s’écartent donc nettement du schéma historiographique figurant dans le livre des Rois, selon lequel l’exil représenterait la conséquence des fautes accumulées par les Rois de Juda depuis Manassé (2 R 23,26-27 ; 25,20). On constate d’ailleurs que, dans le livre des Chroniques, les fils et les petits-fils ne portent pas la faute de leurs pères mais assument par contre pleinement les conséquences de leur propre comportement. Ainsi, dans les Chroniques, la destruction totale de Jérusalem et l’exil est la conséquence exclusive des fautes de la dernière génération de Sédécias.

c) Des pratiques cultuelles conformes

Les Chroniques insistent sur le fait qu’une orthopraxie est garante de l’harmonie entre Dieu et son peuple et précisent la nature des institutions responsables des pratiques cultuelles. La mise en place du culte est attribuée à David (1 Ch 15 – 16 ; 22 – 26) et chaque entorse faite à la bonne pratique menace la survie d’Israël.

On peut penser qu’au moment où les Chroniques furent rédigées, le culte traditionnel pratiqué à Jérusalem était confronté à des défis relativement importants, notamment du fait de l’influence de plus en plus importante de la culture et des pratiques hellénistiques. Dans ce contexte, l’affirmation chroniste de la nécessaire fidélité au culte traditionnel peut être comprise comme un avertissement adressé au lecteur, comparable à celui que la génération de l’exil avait reçu, aux versets 15-16 de notre péricope. Cette insistance chroniste sur le culte montre que, dans l’Antiquité, la bonne pratique cultuelle était perçue comme absolument fondamentale et que tant la vie que la mort en dépendaient.
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeLun 17 Juin 2024, 11:32

Le titre que tu donnes (Wénin, 2010, lien de téléchargement) ne correspond pas à l'extrait que tu cites (Gribi / Macchi 2012, téléchargeable ici). Mais les deux textes sont pertinents à ce fil, bien qu'ils ne concernent pas les mêmes passages des Chroniques (2 Chroniques 10--20; 36,11-23 respectivement).

L'étude de Wénin analyse fort bien les procédés narratifs des Chroniques et leurs effets (y compris le relatif ennui qui s'en dégage, au moins pour le lecteur moderne, par rapport au récit plus "vivant" ou "pittoresque" de Samuel-Rois); par contre il est plutôt faible dans l'analyse de l'"idéologie" sous-jacente: il ne met pas assez en évidence l'aspect central du culte, de la prêtrise (au sens large) et du temple qui éclipse tout le reste (histoire nationale, royauté, politique, guerre, identité et exclusivité "ethniques" ou même "religieuses" d'Israël ou de Juda). Ce que souligne beaucoup mieux le second article, à visée homilétique (comment "prêcher" sur un tel texte ?), qui fait nombre de remarques intéressantes, de bon sens et toujours "d'actualité". Par exemple, les catastrophes ne sont pas toujours évitables, et on ne réfléchit qu'après coup (comme l'indiquent les mots mêmes de ré-flexion, nach-denken ou meta-noia -- "repentance" ou "conversion" après "faute" et "châtiment" étant précisément un schéma récurrent des Chroniques). Pourtant l'"application" de tels textes à la modernité pose d'infinis problèmes, car notre perception de "la vie" et de "l'histoire", individuelles ou collectives, est toujours  liée à l'idée de "liberté" au sens de "libre-arbitre", "choix" et "responsabilité", ce que ne supposent précisément pas les Chroniques, en tout cas pas de la même manière: l'histoire antique est avant tout un destin, fatalité ou providence, au-delà ou en-deçà même des dieux; mais elle a un autre, qui est justement le monde anhistorique des dieux, du mythe et du rite, sacré, idéal, cyclique, immuable, éternel, auquel l'homme a aussi un rapport esthétique (musique, chant, poésie, art): culte et culture inséparables. Il n'est pas impensable qu'une "modernité" fatiguée de son "histoire", de sa "liberté" et de sa "responsabilité" y revienne sous d'autres formes, si elle en trouve encore le temps.

Là encore on ne peut qu'apprécier la consonance des Psaumes et des Chroniques (qui ouvrent et ferment, dans le canon hébreu, la même section des "Ecrits", ketouvim), notamment avec la reprise du fameux refrain ky l-`wlm hsdw, "car sa bonté-fidélité (hsd-hesed est pour toujours", 1 Chroniques 16,34.41; 2 Chroniques 5,13; 7,3.6; 20,21.

(Je repense à une scène magique de l'Edipo re de Pasolini, où Oedipe entendant la flûte de Tirésias, le voyant aveugle, dit: Come vorrei essere te ! Tu canti ciò che è al di là del destino -- "Comme je voudrais être toi ! Tu chantes ce qui est au-delà du destin." Une fois le destin accompli, Oedipe, aveugle à son tour, repartira avec la flûte de Tirésias, éternel mendiant de tous les lieux et de tous les temps.)
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMer 19 Juin 2024, 11:10

Article paru dans Foi et Vie. Cahier biblique 49 (Oct. 2010) 22-34.
A. Wénin • 04/05/16

Les débuts du royaume de Juda en 2 Ch 10–20. Narration et idéologie

Quelles options narratives caractérisent ce style propre au récit des Chroniques ? C’est ce que je me propose d’examiner dans ces pages, en empruntant mes exemples aux chapitres 10 à 20 de 2 Ch, un récit qui relate l’histoire des rois de Juda entre le schisme du Nord à l’époque de Roboam et la mort du roi Josaphat. Dans ce récit, le Chroniste suit le récit du premier livre des Rois en se limitant à ce qui concerne les rois de Juda4, c’est-à-dire surtout deux épisodes : la sécession des tribus du Nord au début du règne de Roboam (2 Ch 10,1–11,4 // 1 R 12,1-24) et la guerre d’Achab et Josaphat contre Ramôt de Galaad (2 Ch 18,2-34 // 1 R 22,2-35), ainsi que quelques autres notices5. Ayant beaucoup de matériau propre, ces onze chapitres offrent donc un bel exemple de la manière de raconter en 1-2 Ch.

(1) L’USAGE INTENSIF DU MODE NARRATIF

Une première option du narrateur des Chroniques est le recours privilégié au mode narratif. Qu’est-ce à dire ? Dans le long récit de Genèse à 2 Rois, nombreuses sont les scènes croquées pour ainsi dire sur le vif, truffées de dialogues alertes et vivants, qui donnent au lecteur l’impression d’assister aux faits comme s’ils se déroulaient devant lui sur une scène – c’est le « mode scénique ». Une telle façon de raconter laisse une grande place au travail du lecteur que le narrateur laisse face aux faits sans guère le guider dans sa compréhension des personnages, de leurs interactions et des enjeux sous-jacents. À l’inverse, racontés en « mode narratif », les événements sont filtrés par le narrateur qui assume lui-même son récit en le narrant avec ses propres mots. Cela lui permet de souligner ce qu’il estime essentiel ou de synthétiser une série d’actions, d’exprimer ses jugements, de qualifier directement les personnages ou leur agir, etc.

Les deux premiers chapitres de l’ensemble retenu sont significatifs à cet égard. Le premier épisode relate les négociations entre le roi Roboam, fils et successeur de Salomon, et les Israélites qui revendiquent de lui un mode de gouvernement plus souple. Le jeune roi refusant de leur donner satisfaction, ils décident de faire sécession. En réalité, ce récit de 2 Ch 10,1–11,4 est un véritable calque de 1 R 12. Le narrateur alterne habilement les modes narratif et scénique, comme c’est très souvent le cas dans la Bible hébraïque. Son récit est émaillé de nombreux dialogues et de brefs discours qui lui confèrent un style vivant (2 Ch 10,4-5.6-11.12.14b.16b ; 11,3-4). Le mode scénique domine largement et le narrateur intervient peu pour guider la lecture ou émettre un jugement plus ou moins direct (voir toutefois 10,13-14a.15-16a et 18b). En revanche, dans l’épisode suivant, typique des parties propres à 1-2 Ch, le mode narratif domine largement. Avec le sommaire sur les travaux de fortification menés par Roboam (11,5-12), le récit de 11,13-17 est un bel exemple de cette façon de raconter. Après que Jéroboam a fait sécession, ne laissant à Roboam, fils de Salomon, que les tribus de Juda et Benjamin,

les prêtres et les lévites qui étaient dans tout Israël se rallièrent à lui [Roboam] de tout leur territoire. Oui, les lévites quittèrent leurs pâturages et leurs possessions et s’en allèrent en Juda et à Jérusalem, parce que Jéroboam et ses fils les avaient empêchés d’exercer le sacerdoce d’Adonaï et avait institué des prêtres à lui pour les hauts lieux, les boucs et les veaux qu’il avait fabriqués. À leur suite, de toutes les tribus d’Israël, ceux qui avaient à cœur de chercher Adonaï, le Dieu d’Israël, vinrent à Jérusalem pour offrir des sacrifices à Adonaï le Dieu de leurs pères. Ils renforcèrent le royaume de Juda et ils soutinrent Roboam, fils de Salomon pendant trois années, car ils marchèrent dans la voie de David et de Salomon pendant trois années.

Dans ces quelques lignes, le narrateur guide de près le lecteur à qui il ne permet pas de se représenter les faits par lui-même en les lui montrant. Par son souci très net de valoriser le royaume de Juda et son roi, et par sa façon de raconter comment, des tribus du Nord, prêtres et lévites d’abord, fidèles d’Adonaï ensuite, rejoignent Roboam, il porte à la fois un jugement positif sur la démarche de ceux qui affluent à Jérusalem et critique sévèrement Jéroboam qui interdit de service les prêtres authentiques pour se constituer un nouveau sacerdoce, idolâtre et donc illégitime. On notera encore comment il qualifie les fidèles en les nommant « ceux qui ont à cœur de chercher Adonaï », à son tour appelé « Dieu de leurs pères » – ce qui suggère leur fidélité à la religion traditionnelle. Enfin, en finale, il anticipe discrètement la défection de Roboam qui abandonnera bientôt la loi d’Adonaï avec tout Israël (voir 11,23b–12,1).
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMer 19 Juin 2024, 11:31

Voir au début de mon post précédent le lien de téléchargement à cet article et quelques commentaires -- accessoirement, je ne sais pas pourquoi Wénin s'entête à dire ou à écrire "Adonaï" pour "Yahvé" dans son propre texte alors que ça ne correspond ni au texte "biblique" (consonantique) ni à l'usage du judaïsme moderne (qui évite autant "Adonaï" que "Yahvé" dans un discours ordinaire, hors lecture ou récitation liturgique). C'est l'occasion de remarquer à nouveau que jusque dans les textes les plus tardifs de l'AT l'attitude varie quant à l'usage du "nom divin", certains l'emploient librement dans le discours direct et les dialogues (qui supposent une prononciation ordinaire, p. ex. Jonas) et d'autres l'évitent (Job, Qohéleth, section dite "élohiste" du psautier, etc.). Les Chroniques ne l'utilisent guère en discours direct dans les prières, liturgiques ou non (p. ex. de David et de Salomon, 1 Chroniques 17 ou 2 Chroniques 6ss), mais c'est aussi un effet général de la rédaction qui favorise la prière (rituelle, chantée ou psalmodiée, ou "spontanée") par rapport au dialogue entre les personnages (humains), réduit au minimum.

Au passage, en ce qui concerne le rapport du "culte" à l'"histoire", un des traits les plus frappants des Chroniques c'est d'articuler le rituel au miracle salvateur -- du sacrifice de David sur l'aire d'Ornan = Moriya = mont du temple qui arrête la peste, 1 Chroniques 21, à la procession de Josaphat qui, sans combat, conduit les ennemis à s'entretuer, 2 Chroniques 20. A comparer avec la prise de Jéricho dans Josué, où la victoire est aussi liturgique et miraculeuse, à cette différence près qu'Israël est bien l'auteur ou l'instrument du massacre une fois les murailles effondrées. Les Chroniques vont plus loin en ce qu'elles tendent à garder à la fois les "fidèles" et le "Dieu" de l'histoire réelle et sanglante ("progrès" paradoxal par rapport à David qui n'était pas digne du temple à cause du sang versé, de là à penser que le Yahvé guerrier n'en était pas digne non plus...).
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMer 10 Juil 2024, 10:23

Innocent Himbaza, Le roi Manassé. Héritage et conflit du pardon, Genève, Labor et Fides, coll. « Essais bibliques 40 », 2006. 

En abordant une figure méconnue de l’AT, Manassé, roi de Juda de 687 à 642 av. J.-C., le livre d’Innocent Himbaza suscite la curiosité et l’intérêt.

La première partie propose une lecture comparée de 2 R 21 et 2 Ch 33. 2 R 21 fait un portrait négatif de Manassé qui est le pire roi de Juda. Il est coupable d’idolâtrie envers Dieu et de crimes de sang. Sa méchanceté le rend responsable de la grande catastrophe de l’exil selon la fin du 2e livre des Rois. En 2 Ch 33, si Manassé fut un mauvais roi de par son idolâtrie, il fut puni par une invasion étrangère. Sa repentance sincère lui permet de retrouver son trône et d’avoir une fin de règne heureuse. Selon les Chroniques, Manassé n’a pas commis les crimes de sang dont 2 R 21 le charge, et n’est pas responsable de la destruction de Jérusalem. Le peuple de Juda n’a pas toujours été infidèle à yhwh. Le portrait chroniste de Manassé corrige l’image de 2 R 21 et une théologie de la rétribution reportée sur plusieurs générations. 2 Ch 33 n’explique pas seulement le pourquoi du paradoxe du règne le plus long du roi le plus impie, mais montre que Dieu punit et pardonne et qu’« il n’y a pas de temps qui s’écoule entre le péché et la rétribution ». Les Chroniques développent une théologie de la compassion où punition et pardon sont directs.

Le livre s’interroge également sur le rapport de 2 R 21 et 2 Ch 33 à l’histoire. Il convient de ne pas accorder tout le crédit à 2 R 21. Plusieurs mentions propres au récit des Chroniques peuvent avoir des résonances avec certains travaux archéologiques récents. Les Chroniques utilisent des sources qui ne sont pas forcément celles des rédacteurs des Rois. Pour autant le portrait de 2 Ch 33 n’est pas plus historique que celui de 2 R 21.

La deuxième partie s’intéresse aux développements littéraires de 2 Ch 33 qui n’indique pas le contenu de la prière de Manassé. Or la tradition chrétienne, depuis le iiie siècle apr. J.-C., connaît une « prière de Manassé » s’humiliant devant Dieu et reconnaissant qu’Il est différent des idoles. Le texte de cette prière se trouve dans la didascalia apostolorum et connut une grande fortune. Les découvertes de Qumran ont mis aussi à jour des fragments d’une prière de Manassé datant du iie siècle av. J.-C. Ces textes indiquent que la prière de Manassé et sa conversion ont joué un rôle important dans les milieux juifs et chrétiens. Enfin, avec Manassé, la littérature intertestamentaire répond aux apories bibliques, notamment aux énigmatiques crimes de sang de Manassé. Mentionnons ici la tradition juive de L’ascension d’Ésaïe (Le martyr d’Ésaïe) où Manassé aurait mis à mort le prophète Ésaïe en le sciant en deux.

La troisième partie de l’ouvrage fait le point sur la réception de Manassé dans la tradition rabbinique et chrétienne. Comme Flavius Josèphe, la Mishna, le Talmud, etc., certaines positions condamnent Manassé qui est resté impie. D’autres le réhabilitent partiellement ou complètement : Manassé a prié et Dieu l’a pardonné. Le débat porte sur la réalité de la conversion de Manassé et l’implication du pardon de Dieu. Certains textes insistent sur le rôle des anges qui tentent d’empêcher la prière de Manassé de monter vers Dieu. Mais ce dernier perce une ouverture sous son trône et entend la prière. Cela met en avant la libéralité de Dieu. La tradition chrétienne est unanime, et fait de Manassé le modèle du pécheur repentant et pardonné. Le livre s’achève par un résumé des différentes positions sur le pardon que génère Manassé, et montre les liens entre le Manassé de 2 Ch 33 et le fils prodigue de Lc 15. Manassé ne crée pas un mauvais précédent : le pardon de Dieu est accordé à qui se repent sincèrement.

L’étude est centrée sur le travail interprétatif de 2 Ch 33 par rapport à 2 R 21. On aurait aimé en savoir plus sur les raisons de l’acharnement deutéronomiste contre le règne de Manassé qui fut une des périodes les plus prospères de Juda. Aux raisons théologiques du chroniste déjà évoquées, on pourrait ajouter que son projet est de donner une image positive de la royauté de Juda et de la dynastie davidique, même pour un cas aussi difficile que Manassé. L’embellissement de l’histoire de Juda est en soi un projet théologique pour légitimer la sainteté et la place des institutions du Temple.

La portée théologique du livre sur les conflits du pardon et ses questions offre une bonne base pour discuter sur le sens du pardon. Bien construit et d’une lecture aisée, il rend un grand service en comblant une lacune sur un personnage difficile à saisir.

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2008-2-page-271.htm?contenu=resume


La lettre de Manassé à Qumran

Les grottes de Qumrân on en effet livré une « Prière de Manassé, roi de Juda, lorsque le roi d’Assyrie l’emprisonna » (4Q381 frag. 33a l. Cool. Celle-ci est incluse dans un rouleau d’hymnes (4Q381). On y trouve une prière de repentance qui convient bien à l’histoire de Manassé selon les Chroniques (2 Ch 33), mais le texte n’est pas celui de la prière de Manassé grecque. Il y a donc débat : a-t-on placé dans la bouche de Manassé deux prières de repentance totalement indépendantes ? 2 Ch 33 a-t-il inspiré la prière de 4Q381, ou le rédacteur de 2 Ch 33 connaissait-il la prière de 4Q381 ? La prière de 4Q381 a-t-elle servi de source à la prière grecque ? etc. Pour une discussion récente, voir par exemple Étienne Nodet, « Prières de Manassé (2 Ch 33,13* ; TSK 1.144* ; 4 Q 381) », Revue biblique 117/3, 2010, p. 345-360.

https://michaellanglois.fr/questions/la-lettre-de-manasse-a-qumran/


Prières de Manassé (2Ch 33,13*; TSK 1.144*; 4 Q 381)
Etienne Nodet

https://www.academia.edu/11547342/Pri%C3%A8res_de_Manass%C3%A9_2Ch_33_13_TSK_1_144_4_Q_381_
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Le dernier lien (Nodet, 2009-10; à rapprocher de ses articles ultérieurs sur la datation et la situation hellénistiques, et au moins en partie égyptienne, des Chroniques, cf. supra 31.5.2024 et le lien) est de loin le plus instructif sur la comparaison des différentes "Prières de Manassé". Celle de la Septante (tardive, chrétienne au moins dans sa forme "finale") est traduite dans pas mal de bibles, par exemple en français ici (TOB). Je trouve aussi une vieille traduction (1902) de l'histoire et de la prière de Manassé selon la Didascalie des apôtres là (p. 43ss).

La canonisation commune, proche ou éloignée selon les canons chrétiens ou juif-rabbinique, de Samuel-Rois et des Chroniques -- chose que les premiers auteurs de l'un et de l'autre texte n'avaient pas pu prévoir, même si les ultimes rédacteurs ont dû la voir venir -- était de nature à créer un effet de paradoxe paroxystique: c'est le "pire des pécheurs" (selon les Rois) dont la repentance suivie d'effet, de pardon et de rétablissement spectaculaire (selon les Chroniques) allait être tellement valorisée que le concept même (repentance, retour, conversion, de la teshouva à la metanoia) s'en trouverait exalté. Effet proprement intertextuel, qui n'est celui d'aucun texte "biblique" particulier, ni des Rois qui ignorent le châtiment, la repentance et le rétablissement, ni des Chroniques qui atténuent le péché, mais qui rejoint les psaumes "pénitentiels" et les confessions formelles des livres tardifs (Esdras 9, Néhémie 9, Daniel 9, etc.). -- Je repense à une ironie du Journal de Kierkegaard, qui imaginait un concours du "plus grand pécheur" organisé par les cercles piétistes de son temps et de son pays (le Danemark), ceux qui pratiquaient justement la repentance et la confession publique des "convertis", à peu près tous issus de l'Eglise luthérienne officielle (au siècle suivant son compatriote Dreyer a admirablement illustré, dans Ordet, ce genre de chapelle et les rivalités communautaires qui en résultaient). Mais c'est déjà ce qui se met en scène dans le NT avec le développement de la biographie de Saul-Paul, de 1 Corinthiens aux Pastorales et aux Actes: le pire pécheur devenu l'apôtre par excellence, autre transfiguration-substitution du Judas évangélique si l'on y regarde bien. Dans les versions précitées de la "Prière de Manassé", cela prend la forme: tu n'as pas créé la repentance pour Abraham, Isaac et Jacob qui n'avaient pas péché, mais pour moi...

Comme on le disait précédemment, le "Manassé historique", bien attesté par les textes assyriens, n'est certainement ni celui des Rois ni celui des Chroniques: il est probable que ses actes politiques "positifs" aient été transférés par les Rois à Ezéchias, à Josias, ou même à Salomon; ils ne lui ont pas été pour autant restitués par les Chroniques, car pour celles-ci seule comptait l'illustration du schème faute-châtiment-repentance-rétablissement dans une seule figure, ainsi exemplaire.

Accessoirement, on peut trouver ici une autre recension, plus expéditive, du livre d'I. Himbaza (que nous avons déjà eu l'occasion de lire sur d'autres textes) par l'excellent Alfred Marx (qui déplore aussi l'absence d'intérêt pour le "Manassé historique")...
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeLun 15 Juil 2024, 10:39

La Jérusalem souterraine du temps d’Ézéchias
Le tunnel de Siloé
Maria Gorea

3. Le tunnel de Siloé, oeuvre du roi Ézékias ?

L’on s’accordât, et ce dès les premières investigations et avant même la découverte de l’inscription en 1880, pour reconnaître dans le tunnel l’ouvrage d’art et les travaux hydrauliques à Jérusalem du roi Ézékias. Les sources bibliques et les écrits de Flavius Josèphe témoignent de l’existence d’installations hydrauliques à Jérusalem, dont l’origine était située à haute époque. « Quiconque veut frapper le Jébusite, doit atteindre le canal (kol-makkēh yǝbusî wǝyiggaʿ baṣṣinnôr) », peut-on lire dans 2 Sam 5,8[34]. Voulait-on suggérer par-là la possibilité d’une prise de la ville en en obstruant les conduits d’eau ou bien que l’on pouvait y pénétrer par les égouts[35] ? Des travaux d’adduction d’eau attribués au roi de Juda, Ézékias, sont par ailleurs mentionnés allusivement dans 2 Rois 20,20 : « [...] ce qu’il [Ézékias] a fait, le réservoir et le canal construits pour amener l’eau dans la ville (ʾet habbǝrēkāh wǝʾet-hattǝʿālāh wayyābēʾ ʾet hammayim hāʿîrāh), cela n’est-il pas écrit dans le livre des Annales des rois de Juda ? ». À plus de quatre siècles d’écart, le Siracide mentionnait les travaux d’adduction d’eau attribués à ce roi : « Ézékias fortifia sa ville, en y amenant l’eau à l’intérieur. Avec le bronze, il creusa le rocher et construisit des réservoirs pour les eaux. De son temps monta Sennachérib qui envoya Rab-Šāqēh [...][36] » (Si 48,17-18).

Selon 2 Chr 32,3-5, Ézékias avait bloqué toutes les sources qui se trouvaient à l’extérieur de Jérusalem :

Il [Ézékias] se concerta avec ses dignitaires et ses officiers pour obturer l’accès à l’eau des sources situées en dehors de la ville (listôr ʾet-mêmēy hāʿªyānôt ʾªšer miḥḥûṣ lāʿîr). Ceux-ci l’aidèrent et un peuple nombreux se rassembla pour obturer toutes les sources et le ruisseau coulant à l’intérieur de la terre (wayistǝmû ʾet-kol-hammaʿyānôt wǝʾet-hannaḥal haššôṭēp bǝtôk-hāʾāreṣ), en disant : « Pourquoi les rois d’Assyrie, à leur arrivée, trouveraient-ils de l’eau en abondance ? » Ézékias se mit courageusement à reconstruire tout le rempart démoli, il construisit les tours et une autre à l’extérieur du mur (wayyiben ʾet-kol-haḥḥômāh happǝrûṣāh wayyaʿal ʿal hammigdālôt wǝlaḥḥûṣāh haḥḥômāh ʾaḥeret).

Le traducteur de la Septante comprend différemment ce passage, puisqu’il semble s’agir non plus d’une tour se trouvant à l’extérieur de la muraille, mais d’un deuxième rempart : « et il construisit tout le mur qui avait été démoli, les tours, ainsi qu’un autre [mur] en face, à l’extérieur » (καὶ ᾠκοδόμησε πᾶν τὸ τεῖχος τὸ κατεσκαμμένον, καὶ πύργους, και ἔξω προτείχισμα ἂλλο). L’interprétation de la Septante resterait simplement anecdotique si elle ne concordait pas avec un passage de Is 22,11, où il est question de « deux murailles » : « Vous avez aménagé un bassin entre les deux murailles pour les eaux de l’ancien réservoir (ûmiqwāh ʿªśîtem bēyn haḥḥōmōtayim lǝmēy habbǝrēkāh hayǝšānāh) ».


Selon Flavius Josèphe, le réservoir de Siloé (qu’il appelle « source », πηγή) se serait trouvé à proximité de l’ancienne enceinte[37], mais selon Birch, il ne faisait pas de doute que la piscine de Siloé se trouvait entre les deux murailles évoquées en Is 22,11, et en deçà du « mur extérieur », mentionné dans 2 Par 32,5 (Septante). S’agit-il du « réservoir inférieur » de Is 22,9 (habbǝrēkāh hattaḥtônāh) aménagé sous Akhaz, vers 735, (Birkat al-Ḥamra) ? De l’avis de Birch, les deux murailles formaient le mur d’enceinte de la ville et le mur extérieur (2 Par 32,5), en plaçant ainsi la piscine de Siloé à l’intérieur de ces remparts (Birch 1880, 200), mais les discussions sur le tracé des murailles antiques à Jérusalem a fait l’objet d’interminables débats.

https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2013-v21-n1-theologi01440/1025470ar/
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeLun 15 Juil 2024, 11:57

Article intéressant aussi sur l'histoire (mouvementée) de l'"archéologie biblique"...

J'avais évoqué récemment ici (22.6.2024) le (t/s)çinnor à propos du Psaume 42,8 (cf. note 34 de l'article de Gorea), mais en effet le mot ne se trouve (ailleurs) dans le texte "biblique" qu'en 2 Samuel 5,8, dans le cycle de David: l'anecdote n'est pas retenue en 1 Chroniques 11, mais on retrouve dans le même chapitre celle de la citerne de Bethléem qui vient de 2 Samuel 23...

Savoir de quoi les textes parlent -- signifié et référent, technique en l'occurrence: par exemple canal, conduit, tunnel, aqueduc conduisant l'eau d'un point à un autre, ou souterrain protégeant l'accès de la ville à une source située à l'extérieur -- c'est tout le problème exégétique, que l'incertitude historique et archéologique ne fait que compliquer.

La comparaison des textes hébreu et grec des Chroniques, et de ceux d'Isaïe et de Josèphe, est instructive, mais il ne faut pas perdre de vue que les éventuels référents concrets, topographiques ou architecturaux, propres aux Chroniques seraient ceux de la Jérusalem du Second Temple, à l'époque hellénistique selon toute vraisemblance (à l'époque romaine pour Josèphe). Du point de vue textuel, derrière les Chroniques il faudrait aussi tenir compte de la notice de 2 Rois 20,20, même si c'est un ajout secondaire à la partie du livre concernant Ezéchias, repris en 2 Chroniques 32,30 qui fait double emploi avec les v. 3ss. On peut aussi noter que l'eau jouait déjà un rôle important dans la rhétorique diplomatique assyrienne selon 2 Rois (18,31; 19,24) et Isaïe (36,16; 37,25).
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeVen 19 Juil 2024, 11:34

L'énigme du destin de Josias - Joëlle FERRY

L'interprétation du livre des Chroniques

Le récit du règne de Josias dans le livre des Chroniques offre plus d'une différence avec celui du livre des Rois. Chroniques insiste beaucoup sur la piété du roi Josias, dès la 8e  année de son règne, puis il inverse des séquences entre commencement des réformes et découverte du rouleau, si bien que la réforme de Josias n'aurait aucun lien avec la découverte du « livre de la loi ». L'intérêt porte surtout sur ce que Josias a accompli en matière cultuelle, il n'est pas fait allusion aux errements de Manassé.

Le récit de la mort tragique du roi présente aussi des différences dans la structure de l'épisode et dans son traitement. En 2 R 23, la notice finale (v.28) précède l'évocation de la mort du roi (v.29-30a) et l'annonce de la succession ; en 2 Ch 35, on commence par la mort du roi (v.20-25) avant de donner la notice (v.26-27) et l'annonce de la succession (2 Ch 36,1).

Le texte du livre des Chroniques est notablement plus long que celui du livre des Rois et témoigne d'un travail de réécriture important, significatif de la différence de perspective des deux récits. Le contexte historique est mentionné plus précisément : le roi d'Égypte Néko monte vers Karkémish où se livrera une grande bataille entre l'Égypte et Babylone en 605. Le contexte est clairement celui d'une guerre : le roi d'Égypte est monté combattre, il est en guerre (v.20-21). Même attitude pour Josias : « il vient combattre dans la vallée de Megiddo » (v.22).

Un détail est ici à observer, parfois peu visible dans les traductions. En 2 Ch 35,22, le texte massorétique se traduit littéralement : « il s'était déguisé pour le combattre ». La traduction grecque de la Septante, trouvant sans doute étrange cette mention d'un déguisement que rien dans le contexte ne semble expliquer, fait une légère correction pour lire « il prit la ferme décision de se battre »8. 

Il semble que le Chroniste développe ici les données du livre des Rois en empruntant des traits littéraires au récit de la mort du roi Akhab (1 R 22,30-35). Il s'agit dans les deux cas d'un roi blessé à mort demandant à ses serviteurs de lui faire quitter le combat. Le déguisement permet d'expliquer comment le char du roi blessé peut s'enfuir du champ de bataille sans attirer l'attention des belligérants. Le roi Josias est blessé au combat (v.23). Il meurt ensuite à Jérusalem où ses serviteurs l'ont conduit, et non à Megiddo comme dans le récit des Rois. Le récit des Chroniques est clair sur ce contexte militaire.

Le dialogue entre Josias et Néko

Un autre élément n'apparaît pas dans le récit du livre des Rois, mais prend une place dans la narration des Chroniques : le Pharaon Néko, avant de combattre, entre en dialogue avec Josias pour lui dire que ce n'est pas lui son ennemi. Bien plus, il est lui, le roi d'Égypte, envoyé par YHWH. Mais, poursuit le récit, « Josias n'écouta pas les paroles de Néko, inspirées par Dieu ». 

Ces paroles résonnent comme un jugement. Bien loin d'être le roi pieux et fidèle, Josias commet ici une faute importante. En contrepoint de l'attitude du croyant à qui le Deutéronome demande d'écouter, il n'écoute pas, méritant par là-même de recevoir une sanction. La mort n'apparaît plus alors avec le même caractère abrupt que dans le livre des Rois, mais dans la suite d'une faute.

Un étonnement peut toutefois surgir : Dieu parlerait-il par un roi étranger ? Cela peut sembler inhabituel chez le Chroniste. Reprendrait-il ici une ancienne tradition ? Ou convient-il de comprendre autrement sa théologie ? En effet, la foi du Chroniste est bien celle des prophètes pour qui l'Assyrie est « gourdin de la colère » de YHWH (Is 10,5), Nabuchodonosor le « serviteur » de Dieu (Jr 25,9), et Cyrus le « berger », le « messie » de YHWH (Is 44,28 ; 45,1). 

Le Chroniste porte un jugement sur Sédécias, le dernier roi de Juda (597-587), dans des termes analogues lorsqu'il écrit : « Il ne s'humilia pas devant le prophète Jérémie qui parlait de la part de YHWH. Il se révolta même contre le roi Nabuchodonosor qui lui avait fait prêter serment par Dieu » (2 Ch 36,12-13).

http://lumiere-et-vie.fr/numeros/LV_291_pages_75-85.pdf
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeVen 19 Juil 2024, 12:20

Voir aussi cet autre fil où il a été beaucoup question de Josias, avec en particulier (11.4.2022) un article (de Römer) du même numéro de "Lumière et vie" (2011). Celui de Joëlle Ferry est très utile aussi, en particulier par sa comparaison de 2 Chroniques et de 3 Esdras (et, dans un autre genre, du Siracide). Pour rappel, le caractère historique de la "réforme de Josias" selon les Rois a probablement été surévalué, car elle offrait à l'exégèse historico-critique un rare point d'ancrage précis, mais fragile, des textes dans "l'histoire" -- à condition d'identifier le "livre de la loi" à tout ou partie du Deutéronome... En fait beaucoup de ce qui est prêté à Josias pourrait remonter à Ezéchias et à Manassé, quand cela n'a pas été inventé après coup; quant à la rédaction du Deutéronome et de la Torah, elle serait plutôt ultérieure, postexilique, d'époques perse et hellénistique.

Outre la différence de perspective sur la "rétribution", le rapport de la "réforme" à la "loi" reflète aussi l'écart d'idéologie et de "milieu" entre Samuel-Rois et les Chroniques: d'un côté le Deutéronome, loi essentiellement "laïque", "profane", "séculière", "civile", non sacerdotale et peu rituelle, ce qui va paradoxalement de pair avec un exclusivisme religieux exacerbé, identitaire et intolérant; de l'autre un point de vue principalement cultuel, liturgique, centré sur le temple, son service et sa prêtrise, à quoi la "loi" et le roi même sont subordonnés, et culturellement beaucoup plus tolérant (comme on l'a déjà remarqué plus haut, les "prêtres" sont les mêmes partout, ils font partout le même "métier" ou "ministère", et à cet égard les différences entre les cultes et les cultures deviennent secondaires). Cf. supra 22 et 30.5 et 12.6.2024.

Quant au rapport (également inclusif, sinon universaliste) du d-Dieu (particulier et/ou unique) avec d'autres peuples ou rois, aussi compris comme instrumental en faveur ou en défaveur d'Israël, on peut tout aussi bien penser à la Genèse qui à cet égard est très proche: Abimélech, (les) Pharaon(s), Melchisédeq, l'histoire et le salut des patriarches passent aussi par eux...
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMar 23 Juil 2024, 13:42

Le roi est mort, vive le Livre !
La découverte du Livre et la centralisation du culte sous Josias
Thomas RÖMER

L'insertion du thème du livre trouvé

Une lecture attentive de 2 R 22 indique que le thème de la découverte du livre interrompt un récit plus ancien. Ainsi, le verset 8, relatant la découverte du livre, interrompt le rapport sur le paiement des ouvriers ayant effectué la restauration du Temple :

2 R 22 3 La dix-huitième année de son règne, le roi Josias envoya le secrétaire Shafân, d'Açalyahou, de Meshoullam, à la Maison du SEIGNEUR, en disant : 4 « Monte vers le grand prêtre Hilqiyahou pour qu'il fasse le total de l'argent apporté à la Maison du SEIGNEUR et que les gardiens du seuil ont recueilli auprès du peuple. 5 Qu'on le remette entre les mains des entrepreneurs des travaux, aux responsables de la Maison du SEIGNEUR, afin qu'ils payent ceux qui, dans la Maison du SEIGNEUR, travaillent à en réparer les dégradations : 6 les charpentiers, les constructeurs, les maçons, et afin d'acheter des poutres et des pierres de taille en vue de réparer la Maison. 7 Qu'on ne leur demande pas compte de l'argent remis entre leurs mains, car ils agissent consciencieusement ». 8 Le grand prêtre Hilqiyahou dit au secrétaire Shafân : « J'ai trouvé le livre de la Loi dans la Maison du SEIGNEUR ! » Hilqiyahou remit le livre à Shafân, qui le lut. 9 Le secrétaire Shafân vint trouver le roi et lui rendit compte en ces termes : « Tes serviteurs ont versé l'argent trouvé dans la Maison et l'ont remis entre les mains des entrepreneurs des travaux, aux responsables de la Maison du SEIGNEUR ».3

On se rend aisément compte que la remarque sur le livre trouvé (dont on ne relate pas autrement la découverte) est étrangère au récit primitif. Si on passe directement du v. 7 au v. 9, l'histoire est plus simple et plus logique. Il donc est possible que le récit de l'invention du livre (versets 22, 8. 10. 11. 13*. 16-18. 19*. 20* ; 23, 1-3) soit une insertion tardive4, dont il nous faudra préciser le contexte historique.

Récemment Nadav Na'aman a soutenu que la découverte du livre est un élément nécessaire pour comprendre le récit primitif de la découverte du livre5. Cette affirmation est cependant contredite par la version du règne de Josias dans les livres des Chroniques (2 Chr 34) qui relate d'abord la réforme du roi sans la découverte du livre qui n'intervient que 18 ans plus tard. Le récit primitif de la réforme de Josias n'était donc pas lié à la découverte d'un livre.

https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_4DE7B8B020B1.P001/REF.pdf
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMar 23 Juil 2024, 14:18

C'est l'article auquel je me référais au début de mon post précédent (ici 11.4.2022).

On peut voir là une illustration amusante de la façon dont la "critique historique" progresse ou régresse, en tout cas procède (et rétrocède): "l'invention du livre" associée à la "réforme de Josias" par les Rois a été un élément essentiel dans la construction de la "théorie documentaire" du XIXe siècle (Wellhausen); par son son extension ultérieure à "l'historiographie deutéronomiste" (Noth etc.) elle est devenue un levier (ou un point d'appui) décisif pour renverser ladite théorie dans la dernière partie du XXe, dès lors que le Deutéronome et l'"historiographie deutéronomiste" apparaissaient comme les couches les plus anciennes, et non les plus récentes, des textes. Mais aujourd'hui ceux qui, comme Römer, étaient il y a quarante ou cinquante ans à l'avant-garde de la subversion du paradigme précédent se retrouvent à l'arrière-garde, en défendant mordicus leur point de départ (Josias comme terminus a quo de l'écriture "biblique" en général) contre de nouvelles générations qui le contestent, en abaissant encore la datation de la quasi-totalité des textes aux époques "post-exiliques", perse ou hellénistique... Inusable gag de l'arroseur arrosé, ou banalité de la marche: pour avancer, reculer ou simplement bouger, il faut toujours quitter la position précédente, et c'est évidemment plus difficile pour celui qui y est arrivé de haute lutte que pour ceux qui repartent tranquillement de là...

Toujours est-il qu'en matière "historique" l'argument des Chroniques est pour le moins fragile: le ou les Chronistes ont d'excellentes raisons "idéologiques" de dissocier la "réforme" de la "loi" pour la lier principalement au temple et au culte. Leur supposer, à l'époque hellénistique, une connaissance miraculeuse des événements de l'époque assyrienne ou néo-babylonienne, ce serait neutraliser le critère même de vraisemblance d'une "critique historique" (quand tout est possible, rien n'est plus probable ni improbable, ni plus ou moins probable); ce qui reviendrait à reproduire à peu près ce qu'on reproche aux "fondamentalistes". -- Une variante à peine plus subtile du même argument soulignerait, avec raison, que les Chroniques semblent travailler un texte de Samuel-Rois différent du pré-massorétique, dont témoigne aussi quelquefois la Septante et certains textes hébreux de Qoumrân; mais ce texte-là, même s'il s'avérait plus ancien en tant que texte, ne serait pas plus "historique" dans son contenu narratif pour autant.
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMer 24 Juil 2024, 11:29

Les rites de la Pâque juive
Dany NOCQUET

La Pâque et la sortie d’Égypte, sacrifice et fête des pains
sans levain en Dt 16,1-8 et 2 R 23,21-23

La Pâque en Dt 16,1 fait partie des trois fêtes de pèlerinage à Jérusalem ; cette tradition deutéronomique est généralement datée d’avant l’Exil. La Pâque y est donc décrite comme une fête liée au sanctuaire de Jérusalem : avec la fête des Semaines et la fête des Tentes, la Pâque semble avoir joué un rôle structurant pour toute la vie sociale en Juda vers la f n du 7ème siècle av. J.-C.

Dt 16 1 Observe le mois des épis ; tu célébreras la Pâque pour le SEIGNEUR, ton Dieu ; car c'est au mois des épis que le SEIGNEUR, ton Dieu, t'a fait sortir d'Égypte, pendant la nuit. 2 Tu sacrifieras la Pâque pour le SEIGNEUR, ton Dieu, du petit bétail et du gros bétail, au lieu que le SEIGNEUR choisira pour y faire demeurer son nom. 3 Pendant la fête, tu ne mangeras rien de levé ; tu mangeras pendant sept jours des pains sans levain, du pain d'affliction, car c'est dans la précipitation que tu es sorti d'Égypte : tu te souviendras ainsi tous les jours de ta vie du jour où tu es sorti d'Égypte.

La Pâque est ici un sacrifice, sacrifice de petit et de gros bétail et pas seulement l’immolation d’un chevreau ou d’un agneau, elle a la fonction de rappeler la délivrance d’Israël d’Égypte par Yhwh : « tu te souviendras ». La Pâque est directement en lien avec la tradition fondatrice d’Israël et l’ordre est de célébrer dans le lieu choisi par Yhwh (v.6).

L’expression évoque clairement Dt 12 et la loi de centralisation du culte à Jérusalem. La fête de la Pâque joue un rôle important aux temps du roi Josias et dans le cadre de sa réforme religieuse de la fi n du 7ème siècle. La réforme avait pour objectif de supprimer les lieux de cultes régionaux et domestiques pour rompre avec un culte yahwiste multiforme et toute association syncrétiste avec d’autres divinités, 2 R 23.

La Pâque selon Dt 16 est donc bien différente du rituel présenté en Ex 12,21-23 en tant que rite originel de protection, elle est une célébration nationale qui participe à la régulation religieuse et politique voulue par la royauté de Josias. À ce sacrifice est également associée la fête des Azymes (ou Pains sans levain, vv.3-4). La fête des Pains sans levain (matsôt) serait issue d’une fête agricole cananéenne qui marquait la récolte de l’orge au début du printemps : pendant une semaine, on ne mangeait plus de pain d’orge fermenté, mais seulement des pains azymes.

La fusion de ces deux rituels, indépendants à l’origine, est souvent expliquée par le fait qu’ils étaient célébrés à des dates proches : la date de la pleine lune pour la Pâque et selon la maturité de l’orge au printemps. Le texte de Dt 16 en donne une autre étiologie en liant le rituel du pain non levé au départ précipité des Israélites4 . Quoiqu’il en soit le sacrifice de la Pâque et la fête des Pains sans levain sont devenus un acte de mémoire incontournable de l’événement fondateur de la sortie d’Égypte.

Dans cette célébration, Israël dit sa foi en la présence de Dieu au milieu du peuple, présence lors de l’oppression égyptienne passée et la continuité de sa présence dans son histoire actuelle. Cet acte de mémoire est si fort qu’il fonde toute l’éthique religieuse et sociale d’Israël : l’exclusivisme yahwiste (le culte rendu au seul Yhwh), le sabbat et le respect du prochain, (le Décalogue de Dt 5), la libération des esclaves tous les 6 ans (Dt 15), et la solidarité avec les plus démunis (Dt 16,11-12).

En raison des liens avec la loi de centralisation, le règne de Josias est donc l’époque au cours de laquelle la Pâque, – en tant que fête nationale commémorant la libération d’Égypte –, a été instituée à partir d’une tradition plus ancienne. En effet, avant le règne de Josias il n’y a pas d’attestations de célébration nationale de la Pâque, notamment si l’on considère la mention de 2 R 23,21-235 :

2 R 23 21 Le roi donna cet ordre à tout le peuple : Célébrez la Pâque pour le SEIGNEUR, votre Dieu, comme il est écrit dans ce livre de l'alliance. 22 On n'avait pas célébré une telle Pâque depuis les jours où les juges gouvernaient Israël, pendant tous les jours des rois d'Israël et des rois de Juda. 23 C'est seulement la dix-huitième année du roi Josias qu'on célébra cette Pâque pour le SEIGNEUR à Jérusalem.

5Seul 2 Ch 30 mentionne une Pâque sous le règne d’Ezéchias, mais il s’agit là d’une mention qui relève de la théologie propre au livre des Chroniques, soucieux de valoriser la dynastie davidique, Mathias DELCOR, « Le récit de la célébration de la Pâque au temps d’Ezéchias d’après 2Chr 30 et ses problèmes », dans Adrian SCHENKER, Studien zu Opfer und Kult im Alten Testament, FAT 3, Mohr Siebeck, Tübingen, 1992, p. 93-106.

http://lumiere-et-vie.fr/numeros/LV_293_pages_21-30.pdf




Conférence de M. Mathias Delcor et de Ernest-Marie Laperrousaz 

Dans le cadre de nos recherches sur les plus anciennes formes de sacrifices dans la Bible hébraïque, nous avons durant l'année 1980- 1981 expliqué le chap. 12 de l'Exode concernant la Pâque et essayé d'apporter une solution au problème posé par la célébration de cette fête d'origine familiale dans l'enceinte du temple sous Josias d'après 2R 23,21-23. Nous avons continué nos investigations en étudiant la Pâque du temps d'Ezechias d'après 2 Chr 30. Cette convocation de la Pâque à Jérusalem se situe dans le cadre de la restauration du culte yahviste dans la ville sainte à la suite de l'introduction des cultes étrangers, en particulier ceux de Syrie par le roi Achaz jugé d'ailleurs comme souverain impie par le chroniqueur (cf. 2 Chr 29,19). Nous avons été attentif aux indices linguistiques ou autres permettant de situer ce chapitre dans l'Histoire. Au v. 2 l'assemblée de Jérusalem (qahal) mentionnée en troisième place après le roi et ses officiers désigne la communauté restaurée à Jérusalem après l'exil, tout comme en Esd 10,1,12,14 ; Neh 8,2,17. Elle prend part aux décisions. On notera d'ailleurs le rôle joué dans les conseils par le qahal dans le livre des Chroniques où cette réalité est mentionnée une trentaine de fois, alors que dans le livre des Rois on ne la trouve que 6 ou 7 fois seulement. Le verset 3 explique les motifs pour lesquels on doit célébrer la fête au deuxième mois, c'est-à-dire au mois d'Iyyar. D'abord parce que les prêtres n'avaient pu se sanctifier en nombre suffisant, ensuite parce que le peuple ne s'était pas rassemblé à Jérusalem. Cette célébration de la Pâque le second mois correspond à la législation de P (Nb 9,10-1 1), pour des cas exceptionnels (gens impurs ou en voyage). La date que les critiques assignent habituellement à la mise par écrit de la tradition sacerdotale montre que nous sommes en présence d'un anachronisme lorsqu'on parle d'une telle célébration au temps d'Ezéchias plusieurs siècles auparavant. Au verset 5, le texte précise que seuls quelques-uns avaient pu célébrer la Pâque selon ce qui est écrit (Kakâtub), c'est-à- dire selon l'Écriture. On se réfère probablement à Dt 16,2 et sq. Aussi pourrait-on en conclure que le chroniqueur vise ceux qui ne s'étaient pas rendus à Jérusalem pour célébrer la Pâque (Wambacq). Le Targum des Chroniques, pour motiver la célébration de la Pâque le second mois, invoque l'intercalation d'un mois de Nisan supplémentaire, ce qui permettait de faire la Pâque au mois d'Iyyar, qui est le deuxième mois. De fait, en raison du retard de l'année lunaire sur l'année solaire, on devait intercaler tous les deux ou trois ans un mois supplémentaire appelé second Adar. Mais le T.M. ne dit rien de tout cela. Les courriers, porteurs de lettres missives, parcourent tout Israël de Bersabée jusqu'à Dan pour inciter tous les habitants à la conversion et spécialement les habitants du Nord considérés par le chroniqueur comme apostats (vv 6- 7). Le retour moral à Yahvé (shub) doit se traduire par le retour à son sanctuaire de Jérusalem qu'il a consacré (hiqdish) pour toujours (v. Cool. Il y a sans doute là une allusion polémique contre les Samaritains et leur sanctuaire du mont Garizim portant la marque de l'époque où écrit le chroniqueur. La mission royale à travers le royaume du Nord n'a guère de succès : on se moque des courriers et on les tourne en dérision (v. 10). Cependant, seulement quelques hommes des tribus d'Asher, de Manassé et de Jérusalem s'humilièrent et vinrent célébrer la Pâque à Jérusalem, tandis que les Judéens répondirent avec enthousiasme à l'ordre royal (vv 11-12). Pourquoi seulement un petit nombre de gens venus des trois tribus septentrionales répondirent-ils à l'appel d'Ezéchias ? Nous ne pouvons le dire avec exactitude. Mais on sait que ce sont précisément les tribus du Nord de la Palestine qui se soulevèrent contre les Assyriens du temps de Salmanasar IV. D'après la Chronique babylonienne, ce dernier détruisit Shabara'in qui recouvre probablement la même réalité que Sibraim d'Ez 47, 16 et Sepharvaim d'Ez 47,16 à situer entre Damas et Hama (cf. Abel, Géographie de la Palestine. Pour une opinion contraire, cf. Tadmor). Il y avait donc dans le royaume du Nord un parti anti-assyrien et c'est peut-être parmi ces opposants à l'étranger que se recrutèrent ceux qui vinrent à Jérusalem à l'appel d'Ezéchias. D'après la relation du chroniqueur, les désastres occasionnés par l'invasion assyrienne sont récents et constatables de visu, ce que précise le verset 7. La suite du texte montre les diverses phases de la célébration (vv. 13-23). Chose digne de remarque, le chroniqueur parle ici de célébrer la fête des Massot (Azymes) alors qu'auparavant il était question de « faire la Pâque » (30,1,2). A ses yeux Pâque et Azymes ne constituaient sans doute qu'une seule fête, comme dans Dt 16,1-8, où les deux fêtes d'origine différente sont déjà unifiées. En contrepartie, on notera que dans les textes sacerdotaux, les fêtes de Pâque et des Azymes sont distinguées (Lev 23,5-14 ; Num 28,16-17).


Si le texte de 2Chr 32,13-23 n'offre pas de grandes difficultés, on doit souligner, par contre, le rôle prépondérant des lévites dans la célébration du rite pascal, après leur purification. Chose singulière, ce sont les lévites qui immolent les agneaux, alors que ce rôle incombe aux chefs de famille d'après Dt 16. La raison de cette substitution est que les Israélites ne s'étaient pas purifiés en grand nombre (v. 17). Malgré ces dispositions, une grande partie des pèlerins venus des tribus du Nord du pays (Éphraïm, Manassé, Issachar et Zabulon) mangèrent la Pâque sans se conformer à l'Écriture. Aussi, pour éloigner du peuple les malheurs prévus par la Loi, Ezéchias intercède-t-il pour « tout homme qui a appliqué son cœur à rechercher Dieu », même s'il n'avait pas satisfait aux prescriptions de pureté requises pour le sanctuaire (30,21).

https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1981_num_94_90_15800
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeMer 24 Juil 2024, 12:47

Entre Delcor (1981) et Nocquet (2012), on peut mesurer l'affaiblissement de l'obsession et/ou de l'illusion "historiques", surtout quant au contenu narratif des récits, et dans une moindre mesure sur leur datation (sc. la datation de leurs rédactions)...

Restent en revanche intactes les différences littéraires, narratives, descriptives, discursives, prescriptives et idéologiques entre les textes, la plus manifeste en ce qui concerne la Pâque (sur quoi cf. aussi ici et ) étant probablement entre la "fête familiale", domestique, privée, et la cérémonie solennelle et publique au Temple -- d'autant que cette différence-là apparaîtrait, si l'on suit Nocquet, entre des textes également "sacerdotaux", quoique probablement d'époques et de milieux différents (Exode 12,1-13 et 2 Chroniques 30). Mais elle n'a rien de contradictoire si l'on pense que le "judaïsme du Second Temple" repose précisément sur la relation différenciée entre un sanctuaire central (même si de fait il y en a plusieurs, du moins jusqu'à la destruction du temple "samaritain" du Garizim) et d'une diaspora quasiment "mondiale" (Egypte, Mésopotamie, Perse, encore élargie en tous sens aux époques hellénistique et romaine); ce qui paradoxalement "prépare" aussi (avec tout l'anachronisme de la rétrospection) le pharisaïsme "laïc" et synagogal, rituel mais anti-sacerdotal, qui prendra la relève du judaïsme dans son ensemble après les guerres judéo-romaines et la destruction du Temple.

Comme on l'a remarqué plusieurs fois depuis le début de ce fil, le "davidisme" des Chroniques est lui-même essentiellement sacerdotal, associé au culte et au temple plutôt qu'à la royauté qui n'est plus qu'un lointain souvenir -- et il n'y a pas non plus de "messianisme" ni d'"eschatologie", le culte du temple n'étant pas destiné à prendre fin. C'est une tout autre perspective pour la "Pâque de Josias", "deutéronomiste", royale et nationale, de 2 Rois 23 -- même si elle non plus n'a rien d'"historique" -- qui devient à son tour un événement sacerdotal au sens large (lévitique, cultuel, liturgique) en 2 Chroniques 35. (Sur la comparaison détaillée des deux Pâques des Chroniques, celle d'Ezéchias aux chap. 30ss et celle de Josias au chap. 35, la conférence de Delcor reste très instructive, notamment p. 225ss.)
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeVen 26 Juil 2024, 13:19

La pseudépigraphie dans le livre de Qohéleth. Étude de l’attribution explicite à un certain Qohéleth et implicite à Salomon
Catherine Vialle

Le personnage de Salomon dans l’Ancien Testament

S’il est vrai que Qohéleth est Salomon, il est intéressant de relever ce que l’on dit de Salomon dans l’Ancien Testament. En effet, nous pouvons postuler que cela se trouve dans l’encyclopédie de base du lecteur de Qohéleth, et que cela contribue donc à construire la représentation qu’il se fait du personnage.

Dans le livre des Rois

Les conditions de sa naissance sont ambigües (2 S 12,24) dans la mesure où il nait de l’union de David et de Bethsabée, la femme d’Urie le Hittite. Au moment où Salomon nait, certes, Urie est mort. Mais l’ombre de l’adultère meurtrier de David plane encore. Elle planera encore longtemps, puisque dans la généalogie de Jésus, au début de l’Évangile de Matthieu, Bethsabée n’est pas nommée mais se trouve appelée « la femme d’Urie » (Mt 1,6). Il est dit de Salomon, au moment de sa naissance, que « Yhwh l’aima » (2 S 12,24).

N’étant pas le fils aîné de David, Salomon parvient à succéder à son père suite aux manœuvres de sa mère, Bethsabée, et du prophète Nathan opérées auprès de David arrivé au terme de sa vie (1 R 1). Après la mort de David, il commence son règne en se débarrassant de ses ennemis et de ses rivaux, y compris son propre frère Adonias (1 R 2).

Salomon a de nombreuses épouses : la fille de Pharaon (1 R 3,1) et « de nombreuses femmes étrangères […]. Il eut sept cents princesses pour femmes et trois cents concubines ; et ses femmes détournèrent son cœur » (1 R 11,1-3).

Le territoire sur lequel il règne est immense : « Sur tous les royaumes depuis de Fleuve, sur le pays des Philistins et jusqu’à la frontière d’Égypte. Ils payèrent un tribut et servirent Salomon tous les jours de sa vie » (1 R 5,1). Celui-ci apporte la paix en Israël : « Juda et Israël demeurèrent en sécurité, chacun sous sa vigne et sous son figuier, de Dan jusqu’à Beer-Shéva, durant toute la vie de Salomon » (1 R 5,5). Sa richesse est extraordinaire. Son intelligence et sa sagesse dépassent celles de ses contemporains : « Dieu donna à Salomon sagesse et intelligence à profusion et un cœur large comme le sable qui est sur le bord de la mer. La sagesse de Salomon fut plus grande que la sagesse de tous les fils de l’Orient et que toute la sagesse de l’Égypte » (1 R 5,9-10). Suivent divers exemples de cette sagesse. On raconte notamment qu’il prononça trois mille proverbes et composa mille cinq cantiques (1 R 5,12). « Et le roi Salomon fut plus grand que tous les rois de la terre en richesse et en sagesse » (1 R 10,23). C’est lui aussi qui construisit le Temple de Jérusalem.

Cependant, malgré tous ces dons et cette splendeur, le règne de Salomon se termine plutôt mal : « ses femmes détournèrent son cœur » affirme le narrateur du livre des Rois (1 R 11,3). Cela se produisit à l’époque de la vieillesse de Salomon : « et son cœur ne fut pas tout entier à Yhwh, son Dieu, comme l’avait été le cœur de David, son père » (1 R 11,4). Autrement dit, celui-là même qui a construit le temple de Jérusalem finit par tomber dans l’idolâtrie (1 R 11,5-10). C’est, du reste, pour cette raison que Yhwh décide qu’il arrachera la royauté à ses descendants, à l’exception d’une tribu (1 R 11,11-13). C’est ainsi que Salomon est à l’origine du schisme du royaume d’Israël.

Ainsi, dans la description que donne le livre des Rois, Salomon est une figure pour le moins ambigüe, de par son origine et de par la fin de son règne. Sage, riche et aimé de Dieu, il est celui qui construit le Temple de Jérusalem, cœur de la vie religieuse du royaume d’Israël. Mais il est aussi celui qui, par son idolâtrie, met fin à l’unité du royaume. Si l’on s’en tient au portrait que dresse le livre des Rois, la figure de Salomon n’est finalement pas très positive et le bilan de son règne débouche sur un constat d’échec : malgré tous les dons reçus, Salomon n’a pas pu rester fidèle et n’a pas pu maintenir l’unité de son royaume. Ce bilan acte ainsi l’échec de la richesse et de la sagesse : toutes deux conduisent à la catastrophe si elles ne vont pas de pair avec la fidélité exclusive à Yhwh.

Dans les autres livres bibliques

Dans le livre de Néhémie, on retrouve la tradition selon laquelle ses femmes étrangères entraînent Salomon à pécher (Ne 13,26).

Deux Psaumes, 72 et 127, lui sont attribués ainsi que le livre des Proverbes (Pr 1,1) et les deux collections dites « collections salomoniennes » (Pr 10,1 ; 25,1). Salomon est également évoqué dans le Cantique des Cantiques ainsi que nous l’avons signalé plus haut.

Dans les Chroniques

Le portrait qui est fait de Salomon dans les Chroniques est nettement plus positif. Les aléas de sa naissance ne sont pas racontés. La fin de sa vie n’est pas entachée par l’idolâtrie, et les récits relatant des menaces extérieures (1 R 11,14-22) et évoquant des révoltes intérieures (1 R 11,26-40) sont absents. Salomon est surtout présenté comme celui qui a fait construire le Temple de Jérusalem, en suivant d’ailleurs des plans dessinés par David (1 Ch 28,11-19), qui affirme les tenir directement de Dieu (1 Ch 28,19). Selon le chroniste, David a absolument tout prévu, y compris l’organisation du culte et jusqu’au moindre chandelier. Cette version insiste donc sur la continuité de l’agir de Salomon avec David et avec Dieu, plutôt que sur la rupture. D’ailleurs, il est dit que Salomon s’assoit sur le « trône de Yhwh » (1 Ch 29,23) et non sur le trône de David. Or, le livre des Chroniques est le dernier de la Bible hébraïque. La dernière image de Salomon que propose le Texte Massorétique est donc plutôt favorable.

En contrepoint, on relèvera l’allusion à la prophétie d’Ahiyya de Silo en 2 Ch 10,15 : « Et le roi n’écouta pas le peuple car le moyen venait de Dieu afin que Yhwh fasse se lever sa parole qu’il avait dite par la main d’Ahiyya de Silo à Jéroboam fils de Nevath ». La prophétie n’est pas retranscrite, ce qui suppose qu’elle est connue du lecteur. Or, c’est en particulier cette prophétie qui, dans le livre des Rois, rend Salomon responsable du schisme entre les deux royaumes. Cette allusion indique que, même si le chroniste choisit de ne pas relater les mauvais côtés du règne de Salomon, ceux-ci sont connus du lecteur implicite. Mais le narrateur des Chroniques omet de raconter ces déviances pour se centrer principalement sur le Temple : c’est Salomon qui a construit le Temple et cela seul mérite d’être rapporté.

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2016-4-page-617.htm
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeVen 26 Juil 2024, 14:15

Article intéressant à bien des égards: sur Qohéleth en général; sur les ordres "canoniques", de recueil ou de corpus, au début; pour les analyses littéraires, notamment à la fin à propos des questions de "narrateur" dont nous venons de parler ailleurs ce matin même -- distinguant de surcroît entre narrateur intradiégétique, qui se confond avec le personnage du protagoniste pseudonyme ("Qohéleth") parlant à la première personne, au discours direct ou indirect, et un narrateur extradiégétique qui parle du précédent: millefeuille ou dégradé de différences, de positions et d'angles, si l'on repense à la distinction deleuzienne des espaces striés et lisses -- un arc-en-ciel peut être regardé comme une juxtaposition de "couleurs" identifiables, dénommables et dénombrables, même si on ne sait jamais précisément où s'arrête l'"une" et commence l'"autre"; ou bien comme un continuum chromatique, fréquentiel, intensif, de "lumière" et de "couleur" au singulier...

Sur les Chroniques, l'auteur(e) tire l'essentiel de son propos de l'article de Nocquet évoqué ci-dessus dans l'échange antérieur; d'autre part nous avons beaucoup parlé de Salomon depuis le début de ce fil, notamment à partir du 12.6.2024. Au dernier paragraphe de ton extrait, j'objecterais ceci: les premiers "auteurs" des Chroniques -- ceux qui en auraient formé le projet et n'auraient pas voulu, ni prévu, que Samuel-Rois fût conservé, et canonisé, en plus de leur oeuvre de réécriture -- ne présupposaient sans doute chez les lecteurs-auditeurs qu'ils espéraient rien de plus que ce qu'ils écrivaient eux-mêmes. Il n'y a aucune "faute de Salomon" dans le récit de 2 Chroniques 10, où toute la responsabilité du "schisme" incombe à Roboam. Bien sûr, la perspective change à mesure qu'il devient évident pour tout le monde que les deux "historiographies" concurrentes survivent et qu'elles sont lues, et développées, en rapport (d'attraction et de répulsion) l'une avec l'autre.

Quant à la relation entre les Chroniques et Qohéleth, on aurait pu souligner le caractère "proto-sadducéen" du second, qui le rapproche aussi du temple et de la prêtrise (cf. notamment chap. 5). L'"eschatologie" simplement absente des Chroniques étant activement combattue par Qohéleth, affaire d'époque et/ou de milieu. Sur la question de la "rétribution", certes, les positions sont antagonistes, mais c'est aussi parce que Qohéleth parle de la "réalité" présente, constante, et les Chroniques d'un passé merveilleux, où toutes les interventions divines étaient possibles (chose qui au présent ne se représente que dans l'univers sacré du temple et du culte; d'ailleurs l'aspect sacral et liturgique des miracles passés, comme on l'a déjà remarqué, relie les deux aspects, l'"histoire sainte" et le "culte perpétuel", voire "éternel", cf. encore le refrain "sa fidélité est pour toujours").
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeVen 26 Juil 2024, 15:12

LES SOURCES (DISPARUES) DE L’ANCIEN TESTAMENT

Enfin, il existait plusieurs livres qui portaient le nom de prophètes :

« Les actions du roi David, les premières et les dernières, sont écrites dans le Livre de Samuel le voyant, dans le Livre de Nathan, le prophète, et dans le Livre de Gad, le prophète » 1 Chroniques 29 : 29

« Le reste des actions de Salomon, les premières et les dernières, cela n’est-il pas écrit dans le Livre de Nathan, le prophète, dans La prophétie d’Achija de Silo, et dans Les révélations de Jéedo, le prophète sur Jéroboam, fils de Nebath? » 2 Chroniques 9 : 29

« Les actions de Roboam, les premières et les dernières, ne sont-elles pas écrites dans les livres de Schemaeja, le prophète et d’Iddo, le prophète, parmi les registres généalogiques? » 2 Chroniques 12 : 15

« Le reste des actions d’Abija, ce qu’il a fait et ce qu’il a dit, cela est écrit dans Les mémoires du prophète Iddo ». 2 Chroniques 13 : 22

« Le reste des actions de Josaphat, les premières et les dernières, cela est écrit dans Les mémoires de Jéhu, fils de Hanani, lesquelles sont insérés dans le Livre des rois d’Israël. » 2 Chroniques 20 : 34

« Sa prière et la manière dont Dieu l’exauça, ses péchés et ses infidélités, les places où il bâtit des hauts lieux et dressa des idoles et des images taillées avant de s’être humilié, cela est écrit dans le Livre de Hozaï. » 2 Chroniques 33 : 19

https://www.didascale.com/publication/les-sources-disparues-de-lancien-testament
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MessageSujet: Re: Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie   Les Livres des Chroniques - Histoire et Théologie - Page 2 Icon_minitimeVen 26 Juil 2024, 15:36

Difficile de distinguer la pseudo-bibliographie (qui renvoie à des livres fictifs, qui n'ont jamais existé) d'une bibliographie authentique (qui renvoie à des livres qui ont existé mais qui sont perdus) -- les deux catégories sont d'ailleurs indiscernables pour des auditeurs contemporains qui n'ont pas accès à une bibliothèque. Pour un "évangélico-fondamentaliste" comme celui-ci tout paraît circulairement simple: le livre "biblique" renvoie à des livres "authentiques", donc il est "authentique"; et véridique, historique, pourquoi pas divin par-dessus le marché. Mais avec un minimum de réflexion ça l'est beaucoup moins: pourquoi un Moïse écrivant la Torah en temps réel, ou presque, éprouverait-il le besoin de citer des "sources", et où diable les trouverait-il ? A supposer que certains des ouvrages cités soient authentiques, qu'ils aient vraiment existé, ils ne seraient pas forcément plus "historiques" que ceux qui nous sont parvenus. "La Bible", même étendue à la littérature "para-biblique" aujourd'hui disponible (Septante, Qoumrân, Hénoch, Testaments, "apocryphes" et "pseudépigraphes" en tout genre, etc.) n'est de toute façon que la partie émergée de l'iceberg, d'une "littérature" juive et chrétienne, en hébreu, en araméen, en grec, dont nous continuons certainement à ignorer la majeure partie, sinon la plus "importante".
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