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| Ce que je retiens : de Jean | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Ven 09 Juil 2010, 01:50 | |
| Bonsoir free, Je vais tâcher de ne pas trop me répéter, car je doute de pouvoir être plus clair que je n'ai été, même si je suis bien conscient de ne pas l'avoir été assez; mais, en bref, je pense que toutes ces questions statiques d'essence, de nature ou d'identité (sur ce qu'EST ou n'EST pas le logos, comme si l'on pouvait y répondre indépendamment d'une histoire, je veux dire d'un récit) passent à côté de la dynamique du prologue johannique, qui consiste précisément à dépeindre la divinité, y compris le logos par lequel elle se révèle, comme un même mouvement qui s'étend d'un certain point de vue (celui du divin justement) à "toutes choses". Cela étant, et dans cette perspective, je n'ai pas d'objection de fond à une traduction comme "le Verbe était divin". Bien qu'elle soit formellement trop faible (en grec on dirait plutôt theios que theos pour exprimer exactement ce sens-là), dans une compréhension dynamique du texte il n'y a, de fait, aucune différence. [Je m'explique, enfin j'essaie: dans un imaginaire orthodoxe il y a place, hors de "Dieu" proprement dit, pour toute une zone "divine" dans un sens plus faible, dérivé, c.-à-d. une zone influencée à divers degrés par "Dieu" sans être "Dieu". On peut parler des divins anges, des divins prophètes ou des divins apôtres, sans suggérer le moins du monde qu'ils SONT "Dieu": ils sont "divins" au sens où ils sont "dans le camp de 'Dieu'" et où "Dieu" agit par eux. Dans le johannisme, ou même de façon un peu moins évidente peut-être dans le paulinisme, on a affaire à un dualisme sans doute mobile ou dialectique mais, en chacun de ses moments, beaucoup plus serré: tout ce qui ne relève pas directement de "Dieu" -- ce qui n'est pas "né de Dieu", ce qui n'est pas "en Dieu", etc. -- relève de la "chair", du "monde", du "diable" etc. Dans une telle perspective il n'y a pas l'ombre d'une distinction possible entre "le divin" et "Dieu"; tout ce qui procède de "Dieu" est "divin" dans le sens le plus fort, c.-à-d., en dernière analyse, "Dieu" même.] J'aurais un peu plus de réticence à qualifier le logos de "dieu secondaire"; sans doute le ruisseau qui s'écoule directement de la source est-il second par rapport à la source elle-même -- mais si "Dieu" est en fin de compte le fleuve tout entier, de la source à l'embouchure, alors "le Père" ne l'est pas tout seul, pas plus que "le Fils" ne l'est tout seul, et même les deux ensemble ne le sont pas tout seuls. Pour reprendre une formulation classique, de chaque figure ou mode d'être divin on peut dire qu'il est totus deus (tout dieu, entièrement divin) mais pas totum dei (pas le tout de dieu, pas la totalité du divin). Il est tout à fait juste de relever, comme tu le fais, que dans le Prologue (dans son ensemble d'ailleurs, et pas seulement au v. 1), "Dieu" (ho theos) n'est le sujet d'aucun verbe. Le texte est en effet centré sur le logos, sans qui on ne peut rien dire de "Dieu" (v. 18: "Dieu [objet], personne ne l'a jamais vu..."). |
| | | free
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Jeu 15 Juil 2010, 16:09 | |
| Jn 5,21 : « Comme le Père, en effet, relève les morts et les fait vivre, le Fils lui aussi fait vivre qui il veut » Ce verset est interessant car il semble réunir le Père et le Fils dans une expérience commune, un pouvoir commun. Comment doit-on comprendre dans l'esprit Johannique les expressions " Comme le Père " et "fait vivre" ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Jeu 15 Juil 2010, 19:29 | |
| Très bon exemple. Indépendamment du sens des verbes, la structure de la phrase est tout à fait typique du mouvement de la pensée johannique: "Tout comme en effet le Père (hôsper gar ho patèr) réveille les morts et les fait vivre, ainsi aussi le Fils (houtôs kai ho huios) fait vivre qui il veut." Idem au v. 26: "Tout comme en effet le Père (hôsper gar ho patèr) a la vie en lui-même, ainsi aussi au Fils (houtôs kai tô huiô) il a donné d'avoir la vie en lui-même." Cf. les formules structurellement analogues: 5,23 "que tous honorent le Fils comme (kathôs) ils honorent le Père" 5,30 "comme (kathôs) j'entends, je juge" 6,57 "comme (kathôs) le Père vivant m'a envoyé et que moi aussi (kagô = kai egô) je vis par le Père, aussi (kai) celui qui me mange vivra par moi" 8,28 "comme (kathôs) m'a enseigné le Père, ainsi je parle" 12,50 "comme (kathôs) m'a dit le Père, ainsi (houtôs) moi je parle" 13,15 "que comme moi (kathôs egô) je vous ai fait, vous aussi (kai humeis) vous fassiez" 13,34 "que comme (kathôs) je vous ai aimés, vous aussi (kai humeis) vous vous aimiez les uns les autres." 14,31 "comme (kathôs) m'a ordonné le Père, ainsi (houtôs) je fais" 15,9 "comme (kathôs) le Père m'a aimé, moi aussi (kagô) je vous ai aimés." 15,10 "Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi (kathôs egô) j'ai gardé les commandements du Père et je demeure dans son amour." 15,12 "que vous vous aimiez les uns les autres comme (kathôs) je vous ai aimés" 17,11 "qu'ils soient un comme (kathôs) nous" 17,14 "ils ne sont pas du monde, comme moi (kathôs egô) je ne suis pas du monde" (idem v. 16) 17,18 "comme (kathôs) tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi (kagô) je les envoie dans le monde" 17,21 "que tous soient un, comme (kathôs) toi, Père, en moi et moi en toi, qu'eux aussi (kai autoi) soient en nous" 17,22 "qu'ils soient un comme (kathôs) nous [sommes] un" 17,23 "que tu les as aimés comme (kathôs) tu m'as aimé" 20,21 "comme (kathôs) le Père m'a envoyé, moi aussi (kagô) je vous envoie" 1 Jean 2,6 "... comme (kathôs) celui-là a marché, ainsi (houtôs) celui-ci (le disciple) doit marcher" 1 Jean 3,3 "quiconque a cette espérance en lui se purifie comme (kathôs) celui-là est pur" 1 Jean 3,7 "celui qui fait la justice est juste comme (kathôs) celui-là est juste" 1 Jean 4,17 "comme (kathôs) celui-là est, nous aussi (kai hèmeis) nous sommes dans ce monde" (On me reprochera encore de citer pêle-mêle des textes qui appartiennent à différentes strates du johannisme, mais ici aussi je le fais à dessein, car il s'agit de faire ressortir une structure de pensée qui n'est pas le propre d'un "auteur" ou d'une "oeuvre" mais caractérise collectivement toute une "école", dans la durée; il est d'ailleurs frappant que la densité maximale de ce type de formule soit atteinte au chapitre 17, texte relativement tardif qui tend à le systématiser, sans doute consciemment à ce stade.) Que dire de plus de cette pensée? Il me semble assez clair que la relation du Père et du Fils ne se comprend que si on ne s'arrête pas à ce dernier, si on suit le mouvement jusqu'à son terme, c'est-à-dire (au moins) jusqu'aux "élus". Car c'est le même mouvement et le même "Dieu" qui se joue d'un bout à l'autre. Le même "(tout) comme / ainsi-aussi" enchaîne tous les "étages", si l'on peut dire. Tout ce qui est affirmé de la relation entre le Père et le Fils est dit aussi, transitivement en quelque sorte, de la relation entre ceux-ci (et pas seulement le Fils) et les "élus". D'un bout à l'autre (de haut en bas si l'on veut) c'est une relation complexe, différenciée, qui implique dans un sens (direction) don, commandement et envoi, dans l'autre réception, obéissance et imitation. Il y a de l'autre et du même, de l'autre dans le même, mais la relation n'est jamais de pure extériorité, comme entre des sujets complètement autonomes. De part en part c'est la même divinité qui tantôt se différencie, tantôt s'identifie, mais toujours sans rupture, sans "solution de continuité". S'il en ressort une idée globale, c'est celle d'un "Dieu" qui n'est pas statique, d'un "Dieu en expansion/contraction" si l'on ose cette métaphore (risquée). (Sur la question beaucoup plus particulière du "fait vivre", le contexte montre assez clairement que le johannisme à ce stade récupère et subvertit le vocabulaire classique de la résurrection eschatologique pour en faire une réalité "spirituelle" présente: cf. v. 24ss; voir aussi 11,24ss.) |
| | | free
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| | | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Mar 20 Juil 2010, 16:01 | |
| Ton résumé fait bien ressortir le défaut majeur -- mais difficilement évitable dans le contexte de notre discussion -- de mes "explications": dans le johannisme en particulier, mais sans doute dans toute théologie un tant soit peu profonde, "Dieu" n'est pas un "phénomène" qui pourrait se décrire "objectivement", "de l'extérieur", sans l'engagement décisif d'une première personne, et surtout du pluriel (le "nous" de la communauté, et de la communion). C'est une communauté de croyants qui dit "le Dieu dont nous venons et à qui nous allons vient à nous, se révèle en nous et à travers nous, etc." Transposé à la troisième personne de l'objectivité, le même discours... n'est plus tout à fait le même.
Cela dit, et sous cette réserve, il est vrai que la problématique de "l'expansion/contraction" qui s'esquisse de manière assez rudimentaire et poétique dans le johannisme (entre autres) va devenir l'obsession principale des gnoses ultérieures, sous des formes de plus en plus "techniques": comment le divin se disperse et se dilue dans le monde et réintègre son "plérôme", via les "pneumatiques" qui prennent conscience de leur origine et de leur destination divine. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Ven 07 Nov 2014, 01:30 | |
| Une autre discussion (où il était question d'"hellénistes" opposés un peu hâtivement aux "Juifs") m'a fait relire il y a quelques jours ce texte du chapitre 12, qui constituait peut-être sous une forme moins développée la "conclusion" d'une première oeuvre "johannique", et conclut toujours la première grande partie du quatrième évangile tel qu'il nous est parvenu. Je reprends le récit au v. 19, à la fin de l'épisode de l'"entrée triomphale" à Jérusalem, alias les Rameaux: - Citation :
- Les pharisiens se dirent entre eux: Vous voyez que vous n'y pouvez rien: voici que le monde s'en est allé après lui !
Or il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés se prosterner (ou: adorer) à la fête. Ceux-ci s'approchèrent donc de Philippe (nom grec), qui était de Bethsaïda de Galilée, et lui demandèrent: Seigneur, nous voulons voir Jésus. Philippe vient le dire à André (autre nom grec), André et Philippe viennent le dire à Jésus. Alors Jésus leur répondit: L'heure est venue où le Fils de l'homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis, si le grain de blé tombant en terre ne meurt, il reste seul. Mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit. Celui qui aime son âme (sa vie, soi-même) la perd, et celui qui hait son âme en ce monde la garde en vie éternelle. Si quelqu'un me sert, qu'il me suive, et là où moi, je suis, là aussi sera mon serviteur; si quelqu'un me sert, le Père l'honorera. Maintenant mon âme est troublée, et que dirais-je ? "Père, sauve-moi de cette heure ?" Mais c'est pour cela que je suis venu à cette heure. Père, glorifie ton nom ! Une voix vint donc du ciel: "Je l'ai glorifié et je le glorifierai à nouveau." La foule qui se tenait là et avait entendu disait qu'il avait tonné; d'autres disaient: Un ange lui a parlé. Jésus répondit: Ce n'est pas pour moi que cette voix s'est produite, mais pour vous. Maintenant il y a jugement du monde. Maintenant le prince de monde sera jeté dehors. Et moi, si je suis élevé de la terre, j'attirerai tous à moi -- il disait cela pour signifier de quelle mort il allait mourir. La foule lui répondit: nous, nous avons entendu de la loi que le Christ demeure pour toujours; comment peux-tu dire, toi, que le Fils de l'homme doit être élevé ? Qui est ce Fils de l'homme ? Jésus leur dit: La lumière est encore un peu de temps en (ou: parmi) vous. Marchez tant que vous avez la lumière, pour que la ténèbre ne vous saisisse pas. Celui qui marche dans la ténèbre ne sait pas où il va. Tant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, pour devenir fils de la lumière. Ainsi leur parla Jésus, et il s'en alla et se cacha d'eux. Bien qu'il eût fait tant de signes devant eux, ils ne croyaient pas en lui, pour que s'accomplisse la parole d'Isaïe le prophète qui a dit: Seigneur, qui a cru à ce qui a été entendu de nous ? Et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé C'est pourquoi ils ne pouvaient croire, car Isaïe a dit aussi: Il a aveuglé leurs yeux Il a endurci leur cœur, pour qu'ils ne voient pas de leurs yeux et ne comprennent pas avec leur cœur, qu'ils ne se retournent et que je ne les guérisse. Cela, Isaïe l'a dit parce qu'il a vu sa gloire, et c'est de lui qu'il a parlé. Pourtant, même parmi les chefs beaucoup crurent en lui, mais à cause des pharisiens ils ne le confessaient pas, pour ne pas être exclus de la synagogue. Car ils aimaient la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu. Jésus cria: Celui qui croit en moi, ce n'est pas en moi qu'il croit, mais en celui qui m'a envoyé. Et celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. Moi, lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans la ténèbre. Et si quelqu'un entend mes paroles et ne les garde pas, moi, je ne le juge pas; car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. Celui qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles a qui le jugera: la parole que j'ai dite, voilà qui le jugera au dernier jour. Car je n'ai pas parlé de moi-même, mais le Père qui m'a envoyé m'a commandé ce que je devais dire et ce dont je devais parler. Et je sais que son commandement est vie éternelle. Cela donc dont je parle, comme le Père me l'a dit, ainsi j'en parle. On dit souvent -- avec une certaine justesse malgré l'anachronisme des adjectifs -- que le quatrième évangile a dressé un portrait "idéal", "sublime", "supérieur" ou "transcendant" de Jésus. Rien que dans ce passage, on voit le Jésus johannique se démarquer expressément du tableau synoptique (et pathétique) de Gethsémané en écartant ironiquement l'idée (absurde à ses yeux) de demander à être épargné ( contra "que cette coupe s'éloigne de moi"). Pourtant, et c'est là-dessus que je voudrais insister aujourd'hui, aux yeux de l'évangéliste ce "Jésus" même n'est pas encore à la hauteur (ni à la largeur) de ce qu'il doit être. Dieu sait (c'est une façon de parler) que dans tout l'Evangile selon Jean il se distingue des "Juifs" comme il se distingue du "monde", parce qu'il est "d'en haut" et non "d'en bas"; la loi de Moïse est mise à distance: c'est "votre loi" ou "leur loi". Mais il n'est pas "grec" pour autant, et encore moins "universel". La requête des Grecs (pourtant prosélytes ou sympathisants du judaïsme, "craignant-Dieu" selon la formule consacrée, puisqu'ils sont venus en pèlerinage à Jérusalem) qui demandent à le "voir" reste sans réponse immédiate. Ou plutôt la réponse, parce qu'il y en a bien une, adressée aux intermédiaires (judéo-hellénistes) Philippe et André, c'est que ce Jésus-là doit mourir, comme le grain de blé jeté en terre, pour être "le Fils de l'homme élevé de la terre" (cf. chap. 3, et les "ascensions" de la littérature juive canonique ou non, celle d'Hénoch identifié au "Fils de l'homme" dans le livre éponyme, celles d'Elie ou d'Isaïe qui a "vu sa gloire", etc.; à noter toutefois que, dans la formule "être élevé de la terre", le glossateur lit à la lettre le supplice même de la croix, qui soulève le crucifié du sol, et non une élévation post mortem ou une "ascension" corporelle comme chez Luc). Pour, de là, d'en haut, par cette "élévation" paradoxale qui est aussi sa disparition, attirer tous (les humains, "Grecs" compris) à lui qui sera dès lors plus grand que "Jésus". Comme le diront plus clairement, moins subtilement aussi, les développements ultérieurs, "Jésus" retourne au Père qui est "plus grand" que lui (cf. 14,28), et par ce retour des choses "plus grandes" se feront par les siens (14,12; cf. http://oudenologia.over-blog.com/article-article-sans-titre-122723295.html ). Déjà ceux qui l'ont "vu" ont vu en lui plus loin et plus grand que lui (cf. 14,6ss). Toute la nuance du totus deus, non totum dei (voir plus haut dans ce fil) se trouve, en germe, exprimée dans ce texte. L'"incarnation" de la divinité -- l'"élévation" de l'humanité aussi -- ne fait ici (ne fait jamais ?) que commencer; elle ne s'arrête pas à un "individu", pas même à celui-là. (En quoi, comme on le faisait remarquer précédemment, la "christologie" johannique, si "haute" qu'elle soit, est tout autre chose qu'une "Jésulâtrie".) |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Ven 07 Nov 2014, 11:09 | |
| Dans le psaume 82, repris par Jésus dans l'évangile de Jean, les dieux sont des humains, des juges en l'occurrence, le juge en Israël à cette époque avait 'la plus grande fonction', celle de roi, en quelque sorte. Dans le même passage de ce psaume, Dieu est 'le plus grand Dieu', le plus puissant, le dieu suprême.
Jésus n'est-il pas ironique dans sa réponse ?
A ces époques, les rois-empereurs-pharaons-etc se comportaient comme 'des dieux sur la terre'. Ils se faisaient eux-mêmes représentés en statue, pour en quelque sorte 'être présent partout', pour asseoir leur pouvoir partout. Les peuples les voyaient comme des dieux, dans le sens, comme des 'personnes ayant tout autorité sur eux', le pouvoir de vie et de mort. Même si leur puissance était démesurée, à cause de leur pouvoir 'absolut', ils n'en restaient pas moins des humains. Leur 'pouvoir d'action' restait tangible et se comptait en nombre de soldats, en monnaie sonnante et trébuchante, en grandeur de territoire, de villes, de monuments, etc. Il me semble que souvent, les rois avaient même 'les clés' des réserves de nourriture, ils pouvaient donc ne pas nourrir le peuple ... ou le nourrir. Le peuple dépendait plus ou moins entièrement du roi (du pharaon, etc) pour sa survie, pour sa vie.
Dieu tout puissant, 'le Dieu suprême' par contre ...
Plus loin, les dieux des 'cieux' n'ont-ils pas été représentés (vénérés) par analogie aux dieux-pharaons-rois ? Si le pharaon-dieu-terrestre avait tout pouvoir sur son peuple, un dieu 'similaire' devait avoir le pouvoir sur le tonnerre, sur la mer, etc ? C'est à dire, sur les "choses" que le dieu-roi-pharaon ne maitrisait pas. Qui les maitrisait ? Un autre roi-dieu ...
Dernière édition par Béréenne attitude le Ven 07 Nov 2014, 11:54, édité 1 fois |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Ven 07 Nov 2014, 11:36 | |
| Merci Narkissos et Béréenne attitude d'avoir partagé votre lecture de Jean. Je me réjoui de reprendre ce texte à la lumière de vos commentaires. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Ven 07 Nov 2014, 13:07 | |
| Bien plutôt par analogie au roi-pharaon-dieu, sont placés à ses cotés, d'autres dieux pour assujettir plus encore le peuple. Ce dernier se retrouve alors face à de très nombreux dieux, desquels il dépend entièrement. Il est écrasé, vaincu d'avance par les dieux. Le 'grand prêtre' au coté du roi-pharaon devient alors lui aussi 'tout puissant', car il serait celui qui parle avec les dieux, peut les apaiser, les appréhender. Il est alors lui aussi présenté aux yeux du peuple comme étant 'divin'.
Jean 10:34b-37 N'est-il pas écrit dans votre loi: J'ai dit: Vous êtes des dieux? Si elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée, et si l'Écriture ne peut être anéantie, celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde, vous lui dites: Tu blasphèmes! Et cela parce que j'ai dit: Je suis le Fils de Dieu.
La très grande différence entre Dieu et les dieux, c'est que le premier a réellement du pouvoir. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Ven 07 Nov 2014, 15:48 | |
| [Je rappelle, pour B.a. qui est arrivée récemment, que cette série de sujets (intitulés "Ce que je retiens : de X") a été conçue (il y a longtemps) pour que chacun y exprime librement ce qui l'a touché, impressionné, marqué dans les textes concernés -- avec, naturellement, sa façon propre de les comprendre à un moment ou à un autre. Sauf exception, on n'entrera pas ici dans des débats contradictoires sur l'exégèse ou l'interprétation des textes, pour savoir quelle serait "la bonne" -- sous cette réserve, des "lectures" très différentes, voire opposées, des mêmes textes y sont les bienvenues.]
Je pensais également ces jours-ci à ce que j'appellerais la composante sapientiale (de "sagesse") des textes "johanniques": très présente surtout dans les parties ou les strates les plus anciennes de l'Evangile (selon Jean), elle est cependant difficile à percevoir (à entendre), tant ce texte a été recouvert et surchargé d'enjeux d'une tout autre nature (dogmatique, théologique, christologique, "religieuse" en tout cas) par les débats entre gnostiques et ecclésiastiques d'abord, entre trinitaires et anti-trinitaires ensuite. C'est comme une mélodie pianissimo noyée dans une orchestration trop riche, qui en déplace les accents au point de la rendre méconnaissable. On a beau connaître la parenté entre le logos du Prologue et la sagesse "personnifiée" de Proverbes 8, par exemple, on l'entend généralement à contresens d'une perspective "sapientiale". Comme si la seule question qui vaille était toujours à nos yeux "personnelle" (ou "hypostatique"), d'identité ou d'essence ("statique" de toute façon), "qui est / qu'est" "Jésus" (ou "Dieu") -- les prédicats ou attributs de ce "sujet" (il est logos, vie, lumière, esprit, vérité, amour, chemin, porte, etc.) devenant accessoires et ne servant guère qu'à répondre indirectement (ou "métaphoriquement") à cette question-là; alors que la danse des "métaphores" autour du "personnage" est peut-être le premier intérêt du texte. On prend volontiers la Sagesse des Proverbes pour une figure (allégorique) du Christ "préexistant", on ne pense quasiment jamais que le Christ des évangiles (et notamment de Jean) puisse être une figure (narrative et discursive) de la sagesse. C'est un angle de lecture que j'ai moi-même insuffisamment pratiqué, longtemps obnubilé comme tout le monde par une problématique religieuse (dogmatique dans un premier temps, mystique ensuite), mais qui me paraît aujourd'hui particulièrement intéressant -- et proche, en tout cas, de l'inspiration "sapientiale" du premier johannisme. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Ven 07 Nov 2014, 20:44 | |
| - Narkissos a écrit:
- [Je rappelle, pour B.a. qui est arrivée récemment, que cette série de sujets (intitulés "Ce que je retiens : de X") a été conçue (il y a longtemps) pour que chacun y exprime librement ce qui l'a touché, impressionné, marqué dans les textes concernés -- avec, naturellement, sa façon propre de les comprendre à un moment ou à un autre. Sauf exception, on n'entrera pas ici dans des débats contradictoires sur l'exégèse ou l'interprétation des textes, pour savoir quelle serait "la bonne" -- sous cette réserve, des "lectures" très différentes, voire opposées, des mêmes textes y sont les bienvenues.]
A. notre propre façon de comprendre B. ne pas entrer dans des débats contradictoires C. des lectures différentes, voir opposées sont bienvenues Quelle est la nuance entre B. et A. C. ? Je n'ai pas très bien compris le sens de cette mise en garde. Pour l'exégète, je comptais un peu sur toi pour nous expliquer la différence entre 'dieu-juge' et 'Dieu-Suprême' dans le psaume que Jésus reprend dans Jean ! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Ven 07 Nov 2014, 21:32 | |
| - Narkissos a écrit:
- (...)(intitulés "Ce que je retiens : de X") a été conçue (il y a longtemps) pour que chacun y exprime librement ce qui l'a touché, impressionné, marqué dans les textes concernés (...) ]
Ce que je retiens de l'évangile de Jean : la proximité de Dieu. Dans le prologue, je retiens que Jésus est lumière, parole, vie, réalité-vérité, etc, c'est à dire, l'ensemble des 'possibilités divines'. La vie revient souvent. Dieu le Père a la vie, a le pouvoir sur la vie, pouvoir qu'il transmet à son Fils (qui a la primauté en toutes choses). Il y a d'autre part dans l'ensemble de son évangile, de nombreux 'je suis' de la part de Jésus : voie, pain, berger, lumière, etc, 'ego eimi ô' qui sont aussi dans l’Apocalypse : l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin, celui qui est, qui était et qui vient ... Jean parle de 'tous les disciples', et un en particulier se sent aimé. Il se sent aimé car il est proche. L'amour pour 'chacun' revient avec force dès le début. Contrairement aux synoptiques qui mettent rarement 'en valeur' les responsables du sanhédrin, Nicodème y a soudain une place 'de choix', bien qu'une pointe 'd'ironie' pimente ce récit, vis à vis de ce docteur de la loi qui n'a pas compris l'essentiel. Puis Jésus approfondit l'enseignement qu'il vient de lui donner sur l'eau et l'esprit à une femme, certainement analphabète, dont la situation maritale est à l'opposé de celle généralement attendue de la part des responsables, et qui est de plus samaritaine. L'ironie n'est plus envers le protagoniste mais cette fois-ci envers envers le lecteur, qui découvre que Jésus enseigne pareillement Nicodème et cette femme, de plus, il n'avait dévoilé qu'en partie à Nicodème qui il était, alors qu'il ne se cachera pas de la samaritaine. Information qui ressort plus encore à la lumière des autres évangiles, dans lesquelles nous lisons plusieurs fois : ne dites à personne qui je suis. Le temps semble être essentiellement autour de 'La Pâque'. Sauf dans les derniers passages, les actions se déroulent peu avant La Pâque, cette Pâque qui rassemble tous les disciples, si plusieurs ont cessés de suivre Jésus en cours de route, dans cette grande chambre-haute, ils sont beaucoup, en tout cas les 120 de la pentecôte, auxquels Jésus 'ouvre les yeux' en leur donnant le Saint-Esprit et qu'il envoie pardonner. Ou pas ! Tous sont envoyés. Il y a d'autre part, plusieurs mises en garde contre les 'ravisseurs'. Plusieurs passages expliquent que le peuple ne dépend plus de ses origines. Jésus rassemble le peuple 'des origines' avec son peuple formé de ceux qui le connaissent, peu importe leur origine. C'est encore et toujours l'amour de Jésus, dont l'empathie lui donne de pleurer lorsqu'il voit la tristesse d'autres. (Lorsque plusieurs juifs et les soeurs de Lazare pleurent) C'est Jean qui parle ouvertement de la soeur de Marthe et Lazare, cette femme qui s'était assise aux pieds de Jésus pour l'écouter pendant que sa soeur travaillait et qui lui parfuma les pieds. C'est encore Jean qui raconte le lavement des pieds par le maitre ... Il est parlé aussi de notre joie parfaite, de notre paix parfaite, de l'amour de Dieu parfait en nous qui banni la crainte d'un châtiment de sa part (je crois que c'est plutôt dans une lettre de Jean)(1Jean 3 ?) C'est le salut par Dieu, par Jésus, le berger qui nous garde, nul ne peut nous ravir de sa main ... Jésus ne pers aucune brebis que le Père lui a données. Et ... c'est infini. A chaque lecture, il y a encore et encore à 'manger et à boire' ! C'est la manne, la manne véritable, qui même si on en ramasse beaucoup, nous n'avons rien de trop, et si nous en ramassons peu, il ne nous en manque pas. Comme si nous avions tout à découvrir, comme lorsque chaque jour, notre nourriture ingurgitée ne peut servir à nous nourrir pour d'autres jours ! |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Ven 07 Nov 2014, 23:55 | |
| @B.a. A lire ton dernier post, je vois que tu m'as très bien compris !
Je voulais réserver cette série de fils à des "témoignages de lecture" (et de réflexion ou de méditation) comme celui que tu viens de nous donner (merci !). Pour ça il faut que des lectures divergentes (et éventuellement contradictoires) puissent s'énoncer et coexister paisiblement, sans s'affronter. Quand on veut discuter de l'exégèse ou de l'interprétation d'un texte et opposer des arguments selon les bonnes vieilles règles de la logique exclusive (où tout le monde ne peut pas "avoir raison") on peut le faire ailleurs...
(Sur la citation du psaume 82, j'en ai déjà dit deux mots à la p. 1. Je ne vois rien à y ajouter qui ne relève d'un commentaire du psaume, et non de l'évangile selon Jean.) |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Sam 08 Nov 2014, 12:42 | |
| Pourrait-on écrire : celui qui est, qui était et qui sera est le chemin, la vérité, la vie, celui qui est, qui était et qui sera est la lumière, celui qui est, qui était et qui sera est le pain, celui qui est, qui était et qui sera est l'alpha et l'oméga, etc ? |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Sam 08 Nov 2014, 12:44 | |
| - Narkissos a écrit:
- (Sur la citation du psaume 82, j'en ai déjà dit deux mots à la p. 1. Je ne vois rien à y ajouter qui ne relève d'un commentaire du psaume, et non de l'évangile selon Jean.)
hum ... sans comprendre le dieu-juge du psaume, on ne comprend pas l'évangile de Jean. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Sam 08 Nov 2014, 14:47 | |
| Toute interprétation est en effet jeu d'intertextualité, qui rapporte des textes à d'autres textes et constitue ainsi des "formes", configurations ou constellations différentes (ce qu'on appelle les "couronnes de la Torah" dans l'interprétation rabbinique) en fonction de ce qu'il relie ou non. Ainsi - Citation :
- celui qui est, qui était et qui sera est le chemin, la vérité, la vie, celui qui est, qui était et qui sera est la lumière, celui qui est, qui était et qui sera est le pain, celui qui est, qui était et qui sera est l'alpha et l'oméga
c'est ce qu'on obtient quand on rapproche le quatrième évangile et l'Apocalypse (qui dit plus exactement "celui qui est, qui était et qui vient" -- littéralement "l'étant, l'était et le venant", en grec tout aussi "fautif"). - Citation :
- sans comprendre le dieu-juge du psaume, on ne comprend pas l'évangile de Jean.
Effectivement, selon qu'on inclut ou non tout le contexte du psaume 82 dans la "constellation" de la citation johannique (qui se compose de quatre mots en grec), on ne comprend pas (exactement) celle-ci de la même façon. Mais le choix de l'inclure ou non a quelque chose d'"arbitraire" -- donc d'indécidable ou de difficilement décidable pour une exégèse "scientifique" ou "rationnelle" (qui doit aussi se garder de noyer les textes qu'elle commente sous un excès d'"information" qui n'était pas forcément "dans la tête de l'auteur"); de très facilement décidable en revanche pour une lecture "libre" ou "personnelle", surtout si elle ne prétend pas "avoir raison". (Cf. http://oudenologia.over-blog.com/article-un-christ-d-anthologie-121552563.html ) |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Sam 08 Nov 2014, 20:57 | |
| Ce qui m'impressionne, et ce n'est pas seulement valable pour l'évangile de Jean, ce sont le nombre de couches, si vous me passez l'expression, qui se superposent les unes les autres pour former un texte que nous pouvons lire sans trop de difficultés, ni de ruptures pour l'évangile de Jean cela va sans dire. Certes à y regarder de plus près nous pouvons voir ici et là des rajouts, des coupures dans le texte, mais en dépit de ces cassures nous ressentons toujours beaucoup de plaisir à lire l'évangile, notamment celui de Jean.
Au chapitre premier il est question de la Parole qui séjournait avec Dieu et qui est en même temps détentrice et dispensatrice de la vie et de la lumière. Tout va pour le mieux jusqu'au verset 6 qui semble introduire une parenthèse en parlant d'un homme envoyé par Dieu. J'ai eu l'impression que cette parenthèse se refermait au verset 8, et qu'ensuite le texte parlant de la Parole revenait de nouveau au premier plan. Cependant, en regardant de plus près les verset 6 à 8 je me rends compte qu'ils évoquent eux-aussi la lumière tout en spécifiant bien que l'homme en question, Jean, n'est pas lui-même la lumière en dépit du fait qu'il rend témoignage à la lumière.
Une lecture plus approfondie me permet de mieux apprécier ce qui est peut-être un rajout tout en constatant que cette parenthèse n'est pas gênante. C'est une autre façon pour parler de la proximité de Jean et de Jésus. Ce petit rajout, s'il en est, ne gâte pas la lecture ni ne détourne le lecteur de la progression de la Parole telle qu'elle est décrite dans ce texte. J'ai l'impression de contempler une pierre précieuse qu'un habile artisan aurait retravaillé pour mieux la mettre en valeur, alors qu'elle brillait déjà de mille feux auparavant. Sous cet angle l'évangile de Jean me parait rempli de morceaux finement travaillés. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Dim 09 Nov 2014, 03:37 | |
| La référence à Jean-Baptiste est, depuis "Marc", le commencement "normal", sinon "obligé", d'un récit "évangélique"; mais alors que "Matthieu" et "Luc" lui adjoignent une sorte de "préface" merveilleuse (la nativité), "Jean" mixe pour ainsi dire son prologue (l'hymne au logos) qui est d'un tout autre genre (mythologique ou philosophique, selon la façon dont on l'entend; en tout cas poétique) avec le début de la narration en prose. Deux "plans" se superposent et se répondent ainsi sans se confondre, deux voix distinctes et accordées comme dans une fugue en contrepoint (je ne peux décidément pas éviter de penser à Bach): 1-5 ...............6-8 9-13 ........ 14 ...............15-17 18 ...............19ss. De ce point de vue-là, c'est plutôt le prologue lui-même (l'hymne au logos, colonne de gauche) qui serait un "ajout secondaire" (d'ailleurs il n'a pratiquement aucun écho dans le corps du récit), mais tellement génial qu'on ne le perçoit pas du tout comme tel. On a souvent remarqué l'inclusion qui "boucle" l'évangile à un état déjà très avancé de sa composition (avant l'addition finale du chapitre 21): la correspondance entre 1,1c (le logos était d/Dieu, vers qui ne faisait peut-être pas partie de l'hymne originale) et la confession de Thomas à la fin du chapitre 20 (mon Seigneur et mon Dieu). D'une manière générale, l'impression d' unité (que j'évoquais dès le premier post de ce fil, il y a cinq ans) tient sans doute à la profonde originalité de l'"école johannique", qui contraste tellement avec le reste du NT que les disparités internes du texte paraissent négligeables en comparaison, même si à y regarder de plus près elles sont évidentes. Les ajouts (exception faite de l'épisode de la femme adultère, qui est vraiment très tardif) sont toujours "johanniques", de pensée ou du moins de style; même ceux qui vont dans le sens de l'orthodoxie (ex.: 6,51-58) s'insèrent assez bien dans l'ensemble pour ne pas choquer la plupart des lecteurs. Il faut croire que l'"esprit" de l'oeuvre en construction a touché tous ceux qui y ont mis la main... ou bien qu'un texte qui manie à ce point l'ironie, le paradoxe, l'ambiguïté, le malentendu, la contradiction formelle est "incorrigible", au sens où il s'assimile automatiquement toutes ses "corrections". Ici une reprise ultérieure de la réflexion sur le Prologue. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Dim 09 Nov 2014, 20:28 | |
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| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Jeu 05 Mar 2020, 12:59 | |
| "Là-dessus, les pharisiens lui dirent : C'est toi qui te rends témoignage à toi-même, ton témoignage n'est pas vrai. Jésus leur répondit : Même si c'est moi qui me rends témoignage à moi-même, mon témoignage est vrai, car je sais d'où je suis venu et où je vais ; vous, vous ne savez ni d'où je viens ni où je vais. Vous, vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne. Et si, moi, je jugeais, mon jugement serait vrai, car je ne suis pas seul : il y a moi et le Père qui m'a envoyé. Dans votre loi, il est écrit que le témoignage de deux hommes est vrai. Moi, je me rends témoignage à moi-même, et le Père qui m'a envoyé me rend témoignage. Ils lui dirent donc : Où est ton Père ? Jésus répondit : Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père." (Jean 8,13ss)
La parole de jugement : Jésus juge-t-il ou ne juge-t-il pas ?
Incisive, décisive : elle est parole de jugement. Tout l’évangile prend d’ailleurs l’allure d’un grand procès intenté à Jésus. Mais celui-ci, de l’autorité de sa parole, de la liberté de sa parole, le joue autrement. Alors qu’il est jugé, c’est lui qui mène le jeu : il projette, en sa personne, une lumière qui vient d’ailleurs, dont lui seul connaît le lieu, l’origine et la fin. Tandis qu’on l’interroge : « toi, qui es-tu ? » (v. 25), et qu’on l’accuse d’une prétention illégitime, de se faire lui-même Dieu (v. 53), et de se rendre témoignage à lui-même (v. 13), Jésus ne répond pas à son propre sujet. Affirmant un « Je Suis », comme un « me voici », il laisse Dieu paraître en sa personne, il fait voir, il fait connaître Dieu. C’est ainsi qu’il est Fils, c’est ainsi qu’il témoigne du Dieu qui est son témoin, du Dieu qui ne laisse pas seul, qui n’abandonne pas, moins que jamais à l’heure de la mort, le Dieu Père (v. 16 et 29). Il ouvre alors à ceux qui l’écoutent l’espace même de sa parole comme porche d’entrée dans l’extrême proximité de Dieu, comme passage libérateur, et de l’autre côté, à l’arrivée, partage le lien qui fait son identité même, la filiation. Cela rayonne du cœur de la page (v. 31-36) : « Si vous, vous demeurez dans ma parole, vous êtes en vérité mes disciples. Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres » (v. 31). https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2005-HS-page-113.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Jeu 05 Mar 2020, 13:30 | |
| Voir aussi supra 6.11.2014 (sur le chapitre 12).
Le thème du "jugement", comme tant d'autres, est "affolé" dans un tourbillon paradoxal: en ne jugeant pas on juge, et mieux qu'en jugeant... ce genre d'énoncé ne se laisse pas stabiliser en propositions définitives qui feraient la part des choses, en définissant une fois pour toutes un "bon" et un "mauvais" jugement, celui que "Dieu", "le Christ" ou encore "le Paraclet" exercerait ou n'exercerait pas; tout est remis en jeu à chaque mo(uve)ment du discours. Ici aussi, une "logique" dynamique plutôt que statique. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Jeu 05 Mar 2020, 13:45 | |
| Le "car je ne suis pas seul", indique que le Père n'a jamais été dissocié ou déconnecté du Fils ("Moi et le Père, nous sommes un") mais dans le même temps, il y a deux témoignage, le Fils rend témoignage à lui même et le Père lui rend témoignage. Comme tu l'indiquais plus haut : "De part en part c'est la même divinité qui tantôt se différencie, tantôt s'identifie, mais toujours sans rupture" car "Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père". |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Jeu 05 Mar 2020, 14:52 | |
| Que le quatrième évangile se démarque ostensiblement et régulièrement des Synoptiques, tout lecteur peut s'en rendre compte. La question de savoir dans quelle mesure l'écart, ou la contradiction formelle, sont délibérés, est beaucoup plus délicate, car elle dépend de la connaissance que l'auteur de chaque "couche rédactionnelle" de l'Evangile selon Jean avait (ou non) d'autres "évangiles". Que les premières strates présupposent au moins une première édition de Marc (dont le cri d'abandon constitue en quelque sorte le paroxysme, retenu par Matthieu mais... abandonné par Luc) reste extrêmement probable. Cela dit, la stratégie ou tactique du "contrepied", écart, renversement ou contradiction (qui ne fonctionne vraiment que si la connaissance du modèle, ou du "standard", est partagée par les lecteurs-auditeurs) est plutôt la règle que l'exception (cf. aussi la prière de Gethsémani inversée en Jean 12). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Jeu 05 Mar 2020, 17:27 | |
| - Citation :
- Très bon exemple. Indépendamment du sens des verbes, la structure de la phrase est tout à fait typique du mouvement de la pensée johannique:
"Tout comme en effet le Père (hôsper gar ho patèr) réveille les morts et les fait vivre, ainsi aussi le Fils (houtôs kai ho huios) fait vivre qui il veut." (...) 17,11 "qu'ils soient un comme (kathôs) nous" 17,14 "ils ne sont pas du monde, comme moi (kathôs egô) je ne suis pas du monde" (idem v. 16) 17,18 "comme (kathôs) tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi (kagô) je les envoie dans le monde" 17,21 "que tous soient un, comme (kathôs) toi, Père, en moi et moi en toi, qu'eux aussi (kai autoi) soient en nous" 17,22 "qu'ils soient un comme (kathôs) nous [sommes] un" 17,23 "que tu les as aimés comme (kathôs) tu m'as aimé" (...) (On me reprochera encore de citer pêle-mêle des textes qui appartiennent à différentes strates du johannisme, mais ici aussi je le fais à dessein, car il s'agit de faire ressortir une structure de pensée qui n'est pas le propre d'un "auteur" ou d'une "oeuvre" mais caractérise collectivement toute une "école", dans la durée; il est d'ailleurs frappant que la densité maximale de ce type de formule soit atteinte au chapitre 17, texte relativement tardif qui tend à le systématiser, sans doute consciemment à ce stade.) J'ai relu avec "bonheur" ce post (reproduit partiellement du Jeu 15 Juil - 16:29), d'une rare profondeur.Un extrait d'article :Dans les 17 versets de Jean 17, le verbe « donner » se rencontre 17 fois. C’est dire la densité de ce verbe dans ce chapitre où s’exprime, le plus intensément, la relation du Fils au Père. Dans le plan de l’évangile, la prière sacerdotale joue le même rôle que la prière à Gethsémané dans les évangiles synoptiques: toutes deux expriment l’intensité de la prière de Jésus dite au Père et se situent juste avant l’arrestation et après un entretien avec les disciples. Le Père a donné au Fils une œuvre à accomplir. Pour cela, il lui a donné tout pouvoir. Cette œuvre a pour point de départ la glorification du Père et du Fils; ils sont comme le miroir l’un de l’autre, ils se reflètent l’un l’autre. Ce que révèle plus particulièrement Jean 17, c’est que cette glorification – qui a son point de départ dans la relation éternelle du Père et du Fils – se reflète elle-même dans la relation du Dieu Père et Fils avec ceux qui sont donnés. Cette relation est de toute éternité, elle est avant que le monde fut (v. 5). Les théologiens l’ont appelée la Trinité ad intra, c’est-à-dire le mystère intérieur de la vie trinitaire pour elle-même. Mais il y a aussi l’œuvre de la Trinité ad extra, c’est-à-dire sa relation avec la création. Il est question de celle-ci en Jean 17 et, plus particulièrement, d’une partie de l’humanité qui est appelée ici « ceux que tu m’as donnés ». On a là une définition de l’Eglise; c’est le cadeau que le Père fait au Fils et dont celui-ci va se sentir responsable jusqu’à donner sa vie. L’emploi du verbe « donner » apporte une précision à la notion d’élection: elle ne valorise en rien celui ou ceux qui en sont l’objet, l’Eglise n’est rien en elle-même, elle n’est même pas nommée en Jean 17. Ce qui est central, c’est la relation du Père et du Fils. Cette humanité anonyme n’a d’existence que parce que le Père l’a donnée au Fils et que le Fils donne à ces anonymes la parole que le Père a donnée au Fils et qu’ils ont gardée. Notre salut, c’est d’avoir été donnés au Fils par le Père. La Trinité est la source de notre salut. https://larevuereformee.net/articlerr/n218/la-theologie-de-%C2%ABdonner%C2%BB-dans-l%E2%80%99evangile-de-jean |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Jean Jeu 05 Mar 2020, 18:38 | |
| 15 juillet 2010 (ça ne nous rajeunit pas) !
Pour ma part, je vois plutôt l'anti-Gethsémani(é) en 12,27ss; il est vrai que la prière dite "sacerdotale" du chapitre 17, à la suite des développements successifs du livre (à un certain point de la rédaction 14,31 devait appeler une suite du genre Gethsémani, retardée ultérieurement par les discours supplémentaires), finit par occuper à peu près la même "place" dans le récit général, et que d'autre part elle rappelle thématiquement 12,27ss (notamment sur la glorification du nom); mais je ne dirais pas pour autant qu'elle joue le même "rôle": l'idée d'un "Jésus" qui demanderait, même un instant, à éviter la souffrance et/ou la mort (la "coupe" ou l'"heure") est aussi étrangère que possible au quatrième évangile.
Faut-il rappeler en outre qu'il n'y a pas d'"Eglise" dans l'évangile "selon Jean", et qu'à la place d'un tel concept il y a un remarquable flottement entre le masculin pluriel (ceux qui sont donnés) et le neutre singulier (ce qui est donné, cf. p. ex. 6,27.39; 10.29 etc.; ce qui est donné étant par ailleurs le nom, la gloire, la parole, le témoignage, le commandement, l'eau, le pain, l'esprit-souffle, etc.) ? Toutes ambiguïtés à mon sens destinées à des oreilles plutôt "gnostiques" qu'"ecclésiastiques"... |
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