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 Le "Jésus historique"

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Narkissos
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeMer 25 Fév 2015, 18:43

Le récit de la Passion n'est-il pas secondaire dans nos évangiles? N'est-il pas un complément ajouté postérieurement au texte primitif ?


Etienne Trocmé, théologien protestant, observe (La formation de l'Evangile selon Marc) que, quand Jésus

annonce sa mort, aucune allusion n'est faite à la crucifixion ou au procès devant Pilate; les chapitres 14 à 16 de Marc apparaissent comme une sorte d'appendice, comparable au chapitre 21 de Jean; ils déséquilibrent le plan de Marc. Et ce critique interroge " Un récit de la Passion était-il nécessaire à un auteur qui traitait de la Grande Nouvelle et de sa propagation et qui n'a en tout cas pas pressenti le besoin de raconter la Résurrection... Non, le récit de la Résurrection n'existe même pas en Marc et le récit de la Passion n'y représente qu'un appendice perturbateur... Les chapitres 14 à 16 de Marc véhiculent certaines idées théologiques et ecclésiologiques peu compatibles avec les sentiments propres à l'auteur de Marc 1 à 13 ".



http://www.catharisme.eu/Documents/marcion/Marcion-Ory.pdf
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeJeu 26 Fév 2015, 02:57

N.B.: E. Trocmé pensait en effet que le récit de la Passion ne faisait pas originellement partie de l'évangile selon Marc, MAIS qu'il existait auparavant et indépendamment; cf. son commentaire de 2000 (qui n'est pas la thèse des années 1960 citée par Ory, mais n'en diffère peut-être pas beaucoup sur ce point), p. 333ss.

Le texte de G. Ory référencé par free comporte à mon sens pas mal d'inexactitudes et d'incohérences, mais il a le mérite de montrer ce qu'il advient des récits évangéliques quand on leur applique une critique historique et littéraire globale (ce qu'on est contraint de faire quand on prend en compte l'Evangelion de Marcion, antérieur même à "Marc" au moins sous la forme où nous connaissons celui-ci -- bien qu'à tout prendre "Marc" soit vraisemblablement beaucoup plus proche de "Marcion", et pas seulement par le nom, que "Luc" auquel Marcion est traditionnellement associé). Il n'en reste vraiment pas grand-chose qui puisse prétendre à une quelconque valeur "historique" (ce qui bien sûr n'enlève rien à la valeur littéraire et religieuse des évangiles canoniques tels que nous les lisons).

Ce qui est assez étonnant quand on y réfléchit (un peu moins quand on y réfléchit un peu plus !), c'est la différence de traitement ("deux poids, deux mesures") entre l'AT et le NT dans les "sciences bibliques" (traditionnellement et toujours majoritairement "chrétiennes", sinon "ecclésiastiques", et "post-chrétiennes" à défaut). Chaque "livre" de la Bible hébraïque a été passé au crible d'une critique impitoyable, de sorte que plus personne ou presque ne se fait d'illusion sur son "unité", sa "date", son "auteur", encore moins sur la valeur "historique" de ce qu'il raconte. Par contre, en ce qui concerne le Nouveau Testament, l'"histoire" racontée passe toujours, déduction faite du franchement miraculeux ou contradictoire, pour "de l'histoire" tout court. La différence d'époque (de la rédaction des textes et des "événements" qu'ils prétendent relater) n'explique pas tout. Certes, les données historiques disponibles sont plus nombreuses au Ier siècle "après Jésus-Christ" qu'au Ve siècle ou a fortiori au IIe millénaire "avant" (la "trame" des connaissances est plus serrée, le "grain" est plus fin), mais ça ne justifie pas qu'on accorde une présomption d'historicité au sens moderne et critique du terme à des textes exclusivement "religieux" qui n'en demandaient peut-être pas tant, quand ils sont en dernière analyse les seuls "témoins" en présence. Il y a aussi là-dedans un préjugé ethnocentrique obscur, même s'il n'est plus strictement religieux: "Jésus" fait (toujours) partie de notre "histoire", comme Vercingétorix, Charlemagne, Louis XIV ou Napoléon; on s'en passe moins facilement que d'Abraham, de Moïse, de David ou de Salomon...
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeMer 11 Mar 2015, 18:24

Pour en revenir à Marc (et surtout au Marc primitif, si l’on tient compte des suggestions de Koester qui intègre le très discuté Évangile secret dans l’histoire de la rédaction), on peut d’ailleurs se demander à quel point il prétend être “historique”. Il est remarquable que dans le tout premier évangile Jésus, à partir du moment du baptême où l’Esprit descend en lui, est aussitôt reconnu par les esprits impurs, et se comporte comme un dieu tâchant de dissimuler sa véritable identité parmi les hommes. La seule “onction” qui justifie son titre de Christ n’a rien de royal ni de sacerdotal, c’est celle qui lui est donnée par une femme anonyme juste avant sa mort, ce qui rejoint plusieurs des mythes précités (14,3ss). Luc plus tard n’aura de cesse d’éliminer les aspects les plus évidemment docétiques de Marc (par exemple la marche sur la mer) et de souligner lourdement la véritable humanité de Jésus. Tout cela suggère bien une historicisation du mythe plutôt qu’une mythologisation de l’histoire. “Jésus” dans cette perspective est bel et bien le Verbe fait chair, le Fils céleste de Dieu fait homme – et non pas le contraire. En admettant que le mythe en voie d’historicisation rencontre sur son chemin le souvenir historique d’un certain Galiléen nommé Jésus, la question demeure : où est la source, où est l’affluent ?

Il est évidemment impossible, méthodologiquement, de démontrer que Jésus n’a jamais existé. Mais s’il a existé, il apparaît dès lors comme un personnage quasiment superflu — et c’est peut-être ainsi qu’il nous rejoint, nous autres sujets surnuméraires. Sa nécessité, s’il en est une, est tout au plus celle du grain de sable autour duquel l’huître forme sa perle. Pour autant ce n’est pas le grain de sable mais l’huître qui fait la perle. Au fond il faut bien peu d’histoire pour fonder une religion ou pour écrire des évangiles.

Après le passage de la critique radicale, que reste-t-il ? Rien. Et tout. Le Jésus que nous avons cherché en vain dans l’histoire est toujours intact dans les textes. Ceux-ci ont même pris du relief au fil de la recherche. On les lit autrement, en prêtant plus d’attention aux détails. On remarque ce qu’on évitait de remarquer, pour autant qu’il ne s’agit plus de tout rassembler en un seul portrait. Ce qui semblait embarrassant est devenu précieux. Rien n’est à jeter – tout est à relire.

Les textes ne sont ni confirmés ni infirmés par nos questions et nos tentatives de réponse. En tout cas pour ceux qui ne leur reconnaissent pas d’autre “autorité” que leur intérêt, leur aptitude à éveiller et à réveiller notre désir. Ils n’en sont que davantage capables de nous inspirer à réinventer nos propres mythes et nos propres histoires.

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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeJeu 12 Mar 2015, 14:06

L'un des problèmes de la "science historique", me semble-t-il, c'est qu'elle doit coordonner deux mouvements contraires: d'une part celui de la "démarche scientifique", foncièrement anti-chronologique, suivant ce qu'on appelle classiquement l'"ordre de la connaissance" (ordo cognoscendi) qui remonte déductivement, inductivement ou hypothétiquement de l'"après" à l'"avant" comme de l'aval à l'amont: des "faits" ou des "effets" aux "causes" (et latéralement aux coïncidences et aux circonstances), des "traces" réelles aux "événements" possibles; d'autre part celui du récit historique, toujours chronologique et plus ou moins linéaire, qui fait mine de suivre l'ordre de l'"être" ou du cours des choses (ordo essendi, ordo narrandi) en traçant arbitrairement son chemin narratif parmi beaucoup d'autres possibles. Autrement dit, l'histoire cesse d'être "scientifique" dès qu'elle se (re-)met à raconter, ce qui est tout de même sa finalité; son "moment scientifique" n'aboutissant dans le meilleur des cas qu'à corriger et surtout à compliquer le récit d'une multiplicité de pistes alternatives ou complémentaires, de détails, de coïncidences, de nuances, d'incertitudes et d'hésitations -- toutes choses qui tendent à détériorer le récit (à en faire une moins bonne histoire) et donc à disparaître dans la vulgarisation qui ramène celui-ci à une forme simple, linéaire, vraisemblable, au mieux "sensationnelle", au moins "intéressante" ou "consommable".

Qu'on se souvienne de Macbeth: Life’s but a walking shadow, a poor player / That struts and frets his hour upon the stage / And then is heard no more. It is a tale / Told by an idiot, full of sound and fury, / Signifying nothing. ("La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur / Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène / Et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire /
Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, / Qui ne signifie rien.") Parce qu'elle n'est généralement pas racontée par des idiots, "l'histoire-récit" a toujours un "sens" et par là même elle ne peut manquer de trahir "la vie" que prétend précisément rechercher la "science historique". Cela même, d'ailleurs, une fiction nous le dit bien mieux qu'une "histoire vraie".

(N.B.: je plaide volontiers coupable d'avoir trop souvent abusé moi-même, par facilité ou souci d'efficacité, du procédé du "récit historique vraisemblable" -- et non "vrai" ! -- contre tel ou tel récit traditionnel; ce n'était certes pas "scientifique", mais je n'avais pas trouvé mieux sur le moment.)
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeJeu 12 Mar 2015, 17:55

Citation :
Parce qu'elle n'est généralement pas racontée par des idiots, "l'histoire-récit" a toujours un "sens" et par là même elle ne peut manquer de trahir "la vie" que prétend précisément rechercher la "science historique". Cela même, d'ailleurs, une fiction nous le dit bien mieux qu'une "histoire vraie".


N'est-il pas utopique de vouloir découvrir le "vrai" Jésus ou le Jésus "authentique", tel qu'auraient le cotoyer ses contemporains ?

J'ai trouvé une citation intéressante :


L'opération historique ne consiste ni en une résurrection du réel passé, comme en rêvait
Michelet, ni en sa reconstitution, comme s'y essayent certains spectacles. Elle est un
"arrangement" – le mot est de Jacques Le Goff -, une construction de ce passé.

 (http://www.ihtp.cnrs.fr/historiographie/sites/historiographie/IMG/pdf/Histoire_et_verite.pdf)


Ainsi l'histoire n'est jamais qu'une reconstruction et une interprétation des faits, sa propre part de fiction. Il y a une part de subjectivité. l'histoire pouve qu'il est possible de construire d'autres figures du Christ que celle que proposent les évangiles.


Dernière édition par free le Jeu 19 Mar 2015, 14:27, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeJeu 12 Mar 2015, 18:50

free a écrit:
L'histoire p[r]ouve qu'il est possible de construire d'autres figures du Christ que celle que proposent les évangiles.

Les évangiles en proposent déjà plusieurs...

Mais il faut ajouter à cela que "la vie" même, la "réalité" la plus authentique, le "présent" le plus instantané, le "fait" le plus brut, l'"événement" le plus spontané, tout cela aussi est une construction, un entrelacs de différences, où chacun des personnages se réfère à un "texte" qui le précède (langue, culture, mots, phrases, attitudes, comportements, gestes, signes reçus d'un passé immémorial via son éducation et les multiples influences auxquelles il aura été tour à tour exposé). De sorte que même le contemporain n'est jamais tout à fait contemporain de lui-même, et qu'un "personnage historique" se comporte à bien des égards comme un "personnage de roman", l'imitation entre "fiction" et "réalité" étant à double sens.
Ce qui dans un sens relativise, dans un autre démultiplie le problème historique, en tout cas le met en abyme...
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeJeu 12 Mar 2015, 19:28

Mais lorsque l'on se pose des questions à propos d'un Jésus historique n'agit-on pas comme un (médecin)légiste? Cherchant la contradiction et décortiquant le moindre verset.
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeJeu 12 Mar 2015, 19:59

lct a écrit:
Mais lorsque l'on se pose des questions à propos d'un Jésus historique n'agit-on pas comme un (médecin)légiste? Cherchant la contradiction et décortiquant le moindre verset.
Sans doute. Mais d'une part la quête de l'histoire-derrière-les-textes n'est pour cela qu'une motivation parmi bien d'autres: on peut "disséquer" tout autant les textes à la recherche de l'"intention de l'auteur", de l'"idéologie" ou de la "sociologie" du milieu producteur, de ses "influences" religieuses, philosophiques ou littéraires, ou encore pour en extraire de quoi construire une "vérité" doctrinale cohérente. Et d'autre part les textes s'y prêtent, de bon gré si je puis dire, mais ils ne s'y donnent ni ne s'y perdent. Après toutes les dissections ils restent aussi lisibles qu'avant, parfois même un peu plus.
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeVen 13 Mar 2015, 21:19

Merci pour ta réponse qui comme toujours donne à réfléchir.
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeJeu 19 Mar 2015, 14:38

Citation :
Mais il faut ajouter à cela que "la vie" même, la "réalité" la plus authentique, le "présent" le plus instantané, le "fait" le plus brut, l'"événement" le plus spontané, tout cela aussi est une construction, un entrelacs de différences, où chacun des personnages se réfère à un "texte" qui le précède (langue, culture, mots, phrases, attitudes, comportements, gestes, signes reçus d'un passé immémorial via son éducation et les multiples influences auxquelles il aura été tour à tour exposé). De sorte que même le contemporain n'est jamais tout à fait contemporain de lui-même, et qu'un "personnage historique" se comporte à bien des égards comme un "personnage de roman", l'imitation entre "fiction" et "réalité" étant à double sens.
Ce qui dans un sens relativise, dans un autre démultiplie le problème historique, en tout cas le met en abyme...

Paul n'a pas vu et ni connu Jésus de Nazareth, sa foi ne repose pas sur des faits avérés qui détermineraient un "Jésus" ayant existait mais elle correspond à une "expérience religieuse". Ainsi rechercher le Jésus de l'histoire à travers les épîtres de Paul est impossible.
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeVen 20 Mar 2015, 01:32

@ free: le paragraphe que tu cites était plutôt destiné à corriger une tendance à la déduction hâtive assez fréquente chez les "mythistes" (et les "critiques" en général), du caractère "littéraire" d'un texte à sa non-historicité: la "vie réelle" aussi est "littéraire", truffée de citations et de récitations, de mises en scènes et de jeux de rôles conscients et inconscients; elle est seulement un peu moins "bonne" sous ce rapport qu'une "fiction", épopée, roman, pièce de théâtre ou film: moins intéressante, moins passionnante, moins captivante, parce que moins cohérente (le narrateur "idiot" de Macbeth, qui part dans tous les sens, se perd dans l'anecdotique, en un mot ne sait pas "raconter"), moins bien "construite", moins bien "rythmée" (je repense aussi à la réplique de Truffaut dans La Nuit américaine: la vie est moins harmonieuse que les films, dans les films il n'y a pas d'embouteillages ni de temps mort, ils avancent comme des trains dans la nuit). Vérification faite, j'avais déjà essayé d'exprimer à peu près la même idée à la p. 8 de ce fil, le 20.1.2010.

Sur la connaissance du "Christ" (qui se confond d'ailleurs avec "l'Esprit") par "révélation spirituelle" chez "Paul", cf. (p. ex.) 1 Corinthiens 2,10ss; 2 Corinthiens 12,1-10; Galates 1,1.11ss,15ss; Ephésiens 3,3ss. Outre 2 Corinthiens 5,16, dont c'est précisément le propos, et tout ce qui en a été dit ici.
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeVen 03 Avr 2015, 16:58

Pour en revenir à Marc (et surtout au Marc primitif, si l’on tient compte des suggestions de Koester qui intègre le très discuté Évangile secret dans l’histoire de la rédaction), on peut d’ailleurs se demander à quel point il prétend être “historique”. Il est remarquable que dans le tout premier évangile Jésus, à partir du moment du baptême où l’Esprit descend en lui, est aussitôt reconnu par les esprits impurs, et se comporte comme un dieu tâchant de dissimuler sa véritable identité parmi les hommes. La seule “onction” qui justifie son titre de Christ n’a rien de royal ni de sacerdotal, c’est celle qui lui est donnée par une femme anonyme juste avant sa mort, ce qui rejoint plusieurs des mythes précités (14,3ss). Luc plus tard n’aura de cesse d’éliminer les aspects les plus évidemment docétiques de Marc (par exemple la marche sur la mer) et de souligner lourdement la véritable humanité de Jésus. Tout cela suggère bien une historicisation du mythe plutôt qu’une mythologisation de l’histoire. “Jésus” dans cette perspective est bel et bien le Verbe fait chair, le Fils céleste de Dieu fait homme – et non pas le contraire. En admettant que le mythe en voie d’historicisation rencontre sur son chemin le souvenir historique d’un certain Galiléen nommé Jésus, la question demeure : où est la source, où est l’affluent ?

(...)

Il est évidemment impossible, méthodologiquement, de démontrer que Jésus n’a jamais existé. Mais s’il a existé, il apparaît dès lors comme un personnage quasiment superflu — et c’est peut-être ainsi qu’il nous rejoint, nous autres sujets surnuméraires. Sa nécessité, s’il en est une, est tout au plus celle du grain de sable autour duquel l’huître forme sa perle. Pour autant ce n’est pas le grain de sable mais l’huître qui fait la perle. Au fond il faut bien peu d’histoire pour fonder une religion ou pour écrire des évangiles.

http://www.theolib.com/articles/jesus-fougeras.html
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeVen 03 Avr 2015, 19:04

@ free: ce texte était déjà cité dans ton post du 11.3.15 ci-dessus, et (un peu) discuté et nuancé dans ce qui suivait.

[23.6.2015: voir aussi ici.]

1.6.2016: plusieurs posts concernant essentiellement le quatrième évangile transférés ici.
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeMar 30 Avr 2024, 16:55

Traces du Jésus de l’Histoire. L’état des sources documentaires

Daniel Marguerat

Les évangiles canoniques

Les quatre évangiles canoniques sont des œuvres de synthèse. Ils rassemblent et combinent des traditions plus anciennes, en vue d’offrir à leur public un portrait cohérent de Jésus. On peut dire que chacun, à sa manière, fait déjà œuvre « œcuménique » en articulant plusieurs points de vue sur l’homme de Nazareth. À la différence de Paul et des traditeurs de la Source, leurs auteurs n’appartiennent pas à la première génération chrétienne, mais à la deuxième ou à la troisième génération. Avant eux, la mémoire de Jésus a circulé sous forme orale. Progressivement, dans les années 40 à 60, de petits récits (paroles, paraboles, miracles) se sont agglutinés les uns aux autres et fixés par écrit.

Deux facteurs ont contribué à la naissance de cette mémoire. D’une part, la communauté croyante avait besoin de s’appuyer sur le souvenir de sa vie et de son enseignement pour le culte, la catéchèse, l’évangélisation. D’autre part, et James Dunn a insisté là-dessus, il faut compter avec « l’effet Jésus » : l’impact laissé sur ses disciples par cette personnalité hors du commun. Sous cette double impulsion, à la fois en fonction des souvenirs et des besoins, des bribes de mémoire ont été préservées à profusion. Ces conditions expliquent pourquoi des éléments biographiques, qui nous passionnent tant aujourd’hui, sont absents : l’apparence physique de Jésus, ses sentiments, son évolution psychologique nous échappent, car la mémoire collective ne se nourrissait pas de cela, mais plutôt des gestes et des paroles jugés significatifs. De plus, les premiers chrétiens (souvent, mais pas toujours) n’ont pas retenu les circonstances dans lesquelles avaient été prononcées telle parole ou telle parabole – si tant est qu’elle n’ait été dite qu’une seule fois ! La parole comptait plus que l’interlocuteur.

Marc, qui écrit aux environs de 65, a fait œuvre de pionnier. Pour la première fois, un récit continu rassemblait des traditions éparses sur Jésus, depuis la prédication du Baptiseur jusqu’à la mort. Marc a recueilli des récits de miracles en masse (le quart de l’évangile) et des séquences d’enseignement comme la série de paraboles de Mc 4 (4, 3-9.13-20.26-32). Il a intégré et amplifié l’histoire de la Passion (Mc 14–15), dont un premier récit à but liturgique remonte à l’Église de Jérusalem dans les années 40. Cet évangéliste place toute la vie de Jésus sous l’horizon de sa mort, annoncée dès le début (3, 6). Le genre littéraire « Évangile » n’est pas une pure invention de sa part ; il s’affilie à la biographie gréco-romaine, un type de récit à but moral centré sur un héros. La différence tient à la visée : il ne s’agit pas seulement de présenter une vie exemplaire, mais de nourrir la foi des auditeurs/lecteurs par une narration croyante de sa vie.

Une dizaine d’années plus tard, Matthieu décide de réécrire la vie de Jésus. Il réutilise presque tout le récit de Marc et copie sa structure, ce qui signale l’autorité dont jouissait le premier évangile ; mais d’autres traditions circulaient dans sa communauté, qu’il fallait intégrer. Matthieu amplifie donc Marc de paroles recueillies dans la Source et de traditions propres à son Église (la tradition M). Parmi ces dernières, l’Évangile de l’enfance (Mt 1–2), des paraboles (l’ivraie, les dix vierges, le serviteur impitoyable, etc.) et des débats sur l’interprétation de la Torah. Pour faciliter le catéchisme de sa communauté, faite de croyants judéo-chrétiens de Syrie (Antioche ?), il regroupe en cinq grands discours l’enseignement de Jésus. Le point de vue qui conduit sa plume : montrer que Jésus est le Messie d’Israël, annoncé par les Écritures et rejeté comme le furent tant de prophètes.

Encore dix ans plus tard (80-90), Luc rédige un Évangile suivi des Actes des apôtres. Lui aussi reprend une bonne partie de l’Évangile de Marc et des paroles de la Source, mais la part de ses traditions propres (tradition L) ascende à la moitié de son Évangile ; on lui doit un Évangile de l’enfance différent de Matthieu (Lc 1–2), de nouveaux récits de miracles et un trésor de paraboles (le Samaritain, le fils prodigue, le riche et Lazare, etc.). Luc destine son écrit à une chrétienté de culture grecque, pour laquelle il reformule le langage de ses sources. Son point de vue : Jésus est décrit à la manière des philosophes itinérants, sage et compatissant.

Le quatrième Évangile, Jean, est d’une toute autre facture. Tardif, il résulte d’une impressionnante réinterprétation de la tradition de Jésus, indépendante de ses prédécesseurs. Autant le Jésus de Marc parle peu et agit beaucoup, autant le Jésus de Jean énonce de longs discours à forte densité théologique. Ces discours sont le résultat d’un long processus de méditation au sein de l’école johannique, centré sur le rapport entre le Christ et son Église. Cet évangile est un portrait spirituel de Jésus, dont les éléments biographiques ont été réduits au minimum. Il a été longtemps considéré comme inutilisable dans la quête du Jésus de l’histoire, puis l’opinion s’est nuancée. Comme le remarquait déjà Ernest Renan dans sa Vie de Jésus de 1863, « un ouvrage rempli d’intentions théologiques peut renfermer de précieux renseignements historiques ». Deux exemples. La durée de l’activité publique de Jésus se monte à trois ans comme l’indique Jean plutôt qu’à quelques mois (si l’on additionne les notations chronologiques dans les trois premiers évangiles). La mort de Jésus doit être datée de la veille de la Pâque (Jn 19, 14) plutôt que du jour de la fête comme le laisse entendre Marc (Mc 14, 12). Ainsi, en dehors des discours manifestement tardifs, le quatrième Évangile peut être requis comme une source secondaire appréciable.

Si l’on additionne les sources chrétiennes du premier siècle, le compte est à six : Paul, la Source des paroles de Jésus (Q), Marc, la tradition M (Mt), la tradition L (Lc), Jean. Paul et Jean étant moins productifs historiquement, les ressources principales se regroupent dans la tradition synoptique, à savoir les trois premiers évangiles : Marc, Matthieu et Luc. Mais qu’en est-il des évangiles non retenus dans le Nouveau Testament ?

https://journals.openedition.org/anabases/7695#tocto1n9


Michel Onfray prisonnier de sa mythologie ?

Durant tout l’été, France Culture diffuse l’enregistrement des conférences de Michel Onfray données dans le cadre de son Université populaire de Caen. Reprenant les thèses de son dernier livre « Décadence », Michel Onfray explique que Jésus n’a pas existé. Pour Jean-Marie Salamito, historien du christianisme antique, le conférencier procède de manière étrange : il commente des textes purement mythologiques et néglige les documents historiquement utiles.

► Michel Onfray, « Brève Encyclopédie du monde », le samedi et le dimanche de 14 heures à 16 heures, du 7 juillet au 26 août. Les enregistrements peuvent s’écouter sur le site de France Culture.

« Le 14 juillet, France Culture a diffusé une conférence de Michel Onfray à l’Université populaire de Caen, « Les aventures de l’anticorps du Christ ». Onfray y redit ce qu’il a dit, début 2017, dans Décadence, et que j’ai réfuté dans Monsieur Onfray au Pays des Mythes. Les personnes les plus curieuses pourront lire mon ouvrage ou regarder sur la Toile l’une des vidéos qui en parlent (cliquez ici pour voir les vidéos). Aux plus pressées, à celles qui m’ont interrogé ces jours-ci, je propose cette brève mise au point.

Michel Onfray prétend mener « une réflexion historique » (05’ 19’’). Pour cela, il lui faudrait connaître l’état actuel des recherches – mais il ne cite aucun spécialiste du Nouveau Testament – et étudier de près les sources historiquement pertinentes – mais il se complaît dans des textes à caractère mythologique. Il passe les trois quarts de son heure de parole (de la minute 11 à la minute 54) à commenter des écrits dont pas un seul historien, pas un seul bibliste ne songerait à tirer des renseignements sur le Jésus réel.

Ces ouvrages apocryphes, c’est-à-dire « secrets », « cachés », par opposition à ceux qui étaient lus publiquement dans les réunions des chrétiens, sont des produits de l’imagination de certains croyants. Ce ne sont pas des documents explosifs que l’Église (mais, dans les premiers siècles, il y avait des communautés variées, sans autorité centrale s’imposant à toutes) aurait dissimulés. Méfions-nous de ce cliché complotiste.

Michel Onfray s’appesantit sur le Protévangile de Jacques, un texte grec de la fin du IIe siècle, donc très postérieur aux vingt-sept écrits du Nouveau Testament, sur l’Histoire de l’enfance de Jésus, rédigée en grec peut-être au IIIe, et sur l’Évangile de l’enfance du Pseudo-Matthieu, un opuscule latin pas antérieur à la fin du VIe ; mais il ne dit pas un mot sur la datation (tardive !) de ces ouvrages. Tout le monde peut les lire dans le tome I des Écrits apocryphes chrétiens de la « Bibliothèque de la Pléiade », et se rendre compte qu’il s’agit de fictions.

Michel Onfray emploie donc, devant un public qu’il sait fasciner, une ficelle plus grosse qu’un câble de marine. Il accumule des récits mythiques sur Jésus, pour faire croire que Jésus lui-même ne serait qu’un mythe. Un peu comme quelqu’un qui, ignorant volontairement les sources historiques sur Charlemagne, ne lirait que la Chanson de Roland et prétendrait que Charlemagne n’a pas existé.

Or, il faut le dire parce que c’est tout simplement vrai, les sources qui permettent de connaître Jésus comme personnage historique, ce sont avant tout les quatre évangiles canoniques, c’est-à-dire ceux que le courant majoritaire du christianisme, dès le IIe siècle (et pas seulement depuis saint Augustin, contrairement à ce que veut Onfray à 20’ 10’’), a reconnus comme fondés sur les traditions les plus anciennes et les plus fiables. Qu’il faille analyser ces textes avec beaucoup d’acribie et d’esprit critique, c’est ce que prouve l’immense production scientifique internationale qui fleurit à leur sujet depuis plus de deux siècles, et que Michel Onfray a choisi d’ignorer.

Il écarte également d’un revers de main (à partir de 1 h 02) l’historien latin Tacite, qui, au livre XV de ses Annales, au chapitre 44, dit qu’un nommé Christus a été supplicié, sous l’empereur Tibère, sur l’ordre du gouverneur Pontius Pilatus, et même l’historien juif d’expression grecque Flavius Josèphe, qui, au livre XVIII, aux paragraphes 63-64, de ses Antiquités juives, parle bien de Jésus (même s’il faut rejeter, comme des ajouts chrétiens, quelques détails de ce texte).

Au total, cette conférence ne nous apprend strictement rien sur le Jésus historique. Fait révélateur : aucune des questions posées par le public ne porte sur Jésus. Encore plus symptomatique : dans ses réponses, à 1 h 16, Michel Onfray va jusqu’à laisser planer un doute sur l’existence historique de l’apôtre Paul, ce qu’il n’avait pas osé dans Décadence : « on peut imaginer » qu’il ait existé, concède-t-il à la rigueur.

Puis, à la minute suivante, il reconnaît tout à coup à Jésus « une petite existence historique ». J’aimerais savoir ce que serait « une grande existence historique », et comment il peut y avoir des degrés intermédiaires entre l’existence et la non-existence. Cette soudaine contradiction me semble révélatrice : au fond, Michel Onfray est trop intelligent pour croire vraiment à cette « thèse mythiste » qu’il a exposée juste auparavant.

Le bon côté de cette conférence au contenu si décevant, c’est qu’elle nous fait entendre un Michel Onfray en forme, bien remis de son AVC (dont il parle plusieurs fois), en pleine possession de ses moyens. Sincèrement, je m’en réjouis. Mon regret est qu’un homme intelligent, talentueux, éloquent, un homme dont plusieurs de mes amis me vantent les qualités morales (et je les crois sur parole), gaspille ses dons à défendre longuement, avec des arguments qui n’en sont pas, une thèse indéfendable. »

https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Michel-Onfray-prisonnier-mythologie-2018-07-26-1200957942
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Narkissos

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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeMar 30 Avr 2024, 19:46

Dormez, dormez, petits pigeons... (Drôle de drame). Ou: jamais pétition de principe n'a si bien mérité son nom (en parodiant cette fois Pepe le Moko, avec "pétition de principe" à la place de "descente de police", dans le cas de policiers descendus).

On ne prend pas beaucoup de risques quand on choisit pour interlocuteur, ou pour repoussoir, un Onfray qui n'est ni bibliste, ni théologien, ni historien et qui parle et écrit, sur n'importe quoi d'ailleurs, beaucoup plus et plus vite qu'il ne pense.

Plutôt que de répéter ce que j'ai déjà écrit il y a maintenant plus d'une quinzaine d'années (c'est l'âge de ce fil) -- je ne vois pas grand-chose à y ajouter, les argumentaires de Marguerat (maintes fois cité ci-dessus) ou de Salamito ne me semblent guère avoir changé non plus -- je vais peut-être essayer de raconter comment je me suis (un peu) intéressé à la question, ne fût-ce que pour constater qu'elle n'avait, pour moi qui ne suis pas historien pour un sou, aucun intérêt -- ni théologique, ni exégétique, encore moins philosophique ou littéraire...

Je ne serais peut-être jamais entré en contact avec les thèses dites "mythistes" -- très variables en dépit de cette étiquette commune -- qui ont déserté l'espace académique francophone et européen depuis les années 1930 (Couchoud) si, dans les années 2000, après une douzaine d'années d'immersion dans la NBS, je ne m'étais aventuré sur le forum JWD, anglophone et principalement américain, où j'ai rencontré (virtuellement) un certain nombre de "mythistes" autoproclamés, plus ou moins savants ou informés. Ma première réaction a été d'argumenter suivant le consensus européen, d'une façon à peu près similaire à Marguerat, jusqu'à ce que je commence à ressentir les failles et les boucles spécieuses de mon raisonnement (sentiment que je connaissais bien depuis ma sortie du jéhovisme, et que je reconnaissais aisément dans ce cas précis). Grâce aux plus éclairés de mes interlocuteurs (dont Peacefulpete qui a posté une fois ici) j'ai fait la connaissance de Robert M. Price, qui était à mon sens un des plus intelligents et nuancés (quoique pittoresque dans l'expression) de cette tendance: j'ai lu quelques-uns de ses livres, je me suis efforcé de rendre compte de ses arguments et j'ai traduit un ou deux de ses articles pour Théolib; j'ai même proposé aux éditions du Cerf -- qui n'ont jamais donné suite -- de traduire son ouvrage principal (à l'époque) sur la question. Si Marguerat daigne le mentionner en 2018 (n. 5), c'est probablement parce qu'une revue grand public comme "Le monde de la Bible" ou "Le monde des religions" a fini par en parler, mais ce n'est pas par lui qu'on apprendra quoi que ce soit sur ses thèses (qui ne se résument évidemment pas à l'affirmation ou négation idiote "Jésus n'a jamais existé", encore que par rapport au[x] "Jésus" du NT la formule, quoique provocatrice, me paraisse pertinente) -- je laisse de côté l'évolution politique de Price vers l'alt-right américaine, trumpiste aux dernières nouvelles, qui ne me rapprochait guère de lui (c'est une litote): surprenante en un sens, moins dans un autre, car "l'esprit de contradiction" devient facilement une habitude, qui s'exerce aussi bien contre les automatismes d'un milieu "fondamentaliste" (dont Price était issu au départ) que contre ceux d'un milieu "athée" et (presque forcément) "libéral" au sens américain (pour nous "de gauche").

Tous les arguments en faveur d'un "Jésus historique", sans exception, ne témoignent que d'une seule "réalité historique": il y a vers la fin du Ier siècle, un peu partout dans l'empire romain, des "(proto-)christianismes", avec des histoires de "fondateur" divergentes (Khristos, Chrestos, Ièsous) et plus ou moins développées, de la référence minimale et schématique de "Paul" (crucifié-ressuscité) aux quasi-biographies des évangiles; ces proto-christianismes tendent à se fédérer en "grande Eglise", comme le (néo-)judaïsme pharisien, de son côté, dans le réseau synagogal après la destruction du temple. Les "témoignages extérieurs", juifs ou "païens", pour autant qu'ils soient authentiques, sont tous des échos plus ou moins déformés, plus ou moins sympathiques ou hostiles, des récits chrétiens -- en aucun cas des "souvenirs" ni même des "traditions" indépendants. Que ces "(proto-)christianismes" qui proviennent pour l'essentiel des marges de toute sorte de judaïsmes, de Palestine un peu mais surtout de la diaspora (qoumrânien, hénochien, alexandrin, antiochien, etc.), devraient être tous rapportés à un seul personnage "historique", galiléen ou judéen, de la première moitié du Ier siècle, voilà une hypothèse qu'on trouverait exorbitante si l'on n'était pas habitué depuis des millénaires à raconter la même histoire, d'abord comme "histoire sainte", reprise telle quelle par l'histoire moderne et critique qui s'est contentée d'en retrancher ce qui lui paraissait le plus invraisemblable (et qui était pourtant l'essentiel de l'"histoire sainte"). Je n'ai absolument rien contre l'hypothèse d'un ou de plusieurs personnages historiques derrière telle ou telle tendance proto-chrétienne, il y en a forcément eu, mais chacun d'eux ne peut être que l'une des multiples "sources" du christianisme en général, et ne peut avoir qu'un lointain rapport avec le "Christ" que celui-ci a construit comme objet ou référent commun de sa "foi".

C'est tout et ça n'aurait en soi aucune importance, si ça ne parasitait pas constamment l'étude de tous les textes chrétiens, à commencer par ceux du NT, en rapportant à un "Jésus de Nazareth" toutes les formules dites "christologiques" (Christ, Fils de Dieu, Fils de l'homme, Seigneur, logos, etc.) même quand rien dans les textes ne les y réfère.

En (re)lisant (quand même) Marguerat -- je ne parle pas de Salamito qui est plus virulent, mais probablement moins informé et plus sincère -- je ne peux pas m'empêcher de revenir à la sempiternelle question de l'"honnêteté intellectuelle", dont je sais par expérience combien elle peut être retorse: il y a une malhonnêteté inconsciente qui peut se doubler d'une sincérité de surface, surtout quand elle est au service d'une "cause" et que cette "cause" paraît consensuelle. Un Marguerat dispose de tous les éléments pour réfuter ou infirmer chacun de ses arguments: il sait pertinemment que sa datation des textes du NT ne repose sur rien de sérieux, que celle des épîtres pauliniennes présumées authentiques dépend de la pseudo-histoire des Actes, qu'en tout état de cause elle ne garantirait en rien le contenu exact de textes qui ont varié au moins jusqu'au milieu du IIe siècle (notamment autour de la crise "marcionite"); que la fameuse "source Q" n'est qu'une hypothèse contestable et de plus en plus contestée, etc., etc. Pourtant ça ne l'empêche pas d'aligner, d'additionner et de totaliser les arguments comme si de rien n'était, et de produire ainsi un effet de présomption, voire de preuve, par faisceau d'indices convergents, tour d'autant plus facile qu'il s'adresse, ici au moins, à un public qui n'est pas spécialiste de sa discipline. A partir de quoi les historiens pourront citer les Marguerat comme synthèse consensuelle de l'opinion des biblistes, et les biblistes en appeler au consensus des historiens sur la question qui est ainsi classée: il n'y a aucune raison que ça change, si les spécialistes du NT n'en finissent pas de réciter leur histoire sainte; mais c'est précisément parce qu'ils la récitent et se gardent bien de la mettre trop radicalement en question qu'ils sont lus, payés et admirés leur vie durant par un public de sacristie -- problème structurel qui, comme on l'a constaté maintes fois, affecte beaucoup moins l'AT et ses personnages, parce que leur rapport au christianisme ne paraît pas si fondamental...
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeJeu 02 Mai 2024, 11:05

Critique remarquable de la part deNarkissos bien argumentée dynamique. Merci. J'aurai une question à laquelle je suis persuadé que tu pourras répondre:
pourrais-tu me rappeler ce qu'était Marcion ou les marcionistes?
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MessageSujet: Re: Le "Jésus historique"   Le "Jésus historique" - Page 6 Icon_minitimeJeu 02 Mai 2024, 15:01

Une vraie "critique", ne serait-ce que de l'article de Marguerat, prendrait des pages et des pages -- il y aurait à redire à chaque paragraphe, sinon à chaque phrase -- et ça ne servirait à rien face à la dynamique, ou plutôt à la statique ou l'inertie, du "consensus", surtout quand celui-ci est interdisciplinaire (ritournelle des historiens et des biblistes qui se ré-citent les uns les autres en évitant tout questionnement susceptible de faire basculer le paradigme).

Sur Marcion, le "marcionisme" et les "marcionites", dont nous avons très souvent parlé (encore dernièrement ici à propos de C. Schmitt, 12.4.2024), ce ne sont pas les informations encyclopédiques qui manquent, quoique de qualité très inégale (il n'y a qu'à comparer les Wikipedia anglais et français, ce dernier restant dans la récitation patristique, orthodoxe et catholique même s'il mentionne quelques "sources secondaires" relativement récentes). A mon sens le marcionisme est au IIe siècle le principal héritier du "paulinisme", à la fois "gnostique" et "ecclésiastique" bien que ces termes soient habituellement opposés: premier conservateur et producteur, ou développeur, d'un "corpus paulinien", et d'un "évangile" qui même sous le nom de "Luc" est probablement plus "marcien" (de Marc, qu'on le rapproche ou non de Marcion, en tout cas pas martien malgré l'homophonie) que "lucanien" (surtout si l'on envisage "Luc" dans l'ensemble Luc-Actes, qui comme les Pastorales est plutôt une réaction au "paulino-marcionisme").

Pour rappel, il ne faut pas confondre le "Jésus historique", au sens de l'historiographie moderne et critique qui le cherche derrière les textes, avec le "Jésus terrestre" que les textes mêmes construisent. Autant un "Jésus historique" dans le premier sens est parfaitement indifférent au christianisme et à la christologie, autant leur est essentiel que leur Christ meure et ressuscite, donc qu'il devienne mortel, et qu'il soit raconté comme tel; qu'il le soit avec de plus en plus de détails et de contradictions, c'est la nature même, luxuriante, foisonnante, du récit, mais il est d'autant plus remarquable que la tradition chrétienne dans son ensemble n'ait pas réussi, peut-être même pas vraiment cherché, à quelques exceptions près (p. ex. Tatien), à les effacer: tout au plus à les contenir (quatre évangiles "canoniques" et pas plus; mais c'est déjà beaucoup, et beaucoup trop pour une seule "histoire").
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