Etre chrétien ou pas?

apporter une aide et fournir un support de discussion à ceux ou celles qui se posent des questions sur leurs convictions
 
PortailPortail  AccueilAccueil  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  
Le Deal du moment : -45%
PC Portable LG Gram 17″ Intel Evo Core i7 32 Go ...
Voir le deal
1099.99 €
-21%
Le deal à ne pas rater :
LEGO® Icons 10329 Les Plantes Miniatures, Collection Botanique
39.59 € 49.99 €
Voir le deal

 

 antijudaïsmes, antisémitismes

Aller en bas 
5 participants
Aller à la page : Précédent  1, 2, 3 ... 11, 12, 13
AuteurMessage
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeJeu 16 Nov 2023, 20:24

N.B.: cette interview date de 2005, après qu'Israël s'était (relativement) retiré de Gaza et juste avant que le Hamas y prenne le pouvoir (2007) -- la suite s'est chargée du commentaire.

Comme j'ai souvent tenté de l'expliquer, le "sionisme" d'aujourd'hui n'est plus du tout celui de 1948, qui était "laïque" et largement socialiste; et la "religion" (judaïsme, synagogue, etc.) a elle-même changé du tout au tout, d'anti-sioniste et essentiellement pacifique au "sionisme" nouvelle formule, fondamentaliste au sens "évangélique" chrétien américain (c'est bien la lecture littérale de la Bible-cadastre, SANS la médiation pondératrice de la tradition rabbinique, qui alimente la revendication maximaliste d'intégrité territoriale, le "grand Israël"), guerrier et suprémaciste -- dans le même temps, bien sûr, la résistance palestinienne est aussi passée du socialisme à l'islamisme... La seule chose qui n'ait pas changé, ce serait l'"ethnocratie" -- l'Etat juif qui impose pratiquement un régime du type "apartheid", de "minorité" dans tous les sens du terme, aux autres ethnies (c'est bien de ça qu'il est question, non de religion: on peut être juif et athée, converti au christianisme ou même à l'islam, on n'en est pas moins israélien de plein droit...) et n'autorise en théorie qu'une "solution à deux Etats", qu'il rend en même temps concrètement impossible...

L'article fait par ailleurs des remarques intéressantes sur les binationaux, dont je parlais précédemment: Israël est probablement un des Etats au monde où la binationalité est la plus fréquente, dans les classes moyennes et supérieures, plus ashkénazes que sépharades -- c'est, je suppose, le cas de pas mal des Européens ou Américains victimes de l'attaque du Hamas dans un périmètre restreint autour de Gaza, qui n'est pas précisément une destination touristique... Mais cela a aussi une incidence sur les autres pays et leur "antisémitisme", parce qu'il devient de plus en plus difficile de distinguer un "judaïsme-religion" d'un lobby d'un Etat étranger; et, pour les autres Etats, de se désolidariser diplomatiquement de cet Etat...
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeVen 24 Nov 2023, 13:46

« Die Lust an der Schuld » ? - « Le plaisir complaisant de la culpabilité » ?
Les débats publics autour du mémorial de l’Holocauste à Berlin

20 Le terme désignant le fait de « venir à bout à son passé » (Vergangen­heitsbewältigung) est typiquement allemand, il n’existe dans aucune autre langue et désigne quelque chose de fondamentalement contradictoire : on peut venir à bout (bewältigen) d’une tâche : on y est confronté, puis on s’y attelle, on en vient à bout et alors elle disparaît en tant que tâche. La notion de Vergangenheitsbewältigung implique le désir de se détacher du passé : celui qui se sou­vient veut, en guise de récompense pour ainsi dire, avoir le droit d’oublier ; la fixation sur le passé ne serait alors que l’envers du refoulement. Il s’avère qu’il n’est possible de « venir à bout » de son passé que dans le cadre de la construction d’une identité (collective) au moyen d’une re-construction du passé, qui implique une mémoire sélective et l’oubli. Dans l’Allemagne des années 60, on a choisi de forcer la prise de conscience par l’obstination et l’insistance ; mais cette étape n’a été suivie d’aucune nouvelle évolution. Au lieu de cela, l’excès de présence a conduit à une banalisation qui peut, comme le constate Martin Walser – car il y a malheureusement parfois aussi du vrai dans ce qu’il dit –, déboucher sur un pathos moral vidé de sa substance et sur une instrumentalisation.

21 Alors que les témoins directs sont de moins en moins nombreux, il faut se demander si l’on peut et si l’on doit prescrire ce que sera à l’avenir le sou­venir. Comment transmettre la honte et la culpabilité à ceux qui ne les ressentent plus naturellement ? Est-il possible de réunir et faire se mélanger la diversité des différentes mémoires dans une commémoration institution­nalisée ? La discussion sur le mémorial de l’Holocauste n’est-elle pas que le reflet de la tentative conservatrice, marquée par la peur vis-à-vis des généra­tions futures, de fixer la façon dont on traitera le passé à l’avenir, afin de masquer ses propres hésitations ? Un exemple parlant est celui de la cam­pagne lancée durant l’été 2001 par les initiateurs du mémorial afin de récol­ter des dons, avec des affiches misant sur l’effet de choc créé par la phrase « L’Holocauste n’a jamais eu lieu », un texte écrit en dessous en petits caractères préci­sant de manière menaçante : « Ils sont toujours nombreux à prétendre cela. Ils pourraient bien être plus nombreux encore dans 20 ans. Pour cette raison, faites un don pour les juifs assassinés d’Europe. » Le mémorial est ainsi présenté comme le garant de la véritable manière de se souvenir de l’Holo­causte, sans lequel les générations suivantes risqueraient de tomber dans le déni. Si l’on considère l’acharnement dont ont fait preuve les hommes poli­tiques pour que le mémorial soit doté d’un centre d’information, l’aspect moralisateur est plus évident encore ; il s’agit d’établir, et ce pour l’éternité, une certaine façon d’appréhender l’Holocauste en en fixant les règles dans une sorte de « canon du souvenir » national, afin d’empêcher tout change­ment potentiel dans la manière dont il est perçu. Ce besoin fort de fixer des règles est une preuve de méfiance de la part des responsables, non seulement vis-à-vis de la jeunesse, mais également vis-à-vis de leur position propre, et montre bien que rien n’est digéré ou assumé (bewältigt), bien au contraire.

22 Les formes traditionnelles de transmission sont inopérantes lorsqu’il s’agit de rendre compte de la Shoah. Des modèles rigides jouent plutôt en faveur d’une normalisation de l’Holocauste comme événement historique parmi d’autres ; ce n’est pas pour rien que Musil parle du caractère  « invi­sible » de chaque monument, et que Nietzsche fait remarquer que seul reste en mémoire ce qui ne cesse de faire souffrir. Une commémoration officielle ne fait pas souffrir, elle ritualise et devient un devoir, qui peut le cas échéant tenir lieu de légitimation politique, comme cela fut parfois le cas en RDA, ou comme cela pourrait être utile à une « République de Berlin » qui aspire à devenir un gardien de la morale internationale. Un monument décharge la mémoire et soulage la conscience des hommes, il les libère de questions désagréables en prenant en charge à leur place la fonction de commémoration. Le passé est ainsi réduit à des dimensions supportables, ce qui permet en quelque sorte de l’évacuer. Seul un questionnement permanent de notre propre mémoire et de notre propre motivation peut nous en pré­munir, une confrontation vivante qui incite à la réflexion et soulève des questions au lieu d’y répondre. C’est en ce sens qu’est apparue à plusieurs reprises au cours de ce débat – qui fut en partie mené à un niveau intellectuel élevé, mais est resté malheureusement largement ignoré lors de la réalisation du projet – l’idée que le vrai mémorial, c’était peut-être la discussion à son sujet ; on a également proposé de mettre en place des mémoriaux « ou­verts », comme un arrêt de bus au milieu de nulle part ou une rencontre-débat annuelle. L’impossibilité même de représenter le génocide a pour conséquence que l’on montre soit l’absurdité, soit les motivations douteuses d’un mémorial - quand celui-ci ne fait pas tout simplement que symboliser le vide et la rupture.

https://books.openedition.org/psn/3073?lang=fr
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeVen 24 Nov 2023, 15:30

Cette histoire berlinoise -- dont j'ignorais tout -- est en effet instructive. Du côté de la "mémoire" en général, elle rejoindrait nombre de nos discussions antérieures, par exemple celle-ci; j'en retiendrai la notion étonnante de Vergangen­heitsbewältigung (§ 20), "venir à bout du passé", d'autant qu'elle comporte l'idée de "violence" ou de "vaillance" (walt-, d'où aussi Gewalt, lexème que Derrida a souvent relevé dans les textes de Heidegger). Du côté du judaïsme en particulier, elle consonne avec une réflexion que nous nous faisions ce matin même à propos des "Samaritains": l'endurance exceptionnelle de l'"identité juive", depuis la Judée de l'époque perse jusqu'à maintenant, malgré des changements de "contenu" religieux, culturel et ethnique considérables, tient au fait qu'elle n'a jamais manqué d'opposition et de controverse, de haines et de phobies, en un mot d'ennemis -- eux-mêmes encore plus variables, puisqu'ils ont été tour à tour "Samaritains" ou Iduméens, Syriens séleucides, Egyptiens lagides ou romains, arabes, chrétiens, musulmans, néo-païens, athées, de droite ou de gauche, avec autant de motifs hétéroclites, tantôt plutôt "religieux", "politiques" ou "ethniques"... Et paradoxalement cela rejoint aussi la pensée d'un Allemand d'extrême-droite, quoique pas vraiment nazi, Carl Schmitt pour qui c'est la désignation de l'ennemi qui fait le pouvoir, la souveraineté et la cohésion de la nation -- ce qui s'appliquerait indirectement à l'ethnos, "nation" ou "peuple" sans Etat, qu'a constitué "le judaïsme" des guerres judéo-romaines à la création de l'Etat d'Israël, mais bien plus directement depuis.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeVen 09 Fév 2024, 14:37

« L’État d’Israël contre les Juifs » – 3 questions à Sylvain Cypel

Ancien directeur de la rédaction de Courrier international et rédacteur en chef au journal Le Monde, Sylvain Cypel a couvert les premières années de la seconde Intifada et a été correspondant pour le journal Le Monde aux États-Unis de 2007 à 2013. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage « L’État d’Israël contre les Juifs », aux éditions La Découverte.

1/ Vous relevez un paradoxe : Netanyahou s’acoquine avec les antisémites les plus avérés tout en accusant ceux qui émettent la moindre critique à l’égard de son gouvernement « d’antisémites » …

C’est effectivement un paradoxe sidérant. Lorsque, à l’été 2017, le gouvernement conservateur nationaliste de Victor Orban mène en Hongrie une campagne diffamatoire aux relents clairement antisémites contre le financier américain George Soros, l’ambassadeur israélien lui demande d’y mettre fin. Que fait Nétanyahou ? Il condamne fermement… son propre ambassadeur, lui demandant de s’excuser publiquement. Car Netanyahou se préoccupe peu de l’antisémitisme qui monte en Hongrie. L’essentiel pour lui, a consisté à conforter ses liens avec toute la mouvance dite « identitaire » à travers le monde, de Trump à Orban, du Brésilen Bolsonaro à l’Indien Modi. Et les régimes qu’ils dirigent sont tous fascinés par la politique que mène Israël sur le plan de « l’identité » nationale, une politique leur apparait comme un modèle d’ethnicisme agressif. Israël n’a-t-il pas adopté, en 2018, une loi sur « l’État-nation du peuple juif » qui octroie aux citoyens juifs de l’État, des droits dont ne disposent pas les citoyens qui ne sont pas juifs ? Or nombre de ces régimes charrient aussi, à des degrés divers, des propensions antisémites. Mais Israël, si prompt à accuser toute critique d’antisémitisme, se tait dans leur cas. Lorsqu’un suprémaciste blanc américain tue 11 Juifs dans un attentat à Pittsburgh en octobre 2018, la première réaction de Ron Dermer, l’ambassadeur israélien à Washington, très proche de Nétanyahou, consiste à… dénoncer l’antisémitisme des musulmans, sans dire un mot sur l’antisémitisme suprémaciste blanc américain. L’explication : l’islamophobie est devenue le ciment qui relie cette extrême-droite coloniale sioniste, devenue très puissante en Israël, avec les suprémacistes blancs aux États-Unis comme avec les mouvances identitaires, en Inde, en Hongrie et ailleurs. Comme l’a souligné la députée du Likoud Anat Berko en février 2019 : « Ils sont peut-être antisémites, mais ils sont de notre côté ». Il en va de même du lien puissant qui unit désormais les dirigeants israéliens et la mouvance évangélique dans le monde.

2/ Vous écrivez que, pour beaucoup, la « déshumanisation du Palestinien » devient le seul moyen de préserver l’estime de soi. De quelle manière ?

Je décris dans mon livre la façon dont l’armée israélienne, par des méthodes très élaborées, amène peu à peu de jeunes conscrits à assumer des actes criminels à l’égard des Palestiniens. Ces actes quotidiens sont décrits par nombre d’ONG israéliennes de défense des droits de l’Homme et par le quotidien Haaretz, le seul organe de presse à en faire régulièrement part. Mais la recension de ces actes ne fait pas bouger la société juive israélienne d’un iota. Sur le temps long, on constate même une évolution croissante vers l’acceptation de ces actes, leur insertion dans la normalité, comme on trouve de plus en plus d’Israéliens pour déclarer qu’ils soutiennent une expulsion généralisée des Palestiniens hors de leur pays. Pour que cette évolution se mette en place, sans que ceux qui perpètrent ces actes soient envahis par la culpabilité, il faut que toute une société bascule dans une conviction que l’adversaire est un monstre, qu’il est dénué d’humanité. Lorsque, en juillet 2017, un jeune Palestinien de 16 ans armé d’un couteau de cuisine tente d’agresser des soldats, ces derniers l’abattent à distance. Puis l’un d’eux, Elor Azaria, 19 ans, s’approche de l’adolescent, qui git inerte dans son sang, et le tue d’une balle dans la tête. Il dira, après sa libération, que son geste était légitime et qu’il le referait le lendemain. Pour agir et penser de la sorte, il faut être convaincu que celui auquel vous ôtez délibérément la vie n’est pas vraiment un homme. En tout cas pas un homme qui est votre égal. Et de facto, il n’existe aucune parité entre Juifs israéliens et Arabes palestiniens. Pour un meurtre de sang-froid effectué hors de toute menace, Azaria a effectué huit mois de prison. Huit mois d’incarcération, c’est ce qu’a subi Ahed Tamimi, une jeune Palestinienne de 16 ans qui avait giflé un officier israélien en intervention dans sa maison en pleine nuit. Huit mois d’un côté pour avoir donné la mort, huit mois de l’autre pour une gifle. Quand on s’habitue à cette normalité-là, qu’elle devient légitime, c’est que tout sens moral a disparu.

3/ En quoi est-ce que les communautés juives françaises et américaines n’ont pas la même évolution vis-à-vis d’Israël ?

Depuis la guerre de juin 1967, les deux plus importantes diasporas juives organisées, aux États-Unis et en France, ont fermement soutenu Israël. Mais on constate depuis une dizaine d’années une évolution divergente des deux communautés, que j’étudie dans mon livre. Plus la communauté juive française, à travers son organe central, le CRIF, opte pour un soutien inconditionnel à Israël, plus l’américaine se divise. Le phénomène s’est beaucoup accentué depuis l’accession de Trump au pouvoir. Pour faire court, l’adhésion à Israël apparait comme vitale, absolument existentielle pour les Juifs de France, ou plutôt pour ceux qui s’identifient au CRIF (lequel ne représente qu’entre un gros tiers et une petite moitié du judaïsme français, composé d’environ 650 000 personnes). Pour ceux-là, être juif c’est d’abord soutenir Israël. J’ai des amis Juifs français qui sont des gens tout à fait intéressants mais qui perdent tout discernement dès qu’on évoque Israël et ne peuvent entendre la moindre critique. À l’inverse, les Juifs américains, qui sont numériquement aussi nombreux que les Israéliens (soit 6,5 millions), ont une vie communautaire décentralisée, autonome et riche (il y a plus de départements d’études juives dans les universités américaines qu’en Israël). Cela laisse un espace à la critique au sein de la jeunesse juive américaine qui, aujourd’hui, devient de plus en plus acerbe vis-à-vis d’Israël. Des personnalités juives de premier plan ont publiquement critiqué la politique suivie par Nétanyahou en termes très virulents. L’enfermement identitaire des Juifs israéliens et l’adulation qu’ils ont très majoritairement pour Trump les révulse. Bref, on assiste aux États-Unis à la montée en puissance de ce que les Américains appelle une « diaspora revival », une résurgence, une redécouverte de la diaspora. C’est-à-dire l’aspiration à une vie juive intrinsèque, déconnectée du lien à l’État d’Israël.

https://www.iris-france.org/144823-letat-disrael-contre-les-juifs-3-questions-a-sylvain-cypel/
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeVen 09 Fév 2024, 14:56

Excellente analyse -- pour autant que je puisse en juger. Je remarquerai seulement qu'elle date de 2020, et qu'on peut se demander dans quelle mesure elle serait encore audible dans la séquence en cours depuis quatre mois; rien que la question est un symptôme...

Les circonvolutions et les jeux de symétrie du judaïsme et du sionisme, de l'antisionisme et de l'antisémitisme seraient fascinants à contempler (il y a toujours du fascisant dans le fascinant, c'est le même faisceau) si ça ne faisait pas si mal -- même si ce n'est pas à nous que ça fait mal...

J'ai le vague souvenir, il y a longtemps, d'une extrême-droite israélienne qui avait choqué en reprenant le vocabulaire injurieux des antisémites européens (en français "youpins", etc.) contre ses propres adversaires juifs et leurs tendances pacifiques... Il y a aussi, paradoxalement, dans le sionisme et ce qu'il est devenu un mépris plus ou moins conscient de tout ce qu'a été le judaïsme depuis deux millénaires (ou presque), jusqu'à l'insulte pour les victimes de la Shoah associée à leur célébration permanente. La "haine de soi" est l'art du pervers et du retors (tour, détour, contour, retour, circonvolution ou arabesque).
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeMar 05 Mar 2024, 17:31

Marseille, douloureux sas des juifs arabes vers Israël

Entre 1948 et 1966, des dizaines de milliers de juifs originaires du Maghreb ont transité quelques semaines par le camp du Grand Arénas à Marseille avant de rejoindre Israël. Ils y connaitront parfois de sérieuses déconvenues qui préfigureront celles qu’ils connaitront après leur installation en « terre promise ».


antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 14935a9f8144031b31415d36198b6002
Juifs d’Algérie attendant leur départ pour Israël au Camp du Grand Arénas à Marseille, 1950.

Wikimedia Commons



Du camp du Grand Arenas de Marseille il ne reste aujourd’hui plus rien. Seuls deux piliers marquent l’ancienne entrée du lieu, désormais un terrain vague abandonné, et la mémoire balayée du rôle de la France dans l’émigration juive arabe vers Israël. En 1944, l’Agence juive projette d’installer un million de juifs en Palestine en deux ans. Son président David Ben Gourion, futur fondateur de l’État d’Israël, en fait la priorité du mouvement sioniste. En 1950, le parlement israélien vote la « loi du retour » qui garantit à tout juif le droit d’immigrer en Israël.

Le potentiel démographique des juifs d’Afrique du Nord convainc l’Agence juive d’envoyer des émissaires au Maghreb. Mais dès la fin des années 1940, l’arrivée en Israël des juifs orientaux — mizrahim en hébreu — interroge l’identité du nouvel État. Cette main-d’œuvre travailleuse ne parle pas encore hébreu mais arabe, et sa future intégration dans la société israélienne se fera d’abord, non sans difficultés, au sein de camps de transit.

Dans le sud de Marseille, dans le quartier de la Cayolle niché contre les calanques, le camp du Grand Arénas gagne le surnom de « camp des juifs ». Pendant plus de vingt ans, on y acculture des dizaines de milliers de juifs arabes pour en faire de futurs Israéliens. Ce « petit bout d’Israël » sur le territoire français est géré par l’Agence juive qui envoie juifs marocains, tunisiens et parfois égyptiens rejoindre une terre qu’on leur promet.

UN CAMP ÉDIFIÉ POUR LES PRISONNIERS

À la fin des années 1990, deux historiens marseillais éveillent la mémoire oubliée du Grand Arénas. Une archive après l’autre, Nathalie Deguigné et Émile Témime reconstituent le quotidien du camp et de ses milliers de migrants maghrébins en transit.

De 1948 à 1955, près de 40 000 juifs marocains sur un total de 250 000 partent en Israël, et la grande majorité d’entre eux passe par le camp marseillais. « À Marseille, on ferme les yeux sur la présence irrégulière de ces transitaires. Leur transit ne doit pas, en principe, dépasser un mois ».

Un bureau d’émigration est ouvert à Casablanca pour enregistrer les départs des juifs via Marseille. En 1956, les indépendances du Maroc et de la Tunisie relancent une vague de départs. De janvier à octobre, près de 40 000 migrants passent par le camp. Édifié par l’État français en 1945, le Grand Arénas accueille d’abord des prisonniers allemands dans l’attente de leur rapatriement, ou encore des travailleurs indochinois placés sous la surveillance des autorités. Mais c’est l’afflux de milliers d’émigrants gérés par l’Agence juive qui donnera le nom de « camp des juifs » au lieu.

Très peu de juifs algériens passent par le Grand Arénas en raison de l’histoire coloniale française. Naturalisés français depuis le décret Crémieux en 1870, ils s’installent dans leur majorité en métropole après l’indépendance de l’Algérie en 1962 : « En dépit du souvenir du comportement de Vichy qui les dépouilla de leur qualité de Français (…) les Juifs d’Algérie s’identifiaient à la France et c’est vers ce pays qu’ils émigrèrent au moment du grand bouleversement ».

LE MÉPRIS DES EMPLOYÉS DE L’AGENCE JUIVE

« Arénas, c’est un épiphénomène de ce qui s’est passé en Israël ».4 En effet, les employés de l’Agence juive sont en majorité ashkénazes, et les premiers contacts avec les mizrahim présagent les difficultés d’intégration en Israël.

Les émigrants maghrébins, de milieux modestes, sont confrontés au mépris des autorités israéliennes comme le soulignent certains rapports :

Nous avons constaté avec peine que, dans l’ensemble, la qualité d’olim6 que nous avons vue au camp n’est pas très belle. Ce n’est pas un très beau cadeau que nous faisons à Israël en leur envoyant des olim de ce genre7.

Un stage intensif d’acculturation à la future patrie leur est imposé. Encadrés par les services israéliens, ils doivent apprendre les danses et chants de l’État d’Israël avant de s’y installer.

Certains malades patientent parfois plusieurs mois au sein du camp, piégés en raison des clauses d’émigration sélective. Beaucoup de juifs marocains originaires de l’Atlas sont touchés par la tuberculose, la teigne ou encore le trachome. Plusieurs meurent au camp du Grand Arénas, alors qu’ils attendaient un visa de sortie vers Israël.

Lors des repas, « les émigrants doivent présenter une carte personnelle pour récupérer leur ration distribuée par des employés, au travers de petits guichets », rapportent Nathalie Deguigné et Émile Témime. Mais au quotidien, c’est surtout la promiscuité qui gêne les émigrants. Dans les baraquements, il n’existe aucune cloison de séparation pour isoler les familles. Les sanitaires sont installés à l’extérieur des abris. Ce manque d’intimité est vécu comme un déclassement brutal : « On n’avait pas l’endurcissement des réfugiés. (...) Pour eux, c’était un camp de luxe, pour nous qui venions d’une vie normale, c’était un choc ». Ils préparent le départ avec hâte. Devant le portail du camp, des commerçants français « déballent des marchandises destinées à l’équipement de ces futurs citoyens d’Israël ». Des télévisions, des radios, de la literie. « Enfin, toutes les choses qu’on peut proposer à des gens qui vont commencer une nouvelle vie ».

LA TRAGÉDIE DE L’« EXODUS »

Avant 1948, les premiers juifs arabes qui s’installent sont recrutés comme combattants pour affronter l’Armée de libération arabe au terme du mandat britannique sur la Palestine. Après la création de l’État d’Israël, les flux d’émigration s’accentuent, au premier chef de juifs marocains et tunisiens. Et pour les organiser, les autorités israéliennes bénéficient de l’accord de la France d’opérer sur son territoire.

Déjà pendant la guerre, Marseille était devenue un refuge pour des juifs européens. Des personnalités permettent à des milliers d’entre eux de fuir les persécutions, à l’image du journaliste américain Varian Fry. Agissant dans la clandestinité, ce dernier permet à 4 000 juifs de fuir vers les États-Unis. Le médecin George Rodocanachi fournit quant à lui des milliers de certificats médicaux justifiant leur départ pour New-York, ce qui lui vaudra d’être déporté puis assassiné au camp de Buchenwald en 1944.

Mais c’est la tragédie du navire Exodus en juillet 1947 qui secoue l’opinion publique. À l’époque, les organisations sionistes multiplient les opérations d’émigration clandestine vers la Palestine mandataire. Le 11 juillet, 4 500 survivants de la Shoah embarquent sur l’Exodus au départ de Sète. Son débarquement sur les côtes palestiniennes est un échec : les autorités anglaises renvoient ses passagers dans trois bateaux-prisons vers la France. Ils sont ensuite bloqués en rade de Port-de-Bouc à l’ouest de Marseille pendant plusieurs semaines, avant de devoir lever l’ancre pour l’Allemagne. Cette affaire met en lumière l’essor de l’émigration juive au Proche-Orient. Une émigration qui s’affirme avant même le vote du plan de partage de la Palestine par les Nations unies le 29 novembre 1947.

L’ASSIGNATION MIZRAHI

« Je ne savais pas que c’était comme ça. Si je savais que c’était comme ça, je ne serais pas venu ». En 1962, un journaliste de l’ORTF, suit la traversée de plusieurs juifs arabes au départ du camp du Grand Arénas vers Israël9.

Une fois débarqués, certains s’installent dans des kibboutz, fermes autogérées à l’organisation collective. Mais leur arrivée se teinte de désillusions. Manque de travail, difficultés d’intégration, barrière de la langue : certains songent déjà à repartir. « Les juifs orientaux étaient perçus comme prisonniers d’un carcan traditionnel. Pour les ‘‘israéliser’’, il convenait de les faire entrer dans l’ère moderne. Ce passage nécessitait de rompre avec une culture orientale perçue comme arriérée »10.

La politique d’Israël à l’égard des juifs arabes du monde musulman est en effet pensée en termes de modernisation. « L’identité israélienne, fabriquée par les colonisateurs sionistes, définissait pour des Juifs diversifiés leur mode d’appartenance ». Dans son dernier ouvrage La Résistance des Bijoux11, la chercheuse israélienne d’origine algérienne Ariella Aïsha Azoulay décortique ce saccage des écheveaux transculturels des communautés juives :

L’invention de la catégorie « mizrahi » fut nécessaire à l’enrôlement de ces Juifs qui émigrèrent du Maghreb - du monde arabo-berbéro-musulman - et à leur socialisation par identification à une entité fabriquée plus large : le peuple juif, ce mythos unitaire au nom duquel toute pluralité devait être abandonnée.

Une mémoire pour l’oubli de l’expérience émigrée judéo-arabe aujourd’hui encore instillée dans les divisions communautaires de l’État d’Israël.

https://orientxxi.info/magazine/marseille-douloureux-sas-des-juifs-arabes-vers-israel,7094#:~:text=Entre%201948%20et%201966%2C%20des,installation%20en%20%C2%AB%20terre%20promise%20%C2%BB.
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeMar 05 Mar 2024, 18:17

Je suis un peu désorienté par cette terminologie qui qualifie d'"Orientaux" (mizrahim) des habitants d'un "Maghreb" qui signifie "Occident" (pays du soir ou du couchant, hespéride en frangrec; mais c'est à peu près la même qui qualifie un couscous marocain de spécialité orientale, à l'encontre de toute géographie): d'autant que cette appellation semble tantôt inclure et tantôt exclure les "sépharades" (sephardim), "espagnols" devenus maghrébins depuis 1492 au moins... (Au passage, il y avait déjà une confusion comparable en hébreu biblique par l'homonymie de la ou des racines `rb qui désignent tantôt le soir et l'ouest, dès les premières pages de la Genèse, et tantôt une région désertique ou semi-désertique et ses habitants nomades ou semi-nomades, bédouins ou "arabes" de n'importe où avant que le terme ne désigne géographiquement l'Arabie et ses peuples, puis ses langues et cultures ultérieures.)

Il est certain que l'"ethnicité" juive et israélienne, mise en miroir et en abyme par le concept d'"Etat juif", est artificielle de part en part, mais on peut en dire à peu près autant de n'importe quelle "nation". Reste à savoir si le discours officiel qui prétend abolir les différences internes, même avec d'excellentes intentions, ne les rend pas plus cruelles. Cela vaudrait aussi pour les "ashkénazes", si l'on met dans le même sac les juifs allemands "émancipés", assimilés et intégrés à la culture européenne depuis l'Aufklärung jusqu'au nazisme, et les "étrangers" fuyant les pogroms de la Russie à la Pologne vers l'Allemagne et plus à l'ouest... Là encore il y a au moins autant de différences dans une "catégorie" qu'entre "catégories", ce qui ruine la notion même de "catégorie"...
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeMar 09 Avr 2024, 14:58

Citation :
En entendant Meyer Habib, je me dis que le sionisme et l'Etat d'Israël ne sont pas seulement des produits (dérivés, pour ne pas dire des sous-produits) de l'antisémitisme européen (de bien avant le nazisme et la Shoah, mais relancés décisivement par celle-ci): ils en ont un besoin permanent, structurel, et font tout ce qu'il faut pour l'entretenir et le raviver artificiellement. Israël étant en un sens le couronnement de l'artificialité de l'Etat-nation moderne et technoscientifique, celui qui a tout (ré-)inventé, même sa langue et son histoire, a fortiori ses ennemis (cf. encore Carl Schmitt, antisémite notoire mais pas par "racialisme")...


https://etrechretien.1fr1.net/t1467p350-inter-minables#34149

L'antisémitisme de Schmitt
Hugues Rabaul

Il est des auteurs qu’il devient difficile de lire au fur et à mesure qu’on les connaît mieux. Après la disparition de Schmitt, en 1985, un débat s’est engagé en Allemagne autour de sa relation avec le IIIe Reich. Certains travaux, tels ceux de J. W. Bendersky ou de H. , ont été critiqués pour leur interprétation indulgente du parcours de Schmitt : l’engagement nazi sous le IIIe Reich y apparaissait comme une péripétie, une parenthèse... Le débat s’est rapidement porté sur l’antisémitisme de Schmitt. Un des auteurs les plus virulents est Bernd Rüthers, qui publia à la fin des années 1980 Un droit dégénéré et Carl Schmitt sous le IIIe Reich . Le parcours de Schmitt et son attitude y étaient détaillés avec une minutie et un luxe de révoltants détails, tels que toute interprétation devenait suspecte. Le personnage y était décrit, non seulement comme un monstre sur le plan théorique, mais aussi comme un véritable complice, se réjouissant publiquement du sort de ses collègues persécutés. Il faudrait encore citer nombre de travaux. La parution, en 1991, du Glossarium , montre que le Schmitt d’après la Seconde Guerre mondiale est resté profondément antisémite. Un chercheur, Raphael Gross, dans Carl Schmitt et les Juifs, a consacré à l’antisémitisme de Schmitt une étude exhaustive, publiée en 2000, dont le caractère novateur a été salué. . L’antisémitisme y est présenté comme véritable substrat du système théorique de Schmitt, en particulier de la fameuse distinction ami/ennemi. L’antisémitisme de Schmitt s’enracine dans un anti-judaïsme chrétien traditionnel dont on trouve les traces dès les écrits de jeunesse du juriste . Sous cet angle, une formule de 1936 suffit à résumer la pensée de Schmitt, tout entière orientée contre ce qu’il appelle la « polarité du chaos juif et de la légalité juive, du nihilisme anarchiste et du normativisme positiviste, du matérialisme sensualiste grossier et du moralisme abstrait » . Cette formule peut être rapportée à l’idée de « polarité éthique-économie », issue de La notion de politique. Afin de rendre compte de cette douloureuse question, pour un public français qui n’a guère bénéficié de l’écho des débats qui ont eu lieu en Allemagne, il convient, malheureusement, de citer des propos choquants. Ceux-ci permettent cependant de comprendre que l’antisémitisme de Schmitt s’analyse comme un élément clé de l’anti-individualisme, qui constitue l’un des ressorts de la réception de son œuvre.

II – L’ANTISÉMITISME RADICAL DU GLOSSARIUM

Il convient de souligner que l’attitude de Schmitt relève non de divagations abstraites, mais porte également sur des hommes réels, que Schmitt a fréquentés dans les universités allemandes, et qui, parfois même, l’ont soutenu. L’anti-humanisme de sa théorie de la distinction ami/ennemi, posant le droit de l’État, à l’intérieur et à l’extérieur, comme droit à l’anéantissement physique, trouvait alors son expression concrète. Le Glossarium met en évidence la profonde adhésion de Schmitt à la doctrine antisémite, mais aussi sa fidélité à la période national-socialiste. Schmitt y reprend sa critique de la criminalisation de la guerre d’agression.

 L’Allemagne est la proie de la « vengeance » des Juifs. Schmitt se présente lui-même comme victime de la « terreur des Juifs »: non d’un génocide, mais « du plus éhonté Ideocidium ». La rédaction du Glossarium est contemporaine de celle du Nomos de la terre. Il en constitue, en quelque sorte, la face cachée. À cet égard, ce texte accrédite la thèse d’un anti-judaïsme, souvent crypté, dans l’ensemble de l’œuvre de Schmitt. La comparaison des deux textes permet de reconstituer les arrière-pensées sous-jacentes à l’œuvre d’avant 1933, même s’il apparaît qu’ici l’anti-judaïsme d’inspiration catholique prend un tour proprement paranoïaque. Schmitt voit les « Juifs comme une élite à côté des chrétiens ; comme de plus ou moins loyaux gardiens de la place, lorsque les élites chrétiennes sombrent dans le légalitaire. Car en ce qui concerne la logique, la tactique et la pratique d’une légalité devenue vide, les Juifs s’y entendent en tout cas mieux que tout peuple chrétien, qui ne peut cesser, contre la loi, de croire à l’amour et au charisme » . Au sujet d’un ouvrage américain qui pose que le totalitarisme a besoin de créer de nouveaux démons, et que les Juifs constituent une meilleure personnification de l’ennemi démoniaque que le communisme, Schmitt ajoute ce commentaire : « Car les Juifs restent toujours des Juifs. Tandis que le Communiste peut s’améliorer et changer. Cela n’a rien à voir avec la race nordique, etc. Le Juif assimilé est précisément le vrai ennemi. Cela n’a aucun sens de démontrer comme fausse la Parole des Sages de Sion. » Commentant Karl Marx, il affirme : « L’émancipation des Juifs s’est accomplie en sorte que les Chrétiens sont devenus Juifs (...). » Il s’agit non d’une émancipation mais d’une assimilation : « Finalement tout le village doit parler yiddish (mauscheln). » En somme, l’émancipation des Juifs apparaît comme déchristianisation et, à terme, comme judaïsation. Ces idées apparaissent sous un angle plus métaphysique lorsque Schmitt voit dans les doctrines de Karl Marx ou de Sigmund Freud une « méthode » et une « technique de l’observation des faits » liées à la fin de la Weltanschauung . Selon Schmitt, le judaïsme contribue donc de façon essentielle à un phénomène qu’il dénonce : le déclin du caractère mystique de la politique, du pathétique issu de l’État baroque, en un mot de la théologie politique. À la place s’instaure un rationalisme universaliste désenchanté. L’origine de cette évolution se trouve dans la figure – récurrente dans l’œuvre de Schmitt – de Spinoza et son Deus sive Natura : « Comme nous étions désunis, les Juifs se sont sub-introduits. Tant que cela n’est pas compris, il n’y a pas de Salut. Spinoza fut le premier (...). »


https://www.cairn.info/revue-cites-2004-1-page-165.htm
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeMar 09 Avr 2024, 15:49

Je n'ai pas lu Schmitt -- le "politique" ne m'intéresse pas assez -- sinon par les analyses que lui a consacrées Derrida... par contre j'ai pas mal lu Heidegger (y compris les Réflexions ou "Cahiers noirs"), à qui on a fait des reproches similaires. Sous cette réserve, il me semble que les "antisémitismes" de l'un et de l'autre ont en effet en commun d'être "radicaux" (ou "archi-" au sens où l'entendait Lacouë-Labarthe), "philosophiques" et non "scientifiques", "biologiques" au sens où l'entendait la propagande nazie. Ce qui vaudra d'ailleurs aux deux penseurs d'être marginalisés par le pouvoir nazi avant de l'être par les Alliés. Moyennant quoi la différence est considérable, car Schmitt reste foncièrement dans une idée théologique et catholique du politique, qui n'est pas pour plaire au néo-paganisme nazi, alors que Heidegger est bien plus antichrétien qu'antijuif ou antisémite: il a quand même eu pour maître Husserl et pour étudiants Hannah Arendt et Hans Jonas. Sur ce dernier point d'ailleurs, on pourrait en dire à peu près autant des rapports de Schmitt avec Leo Strauss ou Jacob Taubes: antisémitisme plus net dans ce cas mais toujours théorique, idéologique, qui affecte peu les relations individuelles.

Presque tout ce qui paraît "antisémite" chez Heidegger relève d'une critique de la "modernité" artificielle, libérale, technoscientifique, qui s'applique aussi bien à l'Etat nazi dans la mesure où celui-ci en dépend (et Dieu sait qu'il dépendait de ses savants, physiciens, chimistes, autant que de ses financiers, même juifs jusqu'à un certain point)... Ce que Schmitt reproche aux juifs est plus "politique", mais on pourrait dire que l'Etat d'Israël a démenti ses jugements les plus "antisémites" de l'époque nazie: Israël est devenu un Etat des plus "schmittiens" qui soient, dont la cohésion et le fonctionnement reposent expressément sur la désignation de l'"ennemi".
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeVen 12 Avr 2024, 15:09

Carl Schmitt, un marcionite moderne ?
Retour sur le statut du judaïsme dans la pensée du juriste catholique
Tristan Storme

III – Le Léviathan, symbole de l’État, dépecé par les héritiers de la Kabbale

À partir de 1933, Carl Schmitt repense la physionomie de l’État-nation en partant du Léviathan vétérotestamentaire qui a servi d’effigie à la doctrine de l’État de Thomas Hobbes. Si les légendes populaires ne s’accordaient pas sur la nature précise du Léviathan, l’affublant tour à tour des traits d’un crocodile, d’une baleine et d’un gros poisson, l’image de l’animal biblique se stabilisera métaphoriquement à travers deux « traditions » herméneutiques, la tradition patristique et la tradition kabbalistique.

La tradition chrétienne, tout d’abord, s’imaginait que le Léviathan n’était ni plus ni moins que l’apparition du diable dissimulé sous un costume d’apparat. Afin de soumettre et de défaire l’adversaire diabolique, Dieu aurait fixé le Christ en croix sur un hameçon qu’il agiterait depuis l’extrémité d’un fil. Le grand poisson, séduit par la saveur divine d’un tel mets, aurait tenté de croquer le Fils de l’homme, tandis que le piège se refermait sur lui. Dieu aurait donc triomphé du Léviathan, de la créature démoniaque, par le truchement de la mort du Messie sur la croix. À travers l’allégorie patristique du diable vaincu, Dieu était figuré « als Fischer, Christus am Kreuz als Köder am Angelhaken und der Leviathan als geköderter Riesenfisch » . Schmitt estime que l’interprétation chrétienne entendue au Moyen Âge, que l’on retrouve encore vivace sous la plume de Luther, évoque la victoire de la communauté des croyants sur l’ennemi satanique, sur l’ennemi venu mettre à sac l’assemblée des fidèles. Le Christ victorieux annonce la possibilité d’une rémittence terrestre du Mal incarné sous les traits du démon. L’État résiste aux menaces de l’ennemi, il « retarde » le temps de la fin – « The Leviathan is built to last. ». Partant, le mythe du monstre terrassé par le Verbe incarné symbolise l’avènement de l’âge étatique, de l’appareil d’État qui « retient » l’ennemi de la nation.

L’interprétation patristique se situerait aux antipodes de celle que put soutenir la mystique juive à pareille époque. D’après Schmitt, la compréhension rabbinique du mythe laisserait entrevoir « die ganz singuläre, mit keinem andern Volk vergleichbare, völlig abnorme Lage und Haltung des jüdischen Volkes ». La tradition juive – celle de la Kabbale, en réalité – nous aurait livré une lecture en tout point éloignée des conceptions chrétiennes. En effet, plutôt que d’affronter le Léviathan, le Créateur du ciel et de la terre se divertirait en sa compagnie : « Leur Dieu joue avec lui. ». Et les Juifs en feraient tout autant, ils s’amuseraient aux côtés de l’abomination qu’ils réussirent à apprivoiser. Bien plus, à l’approche de la fin des temps, devant l’imminence des plus grands malheurs qu’il s’agirait de retenir, le peuple élu se ruerait sur le monstre aquatique l’arme blanche à la main, sans voir que celui-ci pourrait constituer le meilleur allié face à la survenue des dangers. Les Juifs chercheraient plutôt à découper le Léviathan en fines lamelles, à le dépecer en vue d’en savourer la chair et d’ainsi dignement célébrer le Banquet millénaire. Telle serait l’interprétation juive du symbole vétérotestamentaire, que Schmitt nous conte comme « l’histoire du dieu des juifs qui joue chaque jour avec le Léviathan, et des juifs qui finissent par le couper en petits morceaux et par le déguster lors d’une fête des tabernacles éternelle. ». Le peuple hébraïque serait parvenu à approcher en silence l’immense créature, l’évocation imagée de la machina machinarum, par magie ou par enchantement ; il possèderait le secret sur la façon de le dompter, de l’amadouer, mais surtout : de se l’approprier politiquement.

Dans son opus magnum, Hobbes « verwendet das Bild des großen Fisches unrichtig und irreführend für eine Staatskonstruktion, die sich nicht in England, sondern auf dem europäischen Festland verwirklicht hat. » S’il avait fait preuve d’un sens mythologique plus affûté, l’auteur du Léviathan aurait dû pencher pour Béhémoth, l’animal biblique attaché à la terre. Au lieu de cela, Schmitt constate avec stupéfaction une ouverture vers le signifié politique du symbole : l’œuvre de Hobbes « wurde vom Leviathan überschattet, und alle seine noch so klaren gedanklichen Konstruktionen und Argumentationen gerieten in das Kraftfeld des heraufbeschworenen Symbols. » . Quoiqu’il affirme le caractère fondateur de la chute d’Adam, Hobbes aurait consigné l’existence d’un droit naturel de l’être humain, reconnu avant même l’intronisation du souverain. Les Juifs entraperçurent la brèche, le « point de rupture » libéral qu’avait occasionné le sens mythologique déficient du philosophe anglais, et ils s’immiscèrent dans le ventre du Léviathan pour lui déchiqueter les entrailles.

Le projet théologico-politique du judaïsme n’est pas celui d’un Dieu Rédempteur, mais d’un peuple supérieur qui travaillerait à l’extension de son Royaume sur ce monde. Le Dieu malveillant jouerait avec le Léviathan démoniaque, la figure de l’océan ; il aurait exhorté les siens à briser les frontières, à unifier une planète divisée par un concept terrestre, celui d’État, hérité de la tradition des Pères de l’Église. Le judaïsme aurait investi et neutralisé cette forme chrétienne du politique, en vue d’en dépasser ensuite l’annihilation et de favoriser le passage à l’universalisme démocratique. Dans les textes de la période nazie, Schmitt aborde aux rives de l’antijudaïsme de Marcion, même si, en dépit d’un bithéisme flagrant, il ne clame nullement la séparation des Testaments. Le Pentateuque semble appartenir à l’ensemble des textes canoniques, les deux Dieux coexisteraient au sein du Canon des Écritures. Demeure néanmoins l’impression d’une disparité patente, « la conviction de Schmitt qu’il ne saurait y avoir une égalité entre l’Ancien et le Nouveau testament ». Car, de l’enseignement vétérotestamentaire, son catholicisme ne retient que les mythes d’Adam et du Léviathan. Il existe une différence fondamentale, ontologique, entre le mythe et l’événement historique. S’il influe sur la définition de l’essence de l’histoire, le mythe ne peut se targuer de lui appartenir per se. Schmitt relève que le Nouveau Testament serait truffé de références historiques, comme le rappelle la formule : crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato. Il possède le privilège de l’historicité radicale, retenant en son sein la force d’événements absolument uniques et irréitérables. Dans une lettre en français qu’il adresse à Pierre Linn et qu’il recopie dans ses journaux, le juriste écrit : « Ma liberté vis-à-vis des idées est sans bornes parce que je reste en contact avec mon centre inoccupable qui n’est pas une “idée”, mais un événement historique : l’incarnation du Fils de Dieu. » . Jésus surgit dans l’histoire – il est in historia –, tandis que la Torah ne détiendrait, en aucun cas, semblable préséance ontologique.

L’interprétation rabbinique traditionnelle s’est retournée contre la bête affublée du stigmate hobbesien (la séparation entre extériorité et intériorité, entre sphère publique et privée). Les théoriciens juifs du politique ont su reconnaître dans le symbole brandi par Hobbes l’interprétation particulière que donna la Kabbale. Ainsi, « le juif Moses Mendelssohn »aurait accéléré avec succès la concentration du pouvoir vers l’extérieur de la puissance étatique, avant que Friedrich Julius Stahl, le théoricien du pluralisme dont Carl Schmitt « judaïse » le patronyme (« Stahl-Jolson »), ne conduise les nuisances libérales à leur paroxysme, dissociant une fois pour toutes la société de l’État. Schmitt construit une généalogie des ennemis du Léviathan qui paraît fondée sur l’antisémitisme. Dans l’essai de 1938, elle débute avec Spinoza et se termine avec Ludwig Börne et Heinrich Heine. Ces penseurs parvinrent à mener à bien leur tentative d’instauration du pluralisme social, afin qu’une série d’espaces politisés échappe à la mainmise et au contrôle de la conformation étatique. Schmitt « voyait dans les formes libérales de l’État des marques typiques de la pensée judaïque », persuadé que les théoriciens juifs étaient conscients du fait que le libéralisme tirait son origine d’une lecture kabbalistique du Livre de Job : « Le judaïsme est une théologie politique – et c’est sa “croix”. ».

https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2011-4-page-835.htm?ref=doi
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeVen 12 Avr 2024, 16:39

Merci (encore) pour cet article très instructif -- il ne me décidera peut-être pas à lire Schmitt, qui a des intérêts et des penchants trop éloignés des miens, mais en attendant j'y apprends beaucoup...

Le Marcion de Schmitt est certainement à peu de choses près celui de Harnack, lui-même dérivé de la caricature qu'en ont faite ses adversaires, les "Pères de l'Eglise" orthodoxe et catholique. La vision générale du "gnosticisme" s'est sans doute précisée depuis, notamment grâce aux textes de Nag Hammadi, quoique ceux-ci laissent dans l'ombre l'originalité "marcionite" (qui à certains égards semble plus "ecclésiastique" que "gnostique").

On comprend rarement qu'il peut y avoir une "alliance objective" entre un "antijudaïsme", voire un "antisémitisme", et un "judaïsme" qui tiennent de part et d'autre à marquer une différence, contre un "universalisme" qui noie toutes les différences: pour nombre de gnostiques anciens, le dieu des juifs, de l'Ancien Testament, de la loi ou de la création n'est pas le diable, mais un dieu inférieur qui conserve ses droits et son aire de validité relative (d'où, p. ex., l'idée d'un "millenium" réservé à l'accomplissement littéral de ses promesses, terrestres, matérielles, au-dessous du salut "spirituel")... Que le chrétien, ou le gnostique, se considère "supérieur" au juif (ou le "gnostique" ou "pneumatique" au chrétien ordinaire, exotérique, "psychique"), ça n'empêche pas le juif de se considérer supérieur selon ses propres critères (ni le chrétien "orthodoxe" de se considérer supérieur par son "orthodoxie"); en tout cas ça n'empêche personne d'exister (ek-sister), de persévérer dans sa différence. Alors que l'assimilation universaliste qui met tout le monde sur le même plan, qu'elle soit chrétienne ou post-chrétienne (moderne, humaniste, libérale) l'en empêcherait. On peut deviner l'ancêtre d'un tel dilemme dans les figures de "Jacques" et de "Paul" telles que les esquissent  ou les construisent les textes du NT (notamment Galates et les Actes): "Jacques" ne s'opposerait nullement à un "pagano-christianisme", paulinien ou autre, à condition que celui-ci ne se mélange pas au "judaïsme"; réciproquement, "Paul" n'aurait rien à redire à la continuation d'un "judaïsme", pourvu que celui-ci ne vienne pas judaïser son "christianisme". La "collecte" des pagano-chrétiens pour Jérusalem (d'après Corinthiens-Romains) aurait été une tentative de sceller une telle entente à distance, mais celle-ci achoppait forcément dans le cas des assemblées "mixtes" (Antioche: pas de "communion" possible, ne fût-ce qu'au sens concret de commensalité ou partage des repas, toujours plus ou moins rituels). En fait, la situation de la diaspora juive et de ses marges (prosélytes, "craignant-Dieu", sympathisants) qui ont été le terreau du pagano-christianisme rendait structurellement impossible une solution fondée sur un principe de ségrégation...

Il est frappant que des antisémites comme Schmitt (ou Kittel, ou Grimm, dont on parlait ailleurs hier) ont les mêmes ennemis que les juifs les plus "orthodoxes", pour des raisons symétriques: le danger c'est le juif assimilé, non pratiquant, athée ou libéral, moderne, invisible, qui ne se distingue plus des non-juifs... Et si l'on se met à voir aussi de l'antisémitisme dans le discours d'assimilation, qu'il soit tenu par des juifs ou des non-juifs (Spinoza, Kant, Mendelssohn, Hegel, Marx, Nietzsche), parce qu'il menace effectivement l'"identité distinctive", plus sûrement que toute persécution, alors le problème est littéralement insoluble.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeMar 14 Mai 2024, 13:56

Mémoire de Master en science politique
Mémoire de la Shoah et Identité Nationale
Allemande post-Réunification.
Une analyse statistique des données du
German General Social Survey.
Candice d’Anselme


De la honte à l’exaspération : les racines d’un antisémitisme secondaire


« It seems the Germans will never forgive us Auschwitz ». Cette phrase prononcée par la journaliste juive et allemande Hilde Walter en 1968 et citée dans un ouvrage de Leo Katcher (1968 : 87-88) présente une inversion des rôles replaçant les Juifs dans le rôle de bourreaux et les Allemands dans le rôle de victimes. Une phrase similaire fut dite par l’un des personnages du dernier film de la trilogie Welcome in Vienna sorti en 1986 : « They will never forgive us for the evil they’ve done us » (Loridan-Ivens & Perrignon, 2015). Ces citations renvoient au phénomène de « l’antisémitisme secondaire » qui fut introduit dans les années 1960 par les travaux de Peter Schönbach et de Théodore Adorno : il s’agit d’une forme d’antisémitisme spécifique apparu « à cause d’Auschwitz » (Stoegner, 2016 : 1-2). Comme nous l’avons vu, les politiques mémorielles de la RFA et de la RDA se sont caractérisées par une amnésie généralisée de la Shoah, du fait de lois juridiques et du fait d’un mythe national. En conséquence, de cet oubli des crimes du nationalsocialisme découle un oubli de l’histoire des victimes et de leur persécution. Dès lors, si certains Allemands éprouvèrent de la honte lorsque ces crimes furent dévoilés au regard du monde, d’autres refusèrent de se sentir responsables d’un passé si longtemps réprimé individuellement et collectivement et blâmèrent les Juifs pour cette obligation de culpabilité (Seiden, 2007). Dans ce cadre, les Juifs sont donc coupables par leur simple existence d’être les représentants d’une mémoire non désirée des crimes de la Nation allemande et, dans cette perspective, ils incarnent les nouveaux coupables alors que les Allemands deviennent leurs victimes (Rensmann, 2017 : 360-361). Ainsi, cet antisémitisme secondaire  Shocked se caractérise par le désir de réprimer la mémoire de la Shoah, par le refus de faire face à ce passé et donc par le refus d’en éprouver de la culpabilité et de la honte (Scheff and Retzinger, 1991). Afin de se défendre contre cette culpabilité indésirable, les personnes concernées projettent cette culpabilité sur les Juifs et mobilisent trois arguments pour ce faire. Les Juifs refuseraient de pardonner les Allemands pour la Shoah et chercheraient à se venger. De plus, ils sont vus comme disposant de grands moyens pour manipuler l’opinion publique, notamment par le biais des médias. Enfin, ils viseraient également à instrumentaliser le passé de la Shoah afin d’en tirer des bénéfices (2017 : 378-380).


https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_S_29802.P001/REF.pdf


Je propose la lecture de ce paragraphe de ce mémoire assez long qui a le mérite de soulever la question de la "honte" et de la "culpabilité" des allemands en rapport avec la shoah.
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeMar 14 Mai 2024, 15:02

Je n'ai pas la patience de lire ce mémoire qui à première vue me semble enfoncer beaucoup de portes ouvertes avec la méthodologie formelle qui caractérise les "sciences humaines". Le caractère pervers, ou retors, de ce qui est appelé dans ton extrait "antisémitisme secondaire" me rappelle au passage une formule célèbre de je ne sais plus quel politicien israélien, s'adressant aux Palestiniens (de mémoire): on vous pardonnera d'avoir tué nos enfants, on ne vous pardonnera pas de nous avoir obligés à tuer les vôtres...

L'antisémitisme, comme tout racisme, est un "essentialisme", qui attribue une "essence" (une quiddité ou une qualité essentielles, un "ce que c'est" indéfectible), à un peuple, nation, race, ethnie: l'"essence" du juif, de l'Israélite, de l'Israélien dans une une id-entité (x = x, c'est ce que c'est) insécable et indépassable. Quoi de plus con que ça, sinon justement essentialiser l'antisémitisme, le racisme, le négatif et l'antagoniste, comme une chose existante, constante, identique à elle-même d'un contexte à l'autre ?

Comme à première vue ce mémoire ne parle ni de sionisme, ni d'antisionisme ni d'essence (au moins la recherche automatique sert à quelque chose), et ne semble donc nullement s'interroger sur ce qui à mes yeux mériterait d'être questionné, je m'en écarte vers une autre réflexion: à indexer systématiquement, comme le font les pouvoirs et les médias européens et américains, tout "antisionisme" sur un "antisémitisme" d'essence présumée constante et identifiée d'un bout à l'autre à son paroxysme nazi, de surcroît juridiquement criminalisé, on transforme effectivement un "antisionisme" conjoncturel, motivé par l'histoire de l'Etat d'Israël jusqu'à ses derniers développements, en résurgence historique de l'"antisémitisme essentiel"... Et les implications de cet essentialisme sont tout aussi retorses, perverses, et incalculables: si les bourreaux d'aujourd'hui ou de demain sont justifiés dans ce qu'ils font par les victimes qu'ils "étaient" hier ou avant-hier, alors leurs bourreaux d'hier et d'avant-hier seront aussi justifiés par ce que sont ou seront devenues leurs victimes.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeHier à 14:19

Le souvenir de l’Holocauste et l’évolution de la conscience historique
Marcel Tambarin

D’un deuil à l’autre

22. Même en faisant abstraction d’intentions manipulatrices, il est difficile de ne pas voir de continuité entre cette reprise récente de la victimisation des Allemands et les tentatives de normalisation du passé, voire de désingularisation de l’Holocauste, qui se sont manifestées lors de la « querelle des historiens » des années 1980. Ces tentatives ayant échoué, on pourrait considérer qu’à défaut de pouvoir se défaire de ce chapitre de l’histoire allemande, on tente de le rendre plus supportable : d’une part en montrant que les Allemands ont eux aussi été victimes de cette période de l’histoire, en particulier sous les bombardements et lors des évacuations – et vu dans ce contexte, le film La chute (Der Untergang) tend à signifier que les Allemands étaient au fond les derniers ennemis de Hitler, et partant ses dernières victimes aussi ; d’autre part en montrant que les Allemands n’ont pas été les seuls à être en faute et que les voisins européens ne sont pas exempts de reproches : non seulement la Grande-Bretagne à cause des bombardements, mais aussi la France ou la Suisse qui ont fini par reconnaître leur part de responsabilité dans la déportation ou la spoliation des Juifs, ou même la Pologne qui, confrontée au pogrom de Jedwabne de juillet 1941, a dû nuancer son image exclusive de victime. Au souvenir en quelque sorte nationalisé par l’Allemagne succéderait ainsi le « souvenir polycentrique » de l’Europe, et au fardeau supporté par les seuls Allemands, l’européanisation du travail de mémoire.

23. Mais il y a une deuxième ligne de continuité que révèle le livre de Friedrich, même si elle a souvent été occultée par le caractère flagrant de la première : c’est la déploration de la perte de l’histoire et du patrimoine culturel allemand, à laquelle sont consacrés de nombreux et longs passages. En exprimant le refus de faire le deuil de ce passé effacé par les bombes, le livre apparaît comme une nouvelle manifestation de cette soif d’histoire, de fierté nationale qui se sont également déjà manifestées dès les années 1980 et que le retour du pouvoir politique à Berlin, qualifié par le chancelier lui-même de retour à l’histoire, n’a fait que renforcer. Or pour un Allemand qui voudrait pouvoir aimer son pays, comme tout autre de ses voisins, voire en être fier, le problème ne se présente guère autrement en 2005 qu’en 1985. Les Allemands d’aujourd’hui ont beau vivre dans un pays qui assume les responsabilités issues de l’Holocauste tout en étant objectivement plus éloigné de cette époque, la question du rapport à l’histoire et de l’identité nationale reste inchangée : comment en effet aimer cette « patrie difficile », selon le mot du président Gustav Heinemann ? À l’évidence, ni la Loi fondamentale de la République fédérale, si exemplaire soit-elle, ni la remarquable réussite de l’économie allemande n’apportent d’arguments satisfaisants pour fonder un tel amour, et pas plus que le « patriotisme constitutionnel » cher au philosophe Jürgen Habermas, la success story fédérale invoquée par le président Köhler dans son discours d’investiture en 2004 pour justifier l’amour porté à son pays ne semble propre à nourrir un attachement national qui repose encore essentiellement sur l’histoire. Or, même si l’on ne fait plus de 1933-1945 un aboutissement de l’histoire allemande ou si l’on ne ramène pas l’histoire à cette période jugée à jamais funeste pour l’Allemagne, il paraît néanmoins problématique de s’identifier à un tel passé et comme on ne saurait s’identifier à Auschwitz, il est donc tentant de se doter d’une identité à laquelle on puisse adhérer.

24. Cependant, toutes ces tentatives de révision du passé se sont révélées vaines à ce jour ; il ne restait alors plus qu’à tenter d’en relativiser le poids dans la conscience collective au moyen de la victimisation des Allemands et de l’européanisation du travail de mémoire qui sont un moyen, non plus tant de se disculper, mais du moins de déplorer la perte d’une histoire ancestrale, jusque-là considérée comme le juste châtiment d’une guerre que l’Allemagne avait elle-même déclenchée. Ce désir de réappropriation de l’histoire ou du moins cette revendication du droit à en déplorer l’aliénation n’en perdent pas pour autant leur ambiguïté. Car s’il est indéniable qu’avec l’intégration européenne les Allemands sont de moins en moins seuls avec leur histoire et que la question d’une mémoire européenne commune se pose plus que jamais, l’européanisation du travail de mémoire peut aussi être interprétée comme « fuite dans la transnationalité », comme fuite devant les responsabilités nationales et, à lire certains éditoriaux, la question de savoir s’il s’agit de partager un fardeau dans le cadre européen ou de diluer une responsabilité, voire une culpabilité, se pose d’autant plus que la chute du mur a réveillé en Allemagne, comme chez certains de ses voisins de l’Est, la vieille « concurrence des victimes » respectives du nazisme et du stalinisme.

https://books.openedition.org/septentrion/16323?lang=fr
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitimeHier à 15:08

Ce texte porte bien sa date (2006): c'était beaucoup plus près que nous le sommes de la réunification allemande, et à cette échelle la différence est considérable.

Mais il appelle malgré lui une question permanente, générale, universelle, qui porte paradoxalement sur toute particularité et toute singularité: faut-il, pourquoi (diable) faudrait-il, être fier de soi, de son histoire, de sa patrie, de sa religion, de sa race, de son espèce, de son essence, alors que chacun a mille raisons d'en avoir honte ?

En ce qui concerne le sujet de ce fil, la question se pose autant au "judaïsme" ou à "Israël" qu'à n'importe qui. Et elle devrait toucher davantage plus particulièrement qui s'est constitué depuis l'écriture biblique dans la tradition d'un certain dénigrement de soi (peuple rebelle, rétif, désobéissant, obstiné, "à la nuque raide"), avant la généralisation chrétienne du "péché originel". Or contre toute cette logique et contre toute son histoire, réelle ou imaginaire, chacun se veut quand même fier d'être ce qu'il est, juif, israélien, chrétien, allemand, français, polonais, ou musulman, athée, ou simplement humain... indécrottablement.

Le salut serait peut-être dans la honte, comme disait Tarkovski...
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
Contenu sponsorisé





antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Empty
MessageSujet: Re: antijudaïsmes, antisémitismes   antijudaïsmes, antisémitismes - Page 13 Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
antijudaïsmes, antisémitismes
Revenir en haut 
Page 13 sur 13Aller à la page : Précédent  1, 2, 3 ... 11, 12, 13

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Etre chrétien ou pas? :: RELIGION-
Sauter vers: