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 aurore

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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeMar 11 Avr 2023, 12:05

Car l'amour du Christ nous presse/étreint - 2 Co 5,14

Au rythme alerte de trois énoncés, il se défend alors, sous les soupçons sans doute, les accusations peut-être, d’une pression sur les personnes : nous n’avons fait d’injustice à personne, nous n’avons ruiné personne, nous n’avons exploité personne. Il reprend plutôt ce qui a été parole première, fondatrice de la communion, et qui est pour lui justice : dans nos cœurs, vous êtes à la mort et à la vie (littéralement, pour co-mourir et co-vivre, eis to sunapothanein kai suzèn, 7, 3). C’est ce qui soutient son assurance, sa fierté, sa consolation, sa joie dans les détresses même. Car son propre être, en son intégrité, bouche et cœur, respire l’ouverture. Il l’a dit juste plus haut (6, 11-12) : notre bouche a été ouverte pour vous, Corinthiens, et elle le demeure, notre cœur a été élargi, et il le demeure. Ce n’est pas en nous, mais dans vos propres entrailles que vous êtes à l’étroit. Rendez-nous la pareille, je vous dis comme à mes enfants, laissez-vous élargir vous aussi. Pour Paul, c’est en soi-même qu’on est étriqué, entrailles nouées, gorge serrée, en un mot dans l’angoisse. Il veut alors ouvrir à ses frères en Dieu, pour les héberger, son cœur dilaté.

Avec la communauté de Corinthe aussi, l’évasement désiré doit passer par un goulet. Comme s’il n’y avait pas de large sans étreinte. Les images sont d’amour. Dans son souci de bâtir une communauté, Paul sait que le large ne se gagne pas par l’extase, celle-ci exclut du rapport à Dieu l’attention aux frères. Il focalise alors son regard sur le Christ, sur le Christ incarné. C’est l’amour pressant, poignant du Christ qui nous élargit. Car l’amour du Christ nous étreint, dit-il (5, 14, sunéchei, « nous contient », nous tient ensemble). Il nous tenaille, nous travaille. Il conduit à discerner, précise Paul, que si un seul est mort pour tous, alors tous sont déjà morts. Pour mettre au large, l’amour a donc dû déloger la mort. En Christ, l’amour souverain du temps a déplacé la mort de chacun dans le passé d’un seul. Et celui-ci s’est relevé. Dès lors les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes mais pour celui qui, pour eux, est mort, et qui a été relevé. À partir de là, connaître autrui et se connaître soi-même ne découlent plus de la généalogie et de l’histoire – mais maintenant, dit Paul, nous ne connaissons personne selon la chair (5, 16). C’est une altérité qui se donne à reconnaître. Il y va de nouvelles créatures, d’une nouvelle création, d’une aurore. Paul la nomme du beau nom de réconciliation (5, 17-21).

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2014-HS-page-89.html

https://etrechretien.1fr1.net/t1392-car-l-amour-du-christ-nous-presse-etreint-2-co-514?highlight=amour
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeMar 11 Avr 2023, 14:03

Belle (re-)prise (et de l'article de Corina Combet-Galland, et de notre fil que j'avais oubliés et que je retrouve avec plaisir).

Le jeu répétitif et rythmique de l'absence et de la présence (Fort / Da) se double en effet d'un jeu spasmodique de l'étroit et du large, fort bien décrit ici: systole / diastole si l'on y met du coeur, de la pompe et de la circulation. Cf. le concept de "stricture" si important chez Derrida, avec tous les jeux sur la "bande" et le "bander" dans tous les sens, y compris sexuels, du terme: tension ou pression qui contraint, étreint et conduit, plus loin, vers toute sorte de passages, d'ouvertures, d'épanchements, de transports, de transmissions, de réceptions ou de conceptions...
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeVen 14 Avr 2023, 14:55

Pour une typologie générale des fêtes de renouveau

Au point de vue le plus général, la notion de fête de printemps doit être élargie à celle de fête du « premier temps », du temps du renouveau, ce qui, dans le cycle annuel, correspond au printemps, mais peut aussi, selon les climats et les calendriers liturgiques, correspondre à un autre moment, par exemple à l'automne après la sécheresse de l'été  1, ou au creux de l'hiver, quand commence la remontée du soleil. C'est à Mircea Eliade que je demanderai une explication générale des fêtes de renouveau, afin de fixer le cadre théorique de cet exposé :

« Le Nouvel An est une réactualisation de la cosmogonie, il implique la reprise du Temps à son commencement, c'est‑à‑dire la restauration du Temps primordial, du Temps "pur", celui qui existait au moment de la Création ».

« La cosmogonie est la suprême manifestation divine, le geste exemplaire de force, de surabondance et de créativité. L'homme religieux est assoiffé de réel. Par tous ses moyens, il s'efforce de s'installer à la source de la réalité primordiale, lorsque le monde était in statu nascendi. [...] Deux éléments doivent retenir notre attention :

1 . par la répétition annuelle de la cosmogonie, le Temps était régénéré, il recommençait en tant que Temps sacré, car il coïncidait avec l'illud tempus où le Monde était venu pour la première fois à l'existence ;

2 . en participant rituellement à la "fin du Monde" et à sa "re-création", l'homme devenait contemporain de l'illud tempus ; donc, il naissait de nouveau, il recommençait son existence avec la réserve de forces vitales intacte, telle qu'elle était au moment de sa naissance  ».

(...)

Lorsque le monde ancien est retourné au chaos ne subsiste que le Principe des êtres. La re‑création du monde sera le redéploiement d'une réalité qui n'existe plus que « repliée » dans le principe qui lui redonnera l’existence. Le moment le plus important de la fête du renouveau sera la mise en mouvement des détenteurs de réalité : Dieu, les dieux, ou divers intercesseurs entre le plan de l'Essence et celui des existences : saints, ancêtres, symboles sacrés. Peuvent être ramenées à cette conception générale toutes les mises en mouvement : processions, sonneries rituelles (comme celles du Nouvel An juif   10 ou des Pâques chrétiennes), hiérogamies 11 et autres rites favorisant la fertilité, appel aux détenteurs ou messagers du Réel (par exemple rappel des ancêtres), actes rituels comportant l'ouverture d'un lieu clos, parmi lesquels on peut classer les jeux où l'on brise et mange des œufs, coutume particulièrement vivace à travers les siècles, voire les millénaires, au Proche-Orient.

Fin de page :

7 À ce propos, si l'on a bien vu que la Pâque israélite est une ancienne fête de printemps qui en est venue à commémorer un événement historique (la sortie d'Égypte), on n'a pas toujours compris que cette réinterprétation ne trahissait en rien le sens primitif : la sortie d'Égypte est printemps dans l'histoire ; Pharaon est un « asura », un « titan », un « dragon » contre l'histoire. Imaginer « qu'un détail qui était au début simplement une conséquence des circonstances extérieures [devint] plus tard, dans la répétition cultuelle [...], chargé de signification symbolique », est vraiment une curieuse inversion (Henninger 1975, Les Fêtes de printemps chez les Sémites et la Pâque israélite, p. 73). Coomaraswamy, mieux inspiré, cite Ezéchiel (XXIX, 3) : « Me voici contre toi, Pharaon, roi d'Égypte, toi le grand Dragon couché au milieu de tes fleuves et qui as dit : « ce fleuve est à moi, je l’ai fait pour moi-même», et fait observer que le terme hébreu traduit par « grand Dragon » est proche du babylonien Tiamat (« Anges et titans », in La Doctrine du sacrifice, 1978, p. 45). Son interprétation s'accorde avec celle de J. Pedersen (Pessah fest and Passah legend) ainsi présentée par Herbert Haag : « Le combat de Yahvé pour son peuple en Égypte ne fut pas un simple événement historique au cours du temps normal, il s'agit au contraire d'événements primitifs, appartenant au « temps concentré » c'est-à-dire à l'éternité. Ce combat est identique au grand combat de l' “Urzeit”, quand Yahvé transforme le chaos en cosmos, en tuant le dragon du chaos. » (Haag 1960, « Pâque », in Supplément au Dictionnaire de la Bible, vol. 6). La légende qui attribue à Ṣalāḥ al-Dīn l'origine du ḫamīs al-mašāyèḫ, singulièrement la version qui fait de notre mawsim la commémoration d'une victoire sur les Croisés, pourrait bien être, à sa modeste échelle, un autre exemple de réinterprétation historicisante d'une fête préexistante, étant entendu que, là aussi, la réinterprétation reste solidaire du symbole initial.

https://books.openedition.org/ifpo/9320?lang=fr
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeVen 14 Avr 2023, 16:35

Après un détour par le chapitre V (premier lien maintenant effacé) j'ai fini par retrouver ta citation au chapitre I... Ce n'était cependant pas inintéressant, car l'"orientalisme" (syrien en l'occurrence) offre un éclairage à peine décalé, dans l'espace géographique comme dans le temps historique, sur notre champ ("biblique") habituel.

A sa façon et dans son domaine, la perspective de l'auteur rejoint tout à fait celle de ce fil: il y a dans les "sciences humaines" (en plus d'un sens de l'adjectif) un va-et-vient continuel qui met en valeur tantôt les ressemblances (ainsi l'"histoire des religions" comparative, typologique et schématique du XIXe siècle, ou le génie synthétique et éclectique d'un Eliade plus isolé au XXe siècle), tantôt les différences (tout autre est tout autre, chaque chose, événement, phénomène, est unique et singulier, à la limite incomparable et par là même inintelligible). Dans le domaine religieux, cette seconde tendance coïncide trop souvent avec des motifs apologétiques et confessionnels (il faut montrer, p. ex., que le judaïsme et/ou le christianisme ne ressemblent à rien d'autre, comme si toute reconnaissance de traits communs avec d'autres religions ou cultures constituait une menace, et comme si leurs différences seules étaient significatives). Et ainsi l'arbre ou l'écorce des différences de détail et de surface cache la forêt profonde des similitudes, ou de la différe/ance originaire...
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeLun 11 Déc 2023, 11:31

Nommer l’Un dans la théologie Égyptienne

1.1 La cosmogonie héliopolitaine

L’idée des origines du monde constitue dans l’Égypte ancienne la clé de voûte et peut-être même le sujet le plus sacré de la religion et de la culture, un sujet que l’on ne mentionne pas simplement, mais auquel on touche dans des contextes importants et dans le cadre d’un rituel, afin d’en obtenir certains effets, des effets relatifs à la création et au renouvellement.

Cela se rapporte au fait que, dans l’Égypte ancienne, la création n’est pas un élément appartenant au passé. Ici, la création n’a pas de fin comme le septième jour de la création biblique où Dieu se reposa de son travail. En général, on ne peut raconter le passé ou en faire le récit que s’il s’agit d’un passé achevé. En Égypte, cependant, toutes les références à la genèse du monde se rapportent à un processus continu. Ce que l’on appelle « création » dans la Bible, be-rechît, d’après les premiers mots du premier chapitre du premier livre de Moïse, « au commencement », ou bien « création », s’appelle en égyptien zep tepi « la première fois » : la première fois de quelque chose, qui, en effet, dès lors, se répète infiniment. La création continue toujours. Le monde est une création perpétuelle, un processus d’un retour cyclique et chaque cycle, c’est-à-dire chaque jour et chaque année, doit s’imposer contre une tendance à l’arrêt et à la dissolution. Les énergies, qui donnèrent naissance au monde lors du commencement, sont toujours en vigueur pour le maintenir. Chaque mention de ces processus touche à ces énergies et libère de l’énergie cosmogonique.

Cette conception de la genèse du monde n’est pas très étrange pour nous. Nous supposons également qu’il y eut un moment cosmogonique sous forme d’une explosion primordiale ou d’un big-bang libérant des énergies cosmogoniques qui sont toujours en vigueur. Nous voyons ces énergies en vigueur, non pas tant à cause des mouvements circulaires des astres auxquels est lié le mouvement circulaire du temps et de la végétation, qu’à cause de l’expansion continue de l’univers. De même, grâce à la portée et à la sensibilité de nos appareils, nous sommes capables de percevoir le big-bang encore comme un rayonnement de fonds dans le cosmos et de nous approcher jusqu’aux premières secondes du moment cosmogonique. Sans recourir à un tel équipement technique, les Égyptiens vécurent cette expérience, qu’ils comprenaient comme la « la première fois », jour après jour avec le lever du soleil et année après année avec l’inondation du Nil. Ils voyaient cela comme la répétition du moment cosmogonique et ils pouvaient activer les énergies cosmogoniques pour parvenir à leurs fins en accueillant le matin le soleil comme créateur et en utilisant l’eau du Nil pendant le culte des morts pour la régénération des morts. C’est à travers de tels rituels que l’on évoquait en Égypte l’Un dont tout est provenu. Ce sont des moments obligatoires de la pratique rituelle. Si, dans ce qui suit, nous considérons certains modèles égyptiens de la naissance du monde, nous devons toujours tenir compte du fait que ces textes se trouvent dans un contexte rituel.

https://journals.openedition.org/rsr/2543
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeLun 11 Déc 2023, 13:28

Merci pour cette étude passionnante et belle, grâce à ces citations de textes que pour la plupart je n'avais jamais lus. Elle intéresserait encore plus directement le thème de l'un, mais le motif matinal (cf. aussi § 8s, 16, 21s, 36s, 39 etc.) est naturellement essentiel à une "religion solaire" -- comme le sont au fond toutes les "religions", terrestres autant qu'humaines par définition, mais certaines plus brillamment que d'autres. On y retrouvera d'autres "sujets" (topics), ou d'autres aspects de l'unique sujet, qui nous ont beaucoup occupés, par exemple sur la "révélation" ou la "vérité" au sens de l'a-lètheia (caché / révélé, Fort-Da, etc.), ou sur la traductibilité infinie de la prière: quels que soient l'époque, le lieu, la langue, la culture, la religion au sens étroit, la communauté, l'individu et la divinité, on prie de la même manière et les prières passent de l'un à l'autre, et il y va toujours de la lumière et du jour -- on a souvent parlé du rapport de l'hymne à Aton-Atum, largement cité ici, au psaume 104, dès le premier post de ce fil...

On peut s'étonner que les "sciences bibliques" ignorent autant l'égyptologie: l'Egypte est assurément plus proche géographiquement de la Judée que la Mésopotamie, et elle a souvent dominé politiquement et militairement la région, mais la frontière linguistique a longtemps été plus décisive qui séparait l'Egypte ancienne de la zone "sémitique"; en revanche elle s'efface progressivement quand l'Egypte est englobée dans l'empire perse, puis dans les conquêtes d'Alexandre qui vont faire d'elle un centre majeur de l'hellénisme (Alexandrie) où toutes les cultures (égyptienne, grecque, mais aussi orientale et notamment juive) se rencontrent et s'inspirent mutuellement dans tous les domaines, y compris dans les innovations philosophiques (médio- et néo-platonisme, stoïcisme d'empire) ou religieuses (mystères, y compris des antiques divinités égyptiennes comme Isis et Osiris s'exportant jusqu'à Rome, gnoses, etc.). A mesure qu'apparaît l'importance de cette époque pour la rédaction de "la Bible", y compris l'"Ancien Testament" (cf. l'article de Nodet sur la Torah que nous avons vu récemment, ici 1.12.2023), il faudra certainement prendre davantage l'Egypte contemporaine en considération, tout en se méfiant des risques d'anachronisme -- car la "culture égyptienne" n'est évidemment pas restée identique à elle-même pendant trois millénaires.
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeLun 11 Déc 2023, 13:43

Citation :
"C'est vieux comme le monde, ça, la nouveauté !" (Les enfants du paradis, Carné-Prévert).


LES TEXTES DE L’ÉTERNEL RETOUR

Tout le monde conviendra que pour comprendre l’éternel retour, il faut tout d’abord lire les textes que Nietzsche a consacrés à ce sujet. Il s’agit des textes suivants :

1) Le cahier M III 1 écrit à l’été 1881 à Sils-Maria, au moment même où Nietzsche a trouvé cette idée.

2) Le très célèbre aphorisme 341 du Gai Savoir, intitulé Le poids le plus lourd, qui contient la première mention publique de l’idée du retour :

Et si un jour ou une nuit un démon te suivait dans ta suprême solitude et te disait : « Cette vie, telle que tu la vis actuellement, telle que tu l’a vécue, il te faudra la revivre encore une fois, et encore d’innombrables fois ; et elle ne comportera rien de nouveau, au contraire, chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu’il y a dans ta vie d’indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même succession et le même enchaînement […] ».

3) L’éternel retour est au cœur d’Ainsi parlait Zarathoustra, car Zarathoustra est bien le maître de l’éternel retour :

Mes amis, je suis le maître de l’éternel retour. C’est-à-dire : j’enseigne que toutes choses éternellement reviennent et vous-mêmes avec elles, et que vous avez déjà été là un nombre incalculable de fois et toutes choses avec vous ; j’enseigne qu’il y a une grande, une longue, une immense année du devenir, qui, une fois achevée, écoulée, se retourne aussitôt comme un sablier, inlassablement, de sorte que toutes ces années sont toujours égales à elles-mêmes, dans les plus petites et dans les plus grandes choses.

https://books.openedition.org/psorbonne/96845?lang=fr
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeLun 11 Déc 2023, 14:55

Article très instructif sur le contexte scientifique de la pensée de Nietzsche -- d'autant plus utile à un lecteur ordinaire, plutôt philosophe ou plutôt littéraire, que celui-ci ne sait de la "science", dans le meilleur des cas, qu'une vulgarisation contemporaine et synchronique (c'est presque le même mot), en aval de bien d'autres "révolutions" (relativité, physique quantique, cosmologie du Big Bang, toutes choses que nous avons encore effleurées récemment ici). Une lecture "scientifique" des textes requiert évidemment qu'on se réfère à la "science" et aux idées (doxa) de leur temps, mais cette exactitude historique est une autre forme d'im-posture dans la mesure où cette "science" (etc.) n'est précisément pas la nôtre et ne peut plus l'être... différance toujours, à un siècle ou à des millénaires d'intervalle: il est plus facile de dénoncer l'anachronisme que de s'en dépêtrer.

Toutes les visions (theoriai) systématiques, englobantes, totalisantes, im-postures elles-mêmes par leur point de vue impossible, n'empêchent pas qu'il y ait des effets, inséparablement locaux et temporels, de commencement, de nouveauté, de surgissement, d'apparition et de fin, de disparition: aurore, aube, crépuscule, lever et coucher... avec des effets de répétition et de régularité, de rythme, de tempo -- assurément trompeurs ou illusoires, mais pas plus que la vérité immuable qu'on leur oppose et sur laquelle ils se détachent; cette opposition diamétrale n'est d'ailleurs qu'un cas limite d'un jeu de différences in-fini, sans lequel il n'y aurait pas de perception, et encore moins d'aperception, ou de "conscience", de quoi que ce soit.

Être dupe sans être dupe, des soirs et des matins, des fins et des commencements, du cycle, de la ligne droite ou courbe, de l'un et du multiple, de l'ouvert et du fermé, du retour et de l'errance -- juste ce qu'il faut pour fêter, célébrer, chanter quoi que ce soit. Ne fût-ce que la coïncidence de la profondeur -- ne fût-ce qu'un effet de profondeur -- de Montaigne (voir la fin de l'article) à Nietzsche (tiefe, tiefe Ewigkeit: éternité profonde, profonde, nuit plus profonde que le jour et joie-jouissance -- Lust -- plus profonde que le malheur).

De ce côté, le face-à-face du vieillard (Siméon) et de l'enfant (Jésus) dans Luc (2,26ss), évoqué dès le début de ce fil, est un lieu et un moment de méditation indépassable; cf. Thomas 4: "Jésus a dit : L’homme vieux de jours n’hésitera pas à interroger un petit enfant de sept jours sur le lieu de la vie, et il vivra, car beaucoup de premiers seront derniers, et ils deviendront un seul être."
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeMer 13 Déc 2023, 13:47

Nietzsche et la lumière de la nuit

François DANZÉ
Doctorant et professeur agrégé de philosophie

4. Le réveil à l’aurore et la nouvelle justice

En quoi cette énigme qui fut donnée à Zarathoustra dans la vision de l’éternel retour a-t-elle pu rendre la nuit plus claire et le libérer de la douleur de la mort de Dieu ? La compréhension de l’énigme par Zarathoustra fut en vérité déjà un réveil, et c’est non la vision en elle-même mais la solution à cette énigme qui rend alors possible l’aurore nouvelle. Au demeurant, Zarathoustra avait lui-même déjà donné la réponse : le berger ne peut retirer le serpent de sa bouche mais doit mordre – et en cela incorporer son venin – avant que de recracher. Mais quel est le sens d’une pareille réponse ? A cette question, la réponse tient à ce que l’incorporation du ressentiment a en vérité déjà eu lieu – sous la forme passive du destin et non encore comme acte volontaire et conscient – de sorte que nous ne pouvons pas faire comme si le serpent n’était pas déjà entré en nous. Cette tentative d’arracher le serpent de la bouche en le tirant est encore cette volonté de faire que ce qui a eu lieu n’ait pas eu lieu, et, partant, encore une volonté qui trouve sa source dans une négation de la vie. Ce qui a eu lieu et qui revient à la conscience sous la forme d’une vision est une nécessité, et il incombe ici au philosophe de se tenir dans l’amor fati : le ressentiment et l’abandon peuvent être voulus éternellement – en tant qu’ils sont des ponts vers le surhumain. Aussi, parce que Zarathoustra ne peut pas faire en sorte que son ressentiment, sa haine de soi, sa pitié, etc. ne furent pas, il doit mordre, et, en cela, les incorporer. Cela signifie : vouloir le retour éternel de tout ce qui précède l’instant présent, car c’est la condition même du retour de cet instant. C’est seulement ainsi que l’on passe de l’abandon de soi à la solitude. Celui qui accepte de vouloir ce qu’il fut, pleinement et entièrement, et, au-delà même de soi, tout ce qui a été, revient à lui-même. Le temps ne pèse plus car ici a lieu la libération du temps, la libération de soi-même abandonné au temps. Et c’est dans cet acte de décision qu’est produit l’acquiescement le plus haut de la vie : vouloir le retour éternel de toutes choses. C’est pourquoi enfin le berger se relève : il est le surhumain auquel aspire Nietzsche, celui débarrassé du grand dégoût, celui qui désormais se tient dans l’amour le plus pur et entend le donner aux hommes. C’est depuis cet amour que se laisse voir la grande santé d’un corps ressuscité, débarrassé par soi-même du péché, au sens où le péché était ce « non » à la vie. Zarathoustra aperçoit le rire d’un homme qui n’est plus homme, d’un homme qui donc a dépassé l’homme, dépassé le problème du pessimisme tragique. Nous nous tenons désormais dans le registre comique. Nous comprenons comment le surhumain s’est engendré, et pourquoi l’éclair qu’il est suppose les nuages du ressentiment. C’est l’acceptation du devenir en sa totalité qui permet ainsi à l’homme de se sacrifier et de se faire surhumain au cœur de l’instant décisif.

Le chapitre qui suit celui du « Retour au pays », précédant de peu celui « Des Tables anciennes et nouvelles » est alors, en toute nécessité, consacré au réveil de la nuit et à la contemplation de l’aurore : « En rêve, dans l’ultime rêve de l’aube, je me trouvais aujourd’hui debout sur un promontoire, au-delà du monde, et tenant une balance, je pesais le monde. Oh ! pourquoi faut-il que l’aurore m’ait trop tôt surpris ! ». Ce rêve à l’heure de l’aurore est ainsi le signe de ce qu’a permis la vision de l’éternel retour : la possibilité d’être soi-même le créateur d’une nouvelle justice, d’un nouveau poids issu de la création de ces nouvelles tables de valeurs appelées par Nietzsche. Et si l’aurore réveille Zarathoustra de son rêve, détruisant par-là même le bonheur de ce rêve, c’est là aussi une chance au sens où la possibilité de le réaliser est de nouveau ouverte. Le jour n’est plus ni noir ni triste comme la nuit, mais désormais l’aurore appelle le sujet créateur qui, ayant traversé la nuit, doit désormais avancer jusqu’au grand midi :

https://meditationslitteraires.com/wp-content/uploads/2022/09/4.Danze_.pdf
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeMer 13 Déc 2023, 15:57

On a peu parlé de Nietzsche jusqu'ici dans ce long fil saisonnier (5.12.2019, 25.12.2021, où l'on retrouvera plusieurs thèmes évoqués ici), alors que l'un de ses premiers livres (1881) s'intitule justement Aurore -- Morgenröthe en allemand, où l'on voit davantage le rougeoiement du matin: couleur déjà par-delà (mais est-ce par-delà ?) le dualisme du blanc et du noir, de la lumière et des ténèbres, du bien et du mal.

En retrouvant à sa manière la pensée antique du cycle, Nietzsche échappait au "progressisme" moral, social, politique de son temps (suites hegeliennes de "droite" et de "gauche", y compris Marx) autant qu'aux "pessimismes" qui y réagissaient (Schopenhauer, Spengler, etc.); mais c'était nécessairement au prix de tout ce qu'il y avait d'"optimisme", voire de triomphalisme, dans sa propre pensée initiale: on ne peut pas vouloir l'aurore sans (vouloir) le crépuscule, le jour sans la nuit, le lever sans le coucher, la montée sans la descente, le haut sans le bas. La pensée du cycle annule, au sens du nul et de l'anneau, la fin et l'eschatologie, glorieuse ou catastrophique, comme le commencement ou l'origine; comme dirait Qohéleth, il y a des temps pour rire et pour pleurer, mais sur le tout sans commencement ni fin il n'y a ni temps ni lieu pour rire ou pour pleurer.

Il faut souligner l'aspect "inaccompli" (déjà, pas encore) qui caractérise aussi bien la pensée de Nietzsche (p. ex. le "sur-homme" ou l'"ultra-humain", Zarathoustra ne fait que l'annoncer, et ce ne sont même pas ses interlocuteurs qui peuvent le devenir, ils ne peuvent en être que les pères ou les ancêtres) que le christianisme auquel il s'oppose, et bien d'autres traditions ou philosophies anciennes et modernes; ou encore le temps de l'"Avent" du calendrier liturgique chrétien, qui est en fait avant l'"avent" au sens d'avènement mais aussi inclus dans le sens d'adventus, le venir même de ce qui vient. L'aurore ce n'est pas encore le lever du soleil, mais c'est déjà un événement visible, un changement de lumière et de couleur, présent en attente d'un futur, tendu vers un aboutissement qui une fois passé sera aussi décevant -- car le soleil levé cesse vite d'être intéressant en soi, le regard s'en détourne à mesure qu'il s'élève et l'intérêt se reporte sur ce qu'il éclaire. On ne saurait d'ailleurs exagérer l'importance des "heures" dans la pensée de Nietzsche et spécialement dans Zarathoustra, de l'aurore au lever de soleil, au matin et au grand midi, à l'après-midi qui décline, au coucher, au soir doré et au profond minuit -- temps qui sont aussi des directions spatiales, de l'Orient à l'Occident en passant par le zénith et le nadir, ça tourne en plus d'un sens quoique toujours dans le même sens. Le christianisme aussi, d'ailleurs, recycle son attente de Pâques à Noël et de Noël à Pâques comme d'un avènement ou d'une parousie à l'autre, la fin d'une attente relance l'attente, à la façon des cycles de l'Apocalypse.

Je repense à une bribe de texte qui m'avait particulièrement marqué quand j'étais tout jeune, dans ce qui est présenté comme le dernier psaume de David en 2 Samuel 23, v. 4; lu alors dans Segond ou la TMN, mais la parataxe de l'hébreu, sans verbe ou presque, est encore plus saisissante: "... comme lumière du matin, le soleil se lève, matin sans nuages, de l'éclat de (= après) la pluie l'herbe (sort) de la terre." Image et métaphore par excellence du lever (anatellô, anatolè en grec), solaire, astral et végétal comme dans le cantique de Zacharie évoqué dès le début de ce fil (décembre 2015), dans un contexte ici à la fois politique, sapiential et poétique (car le mšl-mashal du verset précédent évoque autant le gouvernement ou la domination que le proverbe, la maxime, la parabole: la Septante traduit d'abord parabolè puis krataioô, de kratos = "pouvoir"). Même le soleil, ou un roi-soleil, ne tiendrait pas à son apogée la promesse (épangile) de son aurore (lever, avènement, parousie, évangile), mais il ne saurait en finir avec l'aurore.
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeLun 18 Déc 2023, 13:21

Noël : une fête humaine et païenne pour les libres penseurs

La Noël humaine : un échec

17 Mais il y eut plus grave pour les organisateurs : un certain nombre de libres penseurs ne voulaient pas entendre parler de cette fête laïcisée, qu’ils considéraient comme un gage involontairement consenti, comme« une concession criminelle » aux superstitions passées. À diverses reprises, Jean Cotereau fustigea « ces puritains du rationalisme » ; ayant peut-être lu Weber, il estimait que renoncer à ces fêtes, ce serait « désenchanter la vie » ; « Noël est la fête des enfants, écrivait-il, allons-nous interdire aux nôtres les joies naïves qu’elle comporte ? ». Redoutant l’émergence d’une société privée de poésie et d’humanisme, il exprima sa crainte d’une « société mécaniste » vivant au rythme d’« un temps standardisé ». Faisant explicitement référence à Durkheim, il rappela que le sacré transfigure le social, lui donne un élan, une impulsion qui invite au dépassement. En outre, Jean Cotereau craignait que la suppression complète de Noël ne conduisît à faire regretter la crèche et les légendes du christianisme ; à ses yeux, célébrer laïquement Noël donnait la possibilité d’« amorcer la désintoxication religieuse de nombreux enfants ». Pour lui, Noël ne devait ni rester une fête chrétienne, ni être victime d’un processus d’oubli et d’abandon ; au contraire, il fallait considérer ce jour comme une « fête de l’avenir, de la nature et de la joie », la reprendre aux chrétiens, qui l’avaient eux-mêmes « volée », et lui rendre « ce caractère spontané, primitif et bienfaisant que lui avait donné le sûr instinct de nos ancêtres et que la malfaisance sacerdotale a, pour sa domination et notre esclavage, confisqué et perverti ». Cotereau adjurait les libres penseurs de faire de Noël leur fête et il espérait qu’un poète libre penseur saurait « trouver d’assez beaux vers pour chanter la Noël humaine – cette fête riche en symboles qui, au plus profond de la nuit, crie l’espoir éternel de l’homme dans le triomphe de la lumière et le retour du printemps ». Déjà, au début du siècle, le bureau de l’ANLPF estimait qu’il était important d’offrir aux « familles républicaines et libres penseuses une belle fête laïque », d’apporter « de la beauté et de la joie » pour montrer « comment peuvent être remplacées les émotions de l’Église ».

Le refus des libres penseurs qui craignaient de voir émerger une religion laïque ne fut certainement pas la seule entrave apportée à la célébration de Noëls laïques et humaines. Bien que nous n’ayons pas relevé de témoignages de cette nature, il y eut certainement bien des libres penseurs qui ne purent rompre tout à fait avec d’anciennes pratiques. Il ne faut pas oublier que la Libre Pensée était un mouvement essentiellement masculin et que les femmes sont traditionnellement les gardiennes des traditions et des pratiques religieuses ; elles durent probablement, au sein de leur famille, freiner la transformation de Noël en une fête militante, républicaine et anticléricale.

Enfin, un autre facteur, essentiel, a joué pour empêcher la substitution d’un Noël laïque à un Noël chrétien. Comme bien d’autres fêtes, celle de Noël a été de plus en plus sécularisée puis envahie par le désir de consommer et de faire « la fête pour la fête ». La genèse indéfinie de l’humanité ou de la pensée révolutionnaire ne put rivaliser ni avec l’enfant de la crèche ni avec les flux de victuailles et de jouets. Si la dimension chrétienne du 25 décembre a pu subsister dans les familles authentiquement chrétiennes, il fut de plus en plus difficile d’imposer ou même d’insérer une nouvelle symbolique humaine et néo-païenne entre deux autres réalités sociétales, l’une fondée sur la force de la foi et de la tradition, l’autre sur le caractère attractif et facile de la consommation à tout prix.

https://books.openedition.org/pup/5818?lang=fr
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeLun 18 Déc 2023, 14:47

Cela me rappelle des souvenirs aigres-doux de Théolib, où j'ai découvert à regret mon incompatibilité avec ce qui restait de cette mouvance un siècle plus tard (cf. p. ex. ici). Il y avait certainement un sens à être anticlérical, en France, à la fin du XIXe siècle, il me semble y en avoir beaucoup moins aujourd'hui. Dans ce domaine comme dans bien d'autres, le libéralisme économique a réalisé ce dont le libéralisme idéologique, socio-politique ou théologique, avait rêvé, mais la réalisation du rêve est aussi bien sa négation ou son contraire...

D'une certaine façon, les projets modernes de laïcisation ou de sécularisation du religieux répètent le mouvement d'"historicisation du mythe" dont nous parlons depuis le début de ce fil: comment une célébration saisonnière, astrale et agraire (solstice d'hiver, équinoxe de printemps pour l'hémisphère Nord, plus ou moins sensibles selon les latitudes) est récupérée par une "histoire sainte" (Pâque rapportée à l'Exode, Hanoukka à la dédicace des Maccabées, résurrection ou naissance du Christ), sans perdre sa "religiosité" fondamentale sans laquelle il n'y a pas de célébration. Même le "commercial" n'y échappe pas, il entretient à sa manière une nostalgie essentiellement religieuse de la religion, tout autant qu'il en dépend...
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeVen 22 Déc 2023, 16:12

L’étoile et le Messie attendu

Dans la tradition chrétienne, on associe spontanément l’étoile au récit des mages. Son symbolisme renvoie à l’attente du Messie comme en témoigne la prophétie de Balaam : « De Jacob monte une étoile, d’Israël surgit un sceptre qui brise les tempes de Moab et décime tous les fils de Seth. » (Nombres 24,17)

L’étoile, symbole des dieux et des rois

Au Proche-Orient ancien, l’étoile est un symbole des dieux et des rois. Le symbolisme est particulièrement développé en Mésopotamie où les étoiles étaient vénérées comme des dieux. Dans le système de l’écriture cunéiforme, le symbole sumérien pour souligner le nom d’une divinité est d’ailleurs une étoile stylisée (Dingir).

L’étoile est aussi un symbole de la royauté comme en témoigne ce texte prophétique qui parle de la chute du roi de Babylone : « Comment es-tu tombé du ciel, Astre brillant, Fils de l’Aurore? Comment as-tu été précipité à terre, toi qui réduisais les nations? » (Isaïe 14,12)

En Israël, l’étoile désigne la monarchie davidique sous l’influence de Nombres 24,17. La prophétie sera ensuite comprise comme l’annonce du Messie à venir, envoyé par Dieu à son peuple. Le texte est plusieurs fois cité en ce sens dans les manuscrits de la mer Morte [1]. Encore plus proche de l’interprétation chrétienne qui combine ce texte à un oracle de Malachie (le soleil de justice de Malachie 3,20), on retrouve ce passage dans le Testament de Juda, un pseudépigraphe de l’Ancien Testament : « Une étoile se lèvera pour vous de Jacob, dans la paix, et un homme se lèvera de ma descendance, comme un soleil de justice, marchant avec les hommes dans la douceur et la justice, et on ne trouvera en lui aucun péché. Les cieux s’ouvriront sur lui pour répandre l’Esprit. » 

L’étoile des mages

En lisant le texte de Matthieu (Matthieu 2,1-12), on comprend que la présence de l’étoile qui guide les mages vers le roi qui vient de naître n’a rien d’anecdotique. L’étoile a un rôle symbolique qui justifie pleinement le sens que l’on donne à la fête où nous lisons ce texte de l’Évangile : il s’agit de la première épiphanie du Seigneur, la première manifestation de Jésus comme Messie et Roi, venu inaugurer le Règne de Dieu. Un père de l’Église, Ignace d’Antioche, a écrit vers 110-130, un texte remarquable en s’appuyant sur un développement légendaire de l’étoile des mages :

On vit briller dans le ciel une étoile qui fit pâlir toutes les autres : son éclat était inexprimable, sa nouveauté causait la stupeur ; tous les autres astres, avec le soleil et la lune, lui faisaient cortège, mais sa splendeur effaçait celle de tous les autres réunis ; ils se demandaient dans leur trouble d’où venait cette étoile étrange, si différente d’eux-mêmes. Dès lors toute magie fut confondue, tout lien d’iniquité brisé, l’ignorance détruite, l’antique royauté renversée : Dieu se manifestait sous forme humaine, pour réaliser “l’ordre nouveau”, qui est “la vie” éternelle ; le plan arrêté dans les desseins de Dieu recevait un commencement d’exécution. De là ce bouleversement universel : car l’abolition de la mort se préparait. 

Ce renouveau qu’amène la naissance du Sauveur est exprimé d’une autre manière par l’auteur de l’Apocalypse où Jésus est appelé l’« étoile du matin ». Le symbolisme de l’étoile rejoint ainsi celui de la lumière qui, dans ce cas-ci, souligne l’origine céleste de la mission de Jésus : « Moi, Jésus, […] je suis le rejeton et la lignée de David, l’étoile brillante du matin. » (Apocalypse 22,16, voir aussi 2 Pierre 1,19)

https://www.interbible.org/interBible/ecritures/symboles/2019/symboles_20191230.html
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeVen 22 Déc 2023, 17:36

Au passage, le texte d'Ignace peut également rappeler le rêve de Joseph en Genèse 37,9ss; outre les développements (certains ultérieurs, peut-être pas tous) du judaïsme sur un "messie (fils) de Joseph", messie souffrant éventuellement distinct du "judéen-davidique" royal et de l'"aaronide" ou "sadocide" sacerdotal; le Jésus des évangiles est rattaché à "Joseph" aussi bien par sa situation géographique (au nord de la Judée, Galilée-Samarie) que par son patronyme (fils de Joseph, celui-ci fût-il père "adoptif"), en plus des analogies générales des récits (le fils perdu, trahi, livré, vendu, tenu pour mort, retrouvé vivant et sauveur).

---

En pensant à Noël qui s'approche, je me suis fait cette réflexion peut-être saugrenue, en tout cas décousue:

Comme le veut la circularité du calendrier liturgique, la Nativité, alias Noël, est aussi bien la suite de la Passion-Résurrection, Semaine sainte et Pâques, que son antécédent, prologue, prolepse et préalable.

Dans l'évangile de Marc, ainsi qu'on l'a maintes fois remarqué, la fin renvoie au commencement, relançant un cycle de (re-)lecture, l'annonce verbale de la résurrection (sans apparition, et sans suite chronologique puisque les femmes chargées du message se taisent) pointant vers la Galilée du début de l'évangile (qui dans le texte habituellement retenu commence par le mot commencement, arkhè, c'est presque du Ponge: "Par le mot par commence donc ce texte / dont la première ligne dit la vérité"). Par ailleurs, dans nos bibles, quand on tourne la dernière page de Marc, la "suite" est encore une naissance, ou deux: la Nativité selon Luc est aussi bien celle de Jean(-Baptiste) que de Jésus, même la tradition textuelle s'y perd. Et dans l'histoire probable des rédactions évangéliques encore: après un évangile de la Passion sans Nativité (Marc), on a conçu (c'est le cas de le dire) une Nativité (déjà chez Matthieu) comme préface à la Passion. Et on n'en sortira plus: même le Prologue du quatrième évangile, qui ignore ou feint d'ignorer toute naissance humaine, est une sorte de Nativité superlative, hors histoire: Au commencement (arkhè toujours) était le logos qui, s'il ne naît pas, vient dans le monde et devient chair...

L'idéalisation (concept, idée, signifié, métaphore, allégorie, métonymie) de la "naissance" (et de l'"engendrement" masculin et de la "conception" féminine qui la précèdent de quelques mois) est aux antipodes de sa réalité physiologique, sexuelle, animale, mammifère, vivipare... Affaire terrible, violente, cruelle dans tous les sens du terme (non seulement douloureuse mais sanglante, gore, sans parler du sperme préalable qui constitue une part non négligeable du vocabulaire "biblique" quand même ses traductions le dissimulent, zera`-sperma, semence-descendance-postérité), réputée sale, indécente, obscène (impureté rituelle du code lévitique, pour l'accouchement plus encore que pour la menstruation féminine ou l'éjaculation masculine, le double pour une fille que pour un garçon), cachée aux regards de tous hormis des femmes, parturientes ou sages-femmes -- paradoxalement la naissance n'est pas pour les enfants. C'est le jeu du langage qui la rend "idéale", même au sens banal, "heureux événement" comme on ne dit plus beaucoup, "évangile" en somme, prête à rejoindre au royaume des tropes (figures, métaphores, etc.) le divin, l'angélique, l'astral, le végétal ou le minéral (aurore, aube, lever de soleil ou d'étoile mais aussi source, pousse, germe, rejeton de plante ou d'arbre, selon tous les tours de l'anatolè déjà évoqués dans ce fil)...

Sans oublier qu'avant leur mise en récit évangélique les mêmes métaphores, naissance, engendrement, conception, étaient déjà au centre du langage du rite et du mystère (proto-)chrétiens, au même titre que la mort (crucifixion, démembrement, ensevelissement) à laquelle ils faisaient suite: résurrection comme nouvelle naissance, engendrement divin, avec tous les pré-textes anté-chrétiens (en particulier le Psaume 2, tu es mon fils, je t'ai engendré aujourd'hui, cf. ce qu'en fait l'épître aux Hébreux): le cycle du mythe et du rite renvoie à l'uchronie absolue de l'éternité qui est à la lettre son contraire, aporétique en soi comme dans son énonciation: naissance éternelle, maintenant toujours, chaque fois une fois pour toutes, commencement permanent, sans suite malgré les suites, sans croissance, sans devenir, sans histoire, sans répétition, sans vieillissement, sans mort (malgré, malgré, malgré...), toute fin ne faisant que se re-cycler en commencement, comme une parabole qui rêverait d'échapper à son sens "propre".

Joyeux Noël.

---

Au-delà du mythe et du rite, la "métaphore" recouvre parfois quelque chose de sa violence littérale et corporelle dans les énoncés littéraires, ou épistolaires, comme Galates 4,19: "mes enfants pour qui je souffre à nouveau les douleurs d'accouchement (ôdinô) jusqu'à ce que Christ soit formé (morphoô) en vous" -- cela dans un texte qui avait déjà dit le fils du dieu "né ou devenu de femme à la plénitude (plèrôma) du temps (khronos), v. 4; et ce vraisemblablement bien avant tout récit de Nativité (de Jésus) comme ceux de Matthieu ou de Luc.

Cf. la fin du sermon 8 d'Eckhart, pour le jour de la Nativité (trad. Jeanne Ancelet-Hustache et Eric Mangin, Sermons, traités, poèmes -- les écrits allemands, Seuil 2015, p. 92s):

Eckhart a écrit:
L'homme a deux naissances: l'une au monde, l'autre hors du monde, c'est-à-dire spirituelle en Dieu. Veux-tu savoir si ton enfant est né et s'il est dénudé, c'est-à-dire si tu es fait Fils de Dieu ? Aussi longtemps que tu souffres dans ton coeur pour quoi que ce soit, fût-ce même pour le péché, ton enfant n'est pas né. Si ton coeur souffre, tu n'es pas mère, tu es dans l'enfantement, proche de la naissance. Ne tombe pas pour autant dans le doute, que tu souffres pour toi ou pour ton ami: si l'enfant n'est pas né, il est cependant près de naître. Il est parfaitement né lorsque le coeur de l'homme ne souffre plus de rien; alors l'homme a l'être et la nature et la substance et la sagesse et la joue et tout ce que Dieu a. Alors l'être identique du Fils de Dieu devient nôtre, est en nous, et nous pénétrons das l'être identique de Dieu.
Le Christ dit: Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive (Mt 16,24). C'est-à-dire: rejette de ton coeur toute souffrance, afin qu'il n'y ait dans ton coeur que joie constante. Alors l'enfant est né. Quand donc l'enfant est né en moi, si je voyais alors tuer devant moi mon père et tous mes amis, mon coeur n'en serait pas ému. Si mon coeur en était ému, l'enfant ne serait pas né en moi, mais peut-être serait-il près de naître. Je dis que Dieu et les anges éprouvent une si grande joie de toute oeuvre accomplie par un homme bon, qu'aucune joie ne pourrait lui être comparée. Voilà pourquoi je dis: Quand il arrive que l'enfant naisse en toi, tu éprouve une si grande joie de toute oeuvre bonne accomplie en ce monde, que ta joie acquiert la plus grande constance et que rien ne l'altère. C'est pourquoi il dit: Votre joie, nul ne vous l'enlèvera (Jn 16,22). Et quand je suis vraiment transféré dans l'être divin, Dieu est mien avec tout ce qu'il a. D'où cette parole: Je suis Dieu, ton Seigneur (Ex 20,2). Je n'ai une vraie joie que si ni souffrance ni chagrin ne peuvent m'en frustrer, alors je suis transféré dans l'être divin où aucune souffrance n'a sa place. Car nous voyons qu'en Dieu ne sont ni colère ni tristesse, seulement amour et joie. S'il nous semble qu'il s'irrite par fois contre le pécheur, ce n'est pas là colère, c'est amour, car la cause en est le grand amour divin Ceux qu'il aime, il les châtie, car il est l'amour (1Jn 4,16) qui est le Saint-Esprit. Ainsi la colère de Dieu vient de l'amour, car il s'irrite sans souffrir. Si donc tu parviens à ne plus pouvoir ressentir ni chagrin ni peine pour quoi que ce soit, que la souffrance ne soit lus pour toi souffrance et que toutes choses soient pour toi pure joie, l'enfant est véritablement né en toi. Appliquez-vous donc à ce que non seulement l'enfant soit en voie de naître, mais qu'il soit né, de même que le Fils est né de Dieu en tout temps et qu'il est en tout temps en voie de naître.
Que Dieu nous aide afin qu'il en advienne ainsi pour nous. Amen.

Si étrange ou étrangère que puisse nous paraître cette temporalité médiévale -- c'est un peu le chant du cygne de l'éternité, jusqu'à Luther en passant par Tauler, déjà perdue chez Calvin; mais tant de fois retrouvée plus ou moins discrètement depuis... -- on y reconnaît la dualité aspectuelle de l'inaccompli et de l'accompli qui se superposent: toujours déjà né, toujours encore à naître, couplés à la différence de la souffrance présente ou anticipée sous forme de peur ou d'angoisse et à l'indifférence de la souffrance passée; "à la fois", simul, pas "en même temps" mais à même le même temps. Cf. aussi les catégories temporelles (présent, à-venir) mêlées aux spatiales (hauteur, profondeur) en Romains 8,38s.
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeJeu 04 Jan 2024, 17:32

Sermon 1 de Jean Tauler pour la fête de Noël : triple naissance

Après Maître Eckhart, nous poursuivons notre découverte des mystiques rhénans avec la figure de Jean Tauler (1300-1361). Dans son premier sermon, il évoque le caractère triple de la naissance du Christ à la fête de Noël.

Dans le Sermon 1 pour la fête de Noël, le dominicain Jean Tauler évoque la célébration des trois messes de Noël, de minuit, de l’aurore et du jour, qui correspondent, selon lui, à une triple naissance : la première est l’engendrement éternel du Verbe en Dieu, la seconde est la naissance du Fils incarné, la 3e est la naissance de Dieu dans l’âme : « Dieu naît à Bethléem pour naître dans ton cœur ». Cette troisième naissance du Fils de Dieu est « celle par laquelle Dieu, tous les jours et à toute heure, naît en vérité, spirituellement, par la grâce et l'amour, dans une bonne âme ». Mais cette naissance intérieure exige le silence « car si tu veux que Dieu parle, il faut te taire ; pour qu'il entre, toutes choses doivent sortir.

https://www.narthex.fr/blogs/ecrits-mystiques/sermon-1-de-jean-tauler-pour-la-fete-de-noel-triple-naissance


La naissance spirituelle : dialogue entre l'éxégèse et l'anthropologie théologique chez Maître Eckhart (vers 1360-1428)

 La naissance spirituelle » à travers deux volets : Jean 3, 1-21 et la théologie de Maître Eckhart (vers 1360-1428). La péricope de la rencontre entre Jésus et Nicodème dans l’Évangile de Jean fait allusion à la « naissance par l’eau et dans l’Esprit ». Sans naître à nouveau, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu, c’est-à-dire accéder à la vie éternelle. Nicodème, par désir et sous l’impression de la confusion, s’interroge sur cette naissance qui vient d’en haut. Jésus explique au maître de la loi la voie à suivre : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi ». Maître Eckhart peut être considéré comme le plus célèbre représentant de la mystique rhénane-flamande. On peut le considérer comme le premier théologien scolastique mystique. Son anthropologie repose sur la théologie apophatique qui est à la base de la pensée de son père spirituel, le Pseudo Denys l’Aréopagite. Cependant, l’explication qu’Eckhart développe lui-même dans ses sermons montre un autre éclairage. A la question de savoir à quelle théologie il aimerait être associé, il aurait sans doute répondu : la théologie de la grâce d’Augustin. Dans l’œuvre d’Eckhart, Augustin semble avoir une place parmi d’autres. Ce qui est remarquable chez lui, c’est sa capacité d’adapter la théologie apophatique et de l’augmenter par une anthropologie christique (trinitaire). Eckhart va utiliser la Trinité comme base pour sa théologie de la naissance de Dieu dans l’âme. De plus, Eckhart est novateur avec cette triple naissance à partir des trois messes de Noël. Le Christ est né d’une femme dans une étable à Bethléem (dans le temps). Dieu naît en nous, perpétuellement et partout, à chaque instant et pour l’éternité (hors du temps). Nous sommes nés à nous-mêmes, par l’anéantissement de toute image de Dieu, dans la rencontre avec le Transcendant au plus profond de nous-mêmes, c’est-à-dire dans l’union avec Lui. Nous devenons enfants de Dieu non pas par adoption mais dans la même lignée que le Christ, Fils de Dieu. L’importance qu’Eckhart octroie à l’anthropologie spirituelle ouvre la voie à l’interprétation et à la compréhension de son œuvre. Ce mémoire a comme objectif d’étudier la place de cette anthropologie spirituelle à travers la théologie de l’Incarnation et la thématique de la naissance éternelle chez Jean l’Évangéliste et Eckhart. J’ai essayé de montrer que dans le parcours de l’anthropologie spirituelle d’Eckhart, son argument ontologique joue un rôle prépondérant. En outre, j’ai essayé de montrer l'originalité et la détermination avec lesquelles Eckhart défend sa thèse de la naissance de Dieu dans l’âme contre l’inquisition dominicaine.

https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/fr/object/thesis%3A31498
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeJeu 04 Jan 2024, 20:07

Le grand mérite des "mystiques" de la fin du moyen-âge, parce qu'ils sont autant "scolastiques" que "mystiques", c'est de réunir ce que la dogmatique a divisé, sans l'ignorer ni la contredire... Funambules au-dessus de l'hérésie officielle, leur survie ne tenait qu'à un fil ou à un (faux) pas, Eckhart en a su quelque chose.

Du nombre des "trois naissances" comme de la "trinité", pour "tri-unité", il faut surtout retenir celui que l'on n'entend pas, l'un: les trois sont un, rapport du nombre, trois ou n'importe lequel, du pluriel dénombrable, à l'un qui est nombre et tout autre qu'un nombre. Ce que la dogmatique conciliaire des premiers siècles (IIIe, IVe, Ve) avait séparé et rangé dans deux boîtes distinctes et complémentaires (engendrement éternel du Fils ou profération du Verbe, logos, Nicée; incarnation, union hypostatique du Fils éternel et de l'humanité rattaché à la naissance ou à la conception "historique" de Jésus, Chalcédoine), c'est évidemment la même "chose", le même "événement", mais cette unité ne se conçoit qu'en rajoutant un troisième terme, naissance de l'âme, de Dieu en l'âme, du Christ en moi, en toi, en nous, bref tout ce que la dogmatique depuis le IIe siècle rattachait au Saint-Esprit, à l'Eglise et à ses médiations sacramentelles, baptême, eucharistie -- mais bien sûr c'est toujours le même: "aujourd'hui je t'ai engendré" (Psaume 2, Hébreux, etc.) vaut pour les trois instances, ou hypostases, qui n'en sont qu'une. Ainsi chez saint Augustin, le pseudo-Denys et toujours chez les penseurs tant soit peu profonds; mais il est difficile de retrouver sous l'édifice dogmatique la simplicité que le christianisme "gnostique" des premiers siècles avait exprimée d'emblée, sans ruiner l'édifice...

Cela me rappelle un autre vieux fil où j'avais tenté d'exprimer la même chose, toujours la même: la monomathie, dangereusement proche de la monomanie, ce n'est pas seulement qu'il n'y ait qu'une seule source de connaissance, d'enseignement ou d'instruction, c'est aussi qu'il n'y a qu'une seule chose à apprendre et à réapprendre, toujours la même comme à nouveau si souvent qu'on l'ait déjà apprise, car il n'est pas question de la savoir ni de la retenir; mais de la retrouver à chaque fois sous un angle différent, comme il convient du rapport d'un cercle à son centre.

Soit dit en passant, le thème du silence associé à la nuit de Noël, aussi présent chez Eckhart (p. ex. Sermon 9, p. 94ss dans l'ouvrage précité), est tiré de Sagesse 18,14s, qui a pourtant un tout autre contexte narratif, puisqu'il s'agit de l'extermination des premiers-nés d'Egypte dans la nuit de la Pâque... mais c'est déjà le contraste du silence (sigè) et de la parole (logos). En musique cela se traduit souvent par un morceau instrumental, sans parole, avant la proclamation de la naissance (p. ex. ici 23'55").
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeDim 31 Mar 2024, 11:48

Si les quatre évangiles (canoniques) s'accordent sur quelque chose en ce qui concerne Pâques, avant de (re-)partir dans tous les sens, c'est bien sur le jour de la semaine (le premier, mot-à-mot du ou des sabbats, dimanche donc, jour de la création et de la lumière par la même occasion selon Genèse 1) et l'heure matinale (aube, aurore, lever de soleil, dont on a beaucoup parlé dans ce fil; on distinguerait en espagnol la madrugada, tôt le matin, avec sa métaphore maternelle ou matricielle, enfantement, accouchement, naissance; en hébreu aussi l'aurore appelle les mêmes images, cf. Isaïe 26 ou le psaume 110, bien que shahar soit masculin; à Ougarit c'était le nom d'un dieu, fils d'El et jumeau de Shalim qui représentait le soir, avec la même idée d'accomplissement ou d'achèvement que shalom).

Tout ayant été dit cent fois, je compare au hasard, ce matin, les évangiles qu'on a souvent considérés comme le premier (Marc 16) et le dernier (Jean 20), bien que ça ne veuille plus dire grand-chose quand on tient compte du long travail de rédaction et d'influence réciproque en tous sens, tantôt d'attraction tantôt de répulsion, qui a abouti aux textes que nous lisons. Marie-Madeleine avec d'autres femmes dans Marc, seule dans Jean, trouve(nt) le tombeau ouvert (il n'y a que chez Matthieu qu'on le voit s'ouvrir); chez Marc le tombeau n'est pas vide, puisqu'il y a le jeune homme, mais ce n'est pas lui qu'on s'attendait à trouver là; ce dernier renvoie les femmes aux disciples et ceux-ci en Galilée, mais à ce point l'histoire tourne court (du moins sans les finales tardives) puisqu'elles ne disent rien à personne: il n'y a plus qu'à retourner aussi en Galilée en relisant le tout. Chez Jean il n'est pas dit que Marie-Madeleine entre dans le tombeau, mais c'est implicite puisqu'elle revient avec le message qu"on a enlevé le Seigneur" (déjà v. 2) -- seuls pénètrent explicitement au tombeau Pierre et "l'autre disciple", identifié cette fois à "celui que Jésus aimait", avec permutation à l'entrée comme un peu plus tôt à la porte de la cour du grand prêtre (18,15ss), et effet contrasté (l'un voit -- les bandelettes et le "suaire" qui recouvrait la tête -- l'autre voit et croit)... On connaît la suite johannique, où il n'y a plus rien à comparer avec Marc (présumé "authentique"), mais on peut toujours la relire: apparitions à Marie-Madeleine, de deux anges dans le tombeau puis de Jésus dans le jardin, Jésus non reconnu d'abord puis reconnu quand il appelle Marie par son nom (cf. chap. 10), noli me tangere (ne me touche pas, ne me retiens pas): conditions de la compréhension au premier degré du récit subséquent, qui va concentrer dans un seul "dimanche de Pâques" tout ce que Luc-Actes organise, non sans contradiction interne au passage d'un livre à l'autre, sur les cinquante jours de Pâques à la Pentecôte, voire tout le temps à venir jusqu'à la parousie: ascension, apparition(s), venue ou retour de Jésus le soir même, souffle de l'esprit saint et mission des apôtres réduite au pardon des péchés -- avec réplique à Thomas le dimanche suivant, qui jouera à nouveau sur le voir et le croire, et le toucher (voire avec le theos du Prologue).

Au passage, Kierkegaard relève plusieurs fois dans son "journal" le fameux détail johannique, "les portes fermées par crainte des Juifs" (20,19.26), avec cette réflexion (en substance): si je devais devenir un jour chrétien, il faudrait que le Christ entre par des portes fermées -- soulignant par contrecoup le contraste avec la condition de l'Apocalypse, "je me tiens à la porte et je frappe, si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte..." (Comme on sait Kierkegaard ne se disait généralement pas "chrétien", sinon par pseudonyme interposé.)

Oster-Oratorium de Jean-Sébastien, moins connu que celui de Noël et les Passions (traduction ici). A remarquer l'aria du ténor correspondant au Pierre johannique, où celui-ci ne retiendrait dans un premier temps de ce qu'il a "vu" que la leçon du samedi-saint: l'apaisement et le calme triste de la mort...
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeMar 02 Avr 2024, 11:31

Marie-Madeleine. De la «pécheresse repentie» à l'«épouse de Jésus» Histoire de la réception d'une figure biblique
Régis Burnet

Enfin, tous les évangiles mentionnent la présence de Marie-Madeleine au tombeau. Elle fait partie des « saintes femmes » qui, ayant acheté des aromates, partirent pour le sépulcre  avant la fin de la nuit afin d’achever l’ensevelissement (Mt 28 , 1 ; Mc 16, 1 -2 ; Lc 24 , 1 ; Jn 20 , 1 ). Dans les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc, Luc), elle ne reçoit pas d’individualisation : elle fait simplement partie du groupe des femmes et, constate, comme elles, que le tombeau est vide.  Chez Jean, en revanche, elle joue un rôle plus important puisque ce dernier insère un épisode supplémentaire.

11 Marie se tenait près du tombeau, au-dehors, en pleurs. Comme donc elle pleurait, elle se pencha vers l’intérieur du tombeau 12 et elle voit deux anges, vêtus de blanc, assis là où avait reposé le corps de Jésus, l’un à la tête et l’autre aux pieds. 13 Ils lui disent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur dit : « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis. » 14 Ayant dit cela, elle se retourna, et elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus. 15 Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Elle, pensant qu’il s’agissait du jardinier, lui dit : « Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et moi je l’enlèverai. » 16 Jésus lui dit : « Marie ! » Se retournant, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni ! » – ce qui veut dire « Maître ». 17 Jésus lui dit : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais hâte-toi vers mes frères et dis-leur : « je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » 18 Marie de Magdala vient annoncer aux disciples « J’ai vu le Seigneur » et qu’il lui a dit cela. 

La tradition occidentale connaît cet épisode sous le nom de Noli me tangere, « ne me touche pas », traduction latine de la parole de Jésus. Quel sens peut-on lui donner ? Quatre éléments narratifs peuvent être relevés, qui, comme toujours dans l’évangile de Jean, ouvrent sur un enseignement théologique destiné au lecteur 29. Tout d’abord, la profondeur du sentiment de Marie. Seule à pleurer, seule à être restée fidèle, elle est toute douleur. Une douleur que le mystique rhénan du 
xive siècle Maître Eckhart peint avec une très grande finesse :

« Elle avait l’espoir que Dieu ayant fait une irruption dans l’humanité, quelque chose de Dieu serait resté dans le tombeau, […] comme un parfum […]. Elle craignait qu’en s’éloignant du tombeau, elle ne perde aussi le tombeau, car si elle avait perdu aussi le tombeau, il ne lui serait resté absolument plus rien 30. »

Quoique nécessaire (c’est grâce à lui que Marie-Madeleine se trouve au tombeau, grâce à lui qu’elle se penche vers l’intérieur), son chagrin l’égare : elle ne s’avise pas que les personnages assis de manière insolite dans le tombeau sont des anges et surtout, elle ne reconnaît pas Jésus quand elle le voit. Premier enseignement : la tristesse abuse et il convient de ne pas rester au seuil du tombeau, au seuil de la mort. Ensuite, l’importance de la relation affective qui unit Jésus et Marie : 
elle reconnaît le Christ à la manière dont il prononce son nom et cette reconnaissance se marque par le jaillissement du nom habituel qu’employait Marie (ce qu’indique l’auteur en affirmant qu’elle parle hébreu), Rabbouni, « mon cher maître ».

Deuxième enseignement : la relation entre le croyant et son Dieu constitue une relation personnelle, qui seule permet la reconnaissance. En outre, le changement du mode de présence de Jésus dans le monde. (...) lui dit-il, qui, en grec 31, signifie « ne me retiens pas » plutôt que « ne me touche pas ». Jésus indique par là que sa place n’est plus sur terre mais « au ciel », auprès de Dieu le Père. Ressuscité, il n’a plus rien à faire auprès des hommes encore mortels.

Troisième enseignement : la Résurrection des corps n’est pas un changement de corps – Marie reconnaît encore Jésus – mais un changement de proximité avec Dieu. Enfin, Marie-Madeleine reçoit une mission 32, celle d’annoncer aux autres apôtres la Résurrection. Elle doit quitter le lieu de la mort pour devenir cette apostola apostolorum dont parleront les théologiens latins du Moyen Âge, l’apôtre des apôtres. 

Quatrième enseignement : le christianisme n’est pas une religion où l’on cultive le souvenir de la mort mais une religion de l’annonce et du mouvement. Marie n’a plus qu’à compléter son pèlerinage de foi par un voyage de retour vers la communauté, qui est appel à la mission 33.

https://www.academia.edu/1197039/Marie_Madeleine_De_la_p%C3%A9cheresse_repentie_%C3%A0_l_%C3%A9pouse_de_J%C3%A9sus_Histoire_de_la_r%C3%A9ception_dune_figure_biblique
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeMar 02 Avr 2024, 12:18

Ce petit livre intéresserait surtout ce fil-ci.

Par une extraordinaire coïncidence, j'ai sous la main une autre édition (Sermons, traités, poème, Seuil 2015) de la même traduction du sermon d'Eckhart (ici numéroté 30 au lieu de 55, p. 259ss) par Jeanne Ancelet-Eustache, où je glane ceci, y compris le contexte de la citation de Burnet:

Maître Eckhart a écrit:
Pourquoi dit-il: Je ne suis pas encore venu vers mon Père (Jn 20,17) ? Il n'a pourtant jamais quitté le Père. Il voulait dire: "Je ne suis pas encore vraiment ressuscité en toi." (...)
Elle n'avait pas peur pour trois raisons. La première, c'est qu'elle était à lui. La deuxième, c'est qu'elle était si loin de la porte des sens et à l'intérieur d'elle-même. La troisième, c'est que son coeur était avec lui. Là où il était, là était son coeur. C'est pourquoi elle n'avait pas peur. (...)
Elle désirait que son âme soit avec lui au tombeau et son corps près du tombeau: son âme à l'intérieur et son corps tout près, car elle avait l'espoir que Dieu ayant fait une irruption dans l'humanité, quelque chose de Dieu serait resté dans le tombeau. De même que si j'avais tenu un certain temps une pomme dans ma main, lorsque je l'enlèverais, il y resterait quelque chose d'elle, comme un parfum. De même elle avait l'espoir que quelque chose de Dieu serait resté dans le tombeau. Voici la quatrième raison pour laquelle elle restait si près du tombeau: parce qu'elle avait perdu Dieu deux fois: vivant sur la Croix et mort au tombeau, elle craignait qu'en s'éloignant du tombeau, elle ne perde aussi le tombeau, car si elle avait perdu aussi le tombeau, il ne lui serait resté absolument pus rien. (...)
Or saint Grégoire dit: Si Dieu avait été mortel et s'il avait dû si longtemps se dérober à elle, son propre coeur se serait complètement brisé.

Au passage, la traduction de haptomai par "retenir" plutôt que "toucher" (tangere) est devenue très courante dans les bibles modernes, mais elle me semble plutôt une facilité que le résultat d'une exégèse sérieuse: le jeu avec Thomas dans le même chapitre suggère bien plutôt un "toucher" qu'un "retenir".
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeMar 02 Avr 2024, 12:38

Toucher Jésus le Ressuscité
Marie de Magdala et Thomas le Jumeau en Jean 20
Sandra M. Schneiders

2.1 La structure théologique de Jean 20

Le récit débute aux versets 1 et 2. Marie de Magdala vient au tombeau dans l’obscurité (toujours symboliquement négative chez Jean), aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau et rapporte à Simon Pierre et au disciple bien-aimé qu’ »ils ont enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où ils l’ont mis » (20,2). Le « nous », bien que Marie était seule au tombeau, souligne que le problème n’est pas seulement personnel, mais communautaire27. La question programmatique qui donne son impulsion à la première moitié du récit de résurrection johannique (v. 3-18) est énoncée : « Où est le Seigneur », après sa mort ? La question suggère aussi une réponse possible : Jésus est un cadavre ; il est vraiment parti.

Dans l’épisode suivant (v. 3-10), Simon Pierre et le disciple bien-aimé courent au tombeau. L’évangéliste structure soigneusement cette histoire pour que Pierre entre d’abord dans le tombeau et voie son contenu: les linges mortuaires et le suaire () de Jésus, qui ne se trouve pas avec les linges, mais est soigneusement roulé et clairement placé de côté28 (20,7). Le disciple bien-aimé entre en deuxième et voit ce qu’il n’a pas vu de l’extérieur quand il a regardé la première fois. De l’extérieur, il n’avait vu que les linges (20,5). À l’intérieur, il voit aussi le suaire et on nous dit qu’il « vit et il crut », une expression que Jean emploie pour signaler la réponse de foi appropriée à un signe (par ex. : 2,23 ; 6,30 ; 11,40).

Ce signe, le suaire maintenant étendu de côté, est à la fois en continuité et en discontinuité avec les signes faits par Jésus dans son ministère public. Une caractéristique des signes dans les deux régimes est qu’ils sont symboliques et donc intrinsèquement ambigus. Tous ceux présents ont vu l’aveugle-né guéri au chapitre 9 et Lazare redressé au chapitre 11. Certains ont vu et ont cru. D’autres ont vu et n’ont pas cru. Dans cet épisode, Simon Pierre et le disciple aimé voient le suaire. Le disciple bien-aimé croit, mais pas Pierre.

Or, ce signe se distingue aussi de ceux exécutés par le Jésus prépascal. Jésus lui-même n’est pas visiblement présent réalisant une œuvre. Dans cet épisode, les disciples se voient offrir comme signe un objet qui doit être interprété comme révélateur, probablement dans la ligne du voile de Moïse, que celui-ci a porté pour protéger les Israélites de la gloire de son visage, mais qu’il enlevait quand il était « face à face » avec Dieu29 (Ex 34,29-35).

La finale de la scène (v. 9), cependant, a souvent défié les exégètes : « En effet, ils ne savaient pas encore que, d’après l’Écriture, il devait ressusciter d’entre les morts. » Ainsi, si ce n’est pas en la résurrection, en quoi le disciple bien-aimé a-t-il cru ? Je suggère qu’il a cru à ce que Jésus avait dit plusieurs fois à propos de sa mort (par ex. : 13,1 ; 16,28 ; 17,1 ; 17,24), à savoir que c’est par cela qu’il serait glorifié. Le disciple bien-aimé a cru que sur la croix, bien qu’il soit vraiment mort, Jésus a été exalté en présence de Dieu. Le suaire de sa chair, c’est-à-dire la mortalité dans laquelle sa gloire avait été voilée pendant sa vie prépascale, est maintenant irrévocablement mis de côté. Jésus, nouveau Moïse, est monté sur la montagne pour sceller la Nouvelle Alliance entre Dieu et le Nouvel Israël.

Le lecteur a maintenant le début de la réponse à la question : « Où est le Seigneur ? » Il est avec Dieu. Il est glorifié. Mais il y a plus, quelque chose que les disciples ne comprennent pas encore, à savoir que Jésus n’est pas seulement glorifié, mais ressuscité d’entre les morts.

Dans l’épisode suivant (v. 11-18), Marie de Magdala est encore au tombeau. Cette scène est imprégnée d’allusions au jardin de la première création et particulièrement au lieu de rendez-vous mentionné par le Cantique des cantiques, la chanson nuptiale de l’alliance entre YHWH et Israël. Dans le tombeau, Marie ne voit pas les linges et le suaire, mais deux anges, un à la tête et un aux pieds de l’endroit où le corps (sw=ma) de Jésus avait été placé. Cette description, et même les mots employés, rappellent le trône d’or, le « siège de miséricorde » de l’arche de l’Alliance (voir Ex 37,6-9 TM = Ex 38,5-8 LXX) qui était gardé par deux chérubins, l’un et l’autre au bout « du lieu de rencontre de Dieu et des humains » (Clifford 1990, 56). Marie de Magdala pleure avec désolation, en l’absence de Jésus qu’elle assimile clairement à un cadavre qui a été emporté. Quand Jésus, le bon Berger, l’appelle par son nom, elle se tourne, elle est convertie, elle passe du désespoir à la reconnaissance de Jésus comme le « maître » qu’elle avait connu dans sa vie prépascale. Il y a infiniment plus dans cette scène fort riche, mais pour l’objectif qui est le nôtre, ces observations fournissent le deuxième volet de la réponse à la question : « Où est le Seigneur ? » Il est revenu vers les siens. Quand Marie arrive en proclamant () l’Évangile de Pâques à ceux qui sont maintenant les « frères et sœurs » de Jésus, elle dit explicitement : « j’ai vu le Seigneur » (20,18). Par un signe, le disciple aimé a vu et a cru que Jésus a été glorifié, vivant avec Dieu. Marie de Magdala a fait l’expérience de Jésus ressuscité, rendu aux siens.

Avec la proclamation de l’Évangile de Pâques, selon lequel Jésus est glorifié et ressuscité, le récit entre dans sa deuxième phase (v. 19-29), dont le cadre n’est pas l’aube de l’ère nouvelle dans le jardin du tombeau et les protagonistes ne sont pas les premiers apôtres, mais plutôt le soir du premier jour de cette ère nouvelle, à Jérusalem «où les disciples étaient réunis» comme communauté. La question « Où est le Seigneur ? » laisse place maintenant à la question qui domine la deuxième moitié du récit de résurrection johannique: «Comment peut-on faire l’expérience du Seigneur ressuscité?» La première scène de cette deuxième partie (v. 19-23), la venue de Jésus à la communauté, est la pièce maîtresse du récit de résurrection johannique. En dépit des portes verrouillées, Jésus se dresse au beau milieu de la communauté. Derrière le grec ’ ’ `  (littéralement : Jésus « se tint au milieu » de la communauté) se profile le verbe araméen pour « se lever », qui peut faire allusion au fait de se dresser physiquement ou au fait de ressusciter d’entre les morts. Comme il avait promis dans son premier acte public dans le Temple de Jérusalem, Jésus, le troisième jour, élève le nouveau temple de son corps au milieu de la communauté. Dans le Temple, les adversaires de Jésus l’avaient mis au défi : « Quel signe nous montres-tu [...] ? Jésus leur répondit : «Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai.» [...] Mais lui parlait du temple de son corps . Aussi, quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela, et ils crurent à l’Écriture et à la parole qu’il avait dite. » (Jn 2,18-22)

La scène se déploie alors en deux actions, toutes deux inaugurées par le « Paix à vous » de Jésus, réalisant sa promesse de leur donner, à son retour, une paix que le monde ne peut pas donner (voir 14,27 ; 16,33). Le caractère de la première action est indiqué par le verbe ´ (« montrer » ou « manifester »), terme johannique dénotant la révélation. Jésus leur montre ses mains et son côté, c’est-à-dire leur révèle le sens pour eux de sa glorification et ils se réjouissent de cette révélation que le Seigneur luimême est effectivement au milieu d’eux, glorifié mais toujours marqué par les signes de son mystère pascal. Son « soi corporel » est à la fois en continuité et en discontinuité avec celui qu’ils avaient connu, Jésus, qui avait promis que son départ constituerait une nouvelle venue vers eux30 (14,28). La deuxième action, suivant le don répété de la paix, est un mandat confié à ce nouveau Peuple, de même que Dieu avait mandaté Jésus. Il souffle sur eux et dit : « Recevez l’Esprit saint ». Le verbe « souffler » (’ ) est un hapax legomenon présent seulement ici dans tout le Nouveau Testament. On ne le retrouve que deux fois31 dans l’Ancien Testament : en Gn 2,7, quand Dieu, lors de la première création, insuffle la vie à la créature terrestre qui devient le premier être humain vivant, et en Ez 37,9-10, quand le prophète au nom de Dieu insuffle la vie aux ossements desséchés pour recréer, relever des morts, le peuple d’Israël. Dans cette scène de Pâques, ce « souffle » apparaît pour la troisième fois dans la Bible, lorsque Jésus insuffle l’Esprit promis de la Nouvelle Alliance dans la communauté des disciples, les créant ainsi en tant que Nouvel Israël.

https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2007-v15-n2-theologi1989/017777ar.pdf
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MessageSujet: Re: aurore   aurore - Page 5 Icon_minitimeMar 02 Avr 2024, 14:11

J'aurais beaucoup de réserves sur l'ensemble de cet article, mais elles nous éloigneraient, sinon du "sujet" qui est on ne peut plus vague et divers -- fluctuant déjà du solstice à l'équinoxe -- du moins de l'intention plutôt "méditative" de ce fil...

Disons quand même que les mots (a fortiori les concepts) que l'auteur(e) place au centre de sa thèse, "corps" (sôma) et "signe" (sèmeion, 2,11 etc., qui s'éloigne du sèma classique et de son jeu habituel dans l'hellénisme avec sôma, sèma étant aussi le tombeau, d'où le corps tombeau ou prison de l'âme) ne se trouvent précisément pas dans le récit de Jean 20, hormis sèmeia (pluriel de sèmeion) dans la (première ou avant-dernière) conclusion générale (v. 30), première et dernière occurrence depuis la (première ?) conclusion (partielle ?) de 12,37 -- sôma n'apparaissant dans tout l'évangile que dans le commentaire du narrateur en 2,21 et, au sens exclusif de cadavre, en 19,31.38.40; 20,12. Introduire la métonymie paulinienne (deutéro-paulinienne, etc.) et myst(ér)ique du "corps" (mort et vivant, individuel et communautaire) dans l'interprétation du quatrième évangile, c'est de la théologie "dogmatique" ou "biblique" (harmonisante), ce n'est plus de l'exégèse. Outre que l'opposition du "corporel" au "physique" (à ne pas confondre avec "psychique": phusis, phusikos, la "nature" dans une analogie végétale, n'est pas psukhè, psukhikos, l'"âme-vie" de type "animal") n'est même pas paulinienne.

Quoi qu'il en soit, le commentaire de Jean 20 relève plusieurs détails utiles. Si l'on veut jouer le parallèle avec le récit de l'Eden, à cause du "jardin", on pourrait aussi remarquer que dans celui-là c'est Yahvé-dieu qui cherche l"homme" (où es-tu ?), comme Marie cherche Jésus. Au plan verbal et formel, le verbe "toucher" (haptomai) n'est pas repris dans l'épisode de Thomas, bien que la symétrie fonctionne au plan narratif (interdiction et prescription du même geste; en revanche la Septante utilise bien haptomai dans la version féminine de l'interdiction, en Genèse 3,3).
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