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 le nu échappé

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Narkissos

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MessageSujet: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeVen 03 Avr 2015, 20:05

Alors tous l'abandonnèrent et prirent la fuite. Un jeune homme le suivait (ou l'accompagnait), vêtu d'un drap seulement (litt. à nu). On l'arrête, mais lui, lâchant le drap, s'enfuit tout nu.
[...]
Il y avait aussi des femmes qui regardaient de loin. Parmi elles, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques le Mineur et de José, et Salomé, qui le suivaient et le servaient lorsqu'il était en Galilée, et beaucoup d'autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem.
Le soir était déjà là, et comme c'était le jour de la Préparation — la veille du sabbat — Joseph d'Arimathée, un membre honoré du conseil, qui attendait lui aussi le règne de Dieu, arriva. Il osa se rendre chez Pilate pour demander le corps de Jésus. Etonné qu'il soit déjà mort, Pilate fit appeler le centurion et lui demanda s'il était mort depuis longtemps. Renseigné par le centurion, il donna le cadavre à Joseph. Celui-ci acheta un drap, descendit le corps de la croix, l'enveloppa avec le drap et le mit dans un tombeau taillé dans le roc, puis il roula une pierre contre l'entrée du tombeau. Marie-Madeleine et Marie, mère de José, regardaient où on l'avait mis.
Lorsque le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates, pour venir l'embaumer. Le premier jour de la semaine, elles viennent au tombeau de bon matin, au lever du soleil. Elles disaient entre elles : Qui roulera pour nous la pierre de l'entrée du tombeau ? Levant les yeux, elles voient que la pierre, qui était très grande, a été roulée.
En entrant dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d'une robe blanche ; elles furent effrayées. Il leur dit : Ne vous effrayez pas ; vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié ; il s'est réveillé, il n'est pas ici ; voici le lieu où on l'avait mis. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée : c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.
Elles sortirent du tombeau et s'enfuirent tremblantes et stupéfaites. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.


Autres éléments discrètement étonnants de l'Evangile selon Marc (14,50ss; 15,40ss), que ce jeune homme et ce drap qui encadrent symétriquement le corps du récit de la Passion, l'entourant et le contournant pour ainsi dire; le jeune homme disparaissant nu au moment où Jésus est arrêté, ne laissant que son drap, deux fois nommé; puis, Jésus prématurément mort, revient le drap, encore deux fois nommé, pour recouvrir son corps, et finalement le jeune homme, vêtu cette fois, dans le tombeau vide. Le lecteur remarque à peine ce jeu d'escamotage, le lecteur "rationnel" en écarte aussitôt toute "signification" en se disant qu'il ne s'agit certainement ni du "même" jeune homme ni du "même" drap (pas d'autre "jeune homme" ni d'autre "drap" pourtant dans tout le reste de l'évangile). Quelque chose cependant se donne ici à voir et à méditer dans cette récurrence, qui défie sans doute toute "explication" mais n'en est pas moins remarquable (vous avez dit "parabole" ?).

(Vérification faite, ce texte a déjà été -- un peu -- discuté ici: https://etrechretien.1fr1.net/t301-ce-que-je-retiens-de-marc )

(En attendant une éventuelle suite, une méditation de "Samedi-Saint", le jour du s[h]abbat où, même dans les évangiles, il ne se passe rien: http://oudenologia.over-blog.com/article-article-sans-titre-103004260.html -- le titre étant tiré de ceci: https://www.youtube.com/watch?v=oN_pooWIheA -- cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Christ_lag_in_Todesbanden_(Bach) )
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMar 07 Avr 2015, 17:37

Citation :
 finalement le jeune homme, vêtu cette fois, dans le tombeau vide

Je (re)découvre que "ce" jeune homme vêtu d'une robe blanche était assis à droite dans le tombeau vide ... Mystérieux !

Le drap blanc rappelle la transfiguration :

"Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il les conduit seuls à l'écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux : ses vêtements devinrent resplendissants, d'une blancheur telle qu'il n'est pas de teinturier sur terre qui puisse blanchir ainsi" (9,2-3)
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMar 07 Avr 2015, 19:10

Le "jeune homme" de Marc 16 deviendra "ange du Seigneur", assis sur la pierre à l'extérieur de la tombe, et plus blanc que blanc (d'une lessive surnaturelle, textuellement ou peu s'en faut) dans Matthieu 28; "deux hommes" en blanc étincelant dans Luc 24; "deux anges" en blanc dans Jean 20. Celui du chapitre 14, en revanche, n'est que chez Marc.

free a écrit:
Le drap blanc rappelle la transfiguration

La robe blanche surtout. Le drap n'est blanc qu'implicitement... :)

C'est une folle surabondance de signes qui caractérise la rédaction évangélique en général et celle de Marc en particulier, et qui lui vient sans doute en grande partie de la luxuriance de la "tradition" de toute sorte (légendaire, symbolique, charismatique) en amont. Il y a beaucoup trop de "signes" pour un seul "sens" narratif, nécessairement linéaire, trop de "pistes" entrouvertes et entrevues à droite et à gauche que le narrateur pressé (la "hâte" est un autre trait marcien, cf. tous les "aussitôt", "immédiatement") laisse ostensiblement de côté faute de pouvoir les suivre toutes. D'où cette impression de marche forcée à travers une forêt obscure et bruissante, où l'on devine bien d'autres chemins possibles, mais où l'on ne peut guère en fait s'écarter sans se perdre; car le récit a tracé son chemin qui est tout notre texte, et ce qu'il y avait autour ne nous est plus directement accessible.

Cela dit, la difficulté narrative et explicative se résout au niveau du "sens" myst(ér)ique, théologique, christ(olog)ique, si tant est que tous les "signes" explicitement développés (baptême, transfiguration, tombeau vide p. ex.) disent, au fond, la même chose, que l'on peut dès lors lire aussi dans ceux qui ne sont qu'ébauchés (miracles, paraboles, et anecdotes comme celle-ci).
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMer 08 Avr 2015, 20:44

Je dois reconnaitre que cette partie du récit de Marc me dépasse complètement. De plus j'ai peur de ne pas comprendre ce que tu déclares, Narkissos:

Cela dit, la difficulté narrative et explicative se résout au niveau du "sens" myst(ér)ique, théologique, christ(olog)ique, si tant est que tous les "signes" explicitement développés (baptême, transfiguration, tombeau vide p. ex.) disent, au fond, la même chose, que l'on peut dès lors lire aussi dans ceux qui ne sont qu'ébauchés (miracles, paraboles, et anecdotes comme celle-ci).
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMer 08 Avr 2015, 23:34

Je m'explique (un peu): le "message" on ne peut plus solennel des scènes du baptême et de la transfiguration est explicitement et rigoureusement le même, puisque la voix céleste y dit deux fois la même chose, à la deuxième puis à la troisième personne:
- "Tu es mon Fils, le bien-aimé, c'est en toi que j'ai pris plaisir." (Marc 1,15)
- "Celui-ci est mon Fils, le bien-aimé, écoutez-le." (9,7).
Cette reprise ne peut manquer d'attirer l'attention du lecteur le plus distrait sur le fait que la question "centrale" de l'évangile, sa seule question peut-être, maintes fois répétée sous diverses formes (emblématiquement "Qui est-il, celui-là ?", 4,41; cf. 1,7.22.24.27; 2,7.10; 6,2; 8,27ss; 11,28ss), porte sur l'identité, la qualité ou l'autorité de "Jésus". C'est cette question qui trouve une réponse, toujours la même aussi sous différentes formes (p. ex. le Christ / le Fils de Dieu), dès l'introduction (1,1), dans les "voix célestes" précitées, dans les "confessions" des "esprits impurs" (1,24; 3,11; 5,7), de Pierre (8,29), de Jésus lui-même devant le sanhédrin (14,61s) et du centurion à sa mort (15,39). L'annonce de la résurrection au chapitre 16, qui reste à l'état d'annonce dans le texte tel qu'il nous est parvenu (celui-ci s'arrêtant brutalement au v. 8, sans "apparition" du ressuscité), ne fait que confirmer cet unique message puisqu'elle renvoie aux annonces également répétées de la Passion et de la résurrection du "Fils de l'homme", autre désignation de l'"identité secrète de Jésus" (8,31; 9,9.12.31; 10,33.45; 14,41.62): la résurrection montre, de façon spectaculaire quoique toute négative puisqu'il n'y a littéralement "rien à voir", qui était ou ce qu'était "Jésus". C'est pourquoi il me semble que l'évangile n'a au fond qu'une seule chose à dire, explicitement ou implicitement: et quand les paraboles parlent de "mystère" ou de "règne de Dieu", elles ne disent pas autre chose que ce qui se joue en "Jésus" -- si ce n'est que ce qui se joue là est plus profond et plus obscur qu'il n'y paraît dans une question et une réponse toutes faites sur son "identité". Je suggère donc que le petit jeu verbal que j'ai tenté de mettre en évidence ci-dessus fait encore à sa manière (assurément énigmatique au premier degré de la narration) la même chose. Le "jeune homme" qui s'échappe nu quand "Jésus" est pris et qui apparaît vêtu quand "Jésus" a disparu pour (nous) dire ce qui est advenu de "Jésus" fonctionne comme une sorte de "double" de "Jésus", qui n'a pas d'autre intérêt que d'attirer à nouveau notre attention sur "Jésus" et son insaisissable "identité".

Pour prendre le même sujet (puisqu'il n'y en a pas d'autre) par un autre bout: Jésus meurt et Jésus ne meurt pas. Cette proposition formellement contradictoire, c'est ce qu'exprime la narration "orthodoxe", suivant le modèle dominant de Luc-Actes, dans la séquence narrative et chronologique crucifixion-résurrection-apparitions-ascension; mais cela s'est aussi énoncé autrement dans le christianisme primitif. Par exemple par une "élévation" directement identifiée à la mort, ou spécifiquement à la crucifixion, chez Jean ou dans l'épître aux Hébreux. Et aussi par divers modes de dissociation/substitution. P. ex. "Jésus" meurt et "l'Esprit" ou "le Christ" ne meurt pas, chez Cérinthe selon Irénée, cf. dans le récit de Marc le cri d'abandon; le "roi des Juifs" meurt et le "Fils du Père" ne meurt pas, cf. (Jésus) Barabbas; un autre prend la place de Jésus, Simon de Cyrène chez Basilide, toujours selon Irénée, ou Judas-Thomas-Didyme-le Jumeau selon d'autres gnostiques (ce dont on trouverait un écho jusque dans le Coran). Au degré zéro de la narration, toutes ces variantes sont incompatibles entre elles: celui qui veut avoir une histoire linéaire et cohérente à raconter doit choisir (c'est ce qu'il doit faire de toute façon même s'il se cantonne à la lecture la plus superficielle des quatre évangiles canoniques). Avec un peu de recul, elles disent pourtant toutes la même chose: Jésus meurt et Jésus ne meurt pas.
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMar 14 Avr 2015, 11:03

Citation :
Jésus meurt et Jésus ne meurt pas

On peut donc imaginer que Jésus n'a pas été arrété mais qu'il a fui sous les traits du  jeune homme vêtu d'un drap et que c'est ce jeune homme qui a été crucifié.
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMar 14 Avr 2015, 12:41

@ free: si je crois bien deviner ici, sous toutes réserves vu le caractère allusif et (c'est le cas de le dire) évasif du passage, un motif de dissociation (comme pour Barabbas d'ailleurs), je n'y vois pas de motif de substitution (contrairement au cas de Simon de Cyrène, qui à un certain point du récit et pas n'importe lequel, celui où apparaît la croix, prend la place de Jésus -- substitution d'ailleurs ostensiblement rejetée par le quatrième évangile, où Jésus "porte lui-même sa croix"): chez Marc le jeune homme au drap ne prend pas la place de Jésus, il la quitte au contraire pour échapper à l'arrestation (saisie, main-mise), au jugement, à la souffrance, au ridicule et à la mort (laissant là le "drap" qui reviendra, comme signifiant du moins, envelopper le "corps" objet de la Passion); il contourne tout cela pour réapparaître là où la et le mort n'est plus. Le fait (textuel) qu'il échappe nu me semble aussi aller dans ce sens, à cause de la symbolique de la nudité qui caractérise, 1°) dans une "eschatologie" passablement répandue, l'état dit "intermédiaire" de l'"âme" ou de l'"esprit" privé ou dépouillé de corps-vêtement, entre la mort et la résurrection corporelles (cf. 1 Corinthiens 15; 2 Corinthiens 5) et, 2°) dans un "gnosticisme" tout aussi répandu qui recoupe en partie la conception précédente, le salut même du "spirituel" qui échappe à la corporalité et à la dualité (notamment sexuelle, voir l'évangile selon Thomas). D'une façon ou d'une autre, le "jeune homme" de Marc serait tout entier du côté de la "vie" insaisissable, alors que le "Jésus" restant, dans la ligne principale du récit (c.-à-d. si l'on ne suit pas la "déviation" par Simon de Cyrène, que le rédacteur se contente d'évoquer à son embranchement pour ainsi dire, sans suivre jusqu'au bout la piste de la "substitution"; il laisse quand même planer le doute assez longtemps, puisque le sujet "Jésus" ne réapparaît pas explicitement dans le texte grec avant le v. 34 ou même 37, selon les manuscrits), est livré, saisi, jugé, battu, crucifié, en un mot abandonné de son "Dieu" (ou: de sa "force" ou "puissance", selon une autre tradition ou interprétation dont témoigne l'Evangile de Pierre, v. 19) comme le dit son ultime cri.

Là encore, j'insiste sur le fait que ce schème de dissociation n'est au fond pas propre à telle ou telle christologie particulière (disons "hérétique"): aucune christologie, même "orthodoxe", ne peut se passer de distinguer, en Jésus, quelque chose comme le "divin" et l'"humain", le "spirituel" et le "charnel", l'"immortel" et le "mortel", l'"incréé" et le "créé", l'"impassible" et le "passible". Seulement cette nécessité qui s'exprimera dans l'orthodoxie des IVe et Ve siècles sous une forme "philosophique" analytique et/ou descriptive (distinction des "hypostases" divines du Père et du Fils et union hypostatique de deux "natures", divine et humaine, dans ce dernier) a trouvé auparavant beaucoup d'autres expressions narratives, concurrentes au degré zéro de la lecture, dont les textes du NT comme les débats ultérieurs de l'Eglise ancienne portent les traces (traces qui appellent, certes, une interprétation, hasardeuse et discutable comme l'est à divers degrés celle de n'importe quelle trace).
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeDim 26 Nov 2023, 14:41

J'ai repensé, Dieu sait (peut-être) pourquoi, à ce fil, et en le relisant je constate qu'on a omis d'y rapporter la nudité du personnage périphérique (en plus d'un sens, puisqu'il contourne pour ainsi dire la crucifixion en disparaissant nu avant pour reparaître vêtu après) à celle du personnage central: le crucifié lui aussi est nu, c'est au moins implicite dans les récits évangéliques, à commencer par Marc (15,24), quoique camouflé par la quasi-totalité des représentations graphiques et plastiques (la fameuse "culotte", ou pagne, qui ne s'appuie sur aucun texte mais arrange autant les artistes que les commanditaires et les spectateurs). La nudité est d'ailleurs un aspect essentiel du caractère dégradant de la crucifixion dans la société romaine, que l'on a souvent mis en évidence (supplice des esclaves, etc.), et elle reste au coeur du "mystère" chrétien qui exprime souvent le passage de la mort à la vie en termes de (dé-/re-)vêtement, notamment autour du baptême (sans doute également pratiqué nu à l'origine): (se) dévêtir ou (se) dépouiller / revêtir (p. ex. l'homme ancien / l'homme nouveau dans les deutéro-pauliniennes, mais aussi dans le quatrième évangile "l'âme-vie" déposée et reprise comme le vêtement). La nudité, comme la mort, c'est le passage nécessaire (cf. déjà 1 Corinthiens 15, avec la métaphore végétale du grain nu, ou 2 Corinthiens 5, où l'on glisse de l'habit à l'habitat, tente précaire ou demeure permanente, mais en passant là aussi par le nu). Cela est sans doute plus significatif dans une culture ou dans un milieu (pauvre) où l'on enterre habituellement les morts nus, ou dans un drap. Passage par la faiblesse, la vulnérabilité, la pauvreté (dénuement), la honte, selon toutes les connotations de la nudité.
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeLun 27 Nov 2023, 10:57

La difficile nudité du Christ

Les artistes chrétiens, en règle général, hésitent à représenter le Christ nu. Réflexe de pudeur ? Hésitation de croyant ? Pourtant leur foi ancrée dans l’incarnation du Dieu fait homme ne les empêche nullement.

Un constat

Je n’ai pratiquement jamais vu dans nos églises un crucifix présentant le Christ nu sur la croix. Je pense que beaucoup parmi vous me rejoindront dans ce constat. C’est interpellant. Pourquoi ces images, certes très rares, se trouvent plutôt en dehors de nos lieux de culte ?  Force est de constater que les représentations du Christ sur la croix où son sexe n’est pas couvert par un voile ont été souvent sujet de controverse. Il est surprenant der constater  que les images du Christ enfant entièrement nu dont le sexe est souvent apparent semblent être reçues avec plus de « sérénité ». Les théologiens, au long des siècles, ont avancé des arguments pour expliquer le sens de la nudité du Christ. A certaines époques, ils été empruntés par une interprétation fortement moralisante. La représentation explicite du sexe était associée sans  plus à la notion de « désordre », de péché, à quelque chose de fondamentalement dangereux, laid, « défigurant » l’être humain.

Deux données objectives

Au-delà des interprétations moralisantes que l’on a pu donner à la nudité  – ce ne sera pas la perspective de ma réflexion -, arrêtons-nous sur quelques éléments objectifs qui concernent pleinement la personne du Christ.

La crucifixion

le nu échappé Christ
Crucifix de Philippo Brunellesci, entre 1410-1415

A l’époque de Jésus, la crucifixion était un supplice courante utilisé par les Romains pour mettre à mort un condamné. Chez les Juifs, la crucifixion était ressentier comme une malédiction divine (Dt 21, 23). Après avoir été torturé, on déshabillait le condamné pour le clouer (parfois on utilisait des cordes) sur la croix. La victime mourrait d’étouffement, mais l’instant de la mort pouvait tarder plusieurs jours. On pourrait se demander pourquoi Jésus aurait été traité différemment des autres condamnés, pourquoi on aurait pris soin de couvrir son sexe. Parce qu’il était Dieu ? Combien de personnes, même parmi ses disciples, auraient eu l’idée de faire ce geste ? Il est fort probable que la plupart des personnes témoins de cette crucifixion n’étaient pas en mesure de reconnaître Jésus comme étant Dieu…

En quoi alors la nudité du Christ en croix pourrait être dérangeante ?

En général, la vision d’un corps nu (réel ou imagé) laisse rarement nos émotions, notre esprit et notre intelligence indifférents. D’une manière immédiate, cette vision nous met en face de nos propres interprétations de la nudité, élaborées à partir de l’expérience personnelle et fondamentalement à connotation éthique ou morale.

Concernant les images religieuses, et plus particulièrement la représentation du Christ nu sur la croix, il est important de se demander quelle est l’intention qui se cache derrière ce type d’image. Dans un travail doctoral consacré à la nudité sacrée pendant la Renaissance[2], j’ai trouvé des réflexions éclairantes,  même si la période qui était sujet d’étude restait limitée aux XV et XVI siècles.

Lors de la Renaissance « la redécouverte de l’Antiquité, l’intérêt pour la pure beauté plastique, amènent les artistes à valoriser le nu pour lui-même »[3], ce qui va provoquer un changement dans la manière de dire le message religieux à travers la nudité, sujet central pour la théologique chrétienne mais aussi pour la tradition artistique en Occident. Une certaine manière de représenter le nu sera considérée par l’Eglise de l’époque comme étant provocante et lascive. La nudité du Christ n’y échappera pas, et la censure fera son œuvre.

Il me semble que les enjeux soulevés par ce « nouveau regard » sur la « nudité sacrée » restent toujours d’actualité. Au moment de la Renaissance, la représentation du nu est perçue par l’Eglise comme une menace pour la méditation spirituelle, puisque l’attention du spectateur est portée vers l’image du corps nu, souvent imprégnée de sensualité. Le nu est alors au centre d’une grande ambiguïté : est-il au service d’un message religieux, de l’attrait sensuel ou de la pure beauté plastique ?

La chair sacralisée

Certaines images présentant la nudité du Christ ont eu une fonction éminemment dévotionnelle : il s’agit alors de représenter un Christ très beau, alliant féminité et virilité, beauté sensuelle et message religieux, qui amène le fidèle à « l’élévation spirituelle » tout en agissant sur sa dimension affective et sa piété. La nudité restait, dans ces cas, liée au contenu spirituel de l’image. Mais il y a encore d’autres fins : certains artistes de l’époque (par exemple, Parmigianino, (1503-1540) ont représenté des figures féminines très érotisées, y compris celle de la Vierge Marie. « Ainsi révélée dans la nudité gracieuse et parfaite de la Vierge Marie, la chair, loin d’être honteuse ou pécheresse (…) se trouve en quelque sorte sacralisée. »[4] En l’inscrivant dans l’histoire du salut, pour ces artistes le nu devient sacré.

https://www.revue-sources.org/difficile-nudite-christ/index.html
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeLun 27 Nov 2023, 12:08

L'exception (relative) de la Renaissance est en effet remarquable, où le christianisme occidental renouant avec l'Antiquité a atteint un sommet d'intelligence et d'art, juste avant de se déchirer et d'exploser dans les Réformes, puis les Lumières... on trouverait sans doute aussi nombre d'exemples modernes, mais ils échapperaient comme le reste (des arts et des sciences) au domaine du "sacré", sinon sous la forme paradoxale du "sacrilège"... Quant à l'exception arienne qu'évoque aussi l'article, je ne suis pas sûr que la christologie théorique y change grand-chose: même si elle est assez éloignée de l'arianisme historique, la doctrine jéhoviste, par exemple, n'a pas abouti à une représentation plus audacieuse (la croix devient poteau mais la "culotte" y est toujours). Un "geste" des "disciples" est au moins exclu par l'évangile de Marc, où aucun "disciple" n'assiste à la crucifixion, seules les femmes regardant de loin (15,40).

La nudité du crucifié, jusque dans sa représentation, ramène au corps, à la chair, et aussi à l'animal -- on ne dit pas "le Verbe est devenu mammifère", mais c'est aussi bien ce qu'on pourrait se dire devant un crucifix avec ou sans culotte. Le protestantisme en vidant généralement la croix de son occupant (sous prétexte de résurrection) tend à la réduire au signe, à l'abstraction, à l'idée de "la mort" sans mourant ni cadavre.


Dernière édition par Narkissos le Lun 27 Nov 2023, 12:37, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeLun 27 Nov 2023, 12:37

« Nudité », par le théologien protestant Élian Cuvillier

Le drap devenu linceul

Mais, il me plait d’imaginer que le drap du jeune homme n’est pas perdu pour tout le monde. Ce drap a servi pour autre chose. Nous le retrouvons en effet pour envelopper le corps de Jésus (15,46). C’est en effet le même terme (sindôn en grec) qui est utilisé ici — seule autre fois dans l’évangile. Il y a bel et bien deux seules mentions d’un drap dans tout l’évangile de Marc : celui du jeune homme, laissé entre les mains des soldats, et celui acheté par Joseph d’Arimathée pour envelopper le corps de Jésus, pour cacher, justement, sa nudité. Car Jésus, ne l’oublions pas, a été crucifié nu, après qu’aient été partagés ses vêtements (15,24). Crucifié nu c’est-à-dire crucifié dans la vérité de ce qu’il était, sans masque (de protection !) et sans fard, la vérité  « toute nue », celle du Dieu mort, du Dieu crucifié. Mais avec le drap, voilà que l’on se dépêche, pudiquement et religieusement, de le recouvrir. De lui redonner une dignité, de le rendre respectable, regardable, acceptable, vénérable même.

Oui, il me plait d’imaginer que Joseph d’Arimathie a racheté aux soldats le drap du jeune homme. Qu’il a payé de ses deniers les certitudes abandonnées d’un autre, qu’il a récupéré ses restes et a ainsi permis que se perpétue, dans l’histoire, l’illusion que, devant le Dieu crucifié, nous pouvons être maître de quelque chose, que nous pouvons ne pas être totalement déstabilisés devant cette mort étrange et scandaleuse. Avec un corps à posséder, à embaumer, il a permis que nous puissions croire possible d’aller jusqu’au bout sans nous dévêtir totalement de nos sécurités humaines, toujours drapés de quelques certitudes (religieuse, philosophique, morale, agnostique, scientifique…). Des certitudes au moyen desquelles nous allons pouvoir donner un sens « acceptable » à ce corps mort, en l’enveloppant dans un drap désormais devenu « Saint Suaire ».

Le jeune homme est ailleurs

Dans notre quête de certitudes, le jeune homme nu, lui, n’est plus là pour nous accompagner. Dans notre tentative de récupération du corps mort de Jésus, le  » jeune homme nu » nous laisse seuls. Il n’est plus à nos côtés… Mais il n’a pas pour autant disparu. Il est simplement ailleurs. Non pas au dehors de la tombe, comme les femmes, mais au dedans, au plus profond de la sombre caverne, au plus profond de la mort. Et de cette mort il est ressorti pour « s’asseoir à droite » (16,5) tel le « jeune homme »  (seul autre emploi du terme neaniskon dans l’évangile de Marc) dans le tombeau au matin de Pâques.

Mais à droite de quoi ? D’une place vide. Il est là pour constater l’absence du corps et l’absence du drap qui enveloppait le corps et qui l’emprisonnait. Mais lui, le jeune homme, il est assis, revêtu d’un vêtement blanc, ce vêtement que recevait le nouveau baptisé au sortir de l’eau. Cette eau où il était entré nu, pour signifier que plongé dans la mort avec le crucifié, il en est ressorti revêtu de la vie nouvelle du Ressuscité. Revêtu d’une nouvelle identité, celle d’enfant de Dieu. Le voici alors qu’il se met à parler (lui silencieux jusque-là) : « Le crucifié n’est pas ici… Il vous précède en Galilée ».

Passé de la mort à la vie

Ce n’est pas ici qu’il faut venir le chercher. Ce n’est pas ici qu’Il nous attend. Ce n’est plus dans le drap de nos certitudes, fussent-elles des certitudes éplorées comme celle des femmes. La mort par laquelle il est passé n’est pas un semblant de mort. Le Dieu nu et crucifié, le Dieu nu comme le jeune homme, ce Dieu est ressuscité. Il est passé de la mort à la vie. Il a traversé et il nous attend de l’autre côté de la vie… Mais l’autre côté n’est pas là où nous l’imaginons. L’autre côté n’est pas au ciel, l’autre côté est du côté de notre vie quotidienne, de nos Galilées à nous où il nous précède. Serait-ce alors qu’il s’agit de recommencer comme avant… avant le confinement ? Non car, si nous avons suivi le jeune homme, c’est nu que nous sommes passés par la croix, vidés de nos vêtements de scène, ceux avec lesquels nous donnons le change. Ceux avec lesquels nous justifions de notre existence devant les autres. Nus, déshabillés de ces vêtements de scène et revêtus d’un vêtement nouveau, celui de la résurrection qui nous fera prendre les routes humaines d’une nouvelle manière : simplement accompagnés et aimés pour ce que nous sommes.

Nous voilà donc, en cette Semaine sainte, dans de « beaux draps », ceux avec lesquels nous sommes venus, plus ou moins récents, plus ou moins acceptables pour les autres, mais qui nous permettent d’exister devant eux. Les « draps  » dans lesquels nous sommes entrés en confinement. Bientôt, espérons-le, nous allons pouvoir nous enfuir, je veux dire sortir de ce confinement. Mais, comment allons-nous nous sortir ? Supporterons-nous la vision du Dieu nu, crucifié, vidé des images que nous en avons ? Ou partirons-nous tout habillé encore de nos certitudes et de nos protections ? Quel Joseph d’Arimathée sera là pour nous acheter un drap et rhabiller pour nous le Christ que nous pourrons alors venir embaumer selon nos convictions personnelles. Et au matin de Pâques, serons-nous les disciples loin du tombeau, les femmes à la recherche du corps ?  ou le jeune homme revêtu de blanc, témoin que la vie a fait son chemin, non pas à côté de la mort, non pas en niant la mort, non pas en la cachant, mais que la vie a fait son chemin en traversant la mort, en passant par la mort ?

Au cœur même de nos confinements, du fond du tombeau, le « jeune homme nu » nous dit : Il n’est pas ici. Il est au plus profond de ce qui fait votre humanité et vos failles. Au matin de cette Pâque si particulière de l’an de grâce 2020, c’est là que vous le verrez, c’est là qu’il faudra aller le chercher. Il vous y attend. Mais il faut pour cela laisser votre vêtement de scène. Il faut se laisser dépouiller, mettre à nu.

https://www.reforme.net/reflexions-crise-du-coronavirus/2020/04/08/nudite-par-le-theologien-protestant-elian-cuvillier/
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeLun 27 Nov 2023, 13:04

Belle méditation (le confinement mène à tout !) -- quoique le supplément d'invention narrative au premier degré (l'aventure imaginaire du jeune homme et du drap référents réels, ou même fictionnels) me paraisse superflu: le texte joue des signifiants (les mots "drap", "jeune homme") et cela lui suffit.

(J'ai ajouté un petit paragraphe à mon post précédent pendant que tu envoyais le tien.)

L'idéal résiduel de la "vérité nue" -- comme si "le vrai" était ce qui reste quand on a tout enlevé, vêtements, masques, parures, apparence; l'irréductible, l'incompressible -- peut aussi déboucher sur "rien" (le tombeau vide, ou déjà l'imparfait du centurion: "cet homme était fils de dieu") -- c'est sa tendance "nihiliste" et "ascétique" (avec ou sans Nietzsche); d'où l'on peut se rappeler (avec ou sans Heidegger) que la vérité c'est aussi l'a-lètheia, ce qui sort de l'oubli, de la latence ou de l'inapparent pour paraître, inséparablement apparition et apparence, y compris trompeuse, vêtement et parure, en un mot phénomène. Double mouvement du re-nouvellement où la nudité, comme la mort, est passage -- "obligé" peut-être, mais seulement passage, d'une apparence et d'une illusion à l'autre.
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeLun 27 Nov 2023, 13:54

Heureux ceux qui sont nus
Petite éthique du vêtir et du dénuder
Corina Combet-Galland

Une éthique de la nudité ?

Les Béatitudes préludent à l’enseignement de Jésus, elles osent entonner le bonheur sur le seuil du premier des cinq discours qui jalonnent la narration évangélique selon Matthieu. Sobres et fortes d’une perspective que la mort n’arrête pas, elles ouvrent ce Pentateuque évangélique en laissant entendre son actualité vécue en la personne du Fils. Je fais l’hypothèse qu’elles déclarent le bonheur, fondamental et paradoxal, de ceux qui, en un mot, sont nus. Nus, démunis par le deuil, la pauvreté, la faim et la soif, la persécution. Nus, désarmés, dans la douceur, la pureté, la compassion, la paix.

Mais peut-on parler d’une éthique de la nudité ? Si l’Évangile invite de façon pressante à une identité filiale, et à la responsabilité qui en découle, son enjeu n’est-il pas fondamentalement celui d’une mise au monde, et ainsi d’une naissance ? Or, un homme qui naît est un homme nu. Comme ces tout-petits que l’hymne de jubilation de Jésus, décisif chez Matthieu, oppose aux sages et aux intelligents parce qu’ils sont justement nus de tout savoir acquis et, par là, destinataires élus de la révélation divine (11, 25-27). Ce sont eux que Jésus appelle à lui, tous ceux qui peinent, ployés sous les fardeaux de la vie ou des prescriptions qui en régissent la pratique (11, 28-30). Il leur promet alors le repos : non de déposer toute charge, mais se chargeant de son joug. Dans le judaïsme du temps de Jésus, le joug peut désigner la Loi sous laquelle se trace le sillon de vie, mais en ce tournant de la vie de Jésus, l’image ne commence-telle pas à suggérer aussi la croix ? Le maître qui noue à la louange un appel à le suivre et qui se révèle doux et humble de cœur, n’est-il pas lui-même l’homme des Béatitudes ?


Du poil de la bête à la blancheur divine

Du jardin à la ville

Un coup d’œil sur la Bible entière, entre Genèse et Apocalypse, permet de saisir l’aventure humaine comme le passage, inscrit sur le plan vestimentaire, de la peau animale à la blancheur d’une robe qui reflète l’altérité divine. Dans le mouvement des générations qui inclut la mort et la peine, la vie est protégée par Dieu, le vêtement le signifie : au sortir du jardin des origines, de ce temps premier sans histoire, Dieu revêt de pagnes de peau Adam, le cultivateur, et Ève, mère de tout vivant (Gn 3, 21). Il les distingue ainsi du végétal avec lequel ils se confondaient, s’étant couverts de feuilles et se dissimulant au milieu des arbres du jardin, confus de leur nudité lorsqu’ils l’ont découverte hors de la lumière de Dieu, sans gloire. Dieu est entré en dialogue, il a posé à l’humain la question première qui est celle de sa place, de son identité : « Où es-tu ? » (Gn 3, 9), bientôt suivie de la seconde, celle de sa responsabilité éthique : « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9.) Vêtu, protégé par Dieu, l’homme peut dès lors assumer sa responsabilité historique. À l’autre bout du voyage, dans l’Apocalypse, le visionnaire promet au vainqueur, à celui qui reste fidèle, un vêtement blanc, sans usure, assorti de la promesse que son nom ne sera pas effacé du livre de vie (3, 5).  L’entrée dans la cité céleste et l’accès à l’arbre de vie en son milieu s’ouvrent à ceux qui, émergeant de la grande épreuve, ont paradoxalement blanchi leur robe en la lavant dans le sang de l’Agneau immolé et désormais glorieux (22, 14). À l’origine et à la fin, la gloire de Dieu éclipse le nu et le vêtu, transcende peut-être l’opposition.

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2008-4-page-9.htm
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeLun 27 Nov 2023, 15:03

Encore un texte remarquable de Corina Combet-Galland, qui me semble décidément avoir trouvé un angle, une distance et un ton idéaux pour le commentaire biblique -- je constate d'ailleurs qu'elle avait consacré sa thèse au "jeune homme nu" de Marc. Sur 2 Corinthiens 5 en particulier cela fait merveille, là où les préoccupations dogmatiques sur l'"après-mort" font habituellement perdre de vue la dimension affective et optative (si seulement !) du texte. En tout cas l'ensemble de l'article mérite d'être lu très attentivement car c'est aussi profond que beau -- le risque du style lyrique étant précisément qu'on se laisse bercer par la musique en oubliant les paroles, qui sont ici très pensées.

On pourrait prolonger la méditation dans de nombreuses directions, par exemple le quasi-lapsus du prologue de Job (1,20s, note 4) sur la nudité commune à la naissance et à la mort, à la mère et à la terre, où sur les distinctions évangéliques en cascade de l'âme au corps et du corps au vêtement (Matthieu 6,25 // Luc 12,23), paradoxalement recyclés ou remis en boucle par la continuité de la métaphore ou de la métonymie du tissage (mise en valeur dans tout l'article), ou de la peau qui dans les lectures du récit de l'Eden est aussi bien corps que vêtement... Ici aussi l'intérieur et l'extérieur, le dedans et le dehors se renversent, réversibles, inside out. On peut en dire autant du "mortel englouti par la vie" en 2 Corinthiens 5, quand d'ordinaire c'est la mort qui engloutit (cf. déjà le renversement d'Isaïe 25, dont on a encore parlé récemment ici, 15.11.2023).
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeLun 27 Nov 2023, 16:45

La nudité entre culture, religion et société
quelques remarques à propos des Temps modernes
Régis Bertrand

La nudité du Christ, des martyrs et des ascètes

L’iconographie chrétienne est marquée par une présence de la nudité. Dès l’époque paléochrétienne puis romane existent des représentations d’Adam et Eve, de Daniel dans la fosse, de Jonas dénudés. Le Christ est représenté dénudé à trois moments essentiels de sa vie terrestre : la Nativité (encore que le XVIIe connaisse des Enfants-Jésus étroitement emmaillotés), le baptême, la Passion, de l’Ecce homo à la Pietà. On peut ajouter les représentations de la Résurrection30. Le corps des martyrs est aussi fréquemment plus ou moins dénudé. C’est le cas en particulier de saint Sébastien, représenté largement mis à nu et percé de flèches31.

La nudité du Christ crucifié constitue sans doute l’image de nu la plus connue de la population occidentale d’Ancien Régime, qu’il s’agisse des crucifix muraux ou de procession ou des croix de mission et aussi des crucifix et des estampes domestiques. Trois évangélistes sur quatre précisent que les soldats qui entouraient la croix se partagèrent ses vêtements. À Rome, les suppliciés étaient nus. Mais il est moins sûr qu’il en fût de même à Jérusalem, à cause de l’interdit frappant la vue des organes génitaux. D’où les Christs entièrement nus de la Renaissance italienne, liés à l’étude des rites antiques, mais qui sont aussi, selon L. Steinberg, une preuve de la « pleine humanité » du Christ. En fait, certains ont été revêtus dès l’époque d’une pièce de toile qui forme une sorte de pagne. Les sculpteurs ont aussi représenté le caleçon sacerdotal biblique. La plupart des Christs de crucifix portent cependant un voile qui semble soulevé par le vent. Il correspondrait à une révélation de la Vierge à Anselme de Canterbury : le Christ aurait été crucifié nu mais la Vierge aurait couvert ses hanches de son propre voile.

Une certaine nudité caractérise aussi la pauvreté volontaire et la pénitence des premières générations de saints chrétiens : saint Jérôme au désert ou Marie-Madeleine dans la grotte de la Sainte Baume ou saint Roch montrant son bubon pesteux peuvent être représentés à diverses époques dans un état de nudité relative. Pour ce qui est des martyrs et des pénitents, le père de Alaya, iconographe du XVIIIe siècle répète une opinion courante lorsqu’il écrit qu’il faut les représenter nus pour bien marquer leurs souffrances ; les pénitents au désert doivent être « non pas blancs mais grillés par le soleil ». Marie-Madeleine pose un problème beaucoup plus ardu, car il ne suffit pas pour expliquer les représentations dénudées de la sainte d’avancer qu’elles étaient destinées à la dévotion privée32.

Le fait de représenter la Vierge allaitant l’Enfant Jésus où même pressant son sein pour envoyer adroitement dans la bouche de saint Bernard en extase un jet de lait pourrait être lu en fonction des représentations sexuelles de l’époque : la femme enceinte ou qui allaite étant momentanément soustraite à l’activité sexuelle et l’allaitement maternel constituant l’image de la « mère idéale »33.

La nudité partielle du cadavre peint ou sculpté s’appuie sur une phrase du  Livre de Job 1, 20 : lorsqu’il apprend les malheurs qui fondent sur lui, « Job se leva, déchira son manteau et se rasa la tête. Puis il se jeta à terre, adora et dit : sorti nu du ventre de ma mère, nu j’y retournerai » (TOB). De fait les cadavres sont nus sous le suaire au Moyen Âge et encore à l’époque moderne, le cadavre habillé étant le fait du clergé et des catégories supérieures (et moyennes aux Temps modernes) de la société. Mais les cadavres ne semblent pas avoir été exposés en public nus mais bien revêtus du suaire. Danièle Alexandre-Bidon pense qu’un certain nombre de ces représentations de cadavres nus sont un rappel de la condition mortelle de l’homme. Le fait est net dans le cas de certaines danses macabres ou de ces corps dévorés par les vers que sont les transis des XVe-XVIe siècles34.

Lorsque le corps retourné à la poussière ressuscite, Michel Ange le peint nu dans le Jugement dernier de la Sixtine. Mais en 1541, lorsque l’ensemble est dévoilé, il suscite de fortes protestations. En 1559, Paul IV fait recouvrir les organes génitaux par Daniele de Volterra, surnommé dès lors il braghettone, le caleçonneur. En 1566, Pie V en fait encore effacer d’autres nudités. Dans les représentations de l’au-delà, les élus sont vêtus d’une tunique blanche, les réprouvés sont nus, comme d’ailleurs les démons. Un prédicateur affirme : « en enfer, vous serez toutes nues, à vostre grande honte et confusion, de quoy les diables feront de très grandes risées ». Les âmes en purgatoire, qui purgent une peine, sont également nues sur les tableaux. Apparemment, c’est une nudité d’humiliation indiquant que ce sont de « pauvres âmes »35.

https://journals.openedition.org/rivesnm/2283?lang=en#tocto2n7
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeLun 27 Nov 2023, 18:14

Merci (encore) pour cette étude instructive.

Du côté biblique, on peut préciser qu'il y a une certaine continuité vétérotestamentaire (et vestimentaire) du lexique du "pagne" ou de la "ceinture" (hgr en hébreu, aussi en contexte militaire, "ceindre" ses armes sur un vêtement ou une cuirasse, habituellement traduit par perizonnumi etc. en grec), de Genèse 3,7 à la danse festive et rituelle de David "ceint" d'un éphod et qui passe pour "nu" aux yeux de Mikal, en 2 Samuel 6 -- dans les deux cas c'est l'image d'un vêtement minimal, couvrant tout juste le sexe, à la limite de la nudité. Le second cas rappelle qu'il y a aussi un enthousiasme "rituel", "religieux", "spirituel", "mystique" ou "extatique" de la nudité, qu'on retrouve entre autres dans les textes "gnostiques", par exemple ceux de l'Evangile selon Thomas évoqués précédemment. Ainsi dans le logion 37:
Citation :
Quand vous vous dévêtirez sans en avoir honte et mettrez vos vêtements sous vos pieds comme de petits enfants pour les piétiner, alors vous verrez le fils du Vivant et vous n'aurez pas peur.

(Je constate rétrospectivement que nous n'avons pas du tout évoqué ici "l'Evangile secret de Marc", où le "jeune homme", rapproché d'après Matthieu 19 du "riche" -- pas forcément jeune -- de Marc 10, jouait le rôle central; c'est très probablement un faux -- cf. p. ex. ici -- mais qui avait un temps trouvé place parmi les Ecrits apocryphes chrétiens de la Pléiade... Cela illustre au moins que les figures marginales et énigmatiques des textes bibliques se prêtent autant à la mystification "scientifique" qu'à la méditation théologique ou "mystique".)
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMar 28 Nov 2023, 11:21

"Jésus leur dit : Vous êtes sortis pour vous emparer de moi avec des épées et des bâtons, comme si j'étais un bandit. Tous les jours j'étais parmi vous à enseigner dans le temple, et vous n'êtes pas venus m'arrêter. Mais c'est pour que les Ecritures soient accomplies. Alors tous l'abandonnèrent et prirent la fuite. Un jeune homme le suivait, vêtu seulement d'un drap. On l'arrête, mais lui, lâchant le drap, s'enfuit tout nu" (Marc 14,48-52).

"En entrant dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d'une robe blanche ; elles furent effrayées. Il leur dit : Ne vous effrayez pas ; vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié ; il s'est réveillé, il n'est pas ici ; voici le lieu où on l'avait mis. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée : c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit" (Marc 16,5-7).



Le jeune homme du v. 5, dont la robe blanche offre un écho à la Transfiguration, nous renvoie en contraste à celui de 14,51 abandonnant juste avant son pseudo-procès Jésus, l’absent tellement présent. Sa mention comme « le Nazarénien, le crucifié » convoque dans notre esprit, en deux qualifications, l’origine et le terme de son ministère. Ce faisant, voilà que se récapitule dans notre mémoire l’ensemble de son parcours entre sa venue au départ de Nazareth (1,9) et sa mort sur un gibet en Judée. On rappelle aussi le lieu où on l’avait posé il y a peu. Le corps, à tout le moins, n’est plus ici. Les femmes sont invitées à croire qu’il n’est plus non plus sans vie. En effet, la déclaration « Il fut réveillé » affirme comme accompli ce que Jésus avait annoncé à quatre reprises en parlant du Fils de l’Homme (8,31 ; 9,9 ; 9,31 ; 10,33), puis une fois encore en « je » (14,28), et l’assertion « Il vous précède en Galilée » énonce comme réalisé ce qu’il avait aussi promis en « je » trois jours plus tôt. La promesse « vous le verrez » renoue aussi avec ce que pouvait préfigurer la Transfiguration.

https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2010-3-page-368.htm



Essai sur l'arrière-plan pascal des récits de la dernière nuit de Jésus 
sem-link Christian Grappe

Parvenu à ce stade de notre étude, nous avons passé en revue la plu¬ part des indices qui nous semblent plaider en faveur de notre hypothèse. Nous voudrions cependant la préciser un peu en nous intéressant à un épisode qui a fait l'objet de nombreuses discussions 70 et dont l'interprétation nous semble fondamentale. Il s'agit de la fuite du jeune homme nu (Me 14,51-52).

De toutes les pistes de recherche qui ont été suggérées, la plus fructueuse nous paraît celle qui place l'anecdote en parallèle avec Me 15,46 et 16,5 71. Les correspondances verbales entre ces textes peuvent en effet intriguer 72 puisque le neaniskos, qui apparaît en 14,51-52 revêtu du même drap-linceul que Jésus au soir de sa mort (15,46), semble finalement se substituer à lui au matin de Pâques. Son itinéraire, ainsi que l'ont proposé R. Scroggs et Κ. I. Groff paraît requérir une interprétation baptismale73. En effet, il évoque étrangement la catéchèse que cite Paul en Ro 6,3-5 74 et rappelle la trajectoire du catéchumène qui, lors de son baptême, lâchait le drap dont il était recouvert pour s'enfoncer nu dans l'eau et y être assimilé à la mort du Christ, avant de revêtir un vêtement blanc75, symbole de sa participation nouvelle à la vie du Ressuscité. Scroggs et Groff reconnaissent ainsi en le neaniskos un initié nouvellement baptisé, choisi pour représenter Jésus et annoncer sa propre «initiation -résurrection » au moment même où s'était produite celle de son maître76.

72. Le terme neaniskos, utilisé en Me 14,51 pour désigner le jeune homme qui va fuir, n'apparaît ailleurs dans le second évangile qu'en 16,5 pour dépeindre le personnage que les femmes, accourues au tombeau pour embaumer Jésus, trouvent à la place du corps. Curieusement, dans les deux cas, le jeune homme est revêtu (peribeblèmenos — autre mot inconnu dans le reste de l'œuvre — ) d'un vêtement. Mais au drap (sin-dôri) du fuyard se substitue la robe blanche de l'annonciateur de la résurrection... Or le sindôn, dont est affublé le personnage, sert précisément, dans les deux autres occurrences du terme chez Marc, à désigner le linceul dans lequel Joseph d'Arimathée enroule le corps avant de le mettre au tombeau (15,46).

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1985_num_65_2_4808
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMar 28 Nov 2023, 14:08

L'étude de Christian Grappe en tout début de carrière (1985) donne, une fois de plus, la mesure de ce qui a changé depuis dans les "sciences bibliques" -- l'ambition (ou la prétention) de reconstitution historique, non seulement d'une "vie (et mort) de Jésus" mais d'un rituel judéo-chrétien primitif (Sitz im Leben), appuyée sur un fatras de "sources juives" hétéroclites (des manuscrits de la mer Morte aux textes rabbiniques), il n'y a (heureusement à mon avis) plus grand-monde pour s'y risquer, tout au moins à ce niveau de précision et de conjecture... Celle, plus récente (2010), de Philippe Wargnies, s'en tient à une analyse littéraire et narrative du texte de Marc (en y agrégeant même la finale longue), mais elle a au moins en commun avec la précédente, malgré la différence de confession (protestant / catholique) et par des chemins on ne peut plus différents, de se vouloir homilétique: sermon, prédication, au moins en conclusion, d'un "évangile" très classique, indifférent somme toute aux méthodes et aux modes exégétiques.

En ce qui concerne le "jeune homme nu", la référence baptismale, omniprésente dans les années 1970-80, bien plus discrète trente ou quarante ans plus tard, a pu inspirer un faussaire moderne (que ce soit Morton Smith ou un autre) dans la fabrication (ou contrefaçon) de "l'Evangile secret" (cf. la fin de mon post précédent); elle a en tout cas contribué à la réception étonnamment large de ce texte dans la "communauté scientifique" au tournant du millénaire (même la NBS, pourtant prudente, a failli en faire un encadré, au moins à titre de curiosité, et le comité de rédaction n'y a renoncé qu'in extremis)... C'était dans l'air du temps, pas seulement du côté sacramentel, aussi par les suggestions homosexuelles du prétendu apocryphe.

Quant à la nudité dont nous parlions ces jours-ci, elle n'a guère intéressé les deux auteurs précités. -- Le second me fait remarquer, par son emploi inhabituel du mot "monument" pour le tombeau, qu'il a la même étymologie que le mnemeion grec, la mémoire (de monere en latin).
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMar 28 Nov 2023, 15:16

Citation :
Le second cas rappelle qu'il y a aussi un enthousiasme "rituel", "religieux", "spirituel", "mystique" ou "extatique" de la nudité, qu'on retrouve entre autres dans les textes "gnostiques", par exemple ceux de l'Evangile selon Thomas évoqués précédemment. Ainsi dans le logion 37:
Citation :Quand vous vous dévêtirez sans en avoir honte et mettrez vos vêtements sous vos pieds comme de petits enfants pour les piétiner, alors vous verrez le fils du Vivant et vous n'aurez pas peur.

Histoire des religionsM. Henri-Charles PUECH, membre de l’Institut(Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), professeur (Page 320)


Il importe, en effet, de ne pas perdre de vue que, comme le suggère, au début du logion 22, la comparaison de ceux qui entrent dans le Royaume avec des nourrissons, l’« apocatastase » intérieure et régénératrice qui conduit à la vie parfaite et plénière est, dans notre document (et aussi, ailleurs : chez Tatien, par exemple), conçue comme un retour à un état d’« innocence ». Innocence qui est celle du petit enfant, mais, aussi bien, celle d’Adam avant le péché et la chute ; innocence enfantine, et, tout de même, « paradisiaque », le Royaume s’identifiant de ce biais au Paradis que, de son côté, le logion 19 assimile au Lieu de la Lumière et de l’être absolu. De toute façon, il s’agit d’un retour à un état « primitif », de la restitution d’une situation et d’une condition « originelles », c’est-à-dire, une fois de plus, et en termes plus abstraits, de la réintégration de la «fin» dans le «principe». A défaut du long développement qu’aurait exigé la démonstration de ce nouveau point, on s’est borné à invoquer à l’appui tel ou tel autre Dit. Ainsi, le logion 37, qui a, lui aussi, son parallèle dans l’Évangile selon les Égyptiens : « Ses disciples dirent : En quel jour te révéleras-tu à nous et en quel jour te verrons nous ? Jésus dit : Lorsque vous déposerez votre honte (ou : « que vous vous dévêtirez sans avoir de honte »), que vous prendrez vos vêtements, les mettrez sous vos pieds comme les petits enfants et que vous les piétinerez, alors vous verrez le fils de Celui qui est vivant et vous ne craindrez pas » (dans le fragment de l’Évangile selon les Égyptiens cité par Clément d’Alexandrie, Strom., III, c. XIII, 92 : « Lorsque vous foulerez aux pieds le vêtement de honte et que les deux deviendront un, et le mâle avec la femme ni mâle ni femelle », hotan to tes aïskunês énduma parêsêté kaï hotan génêtaï ta duo hén kdi to arrên méta tes thêleïas outé arrén outé thêlu). Ou encore, le logion 21 : « Marie dit à Jésus : Tes disciples ressemblent à qui? Il dit : Ils ressemblent à des petits enfants qui se sont installés dans un champ qui n’est pas à eux. Quand viendront les maîtres du champ, ils diront : Laissez-nous notre champ. Eux, ils sont tout nus en leur présence, si bien qu’ils le leur laissent et leur donnent leur champ ». Indifférence au monde (à un monde « étranger »), à la chair, à ce « vêtement de honte » qu’est le corps, à la sensualité et à la sexualité, dépouillement spirituel, « innocence » : Paradis perdu et retrouvé dans la liberté et la jouissance plénières de soi-même, condition promise aux « enfants du Royaume ».


https://www.college-de-france.fr/sites/default/files/media/document/2023-04/1971-1972_puech.pdf
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMar 28 Nov 2023, 15:46

Ce texte est ancien (1971-2) mais précieux, car son auteur était un des meilleurs spécialistes francophones de la gnose... Le rapprochement avec le logion 21, plus obscur, et leurs variantes (dans le papyrus d'Oxyrhinque ou les citations de Clément d'Alexandrie notamment) est intéressant et il vaut la peine de lire la suite (p. 321ss): on voit comment le thème de la nudité rejoint celui de l'enfance (et ses voisins: naissance, engendrement, enfantement, accouchement) et celui de la sexualité (ou différence des sexes surmontée dans leur union, cf. ici et ). Evidemment tous ces thèmes sont ambivalents car la sexualité et la procréation ordinaires sont aussi ce qui condamne à l'existence temporelle, matérielle, charnelle et mortelle (ce qui est aussi fort bien analysé dans les pages précédentes (289ss, 312ss).
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMer 29 Nov 2023, 11:24

Pour une éthique du vêtement ou de la nudité?
André Guindon

V. TUNIQUES BLANCHES OU NUDITÉ RACHETÉE ? 

À partir du début du me  siècle jusqu'à la fin du IVe  siècle, les rites essentiels du baptême incluaient la dénudation totale des candidates et des candidats, souvent en présence les uns des autres, pour l'immersion baptismale . En témoignent les écrits des Pères, mais aussi la peinture des catacombes de la fin du Ier  siècle jusqu'au début du ve  siècle", les bas-reliefs des sarcophages , les mosaïques des baptistères, tout cet art «doctrinal  » et didactique ancien. Quoique les évangélistes ne mentionnent pas la nudité de Jésus lors de son baptême par Jean-Baptiste, l'iconographie chrétienne représente un Christ nu au baptême  et, à sa suite, des néophytes baptisés nus . Lucien de Bruyne a démontré que l'iconographie baptismale postule deux éléments essentiels au baptême, le bain et le Saint-Esprit. Le premier était signifié sans exception par au moins un des deux éléments suivants : l'eau ou la nudité du néophyte.

Ayant quitté leurs «vêtements de peau» , les néophytes étaient donc nus. Nudité sans honte. « Ô merveille ! », s'exclamait Cyrille de Jérusalem, « vous étiez nus sous les yeux de tous et vous n'en aviez point de honte». L'étonnant logion 37 de L'Evangile selon Thomas trouve dans le contexte baptismal syrien la seule explication satisfaisante : « Ses disciples dirent (à Jésus) : En quel jour te révéleras-tu à nous et en quel jour te verrons-nous ? Jésus dit : Lorsque vous serez dévêtus et que vous n'aurez pas honte, que vous prendrez vos vêtements, les mettrez sous vos pieds comme les petits enfants et que vous les piétinerez, alors [vous verrez] le fils de Celui qui est vivant et vous ne craindrez pas . » Jean Chrysostome, pour sa part, comparait les deux « nudités », celle du baptême avec celle du Paradis après la chute : « Nudité ici, nudité là. Là , cependant, on est dénudé après avoir péché, puisque péché il y eut ; ici, on est dénudé pour la liberté. Ceux-là furent jadis dévêtus de la gloire qui était la leur; ceux-ci, au contraire, se dépouillent maintenant du vieil homme . »

Après le rituel de la dénudation et du piétinement des tuniques de peau, le prêtre enduisait d'huile le corps du néophyte de l'Église syrienne. Ainsi, disait Narsaï, «il reconstruit son corps et de glaise qu'il était, il le change en or pur  » ; corps et âme du néophyte « acquièrent la teinte des êtres célestes  ». Jean Chrysostome commentait aussi la transformation que fait subir le prêtre au corps dépouillé de tous ses vêtements : « il fait oindre tout votre corps de cette huile spirituelle afin d'en fortifier tous les membres et de les rendre invulnérables aux traits que lance l'adversaire  ». Evocation de l'huile de la nudité des combats sportifs et guerriers. 

Sitôt que les baptisés étaient remontés des piscines sacrées, encore nus donc, «toute l'assistance se précipitait leur donner l'accolade, les saluer, les baiser tendrement, leur prodiguer des caresses, les congratuler et partager leur bonheur [,..] ». Narsaï signalait pareillement ces caresses et ces baisers qu'on distribuait au nouveau baptisé encore nu après que le prêtre l'eut fait le premier: en sortant de l'eau, «au lieu de vêtements, le prêtre l'accueille et l'embrasse ». On peut difficilement être plus clair. 

Pourquoi cette candeur? Tout le monde embrasse le nouveau baptisé, répond Narsaï, parce qu'il sort de l'eau comme un nouveau-né sort du sein de sa mère. « C'est qu'en vérité », commentait différemment Cyrille de Jérusalem, « vous offriez l'image de notre premier père Adam qui, au paradis terrestre, était nu sans honte  ». Dans le paragraphe précédent, c'est au second Adam qu'il comparait les baptisés qui ont enlevé leurs tuniques de peau : « Vous vous êtes alors trouvés nus, imitant encore par là la nudité du Christ sur la croix ; c'est par cette nudité qu'il a dépouillé les principautés et les puissances et qu'il a ouvertement triomphé d'elles du haut de ce bois [Col 2, 15] ».

https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1994-v50-n3-ltp2150/400871ar.pdf
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeMer 29 Nov 2023, 15:20

Sur cet article décidément très riche, voir ici 21.3.2022.

Le symbolisme du corps, de la chair, de la peau, de la nudité et du vêtement foisonne dans tous les sens, de telle sorte qu'il devient impossible d'y opposer nettement un thème ou un motif à un autre, mais aussi une orthodoxie à une hétérodoxie (p. ex. "gnostique"), ou un Orient à un Occident. L'ambivalence foncière des "vêtements de peau" dans le récit de l'Eden (voir notamment Philon avant tout christianisme, p. 564s) qui, surtout dans une lecture allégorique comme toute l'Eglise ancienne la pratique (avec tout juste un peu plus de retenue à Antioche ou à Rome qu'à Alexandrie ou à Byzance), peut aussi bien se référer au corps "déchu", autrement dit au corps humain phénoménal (corps de l'homme, de la femme, de l'enfant si important dans la symétrie de la naissance et de la mort nues, sans oublier la sexualité qui reste au centre du phénomène jusque par les détours plus ou moins ascétiques qui l'évitent), à sa peau visible dans sa nudité (parce que relativement peu velue, contrairement au pelage ou au plumage de la plupart des animaux: dans le même récit c'est le serpent qui est nu / avisé, par jeu de mots, et qui transmet d'abord la connaissance de la nudité)... Au sens "propre", qui n'est probablement pas lui-même exempt de "symbole", l'usage vestimentaire de la "peau" renverrait à la ceinture (et non au vêtement de poil) d'Elie (2 Rois 1,8 ) ou de Jean-Baptiste (Marc 1,6//) -- or le vêtement long, ou tunique (ktnt-kouthoneth, parfois transcrit khitôn en grec), est opposé au "pagne" ou "ceinture" (hgr) autant que la "peau" aux "feuilles de figuier"; le mot pour "peau" n'est pas souvent associé à un vêtement, sinon dans les prescriptions du Lévitique sur la "lèpre" (mais par analogie avec la peau du lépreux); dans les descriptions du mobilier de la tente (tabernacle) c'est encore autre chose (tentures, rideaux, couvertures, housses).

Les textes donnent à penser, encore et encore, c'est le jeu potentiellement infini de leur lecture et de leur méditation qui ne se laisse pas réduire à une explication univoque et définitive -- laquelle, quand on croit l'atteindre, se révèle toujours décevante par rapport à l'expérience de la lecture et de la pensée. Mais avec ça on ne peut rien prouver ni exclure -- c'est le défaut si bien repéré par Thomas d'Aquin qui a sonné le glas de l'"allégorie", à la fin du moyen-âge, dans l'exégèse occidentale savante; les suites ont été "critiques", bien plus qu'on ne pouvait s'y attendre: intellectuellement intéressantes, plus pauvres à bien d'autres égards. L'interprétation elle-même n'était pas un exercice purement intellectuel quand elle était liée à un rituel, corporel et communautaire, qui l'exprimait et la traduisait en acte et en geste (l'interprétait, aussi dans le sens scénique et ludique du jeu).

En bas-latin le sauf et le sauvé (de salvus, cf. en grec holos, entier, complet, intact, indemne) se confondent avec le sauvage (de silva, la forêt, où l'on se sauve, même si ce n'est pas nu comme l'animal sauvage; cf. en grec hulè, bois et matière): au-delà du culte et de la culture, et de toute histoire, c'est peut-être de l'en-deçà, de l'enfant ou de l'animal, de l'anima anonyme et insaisissable, qu'on espère toujours un "salut", indemne de tout devenir, comme si rien n'avait jamais eu lieu.

Dans les textes dits "gnostiques" de Nag Hammadi, au-delà de Thomas cité plus haut, le jeu de la nudité et du vêtement est plus abondant mais tout aussi complexe. Ainsi dans l'Evangile selon Philippe:
23 a écrit:
Il y en a certains qui ont peur de ressusciter nus ; c’est pourquoi ils veulent ressusciter dans la chair. Mais ils ne savent pas que ce sont ceux qui sont revêtus de la chair qui sont nus. Ce sont ceux qui [ . . . . . . ] . . . . . se dévêtir qui ne sont pas nus.
24 a écrit:
En ce monde ceux qui portent les vêtements sont supérieurs aux vêtements, dans le royaume des cieux, les vêtements sont supérieurs à ceux qui les portent
67 a écrit:
La vérité n’est pas venue dans le monde nue, mais c’est en types et en images qu’elle est venue. Il ne la recevra pas autrement
77 a écrit:
Ceux qui ont revêtu la lumière parfaite, les puissances ne les voient pas ni ne les saisissent. On se revêtira de la lumière dans le mystère de l’union.
101 a écrit:
L’eau vive est un corps. Il nous faut revêtir l’Homme vivant. C’est pourquoi, si on descend dans l’eau, on se dévêt afin de le revêtir.
(où on pourrait encore ajouter d'autres usages plus ou moins "métaphoriques", p. ex. quand on revêt un nom ou la lumière, § 12, 77, 106).
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeJeu 30 Nov 2023, 12:20

De l’habit paradisiaque au vêtement eschatologique

20L’Evangile selon saint Luc précise : "Quand cela commencera d’arriver, redressez-vous et relevez la tête, parce que votre délivrance est proche" (Lc 21, 28). En effet, la délivrance passe par un dépouillement de l’enveloppe corporelle et de tous ses oripeaux. C’est ce qu’enseigne saint Paul dans un passage complexe de la deuxième Epître aux Corinthiens. Paul invite les Corinthiens a "quitter ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur" (2Co 5, Cool car "demeurer dans ce corps, c’est vivre en exil loin du Seigneur" (2Co 5, 6). Sous la forme d’une mise en garde, Paul établit une comparaison entre ce qu’il nomme "la tente", "la maison terrestre", c’est-a-dire le corps de l’homme corruptible et mortel et "la maison éternelle", "notre habitation céleste", c’est-à-dire le corps incorruptible et immortel. Le passage de l’un à l’autre s’effectue par un abandon nécessaire du "vieil homme" et de son carcan vestimentaire :

"Nous savons en effet que si cette tente - notre maison terrestre - vient à être détruite, nous avons un édifice qui est l’œuvre de Dieu, une maison éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, dans les cieux. Aussi, gémissons-nous dans cet état, ardemment désireux de revêtir par dessus l’autre notre habitation céleste, si toutefois nous devons être trouvés vêtus, et non pas nus. Oui, nous qui sommes dans cette tente, nous gémissons accablés ; nous ne voudrions pas en effet nous dévêtir, mais nous revêtir par dessus, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie" (2Co 5, 1-4).

21 Par delà le caractère abscons de ces emplois métaphoriques rarement commentés21, il semble que le sens général de cet avertissement prenne toute sa valeur à la lecture du dernier verset souvent oublié :

"Il faut que tous nous soyons mis à découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun recouvre ce qu’il aura fait pendant qu’il était dans son corps, soit en bien, soit en mal" (2Co 5, 10)

22 Une fois le corps mis à nu, les morts ressuscites seront alors prêts pour revêtir la gloire du Seigneur :

"En un instant, en un clin d’œil, au son de la trompette finale, car elle sonnera, la trompette, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. Il faut en effet que cet être corruptible revête l’incorruptibilité, que cet être mortel revête l’immortalité" (1Co 15, 52-53).

23 Le processus de dépouillement/revêtement qui accompagne la Resurrectio carnis a été décomposé de façon très lumineuse par saint Jérôme dans un commentaire sur la "véritable croyance à la résurrection" adressé à Pammachius, contre Jean de Jérusalem :

"La vraie croyance à la résurrection est celle qui accorde la glorification de la chair pour ne pas ternir la vérité. Quant aux épithètes "corruptible et mortel" (1Co 15) employées par l'Apôtre, elles s’appliquent au corps, c’est-a-dire à la chair visible ici-bas. Et lorsqu’il y ajoute" se revêtir d’incorruption et d’immortalité", cela ne signifie pas que le corps soit remplacé par ce vêtement qui l’ornera dans la gloire ; mais, lui qui était auparavant sans gloire, deviendra glorieux, en sorte qu’ayant rejeté son misérable vêtement de mortalité et d’infirmité, il sera pour ainsi dire vêtu de l’or de l’immortalité et de la béatitude de la force et de la vertu. Nous voulons donc, non pas être dépouillé de la chair, mais qu’elle soit revêtue de la gloire, désirant que notre demeure, qui est du ciel, soit recouverte de manière que ce qui est mortel soit dévoré par la vie. Assurément, nul ne peut être revêtu, s’il n’a pas été vêtu auparavant22".

https://books.openedition.org/pup/3605?lang=fr
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeJeu 30 Nov 2023, 13:55

Merci pour cet autre éclairage, surtout médiéval et iconographique (ne pas manquer les reproductions à la fin de l'article), mais comportant aussi d'utiles citations patristiques au début, qui met en évidence un moment de dépouillement rarement remarqué dans l'imagination ou la représentation de la "résurrection", dont la dogmatique a surtout retenu l'aspect vêture (âme nue revêtue d'un corps / vêtement spirituel): le mort ressuscité doit d'abord être dépouillé (d'un linceul, de vêtements, d'un cercueil, d'un tombeau, voire de son propre cadavre amputé ou décomposé selon les coutumes et les situations), ce qui peut être lu comme une délivrance ou une humiliation supplémentaire (notamment quand ce motif se combine à celui du jugement nu, cf. déjà 2 Corinthiens 5).

On a ainsi une stratification ou une sédimentation des symbolismes vitaux, bio-, zoo- ou mytho-logiques (naissance-sexe-engendrement-enfantement-mort-résurrection), qui se reflète dans le rituel initiatique (notamment baptismal), sans qu'on puisse ordonner et totaliser ces différents niveaux ou couches dans une représentation spatiale (concentrique, façon poupées russes: p. ex., dans un ordre centrifuge, esprit-âme-chair-corps-peau-vêtement) ou temporelle (scénario ou fresque de l'"histoire sainte" ou de l'histoire individuelle, de la création cosmique ou de la conception ou de la naissance au jugement dernier en passant par le Christ et/ou par les sacrements) -- car c'est toujours la même "chose", le même jeu de dedans-dehors (je repense soudain au old in-out de Clockwork Orange), qui se rejoue à tous les niveaux (du mythe, du rite, ou de la-vie-la-mort ordinaire, physique, naturelle, animale).
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MessageSujet: Re: le nu échappé   le nu échappé Icon_minitimeJeu 30 Nov 2023, 14:23

L’interdit visuel des organes génitaux : Canaan et David (Un article déjà cité sur le fil "honte" mais qui trouve toute sa place ici). 

6 Un terrible récit, un peu plus loin dans la Genèse (9, 18-28) montre à quel point la vision des organes génitaux en cas de nudité intégrale peut constituer un interdit majeur considéré comme un crime s’il est enfreint : c’est le récit de l’ivresse de Noé et de la malédiction de Canaan. Après le déluge, Noé plante la vigne, fait du vin et s’enivre. Dans son ivresse, « il se dénuda à l’intérieur de sa tente ». Or un de ses trois fils, Cham, père de Canaan, entre dans la tente et voit la nudité de son père. Il avertit les deux autres, Sem et Japhet, qui trouvent une solution : mettant un manteau sur leurs épaules, ils en couvrent leur père et se retirent en marchant à reculons sans se retourner. La Vulgate traduit l’état de Noé par « nudatus » mais lorsqu’elle décrit le mouvement de Sem et Japhet par « faciesque eorum adversae erant, et patris virilia non viderunt », Lemaître de Sacy au XVIIe siècle use de la paraphrase pour rendre ce passage plus explicite encore : « Mais Sem et Japhet, ayant étendu un manteau sur leurs épaules, marchèrent en arrière et couvrirent en leur père ce qui devait y être caché. Ils ne virent rien en lui de ce que la pudeur défendrait de voir, parce qu’ils tinrent toujours leur visage tourné d’un autre côté ». Lorsque Noé se réveille et apprend ce qui s’est passé, il maudit le fils de Cham, Canaan : « qu’il soit pour ses frères le dernier des esclaves ». Le premier voyeur connu est donc condamné à travers sa descendance alors qu’il était passif. C’est sans doute qu’il a commis un inceste visuel. Dans le Lévitique, chapitre 18, lorsque Dieu prescrit à Moïse des règles sexuelles, une série d’interdits de l’inceste sont définis par « Tu ne découvriras pas la nudité de… ».

7 Le souci de ne pas laisser voir ses organes génitaux est également manifeste dans Exode 20, 26, dans les prescriptions qui suivent immédiatement les dix commandements, Dieu dit à Moïse « et tu ne monteras pas à mon autel par des marches, pour que ta nudité n’y soit pas découverte » (TOB). Puis la très longue et minutieuse description des habits sacerdotaux et des objets rituels d’Aaron et de sa postérité s’achève par la prescription qu’il faudra faire aux prêtres « pour dissimuler leur nudité des caleçons de lin, allant des reins jusqu’aux cuisses », qu’ils devront porter quand ils approcheront de l’autel « afin de ne pas se charger d’une faute qui entraînerait leur mort » (Exode 28, 42-43). Lorsque David danse devant l’arche d’alliance montant vers Jérusalem, le texte précise qu’il porte un tel caleçon (2 Samuel 6, 20-22).

https://journals.openedition.org/rivesnm/2283#tocto2n1
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