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 Dieu côté face

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Narkissos

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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMer 30 Mai 2018, 18:32

Article passionnant: c'est un peu long mais ça mérite d'être lu attentivement -- et pour l'aperçu qu'il donne de la littérature rabbinique, que je connais très peu, et pour sa démarche fort intelligente à mon avis: on se laisse en effet toujours trop vite enfermer dans des alternatives apparemment "logiques" -- corporel / incorporel, physique / spirituel, visible / invisible, sens propre / sens figuré, etc. -- alors que la réalité (d'un texte et a fortiori de plusieurs) est toujours plus complexe, que chacun des termes opposés implique l'autre de plus d'une façon, que chaque interprétation demande elle-même à être interprétée, et ainsi de suite.
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMer 06 Juin 2018, 11:17

LXX, dit-on, gomme les anthropomorphismes pour marquer la transcendance de Dieu. Le problème est plus complexe. Elle ne supprime ni le doigt de Dieu (Ex 8,15), ni son bras (Ex 6,6 ; 15,16). Elle ne gomme que les images disant une trop grande familiarité avec l’humanité et les métaphores jugées incompatibles avec la bonté divine et sa volonté de paix. Au sujet des Anciens accompagnant Moïse sur le Sinaï (Ex 24,10), le TH déclare : Ils virent le Dieu d’Israël. La LXX se veut, comme le targoum, plus respectueuse : « Ils virent le lieu où se tenait là le Dieu d’Israël. » Dans le cantique de Moïse après le passage de la mer (Ex 15,3), le TH dit : Le Seigneur est un homme de guerre. Dans sa conception d’un Dieu « philanthrope », la LXX retraduit la formule en ces termes : « Le Seigneur est briseur de guerre », en se fondant sur Ps 76,4. Dans ses adaptations en effet, considérant la Bible comme un tout, elle s’inspire souvent, d’expressions parallèles glanées çà et là dans divers livres de l’AT.
https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1238.html
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMer 06 Juin 2018, 12:30

Cf. supra 26.2.2018.

Indépendamment des différences anciennes et des interactions croissantes (dans le sens de l'attraction comme de la répulsion) entre "judaïsme" et "hellénisme", il faut bien voir que la gêne intellectuelle et morale à l'égard des anthropomorphismes ou anthropopathismes attribués au(x) dieu(x) dans les textes anciens (aussi bien Homère ou Hésiode) est sensiblement la même de part et d'autre, les effets de la philosophie sur la tradition religieuse grecque étant comparables à ceux du monothéisme postexilique sur la religion d'Israël. A cet égard la tendance à la "spiritualisation" de la religion dans la deuxième moitié du premier millénaire (av. J.-C.) est largement partagée, et la convergence judéo-hellénistique vient de loin. Sans préjudice d'influences bien plus précises, comme celle de la tradition d'interprétation allégorique à Alexandrie, qui fonctionne à peu près de la même manière sur tous les corpus littéraires ou traditionnels (juif, grec ou égyptien p. ex., plus tard aussi chrétien: de Philon à Clément ou Origène ce n'est plus la même "religion", mais c'est toujours la même "méthode" alexandrine).

Bien sûr, pourrait-on dire avec l'assurance de deux ou trois millénaires de recul, et surtout avec la pensée occidentale du siècle dernier, tout cela est un problème mal posé: il n'y a pas d'esprit, de vérité, d'idée, de sens ou de signification sans lettre, sans corps, sans matière, sans objet ou sans forme -- et réciproquement.
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeDim 02 Sep 2018, 15:28

Il y a comme un décalage, une déhiscence, un "bougé" à la fois spatial et temporel, dans le "face-à-face" ou le "vis-à-vis". Un tremblement d'asymétrie dans la symétrie, une différance ou un différé dans la simultanéité.

C'est ce que je me disais aujourd'hui en repensant aux psaumes, p. ex. 16,8 (ou a contrario 54,3): avoir, tenir, garder, placer Dieu ou son dieu devant soi (ou "devant sa face"), ce n'est pas exactement la même chose que d'être, se tenir, vivre, marcher, devant (la face de) Dieu ou (de) son dieu (p. ex. pour Hénoch, Noé, ou Abraham dans la Genèse). Les deux (types de) formules sont sans doute complémentaires, mais non équivalent(e)s. On ne peut pas voir sans être vu, et réciproquement, mais les deux choses, les deux regards ou les deux directions du regard, restent foncièrement autonomes. D'un côté il y a l'attention ou la concentration que le fidèle porte sur la divinité, dans le culte, la prière ou la méditation, où d'ailleurs la religion la plus "spirituelle" ne se distingue guère d'une "idolâtrie" (c'est toujours une image, mentale ou concrète, que l'on regarde ou contemple); de l'autre, son ouverture, son exposition ou son "offrande" pour ainsi dire "objectives" au regard et au jugement du Dieu (coram deo). Je regarde mon dieu, je m'offre à son regard, les deux mouvements sont impliqués dans toute "piété" sans se confondre, ils n'y sont pensables en quelque sorte qu'alternativement.

Cette (double) considération rejoint celle que nous avons souvent évoquée, à propos du psaume 139 ou des épîtres pauliniennes (p. ex. 1 Corinthiens 8 et 13), sur le renversement du rapport sujet/objet (ou actif/passif) de la "connaissance", qui tourne à la réflexivité (Dieu-miroir): connaître Dieu et/ou être connu de lui, soit: se connaître comme connu de lui. Dans un sens le "Dieu" que je voudrais "connaître" n'en finit pas de m'échapper, dans l'autre je n'échappe pas à sa "connaissance", et c'est en elle que je me "connais". Mais pour cela il a bien fallu que j'essaie de le connaître, pour lui-même et indépendamment de "moi", "objectivement" dirions-nous; et que j'y échoue.
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeLun 03 Sep 2018, 11:03

Citation :
Cette (double) considération rejoint celle que nous avons souvent évoquée, à propos du psaume 139 ou des épîtres pauliniennes (p. ex. 1 Corinthiens 8 et 13), sur le renversement du rapport sujet/objet (ou actif/passif) de la "connaissance", qui tourne à la réflexivité (Dieu-miroir): connaître Dieu et/ou être connu de lui, soit: se connaître comme connu de lui. Dans un sens le "Dieu" que je voudrais "connaître" n'en finit pas de m'échapper, dans l'autre je n'échappe pas à sa "connaissance", et c'est en elle que je me "connais". Mais pour cela il a bien fallu que j'essaie de le connaître, pour lui-même et indépendamment de "moi", "objectivement" dirions-nous; et que j'y échoue.

Paul de Tarse affirme, dans un passage central (1 Co 13, 12) : « À présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors, ce sera face à face. À présent, ma connaissance est limitée, alors, je connaîtrai comme je suis connu. » Voir dans un miroir, ce n’est pas voir parfaitement, comme le montrent les miroirs remontant à l’Antiquité qui nous sont conservés. Bien plus, comme le montrent les images antiques de miroir, cet objet, pour les Anciens, transformait plus la réalité qu’il ne la reflétait. On le comprend dans les représentations de Persée et de Méduse, où la Méduse réelle n’est jamais l’image de la Méduse du miroir, on le voit également dans la légende de Narcisse, dans lequel le reflet n’est jamais identique au personnage reflété. Voir dans un miroir, c’est aussi voir le futur en pratiquant la catoptromancie, comme le rappelait Hans Conzelmann. Mais surtout, voir dans un miroir, c’est voir de manière indirecte, comme le rappelle un passage de Plutarque qui contient lui aussi ἔσοπτρον et αἴνιγμα, dans lequel il affirme qu’adorer les dieux de l’Égypte en des animaux est une connaissance imparfaite, comme dans un miroir, mais une connaissance toute de même. Pour l’instant, nous vivons sur une certaine asymétrie puisque nous connaissons indirectement, mais sommes connus directement. Mais bientôt, l’asymétrie se transformera en symétrie.
https://journals.openedition.org/pallas/266#tocto3n5
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeLun 03 Sep 2018, 11:52

Cf. ici, et supra 18.12.2017.

L'asymétrie, le "décalage", ne se résorberait ou ne s'annulerait en effet qu'à un horizon "eschatologique". Où, à vrai dire, il n'y aurait plus rien à dire, faute d'"espace" et de "temps", d'espacement et de distance: ni "sujet" ni "objet", ni "action" ni "passion", ni "voyant" ni "vu". C'est dire que le "face-à-face" tend vers une limite où il se perd (les proustiens penseront à la disparition de la joue d'Albertine dans la scène du baiser, où le mouvement des deux vers l'un se volatilise dans l'innombrable).

C'est aussi ce que tente de dire, sans y parvenir pour les mêmes raisons structurelles, la doctrine trinitaire, ou même le "vis-à-vis" du theos et du logos dans le Prologue de Jean, à l'horizon opposé de l'"origine" (ou, dans le cas de la Trinité, à l'horizon transcendant de l'"éternité"): un face-à-face ultime, originel ou éternel, c'est littéralement impensable, et pourtant toute pensée du face-à-face ne se détache que sur un tel fond auquel elle tend à retourner.
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMar 12 Nov 2019, 15:27

"Qui est donc celui-ci qui vient d’Edom, de Boçra, avec du cramoisi sur ses habits,  bombant le torse sous son vêtement,  arqué par l’intensité de son énergie ? – C’est moi qui parle de justice, qui querelle pour sauver.  Pourquoi y a-t-il du rouge à ton vêtement,  pourquoi tes habits sont-ils  comme ceux d’un fouleur au pressoir ?– La cuvée, je l’ai foulée seul,  parmi les peuples, personne n’était avec moi ;  alors je les ai foulés, dans ma colère,  je les ai talonnés, dans ma fureur ;  leur jus a giclé sur mes habits ("mes vêtements ont été aspergés de leur sang" - NBS)  et j’ai taché tous mes vêtements. Dans mon cœur, en effet c’était jour de vengeance,  l’année de ma rédemption était venue. J’ai regardé : aucune aide !  je me suis désolé : aucun soutien !  Alors mon bras m’a sauvé  et ma fureur a été mon soutien. J’ai écrasé les peuples, dans ma colère,  je les ai enivrés, dans ma fureur :  leur prestige, je l’ai fait tomber à terre !" Es 63,1-6 (TOB)

En Isaïe 63, Dieu montre ses habits tachés du sang des ennemis qu’il a écrasés comme des raisins au pressoir. Le premier verset présente un Dieu qui se bombe le torse avec intensité et énergie.
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMar 12 Nov 2019, 17:20

Outre qu'à première vue il n'est pas question de "face", il n'est même pas très sûr qu'il soit question de "Dieu" dans ce morceau passablement obscur, qui détonne avec le reste du Trito-Isaïe; certes il y a des indices dans ce sens: dans les vieilles théophanies Yahvé vient d'Edom (Séir, Téman, etc.; cf. Deutéronome 33; Juges 5 etc.) ou plus généralement du Sud (Sinaï, Madian), mais alors ça n'a rien d'un oracle contre Edom comme on le comprend le plus souvent; Yahvé dit aussi agir seul dans le deutéro-Isaïe (43,10s; 44,6.8.24; 45,5s, etc.), mais c'est dans le contexte de la création ou du salut d'Israël et il ne s'en plaint pas; etc. A vrai dire la question initiale ("Qui est celui qui vient d'Edom...?") reste ouverte et énigmatique dans le fragment lui-même: le "guerrier divin" (sur l'aspect guerrier et violent du tableau il n'y a aucun doute) n'était pas forcément Yahvé, même s'il le devient dans la lecture du livre. Comparer la suite (à partir du v. 7 et chapitre 64) où les "hauts faits" de Yahvé se réfèrent plutôt à un lointain passé...
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeJeu 14 Mai 2020, 09:58

"David dansait de toute sa force devant le SEIGNEUR ; David portait un éphod de lin comme un pagne. David et toute la maison d'Israël firent monter le coffre du SEIGNEUR avec des acclamations et au son de la trompe. Comme le coffre du SEIGNEUR entrait dans la Ville de David, Mikal, fille de Saül, regardait par la fenêtre ; elle vit le roi David sauter et danser devant le SEIGNEUR, et elle le méprisa dans son cœur" (2 Sam 6, 14-16).

Pourquoi le roi danse-t-il de la sorte ? Et pourquoi sa femme Mikal, le méprise-t-elle dans son cœur ?

La femme du roi réagit négativement parce que David se conduite comme un prophète extatique, donnant le sentiment d'être en transe, s'assimilant à un illuminé. De nombreux textes semblent indiquer que non seulement le roi danse devant l'arche mais aussi devant une statue représentant Yhwh :

"David et toute la maison d'Israël jouaient devant le SEIGNEUR …" (2 Sam 6,5).
"David dansait de toute sa force devant le SEIGNEUR …" (6,14)
"elle vit le roi David sauter et danser devant le SEIGNEUR …" (6,16)
"c'est devant le SEIGNEUR que je continuerai à jouer de la musique" (6,21).


Ce fait pourrait expliquer la réaction excessive du roi. ("devant" =  littéralement "à la face de YHWH").
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeJeu 14 Mai 2020, 10:33

Non seulement danse et transe, mais quasi-nudité ("ceinture" ou pagne), vestiges narratifs d'un genre de "culte" très différent de celui que présente la Torah, à une époque où royauté, sacerdoce et prophétisme (auquel ce type de manifestation est plus habituellement associé, cf. notamment le cycle de Saül) ne sont pas si nettement séparés. Du rapport de l'arche et/ou des keroubim ("chérubins") décrits comme "trône de Yahvé" à une probable statue de Yahvé en amont de l'interprétation quasi aniconique (sans "image" ou presque) dominante dans les rédactions bibliques (arche et temple purs "symboles" d'une présence divine invisible), nous avons déjà beaucoup parlé, mais je ne sais pas si cet épisode apporte quelque chose de décisif au dossier: si statue de Yahvé il y a, ordinairement cachée mais exhibée pour les événements exceptionnels (fêtes cycliques ordinaires, dans le présent récit l'arrivée de l'arche à Jérusalem après son exil philistin et ses multiples "stations"), c'est la circonstance qui explique la fête plus que la statue elle-même; du point de vue du narrateur il n'y a d'ailleurs là aucun "excès", sinon aux yeux de Mikal.
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeJeu 14 Mai 2020, 10:54

"Qui est ce roi glorieux ? — Le SEIGNEUR, le fort, le héros, le SEIGNEUR, le héros de la guerre. Portes, élevez vos linteaux ! Elevez-les, portails antiques ! Que le roi glorieux fasse son entrée !" - Ps 24,8-9


"Ils voient ton arrivée, ô Dieu — l'arrivée de mon Dieu, de mon roi, dans le sanctuaire. En tête vont les chanteurs, puis ceux qui jouent des instruments à cordes, au milieu des jeunes filles battant du tambourin" Ps 68,25-26


Trouvons nous, dans ces textes, des indices du retour de la statue divine dans son sanctuaire après une procession ?
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeJeu 14 Mai 2020, 11:23

En effet, ça y ressemble fort, encore que toute précision sur le contexte cultuel (Sitz im Leben) d'origine (c.-à-d. en amont de la Torah et de la composition générale du livre des Psaumes tel que nous le lisons) relève, forcément, de la conjecture (ainsi l'idée d'une fête d'intronisation annuelle de Yahvé, avec ou sans procession de la statue, naguère élaborée notamment par l'"école scandinave"). Sur l'ensemble de la question, il faut peut-être relire le début de ce fil et l'excellent article de Römer que tu y as introduit le 18.12.2017 (p. 336 pour les textes précités).
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMar 11 Aoû 2020, 15:17

MAINTENANT MON OEIL T’A VU (JOB 42,5)

De nombreux exégètes considèrent que, dans le contexte du livre de Job, l’expression « mon œil t’a vu » ne suggère pas que le personnage de Job a concrètement vu Dieu. Plusieurs auteurs pensent qu’il s’agit d’une expression idiomatique qui signifie en réalité que Job a désormais une pleine compréhension de ce qui lui a été dit par Dieu. D’autres estiment plutôt que la mention de la vision de Dieu ne ferait pas référence à des aspects présents dans les différents discours antérieurs, mais pointerait dans une direction différente qui ne serait pas explicitement indiquée, mais pourrait évoquer une rencontre avec Dieu, une expérience de sa présence allant au-delà de l’intellect et qui pourrait être associée à la souffrance. On pourrait aussi penser que l’utilisation en 42,5 du langage de la « vision » s’expliquerait par le fait que les discours divins des chapitres 38-41 évoquent de manière imagée l’action divine dans la complexité du monde. Ainsi, alors qu’au chapitre 23,8-9 Job disait ne pas réussir à identifier l’action divine dans la création, après le discours divin il aurait désormais changé son regard et accepté que cette création et ses mystères soient l’œuvre de Dieu.

Cependant, ces interprétations métaphoriques ou symboliques de la mention de la vision de Dieu par Job tiennent insuffisamment compte du fait que les discours divins sont associés à une théophanie. En effet, en Job 38,1 et 40,6, les deux discours divins sont introduits par une expression, « Yhwh répondit à Job depuis une tempête », qui ressemble aux introductions de plusieurs grandes théophanies bibliques ainsi qu’à un des modes d’apparition du personnage de Dyonisos dans les Bacchantes d’Euripide. De surcroit, si, comme nous l’avons défendu plus haut, le livre de Job a été conçu sur le mode « tragique » et joué comme une pièce théâtrale de ce type, il fait parfaitement sens que l’acteur qui joue Job s’adresse à celui qui joue le personnage divin et lui dise : « maintenant mon œil t’a vu ». https://www.zora.uzh.ch/id/eprint/170886/1/OBO_287%2C_Romer%2C_Gonzalez_%26_Marti_%282019%29%2C_Representer_dieux_et_hommes.pdf
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMer 12 Aoû 2020, 11:28

Le caractère théâtral ou dramaturgique du livre de Job me semble évident depuis longtemps; je ne le limiterais pas à la tragédie parce qu'en l'état il a aussi un côté comique, au moins par son ou ses dénouements successifs; en tout état de cause les discours de Yahvé (et la "théophanie" qu'ils impliquent, manifestation du dieu jusque-là absent, invisible ou silencieux) correspondent assez exactement au procédé bien connu du deus ex machina (formule qui calque le grec apo mekhanès theos, de l'artifice scénique utilisé pour faire intervenir un dieu, par exemple en le faisant descendre du ciel et parler, par la voix d'un acteur visible et masqué, ou l'image même faisant office de masque).

Il y a en tout cas dans ce document beaucoup de choses très intéressantes en rapport avec notre sujet, qui d'ailleurs ne se limite ni à la "visibilité" ni à la "représentation" (plastique ou graphique, avec toutes les "métaphores" qui en découlent) du "dieu" biblique: qui dit "face" (ou visage) dit aussi des yeux, des oreilles, un nez et un bouche, des "sens" et les "facultés" de perception et d'expression correspondants, outre une certaine "situation" (qui a une face a aussi un derrière, non seulement au sens trivial du postérieur mais aussi de "quelque chose derrière", du "fond" que le visage exprime, coeur, reins, entrailles, âme, soi, intériorité; et une orientation, un haut et un bas, une gauche et une droite, une aptitude à "se tourner vers" et à "se détourner de", toutes choses que le langage "biblique" utilise abondamment et dont l'essentiel se perd dans le concept prétendument "intelligible"ou "suprasensible" du "Dieu pur esprit").

---
P.S. A ce propos la réflexion de Bertrand que j'ai écoutée entre-temps (voir ici et 13.8.2020), sur le "point de vue de Dieu" et les apories qui en découlent en cascade (non seulement un tel "point de vue" me serait par définition inaccessible, mais comment "Dieu" aurait-il un "point de vue", ou une "vue" sans "point de vue", etc., quel que soit le degré de métaphore ou de métonymie qu'on prête à de telles expressions ?), m'a rappelé cette vieille discussion, notamment sur le caractère nécessairement "partiel" de toute "connaissance" et le non-sens d'une "connaissance absolue". Dit ainsi, ça paraît beaucoup plus abstrait, mais au fond c'est exactement le problème de la "face de Dieu", lieu sans lieu, orientation sans orientation, absurdité si l'on veut, mais structurellement nécessaire pour que "Dieu" soit ou fasse quoi que ce soit (par exemple sourire).
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeJeu 11 Mar 2021, 17:37

« Tu es Dieu-qui-me-voit »

L’ange est le seul personnage que l’on entende parler à Hagar. Cette adresse angélique semble déclencher la parole chez la servante égyptienne. Hagar, audacieusement, donne un nom au Seigneur après cette rencontre hors pair : « (Hagar) appela YHWH qui lui parlait du nom de Atta-El-Roï [“Toi (tu es) Dieu qui me voit”] ; car, dit-elle, n’ai-je pas aussi vu ici derrière celui qui me voit ? » (Genèse 16, 13). La forme embarrassée de cette dernière phrase traduit le caractère exceptionnel de l’expérience d’Hagar : elle comprend que, lors de la rencontre avec l’ange, Dieu l’a regardée, au point de marquer de cette bouleversante constatation le nom divin qu’elle façonne (« Dieu qui me voit »). Elle suggère aussi qu’elle-même aurait vu Dieu : « n’ai-je pas vu aussi ici derrière… ? ». C’est la première attestation dans la Bible d’un tel événement ; aussi est-elle présentée avec différents modalisateurs qui atténuent ce qu’une affirmation trop claire pourrait avoir d’exorbitant. Il s’agit d’abord d’une question (« ai-je vu ? ») ; le « aussi » met en cause d’une certaine manière la possibilité d’avoir vu : le Dieu qui m’a vu, est-il concevable que je l’ai vu aussi en retour ? ; l’adverbe « derrière » n’est pas sans rappeler le terme très proche que Dieu emploie pour indiquer à Moïse qu’il verra, non pas sa face, mais « ses arrières » (Exode 33, 23).

Le lieu où cet échange de regards s’est produit entre YHWH et l’Égyptienne est désormais commémoré par un nom qui rappelle les termes du théonyme qu’Hagar a mis au point : « C’est pourquoi on a appelé ce puits Puits pour le Vivant qui me voit » (Genèse 16, 14). La première fois qu’un lieu est nommé en Terre promise dans la geste d’Abraham, c’est d’après les mots de la servante étrangère. À mesure qu’Hagar est vue par Dieu au long de son entretien avec l’ange, elle nous apparaît. https://www.unifr.ch/at/fr/assets/public/files/Personen/Lefebvre/pallas-anthropophanies.pdf
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeJeu 11 Mar 2021, 21:33

Sur cet article, voir ici 3.3.2021 et encore aujourd'hui.

Ce qu'on appelle tranquillement "un ange", comme si on savait ce que c'est, un individu d'une espèce présumée connue, ni "humaine" ni "divine" mais entre les deux, pose d'infinis problèmes: ainsi que le remarque Lefebvre, "les anges" ne nous ont pas encore été présentés comme tels dans la Genèse, qui n'est sans doute pas le premier "livre" de la Bible dans la chronologie de la rédaction mais s'affiche bien comme le livre du ou des commencements. Dans l'ensemble du corpus "biblique" hébreu un ml'k-mal'akh, aussi bien d'ailleurs un aggelos-angelos en grec, c'est un messager ou un émissaire, indifféremment divin ou humain, autrement dit c'est un nom de fonction avant d'être un nom de "nature". Et on ne peut guère parler de catégorie, même fonctionnelle, tant qu'on a affaire à un seul, ml'k yhwh, plutôt "le messager de Yahvé" qu'"un messager de Yahvé" si l'on en juge par la détermination grammaticale habituelle, en hébreu, de l'état construit avec un nom propre. Pour trouver des ml'kym/aggeloi au pluriel, il faudra attendre le chapitre 19... En outre, dans la plupart des récits où le ml'k-aggelos-messager-ange de Yahvé intervient, tantôt il se distingue de la divinité et tantôt il se confond avec elle (ici v. 13) -- ce qui peut aussi bien être interprété comme une distinction propre à la divinité, sa manifestation externe opposée à son essence interne, "Dieu pour nous" en somme vs. "Dieu en soi", comme ce sera le cas notamment chez Philon et plus tard dans tout un courant de la christologie chrétienne (p. ex. Justin Martyr).

L'embarras des formules, comme d'ailleurs la fluctuation entre "le messager-ange" et "Yahvé", peuvent toutefois être accidentels, ou mi-intentionnels mi-accidentels: les rédactions successives introduisent des "messagers-anges" (et la Septante, LXX, beaucoup plus que le texte massorétique, TM) pour éviter, justement, que Yahvé soit vu; mais comme elles n'y pensent pas toujours, ou que ce n'est pas toujours possible, il est vu quand même et le messager-ange ne sert plus à grand-chose. En l'espèce (Genèse 16,13s), on a probablement affaire à un texte hébreu corrompu, cf. LXX: "Tu es le dieu qui me voit" (ou plus précisément qui me voit d'en haut, qui se penche sur moi pour me voir, ep-eidon); "j'ai vu en face quand il m'a vue"; "puits de qui j'ai vu en face" -- ce qui ne recommande guère l'idée d'une vision après coup ou par-derrière, comme dans Exode 33; le TM est peut-être la déformation de tout autre chose, p. ex. "j'ai vu dieu et j'ai (sur)vécu" (cf. BHS ad loc.).
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMer 17 Mar 2021, 13:23

Vision divine, interdit de représentation et via negationis dans la Bible hébraïque


Les visions divines sont un fait rare dans les textes bibliques, ce qui a quelque chance de refléter l’interdit de l’image. Pourtant, des visions prophétiques trouvent place dans un cadre souvent cultuel, que l’on songe à Isaïe (6) ou Ézéchiel (Ez 8–11), et laissent apparaître une représentation anthropomorphique de la divinité, plutôt cosmique et royale en Isaïe, mais plutôt humaine en Ézéchiel (1,26). D’autres textes de vision pourraient être cités (1 R 22 ; Jr 1 ; 24 ; Am 7–9 ; Za 1–6 ; Dn 7 ; 8 ; 10 ; 12), mais à quelques exceptions près – le livre de Daniel –, elles ne sont pas une vision de la divinité : il s’agit plutôt d’un signe divin explicité par un oracle.
L’enjeu de cette contribution est d’explorer le dogme biblique de la non-représentation divine (Ex 20,2‑6 ; Dt 5,6‑10) : comment dire ce qui ne peut être représenté, ce qu’il est interdit même de représenter ? Nous proposons de confronter l’interdit avec ses contextes littéraires plus larges et son cadre historique. Les ...
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMer 17 Mar 2021, 15:32

On n'en saura pas plus pour le moment...

Ce qu'il faudrait ne pas perdre de vue, c'est le cas de le dire, en cette affaire comme en toute affaire de "théologie biblique", c'est que le référent, le theos du logos, le "D-dieu" dont on parle en essayant de penser ce qu'on en dit, change non seulement d'un texte à l'autre, mais d'une lecture ou d'une réécriture à l'autre des mêmes textes: c'est et ce n'est pas le même "objet" (de vision, de représentation) et/ni le même "sujet" (de manifestation, d'apparition, etc.). L'"invisibilité" n'est pas l'apanage du "Dieu monothéiste", les dieux du polythéisme aussi sont ordinairement invisibles sauf quand ils se montrent (en "théophanie", en vision, en rêve, en image cultuelle); et le "Dieu" le plus "monothéiste", par exemple celui du deutéro-Isaïe, peut être "vu", il est peut-être plus "visible" que jamais. La question de la visibilité se pose cependant de tout autre façon selon qu'on a affaire à un dieu comme un autre, fût-il le plus grand et le plus fort, ou à un "Dieu" d'une singularité absolue (absolunique, comme chantait Dick Annegarn) qui se confond à la limite (panthéiste) avec la totalité de l'être, du sensible et de l'intelligible. Alors, bien sûr, il y a une continuité de l'interdit "biblique" (ou islamique) des images à la "théologie négative", qu'elle soit juive, chrétienne ou musulmane d'ailleurs, à condition de se rappeler que cette continuité se retracerait aussi bien dans toutes les "religions", y compris les plus foisonnantes en dieux et en images, qui n'échappent pas davantage au jeu de l'in-visibilité (tantôt invisible tantôt vu, tantôt caché tantôt révélé, Fort, da, etc.).
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MessageSujet: XYZ   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMer 29 Sep 2021, 14:30

Encore que certains psaumes suggèrent que le juste peut voir la face de Yahvé (Ps 11, 7). Ainsi le psaume 17, 15: «Pour moi, dans mon innocence, je contemplerai ta face; au réveil, je me rassasierai de ton image.» Ou encore: «Fais luire ta face sur ton serviteur, sauve-moi dans ta bonté» (Ps 30, 17). Cette image d'une face, foyer réfléchissant tantôt la colère tantôt la bénédiction divine donne à penser. Face gratifiante qu'on ne saurait regarder de face, qui échappe à la captation du regard, qui interdit que l'on s'y arrête ou que l'on s'y méduse. On pressent ici, d'une certaine manière, l'isomorphie entre «le dispositif de la judaïté et celui de la psychanalyse». Puisque, tel Persée, le psychanalyste ne s'affronte pas à la Méduse. Il élude le face-à-face. Comme si le patient se devait d'être imaginé à son insu, interprété par là où il ne peut s'identifier, dans la déchirure de la ressemblance. Ou encore, «comme s'il ne fallait pas que l'autre sache comment se produit, comme appareil, la théorie où il est écouté, c'est-à-dire, fondamentalement, vu et représenté». Ainsi le note Jean-François Lyotard :

On pourrait dire que le patient, c'est le peuple d'Israël: il veut des images, des réponses, de la jouissance, il confond le je et le sens; il ne peut pas entendre Yahvé, parce qu'il ne le voit pas. Le psychanalyste est comme Moïse: il ne répond pas à la demande d'Israël, il répond à l'ordre, à la saisie de Yahvé

C'est justement vers le point focal où la face d'elle-même se voile que converge l'activité de l'homme religieux en Israël. Ainsi le note Edouard Dhorme :
 
servir. Naturellement on apporte des offrandes (Ex 33, 15; Dt 16, 16; Is 1, 12-13). Dieu habite dans le temple et c'est là qu'on voit sa face. L'exilé soupire après le jour où il pourra venir rendre hommages à son Dieu: «Quand viendrai-je et verrai-je la face de Dieu?» (Ps 42, 3).

L'isomorphie pourrait se prolonger dans la mesure où l'analysé, par sa parole et sa quête, contre espèce sonnante et trébuchante, imagine le rictus bienveillant de l'analyste. Que luise à son endroit une interprétation brillante, gratification laïque qui, de la situation de l'analyste, aurait pu expliquer la circonspection de Freud à l'égard de Moïse rendu égyptien pour la circonstance.

Dans le registre éthique, cette fascination de Lévinas pour le visage de l'Autre est la contre-partie à l'identité de Dieu, dont tout l'être se rassemble principalement dans le rayonnement de sa Face. L'homme trouverait-il dans l'Autre la face infiniment réverbérée de Dieu? À moins que cette situation où visage et face ne se rencontrent jamais ne consacre une déchirure de la ressemblance, une disparité qui n'a de mesure que celle existant entre la vie et la mort. Comme le note le poète juif Edmond Jabès :

L'homme n'ayant pas connu le visage de Dieu, ne connaîtra jamais, a fortiori, le sien. Il sait seulement la douleur de la perte. Il sait que ce qui passe pour être
son visage n'est, au fond, que la nostalgie d'une absence de figure. https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1993-v49-n1-ltp2145/400732ar.pdf
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeMer 29 Sep 2021, 16:42

Excellent article, disais-je avant de transférer ton post d'ailleurs ici -- où j'étais persuadé, à tort, que nous avions déjà évoqué Levinas. C'est en tout cas le lieu, et chose faite.

Pour rappel, Derrida aussi a été un lecteur attentif de Levinas, d'abord critique (dès "Violence et métaphysique", dans L'écriture et la différence, 1967 !), puis de plus en plus nuancé et proche, jusqu'après sa mort, je veux dire celle de Levinas (voir ici un "contrechamp" intéressant, bien qu'il n'y soit guère question du "visage").

J'avais également été frappé par la "réplique" de Deleuze, dans Mille plateaux (les auteurs se présentent à moi dans l'ordre aléatoire où je les ai lus: Levinas et Lacan d'abord, en contrepoint de la théologie, vers la fin des années 1980; Derrida dix ans plus tard, Deleuze encore après, Lyotard trop peu jusqu'ici) -- me laissant, bon public, tout à fait piéger par sa stratégie: j'éprouvais une gêne croissante à lire ce qu'il écrivait du visage, en remarquant que tout cela ne valait que pour le "blanc", avant de comprendre que c'était précisément là qu'il voulait en venir: toutes nos considérations sur le "visage", avec l'opposition et l'économie du visage et du corps qu'elles impliquent, sont inconsciemment "raciales", sinon "européo-centrées": le visage, seul apparent avec les mains dans les costumes et coutumes de référence, où se concentre donc toute l'attention, est blanc a priori, comme la page ou l'écran (de cinéma) où vont s'inscrire et se détacher des traits et des signes. Bien entendu, s'il est "rac(ial)iste", le "visage" est a fortiori "spéciste" -- Derrida rappelle plusieurs fois la question malicieuse posée à Levinas, "l'animal a-t-il un visage ?" et sa réponse: "Je ne sais pas."

Je trouve par ailleurs assez amusant de constater que le mot de "morphologie", qui désignait couramment il y a cinquante ans une typologie des visages, avec éventuellement des déductions psychologiques à la clé (mes parents, ma mère surtout, étaient assez portés sur ce genre de chose), suivant une tradition qui remonte au moins au XVIe siècle mais s'était considérablement développée au XIXe, y compris dans ses aspects "racialistes" que le nazisme n'a pas inventés, a quasiment disparu dans ce sens-là, sans doute pour des raisons de "correction politique" (cherchez "morphologie" sur Internet, vous trouverez tout sauf ça; il faut chercher "physiognomonie", dont on vous avertira que c'est une "pseudoscience" avant de vous expliquer en quoi ça consiste). D'autant que dans le même temps la "biométrie" ou "anthropométrie" s'est largement technicisée, notamment avec l'intelligence artificielle et la reconnaissance faciale, à des fins surtout policières...

Je divague, mais on peut revenir à l'article, qui rejoint et enrichit nos discussions précédentes sur la "face de Dieu" (elle aussi, blanche par défaut, "normale" comme dirait Coluche; cf. le bon Dieu chinois de Pagnol).

---

C'est assez remarquable, par exemple, qu'on ne trouve quasiment pas de "sourire" dans la Bible, du moins dans les bibles traditionnelles: ni dans l'AT ni dans le NT, ni chez "Dieu" ni chez personne -- bien qu'il y en ait en grec (meidaô etc.), au moins depuis Homère: je ne vois qu'une seule exception en Siracide 21,20, qui oppose le rire bruyant du stupide au sourire silencieux du sage. On peut interpréter comme "sourire" (et donc traduire, "fonctionnellement", par "sourire") un certain nombre d'expressions hébraïques, qui jouent précisément de la lumière et de la "face" -- visage qui s'éclaire, s'illumine, etc.; cf. notamment le parallélisme de Job 29,24, entre shq qui signifie plutôt rire, comme son quasi-homonyme çhq qui joue dans la Genèse sur le nom d'Isaac, et 'wr pnym, "lumière de la face", qui rappelle plusieurs locutions des Psaumes évoquées plus haut.
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeVen 01 Oct 2021, 10:50

Un article déjà cité mais que je trouve intéressant par l'idée que nous puissions VOIR Dieu d'une manière (pas si) secondaire, en reflet dans un miroir :

Mais quel est ce miroir qui, quoiqu’il ne donne qu’une image seconde de Dieu, nous permet cependant de l’apercevoir ? C’est le Christ. Pour comprendre comment le Christ peut devenir ce miroir, il importe de revenir à ce que nous disions de la sagesse divine. La Sagesse, qui était à l’origine un attribut de Dieu par lequel l’homme pouvait entrer en communication avec la divinité puisqu’elle constituait une sorte de « terrain commun » entre ciel et terre, eut tendance, avec le temps, à se personnifier, à prendre une certaine autonomie par rapport à Dieu. L’achèvement de ce mouvement se trouve dans le Christ, comme en témoigne le long et célèbre prologue de Jean, dont les deux éléments centraux sont les deux déclarations : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père » (Jn 1, 14). Et : « Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé » (Jn 1, 18). La nouveauté est grande : non seulement le Verbe exprime l’un des attributs de Dieu, sa gloire, la fameuse Shekhina qui est l’apparence même de Dieu, sa manifestation, mais en outre, il dévoile le Dieu invisible. Aussi lui-même peut-il déclarer par la suite : « Dans les prophètes il est écrit : Tous seront instruits par Dieu. Quiconque a entendu ce qui vient du Père et reçoit son enseignement vient à moi. C’est que nul n’a vu le Père, si ce n’est celui qui vient de Dieu. Lui, il a vu le Père » (Jn 6, 45-46). Il réitère cette déclaration : « Cependant, Jésus proclama : “Qui croit en moi, ce n’est pas en moi qu’il croit, mais en celui qui m’a envoyé et celui qui me voit, voit aussi celui qui m’a envoyé” » (Jn 12, 44-45). Et enfin :

« Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu. » Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit. » Jésus lui dit : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m’as pas reconnu ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu : “Montre-nous le Père ?” » (Jn 14, 7-9)

Dans un texte issu d’un autre univers, on trouve la même idée. L’Épître aux Colossiens affirme en effet fortement : « Il est l’image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature » (Col 1, 15)

https://journals.openedition.org/pallas/266#tocto3n5
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeVen 01 Oct 2021, 11:52

Article très riche en effet (cf. supra 18.12.2017 et 3.9.2018): il faudrait (re)lire aussi, au moins, les deux paragraphes qui précèdent ta citation (15-16), pour se rappeler que la pensée "spéculaire" (c.-à-d. du et en miroir, speculum, cf. Spiegel etc.) n'attend pas le christianisme, notamment dans le judaïsme hellénistique qui bénéficie déjà de tout l'héritage grec en la matière (platonicien, orphique, etc.). Et que le sujet ou l'objet, la figure ou le nom qui fait miroir et emporte dans son jeu tous ses autres (le "d/Dieu" ou la Sagesse, identifiée à la Loi ou à l'Homme, Anthrôpos ou Adam originel d'après le premier chapitre de la Genèse, au logos-raison ou au noûs-intellect avant le "Christ" chrétien), importe moins que l'"effet miroir" lui-même.

Bien entendu, le miroir n'offre qu'un type d'image parmi d'autres, singulièrement ambigu puisqu'il est à la fois le plus fidèle et le plus trompeur (inversion symétrique), le plus constant et le plus passager (l'image disparaît comme elle apparaît, on la retrouve comme on l'a laissée, hormis d'imperceptibles différences -- "les miroirs feraient bien de réfléchir davantage", phrase de l'Orphée de Cocteau où le miroir est évidemment central). L'empreinte (type, caractère, du sceau à l'imprimerie, moule et modèle, également inversés mais plus durables), la peinture, la sculpture, le théâtre, la danse, la photographie ou la cinématographie en sont d'autres, avec à chaque fois les avantages et les inconvénients de leurs techniques de re-présentation, mais tous les modes, types, figures de l'image (impossible de trouver un mot "abstrait" qui ne soit pas déjà une image) jouent ensemble de leurs différences à chaque époque, et dans toutes les "cultures".

Un des innombrables intérêts du miroir, c'est qu'il implique le spectateur dans le spectacle (toujours la même famille de termes), ou le "sujet" dans l'"objet", et qu'on ne saurait y voir "Dieu", par exemple, sans s'y voir soi-même.
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeJeu 31 Mar 2022, 12:24

Celle-ci figure dans la Bible à un lieu d une importance sans égale, lors de la révélation de Dieu sur le Sinaï. En Exode XX, 18, il est écrit que « tout le peuple voyait les voix » ...

La voix humaine est audible, la voix de Dieu est véritablement visible. Pourquoi ? Parce que toutes les paroles que Dieu prononce, sont non pas des mots, mais des actes dont les yeux connaissent plutôt que les oreilles.

Que signifie cette apocalypse de la voix, où l'éclat de la lumière et du feu parle, où le visible nous tutoie par une requête sans esquive ? La vision qui écoute n'a rien d'une puissance de maîtrise et de thématisation, ce qu'elle voit la saisit bien plus qu'elle ne le saisit, l'embrasse bien plus qu'elle ne l'embrasse. Philon la décrit « si puissante que les auditeurs les plus éloignés crurent la percevoir aussi distinctement que ceux qui se trouvaient le plus près ». Elle ne suppose pas en nous un organe récepteur déjà disposé à la recevoir, son événement seul crée en nous les conditions de sa réception. Le visible prend voix quand il n'est pas prévu. Cette voix, dit Philon, « dans l'âme de chacun instaurait un autre sens de l'ouïe de beaucoup supérieur à celui qui a les oreilles pour truchement ». Que l'œil écoute ainsi met tout notre être à l'épreuve du verbe. A l'autre extrémité de la Bible, dans l'événement de la Pentecôte, où l'invisible par excellence se manifeste en donnant la parole aux apôtres, une autre forme de voix visible est présente. « Ils virent apparaître des langues comme de feu; elles se partageaient, et il s'en posa une sur chacun d eux » (Actes, II, 3). Le don mystérieux de la parole se donne visiblement -et il n en est pas moins mystérieux. 

https://www.academia.edu/35312023/Jean-Louis_Chr%C3%A9tien_La_voix_visible
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MessageSujet: Re: Dieu côté face   Dieu côté face - Page 2 Icon_minitimeJeu 31 Mar 2022, 14:32

Très beau texte, à lire lentement -- d'ailleurs il impose son tempo, comme la vision (se) fait écouter et le son regarder. "L'œil écoute" de Claudel rappellerait, entre autres, la formule quasiment inverse de Luc (8,18 ), "regardez ce que vous entendez", à propos des "paraboles" -- qui ne sont pas sans rapport avec la "poésie", quant à la sollicitation de tous les sens, comme par "sympathie" au sens musical, à partir d'un seul sens (pas le même, d'ailleurs, selon qu'on les entend ou les lit, à haute voix ou non); et en vue (etc.) de l'uni(ci)té du "phénomène", où l'être ne fait qu'un avec sa perception (cf. Parménide, fût-ce dans son interprétation minimale: c'est du même qu'il y a être et penser).

Pour rappel, en ce qui concerne le Sinaï, le texte, au moins "au premier degré" quoi qu'on entende exactement par là, est indissociable du phénomène de la foudre (associée à Yahvé comme à Baal ou à Zeus): qwl-qol en hébreu ce n'est pas seulement la "voix" mais le son en général, et en particulier le tonnerre comme "voix de dieu" (cf. notamment le psaume 29). Exemple exemplaire du phénomène à la fois (mais pas tout à fait en même temps) visible et audible (éclair et tonnerre en décalage variable selon la distance), où la vue et l'ouïe se combinent sans se confondre (différance déjà). Sur un autre registre (ciel plus astral que météorologique, donc plus calme sinon tout à fait silencieux) on pensera aussi au début du psaume 19 (parole sans parole, voix sans voix, que relaie ou relève la "loi" dans la deuxième partie).
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