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 D'où vient YHWH ?

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ASSAD
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MessageSujet: Re: D'où vient YHWH ?   D'où vient YHWH ? - Page 7 Icon_minitimeJeu 21 Fév 2019, 17:09

À première vue, la relation difficile entre les « frères » Jacob/Isräel et Esaü/Edom qui se termine néanmoins par une réconciliation ne semble pas faire beaucoup de sens à cette époque et l’on pourrait penser que cette partie du cycle de Jacob présuppose déjà la reprise judéenne de l’histoire de Jacob et une compréhension théologique du terme « Israël » englobant l’ensemble du « peuple de Yhwh ». Les graffiti de Kuntillet Ajrud qui datent de la première partie du VIIIe siècle avant notre ère indiquent cependant à cette époque la vénération d’un « Yhwh de Samarie » et d’un « Yhwh de Téman » . Téman se réfère, selon les attestations bibliques, au territoire édomite. La documentation de Kuntillet Ajrud indique une vénération de Yhwh en Israël et en Edom. Dans ce contexte, l’histoire de la réconciliation et de la séparation de Jacob et Esaü pourrait refléter l’acceptation que Yhwh n’est pas seulement (et premièrement ?) vénéré en Israël mais aussi en Edom.

https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2015-1-page-35.htm#re40no40
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MessageSujet: Re: D'où vient YHWH ?   D'où vient YHWH ? - Page 7 Icon_minitimeVen 22 Fév 2019, 00:10

Le nom de Yhwh ne paraît pas jouer un rôle déterminant en Genèse 32--33: il est seulement mentionné de façon très banale (en régime "documentaire" on aurait dit "rédactionnelle") en 32, 9, et tout le combat de Jacob avec l'homme-dieu serait plutôt une théophanie de 'El (cf. Péniel/Pénouel) que de Yhwh (dans tout ce passage c'est surtout Esaü qui est appelé 'adôn, "seigneur".)

Cela dit, l'article de Römer est passionnant, et très instructif pour tout ce qui concerne la recherche récente.
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MessageSujet: Re: D'où vient YHWH ?   D'où vient YHWH ? - Page 7 Icon_minitimeMer 26 Jan 2022, 17:02

“Me voici, je réponds”

Considérons l’un des épisodes bibliques les plus emblématiques. À travers les flammes d’un buisson, un dieu appelle Moïse qui lui répond hineini, “me voici”. Il lui révèle alors qu’il est “le dieu de son père” et lui demande de libérer son peuple. À première vue, c’est le dieu qui prend l’initiative de l’appel : sa convocation préalable interpelle le sujet qui la reçoit passivement. Ce n’est pourtant qu’une interprétation partielle de l’épisode qui le dissocie de son contexte narratif, du récit évoquant le sort des Hébreux en Égypte : « Les fils d’Israël gémissent de leur servitude, ils appellent à l’aide et, de la servitude, leur appel monte vers le dieu. Le dieu entend leur plainte. Le dieu se souvient de son alliance avec Abraham, avec Isaac, avec Jacob. Le dieu voit les fils d’Israël, le dieu sait ». Au verset suivant, le récit nous conduit sur les pentes du Sinaï où le berger Moïse va rencontrer YHVH. Ce n’est donc pas l’appel divin qui vient en premier : il est précédé par le cri de souffrance des asservis. Leur appel précède le sien, le convoque, l’invite à répondre : il en appelle à l’appel divin, si bien que le dieu apparaît comme l’obligé de l’appel. Le hineini de Moïse semblait signifier que l’homme ne fait jamais que répondre à un appel initial du dieu ; mais c’est ici le dieu qui répond aux hommes, comme si la place du répondant pouvait être occupée tour à tour par un homme ou par le dieu lui-même. Isaïe le confirme, qui nous a transmis cette parole de YHVH : « Mon peuple connaîtra mon nom. Il saura que je suis celui qui dit me voici » (52, 6). « Me voici, je réponds » serait l’un des noms divins. Se pourrait-il que le dieu ne soit rien d’autre que sa réponse à l’appel des hommes ?

Je suis celui qui dit Je suis

Que le dieu soit l’invoqué d’une invocation, voilà qui remet en question les trois thèses de la phénoménologie de la religion, non seulement celle qui affirme la préséance de sa manifestation, mais aussi celle qui le caractérise comme infiniment-Autre et celle qui lui dénie une ipséité originaire. Voyons ce qu’il en est de ces deux derniers préjugés. Si le dieu était le “tout-Autre“ séparé de nous par une distance infinie, comment l’invocation d’un homme pourrait-elle l’atteindre au point de susciter une réponse ? Et comment sa réponse pourrait-elle atteindre en retour l’homme qui l’invoque ? Comment pourraient-ils passer alliance, comme l’ont fait le dieu d’Israël et son peuple ? Entre les hommes et lui, une entente est donc possible, une certaine forme de communauté. Il n’est pas question de nier la distance qui les sépare, mais d’admettre que, en dépit de cette distance, il y a un trait commun qui les rapproche. Ouvrons à nouveau la Torah, au moment solennel où, juste avant d’énoncer les Dix Paroles, le dieu se présente : « Je suis YHVH ton dieu qui t’ai délivré d’Égypte, de la Maison de Servitude » (Exode 20, 2). Avant même de se définir comme le Libérateur des asservis, il se présente en première personne, par un je suis. Ce qui compte dans cette parole, c’est à la fois l’affirmation d’une relation – « je suis ton dieu » – et celle d’un Je, c’est-à-dire une singularité vivante capable d’appeler et de répondre. Le dieu s’était déjà manifesté ainsi à Moïse, en répondant à la question portant sur son nom par l’énoncé énigmatique ehyeh asher ehyeh. Cette phrase a été traduite de différentes façons et il y a plusieurs manières de l’interpréter. La plupart des philosophes y ont vu l’affirmation d’une identité ontologique entre l’Être et “Dieu” (« je suis celui qui est »), alors que certains l’ont interprétée comme un refus de répondre (« je suis qui je suis » … et je ne t’en dirai pas plus !). Puisque son mode verbal est un inaccompli, une sorte de futur, il faudrait plutôt la traduire par « je serai qui je serai » (ou « comme je serai »). Du Talmud à Rachi, la tradition juive y a entendu la promesse d’être avec, celle d’un soutien et d’une alliance (« je serai avec toi en cette détresse comme je serai avec ton peuple dans les détresses à venir »). Retenons avant tout que le dieu se présente à la première personne du singulier et c’est cela qu’exprime d’abord cette phrase. À celui qui lui demande comment il s’appelle, il répond « je suis celui qui dit je suis » : celui qui, en prenant la parole, dit “je”. Parmi ses nombreuses traductions possibles, la plus appropriée serait alors celle que propose Cassirer : « Je suis le Je suis »– ou peut-être la variante plus risquée de Lacan : « Je suis ce qu’est le Je ».

https://journals.openedition.org/alter/2197#tocfrom1n3


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MessageSujet: Re: D'où vient YHWH ?   D'où vient YHWH ? - Page 7 Icon_minitimeMer 26 Jan 2022, 19:12

Ce beau texte (également cité ici aujourd'hui même) ne fera pas beaucoup avancer la question-titre de ce fil, "D'où vient YHWH ?", question qui n'a d'ailleurs aucune importance "théologique". Il attire en revanche utilement l'attention sur un "phénomène" si banal qu'il passe le plus souvent inaperçu, à savoir l'usage (linguistique, grammatical) de la "première personne" (du singulier: je, me, moi) qui est commun aux hommes (femmes, enfants) et aux dieux (ou déesses), mais aussi à tout ce qu'on peut "personnifier" (animaux, végétaux, minéraux, anges, démons, esprits, choses et "concepts" en tout genre, p. ex. la "Sagesse"): dès lors qu'ils parlent ou qu'on les fait parler, ils disent "je, moi", ils ne pourraient même pas parler autrement, sinon pour énoncer des ordres (à la deuxième personne) ou des généralités (à la troisième personne).

Il est certes moins banal que la "première personne" soit liée à l'"explication" du nom Yahvé en Exode 3 (par un "jeu de mots" sur un verbe voisin, hyh conjugué deux, trois ou quatre fois à la première personne de l'inaccompli, 'ehyeh, je ne reviens pas sur le détail). On peut en effet rapprocher cela de nombreuses autres affirmations du "je/moi" de Yahvé dans le corpus "biblique", à condition de tenir compte (ce que cet article ne fait pas assez) des différences linguistiques effectives qui s'effacent en traduction française. Par exemple, entre le 'ehyeh (verbe conjugué à la première personne sans pronom séparé) d'Exode 3 et l'anokhi (simple pronom sans verbe exprimé) d'Exode 20,2 ("Moi, Yahvé ton Dieu..."), il y a équivalence partielle de "sens" qui peut se traduire dans les deux cas par un "je suis", mais strictement aucune correspondance formelle; de même avec les 'ani hou' ("moi, lui / cela") du deutéro-Isaïe que la Septante traduit par des egô eimi (moi, je suis, c'est moi qui suis) sans attribut; ou, toujours dans le deutéro-Isaïe, le hinnéni de 52,6 (qui correspondrait plutôt dans Exode 3 à la réponse de Moïse, "me voici").

Bref, s'il y a "phénomène", c'est avant tout le phénomène linguistique par lequel tous les locuteurs (humains, divins, réels, fictifs, choses ou concepts personnifiés) utilisent le même "je", exprimant le plus singulier, le plus intime, le plus auto-identifiant, par les formes les plus communes; ce phénomène-là est assurément digne de méditation "phénoménologique", et même "théologique", ne fût-ce que pour constater qu'un "dieu" ou même "Dieu" n'y échappe pas dès lors qu'il parle ou qu'on le fait parler. D'une certaine façon, le texte d'Exode 3, par son redoublement caractéristique de la forme à la première personne, peu importe comment on le traduit (je suis/serai qui/que/quoi/comme je suis/serai, cf. 33,19 avec des verbes transitifs, j'aurai pitié-compassion de qui j'aurai pitié-compassion etc.), est déjà engagé dans une telle méditation qui engage à son tour toutes les méditations à venir (y compris les Méditations de Descartes). Ce n'est certainement pas une raison pour mélanger toutes les "explications", mais il est plus difficile qu'on le croit de les séparer les unes des autres et a fortiori de les opposer les unes aux autres, parce qu'elles participent non seulement de la même tradition religieuse et littéraire, mais encore et surtout de la même nécessité structurelle de langage-pensée (on pense en "je" comme on parle et on ne saurait penser autrement).
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