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| Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 | |
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free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Dim 10 Sep 2023, 12:16 | |
| J'ai le souvenir que nous avions déjà abordé spécifiquement le chapitre 5 mais je ne retrouve pas le fil, donc je propose l'aborder, même si de nombreuses idées ont déjà été analysées mais pas dans leur contexte.
Brusquement, le cinquième chapitre change les décors : Nabuchodonosor disparaît sans transition de la scène et l’on se retrouve dans un festin grandiose où son fils Balthazar 5 reçoit un millier de ses dignitaires. Le repas est servi dans de la vaisselle d’or qui avait été enlevée du temple de Jérusalem par Nabuchodonosor. Soudain apparaissent des doigts écrivant des mots mystérieux sur le mur. Terrifié, le roi fait appel à ses devins qui se révèlent incapables de lire et, encore moins, d’interpréter l’énigmatique message. Mais il revint à la mémoire de la reine-mère qu’un certain Daniel avait au temps de Nabuchodonosor manifesté une sagesse et une perspicacité extraordinaires pour interpréter les songes et déchiffrer les énigmes. On fit venir Daniel devant le roi, qui lui dit : « Il est écrit sur le mur Mené, mené, Teqel, Oupharsin, ce qui veut dire : Dieu a mesuré ton royaume, tu as été pesé et ton poids se trouve en défaut, ton royaume sera divisé entre les Mèdes et les Perses. » Comme le roi l’avait promis à qui déchiffrerait ce mystérieux message, Daniel fut revêtu de pourpre, reçut une chaîne en or et il se vit conférer une part de l’autorité royale. Mais cette nuit-là Babylone fut conquise par « Darius le Mède ». C’est ce qu’affirme Daniel 6, 1. En fait, ce ne fut pas Darius le Mède, mais Cyrus II dit le Grand, fondateur de l’Empire perse (~550 - ~530), qui conquit Babylone en ~539. Il était par sa mère Mandane le petit-fils d’Astyage, le dernier roi mède. Mais, suivons en dépit de cette remarque, le récit biblique.
Daniel conserva sous l’administration nouvelle un poste important ; il devint l’un des trois ministres chargés de vérifier les comptes des satrapes, les administrateurs des provinces dans l’Empire perse. Jaloux et lassés de son autorité, les satrapes imaginèrent un subterfuge pour se débarrasser de lui : ils persuadèrent le roi de proclamer un édit suivant lequel il était interdit dans les trente jours qui suivraient, sous peine d’être livré aux lions, de rendre un hommage à quiconque, homme ou dieu, hors la personne du roi. Mais Daniel, fidèle à son Dieu, persista à Lui rendre hommage et n’obéit pas à l’édit royal. Les satrapes rendirent compte de cette conduite au roi qui, à son corps défendant, fut forcé par la loi qu’il avait promulgué de jeter Daniel dans la fosse aux lions. Mais, protégé par YaHWeH, Daniel passa la nuit dans la fosse sans que les lions ne s’attaquent à lui. Le roi, enchanté par ce prodige, lui conserva la faveur qu’il lui portait et jeta dans la fosse les hommes qui l’avait dénoncé, ainsi que leurs femmes et leurs enfants, qui furent en peu d’instants déchiquetés par les fauves affamés. Il rendit un nouveau décret intimant à tous les peuples de son empire de rendre hommage au Dieu de Daniel. Et le sixième chapitre du Livre de Daniel se clôt laconiquement par ces mots : « Ce même Daniel fleurit sous le règne de Darius et sous celui de Cyrus le Perse. » En plus de son invraisemblance intrinsèque, le récit qu’offre ce chapitre est contraire aux données de l’histoire, puisque Darius ne fut pas le conquérant de Babylone, qu’il était perse plutôt que mède, et qu’il régna après Cyrus et son fils Cambyse et non pas avant Cyrus. Quant aux satrapies, elles furent instituées au cours du règne de Darius Ier, qui occupa le trône de ~521 à ~486, mais elles n’apparurent pas avant cette période.
Il n’en reste pas moins que Balthazar, ce roi de peu d’importance quant à l’histoire politique de la Babylonie, occupera une place non négligeable dans l’histoire littéraire, à laquelle il convient de joindre, cela va de soi, l’histoire du texte biblique et de ses retombées dans les cultures juive et chrétienne ultérieures. C’est ce que nous verrons, quand nous aborderons par la suite, la section consacrée à l’influence qu’exercera le Livre de Daniel dans la pensée et la production artistique à venir.
5 Ainsi parle le Livre de Daniel (Dn, 5, 2). En réalité, Balthazar (ou Belshazzar ou Bel-Shar-Uzur — son nom signifierait Que Bel protège le roi) était le petit-fils de Nabuchodonosor par Nabonide qui succéda à son père. Celui-ci conféra à Balthazar le titre de régent chargé de gouverner la région de Babylone en son absence. Ils furent renversé en ~539 par les armées perses conduites par Cyrus. C’est ainsi que prit fin le puissant empire néo babylonien.
(...)
Le festin de Balthazar La plus importante œuvre d’art qui ait été consacrée à cet épisode du Livre de Daniel fut exécutée par Rembrandt en 1635. Elle se trouve à la National Gallery de Londres. Elle se rapporte à un événement crucial du chapitre V de ce livre, alors que le roi de Babylone offrit un grandiose festin où l’on but dans la vaisselle sacrée qui avait été enlevée du temple de Jérusalem par Nabuchodonosor lors de la conquête de la ville. La toile de Rembrandt représente le moment où une main apparut sur le mur écrivant un mystérieux message que seul Daniel parvint à décrypter. Écoutons le texte biblique :
À l'instant même, sortirent les doigts d'une main d'homme qui écrivait en face du candélabre, sur la chaux du mur du palais royal, et le roi vit cette extrémité de main qui écrivait. Lors le roi changea de couleur, et ses pensées l'épouvantèrent ; les jointures de ses reins se relâchèrent et ses genoux s'entrechoquèrent. (Dn 5, 5-6).
La toile de Rembrandt peint avec une prenante vraisemblance la terreur qui saisit les personnages témoins de ce redoutable spectacle, terreur que nous sommes invités par son art à partager. Du mystérieux message émane une source lumineuse qui éclaire les visages, les somptueux vêtements et les plats de métal précieux, permettant à l’artiste de jouer à ces jeux d’ombre et de lumière typiques du clair-obscur dont il fut à la suite du Caravage le maître par excellence.
À cette époque les Pays-Bas vivaient, depuis le règne de Charles Quint, sous l’implacable emprise de l’Espagne, pays d’où, à partir de 1492, les Juifs avaient été chassés par l’Inquisition. Néerlandais de souche et Juifs réfugiés aux Pays-Bas s’identifiaient aux Judéens persécutés par les Babyloniens incarnés alors par les Espagnols. Bien après Rembrandt, bien en dehors des Pays-Bas, cette scène symbolisera l’oppression des puissances inflexibles, mais aussi la fragilité des tyrannies soumises aux renversements de l’Histoire.
https://www.usherbrooke.ca/apprus/fileadmin/sites/apprus/documents/Publications/ClaudeBoucher/livre/1.5_LE_LIVRE_DE_DANIEL.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Dim 10 Sep 2023, 14:20 | |
| Je ne me souviens pas non plus du fil mais je me souviens bien du livre de Claude Boucher, que tu avais précédemment cité à propos des Lamentations, 30.1.2023.Ce qu'on n'a aucune chance de comprendre en traduction classique, à moins d'avoir -- et d'utiliser -- des annotations ou des commentaires, c'est que "l'écriture sur le mur" (l'expression the writing on the wall est devenue quasi proverbiale en anglais, formule stéréotypée au sens de signe de catastrophe imminente) a a priori un sens, concret mais énigmatique, celui d'une somme d'argent exprimée comme une mesure de poids: "(une) mine, (une) mine, (un) sicle et (des) fractions (moitiés, ou "poussières")" (ce qui rappelle la structure également énigmatique de "un temps, des temps et la moitié" dans la seconde partie du livre; l'ordre de valeur décroissante rappelle aussi celui des métaux dans le songe de la statue au chap. 2, cf. les "âges" d'Hésiode, repris notamment par Platon dans un sens "politique", sur la dégradation des régimes de la royauté sage à la tyrannie arbitraire, en passant par l'oligarchie et la démocratie). En tout cas il ne suffit pas à Daniel de "déchiffrer" les mots ou les lettres, ce qui supposerait une langue ou une écriture étrangère, il lui faut surtout en fournir une interprétation contextuelle (interprétation "morale" ou "figurée" du compte, du poids et/ou de la balance, mene / tekel = shekel, lecture de la ou des "fractions", peres/p(h)arsin, au double sens de la division et du gentilice "perse"). L'aspect artistique du travail de C. Boucher, qui est sa principale originalité, met aussi en évidence une chose importante: on n'a pas besoin de croire à une "histoire écrite (scénarisée, storyboardée, tournée, les métaphores cinématographiques s'imposent) à l'avance" pour trouver à des textes anciens, "bibliques" entre autres, une pertinence morale ou politique trans-temporelle, susceptible de s'appliquer à beaucoup d'époques et de situations, sinon à toutes. Le schéma général du renversement par lequel ce qui est haut est abaissé et ce qui est bas est élevé, l'orgueilleux humilié et l'humble glorifié (cf. le Magnificat de Luc qui est lui-même l'écho du poème d'Anne ou Hannah dans Samuel) est d'emblée applicable à une foule de contextes et de personnages, aussi bien le Nabuchodonosor du chapitre 4 ou le Balthazar du chapitre 5 que l'Antiochos visé par la seconde partie et/ou la rédaction finale du livre, et réutilisable indéfiniment -- ça s'use d'autant moins qu'on s'en sert... Il y a évidemment une forte tension entre le personnage du sage/mage de cour, tout à fait semblable au Joseph de la fin de la Genèse, qui interprète les rêves ou les visions des autres dans les chapitres 1--6, et le récepteur des visions "apocalyptiques" des chapitres 7--12, qui malgré l'interprétation angélique ne comprend pas ce qu'il voit ni ce qu'on lui dit et se borne à l'écrire pour un temps futur. |
| | | free
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Lun 11 Sep 2023, 10:31 | |
| Le festin de Balthazar
6. Avaler du vin, louer les dieux
25Le roi offre un banquet pour mille personnes et il commence à boire ; beaucoup, apparemment. Puis, quand il est désormais sous l’emprise du vin (cf. v. 2), il propose quelque chose de spécial, c’est-à-dire de recommencer à boire, vraisemblablement après le repas et dans un contexte différent que nous pouvons définir comme une beuverie rituelle. Il ordonne en effet d’apporter la vaisselle sacrée qui avait été prise à Jérusalem dans le temple de Yahvé et qui, comme Flavius Josèphe le remarque en racontant l’épisode, avait été déposée dans le temple du dieu de Babylone15. Balthazar, lisons-nous dans le livre de Daniel, fait apporter chez lui ces vases, et il semble clair qu’il n’en voulait pas faire un usage profane, c’est-à-dire s’en servir simplement comme coupes à boire – il y en avait déjà sur les tables du banquet – mais qu’il entendait les utiliser à présent, et seulement à ce moment, avec une intention nouvelle.
26Il ressort aussi du comportement des participants au festin qu’il s’agit bien d’un contexte rituel : en buvant le vin, le roi et ses convives « louèrent les dieux », chose qui, aux yeux de l’auteur biblique, représente un sacrilège qui vient s’ajouter à la profanation du Temple de Yahvé. Il s’agit donc résolument d’un acte cultuel, pendant lequel on boit du vin en utilisant des vases consacrés, au milieu d’invocations aux divinités de Babylone. Et voilà que tout à coup, la profanation est punie par Yahvé, du moins selon l’écrivain biblique, qui attribue au dieu d’Israël (cf. v. 18s) le prodige/message qui s’accomplit promptement. De notre point de vue, nous dirions plutôt : voilà qu’une consommation rituelle exagérée de vin produit chez le roi un état altéré de conscience, une disposition évidemment recherchée.
27Survient en effet une vision, quand le roi a assez bu et prié ses dieux : il s’agit d’une main qui écrit sur l’enduit du mur opposé à la lumière d’une lampe et vraisemblablement juste au-dessus de la tête du roi, qui apparemment est le seul à la voir. On ne dit pas immédiatement ce que la main écrit sur le mur ; on enregistre par contre la réaction du prince qui, seul, manifeste des signes physiques de transformation, voire de terreur extrême. Balthazar convoque alors les interprètes professionnels, les savants de Babylone, qui pourtant n’arrivent pas à lire ce qui a été écrit, si bien que le roi, et lui seul, reste de nouveau ébranlé.
7. Le devin talentueux
28C’est là que la reine mère intervient, elle qui n’avait pas participé au festin et qui trouve la solution pour faire sortir le souverain de son état d’agitation. Elle informe le roi de la présence à Babylone de Daniel et le décrit comme seul capable de déchiffrer l’écrit mystérieux, doué comme il est d’inspiration divine.
10 S’en vint dans la salle du festin la reine, alertée par les paroles du roi et des seigneurs. Et la reine dit : « Ô roi, vis à jamais ! Que tes pensées ne se troublent pas et que ton éclat ne se ternisse point. 11 Il est un homme dans ton royaume en qui réside l’esprit des dieux saints. Du temps de ton père, il se trouva en lui lumière, intelligence et sagesse pareille à la sagesse des dieux. Le roi Nabuchodonosor, ton père, le nomma chef des magiciens, devins, chaldéens et exorcistes. 12 Et puisqu’il s’est trouvé en ce Daniel, que le roi avait surnommé Baltassar, un esprit extraordinaire, connaissance, intelligence, art d’interpréter les songes, de résoudre les énigmes et de défaire les nœuds, fais donc mander Daniel et il te fera connaître l’interprétation ». 13 On fit venir Daniel devant le roi, et le roi dit à Daniel : « Est-ce toi qui es Daniel, des gens de la déportation de Juda, amenés de Juda par le roi mon père ? 14 J’ai entendu dire que l’esprit des dieux réside en toi et qu’il se trouve en toi lumière, intelligence et sagesse extraordinaire. 15 On m’a amené les sages et les devins pour lire cette écriture et m’en faire connaître l’interprétation, mais ils sont incapables de m’en découvrir l’interprétation. 16 J’ai entendu dire que tu es capable de donner des interprétations et de défaire des nœuds. Si donc tu es capable de lire cette écriture et de m’en faire connaître l’interprétation, tu seras revêtu de pourpre et tu porteras une chaîne d’or autour du cou et tu seras en troisième dans le royaume ».
29Il est clair que, pour tous les participants au festin, il s’agit d’une communication divinatoire, survenue lors d’un acte rituel, et non d’une devinette quelconque ; Daniel est donc invité à expliquer le message parce qu’il est jugé compétent pour comprendre les signes parvenus du monde surhumain. C’est pourquoi le roi fait à Daniel beaucoup de promesses, en échange de la juste interprétation du graphisme.
30Daniel repousse l’offre royale de récompense, comme signe de sa propre incorruptibilité16 ; ensuite, il parle comme un prophète, en faisant des reproches sévères au souverain :
17 Daniel prit la parole et dit devant le roi : « Que tes dons te soient retournés, et donne à d’autres tes cadeaux ! Pour moi, je lirai au roi cette écriture et je lui en ferai connaître l’interprétation. 18 Ô roi, le Dieu Très-Haut a donné royaume, grandeur, majesté et gloire à Nabuchodonosor ton père. 19 La grandeur qu’il lui avait donnée faisait trembler de crainte devant lui peuples, nations et langues : il tuait qui il voulait, laissait vivre qui il voulait, élevait qui il voulait, abaissait qui il voulait. 20 Mais son cœur s’étant élevé et son esprit durci jusqu’à l’arrogance, il fut rejeté du trône de sa royauté et la gloire fut ôtée. 21 Il fut retranché d’entre les hommes, et par le cœur il devint semblable aux bêtes : sa demeure fut avec les onagres ; comme les bœufs il se nourrit d’herbe ; son corps fut baigné de la rosée du ciel, jusqu’à ce qu’il eût appris que le Dieu Très-Haut a domaine sur le royaume des hommes et met à sa tête qui lui plaît. 22 Mais toi, Balthazar, son fils, tu n’as pas humilié ton cœur, bien que tu aies su tout cela : 23 tu t’es exalté contre le Seigneur du Ciel, tu t’es fait apporter les vases de son Temple, et toi, tes seigneurs, tes concubines et tes chanteuses, vous y avez bu du vin, et avez fait louange aux dieux d’or et d’argent, de bronze et de fer, de bois et de pierre, qui ne voient, n’entendent, ni ne comprennent, et tu n’as pas glorifié le Dieu qui tient ton souffle entre ses mains et de qui relèvent toutes tes voies. 24 Il a donc envoyé cette main qui, toute seule, a tracé cette écriture. 25 L’écriture tracée, c’est : Mené, Mené, Teqel et Parsîn. 26 Voici l’interprétation de ces mots : Mené : Dieu a mesuré ton royaume et l’a livré ; 27 Teqel : tu as été pesé dans la balance et ton poids se trouve en défaut ; 28 Parsîn : ton royaume a été divisé et donné aux Mèdes et aux Perses ». 29 Alors Balthazar ordonna de revêtir Daniel de pourpre, de lui mettre au cou une chaîne d’or et de proclamer qu’il gouvernerait en troisième dans le royaume. 30 Cette nuit-là, le roi chaldéen Balthazar fut assassiné.
31L’énigme que recèlent les mots tracés sur le mur continue actuellement d’être un sujet de débat. Une partie de la difficulté réside dans le fait qu’il y a une différence entre la forme des mots figurant sur le mur (Dn 5,25) et celle qui est proposée dans l’interprétation de Dn 5,26-28. La main écrit littéralement « une mine, une mine, un sheqel, une demi-mine » ; Daniel lit et interprète l’écriture de la main comme un jugement déjà émis, lié au sort du roi : déjà « mesuré », « pesé », et trouvé insuffisant, de sorte que son royaume sera « divisé » entre Mèdes et Perses, probablement avec un jeu de mot ultérieur en araméen, qui fait allusion à la victoire de la Perse sur Babylone.
32La narration se termine par une glose d’un effet dramatique : l’indication divinatoire, reçue au cours de cette beuverie sacrée, trouva un écho dans la réalité des faits, puisque, la même nuit que le festin, Balthazar fut tué et son trône fut cédé à Darius le Mède17. Au-delà de l’historicité du récit, ce qui paraît surprenant c’est l’attitude du souverain qui couvre de cadeaux le prophète Daniel qui vient pourtant de proclamer sa fin imminente.
https://journals.openedition.org/pallas/7753#tocto1n6 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Lun 11 Sep 2023, 12:02 | |
| Merci de cette lecture très intéressante. Du point de vue exégétique, il me semble toutefois un peu arbitraire de privilégier un "modèle syrien" ( marzeah), en lui prêtant une sorte d'"identité pure" ou du moins de "continuité" sur près de deux millénaires, alors que les coutumes relatives à l'usage du vin sont à peu près les mêmes depuis la nuit des temps dans toutes les régions viticoles de la Méditerranée et du Proche-Orient, et que sur ce qui les différenciait dans le détail elles ont eu d'innombrables occasions de s'influencer les unes les autres. Dans la perspective de la "rédaction finale" de Daniel, les traditions grecque(s) (cf. le sum-posion cher à Platon, latinisé plus tard en "symposium", et qui évoque bien la boisson, cf. encore notre mot "potable" -- c'est le titre grec du "Banquet" et le cadre de la plupart des dialogues platoniciens, et l'équivalent presque exact de l'hébreu mishteh) et syrienne(s) avaient tout lieu de se confondre dans l'empire séleucide, à la fois syrien et hellénistique... Dans une perspective plus large cependant, les textes mythologiques en général et ceux d'Ougarit en particulier illustrent une conception de l'ivresse très différente de la nôtre: les rois et les dieux s'enivrent et s'endorment d'une quasi-mort, "ivres-morts" comme on dit encore, ça fait partie de leur "bonheur" essentiel (les "bienheureux"), et il faut dans ce cas les secourir ou les réveiller -- si cela devient l'objet d'une caricature et d'un jugement "moral" chez les Prophètes "bibliques", dans un sens socio-politique (vices des riches et des puissants) ou confessionnel (vices des autres dieux que Yahvé, comme Baal qui dort dans la moquerie d'Elie), on le retrouve chez Yahvé qu'il faut aussi souvent réveiller (Psaumes, trito-Isaïe, etc.). En ce qui concerne les vertus "divinatoires", il ne faut pas oublier que le vin, en Grèce comme en Orient, était le plus souvent bu mélangé (cela se traduit aussi dans les textes bibliques, on "mélange" la coupe), et qu'il pouvait l'être à toute sorte d'aromates, y compris "psychotropes" quand c'était l'effet recherché. Et bien sûr c'était aussi toujours plus ou moins "rituel", comme tout repas surtout "officiel" qui était aussi de communion avec les dieux, associé à des "sacrifices" (on a reparlé récemment des " libations"). Au plan littéraire, on peut surtout remarquer la proximité avec les banquets ( mishteh) royaux qui ponctuent le récit d'Esther (1,3ss etc.), "roman de diaspora" comme celui de Joseph et Daniel 1--6 -- on retrouve mishteh en Daniel 1,5.8.10.16, et l'équivalent araméen en 5,10 ( beyt mishteya' pour "maison du banquet", LXX tou potou = "de boisson", ce que ne semble pas avoir vu l'auteur, cf. note 13). Pour rappel, dans les bibles hébraïques le livre de Daniel se trouve juste après celui d'Esther (dernier des Megillot).
Dernière édition par Narkissos le Lun 11 Sep 2023, 12:50, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Lun 11 Sep 2023, 12:45 | |
| Bien mesurer le pouvoir - (Je ne sais pas trop penser de cette article)
La réponse de Daniel révèle une dimension essentielle de la prophétie biblique : « Daniel répondit au roi : "Garde tes cadeaux, et offre à d’autres tes présents ! Néanmoins je lirai au roi l’inscription et je lui en donnerai l’interprétation. " » (5, 17). Le prophète ne révèle pas de mystères contre de l'argent, il ne répond pas aux offres financières ou politiques. Il agit par vocation, et cela suffit - "néanmoins je...". C'est un élément clé pour distinguer les vrais des faux prophètes, les philosophes par vocation (Socrate) de ceux qui le sont par profit (les sophistes). Cette distinction s’impose toujours dans notre monde sécularisé, où les mages chaldéens côtoient encore Daniel, mais nous n'avons plus les outils pour la réaliser, et nous finissons presque toujours par interpréter le prix élevé de leurs services comme un signe de leur qualité de "prophètes", par considérer leurs honoraires comme signe de leur honorabilité.
« Offre tes cadeaux à d’autres » : à plusieurs reprises dans la Bible, nous trouvons une forte critique des dons, mais pour la comprendre, nous devons traduire le mot don par cadeau. Afin de pouvoir offrir son don au roi, Daniel doit assainir le champ éthique des cadeaux royaux. Il s'agit d'une opération essentielle dès lors que l'on veut faire un véritable don (gratuit) à quelqu'un qui se trouve, objectivement, sur un plan hiérarchique supérieur : le don devient possible si le donateur parvient à se mettre dans une condition de liberté qui lui permet d'expérimenter la gratuité (il n'y a pas de gratuité sans liberté, et inversement). C'est la raison pour laquelle les dons des pauvres envers les puissants sont presque impossibles, et aider les gens à sortir de la misère signifie les aider à se libérer des cadeaux et à pouvoir commencer à faire des dons - des gestes presque impossibles, mais pas toujours - parce que parfois nous pouvons être, dans n'importe quel contexte, plus grands que notre destin.
(...)
Le langage de l'argent n'est pas étranger à la Bible, Ancien et Nouveau Testament : nous ne sommes pas tous experts en théologie, mais nous comprenons tous, y compris les analphabètes, le langage propre aux pièces de monnaie - mon oncle Dominique ne savait pas lire, mais lorsqu'il vendait des poulets, il ne se trompait jamais dans le calcul du prix. La Bible mentionne souvent les pièces de monnaie : les 400 shekels d'argent pour le tombeau de Sarah, les 17 000 pour le champ de Jérémie à Anatot, les deux deniers payés à l'aubergiste, les trente deniers de Juda, les trois cents deniers de la femme qui répand le parfum. La Bible a compté, pesé, divisé, pour nous dire que la vie des gens ne peut pas se dérouler sans compter, peser, diviser. Peut-être a-t-elle-même exagéré, lorsque, dans certaines pages, elle a voulu considérer les sacrifices dans le temple comme des rétributions enregistrées dans une double comptabilité entre les hommes et Dieu, et la mort et la passion de Jésus-Christ comme le prix du salut.
Mais en utilisant des mesures de valeur et de poids pour transmettre un message à un roi, Daniel nous dit quelque chose, peut-être, de plus important encore. Le lendemain du banquet, le 12 octobre 539 avant J.-C., l'empire tombe aux mains des Perses. Balthasar est assassiné. Cette fête et cette main mystérieuse marquent le dernier acte de l'empire babylonien : « Cette nuit-là, Balthasar, roi des Chaldéens, fut tué » (5, 30). Balthasar avait mal évalué les pièces de monnaie, il n'avait pas su compter ni mesurer : surtout, il avait mal évalué la mesure de son pouvoir. La bonne gouvernance est toujours une question de mesure, savoir mesurer jusqu'où utiliser sa force lorsqu'elle semble invincible : tout pouvoir sans limite est pervers et pervertit.
Daniel a offert son don au roi, il lui a révélé l'énigme. C'était pourtant un don terrible, c'était l'annonce de sa fin, mais en contrepartie il obtenait du roi des récompenses et des dons - qui n'étaient plus une rémunération de son action prophétique. Ces dons du roi qui viennent dans le contexte de la révélation d'un destin de mort, c'est la salutation du Livre de Daniel à Balthasar, un souverain peu apprécié des Babyloniens. Et il nous laisse donc un dernier message précieux : les dons ne sont pas toujours agréables, ils ne sont pas toujours porteurs de bonnes nouvelles. Parfois, un don - une parole vraie, une rencontre inattendue - peut nous faire mal, peut être terrible, peut annoncer un passé, un présent et un avenir que nous ne voulons pas. Le don demeure un don même si nous ne l'aimons pas, il peut nous faire du bien alors qu'il nous fait mal. Daniel a fait un don à Balthasar en lui offrant un dernier moment de vérité le dernier jour de sa vie, et, grâce à la Bible, ce don, effrayant et vrai, demeure à jamais.
https://www.edc-online.org/fr/publications/articles/articles-de-luigino-bruni/series-biblique/le-mystere-revele/17882-bien-mesurer-le-pouvoir.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Lun 11 Sep 2023, 13:23 | |
| N.B.: J'ai rajouté un petit paragraphe (le deuxième, sur l'ivresse) à mon post précédent. Ce billet est tout à fait intéressant si on le prend pour ce qu'il est, une lecture d'économiste plutôt que d'exégète -- comme je l'ai dit plus haut, l'inscription sur le mur a bien un premier sens "monétaire" autant que "pondéral", puisque la valeur des monnaies en métaux (plus ou moins) précieux, or, argent ou bronze, est aussi fonction de leur poids (contrairement à nos monnaies dont la valeur est purement nominale, déconnectée du support matériel, papier ou métal, pur symbole détaché depuis longtemps de toute parité concrète et désormais largement dématérialisé). Il faut évidemment tenir compte du fait que l'auteur pense en italien, associant le don ou le cadeau à la "royauté" ( regalo), ce qui ne fonctionne pas plus en hébreu ni en araméen qu'en français, en anglais ou en allemand. Mais le vocabulaire "biblique" du don ( ntn etc.) est aussi largement commun à ce que nous distinguons comme "religion" et à "politique", l'offrande à un dieu, le présent à un roi, le tribut à un suzerain s'expriment en partie par les mêmes termes que le cadeau à n'importe qui, ou en mauvaise part le "pot-de-vin" à un juge, même si ça n'apparaît guère dans les traductions. En l'occurrence 5,17 traduit l'araméen mtn' (quasiment identique à l'hébreu mtnh, toujours de la même racine ntn, aussi 2,6.48). Au passage, je note que par rapport à la "main invisible du marché" (Adam Smith etc.), qui ressemble plus à celle du marionnettiste (je suis sous l'influence d'une lecture récente du Marionettentheater de Kleist, auquel m'a renvoyé La vallée de Barbet Schroeder), celle de Daniel, ou de Balthazar, n'est que trop visible... C'est l'occasion de remarquer autre chose: la balance est un symbole quasi universel du jugement, de la justice, etc., mais elle ne fonctionne pas toujours dans le même sens; souvent c'est le léger qui est "bon", le poids représente les péchés, fautes, crimes, etc., ainsi dans de nombreuses représentations du jugement des morts (dernier ou pas) comme pesée des âmes, de l'Egypte ancienne au moyen-âge chrétien; mais ici c'est le contraire, c'est le poids qui serait "bon", et être "léger" c'est mauvais. La racine hébraïque correspondant habituellement au léger ( qll, qal etc.) relève en partie du champ lexical de la malédiction, celle qui correspond au lourd ( kbd) de celui de la " gloire"... en 5,27 il n'est cependant pas dit "léger" mais "manquant" (= "insuffisant", hsr, là encore racine identique en araméen et en hébreu).
Dernière édition par Narkissos le Lun 11 Sep 2023, 14:29, édité 1 fois |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Lun 11 Sep 2023, 14:29 | |
| - Citation :
- En ce qui concerne les vertus "divinatoires", il ne faut pas oublier que le vin, en Grèce comme en Orient, était le plus souvent bu mélangé (cela se traduit aussi dans les texte bibliques, on "mélange" la coupe), et qu'il pouvait l'être à toute sorte d'aromates, y compris "psychotropes" quand c'était l'effet recherché. Et bien sûr c'était aussi toujours plus ou moins "rituel", comme tout repas surtout "officiel" qui était aussi de communion avec les dieux, associé à des "sacrifices" (on a reparlé récemment des "libations"). Au plan littéraire, on peut surtout remarquer la proximité avec les banquets (mishteh) royaux qui ponctuent le récit d'Esther (1,3ss etc.), "roman de diaspora" comme celui de Joseph et Daniel 1--6 -- on retrouve mishteh en Daniel 1,5.8.10.16, et l'équivalent araméen en 5,10 (beyt mishteya' pour "maison du banquet", LXX tou potou = "de boisson", ce que ne semble pas avoir vu l'auteur, cf. note 13). Pour rappel, dans les bibles hébraïques le livre de Daniel se trouve juste après celui d'Esther (dernier des Megillot).
La « belle ivresse » (L'article n'a pas un lien direct avec notre sujet mais ...). 4 Le vin des chrétiens, c’est d’abord, bien entendu, le vin de la communion, dont le Christ en personne a, selon le texte des Évangiles, imposé l’usage rituel en même temps qu’il fixait sa valeur symbolique. Mais la parole « Ceci est mon sang » n’épuise peut-être pas le sens de gestes et de substances riches, hier comme aujourd’hui, de significations multiples en dehors du contexte chrétien. Issus des gestes d’un repas, les rites eucharistiques restent par certains côtés au plus près de la vie quotidienne : la communion est un repas fraternel, l’occasion d’un partage qu’évoquent bien les termes de fractio partis. Cette dimension communautaire est souvent explicitée par les auteurs chrétiens dès les premiers siècles et se déploie dans une symbolique de l’agrégation ou du corps collectif. Mais on ne saurait, à cet égard, privilégier les vertus sociales de la boisson partagée : la dernière Cène et ses répétitions rituelles n’ont rien d’un symposion, et les images de fraternité qu’elles suggèrent n’impliquent nullement que l’union serait plus parfaite si elle se scellait dans l’ivresse. Certes, les premiers Pères de l’Église eurent parfois à se plaindre d’agapes tournant à la beuverie. Il n’en reste pas moins que l’ivresse sous toutes ses formes est vigoureusement condamnée. Les épîtres de Paul reviennent une dizaine de fois sur la question, sans marquer de différence entre ivresse et ivrognerie1. Le propos est, à en juger par les contextes, avant tout moral. Il n’en désigne pas moins une claire rupture : si l’ivresse peut être envisagée sous le seul angle de la morale, c’est parce qu’elle n’a, dans la perspective chrétienne, aucune valeur sacrée. Au contraire, l’idée d’une ivresse rituelle ne pouvait manquer d’évoquer, pour un chrétien des premiers siècles, les pratiques du paganisme. Cela ressort, par exemple, d’un sermon de Césaire d’Arles, où il s’inquiète en particulier des « toasts » portés en fin de repas aux vivants, à des anges et « autres saints personnages du passé » par des chrétiens « estimant qu’on leur manifeste le plus grand honneur si l’on s’ensevelit en leur nom dans la plus excessive ivresse ». Excusables parmi « les païens qui ne connaissent pas Dieu », ces usages sont inadmissibles entre chrétiens, et Césaire conclut : « Parce que, grâce à Dieu, vous êtes différents d’eux dans la foi, vous ne devez pas leur être semblables dans l’ivresse » (1978, sermon 47 : 45).6 Le vin se trouve ainsi impliqué de façon contradictoire dans les partages qui signalent le vrai chrétien : son abus peut éveiller le soupçon de paganisme ; l’abstention stricte, celui de l’hérésie dualiste. Peut-être faudrait-il souligner encore ce qui en lui, sur le plan du symbole, oppose dès l’origine les juifs aux chrétiens : n’est-il pas insupportable à qui respecte fidèlement les règles du Lévitique de supposer qu’il boit du sang – fût-ce le sang d’un dieu ? Pour en rester ici à la seule question de l’ivresse, centrale dans la condamnation ascétique du vin comme dans les formes païennes de son exaltation religieuse, il faut encore examiner si le christianisme l’exclut vraiment sans nuance de l’ordre du sacré. Une objection pourrait naître en effet de l’examen des écrits des mystiques, qui recourent volontiers au langage de l’ivresse pour exprimer leur expérience du divin. Ce choix n’a rien de fortuit : c’est bien l’expérience réelle de l’ébriété, avec tous ses caractères psychophysiologiques, qui sert de paradigme à un vécu presque ineffable. Est-ce à dire qu’il faut revenir, malgré nous, à une conception universaliste du symbolisme ? Examinons plutôt les modalités de ce discours.7La lecture allégorique de l’Ancien Testament a conduit à développer une interprétation « spirituelle » de textes comportant des références au vin : surtout les Psaumes et le Cantique des Cantiques. Le vin est ainsi présenté comme une métaphore de la sagesse divine, que l’âme des élus est appelée à boire : image concrète d’une ingestion avide et passionnée. Les Pères développent même l’idée d’une ivresse spirituelle, mais ils prennent bien soin de l’opposer à l’ivresse charnelle. On parle, après Philon, de sobria ebrietas, saint Jean Chrysostome distingue l’ivresse du corps de la « belle ivresse » et précise : « Soyons enivrés de cette ivresse-là, mais abstenons-nous de l’autre »3.https://books.openedition.org/editionsmsh/2408?lang=fr |
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Lun 11 Sep 2023, 15:23 | |
| En effet, ça nous éloigne pas mal de Daniel, mais ce texte est intéressant -- je vois qu'il date de 1991 et ça se sent: depuis Jean-Paul II les paroisses catholiques qui pratiquent la communion sous les deux espèces doivent être beaucoup plus rares... Je m'étonne quand même que sur un tel sujet il se prive de certaines références néotestamentaires à mes yeux pertinentes: par exemple celles qui opposent explicitement une "ivresse de l'esprit" à celle du vin (Ephésiens 5,18 est mentionné sans être exploité, non Actes 2,13ss qui met l'antithèse en scène) -- il faudrait parler alors d'"ivresse sans vin" et non de "vin sans ivresse"; l'association de l'ivresse à l'eucharistie chez "Paul", 1 Corinthiens 11,21s, où c'est moins l'ivresse qui est condamnée que l'inégalité d'un repas pris en commun mais non partagé (l'un a faim et l'autre est ivre); étonnamment la solution paulinienne consiste, non dans une consigne de partage, mais dans la séparation du repas rituels et des repas privés qui permet de maintenir hors Eglise les disparités sociales... tout un programme; ou encore les noces de Cana (les plus ostensiblement "dionysiaques", ce qui pourrait à la rigueur nous ramener à Daniel du point de vue de la "rédaction finale", car le personnage d'Antiochos a aussi un côté dionysiaque, comme le Christ évangélique qui mange et boit avec n'importe qui). On peut aussi remarquer en 1 Thessaloniciens 5,7s l'association de l'ivresse à la nuit, qui vaudrait pour le banquet de Balthazar, mais aussi pour l'eucharistie, du moins tant que c'est une "Cène", un "dîner" (au sens français, non suisse ni belge, deipnos en grec), repas du soir -- ce qui ne dure probablement pas très longtemps dès lors qu'elle est également associée au matin de la résurrection. -- Je n'y avais jamais pensé, mais il y a un remarquable glissement du soir au matin dans la (s)cène d'Actes 20, non en trois jours mais de trois étages... (j'assume toute l'irresponsabilité du hors-contexte et du hors-sujet ). Pour revenir à Daniel 5, on peut noter que l''"interprétation" qui joue un rôle central dans le récit traduit l'araméen peshar et le verbe correspondant pšr (v. 7s.12.15ss.26; 2,4ss.9.16.24ss.30.36.45; 4,6s.9.18s; 7,16), qui ne se trouve qu'en Daniel dans l'AT, hormis une forme voisine dans le texte hébreu de Qohéleth 8,1 (dans un sens dubitatif, sinon "sceptique"); le terme est en revanche très connu à Qoumrân sous la forme pesher, où il en est venu à désigner un type d'interprétation qu'on pourrait qualifier de péremptoire, autoritaire et non argumenté (ce qui vaut aussi pour les "interprétations" de Daniel) -- le Pesher d'Habaquq est l'un des plus célèbres. On le retrouve toutefois sous les formes hébraïques ptr, pithrôn, dans le roman de Joseph (Genèse 40,5.8.12.16.18.22; 41,8.11ss.15) -- et là encore nulle part ailleurs, ce qui confirme la proximité des deux textes (curieusement cette famille de termes très présente dans les récits de Daniel 1--6 tend à disparaître dans la partie proprement "apocalyptique" du livre, sauf dans le chapitre 7 qu'on peut dire "charnière"). |
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mar 12 Sep 2023, 11:19 | |
| - Citation :
- Pour revenir à Daniel 5, on peut noter que l''"interprétation" qui joue un rôle central dans le récit traduit l'araméen peshar et le verbe correspondant pšr (v. 7s.12.15ss.26; 2,4ss.9.16.24ss.30.36.45; 4,6s.9.18s; 7,16), qui ne se trouve qu'en Daniel dans l'AT, hormis une forme voisine dans le texte hébreu de Qohéleth 8,1 (dans un sens dubitatif, sinon "sceptique"); le terme est en revanche très connu à Qoumrân sous la forme pesher, où il en est venu à désigner un type d'interprétation qu'on pourrait qualifier de péremptoire, autoritaire et non argumenté (ce qui vaut aussi pour les "interprétations" de Daniel)
La réinterprétation apocalyptique de la supputation des temps chez les prophètes. 1) On doit noter tout d'abord que l'étude que Daniel fait des Écritures, ici le prophète Jérémie, et l'interprétation qui sera donnée par la suite du texte jérémien, évoquent les pesharim qumraniens, encore que le mot technique pesher employé dans cette littérature ne soit pas mentionné. (En Daniel 4,3 ; 5,15,26 ; 7,16, le mot peshar a un sens technique précis : c'est l'interprétation d'un songe, d'une écriture, d'une vision). Au chapitre 9, on dit simplement de Daniel qu'il eut l'intelligence des écritures. Mais il reste que malgré une différence de forme, les pesharim qumraniens et l'exégèse donnée par le livre de Daniel de la prophétie de Jérémie ont ceci de commun qu'ils sont une actualisation de l'Écriture81. https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1983_num_96_92_16011 Bulletin du Judaïsme ancien (II)19 Quoi qu’il en soit, l’implant de l’apocalyptique dans la tradition sapientielle caractérise l’Instruction. Ce qui appelle dans cet écrit les motifs de révélation et d’élection. Voilà un sujet amplement développé en plusieurs contributions des ouvrages que nous présentons. Ainsi, pour D.J. Harrington (cit.) et M.J. Goff (19 : ch. II, « ‘Understanding your mysteries’ : The theme of Revelation in 4Q Instruction »), A. Rofé (20 : « Sapiential Perspectives : Wisdom Literature in Light of the Dead Sea Scrolls »), K. Kister (ibid., « Wisdom Literature and its Relation to other genres from Ben Sira to Mysteries »). L’idée du « mystère » (raz) est très présente dans le Mûsar et ailleurs. Elle suppose des réalités cachées dont l’élu a seul la connaissance, par révélation. Cela rappelle les livres de Daniel et d’Énoch, où se croisent sagesse et apocalyptique (voir 18 : L.T. Stuckenbruck, « 4Q Instruction and the possible influence of early enochic traditions : an evaluation »). La formule raz nihyeh (rz nhyh) revient à une trentaine de reprises dans l’Instruction. Elle est analysée par divers auteurs (18 : A. Schoors, « The Language of the Qumran SapientialWorks » ; D.J. Harrington, cit. ; 19 : M.J. Goff, etc.). On la traduit de diverses façons : « le mystère à venir », « le mystère de l’existence » voire « the mystery that is to be » (J.J. Collins et son disciple M.J. Goff). Rappelons que raz, « mystère », est un mot d’origine perse venu dans l’hébreu par le truchement de l’araméen. On ne rencontre ce terme dans l’hébreu qu’en des textes datant au plus tard du IIe siècle av. J.-C. Son attestation la plus ancienne se trouve en Siracide 8, 18 et 12, 11. Il est assez clair que raz nihyeh englobe le plan divin dans son ensemble, passé, présent et futur, de la création du monde au jugement dernier (lequel tient une bonne place dans le Mûsar). On renvoie ici à cet autre témoin majeur de la littérature de sagesse qu’est le Livre des Mystères, retrouvé dans les grottes n°1 et surtout n° 4 de Qumrân : on y rencontre également la formule raz nihyeh. Le Mûsar se différencie ainsi du Siracide. Pour ce dernier, quiconque scrute la Loi et observe avec attention la création, peut accéder aux « secrets de Dieu ». D.J. Harrington (18, art. cit.) apporte de bonnes lumières sur ce plan divin appelé raz nihyeh. Il n’y a aucune raison, dit-il, d’identifier ce « mystère » avec la Torah. Ce pourrait être un livre, comme le « livre de Méditation » (sfr hhgwy) mentionné dans les textes de sagesse et ailleurs dans certains rouleaux retrouvés à Qumrân ; ou encore un enseignement ésotérique soit oral soit écrit (perdu dans ce cas). Si l’on tient compte de ses divers emplois avec les contextes respectifs, la formule raz nihyeh renvoie nettement à la création, à la conduite dans le présent et au jugement dernier. Elle intervient d’une manière à la fois insaisissable et englobante, comme d’une certaine manière le « royaume de Dieu » dans les évangiles synoptiques. Quoi qu’il en soit, la façon dont on se réfère au « mystère » suggère que celui-ci apporte une révélation à ceux qui l’étudient. Les données cosmologiques, éthiques et eschatologiques qui accompagnent ses énonciations indiquent qu’il a été révélé, par Dieu directement ou par des anges, à l’« instructeur » attentif à mettre l’accent sur les devoirs des sages ou justes qui en feraient leur profit. Et D.J. Harrington d’affirmer qu’il y a une dimension ésotérique dans le raz nihyeh de l’Instruction. Cela contraste avec la méthode du Siracide, qui tire les règles de sagesse principalement de l’expérience concrète des hommes, de la création, de la Loi et de l’histoire d’Israël. Le Dieu du Mûsar est bien plus activement impliqué dans la création et dans les affaires humaines que celui de Ben Sira. Ce qui compte pour l’Instruction, c’est l’élection dont Dieu a assorti la création, avec les conséquences morales qui découlent du fait d’être bénéficiaire de la grâce divine. Nous voilà en présence du premier écrit de sagesse traitant directement du jugement dernier comme fin ultime de l’histoire. Ce jugement n’est pas sans effets sur la signification du raz nihyeh, « mystère de l’existence ». 27 J.H. Charlesworth nous propose un petit et séduisant ouvrage d’accompagnement : il fait suite à l’un des volumes de la belle et précieuse édition des textes de Qumrân qu’il dirige, The Dead Sea Srolls : The Pesharim, Other Commentaries, and Related Documents (Princeton Theological Seminary Dead Sea Scrolls Project — PTSDSSP — 6B, Tübingen/Louisville, 2002). Figurent dans cette publication trois catégories de textes : les pesharim (« interprétations ») au nombre de dix-sept plus un fragment, censés composés à Qumrân ; les « autres commentaires », textes proches des pesharim par le genre, où le mot pésher apparaît parfois ; des « documents proches ». Le livre accompagnateur constitue certes une introduction utile aux pesharim. Il situe ces derniers à la fois dans le cadre socio-idéologique de la « communauté » de Qumrân (cf. le « Synopsis de l’histoire de Qumrân », pp. 25-59) qui a pour guide le Maître de justice, et dans celui de l’interprétation des Écritures, plus particulièrement des textes prophétiques. L’auteur fait sien d’entrée de jeu le point de vue classique de D. Dimant à propos des pesharim, exprimé en ces termes : « Les commentaires sont identifiés comme appartenant à la communauté de Qumrân en vertu de leur terminologie, de leur contenu et de leur idéologie. Ces commentaires sont les seuls textes de Qumrân publiés qui se réfèrent à des personnes et des événements historiques, et ils constituent la preuve majeure pour dater la communauté de Qumrân et comprendre son histoire ». Comme son titre l’indique, l’ouvrage a pour but de montrer comment certains des pesharim, tels celui de Nahum et celui d’Habacuc, fournissent d’une façon plus ou moins voilée de vraies informations sur l’histoire contemporaine. J.H. Charlesworth argumente et s’exprime avec convictions. Les pesharim reposent sur cette idée fondamentale, partagée avec le Nouveau Testament : le sens d’un texte prophétique n’est découvert et exposé qu’ici et maintenant, en fonction de l’expérience dernière et exclusive du groupe d’élus auquel il est destiné. Un interprète inspiré, le Maître de justice, qui n’est jamais dit prophète, a pour mission d’opérer cette révélation unique, la seule vraie (ce sera la mission de Jésus dans l’annonce du Royaume des cieux). Or, la situation de la communauté ainsi qualifiée est liée à l’histoire présente. D’où les allusions éventuelles à celle-ci dont on trouve les traces évidentes, fondues dans une démarche qui à dessein les camoufle ou travestit. « Quelque histoire est présente dans les pesharim, comme dans un miroir brumeux (fogged) […]. Quand nous lisons les pesharim, nous apprenons beaucoup sur la façon dont Qumrân se souvenait des origines de la communauté ». Tels sont les propos du savant de Princeton, toujours attaché à la thèse essénienne. Pédagogique, informée et lumineuse, sa synthèse n’en est pas moins intéressante et fort utile. On notera l’Index des citations bibliques dans les pesharim, les « autres commentaires » et « documents proches » par L. Novakovic, ainsi que la liste des variantes textuelles. https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2006-1-page-129.htm |
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mar 12 Sep 2023, 12:27 | |
| Nous avons vu l'article de Delcor (1983) à plusieurs reprises dans les différents fils de discussion sur Daniel (p. ex. ici, 14.1.2021, ou là, 8.9.2023). La longue série de recensions d'André Paul (2006) autour de Qoumrân est très instructive, avec les défauts de ses qualités: l'auteur, tout à fait compétent mais aussi très engagé dans une thèse particulière (et pas vraiment "centriste", je ne dis pas consensuelle car il n'y a effectivement pas de consensus en la matière) est aussi mal placé pour faire un compte rendu "neutre" des ouvrages qu'il recense... Mais quand on connaît un peu ses options (dont nous avons parlé plusieurs fois, et que même ici il ne cache pas, c'est une litote), il est assez facile de faire la part des choses. Le terme raz (emprunt perse en araméen), pour "mystère" ou "secret", apparaît en Daniel 2,18s.27-30.47; 4,9 -- et nulle part ailleurs dans l'AT. Du rapport de la "sagesse" à l'"apocalyptique" nous avons aussi souvent parlé, et la différence des deux grandes parties de Daniel (1--6 / 7--12, sans préjudice des variations internes et du caractère transitoire ou "charnière" du chap. 7) l'illustre admirablement: le sage interprète, comme Joseph ou le Daniel de la première partie, peut bénéficier d'une "inspiration" divine, celle-ci fait corps avec un savoir "humain", "naturel" et "culturel" à la fois, assumé par le personnage, et que celui-ci partage avec d'autres sages qui sont aussi des mages, prêtres, devins, etc. (d'Egypte, de Babylone ou de Perse selon le cas; il y a comme une fierté d'être rangé dans la même catégorie et d'y surclasser les autres). Dans les textes "apocalyptiques" au contraire, sa sagesse ne lui sert strictement à rien, il n'est que le récepteur et le truchement des visions et de l'interprétation (notamment angélique) qui est pour ainsi dire livrée avec, et même avec tout cela il arrive qu'il ne comprenne pas (ce qui dans Daniel 12 fait partie du dispositif pseudépigraphique: un Daniel de l'époque perse ne peut pas comprendre ce qui se rapporte à l'époque hellénistique). Même au chapitre 9, la "recherche" de Daniel, qui suppose une sagesse exégétique ou herméneutique tournée non plus vers un rêve ou une vision mais vers un texte "prophétique" (Jérémie), n'aboutirait à rien si un ange ne venait pas livrer l'interprétation "clés en mains". |
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mar 12 Sep 2023, 12:48 | |
| - Citation :
- C'est l'occasion de remarquer autre chose: la balance est un symbole quasi universel du jugement, de la justice, etc., mais elle ne fonctionne pas toujours dans le même sens; souvent c'est le léger qui est "bon", le poids représente les péchés, fautes, crimes, etc., ainsi dans de nombreuses représentations du jugement des morts (dernier ou pas) comme pesée des âmes, de l'Egypte ancienne au moyen-âge chrétien; mais ici c'est le contraire, c'est le poids qui serait "bon", et être "léger" c'est mauvais.
Pesée des âmesLa pesée des âmes désigne la psychostasie dans le christianisme et peut apparaître dans deux contextes : lors d'un premier jugement intervenant directement après la mort de l'individu ou alors au moment du Jugement Dernier. Bien qu'il y ait de nombreuses variantes, au Moyen Âge l'image type de la pesée des âmes représente l'archange Michel, chef de la milice des anges, procédant au jugement des défunts par le biais d'une balance avec laquelle il pèse leurs bonnes et mauvaises actions ; c'est le plateau le plus lourd qui l'emporte. Il y a donc un problème de terminologie car ce n'est pas en réalité l'âme qui est pesée mais bien ses actions. C'est du moins ce qui ressort clairement à la lecture des textes. Il est donc préférable de se contenter d'appeler ce motif « la pesée ». Est aussi présent dans cette scène le diable qui tente de faire pencher le plateau du mal afin d'emporter l'âme en Enfer.Sources écritesLa pesée n'est pas un thème scripturaire, mais on peut trouver dans la Bible mention de la balance comme symbole du jugement de Dieu dans le livre de Job : « Que Dieu me pèse dans des balances justes » (Job 31,6). Ou encore dans le livre de Daniel lors de l'épisode du banquet du roi Balthazar, où trois mots apparaissent dans l'air au-dessus des convives, écrits par une main mystérieuse. Le deuxième mot, Thecel, est interprété ainsi par Daniel: « Thecel : vous avez été pesé dans la balance et l'on vous a trouvé trop léger » (Daniel 5,27). On trouve aussi des utilisations métaphoriques de la balance : dans l'Apocalypse elle représente le rationnement et la famine lorsqu'elle est brandie par le quatrième cavalier de l'Apocalypse (Apocalypse 6,5). Dans le livre des Proverbes, il est dit lors de la louange des Justes : « la balance fausse est une abomination pour Yahvé, mais le poids juste a sa faveur » (Proverbes 11,1). Enfin, toujours dans les Proverbes on peut lire : « la balance et les plateaux justes sont à Yahvé, tous les poids du sac sont en œuvre » (Proverbes 16,11).La pesée n'est pas non plus un thème très présent dans les écrits patristiques. On en trouve mention chez Lactance dans les Institutions Divines et la Lettre deuxième d'Ambroise de Milan à l'empereur Constantin Ier au ive siècle qui décrit le mécanisme de la pesée. Vincent de Beauvais dans l'épilogue sur la fin des temps de son Speculum historiale cite un passage de saint Jean Chrysostome qui décrit la pesée : « en ce jour, nos actions, nos paroles et nos pensées seront mises dans les deux plateaux, et, en penchant d'un côté, la balance entraînera l'irrévocable sentence ». Toujours à la même période, Pseudo-Denys l'Aréopagite rappelle à l'ordre les fidèles en leur relatant cet épisode du Jugement Dernier dans son Traité de la Hiérarchie Ecclésiastique. Enfin, le poète chrétien Prudence rend hommage à des martyrs chrétiens dans son recueil Peristephanon en reprenant l'image de la pesée.https://fr.wikipedia.org/wiki/Pes%C3%A9e_des_%C3%A2mes |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mar 12 Sep 2023, 14:01 | |
| L'application des métaphores pondérales au jugement divin ne peut guère être détachée des autres emplois "figurés" du poids, du pesage ou de la balance, qui sont très nombreux, et par extension d'autres expressions de mesure; cf. p. ex. 1 Samuel 2,3; Ezéchiel 33,10; Psalm 38:5; 62,10; Job 6,2; Proverbes 16,2; 21,2; 24,12; Siracide 21,25; 26,15; 1 Hénoch 41,1; 43,1; 61,8; 4 Esdras 3,34; 16,77. On est dans un registre métaphorique ou métonymique où il n'y a pas plus de frontières entre les domaines d'application qu'entre les corpus (biblique, juif, chrétien, "païen").
Il ne faut par ailleurs pas oublier que les balances traditionnelles (c'était encore le cas il y a quelques décennies, c'est devenu plus rare) étaient toujours à deux plateaux: on pesait une chose contre une autre, y compris contre des poids fixes (en ordre décroissant aussi pour arriver à l'équilibre, du plus lourd au plus léger, comme de la mine au sicle et aux fractions). Curieusement le mot hébreu (m'znym) ou araméen (m'znyn) pour "balance" rappelle les oreilles, au duel ('znym) comme les choses qui vont par deux (yeux, bras, jambes, etc.), ce qui se prête aussi à des jeux de sens sur l'audition, l'écoute, l'attention ou l'obéissance. Il y a d'autre part une continuité entre les prescriptions commerciales et quasi universelles sur les poids et mesures concrets (avoir et utiliser des poids exacts, ni trop légers ni trop lourds par rapport à la norme-étalon en vigueur sur tel marché ou dans telle région) et toutes les applications "morales" -- de la justesse à la justice, pourrait-on dire. |
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mar 12 Sep 2023, 14:49 | |
| L’Histoire confirme-t-elle que Belshatsar fut souverain de Babylone ?Une tablette cunéiforme datée de l’année où Nériglissar, successeur d’Awil-Mardouk (Évil-Merodak), accéda au trône de Babylone parle d’un certain “ Belshatsar, le principal officier du roi ”, à propos d’une transaction financière. Il est possible, bien qu’on ne l’ait pas prouvé, qu’il s’agisse du Belshatsar de la Bible. En 1924, on a publié la traduction d’un texte cunéiforme ancien appelé “ Poème de Nabonide ”. Ce texte a fourni des renseignements précieux confirmant clairement que Belshatsar avait une position royale à Babylone et expliquant la façon dont il était devenu vice-roi avec Nabonide. À propos de la conquête de Téma par Nabonide la troisième année de son règne, une partie du texte dit : “ Il confia le corps expéditionnaire à son fils aîné [Belshatsar] et mit sous son commandement une armée (composée de gens) de tous les pays ; il retira sa main (des affaires), il lui confia la royauté. Et lui [Nabonide], il prit la route de (pays) éloignés. Les forces armées d’Akkad étaient sur le pied de guerre avec lui. Il s’orienta vers la ville de Temaʼa (qui est) au milieu d’Amurru. ” (Textes du Proche-Orient ancien et histoire d’Israël, par J. Briend et M.-J. Seux, Paris, 1977, p. 149). Ainsi, il est sûr et certain que Belshatsar exerça l’autorité royale à partir de la troisième année de Nabonide, et cet événement correspond probablement à la mention par Daniel de “ la première année de Belshatsar le roi de Babylone ”. — Dn 7:1. Dans un autre document, la Chronique de Nabonide, on trouve une déclaration en rapport avec les septième, neuvième, dixième et onzième années du règne de Nabonide. Elle dit : ‘ Le roi, était à Temâ. Le prince, les grands et l’armée étaient en Akkad [Babylonie]. ’ (Chroniques mésopotamiennes, par J.-J. Glassner, Paris, 1993, p. 202, 203). Il semble que Nabonide passa une grande partie de son règne ailleurs qu’à Babylone et que, sans renoncer à sa position de souverain suprême, il confiait à son fils Belshatsar l’autorité administrative pour qu’il agisse en son absence. C’est ce qui ressort d’un certain nombre de textes retrouvés dans des archives antiques, qui prouvent que Belshatsar jouissait des prérogatives royales, qu’il donnait des ordres et des commandements. Les affaires qu’il traitait dans certains documents et ordres l’auraient normalement été par Nabonide, le souverain suprême, s’il avait été présent. Belshatsar demeurait néanmoins le deuxième personnage de l’empire et ne pouvait donc proposer de faire de Daniel que “ le troisième dans le royaume ”. — Dn 5:16. Il est vrai que des inscriptions officielles donnent à Balthasar le titre de “ prince héritier ”, alors qu’il a celui de “ roi ” dans le livre de Daniel (Dn 5:1-30). Une découverte archéologique faite dans le N. de la Syrie laisse entrevoir une explication. En 1979, on a exhumé une statue grandeur nature d’un chef de la Gozân antique. Il y avait sur sa jupe deux inscriptions, l’une en assyrien et l’autre en araméen (la langue du récit concernant Belshatsar dans Daniel). Les deux inscriptions presque identiques contenaient une différence notable. Le texte en assyrien impérial dit que la statue représente “ le gouverneur de Gozân ”. Le texte en araméen, la langue du peuple local, le qualifie de “ roi ”. C’est pourquoi l’archéologue et linguiste Alan Millard écrit : “ À en croire des sources babyloniennes et des textes nouveaux figurant sur cette statue, on trouvait sans doute tout à fait correct dans des récits non officiels comme le livre de Daniel d’appeler Belshatsar ‘ roi ’. Il agissait en roi, en agent de son père, même s’il n’était peut-être pas légalement roi. La distinction précise aurait été hors de propos et n’aurait fait qu’embrouiller l’histoire telle qu’elle est racontée dans Daniel. ” — Biblical Archaeology Review, mai/juin 1985, p. 77. On s’attendait que les détenteurs du pouvoir souverain en Babylonie montrent l’exemple pour ce qui était de vénérer les dieux. Six textes cunéiformes relatifs à des événements survenus entre la 5e et la 13e année du règne de Nabonide montrent la dévotion de Belshatsar pour les divinités babyloniennes. Ces documents rapportent que, tenant le rôle de roi en l’absence de Nabonide, Belshatsar offrait de l’or, de l’argent et des animaux aux temples d’Érek et de Sippar, ce qui cadrait bien avec sa position royale. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1200000628?q=troisi%C3%A8me+personnage+ daniel+5&p=par Je ne vois pas en quoi une inscription en assyrien (même écrite également en araméen) nous renseigne sur la situation réelle de Belshatsar |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mar 12 Sep 2023, 15:27 | |
| L'inscription ne nous renseigne pas sur "la situation réelle de Belshatsar", elle ne fait que confirmer que les titres des mêmes personnages fluctuent d'une langue et d'un document à l'autre, ce dont on se serait douté... C'est le genre d'argument dont est faite la guéguerre interminable entre "détracteurs" et "apologistes" de la Bible (selon les étiquettes que les deux camps se décernent réciproquement, en partageant d'ailleurs souvent une même inintelligence des textes anciens; pour l'anecdote, je me souviens d'avoir entendu Millard -- que je connaissais de nom depuis la Watch -- à Vaux-sur-Seine et de l'avoir trouvé très décevant). Dans le cas de Belshatsar-Balthazar, on est clairement dans un combat d'arrière-arrière-garde, car si des critiques du XIXe siècle ont pu douter de l'existence même du personnage avec les documents dont ils disposaient, l'affaire est réglée depuis près d'un siècle. Plus personne ne conteste que le personnage, sous un titre ou un autre, ait exercé l'autorité royale à Babylone au moment de sa chute -- mais il n'était toujours pas le fils de Nabuchodonosor ni son successeur direct; Nabonide est toujours passé sous silence dans Daniel, sa "folie" présumée (absence-vacance) transférée à Nabuchodonosor, et du côté perse Cyrus et Darius inversés. Tout cela n'ayant d'importance que pour les gens qui s'imaginent que tout ce qui est dans "la Bible" doit être historique (au sens moderne) ou ne vaut rien, qu'ils se disent pour ou contre... |
| | | free
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mar 12 Sep 2023, 16:06 | |
| Le temps, qu’on rêve
Essayons de partir de la topologie en formulant une hypothèse : ce rêve nous livre quelques indices sur la position du rêveur, la question du sujet, et sur la question de l’éclatement des Moi, comme autant de personnages du rêve. Lacan dans son commentaire du rêve ne parle pas simplement de l’éclatement du Moi, il parle des « Egos » de Freud, qui ne sont pas des Moi[4]. J’utiliserai ici l’image de l’épaississement d’un trait, de ce qui vient se tordre pour essayer de durer. L’ego, écrit Lacan, à propos de Joyce, est quelque chose de l’ordre du raboutage, c’est quelque chose qui s’oppose à la mise en danger de l’unité supposée de celui qui parle. Ce sont les « Egos » de Freud, c’est-à-dire ce qui, au regard de l’expérience qu’il fait dans ce rêve, témoigne de l’ouverture d’une faille comblée par une hallucination qui troue ce moment d’hallucination qu’est le rêve. Autrement dit ce n’est pas la même hallucination, cette hallucination n’a pas la même fonction, elle ne vient pas du même endroit, elle ne vient pas d’une des identifications du rêveur aussi simplement que cela. Est-ce cela que Freud nomme ombilication ?
« Mene mene tekel upharsim[5]» : Lacan utilise, pour commenter l’hallucination de la formule chimique, le récit de la prophétie faite par Daniel (5, 25) au roi Balthazar qui voit subitement s’écrire sur un mur, par une main sans corps, la formule de sa condamnation, quelque chose venant d’un ailleurs. Cet ailleurs, pour le prophète Daniel, et quelques autres, c’est Dieu, ce que remarquera quelques siècles plus tard, finement et non sans humour le petit Hans, à propos d’une interprétation de son rêve par Freud : est-ce que le professeur Freud parle à Dieu ?
Freud perçoit-il la dimension initiatique de son rêve ? « Ça » lui parle d'un extérieur, c’est ce que pointe Lacan. D’où cela parle-t-il chez Freud ? D’où cela vient-il ? Qui écrit triméthylamine ? On entend souvent : ce n’est pas moi, c’est mon inconscient. Cette théorie est vieille comme le monde : de la Pythie à René Char, le poète est un passeur, le lieu où une pensée se cristallise sous la dictée de la muse ou du démon. Nous affrontons une question qui dépasse très largement celle de la psychanalyse, et très largement la façon dont la psychanalyse (les psychanalystes ?) aujourd’hui la pose, car cette question laisse envisager le deuil d'une théorie impossible.
C’est ma lecture du dernier séminaire de Lacan : quelle que soit sa rigueur logique, il y a là quelque chose qui le (Lacan) dépasse, qui nous dépasse, qui dépasse notre entendement, c’est-à-dire qui dépasse les outils de notre psyché.
[5] Le roi Belschatsar (Balthazar) faisait un banquet pour quelques-uns des dirigeants de l’empire babylonien. Alors qu’ils louaient les dieux païens, de façon provocante, en profanant des vases sacrés pour les hébreux, une main apparut et écrivit ces mots sur un des murs du palais. Ces mots sont des unités de poids, de la même manière que le sont les grammes et les kilogrammes. Si les traductions anglaises de la Bible laissent ces mots non traduits, les versions françaises les traduisent par « Il a été compté : une mine, un sicle et deux demi-sicles » ou « Compté, compté, pesé, et divisé. » La mine et le sicle sont en araméen le nom de devises : mene, une mine, tekel, une graphie de shekel ou sicle, peres, la moitié d'une mine.
L’unité de base à Babylone était le shekel en or, ou tekel. Vingt-cinq shekels faisaient un upharsin et cinquante shekels un mena. La phrase s’additionne donc au total de : mena (50) + mena (50) + tekel (1) + upharsin (25) = 126. De plus, chaque shekel valait 20 guéras (Éz 45 :12), donc le total était de 2520 guéras.
Peut être pouvons nous voir dans ce calculs l'ébauche de la mathématisation d'une énigme, proche de ce que la tradition juive appelle Gématria, l'étude de la valeur numérique d'un mot.
Malgré de nombreuses demandes, les conseillers ou magiciens du roi ne purent interpréter ce présage. Le roi envoya quérir Daniel, un juif exilé capturé par son père Nabuchodonosor et établi à l'époque comme « Chef des mages, des magiciens, des astrologues et des devins ». Refusant toute récompense, Daniel prévient le roi de son blasphème et déchiffre le texte. Le sens déchiffré par Daniel est basé sur les verbes à la voix passive correspondant au nom des mesures. La vision de Belschatsar, (dans Daniel 5 : 26-28), signifiait que Babylone serait puni pour 2520 ans.
« Voici mot à mot ce qui est écrit là : « MENE, MENE, TEKEL, et PARSIN ». » Mene signifie la fin de son règne, celui-ci s'achevant dans un jour ; Tekel signifie qu'il a été pesé, et qu'il a été jugé ne faisant pas le poids ; Peres que son royaume sera divisé en deux – une partie revenant aux Mèdes et la seconde aux Perses.
https://www.gnipl.fr/pdf_journ%C3%A9es_le%20moi_topologie%20et%20temps/MORALI%20Marc%2027111-Le%20temps,%20qu%E2%80%99on%20r%C3%AAve.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mar 12 Sep 2023, 17:24 | |
| Les délires post-lacaniens sont souvent intéressants, et surprenants, mais je ne m'attendais pas à y trouver ces "2520 ans" -- presque ceux de la Watch, quoique par un tout autre calcul ! (Encore que je sois loin de connaître tous les calculs de l'époque russelliste, qui ont laissé des traces dans d'autres mouvements que les TdJ, notamment dans la région niçoise à ce que j'ai cru comprendre: la mère de ma marâtre TdJ était niçoise et faisait partie des "Amis de l'homme", bien avant notre "conversion" dans les années 70; et ce site est également niçois, c'est sans doute une coïncidence mais sait-on jamais...).
Rien n'indique évidemment que les "fractions" (p(h)arsin > peres, de prs = "diviser", d'où le jeu de mots) soient des fractions de "mine" plutôt que de "sicle", ce qui ruinerait la logique d'un ordre de poids/valeur décroissant -- encore qu'on puisse y trouver une autre analogie dans les 7 + 62 semaines du chapitres 9; malgré tout ça n'expliquerait pas qu'un ordre d'abord décroissant -- de la mine au sheqel, 50 ou 60 fois moins -- se renverse en ordre croissant -- du sheqel à la demi-mine qui ferait 25 ou 30 fois plus); ni que les fractions -- au pluriel -- soient des moitiés; pour ne rien dire de l'introduction des guéras d'Ezéchiel (où les mines font 60 et non 50 sicles !) dans le calcul, et de leur conversion sauvage en années. Je signale au passage que le mene (= mine, ou "compte") de 5,25 n'est pas répété dans la Septante qui transcrit simplement manè, thekel, phares, et que sa répétition ne semble jouer aucun rôle dans l'interprétation selon le texte araméen (v. 26, mene n'est expliqué qu'une fois). Bref, c'est parfaitement arbitraire, mais c'est d'autant plus étonnant que le "résultat" coïncide avec des calculs "sectaires", religieux et américains du XIXe siècle; l'idée de tirer 2520 ans de Daniel 4 semble cependant avoir été commune à toute la mouvance adventiste dès les années 1840, cf. p. ex. ici. |
| | | free
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mer 13 Sep 2023, 11:32 | |
| Écritures saintes et pactes diaboliques
L’écriture, moyen de communication avec le surnaturel
Débutant avec les dix commandements, « tables de pierre écrites du doigt de Dieu » (Exode 31,18), « œuvre de Dieu, [dont] l’écriture était celle de Dieu, gravée sur les tables » (Exode 32,16), la tradition judéo-chrétienne continue de faire ensuite de multiples références à l’écriture divine, entre autres dans le livre d’Ézéchiel (2,9-10 et 3,1-3) où il faut littéralement manger, avaler et digérer le livre. Les avertissements divins peuvent prendre une forme écrite : témoin la fameuse « écriture sur le mur » (Mene mene tekel u-pharsin) dans le livre de Daniel (5,1 à 6,1), lorsque « soudain apparurent des doigts de main humaine qui se mirent à écrire [...] sur le plâtre du mur du palais royal » de Nabuchodonosor ; ou encore le livre de Zacharie (5,1-4) avec le volumen volant contenant une malédiction divine dévastatrice. C’est le célèbre livre scellé de l’Apocalypse de Jean (5,1-5) qui récapitule cette tradition :
Et je vis dans la main droite de Celui qui siège sur le trône un livre roulé écrit au recto et au verso, et scellé de sept sceaux. Et je vis un Ange puissant proclamant à pleine voix : « Qui est digne d’ouvrir le livre et d’en briser les sceaux ? »
Incarnant parfaitement l’ambivalence de la sacralité inhérente à l’écriture divine, l’ouverture des sceaux déchaîne une série de calamités, qu’illustrent dès le haut Moyen  ge les enluminures ornant dans de nombreux manuscrits les commentaires de Beatus de Liebana sur l’Apocalypse .
Les visions de livres sacrés continuèrent de hanter les vies des Pères de l’Église et des saints, parfois sur le modèle du célèbre tolle, lege augustinien. Témoin cet exemple hongrois : sainte Marguerite (1242-1270), fille du roi Béla IV (r. 1235-1270), avait pour confesseur un certain Marcellus, prieur provincial des dominicains, qui, souhaitant connaître la perfection des Pères du passé, « obtint satisfaction lors d’un rêve au cours duquel il lui fut remis un livre, [liber quasi rotulus] écrit en lettres d’or, qui lui apprit en quoi cette perfection consistait .
À une énumération de données disparates sur le contact écrit avec Dieu et les saints, ou, à l’opposé, avec les démons et le diable, nous avons préféré la présentation de trois séries assez bien documentées : la tradition de longue durée de la lettre céleste (Himmelsbrief), le pacte manuscrit avec le démon et l’intervention des agents divins sur les registres écrits des bonnes et mauvaises actions.
https://www.cairn.info/revue-annales-2001-4-page-947.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mer 13 Sep 2023, 13:42 | |
| Merci pour cette promenade fascinante au moyen-âge, où le point de vue hongrois (rêvé ?) ajoute encore au dépaysement... Du côté biblique ça nous renverrait également ici, ou (plus bas, § 76ss) au "livre de vie" distinct ou non des "livres d'actes" dont nous avons souvent parlé, de l'Exode à l'Apocalypse (encore récemment là)... Dans une perspective plus large, on a beaucoup médité depuis un siècle (Austin, etc.) sur la parole comme "acte" ( speech acts), dans sa fonction dite "performative" -- parole qui fait ce qu'elle dit, dans un sens voisin de ses usages "magiques" (ou "théologiques", mythiques, cosmogoniques, miraculeux) immémoriaux; mais on peut en dire autant et autrement de l'écriture ("acte" aussi dans un sens juridique, commercial, politique, domestique, diplomatique, etc.; l'"alliance" écrite ou autrement symbolisée, retournée en "pacte" diabolique, par exemple). Il va de soi que là aussi l'usage "magique" ou similaire dépend de toute une économie et une technologie générales: selon que la lecture et l'écriture sont réservées à une élite, religieuse, politique ou profane, ou répandues dans la quasi-totalité du peuple, exceptionnelles ou quotidiennes, on n'a évidemment pas le même rapport à l'écrit (donc pas non plus à l'oral). En ce qui concerne Daniel (et ses compagnons), l'introduction (1,4) nous le(s) montre initié(s) à l'écriture (littéralement [!] au livre, spr, de même 9,2; 12,1.4) et à la langue des "Chaldéens" ( kasdim, gentilice régulièrement pris dans le sens d'une corporation sacerdotale et divinatoire, 2,2ss; 4,7; 5,7.11), ce qui le(s) range dans la même catégorie, en rapport direct avec la fonction d'interprète (là encore semblable à celle de Joseph). Au chapitre 5 c'est aussi bien l'écriture ou la main (divine, angélique ? la tradition monothéiste hésitera aussi sur la "nature" de celle qui écrit la Torah) qui juge et qui tue, au même titre que l'interprétation (cf. encore Joseph dans la bouche du chef des échansons, par rapport à son ex-collègue: lui, il l'a tué, moi, il m'a rétabli). Nous faisons tous les jours de la "dactylographie digitale" (à deux doigts, daktulos grec et digitus latin, en passant par l'anglais où digit est devenu "chiffre"), nos messages "virtuels" disparaissent instantanément comme ils apparaissent ailleurs, et on peut toujours les retrouver des décennies plus tard quand on s'y attend le moins -- la "magie" n'est jamais bien loin, même si elle change de technique, de forme et de support... A propos du rapport entre magie et interprétation, il y a une formule araméenne intéressante en Daniel 5,12.16, šrh qtryn,mot-à-mot "défaire les noeuds", qui évoque aussi (trait d'humour qui échappe généralement à la traduction) le relâchement des jointures ou articulations du roi au v. 6; on peut l'interpréter (!) dans un sens épistémologique, exégétique, herméneutique ou divinatoire (en parallèle avec "résoudre des énigmes", qui précède dans les deux cas), ou plus vaguement par "résoudre les problèmes" (cf. le fameux "noeud gordien"), mais aussi dans un sens tout à fait magique ou exorciste, défaire les "liens" au sens de sorts ou charmes, désenvoûter... On retrouverait aisément tout cela derrière l'usage néotestamentaire et rabbinique du couple "lier / délier", sans préjudice de nouvelles précisions contextuelles. Même en français d'ailleurs, il suffit de faire attention aux mots pour retrouver dans toute "ex-pli-cation" ou "ex-pli-citation" un dépliement du pli, de l'implicite ou du compliqué, sinon un "dénouement"... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mer 13 Sep 2023, 22:16 | |
| Daniel et le Roi Belchassar
Étrange histoire qui nous plonge dans une ambiance de fin de règne évoquant tant de périodes sombres de l'histoire des puissants de ce monde et des pouvoirs qu'ils s'imaginent posséder. Le roi Belchassar n'a pas pu ou pas su se montrer à la hauteur de son père, le grand Nabuchodonosor. Babylone est assiégée par Darius, le Perse. Mais, alors que les armées ennemies sont aux portes, au lieu d'organiser la défense - comme aurait sans doute fait Nabuchodonosor - il se complait dans la beuverie et utilise même les objets du culte autrefois pris par son père dans le Temple de Jérusalem pour ses excès de boisson. Comme s'il voulait franchir une limite que Nabuchodonosor s'est bien gardé de transgresser. Le récit se présente donc d'abord comme une mise en accusation de l'aveuglement d'un puissant, la dénonciation de sa décadence. La puissance du Roi, n'est qu'une illusion : la fin est proche. Mais il y a aussi autre chose dans cette histoire, autre chose qui dit quelque chose de ce roi en tant qu'il est un être humain, à la foi si différent et si proche de nous. Et cette autre chose, je voudrais tenter de la mettre à jour en m'arrêtant sur deux éléments du récit. L'un, central, est évidemment la main qui écrit et l'inscription qu'elle trace sur le mur. Le second, qui passe généralement inaperçu, concerne les noms des deux protagonistes principaux de cette histoire : Daniel et le Roi.
Notons d'abord que si tout le monde voit l'inscription sur le mur - sans toutefois pouvoir la lire- seul le Roi voit la main qui écrit. C'est donc que cette «main» est pour lui et pour lui seul. Elle fait sens pour son existence et pas pour l'ensemble des témoins. Les autres ne sont pas concernés. Ce qui fait vérité de l'existence pour quelqu'un, en bien ou en mal, n'est perceptible que par celui qui l'expérimente. C'est de l'ordre de la « vision » pas du «visible ». Comme on dit parfois d'une vision qu'elle est «intérieure» c'est-à-dire qu'elle concerne l'intime de celui qui en bénéficie et non ce qui, de lui, est visible par tous et qui ne relève que de l'image et des représentations. Cependant les effets n'en sont pas moins constatables par les autres: la frayeur du roi et les traces sur le mur et les conséquences que cela aura dans le futur.
Face à cette main, le roi ne peut prendre de la distance : il est sidéré. La portion de main qui vient écrire sur le mur, opère en lui comme un véritable choc psychologique. Elle le disloque littéralement (cf. y. 6: «Alors le roi changea de couleur, et ses pensées le troublèrent; les jointures de ses reins se relâchèrent, et ses genoux se heurtèrent l'un contre l'autre »). Cette main fait effraction, fracture, et elle est impossible à interpréter. Il pensait maîtriser les choses et les gens, du moins dans l'entourage immédiat du palais s'il est vrai que l'ennemi est aux portes. Et voici qu'une main d'homme vient signifier son jugement, du moins le pressent-il, sinon comment expliquer sa frayeur.
Et l'inscription? Les mots évoquent d'abord des unités monétaires: la mine, le sicle et le demi-sicle. Mais ces mots évoquent aussi les participes passés des verbes « compter », « peser » et « diviser ». De là l'oracle que Daniel en tire : le roi voit le temps de son règne « compté », il va prendre fin; « pesé », il ne fait pas le poids; « divisé » : son royaume est divisé entre les Mèdes et les Perses. Si on en proposait une transposition en français, cela donnerait à peu près ceci
« un franc, un mark, une livre ». Un franc : tu as franchi les limites de tes années de règne; un mark : la marque de ton règne c'est la légèreté ; une livre : ton pays est livré aux étrangers. » L'adaptation permet de comprendre que ces trois mots - compté pesé et divisé - n'ont pas de signification en eux-mêmes. Ils ne contiennent aucun « savoir » secret.
Ces trois mots font sens uniquement en raison de l'histoire singulière de ce roi. Ils font sens, de cette façon là, uniquement pour lui. Pour Daniel, il ne s'agit donc pas tant d'expliquer, au sens de livrer un savoir, que de faire résonner ces signifiants afin que leur effet d'énigme prenne sens pour le roi ici et maintenant. Il n'y a rien « d'écrit à l'avance» dans les mots de l'inscription qu'il faudrait découvrir. Celle-ci ne relève pas de la prédiction: on n'est pas dans la numérologie, la kabbale ou le décryptage d'un message secret. Ce n'est qu'en lien avec l'existence concrète du roi que ces mots «parlent». Cela veut dire que les mêmes mots parleraient autrement pour une autre personne.
Mais alors, l'inscription fait-elle «destin» pour le Roi? La main qui écrit est-elle le signe que le « sort» du roi est scellé ? Et Daniel est-il le porteur d'un message écrit depuis toujours? La finale du texte semble d'abord accréditer cette lecture: c'est écrit et c'est accompli (cf. la mort violente du roi). On est proche de la tragédie grecque. On peut cependant entendre autre chose dont le texte est porteur. Cet «autre chose que le destin» réside dans un détail qui passe généralement inaperçu à première lecture. Il y est question d'une lettre en plus qui - peut-être - brise le destin. Au quote 12, lorsque la Reine propose l'intervention de Daniel, elle rappelle que Nabuchodonosor lui a donné un nom (cf. Dn 1,7): Beltechassar.
https://oratoiredulouvre.fr/index.php/libres-reflexions/predications/daniel-et-roi-belchassar |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Jeu 14 Sep 2023, 00:19 | |
| Il faut de l'imagination pour tirer un sermon "protestant-lacanien" d'un texte comme celui-là, mais Cuvillier (prof de NT à Montpellier, nous l'avons souvent lu ailleurs) n'en manque pas... je ne sais pas si le rapprochement avec Jean 8 était de lui ou prescrit dans les "textes du jour" (de l'ERF ou de l'EPUF), en tout cas il me semble plutôt bien trouvé.
La proximité des noms Belshaçar et Belteshaçar, indifféremment transcrits Baltasar en grec (celui de Théodotion, car la Septante, très raccourcie à cet endroit, l'ignore; mais elle a bien Baltasar aussi en 2,26) n'est certainement pas un hasard (comme dirait Bresson). Il est vrai (cf. la suite) que le nom akkadien qu'on peut supposer derrière le second (balatsu-uçur, "protège sa vie") ne serait pas explicitement théophore, contrairement au premier (Bel-šar-usur, "Bel protège le roi"), mais visiblement la rédaction (finale) de Daniel l'ignore, puisqu'elle le rattache précisément au nom du dieu (4,5). Du reste Bel, comme son équivalent levantin Ba`al, est plus un titre (divin), "Seigneur", qu'un nom propre (théonyme) stricto sensu.
Sur le fond, il me semble que la problématique de la "liberté" opposée au "destin" (fatalité, déterminisme, etc.), qu'on la comprenne dans un sens protestant (luthérien plutôt que calviniste, liberté paradoxale ou dialectique du chrétien seigneur et serviteur échappant par grâce au "serf-arbitre", ou à l'illusion d'un "libre-arbitre") ou psychanalytique (liberté relative, provisoire, précaire d'un "sujet" se détachant ponctuellement d'un "inconscient"), est très éloignée des perspectives de Daniel, a fortiori de la rédaction finale ("apocalyptique") où "tout est écrit".
Les embarras des traductions au sujet de la "main" proviennent en grande partie d'un problème de lexicographie anatomique: ce que l'hébreu distingue comme yd et kp (ps en araméen), et qu'on a pris l'habitude de traduire respectivement par "main" et "paume", c'est plus exactement ce que nous appelons l'"avant-bras" (depuis le coude) et la "main", ce qui se voit encore dans l'ancien alphabet (paléo-hébreu): la lettre yad ressemble à un avant-bras avec une main au bout, la lettre kaph à une main entrouverte. D'où le nombre des "paumes" incongrues dans les traductions françaises traditionnelles, notamment des Psaumes, là où "main(s)" suffirait. Dans le cas de Daniel 5 où un ps yd écrit, la "paume" ne convient pas puisqu'on (le roi, si l'on veut) verrait plutôt le "dos" de la main. Mais en fait il n'y a pas lieu d'y chercher une "partie" de la main, c'est bien une "main" entière, sans bras, que décrit le texte... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Ven 15 Sep 2023, 10:22 | |
| Notons que dans ce chapitre 5, Daniel demeure un " illustre inconnu" pour le roi, puisque Dan5:10ss suggère que Belschatsar est averti par sa mère qu'il y a dans son royaume un homme sage qui pourrait interpréter les paroles mystérieusement écrites au mur : " La reine, alertée par les paroles du roi et de ses grands, entra dans la salle du banquet et dit : O roi, puisses-tu vivre toujours ! Que tes pensées ne t'épouvantent pas, tu n'as pas besoin de pâlir ! Il y a dans ton royaume un homme qui a en lui le souffle des dieux saints. Aux jours de ton père, on a trouvé chez lui des lumières, de l'intelligence et une sagesse semblable à la sagesse des dieux. Aussi le roi Nabuchodonosor, ton père, l'a-t-il nommé chef des mages, des envoûteurs, des chaldéens, des devins — c'était le roi, ton père — parce qu'on a trouvé chez ce Daniel, à qui le roi a donné le nom de Belteshatsar, un souffle extraordinaire, de la connaissance et de l'intelligence, la faculté d'interpréter les rêves, de déchiffrer les énigmes et de résoudre les questions difficiles ; qu'on appelle donc Daniel, et il donnera l'interprétation" (5,10-12). DARIUSPourquoi son identification historique est incertaine. Évidemment, le récit biblique n’a pas besoin d’être confirmé par des sources profanes pour être véridique. Les cas nombreux de personnages ou d’événements mentionnés dans la Bible et dont l’historicité, autrefois niée par les critiques, a été finalement démontrée de façon indiscutable devraient retenir l’étudiant de la Parole de Dieu d’accorder trop de poids à la critique (voir BELSHATSAR ; SARGON). Les centaines de milliers de tablettes cunéiformes mises au jour au Proche-Orient présentent toujours une histoire très imparfaite comprenant diverses lacunes. Quant aux autres sources, les historiens profanes de l’Antiquité dont les écrits ont traversé le temps sous forme de copies (quoique souvent fragmentaires), elles sont peu nombreuses ; la majorité de ces historiens sont des Grecs qui vécurent un ou deux siècles, voire davantage, après les événements rapportés dans le livre de Daniel.Le livre de Daniel lui-même fournit une explication beaucoup plus convaincante de l’absence de renseignements sur Darius dans les documents babyloniens. Il dit que Darius confia à Daniel une fonction importante dans le gouvernement, ce qui déplut grandement aux autres hauts fonctionnaires. Leur complot contre Daniel avorta, et Darius exécuta les accusateurs du prophète ainsi que leurs familles, ce qui lui valut probablement la haine des autres fonctionnaires. La proclamation de Darius ordonnant que, dans le royaume, tous ‘ craignent devant le Dieu de Daniel ’, dut provoquer un mécontentement et un ressentiment profonds au sein du puissant clergé babylonien. Comme les scribes étaient assurément sous la coupe des éléments qui viennent d’être mentionnés, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que les annales aient été modifiées après le règne de Darius et les renseignements le concernant éliminés. On sait que cela s’est produit d’autres fois dans l’histoire de cette époque-là. Il faut donc donner son poids légitime au témoignage de la Bible concernant la dualité de la domination médo-perse (Dn 5:28 ; 8:3, 4, 20). Alors que l’histoire profane accorde une supériorité écrasante à Cyrus et aux Perses, le récit biblique montre que les Mèdes ne cessèrent d’être manifestement partenaires des Perses et que les lois furent continuellement celles “ des Mèdes et des Perses ”. (Dn 6:8 ; Est 1:19.) Les Mèdes jouèrent un grand rôle dans le renversement de Babylone (Is 13:17-19). À noter également que Jérémie (51:11) annonça que les “ rois [au pluriel] des Mèdes ” figureraient parmi les attaquants de Babylone. Il est tout à fait possible que Darius ait été l’un d’eux. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1200001124 La Watchtower se tire une balle dans le pied en décrédibilisant l'histoire profane qu'elle cite souvent quand celle-ci va dans son sens et en jetant le doute sur la fiabilité des historiens profanes de l’Antiquité alors qu'elle les prends en référence lorsque cela arrange sa doctrine. L'analyse de l'article n'est pas totalement fausse et erronée mais elle est incohérente, soit l'histoire profane n'est pas digne de confiance, soit elle est un repère dans l'interprétation du texte biblique ... |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Ven 15 Sep 2023, 11:18 | |
| De toute façon ça fait longtemps que ce genre d'argumentaire ne vise plus à convaincre qui que ce soit, mais à rassurer des fidèles qui ne demandent qu'à être rassurés -- circulez, y a rien à voir. Ceux qui ont des doutes tant soit peu sérieux, on cherche plutôt à les pousser rapidement vers la sortie qu'à les ramener au bercail (c'était déjà le cas dans les années 1980, j'en ai fait l'expérience, avant même la parution de cette nouvelle mouture de l'"encyclopédie biblique" maison, Etude perspicace... = Insight... > Aid to Bible Understanding). Même les "apologistes" autoproclamés qui cherchent à améliorer l'argumentation, et qui se sont multipliés à l'époque d'Internet, sont généralement mal vus par l'"organisation" officielle, et non sans raison puisque avec le temps ils ont tendance à "mal finir" (de son point de vue) d'une manière ou d'une autre, cf. l'exemple récent de Furuli dont la Watch avait intégré certains arguments avant de s'en mordre les doigts...
En noyant le lecteur dans l'examen d'une foule de thèses (il n'y a que l'embarras du choix dans l'abondante "littérature" apologétique, conservatrice, fondamentaliste ou sectaire disponible en anglais), l'article évite commodément d'évoquer la principale explication, à savoir que dans Daniel il y a tout simplement une inversion de Darius (Ier Hystaspe, l'organisateur de l'empire en satrapies) et de Cyrus, couplée au mythe de la double puissance "médo-perse". Il y a bien eu des Mèdes indépendants, rivaux, adversaires et même suzerains des Perses avant Cyrus (II) et sa victoire sur le Mède Astyage, mais au moment de la prise de Babylone il n'y a plus qu'un seul empire où les dynasties se mêlent et qui, surtout de loin, peut être appelé indifféremment mède ou perse (cf. encore les guerres "médiques" du point de vue grec), mais qui n'en est pas pour autant "double" (il y aura encore des révoltes des Mèdes contre les Perses, y compris sous -- le vrai -- Darius, mais elles ne rétabliront pas de puissance mède autonome). Cette dualité factice, c'est l'idée erronée que l'auteur (final) du IIe siècle se fait d'une histoire déjà ancienne pour lui, à partir de la dualité traditionnelle des noms. En n'exposant jamais ce schéma relativement simple, la Watch se dispense de le réfuter -- c'est d'ailleurs sa tactique habituelle, et celle de beaucoup d'"apologistes", face aux thèses "critiques": en les exposant de travers, de façon tronquée ou caricaturale, on se crée des adversaires factices et faciles à vaincre.
Pour rappel, Balthazar-Belshaçar n'aurait pas été le fils mais le petit-fils de Nabuchodonosor, par Nabonide, le grand absent de Daniel; quant à la reine (malka'), on ne la suppose reine-mère que par les références de son discours au règne de Nabuchonosor pris pour père de Balthazar. Du point de vue littéraire, son irruption décisive dans le banquet rappelle à nouveau les rebondissements narratifs d'Esther. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mar 19 Sep 2023, 09:25 | |
| Zarathoustra aussi parle de renommer la terre. Il tente de nous apprendre à l’appeler die Leichte, la légère ou la sans poids. Que « toute chose devienne légère, tout corps un danseur, tout esprit un oiseau » est son alpha et son omega. Plus précisément encore : « Celui qui enseignera un jour aux hommes à voler aura déplacé toutes les bornes frontières ; les bornes frontières elles-mêmes s’envoleront dans l’air devant lui, et il rebaptisera la terre - "la légère" »
Ce n’est que lorsqu’elle n’est pas prise comme sol que la terre peut être nommée « légère ». Cette terre n’est pas un degré zéro, et, pour la trouver, nous devons essayer de nombreux chemins en même temps puisque, comme Zarathoustra l’a dit, « le chemin - n’existe pas ! ».
https://www.cairn.info/revue-multitudes-2005-1-page-23.htm
On est au antipode du livre de Daniel, ou le roi Belshatsar est pesé et trouvé insuffisant. Selon certains textes, une vie ou une âme a d'autant plus de valeur qu'elle a plus de poids. :
Le mot hébreux kabôd que l'on traduit par « gloire » signifie à l'origine « être lourd ». Ainsi le sens premier de kabôd est-il « poids ». Les sens dérivés expriment tous la même idée: « ce qui donne du poids », « ce qui en impose ».
http://www.interbible.org/interBible/ecritures/mots/2002/mots_020412.htm#:~:text=Le%20mot%20h%C3%A9breux%20kab%C3%B4d%20que,%C2%AB%20ce%20qui%20en%20impose%20%C2%BB.
Friedrich Nietzsche Schopenhauer éducateur
Pouvait-il, après ce regard, garder l’envie de s’occuper de ce que l’on appelle « l’art », à la manière savante et hypocrite de l’homme moderne ? N’avait-il pas vu quelque chose de plus sublime encore ? Une scène terrible et supra-terrestre du tribunal, où toute vie, même la vie supérieure et complète, avait été pesée et trouvée trop légère ; il avait vu le Saint comme juge de l’existence.
https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/fichier/schopenhauer-educateur.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé insuffisant - Daniel 5 Mar 19 Sep 2023, 13:25 | |
| Le rapprochement inattendu de ces trois textes hétéroclites (philosophie de l'art, y compris l'architecture; vulgarisation de lexicologie biblique; "inactuelle" de jeunesse de Nietzsche sur Schopenhauer où l'allusion à Daniel 5 "contredit", si l'on veut, les développements ultérieurs sur le lourd et le léger) a le mérite d'illustrer le caractère incontrôlable du langage et de la pensée, pris et entraînés dans une mobilité générale, physique et métaphysique, métaphorique et métonymique, où rien ne revient jamais au même, où aucun concept ne retombe tout à fait sur ses pieds. Les notions de lourd et de léger ont pu être opposées comme des "principes" antagonistes, relativisées comme un "plus ou moins" de la même chose (masse ou poids), rapportés comme la gravité à une gravitation universelle où il n'y a plus de haut ni de bas, à des flux qui ne sont plus tout à fait des "choses", sans que ça change rien aux élucubrations de la pensée -- les remarques du premier texte (Rajchman) sur la phénoménologie husserlienne échappant en quelque sorte tout "progrès scientifique", de la révolution copernicienne à la mécanique quantique, sont à cet égard extrêmement pertinentes. Du côté "biblique" aussi il faut relativiser: en hébreu comme dans n'importe quelle langue, étymologie (supposée) ne vaut pas sémantique, on ne pense pas "lourd" et encore moins "foie" chaque fois qu'on dit "gloire"; et les métaphores et métonymies peuvent fonctionner dans tous les sens, la légèreté peut être tout autant valorisée: pieds légers/agiles comme ceux des biches, s'échapper comme l'oiseau du piège, l'esprit vent ou souffle, associé autant au feu qui monte qu'à l'eau qui descend, toutes choses "légères" dont on parlait encore récemment ici. |
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