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| variation sur une absence | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mer 02 Oct 2024, 16:55 | |
| Lien. Quand le commentaire de commentaire tourne à la mosaïque de commentaires, autour d'une notion aussi négative que l'"altérité" de surcroît, ça devient tout à fait soporifique: celui-ci m'a littéralement endormi, à l'heure de la sieste il est vrai... De Certeau, dans le texte, est pourtant intéressant. Question de dose, homéopathique dirait-on, au-delà de laquelle une théologie ou une philosophie négative (absence, silence, manque, vide, etc.) verse dans un bavardage grotesque. Encore la posologie devrait-elle varier d'un patient (plus ou moins patient) à l'autre... Aphorisme, épitaphe, la mesure lapidaire de la phrase singulière, dont la solitude se perd pourtant dans l'inexorable multiplication des maximes, des phrases, des vers, des livres ou des tombeaux. (Le ressassement méditatif ne perd rien à être réveillé de temps à autre par l'éclat de rire et les gros sabots du bon sens: pour ce qu'il a à dire et à penser -- rien, justement -- il se retrouvera toujours assez tôt. Entre-temps le sommeil fait aussi bien l'affaire.) |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Jeu 03 Oct 2024, 11:37 | |
| Dans de nombreuses paraboles les relations entre le maître et les serviteur se jouent à travers l’absence maître, qui est indispensable pour être le révélateur des mobiles des serviteurs. Le temps de l'absence qui dure, un retour qui tarde et débarquements surprise permettent d'évaluer la gestion, la confiance, la vigilance des serviteurs et reddition des comptes qui en découlent. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Jeu 03 Oct 2024, 12:05 | |
| Très juste: on en voit surtout d'ordinaire l'aspect temporel (retard de la parousie) plutôt que l'absence même, si l'on peut dire -- rien de plus invisible qu'une absence, même quand l'absent brille par son absence...
Ingrédient narratif discret mais omniprésent (!), dès les premières pages de la Genèse: ce qui n'était pas (là), fond sans fond (abîme, tohu-bohu) et lieu sans lieu de toute "création" (soit, qu'il y ait, ceci qui n'y était pas: cf. déjà l'`enuma 'elish babylonien), repos d''elohim à la fin, absence décisive de Yahvé en Eden, au meurtre d'Abel, à Babel, à tout événement et à toute histoire, entre deux "visites" ou "interventions" divines; mais aussi absence des autres personnages les uns aux autres, départ d'Abraham, d'Ismaël, de Jacob, de Joseph... Sans absence pas d'histoire, ni story ni history ni Geschichte...
Mais l'absence doit rester invisible et discrète -- c'est pourquoi sans doute je ne supporte plus guère la majuscule à l'Autre, superlatif totalisant et totalitaire de l'autre en général ou en particulier comme le Tout-Autre, personnification de l'abstraction de l'"altérité" (je repense à l'article précédent, et par derrière à Lacan ou à Barth, dans des genres différents): tout autre est tout autre et tout autre qu'un autre (je mélange Derrida et Panikkar, comme l'altérité les autres ou l'absence les absents; comme les morts et les vivants, les fantômes et les fantasmes dans le rêve, la mémoire ou l'oubli). |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Jeu 03 Oct 2024, 12:44 | |
| - Citation :
- Mais l'absence doit rester invisible et discrète -- c'est pourquoi sans doute je ne supporte plus guère la majuscule à l'Autre, superlatif totalisant et totalitaire de l'autre en général ou en particulier comme le Tout-Autre, personnification de l'abstraction de l'"altérité" (je repense à l'article précédent, et par derrière à Lacan ou à Barth, dans des genres différents): tout autre est tout autre et tout autre qu'un autre (je mélange Derrida et Panikkar, comme l'altérité les autres ou l'absence les absents; comme les morts et les vivants, les fantômes et les fantasmes dans le rêve, la mémoire ou l'oubli).
Le visage, dans la trace de l’Absent : comme dire/dé-dire le mot « Dieu » ( J'avoue n'avoir RIEN compris à ce text e qui peut être va t'agacer ). Orietta Ombrosi 10 Or, la question à nouveau se pose : comment le visage ne devient-il pas, mais en tant que visitation, fût-ce dans son humilité et sa hauteur, une manière de la représentation, une représentation de cet au-delà ? Comment peut-il se dispenser d’être la révélation et la représentation de quelque chose d’autre, de cet autre du monde et de l’ordre très proche de l’Autre et que Lévinas nomme « autrement qu’être » ? Comment le visage peut-il ne pas se transformer en représentation, en « icône » de « l’absolument Autre »24 ? Enfin, mais avant tout peut-être, par quel mot peut-on dire, fût-ce en la dé-disant, cette relation extraordinaire entre le visage et cet étranger, cet étrange « ab-solu » ? 11 Ce qui garantit « l’extraordinaire expérience de l’Entrée et de la Visitation »25 du visage, ce qui maintient le visage dans cette extraordinaire expérience et signifiance est précisément le fait que cet au-delà est vraiment un au-delà du monde, au-delà de tout dévoilement et révélation. Mais alors – et voici la question de Lévinas, et son saut logique à mon sens qui fait que cet au-delà ayant d’abord les traits d’une « présence », fût-elle étrangère, est ici décrit comme une « absence »26 : « Quelle peut être cette relation avec une absence radicalement soustraite au dévoilement et à la dissimulation et quelle est cette absence rendant la visitation possible27 ? » La question de Lévinas est toujours la même, bien que différemment formulée ou modulée : quelle est la « circonstance » qui rend possible le visage (et la signification), c’est-à-dire une visitation qui ne soit pas révélation ni représentation et qui ne se soumette pas au jeu du voilement/dévoilement propre à toute manifestation ? Quelle est la « circonstance » qui garantit, dans la visitation, la transcendance de ce/celui qui visite, sans le réduire à une immanence ni non plus à un thème ? Sans le réduire à l’objet d’une théo-logie, fut-elle onto-théo-logie28 ou même théologie négative ? Qu’est-ce qui garantit, dans la visitation, que ce/celui qui visite reste dehors, en dehors du thème, que celui-ci ne devienne non plus l’objet d’une théo-logie, fût-elle onto-théo-logie au sens heideggérien ou l’objet d’une théologie négative qui en parlerait uniquement par une via negativa ? Où trouver, en somme, un autre sens à la transcendance, si celle-ci doit être dissociée de l’être et même du néant ? Où trouver une garantie pour sa transcendance même si elle se « donne », tout de même et de quelque façon, dans la « visitation » ? 12 Voici encore une fois le point de départ de cette recherche infinie pour dire « l’in-condition » de cet au-delà ou de cette étrangeté qu’est la transcendance selon Lévinas et qui se manifeste sans se manifester dans l’abstraction du visage. Le philosophe procède ainsi, dans le texte que nous sommes en train de lire, par une remontée à la recherche de cet au-delà, de cet horizon, qui n’est pas, cependant, une « simple toile de fond »29 à partir de laquelle surgit le visage, ni non plus un noumène, au sens kantien, caché derrière le phénomène. Une remontée aussi à la recherche de la manière de dire cet au-delà, au-delà de toute théologisation, de toute symbolisation ou thématisation, une manière de le dire, fût-ce par un « abus » de langage, qui ici, dans l’écriture de Lévinas dans ce texte sur la trace, s’affranchit difficilement de la « lutte » et de « la douleur de l’expression »30. 13 L’abstraction du visage donc, point de départ de cette remontée, n’est pas celle qu’on peut envisager à partir du donné sensible, ou à partir du temps, ni non plus l’abstraction de la logique formelle31 : elle serait, selon mon hypothèse, l’abstraction dérivant du verbe ab-strahere, tirer hors de, c’est-à-dire celle de la séparation, de l’écart, de la dislocation, de l’absentement, si on peut utiliser ce mot, c’est-à-dire de la séparation – et même de l’isolement32 –, où celui qui rendrait visite dans la visitation « se retirerait ». Cette ab-straction, dont le préfixe ab se rapprocherait de celui de ab-solu, est celle de l’ab-solu de l’avant de « s’ab-soudre. » De plus, comme le précise Lévinas, elle est la façon de l’ab-solu de « s’ab-soudre », c’est-à-dire de se retirer dans sa solitude ou son « anachorèse » et ainsi peut-être de « s’absoudre ». Mais, si ce verbe (« s’ab-soudre ») évoque certainement « l’ab-solu », surtout dans son préfixe et sa départie, il pourrait rappeler aussi un champ sémantique plus ample évoquant, d’un point de vue religieux, l’absolution dans le pardon et, d’un point de vue juridique, le renvoi de l’accusation pour un accusé. Dans tous les cas, il rappellerait le signifiant de la faute ou d’une accusation. Et on pourrait, à ce point, légitimement se demander : de quelle faute, ou accusation, l’ab-solu devrait-il s’ab-soudre ? De quoi l’ab-solu « s’ab-sout » -il ? Peut-être précisément du fait qu’il s’absente, s’éloigne et se retire ? De son absentement et de son départ ? https://journals.openedition.org/yod/678 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Jeu 03 Oct 2024, 14:03 | |
| Ce texte ne m'a pas du tout agacé -- le précédent non plus, d'ailleurs, il m'avait endormi, ce qui est tout autre chose et n'a rien de désagréable -- bien au contraire, il m'a beaucoup plu, mais c'est parce que j'ai pas mal lu Levinas autrefois (au temps de mes études de théologie, ça commence à dater), et qu'il soulevait alors chez moi à peu près les mêmes questions (que j'ai retrouvées ensuite chez d'autres, Derrida et Deleuze notamment). Je simplifie, certainement trop: Levinas tentait de refonder à la fois la philosophie et la théologie sur une base "éthique", en remplaçant la transcendance de l'"Être" (ontologie, surtout d'après Heidegger qui l'avait beaucoup marqué et qu'il avait été un des premiers à introduire et à traduire en français) ou de "Dieu" (selon la tradition juive et chrétienne, surtout juive et talmudique pour Levinas) par "l'épiphanie du visage d'autrui" qui nous saisit de façon archi-originaire, de nulle part, sans fond ni horizon préalable, avant toute conscience de "soi", de "sujet" ou d'"existence", comme un impératif absolu de lui répondre, de répondre de soi et de lui en lui répondant: le visage d'autrui ce n'est pas seulement le faible, le pauvre, le souffrant, le démuni qui appelle secours, hospitalité et compassion, et interdit la violence, mais c'est aussi l'archi-violence qui m'a pris en otage (c'est le mot de Levinas) et m'a littéralement aliéné ou dé-possédé avant que j'aie pu être, avoir ou décider quoi que ce soit. Repenser "Dieu", la "loi" et le "commandement" à partir de là, c'est évidemment très intéressant, bien plus que la morale de sacristie religieuse ou laïque qui se réfère habituellement à Levinas. Mais on ne peut pas ne pas voir que ce dispositif reproduit à sa façon les paradoxes philosophiques et théologiques qu'il voudrait renouveler: pas d'étant sans être, pas de phénomène, de manifestation, d'apparition, de révélation sans un secret, un mystère, un caché, un inapparent qui se manifeste (etc.), pas de présence ( par-ousia) sans absence ( ap-ousia), passé et à-venir, pas de présentation ou d'entrée en présence, ici et maintenant ( hic et nunc) qui ne pro-vienne d'un avant ou d'un ailleurs ( illic et tunc), pas de re-connaissance qui n'implique une connaissance passée, une promesse ou une menace future. Ce qui paraît "exorbitant", du coup, c'est le privilège donné dans tout cela au "visage" humain, de l'autre-semblable (voire présupposé "blanc" comme le suggérait Deleuze), sur tout autre "visage", au sens de "vision" et de "visible", de phénomène quelconque -- cf. la question posée à Levinas, "l'animal a-t-il un visage ?" et sa réponse, "Je ne sais pas"... (dialogue plusieurs fois rapporté par Derrida). Je me souviens de mes discussions, à la faculté de théologie, avec un jeune étudiant fan de Levinas (il est d'ailleurs devenu prof de philo), que j'avais choqué en lui disant que je trouvais autant, sinon plus d'"altérité" dans l'animal, le végétal, le minéral, le cosmique que dans l'"humain"... La différ ance qui différencie un "espace" et un "temps" comme deux genres d'"espacement" distincts, par l'illusion qu'un "lieu" ( topos, khôra) demeurerait inchangé quand change ce qui s'y trouve et (s')y passe (hommes, femmes, enfants, constructions, animaux, végétaux, nuages, pluies, soleil, feuillage d'été ou neige d'hiver), simplement parce que le décor change moins vite que les personnages, les accessoires ou les éclairages (cf. Qohéleth 1), c'est la scène même, théâtrale, du jeu de la présence et de l'absence, du passé et de l'à-venir, aussi celle de l'écriture qui reste un peu plus que la parole vive ( scripta manent, verba volant, les paroles s'envolent et les écrits restent), de toutes les graphies (photographie, cinématographie, vidéo, déjà dessin, peinture, sculpture), et de toute trace qui sub/pose un sub/port; de la mémoire et de l'oubli, des phénomènes, des fantômes et des fantasmes, du rêve et de la fiction aussi. Je viens de voir Inland Empire, de David Lynch (2006), qui illustrerait très bien tout ça, et que j'ai peut-être mieux apprécié que ses précédents, dont je garde un souvenir positif mais assez vague -- probablement aussi parce que mon "point de vue" a changé entre-temps. Dédoubler, multiplier, confondre les personnages, les fils narratifs et les points de vue, les niveaux de réalité, de rêve, de fantastique, de fiction dans la fiction même, en passant de l'un à l'autre, le cinéma et la littérature font ça depuis toujours, mais ce jeu s'est approfondi ou complexifié, dans un sens abyssal ou labyrinthique, sans doute plus encore avec les séries et les jeux vidéos que je n'ai guère fréquentés. Le décalage est d'autant plus frappant avec la "réalité" d'un monde et d'une histoire extérieurs qui prétend rester hermétique à tout le reste, continuant à prendre ses personnages et ses récits linéaires très au sérieux sur tous les plans (politique, médiatique, juridique, économique, etc.). L'enfant qui grandirait sans être assigné à un nom, à un prénom, à des pronoms personnels et possessifs, à une identité, à une continuité, à une cohérence, à des autres et à des miroirs en tout genre qui le renvoient sans cesse à lui-même, le sommant d'être quelqu'un et quelque chose, cet enfant-là n'est pas encore né, ne naîtra peut-être jamais, même s'il s'est rêvé ainsi des milliards de fois. Et ça ne l'empêche pas de trouver dans une "vie" si contrôlée, bien-surveillée et canalisée soit-elle des occasions de bifurquer, de s'échapper, de prendre la tangente, de partir, de déserter, de disparaître, de s'absenter -- lignes de fuite, comme disait Deleuze -- fût-ce pour n'être personne, n'importe où à défaut de nulle part. |
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| Sujet: Re: variation sur une absence Lun 07 Oct 2024, 11:08 | |
| "Celui qu’il faut aimer est absent."
Simone Weil, philosophe, se consacrant à la mystique chrétienne dont la Pesanteur et la Grâce est un éminent témoin de la foi de Weil. Le livre se présente comme un recueil d’aphorismes portant sur divers thèmes. Cependant tout le livre est parcouru par l’opposition entre la pesanteur et la grâce. La pesanteur est ce qui nous rattache à notre moi, ce qui le conserve, et la grâce ce qui ce transcende ce moi, ce qui l’emmène vers le divin. Pour Weil, Dieu a donc créé le monde et s’en retiré, laissant donc la pesanteur et la grâce "s’affronter". Ainsi "Il faut une représentation du monde où il y ait du vide, afin que le monde ait besoin de Dieu. Cela suppose le mal."
Ce qu’il y a d’intéressant dans la mystique de Weil, c’est qu’elle compose avec l’absence de Dieu (elle parle même d’athéisme). La croyance en l’inexistence de Dieu est nécessaire pour sa croyance : "Electre pleurant Oreste mort. Si on aime Dieu en pensant qu’il n’existe pas, il manifestera son existence." ou "Dieu ne peut être présent dans la création que sous la forme d’absence". Il s’agit aussi pour Weil de développer une pensée qui engloberait les contradictions (ou tout du moins les penserait) comme on peut le voir à propos de Dieu (a la fois absent et présent de ce monde) notamment : "Parenté du mal avec la force, avec l’être, et du bien avec la faiblesse, le néant. Et en même temps le mal est privation. Élucider la manière qu’ont les contradictoires d’être vrais. Méthode d’investigation : dès qu’on a pensé quelque chose, chercher en quel sens le contraire est vrai.".
Quel type d’être pourrait donc faire lien avec le divin, dans un rapport sans compromission puisque toutes contradictions sont écartées ? Un moi "gracié", ou tout du moins un moi après sa destruction. Ainsi "Nous ne possédons rien au monde – car le hasard peut tout nous ôter – sinon le pouvoir de dire je. C’est cela qu’il faut donner à Dieu, c’est-à-dire détruire. Il n’y a absolument aucun autre acte libre qui nous soit permis, sinon la destruction du je.". C’est justement la destruction du je qui permet le rapport au divin. Cette destruction passe, mystique chrétienne oblige, par la plus grande humilité qui soit : "Remède contre l’amour imaginaire. Accorder à Dieu en soi le strict minimum, ce qu’on ne peut absolument pas lui refuser – et désirer qu’un jour et le plus tôt possible ce strict minimum devienne tout.". Tout être est pris dans la pesanteur, et son salut, la grâce qui n’est autre que la destruction du je pour permettre un lien entre Dieu, cette présence vide et lui. Ainsi Weil dans un aphorisme que l’on aurait cru écrit par un Cioran, déclare : "La vie humaine est impossible. Mais le malheur seul le fait sentir". La vie prise entre la pesanteur et la grâce.
Il y a certaine beauté à voir Simone Weil esquisser cette mystique pure, sans compromis. Même si durant ma lecture je n’ai pas cessé de penser à la volonté de néant que Nietzsche propose pour qualifier l’ascétisme chrétien, voir cette pureté chrétienne se déchainer à, une fois de plus, une certaine grâce.
"" Dans l’Orient désert..." Il faut être dans un désert. Car celui qu’il faut aimer est absent."
https://www.senscritique.com/livre/la_pesanteur_et_la_grace/critique/31289224 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Lun 07 Oct 2024, 13:02 | |
| Ce que la religion et l'anti-religion ordinaires (mé-?)comprennent selon une logique d'exclusion, d'incompatibilité, de complémentarité et de proportion inverse -- "Dieu" et "moi/nous", existant(s) extérieurs les uns aux autres et face-à-face dans le même espace => plus de l'un, moins des autres, plus de lui, moins de nous, et inversement -- se retourne en effet, d'un tour de plus ou de trop, dans une certaine "mystique": c'est dans l'inexistence, l'absence ou la disparition que les existants supposés se rejoignent, se (re-)trouvent en se perdant... Dieu tout en tous, ou rien en personne, le vide pour le plein ( plèrôma) et/ou pour le vide ( kenôsis)... Je repense à ce logion de Matthieu (10,29) qui m'a toujours touché, et que j'ai souvent (ré-)cité: "Ne vend-on pas deux moineaux pour un as, quand pas un seul d'entre eux (des deux) ne tombe à terre sans votre père ?" Abîme de ce "sans" privatif dans une proposition négative, aneu en grec, préposition plus rare et plus abstraite que khôris qui dit plus expressément le lieu, le dehors, hors de, fors, comme le with-out anglais... Avec sans, avec lui sans lui, dehors sans dehors, exclusion sans exclusion, abandon sans abandon, perte sans perte, ou salut qui consisterait précisément dans la perte. Luc (12,6) traduit ou trahit, dans la même langue, à moins que ce ne soit Matthieu (dans l'hypothèse Q qui suppose l'hypothétique source mieux reflétée par Luc, mais je n'y crois plus guère): "aucun n'est oublié ( epi-lanthanomai, cf. Léthé, a-lètheia) devant le dieu". Là encore, jeu de présence et d'absence, d'absence paradoxalement nécessaire à la grâce de toute présence, comme la mort à la vie, la négation à l'affirmation, la disparition à l'apparition, à l'apparence, au phénomène, bien qu'aucune de ces oppositions ne soit identique ou superposable aux autres. |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mer 16 Oct 2024, 12:39 | |
| Présence et absence Par Claude Maritan
Partons de Parménide, ce sera notre hommage :
Leusse d’omos apeonta noô pareonta bebaiôs ou gar apotmèxei to eon tou eontosechesthai oute skidnamenon pantè pantos kata kosmon oute sunistamenon.
En voici deux traductions, celle de Barbara Cassin : « Regarde par la pensée les choses qui ne sont pourtant pas là comme étant là fermement ; car tu ne couperas pas l’étant à part de l’étant, qui ne se tiendra donc ni dispersé partout en toutes manières de par le monde, ni rassemblé. » Celle de Marcel Conche : « Les choses absentes, regarde-les pourtant par le penser, comme fermement présentes. Car le penser ne coupera pas le il y a de façon qu’il ne s’attache plus au il y a – qu’il se disperse partout de toutes les façons à travers le cosmos, ou qu’il se rassemble [2]. » Celui-ci commente : « La différence présence-absence disparaît pour le penser […] puisqu’on ne peut penser ce qu’il n’y a pas […] et donc l’opération de penser n’a rien de subjectif… ces choses pour le penser, ne sont pas “absentes”, elles participent de la Présence. » Pour l’analyste, la chose est acquise : on ne peut penser l’absence que du point de vue de la présence, d’une présence première qui inclut l’absence dans le secret de son chiffre. Par contre, si l’absence était première, plus rien ne serait pensable, ni la présence ni l’absence [3].
L’absence à soi-même peut être aussi bien subie, lorsqu’il s’agit des épilepsies (grand mal ou absences du petit mal), que choisie, et c’est alors un moyen de « se sauver » dans l’urgence d’un viol. Dans la traque d’une éducation persécutante qui exige de l’enfant une transparence totale au regard de l’adulte et ne lui laisse aucun répit, l’absence par renoncement à tout désir propre devient un état quotidien, et un idéal affirmé. L’absence à soi-même peut être stable et établie dans la durée, cet archipel que la psychiatrie désigne comme psychoses, mais elle peut aussi survenir par crise paroxystique, épilepsie certes, mais également crises hallucinatoires, mélancoliques, catatoniques, etc. Michel Terestchenko, quant à lui, nous soumet un autre aspect de l’absence à soi-même, aspect qui n’est plus considéré comme un symptôme mais relève de la morale quotidienne lorsqu’un sujet doit effectuer un choix éthique et qu’il ne trouve en soi aucun appui, seulement glissade et dérobade, vacuité donc. Sur quoi s’appuient donc ceux qui vont répondre courageusement et accomplissent des actes qui les engagent à prendre des risques ? Même question et même structure, lorsqu’un homme est appelé par une femme, à propos de l’enfant de lui qu’elle porte, à être un homme pour eux deux : sur quoi s’appuient ceux qui savent répondre présent et que manque-t-il à ceux qui ne peuvent que se dérober ?
https://shs.cairn.info/revue-les-lettres-de-la-spf-2007-2-page-73?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mer 16 Oct 2024, 13:50 | |
| Le discours psychanalytique (qui, même épuisant, n'épuise pas la psychanalyse) me rappelle souvent le mot d'Oscar Levant: There's a fine line between genius and insanity. I have erased this line. (Une ligne très fine sépare le génie de la folie: je l'ai effacée.) L'arbitraire et le péremptoire y naviguent librement entre le brillant et le grotesque... Quoi qu'il en soit, la référence à Parménide est intéressante, de même tout ce qui suit sur le "lieu" et nous reconduirait aux textes du début de ce fil: c'est dans un lieu ou hors d'un lieu, par rapport à un lieu, à partir d'un lieu, selon toute la métonymie du lieu, corps, chambre, maison, ville, région, pays, nation, monde, mais aussi société, religion, secte, parti, association, entreprise, institution, système, jusqu'aux "sites" virtuels et aux réseaux sociaux de l'Internet, qu'il y a "présence" ou "absence", dedans ou dehors, entrée ou sortie, proche et lointain, rapprochement ou éloignement, praes- ou ab-, da ou fort... Jusque dans le "y" d'un "il (n')y a (pas)" ou le there d'un there is (not)...Comme on l'a vu ailleurs, le choix, la décision, la résolution, qu'ils paraissent "lâches" ou "courageux", se jouent toujours là où le "lieu", du moins sous l'espèce du sol ou du fond(s) ( Grund, ground, qui sont aussi "raison", "raison de" faire ou de ne pas faire, ceci plutôt que cela, fondement d'un bien- ou mal-fondé), manque -- d'où l'analogie du "saut" (dans le vide, ou au-dessus du vide) qui domine la pensée existentiale ou existentialiste depuis Kierkegaard au moins, jusqu'aux apories d'un Derrida (on ne décide que dans l'indécidable). Abyssale ( Ab-grund, sans fond) par (in-)définition. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: variation sur une absence Sam 02 Nov 2024, 11:34 | |
| Ce n'est peut-être pas tant l'absence que la disparition, et ses suites, ses séquelles, ses traces, qui sont aussi celles de l'apparition et de la présence disparue(s), qui font la "révélation", ou du moins la rendent effective, par ses effets différés sur ses récepteurs, lecteurs, auditeurs ou spectateurs: aperception, (prise de) conscience, "réalisation" au sens franglais du terme, connaissance, savoir, compréhension, intelligence, cela ne se produit le plus souvent ni à l'instant d'une apparition, ni dans la durée d'une présence, mais après, dans le rapport différencié du temps au lieu dont nous parlons depuis le début de ce fil: là où il y a eu, il n'y a plus -- mais par là même on sait qu'il y a eu, que quelque chose ou quelqu'un a passé, s'est passé, au passé, même si l'on ne sait pas quoi ni qui. On n'aurait que l'embarras du choix des illustrations "bibliques", de Moïse voyant Yahvé de dos, après son passage (Exode 33), à Manoah le père de Samson (Juges 13), à la Transfiguration (Marc 9//) ou aux disciples d'Emmaüs (Luc 24), à la séquence Passion-résurrection/esprit en général: c'est par la disparition qu'on comprend ce qu'on peut comprendre, si peu que ce soit: et d'abord qu'il y a eu, précisément ce qu'il n'y a plus, apparition et présence; comme au réveil on sait qu'on a rêvé. |
| | | free
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| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 05 Nov 2024, 11:47 | |
| Témoignage et théologie Par Catherine Chalier
La trace de dieu et l’attention du témoin
Soutenir, comme le fait Levinas, que le visage humain se trouve dans la trace de l’absolument Absent qui, sans se révéler dans ce visage, a pourtant une signification grâce à lui – celle d’astreindre au bien celui ou celle qui lui fait face – serait-il possible si ces témoins manquaient ? L’Absent qui, selon le philosophe, me convoque à répondre, ici et maintenant, du visage d’autrui ressemble-t-il vraiment à l’Un dont l’être porte la trace dans la philosophie de Plotin ? Le « Il » évoqué par Levinas à son propos garde-t-il son anonymat parce qu’il s’agit d’un principe neutre ou parce qu’il s’agit d’une transcendance vivante et exigeante, une transcendance irréductible à ce que la spéculation philosophique pourra jamais en dire ?
Levinas répond clairement à ce questionnement. « Le Dieu qui a passé » et dans la trace duquel se trouve le visage n’est pas, selon lui, un pur principe philosophique puisqu’il parle à son propos, de façon très explicite, du « Dieu révélé de notre spiritualité judéo-chrétienne ». C’est ce Dieu là en effet qui, dit-il, « conserve tout l’infini de son absence (… et) ne se montre que par sa trace, comme dans le chapitre 33 de l’Exode ». Cette référence précise permet en outre à Levinas de conclure ainsi : « Aller vers lui, ce n’est pas suivre cette trace qui n’est pas un signe. C’est aller vers les Autres qui se tiennent dans la trace de l’illéité. C’est par cette illéité, située au-delà des calculs et des réciprocités de l’économie et du monde, que l’être a un sens. Sens qui n’est pas une finalité [17]. »
Mais, objectera-t-on alors, comment soutenir également que chaque subjectivité humaine se découvre vouée à répondre à l’appel du visage de façon immémoriale, même si elle ignore tout du mémorial biblique qui parle de ce Dieu là ? La réponse à cette question est difficile mais elle tient en partie à ceci que Levinas ne cite jamais la Bible, pas même dans ses livres dits « confessionnels », comme un livre à usage purement « interne », un livre réservé à ceux qui l’ont reçue en héritage ou qui sont venus à elle à partir d’une quête propre. La Bible témoigne en effet, selon lui, pour une pensée de l’humain dont l’enjeu est universel. Mais cet universel n’est ni un savoir ni une croyance à admettre, encore moins un ensemble de valeurs ou de significations à imposer à tous. Cet universel est celui d’une orientation qui, nonobstant la multiplicité irréductible des croyances et des significations culturelles, concerne la responsabilité pour l’univers. Responsabilité dont l’immémorial serait la source et qui, parfois, à l’instant où elle prend chair dans l’attitude d’une personne, ferait encore venir « Dieu » à l’idée, malgré les ténèbres de l’histoire et l’ignorance de la Bible, en dépit aussi du « célèbre paradoxe, devenu poncif, sur la mort de Dieu [18] ».
La Bible veillerait donc sur la mémoire de l’immémorial – de la source qui voue chacun(e) à la responsabilité – sans qu’aucune lecture, fût-elle la plus subtile, soit jamais adéquate à cet immémorial. Son Dire, explique en effet Levinas, excède tous les Dits humains qui tentent d’en apprivoiser l’excès irréductible. Mais, ajoute-t-il décisivement, ce Dire signifie à l’instant du « me voici » que le visage humain, dans sa nudité, fait venir sur les lèvres d’une subjectivité responsable. La trace de l’immémorial serait donc inoubliable, même chez ceux qui ignorent la Bible ou l’ont oubliée, précisément parce que l’immémorial n’oublierait personne. Il n’oublierait pas ceux qu’il appelle, dans la fragilité des versets bibliques et par le visage du prochain. C’est pourquoi, malgré toutes les protestations, en particulier celles des philosophes soucieux de se défendre de l’intrusion d’un tel excès dans la sagesse de leurs Dits, l’immémorial serait inoubliable, ce dont la philosophie de Levinas témoignerait.
https://shs.cairn.info/revue-pardes-2007-1-page-17?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 05 Nov 2024, 12:39 | |
| Le bibliste est peut-être plus réticent que le théologien au discours de Levinas: la pensée de l'"autre" comme tel (autrui, le prochain, le visage, le vis-à-vis, etc.), qui est aussi une "abstraction" (jusque chez Levinas, malgré ses efforts pour distinguer cette abstraction-là de l'abstraction théologique et/ou philosophique: cf. le post-scriptum de C. Chalier), paraît aussi absente des textes "bibliques" eux-mêmes que (le concept monothéiste, théologique et/ou philosophique, de) "Dieu". En somme "l'immémorial" susceptible d'"universel" passerait par une tradition historique très particulière, qui ne s'arrêterait pas à la Bible juive ou chrétienne ni n'embrasserait indifféremment les monothéismes, mais se développerait exclusivement ou exemplairement dans la ligne du judaïsme rabbinique et talmudique, celle qui aboutit à un "Dieu" non seulement unique, invisible, non représentable, mais au nom même imprononçable, et à une "loi" sans temple, ni sacrifice, ni sacerdoce, concentrée sur les relations et les comportements privés -- encore y faut-il une lecture singulière, celle de Levinas justement, certes pas tout à fait isolé dans cette tradition ni en-dehors, qui subordonne radicalement le rituel à la morale, pour constituer l'"éthique" en un tel absolu que "Dieu" n'y apparaîtrait plus que par elle, en disparaissant au profit du "visage d'autrui" (je repense à sa très belle lecture talmudique sur l'"ordalie" de Nombres 5, où le nom de Dieu s'efface pour réconcilier les hommes, en l'occurrence un mari et sa femme)... Cela peut paraître tentant (j'ai trouvé Levinas fascinant au temps de mes études en théologie, justement parce qu'il semblait présenter une sorte d'"alternative" -- au sens franglais du terme -- à la théologie systématique), mais le retour aux textes est rude... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 05 Nov 2024, 13:12 | |
| " La loi, en effet, possède une ombre des biens à venir et non pas l'image même de ces choses ; c'est pourquoi elle ne peut jamais, par les mêmes sacrifices qu'on présente perpétuellement, année après année, porter à leur accomplissement ceux qui s'en approchent" (Hé 0,1). Le thème de l'absence/présence me fait penser au texte ci-dessus, ou l'absence (de l'"icône", l'"image") "vraie ou essentielle" est remplacée par la présence de l'"ombre" ou de la "copie", qui manifeste la réalité du "vraie". Absent tout en étant présent et vice, versa. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: variation sur une absence Mar 05 Nov 2024, 14:06 | |
| Dans la tradition (médio-)platonicienne que reflète (c'est le cas de le dire) l'épître aux Hébreux, il y a toute une hiérarchie (gradation, dégradé) de l'"image", de la vision et de l'optique, qui ne se borne pas au dualisme "intelligible / sensible", "idée / forme", idea / eidos. L'"image" (ici eikôn, d'où "icône") peut être dite inférieure à l'"être même" (l'étamment étant, si l'on ose calquer ainsi l'ontôs on, mais ce peut être aussi le "corps", sôma, du moins tant qu'on ne l'oppose pas à l'âme, psukhè, ou à l'intellect, noûs); mais celui-ci n'est rien pour personne sans la lumière métonymique qui le rend visible et intelligible, y compris à lui-même par quelque miroir: il y faut le roi-soleil au-delà du soleil sensible, le Bien (Platon) ou l'Un (Plotin) au-delà de l'être ou de l'étant (ousia, essence, étantité, étance); dans l'autre sens, si l'on peut dire, l'image comme "modèle" (tupos, paradeigma, type et paradigme) vaut mieux que la copie plus ou moins ressemblante (anti-tupos, hupo-deigma, antitype ou hypodigme), et celle-ci que son ombre (ici skia, encore et toujours la caverne de La République). De même l'être et le non-être, la présence et l'absence, se distribueraient selon la même échelle d'axiologie graduée, dans la relativité d'un plus ou moins, même si cette gradation donne ici et là -- à chaque seuil, échelon ou étape peut-être -- l'impression d'une alternative ou d'une opposition binaire, diamétrale, absolue, oui ou non, blanc ou noir, lumière ou ténèbres, tout ou rien. Mais chez Platon comme dans ses suites tout cela varie aussi d'un texte à l'autre, l'écriture échappant au système au-delà de toute intention d'auteur (c'est bien le reproche du logos à la graphè dans le Phèdre)... |
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