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 compassion, pitié, miséricorde, etc.

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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeLun 20 Mai 2019, 10:03

Si l’absolue liberté de Dieu ne saurait être pensée à partir d’elle-même, dans l’inconnu de son origine, elle peut l’être au contraire à partir de sa double compassion : ce qu’elle donne d’elle-même en luttant contre la souffrance et ce qu’elle dit d’elle-même en habitant la souffrance. En tant qu’elle est donnée, en redonnant l’homme à lui-même, la liberté de Dieu s’affirme absoute, libérée, de tout arbitraire. Elle ne peut être alors que la liberté de l’amour, écartant ainsi l’idée d’une puissance absolue de Dieu qui se distinguerait de sa puissance ordonnée selon sa sagesse et bonté. Cependant, en tant qu’elle est dite en communion de souffrance avec l’homme, l’unique et même liberté de Dieu se révèle effectivement limitée. Elle n’est pourtant pas limitée par une nécessité, une résistance ou encore une interaction exercée par le monde, suivant diverses hypothèses évoquées antérieurement. Elle se limite elle-même dans le mouvement où elle s’affirme comme amour. On avancera ici que la souffrance livre une raison à la limitation de Dieu : sa compassion active passe par une compassion passive. Mais cette raison s’insère elle-même dans la médiation christologique à laquelle se plie la divinisation de l’homme. Le chemin qui conduit à une compassion par l’autre s’identifie au chemin qui mène à l’Esprit Saint par Jésus Christ. C’est le chemin où la liberté insondable de Dieu a laissé les traces aptes à nous reconduire jusqu’à elle : Dieu, origine et terme de l’espérance. https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2002-1-page-13.htm
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeLun 20 Mai 2019, 13:51

Merci pour ce bel article -- d'une exceptionnelle clarté, vu l'ampleur du sujet.

Une réflexion en marge (due à la coïncidence de sa conclusion "trinitaire" et de ce que je suis par ailleurs en train de relire de Kierkegaard, les Miettes et le Post-scriptum): le "saut" de la philosophie à la théologie "positive", "dogmatique", "affirmative", quoique paradoxale, de la "révélation" me paraît en effet la seule issue possible (saut hors d'une certaine "raison", si l'on veut, ou de la "raison" hors d'elle-même, mais requis par un "problème" qui la dépasse comme il la précède). L'unité différenciée de l'impassibilité, de la passion et de la compassion, toujours à nouveau unies et différenciées, cela suffirait à redessiner un schéma trinitaire si celui-ci n'existait pas (il se dessinerait aussi bien sans "Dieu" dans le bouddhisme p. ex.: souffrance, non-souffrance, compassion)... mais plus cette nécessité s'impose à la pensée, théorique et souffrante, moins elle se distingue d'une "mythologie" et d'une "poésie". Ce qui à mon sens ne tient pas, c'est la distinction aveugle de l'"historique" et du "mythologique" en la matière, qui est si importante (à la limite de l'hystérie, une l'hystérie de l'historique) pour Kierkegaard et tout ce qui s'ensuit (mais déjà le précède, dans le sillage de Hegel notamment). Dans le christianisme aussi, qu'on le veuille ou non, il y a du "mythe" et de la "poésie", c'est même l'essentiel... c'est la seule façon d'exprimer quelque chose, précisément de la "théorie" dans "l'histoire" et de l"impassible" dans la "passion"; dans le "paganisme" également il y a de l'histoire, pour autant que l'impassibilité, la passion et la compassion des dieux ont aussi leur pendant "historique" (subjectif et objectif) dans l'expérience humaine qui les invente, les récite, les joue et les rejoue.
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeMar 20 Juil 2021, 11:26

L’examen des conditions de configuration des effets passionnels de la compassion et de la pitié ainsi que la prise en compte de leur distinction nous permettent de privilégier les sèmes susceptibles d’être déduits à partir de la racine étymologique des lexèmes. Nous obtenons alors le tableau suivant :

COMPASSION
souffrance commune ; communion, participation
symétrie ; identification
« sentir avec »

PITIÉ
accomplissement du devoir ; religiosité, vertu
dissymétrie ; altérité
« sentir pour »

...

23 Le sujet compatissant ou s’apitoyant, témoin de la souffrance d’autrui et croyant partager les mêmes valeurs, compatit, en un mouvement de conjonction, car il croit-savoir ce que l’autre souffre, il croit-savoir l’effet causé par le mal qui l’afflige. Du même coup, le croire(-savoir), en établissant, dans la situation de production de ces effets pathémiques, le lien entre le sujet de la perception et le sujet perçu, qui souffre, se présente comme le pivot passionnel de ces interactions affectives, comme un élément d’intersubjectivité. Ce croire(-savoir) est responsable de « l’éveil » de l’expérience pathémique, l’élément qui, en marquant un mouvement d’identification, de reconnaissance, configure la compétence du sujet à sentir.

24 Comme l’explique Greimas : « la re-connaissance, contrairement à la connaissance, est une opération de comparaison de ce qui lui est‘proposé’ [...] et de ce qu’il sait/croit déjà » (1983 : 119, en italiques dans le texte). Ainsi, la propriété formelle qui fonde les scènes passionnelles en question s’instaure : le sujet pathémique, qu’il soit compatissant ou s’apitoyant, conçoit, à partir de la manifestation de la souffrance d’autrui et de la comparaison avec soi-même, ce qu’il estime être « l’être » de la souffrance, ce qui fonde l’imaginaire (le « croire-savoir ») qui le rend compétent pour sentir. Ce faire interprétatif, en tant qu’opération basée sur la reconnaissance (Greimas 1983), constitue donc l’élément clé de la structuration pathémique de l’effet de compassion et de pitié.



https://journals.openedition.org/aad/3889?lang=fr
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 21 Juil 2021, 12:17

Intéressant.

L'auteur(e) le dit mais on ne le soulignera jamais assez: l'étymologie ne fait pas le sens, lequel dépend intégralement de l'usage; le locuteur français ne pense plus du tout "passion" quand il dit "compassion", ni "pâtir-souffrir" ni "passif" quand il dit "passion", encore moins "piété" quand il dit "pitié", sans parler des connotations péjoratives récentes de ce dernier terme (qui va désormais de pair avec "mépris" ou "condescendance", aujourd'hui à peu près synonymes quoique jadis contraires). On peut tout au plus lui faire remarquer exceptionnellement la parenté des mots, mais ça n'affectera que marginalement leur usage et donc leur sens.

Reste qu'au-delà ou en-deçà des locuteurs chaque langue "pense" très différemment (autres images, autres métaphores, autres métonymies, autres "sens" évoqués au sens "sensible" ou "sensuel" du terme) des "notions" qui se traduisent ensuite indifféremment d'une langue à l'autre -- ainsi "pitié" et "piété" restent indissociables dans la tête d'un Italien, d'un Espagnol ou d'un Portugais puisque c'est "le même mot"; qu'on songe aussi aux fameuses "entrailles" hébraïques, exotiques pour nous et déjà pour le grec de la Septante ou du NT, "naturelles" au contraire et donc fort peu "pensées comme telles" en arabe coranique, rahman er-rahim...
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeJeu 20 Avr 2023, 18:18

La com-passion, comme la cruauté, en tant qu'approches de la souffrance d'autrui -- asymptotes pour autant qu'elles n'atteignent jamais leur but, qu'elles ne parviennent pas à coïncider avec ce qu'elles visent -- sont tout de même révélatrices, par les déplacements (é-motions) qu'elles suscitent, du fait que la souffrance (ou passion) échappe toujours à sa représentation: ce qui me "touche" dans la souffrance de quelqu'un, telle que je l'imagine, n'est jamais tout à fait ce dont il souffre effectivement, et réciproquement ce dont il souffre effectivement ne suscitera peut-être jamais la compassion de quiconque. Or l'intuition de ce doute vient hanter toutes les discussions sur la "souffrance en général", notamment celles de la "théodicée" (pourquoi un Dieu bon et tout-puissant permet-il la souffrance, le mal subi, etc.), et leurs variantes laïques (remplacer Dieu par le roi, l'Etat, la société, etc.): que savons-nous au juste d'aucune "souffrance", et même de la nôtre, alors que son expression et sa représentation sont toujours "formatées" d'avance par des normes et des attentes culturelles, sociales, médiatiques ? Le discours de la "victime", du "patient", du "souffrant" lui est prescrit en-deçà de toute manifestation "authentique", surtout quand sa souffrance est passée, de sorte que toutes les "libérations de la parole" n'abolissent pas l'indicible, elles le retranchent plus profondément dans son secret, y compris aux yeux du principal intéressé. Celui qui s'approche de la souffrance d'autrui, ou de la sienne même, doit s'attendre à y trouver tout autre chose que ce qu'il en attend, contradiction comprise (ou non)... Pourtant le récit ou la description de la "souffrance" touche, plus que tout autre chose, comme si tout le monde savait de quoi il s'agit, mais son rapport au réel est toujours en question -- ce qui fait aussi qu'une histoire de souffrance fictive émeut tout autant, sinon davantage, qu'une "vraie", comme en témoigne toute la littérature (théâtre, cinéma...), et que même une "vraie" souffrance peut susciter une com-passion sans commune mesure avec ce qu'en a éprouvé son protagoniste. C'est l'incommunicable et l'infiniment communicable (Solitude de la pitié, c'était un titre de Giono... Voir aussi ici et .)
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeVen 21 Avr 2023, 13:41

« Se condouloir » à distance

La souffrance avec son prochain lointain selon Montaigne

7 Issu du latin chrétien condolere (« s’affliger avec »), le terme condolor semble rare malgré la fortune du commentaire d’Abano, et inspire surtout les commentaires des grammairiens : étudiant l’usage des prépositions, l’humaniste napolitain Lucio Giovanni Scoppa met en regard le couple dolere/dolor et condolere/condolor, où la souffrance éprouvée en soi et pour soi s’« augmente » de celle ressentie pour autrui. Le terme pâtit sans doute de sa rivalité avec d’autres dérivés forgés dans les milieux humanistes de la première moitié du xvie siècle, qui sont autant de tentatives de rivaliser avec compassio et d’en préciser le sens. On rencontre condolentia chez le néo-platonicien florentin Marsile Ficin et chez l’ami d’Érasme Jérôme de Busleyden, qui estime que c’est grâce à la condolentia que nous faisons au plus haut point l’expérience de notre humanité ; condolescentia (de condolescere, inchoatif de condolere) chez Guillaume Budé, compatissant avec un ami malade dans une « consolatoria epistola ».

8 Le français saura acclimater avec profit ce riche champ sémantique, intronisant le verbe « condoloir » dès le xiiie siècle, puis « condouloir » vers 1562, d’où sont issus, dès la fin du xve siècle, le substantif « condolence » (fait de souffrir avec quelqu’un), puis « condoléance » (expression de la part prise à la souffrance d’autrui), que Vaugelas qualifiera d’« estrange mot ». Du verbe, relativement fréquent alors, Michel de Montaigne ne fait qu’une fois usage, notant que le marquis François de Saluces, un homme de guerre italien au service de François Ier, s’est « souvent condolu à ses privez des maux qu’il voyoit inevitablement preparez à la couronne de France et aux amis qu’il y avoit ». La tournure réflexive, d’usage ancien, implique le retour sur sa propre douleur (le marquis se plaint à ses proches), mais également la compassion éprouvée pour ses amis français, auxquels de « folles propheties », prises à tort pour argent comptant, réservent un sort funeste.

Objets de compassion

Qui faict qu’on incise et taille les tendres membres d’un enfant plus aisément que les nostres, et encore plus ceux d’un cheval, si ce n’est l’ignorance ?

13 Cette question rhétorique, formulée par Montaigne dans le plus long de ses chapitres, l’« Apologie de Raymond Sebond », n’est pas dépourvue d’ambiguïté : faut-il comprendre que l’ignorance, celle d’un cheval ou celle d’un enfant, rend ceux-ci imperméables à la douleur, à l’instar du cochon du philosophe sceptique Pyrrhon, impavide devant une tempête, ou de l’inscience du muletier et de l’athlète, exemples cités dans la phrase qui précède ? Car en déjouant l’exercice perverti de l’esprit humain et les projections imaginaires qui rendent « malades », l’ignorance apaiserait la peur de la « mort » et la sensation de « douleur » avec bien « plus de fermeté que la science ».

14 Ou bien cette facilité à trancher dans la chair d’êtres tendres ou opaques, qui ne s’agitent pas trop, tiendrait-elle à une autre forme d’ignorance, l’insensibilité de l’officiant au scalpel, étranger à la souffrance de l’autre ? C’est précisément dans ce chapitre que Montaigne critique l’incapacité des hommes à comprendre un autre langage que le leur, alors qu’entre les bêtes, « il y a une pleine et entière communication et qu’elles s’entr’entendent, non seulement celles de mesme espece, mais aussi d’espèces diverses ».

15 Cette sensibilité de l’auteur à l’insensibilité devient explicite dans un passage du Journal de voyage consacré à Bâle, ville-spectacle où il fait escale avec ses compagnons et dont la description est saturée de références à l’acte de vision. Bâle apparaît comme un théâtre – étymologiquement le lieu où l’on voit – dans lequel se promènent des spectateurs impliqués émotionnellement et où enseigne le médecin Theodor Zwinger, désigné par une périphrase significative, « celui qui a fait le Theatrum » (le Theatrum vitae humanae, 1565). Or, à côté de l’horloge de la ville, des trésors de la collection du médecin Félix Platter et de la « très belle librairie publique », Montaigne observe de manière critique la cruauté d’une opération chirurgicale dont son secrétaire rend compte sous sa dictée : « Nous y vismes tailler un petit enfant d’un pauvr’home pour la rupture, qui fut treté bien rudemant par le chirurgien. »

16 On incisait « bien aisément » dans l’« Apologie de Raymond Sebond », ici le chirurgien taille « bien rudemant ». Ce passage du point de vue de l’opérateur (ou de ses victimes) à celui du témoin compatissant transforme la compréhension de la douleur. L’exemple du cheval et de l’enfant dans le livre II, chapitre 12 mettait en valeur la distinction entre trouble cognitif et douleur physique. Pour les sceptiques pyrrhoniens, dont Montaigne commente de près la position philosophique dans ce même chapitre, la douleur représente cette part involontaire de l’expérience privée imposée à tout être par la Nature, à laquelle nul ne saurait échapper. On ne peut se tromper sur le fait d’avoir mal ou mettre en suspens ses sensations intimes, (si l’« on bat [le pourceau de Pyrrho], il crie et se tourmente »). Mais chacun peut éviter d’accroître sa peine par des croyances négatives. Aussi une âme ignorante, équine ou humaine, souffrirait-elle moins en sa chair de penser moins. En même temps, elle pourrait souffrir davantage de ne pas susciter la compassion, à l’instar du garçonnet du Journal de voyage.

https://journals.openedition.org/hms/5704
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeVen 21 Avr 2023, 15:44

Merci, merci pour ce texte passionnant (!) -- on ne pouvait pas mieux finir (la semaine, du moins) qu'avec  Montaigne, si sensible à tout le sensible, humain, animal, végétal... Dommage que Descartes, né peu après sa mort, ait donné à la modernité philosophique et bientôt scientifique une tout autre orientation. Pendant que j'y suis, j'attire l'attention sur la note 74, qui rapporte une annotation de Montaigne extrêmement proche de ma remarque précédente (à croire que je la lui ai soufflée), sur le rapport troublant de la com-passion à la représentation et à la fiction (cruci-fiction, écrivent certains).

Par coïncidence, je suis en train de relire Lautréamont, qui a exploré autant qu'il pouvait l'autre versant, cruel, de la com-passion dans les Chants de Maldoror -- et qui y a peut-être échoué aussi, dans l'un ou l'autre sens du verbe, comme le suggèrent les Poésies... De proche en proche, je repense aussi à Sade et à Pasolini (Salò) où curieusement la cruauté ultime du "cercle du sang", qui n'est d'ailleurs pas la plus pénible pour le spectateur, et cela déjà a de quoi interroger, appelle une certaine distance contradictoire (observé de loin avec des jumelles qui rapprochent): la question de la distance est aussi essentielle, et paradoxale, chez Montaigne, aussi bien du côté de la "compassion" que de la "cruauté", il y faut à la fois un certain éloignement et une certaine proximité, l'un et l'autre en plus d'un sens (cf. aussi ici).
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeMar 25 Avr 2023, 10:48

La compassion : un pâtir-avec fragile

2 Autrement dit, l’exigence de la reconnaissance de l’humanité de l’Autre homme est-elle vouée à disparaître ? Probablement pas, « l’homme compassionnel » apparaissant comme la grande figure obligée du monde contemporain ! Les événements tragiques qui scandent notre quotidien permettent sans complexe et sans retenue d’afficher notre compassion face aux malheurs d’Autrui. Les victimes sont désormais partout, proches ou lointaines, comme si l’être humain se délectait en quelque sorte de l’événement tragique. Les hommes et femmes politiques l’ont bien compris, se concurrençant pour le plus bel élan compassionnel, à chaque nouveau malheur, qu’il soit national ou international. De même, la télévision qui fait également de l’exploitation de la misère ou de l’émotion, un spectacle qui se joue aux frontières de l’indécence. Relayée et démultipliée aujourd’hui par les réseaux sociaux, elle sacralise le registre compassionnel, sans pour autant conduire à une quelconque prise de distance critique, et prenant le risque de transmettre une vision anecdotique, bien que cruelle, de la vie humaine;

3 Comme l’écrit Pierre Zaoui, « nul ne peut aujourd’hui se dire humain s’il ne ressent rien devant le spectacle de la souffrance d’autrui ». Or, cette souffrance est désormais omniprésente : sur les affiches ou les campagnes des organisations d’aide, à la télévision, sur les réseaux sociaux… créant en quelque sorte une obligation à répondre. Mais de quelle obligation à répondre s’agit-il ? Sommes-nous au-delà ou en-deçà d’une simple logique de partage de mêmes sentiments ?

4 L’étalage trop grand, trop fort, trop bouleversant, avec une logique addictive incitant à aller toujours plus loin dans la dramaturgie ou dans la séduction par l’horreur, n’a-t-il pas eu pour effet justement d’inscrire en faux la compassion ou le sentiment de compassion, réactivant de fait ce qu’écrivait Stefan Zweig dans La pitié dangereuse :

Il y a deux sortes de pitié. L’une, molle et sentimentale, qui n’est en réalité que l’impatience du cœur de se débarrasser au plus vite de la pénible émotion qui vous étreint devant la souffrance d’autrui, cette pitié qui n’est pas du tout la compassion, mais un mouvement instinctif de défense de l’âme contre la souffrance étrangère. Et l’autre, la seule qui compte, la pitié non sentimentale mais créatrice, qui sait ce qu’elle veut et est décidée à persévérer avec patience et tolérance jusqu’à l’extrême limite de ses forces, et même au-delà.

5 La compassion mérite, en effet, quelque précaution d’usage pour ne pas devenir émotion gratuite et sans lendemain, à tout le moins mérite-t-elle d’être re-conceptualisée à l’aune d’un monde hyperconnecté qui rend visible dans l’immédiateté tout un ensemble d’événements dramatiques, où qu’ils se passent sur la planète, et qui démultiplie, de ce fait, les occasions d’être, ou de paraître, compassionnel, sans qu’il y ait pour autant de changements majeurs dans le quotidien de chacun. Comment, en quelque sorte, échapper à une sorte d’exhibitionnisme émotionnel ?

Un pâtir-avec sélectif

8 Pâtir-avec ou rester étranger à l’épreuve vécue ? Peut-être que, dans une actualité déjà passée, la critique la plus tonifiante du concept de compassion se situait-elle dans cet article d’un journaliste israélien, Akiva Eldar, publié dans Haaretz et intitulé « La compassion d’Israël à Haïti ne peut cacher notre laideur à Gaza ». Dans cet article, l’auteur évoque la contradiction entre le souci-pour-autrui manifesté pour les victimes du séisme en Haïti, catastrophe naturelle du 12 janvier 2010, et l’indifférence pour les souffrances palestiniennes, catastrophe proprement humaine, puisque infligée par la main de l’homme, qui plus est israélien, donc par un homme marqué par l’une des plus extrêmes violences de l’histoire humaine.

9 Akiva Eldar souligne l’ambiguïté profonde du terme de « compassion ». Si la compassion dans son sens strict évoque un pâtir en commun, dans lequel Je éprouve dans son corps la souffrance qu’un Autre vit et cherche à agir pour soulager cette souffrance, la compassion se révèle particulièrement sélective. Une sélectivité qui constitue une sérieuse énigme, à l’heure justement où l’injonction de compassion se révèle particulièrement forte, à l’heure où il est de bon ton de se revendiquer compassionnel.

10 L’exemple le plus évident, bien que cruel, souvent rapporté concerne la différence de dons faits pour les victimes du tsunami, en Indonésie en décembre 2004, et les dons faits pour les victimes du séisme au Cachemire pakistanais quelque dix mois plus tard. Ainsi la Croix-Rouge française, pour ne prendre que cet exemple, aurait reçu 110 millions d’euros pour les premières et 1,8 million pour les secondes victimes. Un questionnement s’est fait jour dans l’année ayant suivi le tsunami de l’usage des fonds normalement seulement assignés aux victimes correspondant à l’appel aux dons, sauf accord des donateurs, certaines organisations (comme Handicap international, Médecins sans frontières…) ayant demandé la réaffectation d’une partie des fonds à d’autres victimes que les seules victimes du tsunami. Un trop-plein de compassion ici, une indifférence là ! Et surtout une sorte d’abîme, parfaitement décrit par Emmanuel Carrère, dans D’autres vies que la mienne, qui nous livre certes une très belle méditation sur l’ouverture aux autres, mais aussi une très belle leçon sur l’indicible de la perte.

11 Il y aurait donc des victimes dignes de notre attention et il y aurait des victimes indignes de notre attention. Il y aurait des victimes auxquelles il serait facile de s’identifier et des victimes trop étrangères à notre mode de vie. Il y aurait des souffrances justes et il y aurait des souffrances injustes. Il y aurait des maux contre lesquels nous pouvons, nous devons, nous pourrions, nous devrions lutter. Et il y aurait des maux contre lesquels nous ne pouvons pas agir ou contre lesquels il n’est pas nécessaire, pertinent, possible d’agir.


https://www.erudit.org/fr/revues/crs/2018-n65-crs05361/1070141ar/
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeMar 25 Avr 2023, 11:57

Dans le genre de l'human(itar)isme consensuel, c'est un texte exemplaire, et aussi un symptôme de l'enlisement désespéré de l'"humanité" dans la saturation d'elle-même, cercle vertueux et vicieux de souffrance, de cruauté et de compassion réelles, symboliques et imaginaires, démultiplié à l'infini par son emballement démographique, économique et technologique, depuis la Seconde Guerre mondiale au moins...

Quand je lis ça j'entends hurler Caïn (suis-je le gardien de mon frère ?) et Nietzsche (que j'ai évoqué dès le début de ce fil) -- Nietzsche aussi admirablement décrit par Zweig que cite ta citation, comme un malade et un mourant protestant pour la santé et la vie, et par là seulement contre la "compassion" dont même "Dieu" serait mort... Plus l'évidence leur donne raison, moins ils sont audibles.
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeMar 25 Avr 2023, 13:13

Citation :
Quand je lis ça j'entends hurler Caïn (suis-je le gardien de mon frère ?) et Nietzsche (que j'ai évoqué dès le début de ce fil) -- Nietzsche aussi admirablement décrit par Zweig que cite ta citation, comme un malade et un mourant protestant pour la santé et la vie, et par là seulement contre la "compassion" dont même "Dieu" serait mort... Plus l'évidence leur donne raison, moins ils sont audibles.

Les paradoxes de la pitié

2. La pitié dangereuse.

Pour tenter de comprendre la nature de la pitié, il est nécessaire de mieux élucider encore cette pitié dangereuse, pour reprendre le titre d’un célèbre roman de Stephan Zweig, dans la mesure où cette mauvaise pitié ne rend pas possible un respect, mais est l’expression d’un mépris. Cette étude est nécessaire conceptuellement, pour distinguer deux pitiés totalement opposées, mais elle est aussi nécessaire existentiellement, car personne ne peut être certain de faire en soi clairement la part de la mauvaise pitié et de la bonne pitié. De Sénèque à Spinoza jusqu’à Kierkegaard la philosophie a souvent décrit cette soi-disant pitié qui n’est que la forme de notre égoïsme, mais il revient tout de même à Nietzsche d’en avoir donné la critique la plus complète. La critique continue de la pitié chez Nietzsche est liée à la critique du « moi » : notre être déborde ce prétendu « moi », car notre conscience est trop étroite pour saisir tout ce qui se passe en nous, notamment nos instincts. Ainsi, l’isolement lié à la volonté de possession de soi donne l’illusion que c’est le moi qui produit la pensée, alors que c’est plutôt la pensée qui se produit en moi, dans la mesure où elle n’est pas seulement une intention de la conscience, mais également un état du corps. Rompre avec cette illusion d’un moi substantiel conduit se libérer aussi de la morale traditionnelle centrée autour du moi et qui sous l’apparence du désintéressement est une expression de l’égoïsme. De ce fait, le refus nietzschéen de la pitié n’est pas le refus comme pour Kant de tout ce qui est pathologique afin d’agir par volonté pure, mais est le refus de la morale de l’homme bon à laquelle il oppose une éthique par delà bien et mal, qu’il nomme parfois « immoraliste », ce qui ne veut pas dire pour lui hors de toute loi et de tout ordre. La critique radicale, et il faut avouer de plus en plus violente, de la compassion dans l’œuvre de Nietzsche est une critique du christianisme compris comme un idéalisme populaire, et c’est pourquoi Nietzsche oppose, d’une façon parfois un peu facile, l’amour du prochain et l’amour du lointain. Dans cette critique de la compassion il s’agit pour Nietzsche de dénoncer la réduction du sentiment en général et de l’amour en particulier à la seule dimension subjective, et pour cela il cherche à attaquer le christianisme en son centre, à savoir la définition de l’amour. La force des analyses de Nietzsche est certainement de refuser une opposition trop simpliste de l’égoïsme et de l’altruisme, de l’amour de soi et de l’amour d’autrui, qu’il attribue à tort au christianisme, afin de réévaluer le corps et l’égoïsme, sans pour autant simplement retourner la morale idéaliste.

Nietzsche se méfie à juste titre d’une morale « pure », qui masque souvent une morale trop humaine : si la compassion est une valeur et même la valeur du christianisme, n’est-elle pas le simple résultat de notre utilité ? La pitié n’est-elle pas dite bonne uniquement parce qu’elle nous est utile ? Nietzsche veut montrer que la compassion n’est ni un bien « en soi », ni un mal « en soi », mais qu’elle est mauvaise quand elle affaiblit la puissance et bonne quand elle l’intensifie. Autrement dit, en éthique il est nécessaire de ne pas opposer abstraitement le bien et le mal : toute action désintéressée est toujours en même temps intéressée, et si on loue le désintéressement, c’est souvent par intérêt. En conséquence, la critique de l’altruisme n’est en rien un éloge de l’égoïsme, mais elle est le souci de mettre en évidence l’ambivalence de la vie morale : si un bon penchant peut se révéler mauvais, une mauvaise pulsion peut aussi participer à la recherche d’un bien. Chacun doit prendre conscience au moins une fois dans sa vie que sa compassion n’est pas nécessairement pure et que sa dureté n’est pas nécessairement mauvaise.

Dans les paragraphes 132 à 136 d’Aurore Nietzsche se livre à une critique systématique des morales de la pitié de Schopenhauer et de Stuart Mill comme « derniers échos du christianisme dans la morale ». En effet, celui que Nietzsche nomme « l’homme irréfléchi », qui peut être aussi bien l’homme de la rue que le philosophe, croit qu’il agit seulement par compassion quand il sauve quelqu’un de la noyade ou quand il soulage la douleur d’un malade, mais en fait il ne pense qu’à lui. Nous agissons souvent soit par peur de la honte (qu’aurait-on dit de moi si je n’avais rien fait), soit par peur de notre fragilité (je soigne cette douleur de l’autre parce que je ne la supporte pas), soit encore pour la gloire de jouer à l’homme fort, au sauveur (je suis un bienfaiteur de l’humanité). Il faut donc se méfier de ceux qui veulent notre bien, car parfois ils ne veulent que leur bien, et il est tout à fait sensé d’attaquer comme Nietzsche le fait la possibilité même de la com-passion (Mit-leid), car en fait il n’y a aucune souffrance commune. On peut soutenir que la compassion vise seulement à se libérer de sa souffrance personnelle : on réagit à la souffrance d’autrui par un acte de désintéressement pour se libérer de sa propre souffrance liée au spectacle pénible que l’autre nous donne. Finalement dans la compassion c’est à l’autre homme que je ne pense pas, puisque je ne pense qu’à moi : j’ai plaisir à moi-même dans l’acte d’aider l’autre et l’autre n’est que l’occasion de ma propre satisfaction. Ainsi, dans cette mauvaise compassion il n’y a ni partage de la souffrance, ni lucidité sur l’autre : la compassion rend aveugle et plus encore elle est suspectée d’être une volonté de ne pas voir. L’éloge de l’homme sans pitié dans Aurore doit se comprendre comme la critique de l’attendrissement sentimental qui n’est qu’une autre forme de l’égoïsme. 


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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeMar 25 Avr 2023, 16:22

Etude intéressante, qui me semble toutefois atténuer en partie, mais de façon assez ruineuse, la pensée de Nietzsche (ce ne serait que la critique d'une mauvaise pitié, compassion, etc., dans la ligne des moralistes, La Rochefoucauld etc, donc précisément pas du point de vue d'un au-delà du bien et du mal; le critère négatif du "mépris" me semble particulièrement malvenu à ce point car jusque dans la Généalogie du bien et du mal Nietzsche valorise le mépris, actif, en l'opposant au dégoût réactif ou subi: en substance, si tu ne méprises pas à temps ce qu'il te faut mépriser, non selon une règle générale mais selon les valeurs que tu te crées, tu en seras dégoûté et ce sera trop tard, même pour le mépriser). Le plus curieux à mon sens c'est que ça n'aboutisse pas à quelque "nietzschéisme modéré", puisque l'auteur se replie finalement sur une morale classique, chrétienne (et spécialement thomiste) ou post-chrétienne. Tant qu'à ne pas le suivre, autant laisser Nietzsche dire ce qu'il écrit...

L'analyse nietzschéenne de la compassion dans son rapport ambivalent avec la cruauté est d'ailleurs plus complexe qu'elle n'apparaît ici: il y a un plaisir secret à la souffrance d'autrui qui se dissimule sous la compassion, il y a aussi un plaisir à souffrir "vraiment" soi-même, y compris de la souffrance d'autrui -- jeu de miroirs où rien n'est plus jamais simple, ni soi ni l'autre, ni plaisir ni souffrance, bien avant Freud  et son "au-delà du principe de plaisir" (1920).

En ce qui concerne le prochain et le lointain (cf. aussi ici), il faut remarquer que le siècle (et demi) qui nous sépare de Nietzsche a considérablement brouillé la distinction, par le développement des télécommunications et médias en tout genre: on peut être plus "proche" d'un correspondant sur un autre continent que de son voisin de palier, la généralisation du smartphone ayant produit en peu de temps une délocalisation et une dislocation de tout lieu et de tout espace, privé ou public. Le lointain n'en est pas aboli pour autant, mais il faudrait aller le chercher encore plus loin, hors de tout "monde" et de toute "humanité", ou aussi bien au plus près, dans un im-monde et un in-humain en-deçà de tout langage et de toute représentation (déshumanisation, émondage ?).
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 26 Avr 2023, 11:03

Citation :
Quand je lis ça j'entends hurler Caïn (suis-je le gardien de mon frère ?) et Nietzsche (que j'ai évoqué dès le début de ce fil) -- Nietzsche aussi admirablement décrit par Zweig que cite ta citation, comme un malade et un mourant protestant pour la santé et la vie, et par là seulement contre la "compassion" dont même "Dieu" serait mort... Plus l'évidence leur donne raison, moins ils sont audibles.

Un article très long et très complexe. 



Chapitre 4. Au cœur des questions morales du Zarathoustra : mort de Dieu, volonté de puissance, éternel retour, surhomme, transvaluation des valeurs

2. La mort de Dieu, condition de renaissance d’une autre morale

13 La deuxième mort de Dieu est mentionnée dans le Zarathoustra par « le dernier pape » devenu « hors service ». Ce vieux pape ne servait déjà plus le Dieu législateur et justicier, mais son Fils, le Dieu d’amour. C’est ce Fils qui convainquit à son tour son Père d’aimer l’homme, de se faire moins dur, d’être compatissant : « en sa jeunesse il fut ce dieu du Levant, dur et vindicatif et se bâtit un enfer pour le plaisir de ses favoris. Mais, à la fin, il se fit vieux, et mou, et blet, et compatissant… et s’étouffa un jour de sa trop grande compassion » (APZ, IV, p. 281). La compassion de ce Dieu entraînait une indulgence infinie pour l’homme. Mais à quoi sert encore un Dieu qui pardonne tout, qui tolère tout, jusqu’à l’indifférence de l’homme à son égard ? Par compassion, sympathie infinie, Dieu admit que l’homme, fatigué de lui, puisse le nier et… se retira de la scène. Si le pape est hors-service, c’est parce que son Dieu lui-même ne sert plus à rien.

14  Au suicide de Dieu par idéal de « sincérité », s’ajoute donc le suicide de Dieu par compassion. Dieu, reconnaît le dernier pape, « …s’étouffa un jour de sa trop grande compassion » (APZ, IV, Ibidem, p. 281). L’Antéchrist expliquera les choses plus prosaïquement, en situant un autre aspect de la pitié excessive de Dieu dans l’intervention quotidienne de sa Providence, faisant « …du misérable train-train de leur vie… un perpétuel miracle de “grâce”, de “Providence” et d’“expériences salvatrices » (AC, § 52, p. 218). L’homme chrétien finit par considérer comme”…totalement puéril et (de) parfaitement indigne un tel abus de la divine dextérité et du doigté de Dieu » (Ibidem). Un Dieu si pitoyable « …devrait nous sembler un Dieu si absurde qu’il faudrait l’abolir, même s’il existait » (Ibidem).

15 La troisième mort de Dieu est celle que mentionne « le plus hideux de hommes (APZ, IV, “Le plus hideux des hommes”, p. 284) ». Il tua Dieu d’une manière plus active. Un Dieu qui, pour exercer sa compassion, s’impose néanmoins de sonder les cœurs et les reins, doit détenir l’omniscience. Mais pour « tout savoir », il lui faut « tout comprendre ». D’où la nécessité de ces entretiens infinis avec Dieu cultivés avec complaisance par les Juifs et les chrétiens : « on en fut alors presque réduit à inventer des dieux et des êtres intermédiaires… quelque chose en somme qui rôde même dans les choses cachées, qui voit même dans l’obscurité… » (GM, II, § 7, p. 261). Mais si « tout comprendre, c’est tout pardonner », il faut compléter la formule par celle de Nietzsche : « tout comprendre, c’est tout mépriser »5 (NCW, Épilogue, 2, p. 372). Cette indécence méprisante du Dieu omniscient, voyeur des âmes, devint insupportable : « ce Dieu qui voyait tout, même l’homme, ce Dieu ne pouvait que mourir ! L’homme ne souffre pas que pareil témoin vive » (APZ, IV, p. 287).

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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 26 Avr 2023, 12:00

C'est plus qu'un article, c'est un chapitre d'un livre...

A mon avis il vaut mieux lire Nietzsche (en particulier Zarathoustra) que ses commentaires, le lire du moins avant de lire ses commentaires et y revenir après. C'est une pensée profonde, foisonnante, parfois déroutante par son organisation, mais simple dans son expression. Comme je l'ai déjà raconté, je n'y suis venu qu'assez tardivement (à partir des années 1990) et avec une certaine crainte, tant elle me semblait contraire à tout ce que je croyais être et penser, mais j'y ai pris goût... A vrai dire il ne faut pas s'arrêter à ce qu'on peut y trouver de "scandaleux", d'excessif ou de contradictoire, pour se laisser le temps de s'accorder à son "esprit" facétieux: le rire, le jeu, la danse, Nietzsche y insiste souvent (c'est peut-être ce qu'a le plus manqué Heidegger), cela peut conduire à plus de profondeur que le "sérieux" académique (que Nietzsche aura passé sa vie à fuir).

En tout cas on retrouve dans ton extrait le titre d'une autre de nos discussions, "dieu pitoyable", ce qui n'est pas un hasard puisque l'adjectif pitoyable s'entendait jadis au sens "actif" ou "subjectif" (qui est capable de pitié = compatissant, clément, miséricordieux), avant de basculer dans un sens (presque) exclusivement "objectif" ou "passif" (digne de pitié, misérable, etc.). D'une certaine façon l'histoire du mot ressemble à celle(s) du dieu (selon Nietzsche).

Nietzsche est évidemment tributaire de l'"histoire des religions" de son siècle (notamment D.F. Strauss, à qui il a consacré sa première "inactuelle"), qui a tendance à caricaturer l'opposition de l'AT et du NT (avec ou sans motivation antisémite). Même s'il renverse le jugement ordinaire (en disant préférer l'AT au NT), il tend à forcer le contraste, notamment en concevant son Jésus à la manière d'un "idiot" dostoïevskien, incapable de vengeance et de ressentiment, et en attribuant systématiquement à l'Eglise ultérieure les propos violents et vindicatifs que les évangiles lui prêtent: raisonnement circulaire, on l'aura compris; mais ce qui l'intéresse c'est plus une "typologie psychologique" que l'histoire, ce qui lui permet de rattacher le christianisme (je dirais plutôt un certain christianisme, celui qui valorise précisément la pitié ou la compassion, et plus encore la "non-résistance au mal" ou le "non-jugement": exemplairement celui du Sermon sur la montagne, et encore, pas totalement) à l'épicurisme et au bouddhisme. Comme on a eu maintes fois l'occasion de le voir (notamment dans le fil sur le "dieu pitoyable"), il y a dans l'AT des conceptions extrêmement "compatissantes" et "pitoyables" (dans les deux sens) de Yahvé, autant que des "impitoyables"; et on peut en dire autant du "Dieu" du NT, même si les proportions sont différentes (ça se discute)...
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeDim 14 Avr 2024, 13:40

Remarque erratique et marginale: on pourrait croiser ce fil avec celui sur la peur, notamment à partir d'une réflexion récente (26.3.2024) qui fournirait peut-être un critère pour distinguer entre compassion (etc.) et compassion (etc.) -- non pas entre tel ou tel (quasi-)synonyme (pitié, miséricorde, clémence, commisération, sollicitude, sympathie, empathie, etc.), mais sur l'essence ou la nature du sentiment ou de l'émotion même qui est en jeu.

Si la peur magnifie le danger, lui donne des proportions démesurées, si le mal advenu s'avère bien moindre que celui qu'on craignait, alors la compassion de celui qui n'a jamais pâti, souffert, subi (du moins la "passion" ou souffrance à laquelle il prétend com-patir), est essentiellement différente de celle de quelqu'un qui a souffert (la même chose ou quelque chose de comparable), car l'imagination et la peur même n'y jouent pas le même rôle. Autrement dit, on ne compatirait pas du tout de la même manière selon qu'on saurait d'expérience, ou non, plus ou moins, à quoi on compatit; et les compassions les mieux "informées" ou les plus "expérimentées" ne seraient probablement pas les plus expressives, ni les plus sentimentales ni les plus émotives. Moins il y a d'"expérience" dans la "compassion", plus celle-ci donne à la "passion" une dimension fantastique et spectaculaire -- c'est exemplairement le cas de la Passion du Christ, pour un "public" qui a peu souffert; on peut imaginer (tant qu'on n'y est pas !) qu'un "martyr" la regarde et la comprend tout autrement, justement parce qu'il y "participe" au sens fondamental de la "compassion", "souffrir avec" (cf. supra 19.5.2019)... et découvre peut-être lui-même une certaine "impassibilité" au fond de la "passion", thème dont on a souvent parlé ici (à partir du 4.2.2017) et ailleurs.
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeLun 15 Avr 2024, 15:49

La compassion, de l'affection à l'action

Agata Zielinski

«On voudrait être un baume versé sur tant de plaies. » Le souhait ultime du journal d’Etty Hillesum nous arrive, par son existence même, comme un réconfort du fond de l’abîme. Au delà d’un constat sur l’existence du malheur, ce souhait témoigne à la fois d’une sensibilité à la souffrance et du souci d’y apporter soulagement. La compassion nous apparaît à travers ces quelques mots comme le souci d’autrui dans un monde blessé, comme un affect qui fait agir. Elle s’inscrit dans cette « dialectique de l’action et de l’affection », qui contribue, selon Ricœur, à définir l’éthique . Si la compassion peut être comptée au registre des affects moraux, il faut s’interroger sur les conditions qui la font passer de l’émotion à l’action. En poursuivant la tâche d’une « phénoménologie du soi affecté par l’autre que soi », nous verrons que l’attitude éthique que fait apparaître la compassion est la relation.

Si la compassion est un affect, elle n’est pas simplement une passivité, elle est une capacité qui révèle des capacités : affect suscité par autrui, elle vise la relation, se met dans les actes. Cet affect nous met dans une proximité singulière avec la souffrance d’autrui – souffrance inatteignable. Dans la ligne de Levinas, nous verrons que la compassion ne consiste pas tant à sentir ce que l’autre souffre, qu’à répondre à l’appel d’autrui souffrant. La compassion, ce n’est pas la larme à l’œil, c’est la responsabilité. Une responsabilité qui ne se laisse pas guider par l’émotion, mais par autrui. Cet affect qui se déploie en relation et en action devient engagement et promesse à l’égard d’autrui.

Etre affecté

Mais avant de savoir quoi répondre ou quoi faire, la compassion gagne à se laisser instruire par cette impuissance, et la révolte qui peut l’accompagner. La passivité de la compassion consiste aussi en cela : se laisser instruire par les affects. S’il doit y avoir une « intelligence de la situation », c’est d’abord une intelligence affective : l’affect a un pouvoir de révélation de l’état du monde, et en particulier de l’intolérable souffrance d’autrui. L’impuissance elle-même se laisse instruire par la souffrance de l’autre. Car c’est bien à cette personne-ci qu’il s’agit de répondre, à sa souffrance singulière, et non à l’humanité en général. Autrui nous instruit. C’est dire que c’est en lui et non dans notre bonne volonté qu’est l’origine de la compassion. Je ne sais pas à l’avance ce que je vais répondre, comment je vais – ou non – pouvoir répondre : c’est l’autre qui dira, qui guidera ma maladresse, ajustera mes compétences.

La compassion paraît un mouvement spontané, surgissant en nous de façon involontaire, voire incontrôlable. Pourtant, elle n’est pas uniquement subie : l’émotion instantanée de la peine doit pouvoir être relayée par d’autres facultés pour devenir une attitude de compassion. La peine ou la tristesse ressentie n’entrave pas la volonté. L’intensité de l’affect ne doit pas paralyser la réflexion ni l’action. Elle n’est pas non plus la mesure ou l’authentification de la compassion. Pourquoi ne pas évoquer une compassion « non sentie », dont le critère n’est pas l’émotion, mais le déplacement que cela fait faire au sujet : l’invention d’une attitude, la tentative d’un mot ou l’audace d’un geste – dans la responsabilité. C’est l’intensification de la relation, et non l’intensité (dont la mesure sera toujours égocentrique) de l’émotion qui ancre la compassion dans le réel. A ce titre, la compassion s’inscrit dans la durée, et non dans l’instant. Nul ne maîtrise ni ne mesure à l’avance les fruits de la relation qui s’engage là.

La compassion est un affect relationnel. Il a en autrui sa cause ; il est orienté vers autrui. Affect causé par autrui, affect orienté vers ou pour autrui, la compassion est à la fois passivité et intentionnalité : elle vise autrui, et autant que possible, elle vise en autrui ce qu’il a de meilleur. Le laissant se révéler, l’aidant à y croire lorsque l’estime de soi fait défaut. La compassion est une passivité qui nous met « avec » l’autre. De quelle façon ?

Asymétrie et reconnaissance

La compassion est « cet affect qui nous porte à partager les maux et les souffrances d’autrui ». Mais à quoi prend-on part en compatissant ? Se reconnaître comme semblables est le préalable d’une rencontre. Le degré initial de la reconnaissance dans la compassion est ce qui me porte à voir en l’autre souffrant mon semblable. C’est ce qui permet à l’autre de s’adresser à moi, d’acquiescer ou non à la relation. Cette similitude doit néanmoins préserver une différence radicale. Je ne puis prendre part directement à la souffrance de l’autre. Ma souffrance n’est pas identique à la sienne. Son vécu de souffrance n’est pas le mien. Je n’éprouverai pas sa souffrance – car je ne suis pas lui. Elle est inatteignable. La compassion exclut – et doit exclure – l’identification . Elle consiste sans doute à s’approcher d’autrui et de sa souffrance, mais elle est aussi l’épreuve d’une distance, d’une séparation entre moi et l’autre. La tentation est cependant constante de croire connaître la souffrance d’autrui !

Ce « j’ai soif ! » repris, murmuré dans un souffle ou lancé dans un cri – répété alors que le verre a été tendu, l’eau versée entre les lèvres. La demande est insatiable, et la soif n’est pas que d’eau. Le besoin rassasié, quel manque se crie encore dans ces mots élémentaires ? Que sais-je de ce « j’ai soif » ? De la souffrance qui s’y masque et s’y révèle ? Je ne sais guère que la souffrance de ma propre impuissance à la saisir.

On confond parfois regard compassionnel et regard compréhensif sur la personne souffrante. « Je te comprends » serait alors le mot de la compassion. Confusion qui n’est pas sans risque. Se montrer « compréhensif » en ce sens peut être entendu comme une forme d’acquiescement à l’insupportable, un assentiment à la perte d’estime de soi : « Je te comprends, en effet, ta vie ne mérite pas d’être vécue. » Ce peut être une façon d’enfermer l’autre dans sa douleur, dans l’image qu’il a de lui-même, sans lui proposer de chemin pour retrouver l’estime de soi. Ce qui peut produire un choc en retour chez la personne souffrante : dans mon regard, elle se trouve dépréciée. Dans ma parole, elle entend que sa vie n’est pas « digne » d’être vécue. A identifier l’autre à sa souffrance, je risque de vouloir le supprimer au prétexte de supprimer sa souffrance – ou la mienne ! En voulant supprimer l’insupportable, on pourrait en venir à supprimer l’autre ! Distinguer sans cesse l’autre et l’insupportable est une ascèse qui fait partie de la compassion. La formule « Je te comprends » peut ainsi produire les effets inverses du bien qu’elle cherche à faire. « Moi aussi, à ta place… » : voilà un « Je » qui ne laisse plus exister en face de lui un « Tu » autonome ! Cette « compréhension » est en réalité une substitution réductrice : je crois me mettre à la place d’autrui. Or, je ne peux jamais être à sa place, ni m’identifier à lui. Nul ne peut saisir le « tout » d’un autre. Nul ne peut faire le tour d’une souffrance ni de ses ambivalences. La « compréhension » sera toujours en échec, toujours en retard d’une interprétation.

https://www.cairn.info/revue-etudes-2009-1-page-55.htm
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MessageSujet: Re: compassion, pitié, miséricorde, etc.   compassion, pitié, miséricorde, etc. - Page 2 Icon_minitimeLun 15 Avr 2024, 16:21

Merci pour ce texte, qui rejoindrait aussi ce que je notais ici aujourd'hui même, sur l'"affect" comme passage obligé, et éminemment temporel, vers toute "connaissance"... malgré la distinction arbitraire, ou conventionnelle, des (quasi-)synonymes: compassion, pitié, etc.: la différence ne sera jamais que là où on décidera de la mettre ou de la construire, et chacun peut le faire comme il l'entend.

L'éternelle oubliée d'un tel discours, c'est la grâce du coup de grâce, sans laquelle la compassion serait la contagion sans fin du mal... (J'ai bien sûr à l'esprit l'invraisemblable résistance de la quasi-totalité des religieux, catholiques en tête, à toute forme d'"euthanasie".)

---

En voyant comment le jeune Heidegger (cf. lien précédent) dérivait ses notions fondamentales d'"angoisse" (Angst) et de "souci" (Sorge etc.) de celles d'"être-au-monde" (In-der-Welt-sein) et d'"être-avec" (Mit-sein) du Dasein (toutes choses que Levinas ramènera à un plan encore plus strictement "humain" et "interpersonnel", être archi-originairement captif du visage d'autrui), le mot qui me vient constamment à l'esprit et que je trouve très peu dans le texte est celui, bien plus banal et ambigu, d'intérêt (qui par ailleurs rappellerait l'"attention" de Simone Weil). Certes Kierkegaard, qui à ce stade avait beaucoup influencé Heidegger, en particulier sur le "concept d'angoisse", avait tendance à ridiculiser l'"intéressant" (en français dans le texte ?), un peu comme le "divertissement" pascalien: superficiel, artificiel, mondain, social, affecté, sujet à tous les effets de mode ou de snobisme, détournant du "sérieux" existentiel, qui était encore chez lui idéal et éternel... Pourtant, en profondeur (si l'on peut encore parler de profondeur), inter-esse, "entr'être", c'est aussi l'ouverture fondamentale de l'"être", soit à peu près ce que Heidegger tentait d'exprimer avec le Da-sein où les fonctions et les relations priment sur les choses, étants, sujets, individus, personnes, consciences. Sauf que l'"intérêt" est plus vague et fluctuant, il peut effectivement être superficiel, artificiel, affecté (comme dans ce que Heidegger appelait l'"On", das Man en allemand) mais aussi profond, sincère, authentique, intellectuel, esthétique ou affectif; tourné vers d'autres humains, prochains ou lointains, ou bien vers l'animal, le végétal, le minéral, l'art, la technique ou la science, le "matériel" ou le "conceptuel"; il peut être "intéressé" au sens le plus sordide et paradoxalement "désintéressé" au sens kantien ou autre,  et ainsi de suite... insoutenable légèreté de l'inter-esse qui subsumerait, sans nécessairement les engloutir ni les confondre, toutes les nuances de la "compassion" et leurs contraires supposés (cruauté, etc.): l'"être" a mille manières de s'"ouvrir" et de différer de "soi", d'ek-sister ek-statiquement, et les plus ordinaires ne sont pas les moins... intéressantes.

Je retrouve à la fin du même texte de Heidegger la citation de la fable d'Hygin, poète latin du tournant de l'ère "chrétienne", qui attribue à Cura la création de l'homme: cura, que Heidegger traduit par Sorge, souci (cf. sollicitude), c'est aussi le soin et l'intérêt (cf. je n'en ai cure, sinécure, incurie, et même curieux), ce qu'on retrouve dans le care anglais où la cura latine converge avec d'autres étymologies germaniques. Comme je n'en vois pas de traduction française en ligne je copie celle que j'ai (encore) sous les yeux (avec l'inconvénient que la Cura et la Sorge qui sont du genre féminin passent au masculin avec "souci"; la "personnification" originale est féminine):
Hygin/Heidegger/Boutot a écrit:
Un jour que le "souci" traversait un fleuve, il vit de la terre argileuse: songeur, il en prit un morceau et commença à la mettre en forme. Tandis qu'il méditait en lui-même sur ce qu'il venait de créer, Jupiter s'approche. Le "souci" lui demande d'accorder l'esprit au morceau d'argile qu'il vient de mettre en forme, ce que Jupiter accepte bien volontiers. Mais lorsque le "souci" voulut attribuer son propre nom à la figurine, Jupiter le lui interdit et exigea qu'on lui donne son nom à lui. Tandis que le "souci" et Jupiter disputaient sur les noms, la Terre (Tellus) se leva à son tour et réclama que son nom à elle soit attribuée (sic) à la figurine puisque, après tout, elle lui avait bien cédé une partie de son corps. Les partis qui disputaient prirent Saturne pour juge. Et Saturne rendit alors la décision suivante qui parut juste: "Toi, Jupiter, puisque tu as donné l'esprit, reçois son esprit au moment de la mort, et toi la Terre, puisque tu as offert le corps, reçois son corps. Mais parce que c'est le "souci" qui a d'abord façonné cet être, que le "souci" le possède tant qu'il vivra. Mais comme il y a une dispute sur les noms, qu'il s'appelle homo puisqu'il est fait d'humus (de terre).
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