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| La transcendance divine et la Maison de Dieu | |
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| Sujet: La transcendance divine et la Maison de Dieu Jeu 28 Juil 2022, 12:31 | |
| Tous ces moments du livre sont ainsi ressaisis dès l’entrée dans notre chapitre en une mise en scène grandiose : l’auditeur comprend qu’il va assister à une sentence de jugement. Précisément, Yhwh interroge ses auditeurs et les provoque sur la question du Temple. « Quelle est donc la maison que vous bâtiriez pour moi ? Quel serait le lieu de mon repos ? » (66,1) Il y a là une nette allusion à l’oracle de 2 Sm 7, mais aussi à la prière de Salomon en 1 R 8. Le motif de la maison, l’un des fils rouges du livre d’Isaïe, se trouve repris ici et l’on s’attend à un dénouement. Mais à ce stade, la portée d’une telle apostrophe reste encore ouverte : s’agit-il d’une critique radicale du Temple ? D’une remise en cause de son fonctionnement ? Ou encore d’une dénonciation de sa reconstruction en cours ?
Le verset suivant rappelle la souveraineté absolue du Créateur sur sa création, l’une des thématiques marquantes du livre : « de plus, tous ces êtres, c’est ma main qui les a faits, et ils sont à moi ». Rappel discret que Dieu n’a besoin de rien, et certainement pas des offrandes qui vont être mentionnées au verset 3.
https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2011-4-page-529.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Jeu 28 Juil 2022, 14:29 | |
| Cet article sur Isaïe 66 illustre fort bien un problème que nous avons déjà (ou encore) rencontré récemment (23.5.2022), à propos de la conclusion de Malachie qui est aussi celle des Douze Prophètes (disposés dans un ordre différent selon les éditions), puis de tous les Prophètes (même depuis les "Premiers Prophètes", Josué donc) dans le canon pharisien-rabbinique, enfin de l'Ancien Testament dans le canon chrétien "standard": qu'est-ce qu'une "conclusion" conclut, dans le cas d'un recueil de textes (ici le livre d'Isaïe) dont la composition et la rédaction, inséparables, s'étendent sur des dizaines de pages (même dans un rouleau) et sur plusieurs siècles ? La compréhension, à commencer par la délimitation, de cette "conclusion", n'en finit pas d'osciller selon qu'on la rapporte, tout aussi légitimement d'ailleurs, à une partie ou à un ensemble plus ou moins larges (en l'occurrence: le trito-Isaïe, 56--66, ou la totalité du "livre d'Isaïe"). Le titre que tu as choisi me suggère toutefois, à tort ou à raison, que tu t'intéresses davantage au thème "transcendance et temple" (c.-à-d. comment le dieu est et n'est pas *dans* un temple), sur lequel 2 Samuel 7, 1 Rois 8 et leurs parallèles sont tout aussi pertinents qu'Isaïe 66,1, (plutôt) qu'au(x) texte(s) d'Isaïe 66 (où le temple semble conserver toute sa valeur, bien que son rite soit adapté à une perspective "universelle": cf. notamment v. 20, même si c'est encore un ajout dans l'ajout), ou du trito-Isaïe en général. Tes prochains posts m'éclaireront sans doute là-dessus... En attendant, on peut toujours rappeler que le concept de "transcendance" ne s'oppose que très superficiellement à ceux de "représentation" ou de "signification" (comme on a coutume de les opposer dans tous les procès en "idolâtrie"), puisqu'au fond il y va toujours du même mouvement: le temple, l'image, le symbole, le nom ne "représentent" ou "signifient" la divinité que pour autant qu'ils s'en distinguent, que celle-ci les "dépasse" (sens même de la trans-cendance et du "sens" ou de la "signification"); l'écart n'est pas moins irréductible entre "signifiant", "signifié" et "référent", entre mot, idée et chose, entre un nom et l'"être" qu'il désigne, humain, divin ou animal, qu'entre un dieu et son temple, sa statue ou son étoile. Qu'on remplace un temple de pierres par un temple "spirituel", dès lors que celui-ci devient une institution ou un concept, il faudra redire la même chose: "Dieu" n'y est que pour autant qu'il n'y est pas, comme dans le mot "Dieu" d'ailleurs...
Dernière édition par Narkissos le Jeu 28 Juil 2022, 16:08, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Jeu 28 Juil 2022, 15:42 | |
| - Citation :
- Le titre que tu as choisi me suggère toutefois, à tort ou à raison, que tu t'intéresses davantage au thème "transcendance et temple" (c.-à-d. comment le dieu est et n'est pas *dans* un temple), sur lequel 2 Samuel 7, 1 Rois 8 et leurs parallèles sont tout aussi pertinents qu'Isaïe 66,1, (plutôt) qu'au(x) texte(s) d'Isaïe 66 (où le temple semble conserver toute sa valeur, même si son rite est adapté à une perspective "universelle", cf. notamment v. 20, même si c'est encore un ajout dans l'ajout), ou du trito-Isaïe en général. Tes prochains posts m'éclaireront sans doute là-dessus...
Effectivement c'est bien l'idée que je voulais aborder en notant que certains auteurs de l'AT se sont également poser la question. « Tu iras trouver mon serviteur David et tu lui diras de ma part : “Je l'affirme, moi le SEIGNEUR, ce n'est pas toi qui vas me construire une maison pour que je l'habite. En effet, depuis le jour où j'ai fait sortir d'Égypte le peuple d'Israël, et jusqu'à aujourd'hui, je n'ai jamais habité dans une maison. Mais j'étais comme un voyageur, j'allais d'un lieu à un autre et j'habitais dans une tente. De plus, pendant toutes ces années où j'ai accompagné les Israélites, j'ai nommé plusieurs chefs. Ce sont eux qui ont gouverné Israël mon peuple. Je n'ai jamais dit à personne : Pourquoi est-ce que vous ne m'avez pas construit une maison en bois de cèdre ? ” (2 Sam 7,5-7). La divinité se présente comme un Dieu "nomade" que rien ne peut enraciner sur la terre dans un lieu précis. Ce Dieu n'a JAMAIS demandé la construction d'une "maison", il exprime une véritable réticence à l’idée d’être "sédentarisé" dans un temple comme les divinités des polythéismes. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Jeu 28 Juil 2022, 16:48 | |
| N.B.: J'ai ajouté un dernier paragraphe à mon post précédent, en anticipant un peu sur ta réponse...
A ce propos on peut rappeler la combinaison d'Exode 32, d'Amos 5,25ss (LXX) et d'Isaïe 66,1s (entre autres) dans le discours violemment anti-temple de l'"helléniste" Etienne en Actes 7: Yahvé désavoue même[/i] le culte et la tente du désert, entachés d'"idolâtrie" au même titre que le temple (et peu importe dès lors que ce soit celui de Béthel ou de Jérusalem, de Salomon, de Zorobabel-Josué ou d'Hérode). De ce point de vue la distinction déterminante (ou diacritique) n'est même plus entre tente-nomade et maison-sédentaire, puisque les deux se retrouvent du même côté, du mauvais côté d'un autre antagonisme qui n'a pas de "bon" côté nommable, désignable ou assignable: cf. la prière de Salomon en 1 Rois 8//: même les cieux et les cieux des cieux ne contiennent pas "Dieu", on dit "encore moins le temple" par un raisonnement a fortiori (qol wa-homer) formellement inversé (moins au lieu de plus), mais en fait il n'y a pas de plus ni de moins puisque la prémisse est négative (les cieux et les cieux des cieux, quoi que ça signifie, ne contiennent pas Yahvé, ni plus ni moins que le temple donc); même le mot "Dieu" ou le nom "Yahvé" ne contient pas ce qu'ils représentent... la logique du "dépassement" aboutit forcément à l'aporie platonicienne, epekeina tès ousias, au-delà de l'être ou de l'étant, ce qui à la lettre ne veut rien dire, rien (de) moins (ni de plus) que "rien", aucune "chose" (res, rem). |
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Ven 29 Juil 2022, 10:20 | |
| 2.1 David et Salomon
C’est ce sanctuaire confédéral que David installe à Jérusalem, sa nouvelle capitale, après avoir libéré l’arche des mains des Philistins (2 S 6). La capitale politique qu’il vient de conquérir sera également le centre religieux de tout Israël (2 S 5,6-12 // 1 Ch 11,4-9). Ainsi, de même qu’il a entrepris d’organiser sa monarchie à la façon des royaumes contemporains, il songe aussi à moderniser et à unifier le lieu de culte traditionnel ; après s’être construit un palais, il veut édifier un temple à YHWH. Noter dès le départ l’ambiguïté du temple, édifié juste à côté du palais royal, donc lié à lui de quelque manière. Selon 2 S 7 et 1 Ch 17, David avait voulu construire, pour y abriter l’arche d’alliance, un édifice comparable à sa propre demeure ; mais Dieu lui aurait fait savoir par le prophète Nathan que cette construction serait seulement effectuée par le fils qui lui succéderait sur le trône (2 S 7,12-13). Cette réaction s’explique doublement. Pour le peuple d’Israël, le sanctuaire idéal demeure le tabernacle du passé, qui rappelle explicitement le séjour au désert (2 S 7,6-7). Ensuite, le culte authentique du Dieu unique ne s’accommode pas d’une copie servile des cultes païens, dont les temples prétendent à une sorte de mainmise ou contrôle magique sur la divinité et sont souillés par des pratiques idolâtriques ou immorales. Si l’on en croit 1 Ch 22,1, David avait décidé que l’autel des holocaustes du futur temple serait celui qu’il avait dressé sur l’aire achetée à Ornân le Jébuséen (1 Ch 21,18-28) ou Arauna le Jébuséen (2 S 24,18-25) située sur le mont Moriyya (2 Ch 3,1).
Cependant, dès le règne de Salomon, le projet de David se réalise sans qu’aucune opposition prophétique se manifeste (1 R 5,15–7,51). La religion de YHWH est désormais assez forte pour s’enrichir des éléments que lui offre la culture cananéenne sans être infidèle à la tradition du Sinaï. C’est celle-ci, en effet, qui s’affirme avec force dans le temple : l’arche d’alliance en est le centre (8,1-9), et le sanctuaire de Jérusalem prolonge ainsi l’ancien lieu de culte central des tribus. D’ailleurs, en y manifestant sa gloire au sein de la nuée (1 R 8,10-13), Dieu signifie visiblement qu’il agrée ce temple comme la demeure où il « fait habiter son nom » (8,16-21). Certes, il n’est pas lié lui-même à ce signe sensible de sa présence : les cieux ne sauraient le contenir, à plus forte raison une maison terrestre (1 R 8,27 ; Is 66,1-2). Mais pour permettre à son peuple de le rencontrer, il a choisi cette demeure dont il a dit : « Mon nom est là » (8,29). Désormais, sans rendre encore caducs tous les autres sanctuaires d’Israël, le temple de Jérusalem sera le centre du culte de YHWH.
L’emplacement du temple est important. À la fois le point le plus élevé de Jérusalem (symbolique de la montagne) et juste à côté du palais royal.
http://www.interbible.org/interBible/decouverte/ressources/dossiers/temple.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Ven 29 Juil 2022, 11:49 | |
| Ce genre de récitation d'"histoire sainte" ne permet guère au lecteur (ni à l'auditeur, s'il s'agit d'une conférence) de se faire une idée juste de l'histoire réelle (qui reste en grande partie obscure avant le VIIIe s. av. J.-C.), ni des textes "bibliques", ni des "idées" impliquées...
Il est toutefois remarquable que les deux textes principaux qui installent le temple de Jérusalem aux origines idéales et imaginaires du royaume unique (Juda-Israël, David/Salomon, 2 Samuel 7 // 1 Chroniques 17 et 1 Rois 8 // 2 Chroniques 6) et lui confèrent un rôle unique, suivant le principe du Deutéronome (surtout chap. 12), en relativisent également l'importance: ce n'est qu'une "médiation" dans une série de "médiations", le lieu où le dieu fait reposer son nom -- or le nom est lui-même une médiation, ce que le dieu donne de lui-même en permettant que par là on l'invoque: la fonction du temple "matériel", "visible", et celle du "nom", encore prononçable et audible ou seulement graphique ensuite, sont essentiellement la même, et pourtant les deux éléments s'articulent en un surcroît de distance: le nom renvoie au dieu en passant par le temple, et/ou le temple renvoie au dieu en passant par le nom; plus se multiplie ce qui est censé rapprocher le peuple ou l'adorateur de la divinité, plus cela l'en éloigne.
Bien entendu, l'ensemble Samuel-Rois est écrit du point de vue du temple détruit: la conclusion du "livre" (2 Rois 24--25) est annoncée dès 1 Rois 9,6ss (// 2 Chroniques 7).
Dernière édition par Narkissos le Ven 29 Juil 2022, 12:00, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Ven 29 Juil 2022, 12:00 | |
| La Bible dit que le palais était ''une maison de cèdre'', tandis que le sanctuaire de Dieu n'était pas encore construit :
« Lorsque le roi habita dans sa maison, et que l'Éternel lui eut donné du repos, après l'avoir délivré de tous les ennemis qui l'entouraient, il dit à Nathan le prophète : Vois donc ! j'habite dans une maison de cèdre, et l'arche de Dieu habite au milieu d'une tente. » (2Samuel : 1-2) Ce que confirme l’Éternel : « Va dire à mon serviteur David : Ainsi parle l'Éternel : Est-ce toi qui me bâtirais une maison pour que j'en fasse ma demeure ? Mais je n'ai point habité dans une maison depuis le jour où j'ai fait monter les enfants d'Israël hors d'Égypte jusqu'à ce jour ; j'ai voyagé sous une tente et dans un tabernacle. » (2Samuel : 5-6)
« Or, d'une part, des considérations d'ordre exégétique et historique suggèrent une rédaction d'époque perse pour ces textes, de l'autre, (…) le texte qui nous intéresse mélange deux traditions architecturales distinctes : un modèle nord-syrien ''indémodable'' (depuis le XVII s av JC) pour le temple et un modèle achéménide pour le palais. » (1) Ce dernier type de palais est précisément datable entre le VI et le V siècle av. JC côté Perse.
Par ailleurs, certaines parties importantes de la Bible évoquant la transcendance divine seraient également fort tardives : une conception du divin liée à l'exil, et une théologie post-monarchique, conçue après la destruction du temple par les babyloniens, en 586 av. JC. La rédaction de 2Samuel évoque effectivement plutôt la période d 'exil à Babylone, car « la conception de la divinité repose non plus sur le binôme Dieu/roi mais sur une comparaison entre Dieu et son peuple. » Ainsi, « la divinité s'affranchit en développant une plus grande transcendance. »
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/l-antique-premier-temple-de-240138 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Ven 29 Juil 2022, 12:41 | |
| Malheureusement, l'auteur de ce blog n'a pas l'air de comprendre grand-chose aux livres qu'il lit...
Il ne fait aucun doute que l'essentiel de la rédaction de Samuel-Rois est d'époque néo-babylonienne et perse; par contre l'influence néo-babylonienne est minime, et toute influence perse exclue, sur les "choses" ou "événements" de la période dont ces livres parlent, de façon largement "pseudo-historique": on ne risque pas de retrouver de l'architecture perse dans la Jérusalem (réelle) d'avant Nabuchodonosor, mais on peut en trouver dans les textes de Samuel-Rois... (cette évidence dite pour tenter de clarifier ce qui est écrit de façon extrêmement confuse dans ce billet).
Il faut préciser par ailleurs que le modèle "indémodable" des temples est plus généralement "régional", puisque c'est à peu près le même "plan" qu'on retrouve partout, de la Syrie à la Phénicie ou au sud de Juda (du sanctuaire égyptien de Timna au sanctuaire judéen d'Arad p. ex.) -- même les temples égyptiens ou grecs ne diffèrent guère dans leur conception générale, il y a toujours un "saint des saints" (naos, cella) pour la divinité et une approche progressive (portiques, vestibules, etc.), la logique même du "temple" implique des règles et des similitudes architecturales, qui ménagent des marches, des degrés, des zones-tampon entre le "sacré" et le "profane"...
Qui plus est, il ne fau(drai)t pas tomber dans l'"hypercritique" imbécile: bien sûr qu'il y avait (au moins) un temple à Jérusalem avant que les Babyloniens le détruisent, que ce temple était "royal", dans un sens judéen et exclusif au moins depuis la chute de Samarie et Ezéchias; d'autre part il y avait à Jérusalem une tradition cultuelle très ancienne dont les textes bibliques témoignent malgré eux par la continuité entre la période supposée "pré-israélite" (jébuséenne, etc.) et "israélite" (ou judéenne): Melki-çédeq, Adoni-çédeq, Çadoq, etc., Çedeq et Shalem étant aussi des noms de divinité(s), tantôt distinctes, tantôt confondues selon les lieux, les milieux et les époques... |
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Ven 29 Juil 2022, 14:05 | |
| Philon d’Alexandrie a fait de grands efforts pour exprimer la religion juive en termes philosophiques. Dans les livres qui nous restent de son œuvre, je me concentre sur son interprétation de ce qui est relaté après la révélation du Décalogue (Ex 20,1-17). En Ex 20,21, dans la version de la Septante, nous lisons que Moïse, sur la montagne du Sinaï, entra dans la ténèbres où était Dieu. D’après le commentaire de Philon, cela veut dire que Moïse entra dans l’essence qui n’admet pas de formes, qui est invisible, incorporelle, qui est le paradigme des êtres, et qu’il apprit ce qui échappe à la vision d’une nature mortelle. Philon affirme que nous n’avons en nous aucun moyen de nous représenter l’Être, mais que Moïse contempla, dans la nuée obscure, la nature sans formes visibles, et qu’il parle à mots couverts de l’essence invisible et incorporelle. Dans cette interprétation – assez ésotérique pour nous – Philon se sert de termes platoniciens pour désigner Dieu (l’Être) dans sa transcendance absolue, qui surpasse toute conception humaine de Dieu. Malgré son monothéisme juif, il y a, pour Philon, comme pour le platonisme de son époque, une hiérarchie en Dieu, ce qui implique que la vraie essence de l’Être dépasse les manifestations de ses « puissances ». Il dit même que « Dieu » et « le Seigneur » sont deux puissances de l’Être, ce qui implique que, selon lui, l’Être suprême est au-delà de « Dieu » et du « Seigneur » (cela fait presque une trinité !). Pour Philon, le Dieu ou le Seigneur qui se révèle dans les livres de Moïse est, dans la plupart des cas, une manifestation de l’Être, adaptée à la compréhension des hommes. J’en conclus que, selon ce commentateur juif, la vraie essence de Dieu – de l’Être – surpasse le sens littéral de nombreuses histoires et lois de l’Écriture.
Clément d’Alexandrie a repris l’exégèse philonienne d’Ex 20,21. Dans un exposé sur la connaissance de Dieu par la foi, il rappelle que Moïse entra dans la ténèbres où était la voix de Dieu, c’est-à-dire dans les notions inaccessibles et sans image qui concernent l’Être. Il ajoute que Dieu n’est pas dans une ténèbres ou dans un lieu, mais qu’il est au-dessus du lieu, du temps et de ce qui est propre aux choses créées 29. En outre, il explique que Dieu ne peut être ni enseigné ni dit par les hommes – car il est ineffable –, mais qu’il peut seulement être connu en vertu de la « puissance » qui vient de lui, et qui est le Fils de Dieu. En philosophe chrétien, Clément insiste beaucoup sur la transcendance ineffable de Dieu, en se référant encore une fois à Ex 20,21. Voici un extrait de ses conclusions à ce sujet :
Et s’il nous arrive de lui donner un nom, ce n’est qu’improprement que nous l’appelons l’Un, ou le Bien, ou l’Intellect, ou l’Être en soi, ou Père, ou Dieu, ou Créateur, ou Seigneur : ces mots, nous ne les prononçons pas comme son nom ; mais, faute de mieux, nous recourons à de beaux noms, afin que la pensée puisse y prendre appui, sans s’égarer ailleurs. Aucun de ces termes, pris séparément, ne peut désigner Dieu, mais tous ensemble ils servent à indiquer la puissance du Maître universel ; car les mots forment des paroles au moyen des propriétés qui leur sont attachées, ou par leurs relations mutuelles ; or on ne peut rien saisir de tel à propos de Dieu. (...) Il en résulte que c’est par grâce divine et par le Logos seul qui vient de Dieu qu’on peut concevoir l’Inconnu.
https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2002_num_82_1_960 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Ven 29 Juil 2022, 15:32 | |
| L'article est intéressant et ses citations précieuses, bien que nous ayons déjà abordé son "sujet" (peut-être le seul "sujet" au fond sans fond, de la théologie ou de la pensée) sous beaucoup d'angles (p. ex.: un, être, image), je ne dis pas tous... Sur Exode 20,21 et sa relation étroite avec 1 Rois 8,12//, voir par exemple ici (notamment 12.11.2021). Je trouve toujours lamentable l'opposition réflexe d'une "orthodoxie" à une "hérésie" ( gnostique ou marcionite, p. ex.), surtout quand elle prétend se situer, non dans une apologétique confessionnelle et superficielle, à un niveau de pensée où ce genre d'antithèse ne fait plus aucun sens, puisque quiconque s'y aventure s'y retrouve face à la même (non-)"chose", au même "rien", et que la diversité irrépressible des formules découle ou jaillit de l'aporie même, de l'impossibilité stricte d'exprimer justement l'inexprimable, qui n'est évidemment tel que par rapport au langage et à toutes ses possibilités d'expression. Entre des expressions qui sont toutes nécessairement inadéquates, il est encore plus ridicule que mesquin de faire mine de trier les "bonnes" et les "mauvaises". En rapport (aussi) avec l'échange précédent, j'ai oublié de souligner ceci: dans la mesure où l'unicité du temple (d'après le Deutéronome et les "réformes" des Rois, Ezéchias-Josias) est en réalité contemporaine d'une absence de temple et/ou d'une situation d'exil puis de diaspora -- le temple unique, même reconstruit, n'étant guère plus accessible à un Galiléen qu'à un juif de Babylone, de Damas, d'Antioche, d'Alexandrie ou de Rome -- elle constitue déjà une certaine "spiritualisation" du temple. Contrairement au sanctuaire local, ou à la synagogue, le temple (matériel) où on ne peut se rendre qu'une ou trois fois par an, une fois dans sa vie ou jamais, devient presque aussi "idéal" que le "nom" divin (que l'on peut en principe invoquer toujours et partout, même sans prononcer tel ou tel nom). Curieusement, plus le symbole est fort et plus sa disparition ou sa substitution sont indifférentes -- mais à bien y regarder c'est la logique même de la signification, ou la logique tout court: le signifiant s'efface devant le signifié qui n'est pourtant signifié que par un signifiant -- celui-là ou un autre. Par ailleurs, cette spiritualisation va de pair avec une certaine universalisation, présente dès le texte d'"inauguration" en 1 Rois 8: on glisse de la prière dans ou devant la "maison" à la prière vers la maison ( i.e. de n'importe où, v. 29ss, même en exil, 46ss; cf. Daniel qui prie de Babylone vers Jérusalem, ou la prière musulmane orientée vers La Mecque), et simultanément à la prière de l'étranger (v. 41ss), qui de fait n'est pas plus "loin" que l'Israélite-Judéen-Juif plus ou moins éloigné du temple. Et puisque c'est (seulement) son "nom" (et/ou parfois sa "gloire") qui est "dans" le temple (voir supra), Yahvé lui-même est comme l'adorateur, éloigné du temple qu'il regarde et écoute, d'une distance incommensurable, de l'au-delà de cieux doublement barrés (ni cieux ni cieux des cieux !)... cf. v. 30ss, mais tout ce chapitre mérite d'être relu qui est parmi les plus "théologiques" de l'AT (on y retrouvera aussi, cela m'avait frappé dès mes toutes premières lectures de la Bible, cette idée du dieu qui fait par sa main ce qu'il dit par sa bouche, v. 15, 24, ce qui assure la continuité de l'histoire, par une co-extensivité de l'"éternité" au "temps", de la connaissance ou de la détermination à l'être ou à l'événement: problème constant de toute "pensée", théologique ou philosophique, qui trouvera plus tard des expressions plus abstraites et moins heureuses, prédestination, déterminisme, etc.). |
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Lun 01 Aoû 2022, 11:15 | |
| «Le lieu que Yahvé a choisi pour y établir son nom»
La loi du Deutéronome restreint les actes cultuels au «lieu que Yahvé a choisi pour y établir (ou pour y placer) son nom ». La formule, en effet, revêt deux formes légèrement différentes: «pour y établir son nom», Deut 12 11 14 23 16 2. 6.11 26 2, ou bien: «pour y placer (...) son nom», Deut 12 5.21 14 24. Les deux formules sont combinées dans Deut 12 5, mais (au lieu de est une glose. La formule avec (...) ne revient ensuite qu'une seule fois, dans Neh 1 9, dans une citation libre du Deutéronome. La formule avec (...) est seule reprise dans l'histoire deutéronomiste, avec référence explicite à Jérusalem et au temple, I Reg 9 3 11 36 14 21 (= II Chron 12 13) II Reg 214.7 (= II Chron 33 4.7).
Cette formule sert à légitimer la centralisation du culte : celui-ci ne peut être exercé que là où Yahvé a établi, ou placé, son nom. On y voit très communément l'expression d'une théologie. D'après O. GRETHER1, elle oppose la notion prophétique de Yahvé possesseur du temple à la conception populaire de Yahvé habitant du temple. D'après G. VON RAD2, ce théologouménon est un correctif théologique destiné à sauvegarder la transcendance de Dieu tout en maintenant sa proximité: ce n'est pas Yahvé lui-même qui est présent dans le temple, c'est son Nom, signe de sa volonté de salut. Cette explication, avec des nuances, est devenue un lieu commun.
https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/9783110835755-024/pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Lun 01 Aoû 2022, 12:04 | |
| Je ne peux pas (du moins pour le moment) lire la suite de cet article (1967), mais je précise, pour clarifier au moins la lecture de l'extrait, que les deux racines hébraïques mentionnées (et sautées dans ta copie) sont 1) škn, "habiter", "demeurer", "résider" (d'où mishkan = la "Demeure", déjà la tente ou tabernacle du désert; et shekina dans les textes rabbiniques; ce que de Vaux traduit donc par "établir", ce qui ne facilite pas la distinction) et 2) sym/swm, "mettre", "placer", "installer", etc. (y compris, bien sûr, "établir"). Cette différence (et combinaison) de vocabulaire ne change toutefois rien à la distance entre la divinité et le temple, puisque dans les deux cas c'est le "nom" que Yahvé "fait demeurer" (1) et/ou "place" (2) dans le temple... La "conception populaire" du dieu habitant le temple (y mangeant, y dormant, s'y réveillant, en sortant ou y rentrant) n'est donc pas celle de ces formules "théologiques" qui s'en écartent ostensiblement, mais elle n'en est pas moins impliquée par l'idée fondamentale de "maison" et tout le rituel qui s'y rattache: sacrifices et offrandes "pain de Yahvé", processions, etc., tout cela est bien présent aussi, au moins à l'état de trace linguistique et textuelle, dans "la Bible", du Lévitique aux Psaumes par exemple: là comme ailleurs, le langage religieux oscille entre "premier degré" ou "degré zéro" (qui même chez les plus "simples" est moins "naïf" que les "savants" feignent de le croire) et interprétation théologique abstraite et sophistiquée, qui restent au fond corollaires même si à la lettre ils s'opposent... la "religion", "biblique" ou autre, dépend du jeu même de ces différents "sens". |
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Lun 01 Aoû 2022, 12:22 | |
| Yhwh, garant de l’ordre du monde : une théologie du temple
L’image du divin garant de l’ordre du monde prend toute son ampleur dans la théologie sacerdotale qui se met en place après l’effondrement de l’Exil et avec la reconstruction du temple de Jérusalem en 520-515 et celui de Samarie au milieu du Ve siècle. La reconstruction du temple de Jérusalem suscita une espérance de restauration teintée de théologie royale avec la figure de Zorababel et le prêtre Josué, chez les prophètes Agée et Zacharie. Par contre, les milieux sacerdotaux de l’époque perse ont pris en compte leur nouvelle situation de communauté sans roi et sans État. L’image du divin et de sa relation à Israël s’en est trouvée transformée.
Dans le monde antique, de manière générale, le culte et le rituel sont le mode de relation entre dieux et hommes. En suivant les travaux de Christophe Nihan, il convient de comprendre que les communautés du monde antique sont des communautés sacrificielles avant tout. C’est par le sacrifice que se fait le lien organique entre les dieux, les hommes et les territoires.
Dans la relation de l’humain au divin, lorsque le sacrifice ne marche pas, parce qu’il est mal fait ou bien que le culte a été délaissé, les dieux abandonnent la communauté qui cesse dès lors d’être protégée. Selon Ézéchiel 10,18-22, en raison d’un culte qui rend impur le temple, Yhwh quitte le sanctuaire : « La gloire de Yhwh s’éleva du seuil de la Maison. » Le départ de la divinité est la pire chose qui puisse arriver pour la communauté qui est dès lors livrée à des puissances démoniaques. 2 R 17,24-41 illustre ce point de la relation de la divinité au pays : après la chute de Samarie, il faut rétablir le culte du dieu d’Israël pour que les lions ne dévorent plus les habitants étrangers que l’on a installés dans le pays.
Après l’Exil et la perte du royaume et du temple, le grand souci des prêtres est de permettre la présence du dieu créateur au sein de la communauté d’Israël. Pour cela, les prêtres élaborent une histoire sacerdotale (de la Genèse à Lévitique) dans laquelle ils développent une représentation particulière de la révélation divine. Selon Exode 6,1-7, Élohim est le dieu pour l’humanité (Gn 1-11), le nom de Dieu est Shadday, dieu des steppes, pour les patriarches (Gn 12-50), le tétragramme Yhwh est réservé à Moïse (Ex 1 ; Lv 16).
Par cette façon de comprendre l’histoire, cette école trace une continuité en faisant de Yhwh, à la fois le dieu des patriarches et l’Élohim de l’univers. Au commencement, selon Gn 1, l’humain est lui-même créé comme tsélem (image) selon le mot akkadien, tsalamu : ce terme qui désignait la statue ou l’effigie du dieu, était utilisé en priorité pour le roi. Cette école d’écriture raconte comment l’ordre de la création des origines a été perturbé par la violence qui contraint la divinité à user du déluge pour la réduire. Après la perturbation de l’univers, une nouvelle alliance avec Noé redéfinit un ordre a minima en Gn 9, où le dieu se retire au ciel et renonce à une toute-puissance de domination tyrannique et violente. L’arc est un symbole de séparation : la divinité habite le ciel et non plus la terre ; en même temps Dieu range ses armes, contrairement au dieu Assour.
L’histoire qui se poursuit par le récit patriarcal et la sortie d’Égypte (Exode) décrit comment Dieu revient parmi l’humanité en venant habiter au milieu d’Israël dans le temple, ce qu’illustre Ex 40. Cette histoire, depuis l’alliance avec Abram, la sortie d’Égypte, la révélation du Sinaï avec les instructions pour le sanctuaire en Ex 25-40, montre que Yhwh a transité depuis le Sinaï jusqu’au sein du sanctuaire.
Selon l’écrit sacerdotal, Israël est alors la communauté sacrificielle responsable du culte de Yhwh. C’est pourquoi le Lévitique prescrit la manière dont le culte sacrificiel doit se dérouler. Le livre décrit avec soin la fonction des prêtres, qui est de veiller à ce que l’impureté n’envahisse pas l’espace privé et cultuel d’Israël. L’idée centrale de cette histoire est que Yhwh, en tant que divinité de l’univers, est revenu résider sur terre. Il y a désormais une nouvelle cohabitation possible entre l’humain et le divin.
L’histoire sacerdotale s’achevait en Lévitique 16, le jour du Grand Pardon. Dans ce passage, le grand prêtre Aaron est présent dans le Saint des Saints. À cette occasion unique, Aaron revêt des habits particuliers : le lin, l’habit des êtres de la cour céleste, ce qui témoigne qu’il est bien en présence du divin.
https://www.evangile-et-liberte.net/2016/01/dieu-disrael-dieu-des-autres-de-limmanence-a-la-transcendance/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Lun 01 Aoû 2022, 14:00 | |
| Bon résumé -- j'incline toujours à compenser le caractère linéaire que prend forcément ce genre de présentation synthétique et un peu scolaire par l'image du fleuve ou du "bassin hydrographique" (dont j'ai beaucoup usé, sinon abusé, par le passé): le Rhône (p. ex.), sur la carte, suit un cours apparemment unique de la Suisse à la Méditerranée (ou au delta), par rapport auquel les "affluents" se comprennent comme tels: secondaires, accessoires (que le critère soit celui de la longueur ou du débit). Mais en fait ce qu'on appelle le Rhône dans sa partie (quasi) finale dépend bien davantage de ce qui vient de la Saône, de l'Isère ou de la Durance, il a donc autant de sources que d'affluents et d'affluents d'affluents (plus la "sienne" dite "propre"), sans compter les précipitations et le ruissellement tout au long du parcours... Pour appliquer l'analogie à l'article de Nocquet (ou à tout autre "résumé" du même genre), la "religion du Second Temple", et donc les textes "bibliques", sont tout autant tributaires des cultes d'El, de Baal, de Shamash, de Mardouk, de Tammouz, de Sin, d'Ahura-Mazda que de Yahvé. Autant de confluences, autant d'ascendances à retracer, seul un certain arbitraire désigne un "fleuve" principal en reléguant toutes les autres rivières au statut d'affluent (secondaire).
De même on pourrait avoir l'impression, en lisant Nocquet, que les rédactions dites "deutéronomiste(s)" (Deutéronome ou Josué-Rois, notamment 1 Rois 8 dont nous venons de parler) et "sacerdotale(s)" se succèdent, comme si le premier type était concentré chronologiquement autour de la "réforme de Josias" (dont l'historicité est elle-même fragile), de l'exil ou de l'immédiat après-exil, le second prenant ensuite la relève avec le développement de la liturgie du Second Temple -- or elles sont certainement en grande partie contemporaines, non seulement "parallèles" mais imbriquées, stratifiées ou sédimentées les unes dans les autres et dans les mêmes textes, au cours d'un processus de rédaction qui aura impliqué successivement et simultanément toute sorte d'intentions -- parfois expressément opposées, plus souvent simplement différentes. Pour le dire de façon plus académique, je ne vois pas de retour possible du concept de "rédaction" ou d'"écriture", avec la différance infinie qui s'ensuit, à celui de "documents" autonomes et au moins en partie repérables, délimitables, détachables les uns des autres et reconstructibles... |
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Lun 08 Aoû 2022, 10:15 | |
| Dans une vision, Ezéchiel la voit quitter le temple : « Alors les chérubins déployèrent leurs ailes et les roues se mirent en mouvement avec eux, tandis que la gloire du Dieu d'Israël était sur eux, au dessus. Et la gloire de l'Eternel s'éleva pour sortir de la ville et s'arrêta sur la montagne qui se trouve à l'orient de la ville » (Ezéch 11 : 22-23).
Et comme Adam et Eve, au fond de leur chute, se retrouvèrent nus, ainsi Israël à Babylone découvre qu'il ne lui reste que « la honte de sa nudité » et que, privé de la gloire de son Dieu, il ne peut être que la risée des nations.
Mais si durement qu'il le châtie — car le châtiment est à la mesure de l'amour — le Seigneur n'a pas cessé d'aimer son peuple, son épouse : « Un instant, je t'ai abandonnée, dit ton Dieu ; mais dans mes grandes compassions, je te recueillerai. Un instant, dans le déchaînement de mon courroux, je t'ai caché ma face, mais dans ma miséricorde éternelle, j'ai eu compassion de toi... Ne sois plus confuse, car tu n'auras plus à rougir... Tu ne te souviendras plus de l'opprobre de ton veuvage» (Es. 54:7-8 et 4). Dieu pardonne et revient. Il maintient son plan. Il ne renonce ni à Israël ni aux nations. Car, nous l'avons vu, à travers le peuple élu, ce sont tous les hommes que Dieu appelle afin de faire d'eux tous les témoins de sa gloire. Et bien avant que Jérusalem ne soit rebâtie et que le temple ne soit relevé, Ezéchiel, toujours en exil, reçoit la vision de la gloire du Seigneur revenant à Jérusalem et reprenant possession du temple :
« Je vis la gloire du Dieu d'Israël, qui venait de l'Orient. Sa voix était semblable au bruit des grandes eaux, et la terre resplendissait de sa gloire. Et je tombai la face contre terre. La gloire de l'Eternel entra dans le temple par le portique qui regardait l'Orient. L'Esprit m'enleva et me fit entrer dans le parvis intérieur ; et voici que la gloire de l'Eternel remplissait le temple. J'entendis quelqu'un qui me parlait de l'intérieur du temple ; un homme se tenait près de moi. » Il me dit : « Fils d'homme, c'est ici l'emplacement de mon trône, le lieu où se posera la plante de mes pieds, où j'établirai à jamais ma demeure parmi les enfants d'Israël. Désormais, ni le peuple d'Israël ni ses rois ne profaneront plus mon saint nom... » - (Ezéch. 43 : 1-2 ; 4-7 s.).
https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=rtp-003:1961:11::427 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Lun 08 Aoû 2022, 11:48 | |
| Beau sermon à l'ancienne... Il y a en effet un rapport étroit, mais complexe, entre le mot "biblique" de "gloire" (voir p. ex. ici et là) et la notion philosophique et théologique de "transcendance" (que Jeanneret ne mentionne pas; il se réfère en revanche abondamment à l'idée de "sainteté" -- ou "sacré", que contrairement à beaucoup je ne distinguerais pas a priori -- qui éclairerait peut-être sous un angle légèrement différent ce qui est visé par ladite "transcendance"): la "gloire" est à la fois ce que la divinité laisse percevoir d'elle-même, de manière ambivalente (dangereuse et/ou salvatrice), et ce par quoi elle échappe à toute maîtrise; ce qui en rapport avec le temple s'exprime sous la forme de la "nuée", lumineuse et ténébreuse, qui ne consacre ou "valide" le sanctuaire qu'en le mettant hors service (quand la gloire-nuée est dans la tente ou le temple, les prêtres ne peuvent plus y exercer leur office, 1 Rois 8,11 etc.). Le jeu de l'apparition et de la disparition -- Fort-Da comme dirait Freud -- joue à plusieurs niveaux... là aussi.
Dernière édition par Narkissos le Lun 08 Aoû 2022, 12:54, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Lun 08 Aoû 2022, 12:53 | |
| Les Psaumes et les débats partisans de l'époque du second Temple
David et Sion
La focalisation sur le Temple repose sur l’ossature du psautier qu’a pu représenter les psaumes royaux et par l’attribution des psaumes à David. Les psaumes en tant que recueil de David contribuent à valoriser le Temple et la tradition de Sion, tel le Ps 2.
Ps 2) 6C’est moi qui ai investi mon roi sur Sion, ma montagne sacrée !
Cependant, il est à souligner que le passage des psaumes de David aux psaumes du règne de Dieu (93-100) marque une distanciation vis-à-vis de la monarchie, prenant acte de l’échec de l’institution de la royauté dans le partage du salut. En effet, les psaumes du règne ne contiennent pas de mention de David. La royauté n’y est plus une institution pérenne pour le psalmiste. La suite du psautier organise une passation de la royauté davidique vers Sion et la royauté divine : le Ps 132 illustre le conditionnement de la royauté humaine et en même temps l’idée que David est le fondateur de Sion qui se substitue à la royauté. Le Ps 149 célèbre la royauté seule de yhwh.
(Ps 132) 1 Chant des montées. yhwh, souviens-toi de David, de toutes ses afflictions ! 2Il fit ce serment à yhwh, ce vœu à l’Indomptable de Jacob : 3Je n’entrerai pas dans la tente où j’habite, je ne monterai pas sur le lit où je couche, 4je ne donnerai ni sommeil à mes yeux, ni assoupissement à mes paupières, 5jusqu’à ce que j’aie trouvé un lieu pour yhwh, une demeure pour l’Indomptable de Jacob. […] 12Si tes fils gardent mon alliance et mon témoignage, ce que je leur apprends, leurs fils aussi seront pour toujours assis sur ton trône. 13Car yhwh a choisi Sion, il a désiré en faire son habitation : 14C’est mon lieu de repos à jamais ; j’y habiterai, car je l’ai désirée ; 15je bénirai ses ressources, je rassasierai de pain ses pauvres ; 16je revêtirai ses prêtres de salut, et ses fidèles pousseront des cris de joie. 17Là je ferai pousser une corne pour David, je disposerai une lampe pour l’homme qui a reçu mon onction,
Au verset 12 la continuité de la royauté davidide est conditionnée par la fidélité à l’alliance, alors que yhwh, associé à sa Demeure, l’habite comme son lieu de repos d’où il répand bénédiction et justice pour les plus démunis : il remplit la fonction royale par excellence. On comprend dès lors que yhwh est celui qui peut donner naissance à une espérance messianique dans la continuité de la royauté davidide : Ps 132, 17.
À la fin du psautier, il y a un glissement dans lequel la dynastie de David s’efface et laisse place au motif de Sion en tant que siège du règne de yhwh ; le Ps 149 affirme en effet que seul yhwh est reconnu roi en Sion.
(Ps 149) 1Louez Yah ! Chantez pour yhwh un chant nouveau ! Chantez sa louange dans l’assemblée des fidèles ! 2Qu’Israël se réjouisse en celui qui le fait ! Que les fils de Sion aient de l’allégresse en leur roi !
https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2012-4-page-461.htm#re29no29 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Lun 08 Aoû 2022, 14:29 | |
| Etude très riche -- je constate avec intérêt, notamment par les notes bibliographiques, que depuis une vingtaine d'années l'exégèse des Psaumes tend aussi à se (re)centrer sur son "centre de gravité" historique, à savoir l'époque du Second Temple (perse et hellénistique au moins). Cela rejoint d'ailleurs en partie ce que nous disions plus haut (29.7.2022) de la "spiritualisation" du temple unique, en situation de diaspora: de ce point de vue le psautier est le véhicule idéal, temple ou ersatz de temple portatif et mémorisable, grâce auquel on peut chanter (ou psalmodier) partout comme à Jérusalem (fût-ce pour dire qu'on ne le peut pas, Psaume 137): le temple reste essentiel comme symbole, ce qui dans un sens conforte sa position unique (pèlerinages, dons des synagogues ou des particuliers du monde entier au temple), mais la fragilise aussi (puisque l'essence du "culte" c'est aussi bien ce que l'on fait partout, la prière, le chant, la louange qui valent sacrifice -- sacrifice des lèvres -- soit le rituel adapté à la synagogue ou à la maison).
La relation dans l'espace (de la diaspora à Jérusalem) joue aussi dans le temps, historique et légendaire: le "second temple" suppose la perte d'un "premier", et l'évocation idéalisée d'une monarchie "davidique" (David harpiste et psalmiste, roi berger et guerrier) -- en ce sens l'affirmation de l'élection et/ou de la protection du sanctuaire n'est pas antinomique avec la conscience d'une ruine qui est arrivée et peut toujours se reproduire (cf. p. ex. Psaumes 74; 79). Ce n'est évidemment pas ce que souhaitent les officiants du temple ni la plupart des synagogues qui leur sont liées, mais c'est aussi une idée qui traîne au moins depuis Daniel et qui fait son chemin dans les milieux hostiles, pour différentes raisons, au temple et/ou à sa prêtrise (esséniens-qoumraniens, pharisiens, spiritualistes hellénisants, etc.).
Si l'on n'enferme pas le mot de "transcendance" dans sa définition et sa fonction classiques en philosophie (transcendance vs. immanence comme divin vs. humain, surnature vs. nature, esprit vs. matière, etc.), on peut aisément y reconnaître tout, sauf peut-être "le tout": tout ce qui n'est qu'en passant et en devenant, en se passant aussi -- au sens où l'on disait naguère "passer" pour "dépasser" comme pour "trépasser": tout passe, tout se passe, rien n'est qu'en (se) passant d'une "chose" à l'"autre" qui n'est pas plus "autre" que "même". Comme le "temple" d'un temple à l'autre, et du "matériel" au "spirituel" ou inversement, ou les psaumes d'un culte, d'un dieu, d'une langue, d'un peuple, d'un lieu, d'un milieu, d'une époque, d'une communauté ou d'un récitant à l'autre... Cela aussi pourrait s'appeler transcendance, sans être opposable à une immanence. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Mar 09 Aoû 2022, 10:21 | |
| Une "habitation" terrestre pour la divinité permet une véritable proximité avec les créatures humaines, d'ailleurs la tente où demeure Dieu est appelée "la tente de la rencontre" (Dt 31,14) : "Chaque fois que nous appelons à l'aide le SEIGNEUR notre Dieu, il est vraiment proche de nous. Est-ce qu'il y a un autre peuple, même parmi les plus grands, qui a des dieux aussi proches ?" (Dt 4,7). |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La transcendance divine et la Maison de Dieu Mar 09 Aoû 2022, 11:34 | |
| "Rencontre" traduit dans ce cas le terme hébreu mo`ed (dont on retrouve la racine dans l'`Aïd musulman), au moins aussi temporel que spatial, puisque c'est le "temps" fixé ("rendez-vous", etc.) des fêtes régulières, annuelles ou mensuelles (associées aux "luminaires", soleil et lune, dans le premier récit de la Genèse); d'autre part le mot est très proche (par polysémie d'une racine ou homonymie de plusieurs) de ceux qui sont habituellement rendus par "témoignage" (`d, `dt etc.) et qui précèdent déjà, dans le récit de l'Exode, la construction de la tente (comparer 16,34 et 25,21ss). En tout cas il s'agit autant du rassemblement du peuple que de la "rencontre" entre celui-ci et son dieu; et quoique les terminologies soient mêlées dans les textes, l'idée de "rencontre", quand même elle implique Yahvé, ne suppose pas en soi l'habitation (contrairement à byt, "maison", à [m]škn, "demeure[r]", ou même à 'hl, "tente"): on peut imaginer la divinité venant de l'extérieur (ciel, montagne, etc.) au lieu de la "rencontre" (ainsi Nombres 12,4s) aussi bien que sortant de la tente. Il y a d'ailleurs, dans le même genre, beaucoup d'autres incohérences formelles: par exemple, la tente-arche-témoignage est tantôt le lieu où Yahvé communique avec Moïse (Exode 25,21ss), tantôt réservé à Aaron (Lévitique 16)... |
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