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 Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah

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Narkissos

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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMar 20 Fév 2024, 17:14

Nous ne quittons pas Lefebvre, mais nous sommes toujours en bonne compagnie... Smile

Sa réflexion sur l'hyper-visibilité divine, dont il faudrait plutôt s'abriter (comme le Moïse de l'Exode), rejoint nos remarques d'hier sur l'islam: le monothéisme absolu vire au panthéisme, où tout le visible ou le perceptible ne saurait être, en dernière analyse, rien d'autre que "Dieu". Cela me rappelle aussi Hölderlin, In lieblicher Bläue: "Le dieu est-il inconnu ? N'est-il pas évident comme le ciel ? Je le croirais plutôt"...

La "forme" ou "apparence" (temouna) de Yahvé en Nombres 12,8 est bien celle qui est interdite en Exode 20,4; Deutéronome 4,12.15s.23ss; 5.8; donnée, promise ou espérée en revanche en Psaume 17,15 (cf., de façon plus ambiguë, Job 4,16). On traduit parfois "ressemblance", mais ce n'est pas le terme de Genèse 1,26 (demouth) -- dans le premier chapitre de la Genèse il s'apparente plutôt au terme habituellement rendu par "espèce(s)" (min, v. 11ss): les "espèces" animales ou végétales, voire astrales, c'est encore une affaire d'"aspect", d'"apparence" et de "forme" qui fait la "ressemblance" et le "semblable", ce qu'on nomme d'un même nom commun, générique d'un genre. Sur ce thème, voir encore ici ou .

Les remarques de Lefebvre sur les rois crucifiés ou pendus, puis ensevelis, qui se rattachent dans les Nombres à l'épisode du serpent (chap. 21) même si ce n'est pas très clair, donneraient aussi à réfléchir (§ 10, 17).
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMer 21 Fév 2024, 11:13

Nb 12 : Moïse, le seul médiateur ?

40Nb 12 suit l’histoire des cailles et du don de l’esprit de Moïse aux anciens d’Israël (11,4-34). En Nb 12, il s’agit également d’une mise en question du rôle de Moïse ; mais elle est faite par deux membres de sa famille : Miryam et Aaron. Nb 11 et 12 sont également liés par le thème de la prophétie à laquelle on cherche à donner une place par rapport à Moïse. Alors qu’Aaron était absent dans le récit précédent, il apparaît ici, mais en tant qu’opposé à Moïse.

41Nous nous trouvons devant une narration qui combine deux récits : un premier récit qui comprend les v. 1 et 10-15 relate une critique de Miryam (le verbe se trouve à la 3e f. sg.) contre Moïse à cause d’une femme koushite. Ce récit se poursuit par une sanction (10-15) de Miryam qui correspond à la critique qu’elle avait formulée. Comme l’ont déjà remarqué les rabbins, Miryam, qui critique Moïse à cause d’une femme noire, devient elle-même blanche comme la neige ; et c’est seulement grâce à l’intercession de Moïse (Aaron ne peut que constater la sanction et demander à Moïse d’intercéder) que Yhwh limite la sanction de Miryam dans le temps. Miryam, qui avait tenu un discours d’exclusion, doit, elle-même, faire une expérience de mise à l’écart avant son intégration. Le deuxième récit (v. 2-9) part d’une question d’Aaron et de Miryam (au v. 2 le verbe se trouve à la 3e m. pl.) : Yhwh parle-t-il seulement à ou par Moïse ? L’enjeu est la position et le rôle de Moïse par rapport à ces deux protagonistes qui représentent apparemment les prophètes (Miryam) et les prêtres (Aaron). Yhwh répond à cette question par l’affirmation de la supériorité de Moïse par rapport aux prophètes et répond finalement à la question initiale par une autre question : pourquoi ne craignez-vous pas de parler contre mon serviteur Moïse ?

42On peut, sur le plan diachronique, distinguer deux récits différents : les v. 1 et 2ss traitent de deux sujets différents ; le fil du v. 1, qui est centré sur Miryam, est repris dès le v. 10. On peut également considérer que le v. 3 est une insertion ultérieure qui veut empêcher une « divinisation » de Moïse et faire de lui l’ancêtre des « pauvres de Yhwh ».

43On aurait donc globalement les ensembles suivants :

A     v. 1. 10-15
B     v. 2. 4-9
C     v. 3.

44La plupart des commentateurs partent de l’idée que le récit autour de la femme koushite précède le thème de la relation entre Moïse et les prophètes. L’argument principal réside dans le fait que seul le v. 1 offre une introduction complète à une histoire, contrairement au v. 2 qui ne mentionne pas les protagonistes ; par conséquent les v. 2ss auraient été ajoutés après coup. Cette thèse se fonde sur l’idée que la critique diachronique permet de reconstituer le texte primitif entièrement, en raison d’un supposé respect des rédacteurs à l’égard des textes qu’ils éditaient. Or, cette idée est fausse : « rédaction » peut aussi signifier modification, voire suppression du texte antérieur. D’ailleurs, on ne peut pas non plus reconstruire, dans les versets 1 et 10-15, un récit totalement indépendant, car il manquerait alors une intervention divine.

45Un autre argument parle en faveur de l’antériorité de B : son lien avec le chapitre précédent. Nb 11 raconte comment Yhwh partage l’esprit de Moïse aux anciens du peuple qui deviennent ainsi prophètes ; ce don prophétique est tellement puissant qu’il déteint sur d’autres. En réponse aux protestations de Josué qui veut que la prophétie reste un phénomène limité, Moïse répond par le souhait que tout le peuple de Yhwh puisse devenir un peuple de prophètes (11,29). Nb 12,2-8 peut alors se comprendre comme un correctif de cette vision ; d’abord on rétablit l’idée que des prophètes appartiennent à un groupe restreint et, ensuite, on montre que Moïse est bien au-delà de ces prophètes. Par conséquent, il existe une connexion thématique entre Nb 11 et 12,2ss, alors que l’histoire de la femme étrangère surgit plutôt d’une manière inattendue.

47La question des médiations ouvre le récit plus ancien qui reprend le thème du prophétisme déjà traité au chapitre 11. Aaron et Miryam réclament le statut de médiateur au même niveau que Moïse, en reflétant les milieux sacerdotaux et prophétiques. Ce texte s’oppose à la conception deutéronomiste traditionnelle selon laquelle Moïse est le premier d’une série de prophètes que Yhwh enverra au fur et à mesure à son peuple. L’incomparabilité de Moïse est soulignée en Nb 12,8 par le fait que Moïse, contrairement aux prophètes, voit la temunah de Yhwh. Bien que le Pentateuque insiste sur l’invisibilité de Yhwh lors de la révélation (cf. aussi Ex 33,20), Nb 12,8 veut rapprocher Moïse aussi étroitement que possible de Yhwh.

48Nb 12 montre comment les rédacteurs intègrent des débats et des revendications de différents groupes. Il y a d’abord une correction de la démocratisation de la prophétie affirmée en Nb 11 ainsi qu’une définition de la relation entre Moïse et les autres prophètes (Miryam représentante des prophètes est sanctionnée pour avoir critiqué Moïse à cause d’une femme étrangère) et, finalement, la supériorité de Moïse sur tous les autres médiateurs.

https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/14088#tocto3n6
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMer 21 Fév 2024, 11:47

N.B.: L'article de Römer a été cité et commenté sur d'autres points depuis le tout début du fil.

L'analyse est excellente, comme d'habitude, en particulier sur la relation (partielle) entre les chapitres 11 et 12. En rapport avec nos échanges antérieurs (16.2.2024), il semble évident qu'au chapitre 12 le personnage de "Moïse" ne se réduit pas à une figure de la Torah (loi et livre, corpus, canon), et pas davantage à une fonction (prophète, sauveur, législateur, juge, roi ou prêtre): ce qui s'oppose à la fonction "utile" et "publique", tournée vers l'extérieur (parler pour le dieu ou le représenter, comme Miryam ou Aaron), c'est l'intimité secrète et gratuite d'une relation "privée", voire "amicale", à la fois dialogue (bouche à bouche) et vision ou contemplation (v. 8 ); d'"élection" singulière, dans un sens à la fois arbitraire et affectivement motivé ("parce que c'était lui, parce que c'était moi", comme disait Montaigne). Ce Moïse-là devient très proche d'Abraham, malgré le "peuple" qui l'entoure et les médiations prophétiques, sacerdotales, royales, juridiques, judiciaires ou scripturales que celui-ci rend nécessaires. Là encore, l'idée était déjà présente dans l'Exode (p. ex. 33,11s.17), nonobstant la différence sur la "vision" divine (v. 20).
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeJeu 22 Fév 2024, 13:04

Une gigantomachie dans la Genèse ? Géants et héros dans les textes bibliques compilés
Christophe Lemardelé

Nombres 13 et Deutéronome 2‑3 : Nephilim et Repha’im

8Le terme de nephilîm ne se retrouve que dans le quatrième livre du Pentateuque. Le livre des Nombres est si hétéroclite qu’il est de plus en plus considéré comme ayant été élaboré tardivement à partir de matériaux divers, cela afin de constituer le Pentateuque, construction semble-t-il préférée à terme à une construction incluant les livres « historiques » (Hexateuque ou Ennéateuque) par les derniers rédacteurs. On trouve le terme, qui plus est, dans un passage qui semble repris de Deutéronome 1, comme l’on trouve en Nombres des préoccupations et des motifs deutéronomiques. Bien que des parallèles existent entre l’ensemble constitué Deutéronome 1‑3 et l’ensemble disparate Nombres 13‑14, 21 et 32, les spécialistes du livre n’en déduisent pas des cas d’intertextualité directe entre les deux, présupposant plutôt des traditions anciennes insérées, relues, corrigées et prolongées. Il est toutefois intéressant de noter que Nb 13 et Dt 1, 19ss font mention d’une exploration du pays de Canaan pour l’un et de la montagne des Amorites et des terres situées au nord de Qadesh-Barnéa pour l’autre (Dt 1, 7 et 19). De même, Nb 21, 10ss et Dt 2, 24 – 3, 7 relatent parallèlement mais de manière distincte la montée du peuple d’Israël au pays de Moab et ses guerres victorieuses contre Sihôn l’Amorite, roi de Heshbôn, et contre Og, roi du Bashân. De là suit l’installation de certaines tribus dans les territoires transjordaniens nouvellement conquis, cela en Nb 32 et en Dt 3, 8‑17. Il y a donc bien une répétition des mêmes épisodes que l’on ressent dans le Deutéronome lorsque l’on procède par une lecture linéaire des livres mais qui est bien plus due au livre des Nombres. En effet, les récits dans ce livre sont éloignés les uns des autres, ils sont bien souvent amplifiés par rapport à ceux de Deutéronome et il semble même qu’il y ait eu un ajout dans ce périple transjordanien avec la guerre contre les Madianites (Nombres 31). En outre, il faut noter l’aspect incongru de textes comme ceux de Nb 13‑14 qui font état d’une exploration du pays par le Sud, devançant de manière assez artificielle la véritable conquête qui se fera par l’Est. Cependant, les styles narratifs sont différents dans les deux livres et Nb 21 se réfère à un « livre des guerres de Yhwh » (v. 14) et aux « poètes » (v. 27) comme à des sources. Si l’on ajoute à cela la possibilité que le Deutéronome ait pu être d’origine sichémite et rattaché après la constitution d’un Tétrateuque, et donc après l’élaboration de Nombres, alors, en effet, toute filiation directe Dt-Nb semble exclue.

9Quoi qu’il en soit de ces traditions, le vocabulaire utilisé est peut-être seul à même de les situer les unes par rapport aux autres. Or, si Nb 13, 33 et Dt 1, 28 évoquent tous deux les Anaqim, l’un dans le récit de l’exploration de la région d’Hébron, l’autre à titre de comparaison avec les Amorites, seul le premier les nomme nephilîm (gigantes dans la LXX), « hommes de grande taille » (v. 32), le second se contentant de signaler qu’il s’agit d’un « peuple grand et fort ». D’une part, il est à noter que la mention de Nb 13, 32 faisant de ces Anaqim des géants dévorant les habitants du pays se retrouve en 1Hénoch 7, 4 – ils se dévorent même entre eux (v. 5) – alors qu’elle n’est pas présente dans le Deutéronome ni ailleurs dans les textes bibliques. D’autre part, la série de peuples comparables aux Anaqim cités en Deutéronome – les Émim (Dt 2, 10‑11) et les Zamzumim (Dt 2, 20‑21) – sont appelés rephâ’îm (LXX : Raphaïn). Il y a donc en Nombres une équivalence entre Anaqim et Nephilim, et une équivalence en Deutéronome entre Anaqim et Rephaïm. Or, si le premier qualificatif est presque un hapax, présent dans deux passages qui ne peuvent être que tardifs, dans des livres eux-mêmes tardifs, le second est, en revanche, très présent dans les textes bibliques et même authentifié ailleurs, notamment dans les tablettes syriennes d’Ougarit (xiiie siècle av. n.è.)26. Autrement dit, les hommes d’antan de haute taille étaient traditionnellement désignés par le terme de rephâ’îm, celui de nephilîm étant sans doute plus conjoncturel. Quant aux Anaqim, terme non générique désignant un « peuple », on ne les trouve mentionnés que de Nombres à Josué. En Dt 9, 1‑2, passage appartenant au premier encadrement textuel du code deutéronomique (Dt 12‑25) et donc probablement le plus ancien, il est également question des fortifications de leurs villes, celles-ci allant jusqu’au ciel. Surtout, les Anaqim sont seuls nommés parmi les peuples habitant au-delà du Jourdain, terre à conquérir, cela en précisant qu’on ne peut leur résister. Dt 1, 28, qui reprend presque exactement le passage, nuance quelque peu cette présence et, pour finir, Nb 13, 22 la situe très localement à Hébron, sans parler de fortifications allant jusqu’au ciel, et nomme trois fils d’Anaq : Ahimân, Shéshaï et Talmaï (Nb 13, 22).

10Ainsi, le motif de mythe de la conquête évolue de diverses manières quand on part de Deutéronome vers Nombres : on va de l’insistance des villes aux fortifications gigantesques à l’insistance concernant les géants eux-mêmes : « Et là nous avons vu les géants, et nous étions en face d’eux comme des sauterelles » (Nb 13, 33)29 ; de même, on va d’une imprécision géographique et ethnique patente (Dt 9) vers une amplification des récits et l’ajout de détails divers (Dt 1‑3/Nb 13 ; 21 ; 31). D’ailleurs, si l’on doit évoquer une version ancienne de la conquête, il faut songer au passage d’Amos 2, 9‑10 qui parle de la « montée d’Égypte » et qui décrit « l’Amorite » comme un géant : « haut comme des cèdres et fort comme des chênes ». On le voit, l’évocation est moins spectaculaire et plus poétique. Nous pouvons dès lors penser que l’implication de géants dans le récit de la conquête n’est intervenue que lorsque les auteurs deutéronomiques ont voulu amplifier le mythe. Autrement dit, la piste des géants s’interrompt là, il nous faut désormais suivre celle des Rephaïm.

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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeJeu 22 Fév 2024, 13:39

Voir ici et d'autres citations et discussions du même article de Lemardelé. En ce qui concerne la datation délicate du texte d'Amos, voir la note 30: je ne suis pour ma part pas du tout convaincu par l'idée d'une datation ancienne, la référence à la stèle de Més(h)a me semble tout à fait hors sujet. A côté du thème des "géants" qui court en effet dans de nombreux textes (cf. le premier lien ci-dessus), Nombres 13--14 sert surtout à justifier la tradition des "quarante ans" qui n'apparaît qu'en Exode 16,35 (glose ?) et dans le Deutéronome (2,7; 8,2ss; 29,5), mais qui devient essentielle dans le "grand récit" articulant chronologiquement séjour en Egypte, exode, don de la loi et conquête, de la Genèse à Josué (au moins). Le développement des "rébellions" dans la partie centrale des Nombres (11--21), qui amplifie comme on l'a vu plusieurs épisodes de l'Exode, sert aussi la nécessité narrative de "meubler" ce délai (qui paraît tout de même assez vide -- pour ne pas dire désert -- d'"événements").
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeVen 23 Fév 2024, 11:19

LE MOTIF DES CASSOLETTES EN NB 16,1-17,15.
UNE RIPOSTE THÉÂTRALISÉE 

I. DU PLURIEL INDÉFINI AU SINGULIER DÉFINI (VERSETS 4-5.7Ab.B) 

La contestation des insurgés, que le narrateur a présentés dans les deux premiers versets du chapitre, tient en peu de mots: “Et ils se groupèrent contre Moïse et contre Aaron et ils leur dirent: “Beaucoup pour vous, car toute l’assemblée, eux tous [sont] saints et au milieu d’eux, Adonaï! Et pourquoi vous élevez-vous sur le groupe d’Adonaï?” (Nb 16,3). Cette revendication, que le narrateur ne commente pas, n’est pas facile à évaluer : on trouve en effet dans les épisodes qui précèdent, et notamment dans les livres de l’Exode et du Lévitique, de nombreuses paroles où Adonaï réclame la sainteté de l’assemblée  et affirme sa présence au milieu de celle-ci. Plutôt que de m’intéresser à la manière dont le narrateur construit sa propre évaluation de la contestation, je me pencherai plutôt dans la présente recherche sur la repartie qu’y oppose Moïse. 

La transition entre cette première scène et la réponse de Moïse est assurée par le fait que celui-ci “entend” (verset 4). Si la parole des insurgés était adressée à Moïse et Aaron, c’est la réaction de Moïse seul que le narrateur raconte. La réaction de “ tomber sur ses faces” (verset 4) n’est pas développée: si le geste désigne habituellement une prosternation devant Dieu, le narrateur ne rapporte pourtant aucune parole divine, ni d’ailleurs aucune demande de la part de Moïse. Celui-ci s’adresse directement “à Qoré et à toute son assemblée” (verset 5a)  Le discours de Moïse aux insurgés (versets 5-7) présente manifestement une grande recherche littéraire. Chaque membre de l’accusation du verset 3a revient en effet sous forme d’allusion. L’expression “beaucoup pour vous”, au début de la protestation des rebelles, est replacée en finale de l’intervention de Moïse (verset 7b). A la revendication de la sainteté de toute l’assemblée répond la détermination du saint [$wdqh] (versets 5 et 7). Moïse évoque de même Adonaï, non “au milieu” de l’assemblée, mais comme celui qui “fera approcher vers lui” celui qu’il aura choisi (verset 5ab). Les actions d’Adonaï annoncées par Moïse encadrent celles que celui-ci prescrit aux insurgés. Les parties externes du discours –consacrées donc à  ce que fera Adonaï– présentent plusieurs répétitions: deux indications temporelles composées chacune d’un seul mot [...], deux occurrences du verbe (...), du verbe (...) et de l’adjectif déterminé (...) ...

 
https://repositorio.sandamaso.es/bitstream/123456789/2685/1/01%20MIRGUET.pdf
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeVen 23 Fév 2024, 12:29

Merci pour cette étude exégétique très détaillée, difficile à suivre dans le détail si on ne connaît pas l'hébreu... Du point de vue de la méthode, elle me semble illustrer un certain risque des analyses "structurelles" et de la schématisation qui s'ensuit (tableaux, etc.): quelles que soient les "structures" qu'on peut dégager a posteriori d'un texte, celui-ci est d'abord écrit pour être lu, prononcé et entendu de façon (mono-)linéaire, avec des effets de réminiscence proches (on ne "comprend" ce qu'on entend qu'en se souvenant de ce qu'on vient d'entendre) et lointains (on se souvient d'autres textes, ou d'autres lectures du même texte), et d'anticipation (différents selon qu'on connaît la suite ou qu'on la devine) qui fonctionnent tout autrement que la lecture visuelle d'un tableau, laquelle peut indifféremment le parcourir dans tous les sens (autre rapport au temps et à l'espace, même s'il y a toujours du temps et de l'espace). Quand les considérations "structurelles" aboutissent de surcroît à modifier la lecture (linéaire) en devenant critère de critique textuelle, le raisonnement circulaire tourne au cercle vicieux. Par ailleurs, si on ne peut pas reprocher à l'auteur(e, autrice) une analyse "synchronique" du texte tel qu'il est (malgré les corrections), on peut s'étonner qu'elle y introduise (seulement !) des considérations historico-critiques... de 1913 (note 12).

Il faut surtout retenir (c'est assez clair dans l'article) que l'épisode de Nombres 16 s'inspire partiellement de Lévitique 10 (Nadab et Abihou). Mais dans le cadre des Nombres, on aurait pu relever aussi une certaine tension "idéologique" avec le chapitre 11 (Eldad et Medad): l'"esprit" et la "prophétie" (au sens archaïque de "transe" extatique) pourraient déborder un cadre institutionnel; le sacerdoce ou la prêtrise (cohénat), non (à comparer avec Exode 19,6)... ouverture d'un côté, fermeture de l'autre. Cela complique au moins la tâche des lectures modernes soumises à un idéal d'"égalité" ou de "démocratisation" tous azimuts, et à mon sens la difficulté ne se résout pas par l'opposition d'un "privilège" et d'une "fonction" (notions également, quoique diversement, anachroniques), comme cet article tend à le faire.

Pendant qu'on est dans ce chapitre, je signale une curiosité lexicale au v. 30 (qui n'est pas traité dans cette étude, puisqu'il s'agit de Datan et d'Abiram et non de Qoré), intéressante sur le thème de la "création": on trouve une association unique du verbe br' (celui de Genèse 1,1 et du deutéro-Isaïe, entre autres, mais quand même relativement rare) et de son substantif abstrait, beriah, qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans l'AT (hapax legomenon) -- soit, mot-à-mot, "créer une création", au sens contextuel de faire un acte unique, nouveau, inédit, inouï, sans précédent, opposé à un événement ordinaire, bien qu'il s'agisse en l'occurrence d'une destruction... Par ailleurs, ce chapitre rejoindrait aussi la problématique de l'"ordalie" dont nous avons beaucoup parlé (à propos du chap. 5), et de toutes ses notions connexes (divination, malédiction, etc.): c'est encore une "épreuve révélatrice".
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeVen 23 Fév 2024, 15:12

"Toute la communauté parlait de les lapider, lorsque la gloire du SEIGNEUR apparut, à la tente de la Rencontre, devant tous les Israélites. Le SEIGNEUR dit à Moïse : Jusqu'à quand ce peuple me bafouera-t-il ? Jusqu'à quand refusera-t-il de mettre sa foi en moi, malgré tous les signes que j'ai produits en son sein ? Je le frapperai par la peste, je le déposséderai et je ferai de toi une nation plus grande et plus forte que lui ! Moïse répondit au SEIGNEUR : Les Egyptiens ont appris que tu avais fait monter ce peuple d'Egypte par ta force, et ils l'ont dit aux habitants de ce pays. Ils ont appris que, toi, le SEIGNEUR (YHWH), tu es au sein de ce peuple ; que tu apparais face à face, toi, le SEIGNEUR (YHWH) ; que ta nuée se tient au-dessus d'eux ; que tu marches devant eux, le jour dans une colonne de nuée et la nuit dans une colonne de feu. Si tu fais mourir ce peuple comme un seul homme, les nations qui ont entendu parler de toi diront : « Le SEIGNEUR ne pouvait pas faire entrer ce peuple dans le pays qu'il lui avait promis par serment : c'est pour cela qu'il l'a immolé dans le désert ! » Maintenant, que la puissance du Seigneur se montre dans sa grandeur, je t'en prie, comme tu l'as dit : « Le SEIGNEUR est patient et grand par la fidélité, il pardonne la faute et la transgression ; mais il ne tient pas le coupable pour innocent, et il fait rendre des comptes aux fils pour la faute des pères jusqu'à la troisième et la quatrième génération. » Pardonne, je t'en prie, la faute de ce peuple, selon ta grande fidélité, comme tu as pardonné à ce peuple depuis l'Egypte jusqu'ici ! Maintenant, que la puissance du Seigneur se montre dans sa grandeur, je t'en prie, comme tu l'as dit : « Le SEIGNEUR est patient et grand par la fidélité, il pardonne la faute et la transgression ; mais il ne tient pas le coupable pour innocent, et il fait rendre des comptes aux fils pour la faute des pères jusqu'à la troisième et la quatrième génération. » Pardonne, je t'en prie, la faute de ce peuple, selon ta grande fidélité, comme tu as pardonné à ce peuple depuis l'Egypte jusqu'ici !" (Nb 14,10-19).

Moïse "négocie" avec une divinité qui me parait être "sans cervelle", Moïse est obligé de lui rappeler sa promesse, le risque d'entacher sa réputation et la nécessité (pour cette divinité) de se comporter conformément à ce qu'il dit être ... Un Dieu à qui Moïse fait la morale.
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeVen 23 Fév 2024, 16:04

Réflexion profonde, dont la portée ne se limite cependant ni à "Moïse", ni aux Nombres ni à la Torah: si l'on s'amusait à répertorier les "souviens-toi" et "n'oublie pas" des "prières" de la Bible, et des "religions" en général, la liste serait interminable. Cette tendance s'affole toutefois dans le "monothéisme", car un "Dieu" unique, tout-puissant, absolument libre et souverain à chaque instant, ne saurait être entravé par son propre "passé", tenu par ce qu'il aurait dit, fait, promis, juré, etc. Et même sans "Dieu" (plus ou moins "personnel") le même problème se re-poserait de la "relation" de n'importe quel être ou étant "relatif", "fini", à un "absolu" (être, néant, un, tout, temps, espace, etc.). Tarkovski avait magnifiquement illustré cela dans son Solaris, où la planète océan qui renvoie indifféremment, en miroir, à ses visiteurs des incarnations de leur propre passé (et de préférence des souvenirs coupables, honteux, etc., ceux qu'ils préféreraient oublier) ne peut être "apprivoisée", sinon vaincue, que si elle accueille elle-même des bribes de mémoire relative, des êtres finis qui en ont une (mémoire): ainsi la maison d'enfance du protagoniste qui se dessine, à la fin, comme une île habitable dans l'océan. Il n'y a pas de "relation", "relative" par définition, à l'"absolu", telle serait une des formulations possibles de l'aporie qui est tout autre chose qu'un "problème", car sa "solution" relèverait de l'impossible.

En attendant, une "relation à Dieu", comme à n'importe quel "dieu", ne saurait s'exprimer que par les tours, détours et contours d'une relation ordinaire, intersubjective, et même moins qu'ordinaire: avec un "interlocuteur" particulièrement bouché, borné, obstiné, insensible, oublieux, négligent, paresseux, désinvolte, de mauvaise foi ou de mauvaise volonté... Et c'est paradoxalement ce qui fait tout l'intérêt littéraire et dramatique, tragicomique, de la chose.

Dans le détail de la correspondance littéraire, on remarquera que l'intercession de Moïse en Nombres 14 développe encore celles de l'Exode, notamment des chapitres 32--34 (le "veau d'or", à toutes les sauces).
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeLun 26 Fév 2024, 12:44

Sabbat et Nouveau Testament
Paul CALFAYAN

Dans l'Ancien Testament le commandement du sabbat est présent comme un ordre qu'on ne discute pas ; sa violation est punie de mort : Exode 31,13-17 ; Deutéronome 17,6 (rappelé par l'Epître aux Hébreux 10,28 pour la loi en générale). Un exemple est donné en Nombres 15,32-36 : l'homme qui ramassait du bois le jour du sabbat.  Cet épisode ne manque pas de sel, le contrevenant est capturé, mais on ne sait pas quelle peine lui infliger, la peine de mort prévue dans ce cas (Exode 31,15)  semblant ignorée par Moïse et Aaron.  L'Eternel est consulté et ordonne la mort par lapidation. 

https://www.academia.edu/18151740/Sabbat_et_Nouveau_Testament
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeLun 26 Fév 2024, 13:04

Sur le sabbat en général, voir ici. Sur le caractère circonstanciel (et/ou le contexte narratif) des lois qui est un trait plus particulier des Nombres (l'exemple le plus marquant étant, aux chap. 27 et 36, l'affaire des filles de Tselophhad qui conduit à la correction en deux temps de la loi existante; il faut un récit, même sommaire, pour introduire et justifier une nouvelle loi, ou la révision d'une ancienne), on peut revoir les textes de Römer cités tout au début de ce fil (ici, § 67ss)...

Sur les contradictions que ça entraîne dans l'ensemble de la Torah (livre et loi) on peut noter, tout d'abord, qu'elles ne semblent guère avoir préoccupé les derniers compilateurs ou éditeurs qui étaient encore des rédacteurs et pas seulement des copistes (encore que la frontière entre ces deux dernières catégories soit toujours poreuse): qu'ils les aient remarquées ou non, ils n'ont pas tellement cherché à les éliminer, sans quoi il y en aurait moins, ou les "gloses harmonisantes" seraient bien plus nombreuses qu'elles ne sont. Ensuite, que même si la fin du Lévitique (à partir du chap. 17) et les Nombres rassemblent bien d'ultimes ajouts à la Torah (sur le mode bric-à-brac ou fonds de tiroirs), entre le premier livre du Lévitique et le Deutéronome, ces ajouts, de provenance ancienne ou d'invention récente, n'ont pas été originellement conçus pour coexister avec des textes divergents, y compris ceux dont ils s'inspiraient le cas échéant: on retrouve ici ce qu'on a observé dans la quasi-totalité des textes dits "parallèles" (Samuel-Rois / Chroniques, évangiles, mais aussi les innombrables "doublets" narratifs, législatifs ou autres), et par là même susceptibles de se contredire: personne ou presque n'a voulu qu'une contradiction se voie; celui qui écrivait une "variante" d'un texte connu entendait bien avoir le dernier mot, que sa variante seule subsiste, qu'elle devienne l'histoire ou la loi tout court: c'est la tradition ultérieure et la canonisation finale qui ont consacré bon gré mal gré la différence des textes, laquelle ne répond à l'"intention" d'aucun "auteur", même pas celle des derniers rédacteurs...
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeLun 26 Fév 2024, 17:07

"Si c'est une seule personne qui a péché par erreur, elle présentera une chèvre d'un an en sacrifice pour le péché. Le prêtre fera l'expiation sur l'égaré qui a péché par erreur devant le SEIGNEUR ; quand il aura fait l'expiation sur lui, il lui sera pardonné. Pour ce qui est fait par erreur, il y aura une même loi pour l'autochtone parmi les Israélites et pour l'immigré qui séjourne au milieu d'eux. Mais si quelqu'un parmi les autochtones ou parmi les immigrés agit d'une manière délibérée, il injurie le SEIGNEUR ; celui-là sera retranché du sein de son peuple : il a méprisé la parole du SEIGNEUR et il a violé son commandement ; celui-là sera retranché, sa faute est sur lui" (Nb 15,27-31).

L'article ci-dessous concerne le Lévitiques, Nombres 15 a-t-il un rapport avec ce texte ? 



La confession des péchés dans les lois sur les sacrifices

1. Péché involontaire

Pécher involontairement, c’est d’abord accomplir quelque chose « contre l’un des commandements de l’Eternel en faisant des choses qui ne doivent pas se faire » (Lv 4.1, etc.). Les « commandements » sont soit prohibitifs (ne pas faire ceci), soit permissifs (faire cela).  En ce qui concerne les commandements permissifs, négliger de mettre en œuvre tel ou tel commandement ne nécessite pas une expiation, car il n’y a pas de souillure du sacré puisqu’il n’y a pas d’acte constituant une impureté. Dans ce cas, le péché n’affecte que la personne. En revanche, agir contre un commandement prohibitif, c’est-à-dire faire quelque chose qu’il ne faut pas faire, est un acte qui provoque une souillure (tame’/timme’ ; par exemple 5.3 ; 7.20-21 ; 14.19) ou même une profanation (hol/hillel ; par exemple 19.8 ; 20.3 ; 21.12 ; 22.15) des choses saintes.

Pécher involontairement est parfois nuancé par l’expression « s’en apercevoir plus tard » (cf. 5.3, 4). Ceci ne veut pas dire que la personne n’est pas consciente de son acte. Elle peut connaître la loi et agir contre elle involontairement (par exemple toucher par inadvertance un cadavre ou tuer quelqu’un accidentellement). Elle peut aussi agir sans savoir qu’elle a violé un commandement. Elle ne s’aperçoit de sa culpabilité qu’ultérieurement (cf. les exemples rituels 1S 14.32-34 ; Ez 45.20 et, hors du domaine du rite, 1S 26.21 ; Pr 5.22-23).

Ce genre de péché est l’objet de lois sur le sacrifice d’expiation (hatta’t ; litt. « sacrifice pour le péché ») et le sacrifice de culpabilité (’asham) offerts par quelqu’un qui pèche « involontairement » (4.2, 13, 22, 27 ; 5.15, cf. aussi v. 4 « sans y avoir prêté attention d’abord », v. 18 « sans le savoir »). Poussée par la mauvaise conscience, ou se sentant coupable, une personne se rend compte après coup que l’acte constitue un péché, une impureté ou que le délai pour la purification d’une souillure est dépassé.  

Les péchés involontaires doivent être expiés (kipper) par le sang. S’il s’agit de quelqu’un du peuple (4.27), l’expiation pour son péché est faite sur l’autel des holocaustes situé dans le parvis. S’il s’agit du péché d’un prêtre (4.3) ou d’un dirigeant (4.13), l’expiation est faite  sur l’autel des parfums dans le lieu saint, devant le voile. Autrement dit, l’impureté souille l’autel et celui-ci doit être purifié par le sang appliqué par le prêtre. Le sang est comme un détergent qui fait partir la saleté au lavage. Il n’y a pas d’impureté personnelle comme dans le cas de l’impureté physique. La formule de conclusion est : « C’est ainsi que le prêtre fera pour [en faveur de, au nom de] cet homme et le pardon lui sera accordé. » (4.20, 26, 31, 35)

S’il s’agit d’une impureté physique à cause des écoulements du sang ou de la lèpre, la personne doit être purifiée par un sacrifice d’expiation. La conclusion du rite est la suivante : « Le prêtre fera expiation pour [en faveur de, au nom de] elle et elle sera pure [de taher]. » (12.6, 8 ; 14.9, 20) Il n’y a pas de péché qui souille l’autel, il n’y a donc pas besoin de pardon. Tous les versets sur le sacrifice d’expiation montrent clairement que celui-ci est plutôt un sacrifice de purification ou, mieux, de « purgation » de l’autel.

La « purge » des péchés involontaires est effectuée au moyen du sang du sacrifice d’expiation. La manipulation rituelle du sang est de la responsabilité des prêtres et explique que cette question soit traitée dans les lois lévitiques. Le sang de ce sacrifice est mis par le prêtre sur l’autel afin de le purger. Ainsi la purgation enlève la souillure d’une chose sainte. La personne qui a commis ce péché sera pardonnée (Lv 5.25, 26 ; cf. 4.31). Elle sera pardonnée pour avoir souillé l’autel et de sa faute. Le pardon, prononcé par le prêtre, est accordé de la part de l’Eternel.

https://larevuereformee.net/articlerr/n261/la-confession-des-peches-dans-les-lois-sur-les-sacrifices#:~:text=1.,soit%20permissifs%20(faire%20cela).
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeLun 26 Fév 2024, 18:11

Cette question me rappelle un souvenir, d'un TdJ original au début des années 1970, qui dans une "étude de livre", à l'époque assez "informelle", avait eu une formule que je n'ai jamais oubliée: "Que celui qui n'a jamais péché volontairement me lance la première pierre"... Elle avait suscité une réprobation immédiate, mais aussi une réflexion seconde, parce qu'au fond on ne pouvait rien lui opposer. S'effondrait ainsi, par une simple boutade et un grain d'honnêteté, la distinction présumée entre le "volontaire" et l'"involontaire".

Que nos conceptions modernes, psychologiques ou psychanalytiques, de "volonté" ou d'"intention", éventuellement opposables à un "désir inconscient", n'aient qu'un rapport lointain avec des textes anciens, sacerdotaux et rituels, on le devine aisément; ils ne peuvent servir de critère d'interprétation que de façon anachronique et arbitraire, comme on le voit quand le commentateur (ici R. Bergey) se croit obligé de distinguer entre "péché" et "péché" (ht't etc.), ce qu'à l'évidence les textes ne font pas...

Reste que les Nombres semblent en effet, dans la ligne du prophétisme "moral" (Amos, Osée, Isaïe, etc.), tenter de limiter la portée du rituel sacerdotal qui ne "purifie", n'"expie" ou ne règle pas tout... La notion d'"erreur", d'"errance", d'"égarement" (shegaga > šgh, cf. le meshouga qui est passé dans l'argot judéo-américain, le fou, l'insensé, l'égaré), commune au Lévitique (4,2.13.22.27; 5,15.18; 22,14) et aux Nombres (15,22-29; 35,11.15; cf. encore Josué 20,3.9), s'oppose en effet à un "à main levée" (Nombres 15,30; la même formule, b-yd rmh, s'applique aussi aux actes spectaculaires de Yahvé pour la délivrance d'Israël, cf. 33,3 // Exode 14,30 etc., mais l'élévation caractérise aussi l'orgueil, la puissance, la fierté, la victoire, en bonne et en mauvaise part); cela ne recouvre sans doute pas exactement ce qu'on entend par "involontaire" et "volontaire", si tant est qu'on sache exactement ce qu'on entend par là. Le fait qu'une "confession" soit impliquée dans la résolution rituelle des fautes, tant dans les Nombres (5) que dans le Lévitique (4--5), s'opposerait plutôt à ce critère: que pourrait-on confesser sinon ce qui a été, à un certain degré, un acte "conscient" et "volontaire" ?

Sur l'épître aux Hébreux, voir ici (où j'avais déjà rapporté l'anecdote répétée au début de ce post). Par-delà l'exégèse, il faut rappeler combien cette distinction du volontaire, de l'intentionnel, voire du "conscient" de leurs "contraires" a déterminé toute notre "civilisation", en aggravant, en dramatisant, en rendant impardonnable l'assomption lucide par un "sujet" de ses actes et en favorisant par contraste l'"inconscience", l'"erreur" ou l'"ignorance" comme alibis (exemplairement Romains 7: je ne fais pas ce que je veux, ce n'est pas moi qui le fais). Il ne faut pas s'étonner qu'après des millénaires d'un tel régime nous ayons l'"inconscient" chargé, et une "conscience" lâche, hypocrite, habile à donner le change et à s'illusionner elle-même...
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMar 27 Fév 2024, 11:52

Citation :
Cette question me rappelle un souvenir, d'un TdJ original au début des années 1970, qui dans une "étude de livre", à l'époque assez "informelle", avait eu une formule que je n'ai jamais oubliée: "Que celui qui n'a jamais péché volontairement me lance la première pierre"... Elle avait suscité une réprobation immédiate, mais aussi une réflexion seconde, parce qu'au fond on ne pouvait rien lui opposer. S'effondrait ainsi, par une simple boutade et un grain d'honnêteté, la distinction présumée entre le "volontaire" et l'"involontaire".



La question du "péché involontaire" m'avait (également) beaucoup interrogé lors que j'étais TdJ, je me demandais comment pouvait-on distinguer un "péché volontaire", de celui "involontaireShocked ... La TdG ci-dessous indique que le "péché involontaire" se caractériserait par le fait d'être la conséquence de l'"imperfection"  (Tout comme le "péché volontaire" Shocked ).


La “ faute ” (ʽawon) peut être intentionnelle ou involontaire ; elle peut être une déviation consciente de ce qui est droit ou un acte inconscient, une “ erreur ” (sheghaghah) qui rend néanmoins la personne responsable d’une faute et donc coupable devant Dieu (Lv 4:13-35 ; 5:1-6, 14-19 ; Nb 15:22-29 ; Ps 19:12, 13). Si donc la faute est volontaire, elle a bien sûr des conséquences beaucoup plus graves que si elle est faite par erreur (Nb 15:30, 31 ; voir aussi Lm 4:6, 13, 22). La faute s’oppose à la vérité, et ceux qui pèchent de plein gré dénaturent la vérité, façon d’agir qui ne fait qu’engendrer des péchés plus graves (voir Is 5:18-23). L’apôtre Paul parle du “ pouvoir trompeur du péché ” qui endurcit le cœur des humains (Hé 3:13-15 ; voir aussi Ex 9:27, 34, 35). Citant Jérémie 31:34, où l’original hébreu parlait de la “ faute ” et du “ péché ” d’Israël, il employa hamartia (péché) et adikia (action injuste) en Hébreux 8:12, et hamartia et anomia (illégalité) en Hébreux 10:17.

https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1200004132?q=p%C3%A9ch%C3%A9+involontaire&p=par


Toutefois, cela ne veut pas dire que lorsqu’ils sont sur la terre les chrétiens oints ne pèchent jamais. Étant dans la chair, comme tous les humains, ils sont toujours imparfaits et, par conséquent, ils pèchent. Ils peuvent même commettre des péchés très graves. Jacques, disciple chrétien et un des rédacteurs de la Bible, qui avait sans aucun doute reçu l’onction, écrivit : “Tous, nous trébuchons bien des fois. Si quelqu’un ne trébuche pas en parole, celui-là est un homme parfait.” (Jacq. 3:2 ; 2:5). Il semble que c’est à ce genre de péché involontaire, conséquence de l’imperfection, que l’apôtre Jean pensait quand il parla d’un péché qui ne fait pas encourir la mort”. (I Jean 5:16.) En effet, Dieu peut pardonner de tels péchés involontaires. Jean écrivit encore : “Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute injustice.” — I Jean 1:9.

https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1976167?q=p%C3%A9ch%C3%A9+involontaire&p=par
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMar 27 Fév 2024, 12:27

Pour rappel, la Watch a remplacé la notion chrétienne classique de "péché" (qui est elle-même hybride, mélange d'"impureté" rituelle et de "faute" morale, sous la double influence des courants sacerdotaux et prophétiques de l'AT), généralisée en "péché originel" et "héréditaire" depuis saint Augustin sous l'influence de Paul, par celle, moderne et technique, d'"imperfection" (copie défectueuse, machine détraquée, etc.) -- sans aucun rapport avec la façon dont les vieilles traductions de la Bible parlaient parfois de "perfection", pour teleios etc., "accomplir", "achever", soit comme idéal moral accessible ici et maintenant (Matthieu, où l'on doit être "parfait"), soit comme figure de la mort qui débouche du temps sur l'éternité, selon l'allégorie de l'ordination des prêtres d'après la Septante dans l'épître aux Hébreux: dans ce dernier contexte le Christ lui-même devait devenir "parfait", justement par sa mort... Cf. p. ex. ici 24.7.2013). C'est un déplacement sémantique, symbolique et imaginaire important (on ne se pense pas "imparfait" comme on se pense "pécheur"), mais à mon avis il n'affecte guère la différence dont nous parlions, "fait exprès" / "pas fait exprès", qui elle-même se décline en toute sorte de nuances: volontaire, intentionnel, délibéré, prémédité, sciemment, consciemment, en connaissance de cause, et tous leurs "contraires", involontaire, accidentel, fortuit, inconscient, ignorant, etc... Sur les effets psychosociaux de cette problématique, qui ne se limitent ni au jéhovisme ni au christianisme, cf. la fin de mon post précédent.
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMar 27 Fév 2024, 13:11

Théologie et anthropologie
L’exemple de l’étude du sacrifice dans la Bible hébraïque

29Au total, le sacrifice semble hanter les textes du Pentateuque bien plus que l’on aurait pu le penser. Et cela est encore plus vrai si l’on prend en compte certains épisodes qui, sans être désignés comme tels, entrent en fait dans une logique sacrificielle. J’en donnerai un seul exemple : les textes relatifs à l’origine de la caste sacerdotale des lévites. À la suite de l’épisode du veau d’or, ce sont eux (entendons : les membres de la tribu de Lévi) qui répondent à l’appel de Moïse aux « tenants de Yahvé » et se livrent à sa demande à un massacre d’Hébreux infidèles qui fera 3000 victimes. Moïse désigne alors explicitement ce bain de sang comme l’origine du sacerdoce des lévites : « Vous vous êtes aujourd’hui donné l’investiture comme prêtres de Yahvé, qui au prix de son fils, qui au prix de son frère, de sorte qu’il vous donne aujourd’hui la bénédiction (Ex 32, 27-29). » Voilà qui est clair… Mais bien des questions demeurent : qu’est-ce qui qualifie les lévites dans leur fonction sacerdotale ? Est-ce leur retour précoce à la fidélité à Yahvé ? Est-ce le bain de sang qu’ils accomplissent, comme le dit Moïse, mais en quoi est-il une épreuve qualifiante ? À moins qu’il ne s’agisse d’un sacrifice (dépourvu, dans ce cas, de tout caractère rituel) ?

30La question rebondit, dans le Livre des Nombres (Nb, III, 12-13), avec l’idée que chaque lévite correspond à un premier né qui, selon la règle posée par Yahvé au moment de l’exode, doit lui être consacré : (Yahvé s’adresse à Moïse) « Vois. Moi j’ai choisi les Lévites au milieu des enfants d’Israël, à la place de tous les premiers-nés, de ceux qui chez les enfants d’Israël ouvrent le sein maternel ; ces Lévites sont donc à moi. Car tout premier né m’appartient. Le jour où j’ai frappé tous les premiers-nés en terre d’Egypte, je me suis consacré tous les premiers-nés en Israël, depuis ceux des hommes jusqu’à ceux du bétail. Ils sont à moi ; je suis Yahvé. »

31Concernant le bétail, on peut supposer que la consécration n’est autre qu’un sacrifice sanglant. Celle d’un premier né humain doit-elle être de la même façon un sacrifice ? Quel sera alors, en l’absence d’une mise à mort réelle, son équivalent symbolique ? Cette dernière question a pour réponse l’obligation pour chaque famille dotée d’un fils d’entretenir un lévite (la tribu des Lévites étant dépourvue de terres et donc de ressources). En ce sens, il y a quelque chose de sacrificiel (au moins d’oblatif) dans les dépenses que cela occasionne. Une autre conséquence est que, de par sa vocation à Dieu, chaque lévite est déjà lui-même une victime sacrificielle, un être symboliquement mort – ce qui explique peut-être qu’il n’ait plus à redouter la mort qui frappe ceux qui s’approchent trop de Yahvé à travers le culte 10 (10 Voir à ce propos dans Nombres 16, l’épisode de Coré, Dâtan et Abiran (étudié dans Albert, Bonnet, 2010).

32Ces épisodes confus semblent donc offrir, en fin de compte, une théologie du sacerdoce qui croise la question du sacrifice sans l’expliciter pour elle-même. Ils ouvrent aussi la perspective d’une théologie sacrificielle du sacerdoce que le christianisme saura à sa manière développer à propos, surtout, du monachisme.

https://journals.openedition.org/assr/46698?lang=it#bodyftn10
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMar 27 Fév 2024, 14:33

Cette étude qui concerne, bien au-delà (du livre) des Nombres, le thème du "sacrifice" et nombre d'autres thèmes connexes (sacerdoce, temple, rituel, etc.) rejoint aussi ce que nous avons remarqué ici et ailleurs sur le caractère destructeur, sacrificiel ou meurtrier, des nombres et du langage en général: tout ce qui est nommé d'un nom commun voit ipso facto sa singularité abolie et devient par là même quantifiable, mesurable, comptable, calculable, comparable, estimable ou appréciable à un certain prix, échangeable: une "chose", un "être" ou un "étant", une "vie" en vaut un(e) autre (talion, rançon, rédemption), ou des milliers d'autres, au prix d'un marché qui finit toujours par se traduire en "argent", du métal précieux à la monnaie nominale et fiduciaire, moyen et symbole même de l'échange infini de tout en et contre tout. Cela n'a rien de spécifiquement biblique, ni juif, ni judéo-chrétien: ce qui a été une antienne de l'antisémitisme est un trait commun de l'"humanité" d'aussi loin qu'on la connaisse, dans toutes ses "civilisations" plus ou moins "développées", et s'accompagne d'un malaise coextensif au calcul: le vrai n'est jamais juste, aussi au sens où le "réel" ne tombe pas juste, ne se traduit pas sans "reste" en symbole ou en image, en noms et en nombres; ça "pèche" toujours quelque part, par excès ou par défaut, ça diffère; et dès lors le juste n'est pas vrai, tout le factuel est factice et fictif, le faux est indémêlable de toute "vérité" et de toute "justice", ou "justesse"...

P.S.: L'article de J.P. Albert, que j'ai pris le temps de lire après cette première réaction à ton extrait, mérite le détour, ne serait-ce que pour mesurer l'extraordinaire embarras où se trouve aujourd'hui toute "anthropologie", discours ou science de "l'homme" sur "l'homme", condamnée à s'empêtrer indéfiniment dans la tautologie, l'autisme ou l'idiotie (au sens étymologique et non spécialement pathologique de ces termes: discours et sciences du même sur le même, autos, idios...), ne s'en donnant que l'illusion d'en sortir par la pirouette ou la contrebande d'une "im-posture" (en faisant comme si le discours sur "l'homme" était celui d'un "sujet" sans subjectivité, autre que "l'homme")... En l'espèce, la démonstration d'autant plus convaincante qu'elle est exceptionnellement brillante, fine et prudente. En ce qui concerne son thème ou son objet même, le "sacrifice", la circularité du propos tient au geste initial qui le détermine: qu'est-ce qui différencie un "sacrifice" et toute la métonymie qu'il engage d'une autre "offrande" rituelle (non sanglante, végétale p. ex.), ou d'un don quelconque, à un inférieur (aumône) ou à un supérieur (impôt du roi ou dîme du prêtre, tribut du vassal au suzerain, pot-de-vin à un juge, etc.), d'un échange ou d'une transaction réputés "profanes", ou encore d'une mise à mort judiciaire, guerrière, toutes choses qui peuvent aussi avoir une dimension "sacrée" ?
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMer 28 Fév 2024, 13:45

Le bâton d'Aaron

"Le SEIGNEUR dit à Moïse : Parle aux Israélites ; demande-leur un bâton par famille, un bâton à chacun de leurs princes, famille par famille, soit douze bâtons. Tu écriras le nom de chacun sur son bâton. Tu écriras le nom d'Aaron sur le bâton de Lévi : il y aura un bâton pour chaque chef de famille. Tu les déposeras dans la tente de la Rencontre, devant le Témoignage, là où je vous rencontre. L'homme que je choisirai, son bâton bourgeonnera ; ainsi je ferai en sorte que les Israélites cessent de maugréer contre vous. Moïse parla aux Israélites ; tous leurs princes lui donnèrent un bâton, chaque prince un bâton, famille par famille, soit douze bâtons ; le bâton d'Aaron était au milieu de leurs bâtons. Moïse déposa les bâtons devant le SEIGNEUR, dans la tente du Témoignage. Le lendemain, lorsque Moïse entra dans la tente du Témoignage, le bâton d'Aaron, pour la maison de Lévi, avait bourgeonné : il avait produit des bourgeons, donné des fleurs et fait mûrir des amandes. Moïse retira tous les bâtons de devant le SEIGNEUR et les montra à tous les Israélites ; ils les virent, et chacun reprit son bâton. Le SEIGNEUR dit à Moïse : Rapporte le bâton d'Aaron devant le Témoignage, afin qu'il soit conservé comme un signe pour les rebelles. Tu les empêcheras ainsi de maugréer contre moi, et ils ne mourront pas. 26Moïse fit ce que le SEIGNEUR lui avait ordonné ; ainsi fit-il" ( Nb 17,16-26).

(Un extrait juste pour cette partie) :

Immédiatement après la révolte de Coré, d'après le livre des Nombres, le Seigneur jugea bon de confirmer de façon éclatante l’élection d’Aaron au sacerdoce en faisant fleurir et fructifier son bâton 1, qui avait été déposé dans le sanctuaire en même temps que celui des onze autres chefs de tribu. Selon une tradition dont fait état l’épître aux Hébreux, le bâton du premier grand-prêtre aurait été conservé par la suite dans l’arche d’alliance (Héb., ix, 4).

1 En son sens premier, l’hébreu, mattèk a peut-être désigné, comme le grec (...) et le latin (...), un morceau de bois flexible (rameau, baguette). Mais par extension, ces trois mots ont également servi à désigner n ’importe quelle espèce de bâton (même plus gros et rigide), en particulier les « bâtons de commandement », les sceptres des chefs de tribu. C’est probablement de ceux-là qu’il s’agit ici, et c ’est pourquoi nous parlerons du « bâton » d’Aaron. La traduction de la Bible de Jérusalem, « rameau », ne convient guère : les mattôt en question sont certainement assez gros, car Moïse doit pouvoir y « écrire», — c’est-à-dire sans doute y graver, -— les noms des chefs de tribu.

D’après le texte hébreu, les fruits portés par le bâton d’Aaron étaient des amandes. Mais la Septante, suivie par les anciennes versions latines, parle de « noix », et Ambroise considère toujours qu’il s’agissait d’une branche de noyer.

I I . La tradition patristique

Philon a commenté la floraison du bâton d’Aaron dans son traité Sur la vie de Moïse. Il commence par expliciter la leçon qui ressort du prodige : le choix d’Aaron comme grand-prêtre avait Dieu pour auteur, et nul homme ne peut s’arroger, de sa propre autorité, le droit de célébrer les rites sacrés. 

https://www.brepolsonline.net/doi/pdf/10.1484/J.REA.5.104394
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMer 28 Fév 2024, 15:00

Tout l'article est intéressant à lire (je ne sais pas de quand il date, les références s'arrêtent en 1978), pour se faire une idée des interprétations "allégoriques" et des jeux d'intertextualité qu'un passage comme celui-ci a pu susciter de Philon aux Pères de l'Eglise, grecs et latins... On rappellera que les indications botaniques et zoologiques (flore et faune) de l'hébreu biblique relèvent souvent de la devinette, non seulement pour nous mais déjà pour les premières traductions, grecques ou latines -- d'où le flottement entre amandier, noyer, etc. qui permet selon le cas des rapprochements textuels différents. On notera aussi que la récupération catholique, cléricale, de la notion de sacerdoce, des "prêtres" (kohen, kohanim, hiereus, hiereis) de l'AT aux "presbytres" devenus "prêtres" dans de nombreuses langues "chrétiennes" (à partir des presbuteroi = "anciens" en grec, qui n'avaient rien de "sacerdotal"), qui semble aller de soi pour Gryson est bien moins évidente dans les textes patristiques qu'il commente: là ce sont généralement tous les "chrétiens" qui sont des "prêtres" (hiereis, sacerdotes), de sorte qu'une lecture "protestante", quoique anachronique, selon la doctrine du "sacerdoce universel", s'y retrouverait aussi bien...

Le chapitre 17 des Nombres semble faire quelque peu double emploi avec le précédent (Coré etc...), mais dans le détail c'est plus complexe: au chapitre 16 la cible de la rébellion oscillait entre Moïse et Aaron, et le conflit semblait partiellement interne aux "lévites" (dont Coré était censé faire partie, mais pas Datan ni Abiram: on pourrait aussi parler de la position variable de Ruben, premier-né diversement déchu depuis la Genèse...); au chapitre 17 "Aaron" et "Lévi" se confondent sur le même bâton-tribu (le mot traduit par "tribu" signifie aussi "bâton"), ce qui ne trancherait pas vraiment une controverse intra-lévitique ou intra-sacerdotale. Comme plusieurs articles mentionnés ci-dessus l'ont rappelé, la légitimité du sacerdoce et du clan sacerdotal dominant a été un débat quasi continuel tout au long de la période dite du "Second Temple", de sorte qu'on ne peut qu'imaginer les enjeux originels de tels textes, qui ont d'ailleurs changé d'une lecture, d'un clan et d'une génération à l'autre. Par ailleurs, on retrouve aussi bien au chapitre 17 qu'au 16 quelque chose qui se rapproche de l'"ordalie" et de la "divination", une "épreuve-signe" qui produit rituellement un "savoir" ou une "vérité" par un événement, en l'occurrence miraculeux...
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMer 28 Fév 2024, 15:48

Je passe de la faute involontaire, à l'homicide involontaire ... Nombres 35,16-28 décrit des cas d'homicide intentionnel et involontaire et les villes de refuges.

"Mais si un homme pousse son prochain fortuitement et non par hostilité, s'il jette un objet quelconque sur lui sans préméditation, s'il fait tomber sur lui par mégarde une pierre qui peut causer la mort, et que la mort s'ensuive, alors qu'il n'était pas son ennemi et qu'il ne cherchait pas à lui faire du mal, la communauté jugera, d'après ces règles, entre celui qui a frappé et le rédempteur du sang. La communauté délivrera donc le meurtrier de la main du rédempteur du sang. La communauté le fera retourner dans la ville de refuge où il s'était enfui. Il y restera jusqu'à la mort du grand prêtre qui a reçu l'onction d'huile sacrée. Si le meurtrier sort des limites de la ville de refuge où il s'est enfui et que le rédempteur du sang le trouve hors des limites de la ville de refuge, si le rédempteur du sang tue le meurtrier, il ne sera pas coupable de meurtre. Car le meurtrier doit rester dans sa ville de refuge jusqu'à la mort du grand prêtre ; après la mort du grand prêtre, le meurtrier pourra revenir dans sa propriété" (Nb 35,22-28).

Autour de la peine de mort : quel héritage chrétien ?
Alberto Bondolfi

Aussi la loi du talion doit-elle être interprétée dans ce contexte spécifiquement théologique. Elle ne doit pas être perçue comme expression de cruauté aveugle, mais bien au contraire comme stage d’humanisation de la vengeance qui s’autolimite, ne répliquant pas de façon démesurée, mais prenant le mal fait à la victime comme mesure ou poids de référence. La loi du talion permet aussi une application individualisée, car elle interdit de châtier des personnes innocentes du clan adverse.

Le principe de culpabilité inviolable commence à entrer dans les mœurs et dans les mentalités [8] (Voir les textes parallèles de Dt 19, 21 et Ex 21, 23-25..) Pour éviter d’autres abus de la peine de mort, sans se soustraire au principe de la vengeance de sang, on introduit aussi une sorte de droit d’asile (qui nous rappelle la règle de quelques peuples nomades, qui accueillaient des persécutés « sous la tente ») et de fuite dans des villes-refuges [9] (Voir comme exemple 1 R 1, 50-53 et 1 R 2, 28-35..). 

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2007-3-page-9.htm
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeMer 28 Fév 2024, 17:32

Malgré les différences de contexte et de vocabulaire tu fais bien de souligner, d'un système "rituel" à un système "pénal" dont les frontières mêmes sont floues et poreuses, la continuité de cette notion ambiguë, vague par in-définition, d'in-volontaire, in-démêlable d'un in-conscient, avant comme après Freud.

Le texte de Bondolfi (2007) que tu cites suscite en moi des sentiments contrastés mais forts: il me rappelle comment, au seuil de l'adolescence, entre les débats sur la peine de mort qui agitaient mon lycée au début des années 1970, et ce que je lisais en même temps dans la Bible et spécialement dans la Torah-Pentateuque, la question de la peine capitale était devenue pour moi brûlante, quoique théorique puisqu'elle ne me concernait pas directement... J'étais "indigné", bien avant que le mot ne soit à la mode, par l'idée d'un Dieu qui prescrivait la peine de mort, paradoxalement encore plus quand il ne la prescrivait pas (je trouvais le scandale suprême dans le texte de l'Exode qui épargnait le maître quand l'esclave battu survivait un jour ou deux à ses coups, "parce que c'est son argent")... Mais entre-temps j'ai appris aussi à me méfier de l'idée de "progrès moral" qui est au fond commune au christianisme et à ses suites "modernes", fussent-elles athées, antireligieuses et antichrétiennes; avec une aversion particulière pour un christianisme et un humanisme qui blâment aujourd'hui d'une seule voix la peine de mort après l'avoir si longtemps justifiée, et qui sont toujours prêts à la justifier au nom d'une police sécuritaire ou d'une guerre juste. Il est temps que ça s'arrête, car même si je rencontrais un salaud caractérisé, fût-ce dans un miroir, je ne serais plus en mesure de le condamner...

La législation, probablement en grande partie fictive, des "villes de refuge" a beaucoup inspiré les philosophes, de Levinas à Derrida: d'un point de vue historico-critique on pourrait dire qu'elle prend la relève, au plan de l'imaginaire, du "droit d'asile" associé à de nombreux sanctuaires, quand il y avait partout des sanctuaires (hauts-lieux, autels, etc.). Le temple unique devenant inaccessible, a fortiori pour une diaspora, on ne pouvait plus se réfugier que dans l'imaginaire, dans une géographie ou une topographie de l'imaginaire: des lieux de la "terre sainte" (cf. Deutéronome 4,41ss; 19; Josué 20) au "ciel" ou au "là-bas", ekei, du néo-platonisme de Plotin, il y avait toujours quelque part, plus loin, un ailleurs où l'on pouvait se croire sauf...
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeJeu 29 Fév 2024, 12:00

La nature juridique du sang
Jean-Pierre Baud

Pour en finir avec la vengeance du sang

5La Bible permet de bien situer le parcours, en fait banal pour l’historien du droit, qui conduit de la vengeance privée à cette justice qu’on dira un jour étatique. L’originalité des textes bibliques tient à la justification d’un châtiment réclamé d’abord par le sang, approuvé par Dieu et justifiant enfin une aveugle vengeance familiale. Il n’est pas inutile de relire le fameux récit du meurtre d’Abel, car on y voit que si Dieu intervient c’est pour répondre à l’appel du sang versé qui « crie vengeance » (Gn. iv, 10). La vengeance privée obtenait ainsi une justification divine. Elle fut d’abord comprise comme étant sans limites, et c’est pourquoi Lamek hurlait qu’il avait « tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure » et que, si on le tuait, il serait vengé soixante-dix-sept fois (Gn. iv, 23-24). Même si, dans l’alliance après le Déluge, Dieu, après avoir revendiqué le sang en l’identifiant  à l’âme2, limite au sang du meurtrier la vengeance du sang de la victime (Gn. ix, 6), la première véritable entrave à la vengeance privée sera la loi du talion (Ex. xxi, 23-25) – celle-ci exigeant une vengeance proportionnée à l’offense3.

6Mais un problème majeur subsistait : la vengeance du sang étant la sanction d’une faute sacrée, elle ne prenait absolument pas en compte l’intention du meurtrier. Dans la conception sacrale, toute effusion de sang constitue une faute. Si l’écoulement de sang a une cause physiologique (par exemple, les règles de la femme), c’est une faute mineure, sanctionnée par des rites de purification, des offrandes et des sacrifices (lv. xv, 19-30). Mais si le sang est versé du fait d’un homicide, il doit être vengé même si l’homicide est involontaire : le plus proche parent de la victime devient son vengeur du sang, et a l’obligation de tuer le meurtrier involontaire. Avec le temps, cette règle absolue, imposée par Dieu de la façon la plus radicale, parut difficilement acceptable au peuple hébreu. Que faire, alors ?

7Nous arrivons là à ce qui, à mon sens, est la situation la plus cruciale des textes bibliques. Dieu a déclaré qu’il fallait tuer le meurtrier involontaire. Mais – mettons-nous à sa place – il ne peut pas se dédire et reconnaître qu’il a eu tort. Il crée donc des villes de refuge où les meurtriers involontaires ont droit d’asile et peuvent faire l’objet d’un procès. Les meurtriers innocentés ne doivent pas sortir de la ville car ils sont alors susceptibles d’être tués par le vengeur du sang, qui reste investi de sa mission divine (Nb. xxv, 9-34 ; Dt. xix, 1-13 ; Jos. xx). Les contradictions des textes bibliques témoignent d’une évolution de la conscience humaine qui, lentement, a substitué la faute morale, pouvant parfois être sanctionnée pénalement, à la faute sacrée, pour laquelle seule compte la matérialité de la transgression. C’est pourquoi le passage biblique qui décrit le mieux ce qu’est un homicide involontaire (Nb. xxv, 9-34), et par quelle procédure on doit l’établir, se termine cependant, à propos de la mise à mort du meurtrier involontaire qui s’est échappé de la ville de refuge, par le rappel de la faute sacrée du sang versé et de l’aveugle rigueur de sa sanction4 : « C’est le sang qui profane le pays et il n’y a pour le pays d’autre expiation du sang versé que par le sang de celui qui l’a versé. »

8Finalement, la royauté fera apparaître ce que nous pensons être la justice pénale. Dans une sombre histoire de séduction et d’inceste, Absalom décide de tuer Amnon : préméditation, guet-apens, tout y est. La mère d’Absalom va demander au roi David de protéger son fils unique contre le vengeur du sang. David juge qu’Absalom doit échapper à celui-ci, et sa peine sera, en quelque sorte, celle des « arrêts de rigueur » : il doit se retirer chez lui (II S. xiii et xiv)… On entre alors dans le monde de la justice des hommes, celle d’hommes pieux qui ont eu la délicatesse de l’attribuer à Dieu5.

https://journals.openedition.org/terrain/14200
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeJeu 29 Fév 2024, 14:05

Merci pour ce texte, surtout intéressant dans sa partie non "biblique", qui montre toute la difficulté de distinguer dans le "sang" le mot et la chose, le réel, le symbolique et l'imaginaire, le propre et le figuré, le concret et l'abstrait, mais aussi le sacré, le juridique et le moral, le rituel, le magique, le pénal, le scientifique ou le technique. On peut toujours trancher et tracer des frontières, ce n'en sera pas moins "arbitraire". L'illustration du jéhovisme, sur la question précise des transfusions sanguines, eût été bienvenue...

Sur la partie "biblique", je remarque surtout que des mots-concepts comme "vengeance" tendent à se lire même là où ils ne sont pas écrits: en Genèse 4 par exemple le sang (en hébreu au pluriel, comme souvent pour le sang répandu, l'effusion de sang) crie, mais il n'est pas écrit qu'il "crie vengeance", c'est le lecteur (français) qui le comprend et l'explique ainsi, alors même que le récit montre plutôt Yahvé s'interposant entre le sang d'Abel et la vengeance (nqm, v. 15 et 24). En Nombres 35 il n'y a pas non plus en hébreu de "vengeur" mais un go'el, ou go'el ha-dam, "go'el du sang", qui est aussi bien dans d'autres contextes "rédempteur" ou "racheteur" -- go'el désignant simplement le proche parent, "ayant droit" et "ayant cause" dans notre jargon juridique, autant pour "venger" (quoi qu'on entende par là) que pour "rédimer" ou "racheter" (venger peut d'ailleurs se comprendre, d'un point de vue "familial" ou "clanique", comme une façon de recouvrer, de récupérer le sang versé)... A noter ici aussi l'ambivalence du "sang", qui peut être "sacré" et purificateur, cathartique, dans le rituel, et profanation, souillure ou impureté, notamment dans son rapport à la "terre" (v. 33, hnp 'rç: le verbe n'est nulle part ailleurs dans la Torah mais en Isaïe 24,5; Jérémie 3,1ss; 24,11; Michée 4,11; Psaume 106,38; Daniel 11,32), ce qui rappelle avec un autre vocabulaire (jeu de mots dam / 'adama) l'histoire de Caïn; de même le "pénal" se confond avec le "rituel" dans le concept d'"expiation" (kpr, le même que pour kippour, ou pour le kapporeth de l'arche d'alliance, comme si une exécution "pénale" ou un acte de "vengeance" avait le même effet qu'un "sacrifice").
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeVen 01 Mar 2024, 11:24

"Le prêtre lavera ses vêtements et son corps avec de l'eau, puis il rentrera dans le camp ; le prêtre sera impur jusqu'au soir. Celui qui aura brûlé la vache lavera ses vêtements et son corps avec de l'eau, et il sera impur jusqu'au soir. Un homme pur recueillera la cendre de la vache et la déposera hors du camp, dans un lieu pur ; elle sera conservée dans la communauté des Israélites pour la préparation de l'eau lustrale. C'est un sacrifice pour le péché. Celui qui aura recueilli la cendre de la vache lavera ses vêtements, et il sera impur jusqu'au soir. C'est une prescription perpétuelle pour les Israélites et pour les immigrés qui séjournent au milieu d'eux" (Nb 19,7-10)


LES LUSTRATIONS PURIFICATRICES
DANS L'ANCIEN TESTAMENT 

Le bain et le lavage sont recommandés à ceux qui participent à la préparation et à l'usage de l'eau lustrale (Nb 19.7-10, 21). Il en va de même pour celui qui mène le bouc Azazel dans le désert et celui qui brûle les restes de victimes immolées lors de ce rituel du Yom Kippour (Lv 16.24-28). La consommation du sang exige également le bain et le lavage des vêtements (Lv 17.15). La même précaution du bain du corps et du lavage des habits est prescrite à quiconque contracte une impureté directe ou indirecte (écoulement sexuel maladif ou normal de Lévitique 15). Le lépreux (Lv 13.6, 14.9) et l'homme atteint d'écoulement (Lv 15.13), une fois guéris, se baignent et lavent leurs vêtements. Ce dernier se baigne dans l'eau vive et non dans l'eau ordinaire.

*****

L'impureté causée par le contact avec un cadavre humain est très sévère. Le mort communique l'impureté à tous ceux qui entrent en contact avec lui, les objets ou
les personnes. Toute personne ou tout objet venant en contact avec un cadavre devient impur, et cette personne ou cet objet transmet à son tour l'impureté. La purification par l'eau lustrale est la seule façon d'éliminer cette souillure (Nb 19.12). L'eau lustrale s'obtient par le mélange de la cendre de la vache rousse à l'eau vive. À l'aide d'une touffe d'hysope trempée dans l'eau lustrale, on asperge, le troisième et le septième jour, la personne qui a contracté l'impureté. Les guerriers (Nb 31.23) et les prêtres (Ez 44.25-27) sont également aspergés de cette eau lustrale en cas de contact avec un mort. L'eau lustrale n'est pas prescrite pour ceux qui purifient le pays souillé par les cadavres humains (Ez 39.1-20). Mais il est possible que cette eau ait également servi dans cette purification. 

Pour la purification d'un meurtre dont l'auteur est inconnu, les anciens du village, avec l'eau probablement du ruisseau, lavent leurs mains au-dessus de la génisse dont la nuque est brisée sur le torrent d'eau (Dt 21.1-9). C'est ainsi que la ville professe son innocence, c'est-à-dire qu'elle est exempte du délit. Ce geste reste ainsi, dans la mentalité hébraïque, une manière de professer son innocence. 

https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2001-v57-n2-ltp2170/401353ar.pdf
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MessageSujet: Re: Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah   Le livre des Nombres et l’achèvement de la Torah - Page 2 Icon_minitimeVen 01 Mar 2024, 12:19

Cet article est surtout original par ses comparaisons africaines, mais il offre aussi un résumé utile de tout ce qui a pu se dire autour du "baptême" et des "ablutions" en général... On y retrouvera notamment (p. ex. note 18) l'ambivalence de l'"impur" et du "sacré" dont nous parlions hier, qui partagent paradoxalement la même notion de "contamination" et requièrent des lavages similaires...

La traduction traditionnelle "eau lustrale" est probablement à contresens de la formule hébraïque qui dénote plutôt la "souillure" ou l'"impureté" que la "purification" (voir la note de la NBS); cette inversion sémantique suit celle de la Septante et la Vulgate qui parlent d'"eau d'aspersion", selon l'usage de l'eau plutôt que d'après le sens littéral de son appellation; ce détail perd toutefois de son importance dans la mesure où "lustral" ou "lustration" ne signifient plus grand-chose en "français courant", quoiqu'il puisse générer d'autres contresens avec le sens ordinaire du "lustre" comme brillance... Sur le mot nid(d)a, qui appartient à une tradition essentiellement sacerdotale, et qui est fréquemment associé aux "règles" ou à la menstruation féminine (encore du "sang" et ses ambivalences), on peut comparer ses usages en Nombres 19,9.13; 31,23 avec ceux de Lévitique 12,2.5; 15,19ss; 18,19; 20,21; Ezéchiel 7,19s; 18,6; 22,10; 36,17; Zacharie 13,1; Lamentations 1,17; Esdras 9,11; 2 Chroniques 29,5 -- c'est même devenu plus tard le titre d'un traité du Talmud. Ce n'est cependant pas le terme le plus courant pour l'"impur" (tm') opposé au "pur" (thr), selon le vocabulaire rituel ordinaire qui est aussi présent, et même dominant, en Nombres 19 (depuis le v. 7 p. ex.).

---

Je change de thème et de texte, mais non de livre -- on y serait arrivé tôt ou tard -- et sans sortir de l'ambivalence ou de l'ambiguïté (dont on ne sortirait, c'est bien connu depuis le cardinal de Retz, qu'à son détriment; mais dont on ne sort jamais bien longtemps, ajouterais-je).

L'un des textes les plus fascinants, à cet égard entre autres, du bric-à-brac des Nombres, au chapitre 21, tout à la fin des "rébellions" et déjà mêlé aux "guerres" de Yahvé et/ou de Moïse qui anticipent sur la "conquête" de Josué (Arad, v. 1ss; Heshbôn et Basan, v. 31ss; cf. Deutéronome 2 etc.), est assurément l'épisode des serpents "brûlants" ou "séraphins" (seraphim = brûlants, comme dans Isaïe 6, où ils ont aussi des ailes comme les keroubim-chérubins du temple, et des "pieds" ou un sexe selon qu'on y voit ou non un euphémisme). Ici l'ambivalence est à tous les étages: la plus évidente est celle du pharmakon, identité paradoxale du remède et du poison (venin, danger, mal), de la vie et de la mort: homéopathie ou homopathie avant la lettre, guérir ou traiter le mal par le mal, le semblable par le semblable ou le même par le même, pharmacie et médecine en général (bâton d'Esculape, caducée), symbolisme quasi universel (du moins dans toutes les régions où il y a des reptiles) où le serpent représente la vie et la mort, notamment par la mue qui s'interprète volontiers en résurrection ou renouvellement d'une "vie éternelle" (cf. Gilgamesh), et le venin qui tue; paradoxe supplémentaire dans un contexte "aniconique" (sauvé par la vue d'une image, celle du serpent), qui donne un fondement divin à un culte réprouvé (cf. 2 Rois 18,4, Nehushtan dérivé de nahash qui est l'appellation générique du "serpent" et qui fait de surcroît jeu de mots avec le "bronze" ou l'"airain" de sa matière, nehosheth, qui passe aussi par le feu métallurgique; en 24,8 la mère de Joïakin s'appelle encore Nehoushta...). Pour le "lecteur de la Bible" (chrétienne) cela renvoie forcément au serpent de la Genèse, emblème de "sagesse" ambivalente maudit et plus tard littéralement diabolisé, et au Christ de l'évangile selon Jean (chap. 3) qui réfère expressément sa crucifixion à l'élévation du serpent au désert (typologie qui aurait pu passer pour blasphématoire si elle n'avait pas été canonisée). Bref, un "noeud" (de vipères ?) particulièrement chiadé, retors ou complexe -- par-delà Mauriac je repense à l'enfant solaire, couronné de serpents dans Sur les falaises de marbre de Jünger, ou au serpent avec l'aigle et le lion parmi les animaux du Zarathoustra de Nietzsche... Serpent symbole par excellence, symbole superlatif du et des symboles, depuis qu'en cercle il se mord la queue, ouroboros.
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