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| Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. | |
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Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Lun 22 Avr 2024, 11:15 | |
| Consolation et connaissance. A propos du potentiel théologique des discours d'adieu johanniques Dettwiler, Andreas
L'absence du maître et crise de la foi
La littérature néotestamentaire traite à plusieurs reprises de la question de l'absence du Jésus terrestre et de ses conséquences pour la communauté des croyants. Un exemple bien connu est celui de la disparition du Ressuscité dans le récit pascal de Le 24, 13-35. L'acte de la reconnaissance du compagnon de route mystérieux coïncide avec sa disparition soudaine : « Alors leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant eux » (v. 31). Un petit dessin au fusain de Rembrandt fournit une interprétation originale de ce moment clef de la narration lucanienne4 : là où était assis le Christ incognito se trouve un grand vide rempli d'une lumière saisissante ; désormais, la présence de sa lumière remplace sa présence physique, accompagne la communauté destinataire sur son chemin et illumine sa vie. Rembrandt a bien compris le potentiel de sens du texte. Le Christ de l'époque post-pascale n'est plus immédiatement saisissable. À la demande des disciples d'Emmaüs de rester avec eux (« ils le pressèrent, en disant : "Reste avec nous, car le soir approche, le jour est déjà sur son déclin"», v. 29), le Christ répond, mais seulement jusqu'au moment où ses hôtes arrivent à reconnaître sa véritable identité. Dès lors, il est temps de partir.
Ce que le troisième évangéliste place dans un contexte post-pascal, le quatrième le discute dans le cadre narratif du Jésus terrestre. Les discours d'adieu johanniques, placés juste après le dernier repas et avant les événements dramatiques de la Passion, profitant ainsi d'un temps "mort" ou, si l'on préfère, d'une situation de seuil au sein de la narration, ont pour but de réfléchir d'une part à la problémati- que fondamentale de l'absence de Jésus suscitée par sa mort, d'autre part au statut de la foi post-pascale. Comment l'Absent peut-il être présent au temps de la communauté post-pascale et ainsi continuer à être une réalité déterminante pour la vie dans la foi ? Le fait que ce soit avant tout l'évangile de Jean qui insiste sur cette question ne relève pas, à mon avis, du hasard: c'est bien plutôt, me semble-t-il, une conséquence directe de la christologie de l'incarnation, typique du quatrième évangile. Comment l'expérience du salut est-elle désormais possible si Jésus, confessé comme incarnation de la réalité divine (ou, selon la terminologie johannique, comme« le chemin, la vérité et la vie »,Jn 14, 6) n'est plus immédiatement perceptible? Le temps de l'absence du maître n'est-il pas le temps de la désillusion et du deuil? Dans le meilleur des cas, n'est-il pas un temps d'intérim entre le temps du passé évangélique, marqué par l'immédiateté de la relation entre le maître et les disciples, et le temps à venir, espéré comme le rétablissement eschatologique de cette relation originaire et pour ainsi dire proto-typique ? Comment la communauté destinataire apprend-t-elle à accepter la rupture définitive entre le temps du Jésus terrestre et sa propre situation ? Autrement dit : comment apprend-elle à comprendre cette perte comme un gain ?
Le texte johannique montre à plusieurs reprises à quel point l'annonce du départ imminent du maître déclenche un sentiment de désorientation et d'abandon auprès de la communauté destinataire. Quelques exemples tirés du premier discours d'adieu Gn 13; 31-14, 31) suffisent à illustrer ce point. Après l'annonce du départ de Jésus et de l'impossibilité de le suivre « là où il va »· Gn 13, 33.36-38), les disciples ont besoin d'être affermis pour surmonter la crise de leur foi : « Que votre cœur ne se trouble pas. Mettez votre foi en Dieu, mettez aussi votre foi en moi» Gn 14, 1 ; la phrase sera partiellement reprise· à la fin du discours, en 14, 27). Plus tard, le Christ johannique annonce sa venue pascale auprès des disciples, les libérant ainsi de leur enfermement dans un sentiment d'abandon : «Je ne vous laisserai pas orphelins ; je viens à vous » Gn 14, 18). Les disciples devraient arriver à comprendre que le retour de Jésus auprès du« Père» est, paradoxalement, un événement réjouissant(« Si vous m'aimiez, vous· vous réjouiriez de cé que je vais vers le Père, car le Père est plus grand que moi »,Jn 14, 28b). Toute la pragmatique du discours vise à refonder la foi d'une communauté ébranlée. Nous verrons dans la suite que le dernier discours d'adieu (en particulier Jn 16, 16-33) met un accent encore plus fort sur la dialectique de la tristesse et de la joie à laquelle la communauté des disciples est constamment exposée. Avant de regarder de plus près comment les discours d'adieu traitent la question de l'absence de Jésus et celle de la situation de la communauté, il nous convient d'être attentif à leur mouvement argumentatif propre.
Le chemin de Jésus : Du départ au retour "en Esprit" (Jean 14)
La thématique du premier discours d'adieu est celle du chemin de Jésus, plus précisément celle de la tension entre son « départ» - la rupture créée par sa mort - et son « retour ». Dans un premier temps, le texte invite la communauté destinataire à abandonner son désir de préserver une relation immédiate avec le Jésus terrestre. L'accent porte donc tout d'abord sur l'expérience de la discontinuité et non pas sur celle de la continuité. Dans le dialogue initial avec Jésus, Pierre manifeste la volonté de prolonger sa relation avec le Jésus terrestre, en faisant de sa disponibilité à donner sa vie en faveur de son maître l'acte de fidélité et d'amour ultime (13 36-37 en lien avec la définition de l'amour évoquée en 15, 13) :
«Simon Pierre lui dit: Seigneur, où vas-tu? Jésus lui répondit : -Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant; tu me suivras plus tard. Seigneur, lui dit Pierre, pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant? Je suis prêt à me défaire de ma vie pour toi. » [« Personne n'a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis »,Jn 15, 13].
La réponse fort ironique de Jésus fait comprendre qu'une telle compréhension de la « suivance » n'est pas seulement erronée, mais mène au reniement du maître Jn 13, 38) :
«Tu es prêt à te défaire de ta vie pour moi ! Amen, amen, je te le dis, un coq n'aura pas chanté que tu m'auras renié par trois fois.»
Le message me paraît clair: le temps du Jésus terrestre doit arriver à sa fin ; aussi paradoxal que cela puisse paraître, la « suivance » n'est pas une option pré-pascale, mais elle est réservée au temps de l'absence physique de Jésus.
La suite du discours met l'accent sur le retour pascal du Christ. Nous observons ici une des grandes originalités de la pensée johannique, à savoir sa compréhension de « Pâques » et de l'Esprit. « Pâques » - l'expérience d'une nouvelle rencontre avec le Christ vivant Jn 14, 19 :«vous, vous me verrez, parce que, moi, je vis, et que vous aussi, vous vivrez ») - est d'une certaine manière déshistoricisée. Une brève comparaison avec d'autres tentatives de saisir l'événement pascal dans le premier christianisme (Paul, l'œuvre lucanienne, etc.) montre l'originalité johannique. Traditionnellement, le cercle de personnes ayant eu le privilège d'une christophanie a été considéré comme étant limité dans le temps. Jean abandonne cette compréhension restrictive de Pâques. L'expérience pascale n'est plus le privilège d'un cercle restreint appartenant à l'aube du christianisme, mais elle est accessible à tout être humain qui « aime » Jésus, c'est-à-dire qui perçoit dans l'homme Jésus l'incarnation de la volonté bienveillante de Dieu (voir Jn 14, 18-24). Le texte va encore plus loin, en parlant d'une « inhabitation » de Dieu et de Jésus au sein de chaque croyant dans le temps pascal GJ 14, 23 : « ... nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure auprès de lui»). Ainsi, vers la fln du discours, deux éléments méritent d'être notés : d'une part, la distinction classique entre un temps « pascal » et un temps « post-pascal» se brouille (en suivant la logique de la conception johannique jusqu'au bout, le temps « post-pascal » n'existe pas) ; d'autre part, le temps « pascal» n'est aucunement un temps déficient, mais le temps de la plus grande proximité et présence de Dieu, un temps qui dépasse même qualitativement celui du Jésus terrestre. En effet, c'est seulement dans la distance avec le Jésus terrestre que toutes les implications positives de la révélation christique commencent à se manifester. Une telle qualification positive, on pourrait presque dire enthousiaste, du temps pascal- coïncidant historiquement avec le temps présent de la communauté destinataire - ne va pas de soi. Le quatrième évangile en est conscient puisqu'il introduit en 14, 16-17, puis reprend en 14, 26 la figure . énigmatique de l'« Esprit-Paraclet »• Celle-ci a la fonction d'être présente auprès de la communauté et de lui faire ressouvenir des paroles du Jésus terrestre. Il va de soi que cette anamnèse a une qualité herméneutique : ni la signification du passé ni la perception du temps présent comme temps entièrement positif ne vont de soi ; la communauté des disciples a besoin d'un acteur herméneutique qui a la capacité de dévoiler le mystère de l'identité de Jésus et de sa signification pour le temps présent de la foi.
Le chemin de la communauté : De la tristesse à la joie (Jean 16).
Le dernier discours d'adieu- à notre avis Jn 16, 4b-33- reprend étroitement quelques éléments du discours de Jn 14, tout en introduisant une nouvelle thématique. Ce qui est désormais au centre de la réflexion, ce n'est plus le chemin du Christ, mais le chemin de la communauté croyante. On passe de la christologie à l'anthropologie et à l'ecclésiologie. Comment l'école johannique est-elle arrivée à un tel déplacement de la perspective ? Quelles étaient les raisons -à la fois historiques et théologiques- qui ont incité l'école johannique à relire sa propre tradition et à créer un nouveau discours d'adieu? À mon avis, l'une des raisons de repenser la tradition et de la« réécrire » était liée à la problématique intrinsèque de la solution esquissée par le premier discours en J n 14. Certes, la redéfinition entièrement positive du temps présent de la foi était captivante, mais il était inévitable que la communauté johannique, exposée à la réalité historique douloureuse, vive cette promesse spectaculaire de manière de plus en plus problématique. Le problème soulevé par le premier discours était celui de la douloureuse tension entre promesse religieuse et réalité historique, entre théologie et vécu empirique. Historiquement, nous pouvons supposer que la communauté johannique se soit sentie soumise à une pression toujours plus forte de la part du« monde», au point d'être exposée au danger de sa dispersion et sa disparition (voir par ex. Jn 15, 18-16, 4; 16;8-11 ; 16, 20b; 16, 32-33). Fait intéressant: Jn 15, 18-16,4 montre que la communauté johannique n'a pas perçu cette menace existentielle comme un fatum inaccessible, mais comme la conséquence logique de son adhésion à la foi johannique. Ainsi, l'identité religieuse de la communauté johannique était fondamentalement en jeu : d'une part, sa seule raison d'être était d'être liée au Christ ; d'autre part, c'était précisément cette identité religieuse qui l'a poussée au bord de l'abîme. En subvertissant une phrase clef de la foi johannique, à savoir Jn 11, 25 («Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit -en moi, même s'il meurt, vivra»), l'expérience de vie dominante de la communauté johannique ressemblait de plus en plus à cela:_ qui croit en moi, même s'il lui a été promis la vie, mourra» ! Dans cette situation critique, une nouvelle parole fut nécessaire : elle s'inspirait certes de la tradition Jn 14), mais formulait en même temps de nouveaux aspects de la révélation christique. L'ancien n'était pas aboli mais une nouvelle parole- une parole inspirée par« l'Esprit/Paraclet » ! - devait être prononcée pour que la communauté puisse résister à la réalité historique et au danger de sa disparition. C'est ce qui a amené l'école johannique à la méditation suivante, devenue témoignage écrit dans le dernier discours d'adieu.
Dans un premier temps Jn 16, 4b-15), la tâche de l'Esprit-Paraclet est redéfinie et développée. L'Esprit divin offre à la communauté une approche critique du « monde » (du kosmos), voire une véritable inversion des valeurs du« monde» Jn 16, 8-11), en rappelant à la communauté que l'apparent échec du Christ à la croix devait, en« vérité», être compris comme la victoire sur la puissance aliénante du « monde » (en terme mythologique : sur le « prince du monde»). Dans un deuxième temps, l'Esprit-Paraclet est compris comme la force du Christus praesens qui accompagne la communauté dans son chemin précaire vers un avenir ouvert Jn 16, 12-15). Il est ici très intéressant d'observer comment Jean conçoit le rapport de la communauté croyante à son avenir. Pour le dire simplement, la communauté a encore du chemin à parcourir. Ce n'est pas une communauté qui vivrait en pensant être parfaite, en pensant avoir déjà atteint le but. Même l'Esprit-Paraclet ne lui offrira pas le coup de génie de la grande apocalypse de son avenir. Non, il va seulement la conduire dans l'espace de« toute la vérité» Jn 16, 13a) et lui« annoncera ce qui est à venir» Gn 16, 13b) -mais pas au sens d'un déchiffrement apocalyptique ! La communauté ne saura pas quel sera, concrètement, son avenir. Mais elle peut être certaine que l'avenir restera un avenir ouvert, rendu toujours possible et vivable par l'accompagnement de l'Esprit.
Dans un deuxième temps Jn 16, 16-33), le texte développe une compréhension profilée de l'existence croyante comme existence qui est qualifiée par une dynamique de transition. Est tout d'abord évoqué le mouvement de la tristesse à la joie Jn 16, 14-24). Le dépassement de la tristesse par la joie trouve sa raison la plus profonde dans l'expérience de« Pâques». Est ensuite méditée la transition de l'incompréhension à la compréhension Jn 16, 25-33). Ce dernier passage constitue, à mon avis, l'un des passages les plus denses et les plus passionnants de tout l'évangile. Un regard sur le moyen littéraire de l'incompréhension et du malentendu johanniques nous permet de saisir la dramatique de l'épisode. Nous pouvons identifier trois réactions de la part des disciples en Jn 16 qui sont soigneusement corrélées les unes avec les autres. À un premier niveau Jn 16, 5-6), la réaction des disciples à l'égard de l'enseignement du maître semble être une attitude d'absence complète. La communauté des disciples est tellement enfermée dans sa tristesse qu'elle n'interroge pas son maître ni ne s'interroge elle-même - une sorte d'incompréhension non articulée, à l'état brut :
«Maintenant, je m'en vais vers celui qui m'a envoyé, et aucun de vous ne me demande : "Où vas-tu ?"Mais parce que je vous ai parlé ainsi, la tristesse a rempli votre cœur. »
À un deuxième niveau Jn 16, 16-18), les disciples sont toujours décrits comme ceux qui ne comprennent pas. Mais au moins, il s'agit d'une incompréhension verbalisée, signe de la conscience de sa propre incompréhension. De manière très subtile et indirecte, le degré d'incompréhension se manifeste entre autres par le fait que les disciples n'osent pas entrer en communication directe avec le maître :
« Encore un peu, et vous ne me verrez plus ; puis encore un peu, et vous me verrez. Quelques-uns de ses disciples se dirent donc les uns aux autres : Qu'est -ce qu'il nous dit là ? "Encore un peu, et vous ne me verrez plus ; puis encore un peu, et vous me verrez", et : ''Je m'en vais vers le Père". lis disaient donc: Que dit-il là: "un peu" ? Nous ne savons pas de quoi il parle ».
À un troisième et dernier niveau Jn 16, 29-30), les disciples, pour la première fois depuis longtemps, s'adressent directement au maître, en se manifestant comme des gens qui - enfin ! - ont l'air d'avoir compris. L'expression explicite de leur compréhension coïncide ici avec l'attente du lecteur qui a dû attendre jusqu'à la fin des discours d'adieu pour rencontrer une attitude de compréhension croyante. Enfin, ils ont compris en quoi consiste la véritable identité du Christ :
« Ses disciples disent : Maintenant, tu parles ouvertement et tu ne tiens plus de discours figurés. Maintenant, nous savons que tu sais tout [ ... ] ; c'est pourquoi nous croyons que tu es sorti de Dieu ».
L'incompréhension des disciples s'est transformée en parfaite compréhension christologique, le chemin de la foi semble enfin abouti. Soulagement de la part du lecteur.
La fin du discours révèle pourtant une dernière surprise. La réaction, probablement ironique, du Jésus johannique en 16, 31-33 met en évidence qu'une telle foi qui croit posséder la vérité christique doit être amenée à la crise. La foi de la communauté, même si celle-ci se montre tout à fait orthodoxe et héroïque, n'est pas en mesure d'amener la communauté vers son avenir. Au contraire, la foi va se briser. La communauté est en train de laisser le Christ « seul » et donc de redevenir ~e partie du « monde » qui se désolidarise du Christ, au seuil de sa mort :
« Jésus leur répondit : Vous croyez, maintenant ? L'heure vient - elle est venue - où vous serez dispersés chacun de son côté, et où vous me laisserez seul ; mais je ne suis pas seul, car le Père est avec moi» (Jn 16, 31-32).
Le message du texte, même très indirectement, me paraît être celui-ci: la communauté johannique n'est pas censée cacher la crise de sa foi, par exemple par un appel héroïque et volontariste à mieux croire. Elle est plutôt invitée à percevoir l'échec de sa foi comme l'espace dans lequel la parole du Christ mourant et néanmoins déjà élevé gagne toute sa force et toute sa limpidité :
« Je vous ai dit ces choses afin que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous avez de l'affliction, mais ayez du courage, moi, j'ai vaincu le monde ! » (Jn 16, 33).
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Dernière édition par free le Mar 21 Mai 2024, 11:34, édité 1 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Lun 22 Avr 2024, 11:54 | |
| Le même Dettwiler, presque sur le même sujet (cf. supra 19.4.2024), huit ans plus tôt (2009). D'après les références du premier article (premier dans l'ordre des citations de ce fil, en fait c'est le plus récent, 2017) il l'avait déjà traité, en allemand, en 1995...
Je ne vais pas réitérer mes remarques de méthode, sur le fait d'analyser un texte, surtout "johannique", d'après les concepts et les catégories d'une théologie ultérieure: ce qu'on disait de la "pneumatologie" (le "Saint-Esprit") ou de la "sotériologie" (le "salut") vaut aussi pour "Pâques" ou "la résurrection". Pour autant que le quatrième évangile connaît les notions et les récits de référence (par la "tradition synoptique", à tel ou tel stade de son développement), il en joue et les déjoue ou les neutralise. Si on veut y aller par là, son Christ "pré-pascal" ou "terrestre" est déjà un Christ "post-pascal", "ressuscité", "spirituel", "céleste", de sorte que la distinction même n'a plus aucun sens, et que le récit se joue de lui-même, devient ostensiblement théâtral (un naturel de carton-pâte, comme disait Jouvet dans Entrée des artistes): il ne cesse de faire des apartés ou des clins d'oeil au spectateur, comme le regard caméra au cinéma. La passion, la mort, la résurrection, tout cela ne sert à rien, ne change rien, il n'y a plus de différence entre l'avant et l'après, il ne s'agit que de montrer, de faire voir et comprendre ce qui est depuis toujours: théâtre, pantomime, cinéma, art et artifice divin de la "révélation".
Cela vaut évidemment pour le pathos: tout est joué et surjoué, l'incompréhension, la tristesse des disciples, l'abandon, le deuil, l'absence, la joie des retrouvailles. Et à sur-psychologiser la chose on fait comme les enfants qui au théâtre ou à l'opéra huent l'acteur qui a bien joué le méchant au lieu de l'applaudir quand il vient saluer, parce qu'ils ne font pas la différence entre le personnage et l'acteur, ni entre le jeu et la réalité... Ce qui est dans un sens la meilleure façon de profiter du jeu ou du spectacle, mais l'adulte qui n'en "marche" pas moins le temps du jeu et du spectacle sait aussi faire la différence. On peut prendre tout au pied de la lettre, même dans l'évangile selon Jean, et c'est très bien comme ça; mais il appelle aussi à la relecture et à la réflexion, dans une distance "sapientiale" ou "gnostique" qui sait très bien que "le Jésus terrestre", ses actes et ses discours, sont une parabole, une fiction à fin révélatrice, ou initiatrice dans le meilleur sens du mot. Naturellement, les "auteurs" savaient qu'il n'y avait jamais eu de "Jésus historique" qui ait dit et fait les choses qu'ils lui faisaient dire et faire d'un bout à l'autre de l'évangile: que le lecteur le comprenne ou pas ça n'a pas d'importance, surtout pour une première lecture ou audition; mais qu'on puisse finir par le comprendre, et l'apprécier d'autant plus, c'est un supplément appréciable. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Lun 22 Avr 2024, 12:42 | |
| - Narkissos a écrit:
- Les premiers commentateurs du quatrième évangile, sans surprise, étaient réputés "gnostiques" (Valentin, Héracléon), avant l'adoption et l'adaptation des textes "johanniques" dans la "grande Eglise"... mais comme leurs propres textes ont été systématiquement détruits, on ne les a connus que par leurs détracteurs (les Pères de l'Eglise), du moins jusqu'aux découvertes archéologiques modernes (p. ex. Nag Hammadi) qui ne nous renseignent que très partiellement sur la diversité réelle des "écoles" avant la "normalisation catholique-orthodoxe".
Merci Narkissos pour ta réponse très complète (comme toujours). Si je comprends tes explications les premiers lecteurs/auditeurs étaient plutôt de tendance gnostiques. Tu me donnes une réponse que ne me permet pas trop (un peu quand même) de pouvoir imaginer de quelle façon était compris ce quatrième évangile. La grande difficulté de nos jours lorsque l'on lit ce texte est de se débarrasser de de certaines grilles de lecture. Aurais tu une suggestion pour bien profiter de cet évangile? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Lun 22 Avr 2024, 13:14 | |
| Comme je le suggérais précédemment, il y a plus à désapprendre qu'à apprendre. Il ne s'agit surtout pas de remplacer les codes, les concepts et les catégories qui nous viennent d'une théologie catholique ou protestante, orthodoxe ou sectaire, par ceux d'un autre "système", qui même s'il se prétendait "gnostique" serait tout aussi anachronique par rapport aux textes. Sans parler des néo-gnosticismes modernes, artificiels et plus ou moins sectaires, les systèmes "gnostiques" anciens que nous reconstituons tant bien que mal à travers les rares textes redécouverts et la critique de leurs adversaires sont nettement postérieurs à l'évangile selon Jean, toutes rédactions confondues.
Le quatrième évangile est écrit de façon archi-simple, on en comprend toujours quelque chose, qui ne fait que s'approfondir à mesure qu'on le relit et qu'on le médite. Pour ma part j'ai probablement commencé à le lire dans la TMN, puisqu'il y avait une édition à part du NT avant celle de 1974, sans doute aussi dans la Segond 1910. Mais je l'ai redécouvert quelques années plus tard en écoutant les lectures (toujours de la TMN, ou NWT en anglais, ou même en d'autres langues) enregistrées sur cassettes par la Watch. C'est curieusement ainsi, même dans une traduction déplorable, que j'ai commencé à apprécier sa finesse, son ironie, ses jeux de mots et d'images. Quand, beaucoup plus tard je l'ai relu en grec, ça a éclairci pas mal de détails (même pour un débutant c'est un grec très facile à lire), mais le plus souvent je n'ai fait que vérifier ce que j'avais fini par deviner à force de relecture et d'écoute des traductions -- y compris la TMN... |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Lun 22 Avr 2024, 14:05 | |
| "Mais tout cela, ils vous le feront à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé. Si je n'étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas de péché. Maintenant, ils n'ont pas d'excuse pour leur péché. Celui qui me déteste, déteste aussi mon Père. Si je n'avais pas fait parmi eux les œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché. Maintenant ils ont vu, et ils ont détesté, et moi et mon Père. Mais c'est pour que soit accomplie cette parole, écrite dans leur loi : Ils m'ont détesté sans raison" (Jean 15,21-22-25).
(4) Quant au lien entre le péché inexcusable (15,22.24a) et l’ignorance de la part du monde hostile (15,21b ; 16,3b), quel rapport y a-t-il entre eux ? Nous ne pouvons pas souscrire aux opinions d’Y. Simoens et d’H. van den Bussche. Pour Y. Simoens, Selon Jean, t. 3, p. 644 : « Le péché, dénoncé sans complaisance, est excusé pour ignorance. » Or, Jésus dénonce avec fermeté le péché du monde qui est sans excuse. Le péché n’est donc pas excusé pour faute d’ignorance. Dans une autre perspective, H. van den Bussche, Jean, p. 433, considère que la haine envers le Fils « est l’effet d’une méconnaissance du Père, laquelle ne bénéficie aux yeux de Jean d’aucune circonstance atténuante, car elle est l’essence même du péché. » L’expression « l’essence même du péché » est problématique. Si la méconnaissance était l’essence du péché, le monde hostile serait enfermé dans sa condition pécheresse. Le propos de H. van den Bussche laisse de côté l’idée que ce monde, qui a méconnu le Père, est tout de même invité à le croire et à le connaître (cf. 17,21.23). Ces deux opinions ne correspondent donc pas à la pédagogie de l’Évangile selon laquelle le péché du monde est inexcusable, en même temps une ouverture est laissée pour la conversion.
À notre avis, l’affirmation conjointe du péché inexcusable et de la méconnaissance, dans une situation concrète, demeure un paradoxe. Cependant, nous pouvons interpréter que le péché inexcusable du monde est de l’ordre de l’agir : refuser Jésus. Tandis que la méconnaissance est de l’ordre du savoir aveuglé, cet aveuglement conduit à la haine et à la persécution. L’ignorance n’excuse pas le péché, en même temps elle n’enferme pas non plus dans le péché. La méconnaissance du monde n’exclut pas la responsabilité personnelle face au message de Jésus. Cependant, cette ignorance n’est pas un jugement ou une accusation, mais une vérité profonde sur le monde que Jésus révèle aux disciples en vue de les encourager et les réconforter. Le fait de mettre ensemble « le péché inexcusable » et « la méconnaissance » accorde une ouverture (a) pour Jésus et le monde et (b) pour les disciples.
(a) L’ouverture pour Jésus et le monde d’abord, du fait de la méconnaissance du monde, une relation entre ce dernier et Jésus reste possible. Tant que les adversaires de Jésus ne sont pas sortis de leur erreur et de leur méconnaissance, Jésus continue à les enseigner et à les inviter à croire. En disant que le monde ne connaît ni le Père ni lui-même, Jésus affirme son autorité et sa souveraineté touchant à la révélation. La mission de Jésus est de faire connaître (cf. 15,15 ; 17,26) le Père et lui-même à tous, y compris le monde hostile. La révélation sur la méconnaissance du monde situe Jésus dans une position dominante. Ce dernier n’enferme pas le monde hostile dans son péché inexcusable, une vraie connaissance reste toujours possible pour ce monde (cf. 17,21.23).
(b) L’ouverture pour les disciples ensuite, il n’y a pas de rupture non plus entre les croyants et le monde hostile. Seuls Jésus et ceux qui croient en lui connaissent le Père (17,25). Si par ignorance, le monde hostile persécute Jésus et ses disciples, la haine des croyants en retour est exclue puisqu’ils connaissent le vrai Dieu. Les croyants répondent alors à la haine du monde par l’amour. La mission des disciples consiste à faire en sorte que le monde hostile puisse sortir de sa méconnaissance et parvenir à connaître Jésus et le Père.
En résumé, le parallèle en 15,21b et en 16,3b met en relief le thème de la méconnaissance. La négation des deux verbes « oida » (15,21b) et « ginôskô » (16,3) montre que la méconnaissance du monde est totale. Les adversaires de Jésus sont dans l’erreur sur leur père. Quatre points à retenir sur le lien entre le péché et le non-savoir : (1) Ce lien reste un paradoxe ; (2) l’ignorance du monde n’atténue pas son péché inexcusable, il doit assumer sa responsabilité ; (3) la méconnaissance est une explication de la haine du monde envers Jésus et ses disciples ; (4) ce thème présente une ouverture pour le monde (le connaître est toujours possible) et pour Jésus et ses disciples (leur mission est de faire connaître). La méconnaissance exprime donc la théologie de l’Évangile.
https://leminhthongtinmunggioan.blogspot.com/2017/12/jn-1518164a-la-haine-du-monde-hostile.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Lun 22 Avr 2024, 14:45 | |
| Il ne faut évidemment pas confondre la notion d'"excuse", ou de "prétexte" ( pro-phasis, le préalable, le précédent, le présupposé ou la prémisse du discours, par extension la "cause", le "fondement" ou la "raison" de n'importe quoi; cf. Marc 12,40 // Matthieu 23,14 // Luc 20,47; Actes 27,30; Philippiens 1,18; 1 Thessaloniciens 2,5) et celle(s) de " pardon" (laisser aller, rémission, absolution, expiation, purification, justification, etc.). Le "péché inexcusable" fait penser à l'"impardonnable" qui est tout autre chose, bien que la chose en question, si c'en est une, soit tout aussi aporétique (on ne pardonne que l'impardonnable, comme disait Derrida). Soit dit en passant ce qui est souvent traduit par "(haïr / détester) sans cause" au v. 25, c'est dorean, gratuitement, pour rien... il n'y a pas de "cause", il y a de la "grâce" et du "don" jusque dans la haine. D'autre part, comme on l'a remarqué plus haut et ailleurs, il est toujours hasardeux d'expliquer un texte par un autre, même et surtout dans le quatrième évangile, ne serait-ce qu'en raison de la chronologie (relative) des rédactions: rien ne dit que le chapitre 17 soit en vue au chapitre 15, même si l'inverse est vrai et que la différence s'efface dès la première relecture. Cela n'empêche pas de suivre les "thèmes" d'un chapitre ou d'une rédaction à l'autre, en se gardant de forcer leur (in-)cohérence... Il faut alors remarquer que le "savoir-connaissance-gnose" ou la "foi" du "monde" ( kosmos), au chapitre 17, constitue une sorte d'eschatologie ou d'horizon pour une perspective qui ne concerne en fait que les disciples ou plutôt élus (= choisis), toutes générations confondues, seuls destinataires du discours, ou plutôt témoins de la prière. "Elus" qui ne sont pas, n'ont jamais été "du monde", mais "du Père". A ceux-là il n'est nullement demandé d'"aimer le monde", cela leur sera plutôt interdit dans la Première épître (2,15). Seul "Dieu", au présent, celui que "nul n'a vu" selon le Prologue, peut "aimer le monde", et pas autrement qu'en donnant son "fils-unique" ( monogenès, 3,16)... Il n'y a pas d'amour du prochain ni des ennemis dans le johannisme, seulement un amour du Père (dans les deux sens du génitif) et des uns pour les autres, des "frères" nés-engendrés du même "Père". Voir éventuellement ici et là, outre les discussions générales sur les textes " johanniques". |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Lun 22 Avr 2024, 18:57 | |
| Merci Narkissos pour tes suggestions et encouragements de lecture du 4e évangile. |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Mar 23 Avr 2024, 13:21 | |
| Pour ce qui est de la relation entre les ch. 13–14 et 15–16, les différences se situent au niveau de la sémantique et les ressemblances éclatent dans la reprise des thèmes
5. Le lien entre Jn 13–14 et Jn 15–16
Pour ce qui est de la relation entre les ch. 13–14 et 15–16, les différences se situent au niveau de la sémantique et les ressemblances éclatent dans la reprise des thèmes. En effet le vocabulaire de la crise et le vocabulaire lié au thème de l’amour sont différents en Jn 13–14 et Jn 15–16. Au ch. 14, les encouragements de Jésus à ses disciples de ne pas se troubler et ne pas s’effrayer en 14,1.27 indiquent que les disciples subissent une épreuve dans leur foi (14,1) et face au monde (14,17.27).
Les verbes « tarassô » (se troubler) en 14,1.17 et « deiliaô » (s’effrayer) en 14,27 ne figurent pas en Jn 15–16. Dans ces chapitres, la crise des disciples est présentée avec les termes : « miseô » (haïr) en 15,18-19 ; « diôkô » (persécuter) en 15,20 ; « skandalizô » (scandaliser) en 16,1 ; « aposunagôgos » (exclu de la synagogue) et « apokteinô » (tuer) en 16,2 ; « lupê » (la tristesse) en 16,6.20.21.22 ; « lupeô » (attrister) en 16,20 ; « klaiô » (pleurer) et « thrêneô » (se lamenter) en 16,20 ; « thlipsis » (la détresse) » en (16,21.33) et « skorpizô » (se disperser) en 16,32. Ainsi le thème de la crise dans les ch. 15–16 a une place importante par rapport aux ch. 13–14. Le champ sémantique du désarroi, abondant en Jn 15–16, signale un acharnement contre les disciples de la part du monde.
Le commandement de l’amour en 13,34 est repris en 15,12 mais la différence se trouve dans les termes utilisés. Jn 13–14, en particulier l’unité 14,15-24, n’emploie que le verbe « agapaô » (aimer). Il s’agit d’« aimer (agapaô) Jésus » (14,15.21.23.24) et de « garder ses commandements » (14,15.21) pour devenir l’aimé (agapaô) de Jésus et du Père (14,15-23). Tandis qu’en 15,14-15, le thème de l’ami (philos) est introduit. Il s’agit de « devenir ami (philos) de Jésus ». Celui-ci dit aux disciples en 15,14 : « Vous êtes mes amis (philoi), si vous faites ce que je vous commande. » Le substantif « philos » (ami) en 15,13.14.15 et le verbe « phileô » (aimer d’amitié) en 15,19 ; 16,27a.27b dans les ch. 15–16 ne figurent pas dans les ch. 13–14.
La reprise des thèmes des ch. 13–14 dans les ch. 15–16 est une caractéristique de ces chapitres. En effet la péricope 15,1-17 développe le thème de « demeurer » (14,16-17.20.23) et de « l’amour » (13,34-35 ; 14,15.21.23.28) des ch. 13–14. Ces deux sujets ont une place importante dans le thème de l’inhabitation entre Jésus et ses disciples. La péricope 15,18–16,4a révèle la haine et la persécution du monde hostile envers Jésus et les disciples. Ce monde du refus est évoqué dans le ch. 14 (14,17.22.27.30). Les deux péricopes 15,1-17 (l’amour et l’amitié) et 15,18–16,4a (la haine et la persécution) contribuent donc à la révélation de l’ensemble des ch. 13–16.
Le thème de « revoir » Jésus dans « un peu de temps » est un parallèle entre le ch. 14 (14,18-19) et le ch. 16 (16,16-22). La joie liée au départ de Jésus en 14,28 se retrouve en 16,22. L’amour du Père pour les disciples figure en 14,21.23 et en 16,27. Le thème de la prière au nom de Jésus en 14,13-14 est repris en 16,23b.24.26. Jésus promet la paix à la fin du ch. 14 (14,27) et à la fin du ch. 16 (16,33). Le thème du Paraclet parcourt les ch. 14–16 avec cinq paroles (14,15-17 ; 14,25-26 ; 15,26 ; 16,7-11 ; 16,12-15). L’envoi du Paraclet en 14,16.26a est repris en 15,26 ; 16,7. Quant aux activités du Paraclet, on voit un parallèle entre 14,26 (enseigner, rappeler) et 16,13-15 (guider, annoncer). Le rapport entre le Paraclet et le monde est présent en 14,17 et en 16,8-11. En bref, les ressemblances entre Jn 13–14 et Jn 15–16 sont nombreuses. En même temps, Jn 15–16 apportent des contributions nouvelles et révèlent un contexte différent par rapport aux ch. 13–14.
https://leminhthongtinmunggioan.blogspot.com/2015/03/le-contexte-et-la-structure-de-jn-1316.html?m=0 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Mar 23 Avr 2024, 14:02 | |
| Ce blog vietnamien, (néanmoins ?) catholique et dominicain, que nous avons déjà eu l'occasion d'apprécier maintes fois ici et ailleurs sur l'évangile selon Jean, résume décidément très bien, et aussi clairement que possible, les principaux éléments, débats et enjeux exégétiques et littéraires. En rapport avec nos échanges précédents, je remarquerai seulement que la simplicité et la souplesse de la langue et du style "johanniques", aux antipodes d'un usage savant, technique et systématique, passe admirablement les différences de "rédactions" ou de "réécritures" successives (même celles qui visent à en "corriger" la théologie) comme les traductions (même les pires). C'est un peu comme Bach (bien que celui-ci ne soit pas simple, le plus souvent il en a l'air): ça peut être plus ou moins bien joué mais ça ne sera jamais moche, ni bête. |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Mer 24 Avr 2024, 15:02 | |
| Le thème de l’amour et de l’amitié dans l’Évangile de Jean
(1) La relation de l’amour exprimée par les termes “phileô” et “philos” est aussi importante que celle exprimée par les termes “agapaô” et “agapê”. C’est-à-dire que les termes “phileô” et “philos” complètent, éclairent et orientent le sens théologique des termes “agapaô” et “agapê”.
(2) L’usage en parallèle de “phileô” et “agapaô” permet de comprendre le thème de l’amour (agapaô, agapê) dans le sens d’aimer d’amitié (phileô, philos) plutôt que dans les autres figures de l’amour comme l’amour conjugal ou l’amour familial. En effet, dans l’amour conjugal, le mari et la femme sont liés par la promesse d’aimer et de vivre ensemble. Dans l’amour familial, les enfants ne peuvent pas cesser d’être enfants. Les parents ne peuvent pas nier le statut de parents quand ils ont des enfants. De même les frères et sœurs dans une famille ne peuvent que constater le lien de sang entre eux. Par contre, l’amour dans le sens d’aimer d’amitié met en relief la liberté de l’homme dans la décision de suivre Jésus ou non. Être un disciple de Jésus est un choix quotidien, parce qu’à tout moment un disciple peut décider de cesser d’être disciple de Jésus comme il est arrivé en Jn 6,66. La décision des Douze de rester avec Jésus (6,67-68) est aussi un choix entièrement libre de leur part. Parce que devenir le disciple de Jésus, par essence, est un choix d’engagement dans la liberté. Jésus n’oblige personne à le suivre et il ne contraint personne non plus à rester avec lui. Mais il invite sans cesse tout le monde à croire en lui et à tenir ferme dans la foi pour vivre la vie éternelle.
(3) L’amour dans le sens d’aimer d’amitié correspond au titre “l’ami de Dieu” dans la tradition vétérotestamentaire (Is 41,8; 2Ch 20,7; Ex 33,11, Jc 2,23). Dans l’Évangile de Jean, l’amitié en 15,14-15 est inséparable de l’amour qui précède en 15,9-13. La condition pour devenir ami de Jésus est de “faire ce que Jésus commande” (15,14) et de “demeurer dans son amour” (15,9-10). Le thème de “l’ami de Jésus” dans l’Évangile de Jean est à la fois renvoyé au thème de “l’ami de Dieu” dans l’Ancien Testament et lié au thème de “l’amour” dans le Nouveau Testament.
(4) Le statut de “être ami de Jésus” a marqué une nouvelle relation entre Jésus et ses disciples, en même temps il indique une nouvelle étape de la transmission de la révélation. Jésus dit à ses disciples en 15,15: “Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous appelle amis (philous), parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître.”
Nous pouvons conclure que les positions qui considèrent que (1) les deux verbes “agapaô” et “phileô” sont synonymes, interchangeables ou (2) le verbe “phileô” exprime un amour inférieur à l’“agapaô” atténuent l’originalité du thème de “l‘amour” dans l’Évangile de Jean. Selon notre interprétation, les verbes “agapaô” et “phileô” ne sont pas synonymes et interchangeables, mais ils expriment les différents aspects de l’amour. Ces verbes sont importants et ils se complètent. Le thème de l’amitié éclaire le sens du thème de l’amour. L’amour dans le sens de l’amitié met en valeur la liberté de l’homme dans le choix de suivre Jésus. Dans cette perspective, le thème de l’amitié (philos, phileô) est une contribution importante à la théologie johannique. La partie suivante analyse les relations d’amour (agapaô, agapê) et d’amitié (phileô, philos).
https://leminhthongtinmunggioan.blogspot.com/2014/04/le-theme-de-lamour-et-de-lamitie-dans.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Mer 24 Avr 2024, 15:36 | |
| Comme j'ai déjà tenté de l'expliquer, je suis en désaccord presque total avec cette analyse -- presque, parce que je veux bien admettre que les termes se "complètent", et je crois également qu'ils ne sont pas hiérarchisables (comme si agapè valait plus ou mieux que philia, ou le contraire). Mais l'idée même de les définir, dans un sens quasi technique, en les opposant fût-ce relativement les uns aux autres, me semble un contresens dans les textes "johanniques": j'en ai été convaincu, je m'en souviens encore, par le commentaire de Raymond Brown sur Jean 21 (les questions à Pierre: m'aimes-tu, est-ce que tu m'"agapes", est-ce que tu me "philes" ?), alors que j'étais moi-même enclin, sans doute de par mon passé jéhoviste, à y chercher des nuances sémantiques déterminantes. Le jeu de l'écriture "johannique" avec les mots ne s'arrête d'ailleurs pas aux différentes variations de l'"amour", il les rend aussi interchangeables avec la foi, la connaissance ou la reconnaissance, la vue ou la contemplation, l'entente ou l'écoute, le toucher, le sentir, le demeurer ou le garder. Dans tous ces "champs sémantiques" ou "lexicaux" en principe distincts on pourrait aussi distinguer, cataloguer et fixer des différences, et ce faisant on passerait à côté du jeu ou de la danse des signifiants qui consiste précisément à passer indifféremment de l'un à l'autre. Quant à aller chercher de la "liberté" (au sens moderne du "libre-arbitre", je suis libre, je décide comme je veux, mais est-ce que je veux comme je veux ? -- demanderait Schopenhauer) comme critère pour distinguer phileô-philia d' agapaô-agapè, ça me paraît le comble de l'anachronisme conceptuel. La "liberté" johannique (cf. chap. 8 ), ou antique en général, n'a rien à voir avec un choix ou une décision, a fortiori indéterminés, comme le seraient ceux du "consommateur" selon ce qu'on lui fait croire. Est "libre" au contraire celui qui se conforme à sa détermination (élection, vocation, destin, essence, nature, naissance, origine) de "fils" du père-maître-seigneur -- "libre" par opposition à l'"esclave", ce qui ne relève d'aucun "choix" sinon passif (être choisi, décidé, désigné, voulu, aimé, engendré, enfanté, reconnu). Cf., pour rester dans le contexte de ce fil, Jean 15,16. Voir aussi ici et là. |
| | | free
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| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Mer 24 Avr 2024, 16:27 | |
| Le point de vue de l'école johannique sur les logia de Jésus dans le premier discours d'adieu Jean Zumstein
2.2. Le retour de l'envoyé
II s'agit maintenant pour nous d'observer comment la deuxième partie de la trajectoire christologique, à savoir le thème du retour de l'envoyé, est interprétée dans les discours d'adieu.
La thèse soutenue par la tradition johannique est que si le Christ s'abstrait du monde à la croix, s'en va vers le Père, c'est afin de mieux revenir auprès des siens. Si la première partie du premier discours d'adieu prenait en compte le départ du Révélateur, la seconde partie, traite de son retour : « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous» (14, 18).
Le retour du Christ auprès des siens s'effectue sous deux formes : d'une part par le biais d'une apparition pascale au moi croyant, d'autre part, par l'entremise du Paraclet.
2.21. L'apparition pascale Aussi bien dans la tradition synoptique (en particulier chez Luc) que dans la tradition paulinienne, les apparitions pascales qui suivent la croix sont réservées à un cercle de témoins bien délimité. Elles sont le fait des premiers disciples, femmes et hommes, pour la plupart, des compagnons du Jésus terrestre (l'exception majeure restant Paul de Tarse), lesquels confessent avoir reçu la vision du Christ vivant peu après sa mort en croix. Ces apparitions sont limitées dans le temps si bien que pour les premières communautés chrétiennes la résurrection du Christ repose sur un témoignage transmis : le kérygme.
Une fois encore, la tradition johannique se singularise et suit son propre chemin. Le Christ johannique affirme en effet : « Encore un peu et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez parce que je vis et que vous vivrez, vous aussi » (14, 19). Cette déclaration ne s'adresse pas aux seuls compagnons du Jésus terrestre, assistant au dernier repas. La fiction littéraire mise en place par l'école johannique est claire : c'est à l'ensemble des croyants qu'une telle assertion s'adresse. S'il en est ainsi, alors le phénomène de l'apparition pascale est pour ainsi dire déshistoricisé. Elle est désormais une possibilité offerte au moi croyant quel que soit le lieu ou l'époque considérés. « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père et à mon tour, moi je l'aimerai et je me manifesterai à lui » (14, 21). D'un point de vue herméneutique, il conviendrait évidemment de s'interroger sur la manière dont le Ressuscité se manifeste au moi croyant. L'objection de Judas qui réclame une apparition perceptible par le monde dans son ensemble se voit repoussée. Il y va d'une apparition qui n'est perceptible qu'à celui qui aime et qui croit.
Il convient néanmoins de faire un pas de plus. Si Pâques est désenclavé du passé et devient une expérience offerte à chaque moi croyant, il en va de même de la parousie, c'est-à-dire du retour du Christ traditionnellement situé à la fin des temps.
2.22. La parousie Dans la seconde partie du premier discours d'adieux, la terminologie apocalyptique (c'est-à-dire l'ensemble des représentations liées à l'évocation de la fin des temps et au jugement dernier) apparaît constamment dans le propos du Christ johannique. Le lecteur attentif s'aperçoit cependant que cette terminologie n'est plus utilisée pour décrire le scénario qui doit marquer la fin de l'histoire des hommes, mais pour qualifier le présent vécu par les croyants des communautés johanniques. De même que Pâques était arraché au passé pour devenir une possibilité présente, ainsi en est-il de la parousie qui est détachée d'un futur problématique pour déployer ses effets dans le présent. Pour le moi croyant, le retour eschatologique du Christ advient ici et maintenant (18).
J'aimerais étayer cette thèse en évoquant un morceau d'herméneutique (19) johannique. Au début du premier discours d'adieux, le Christ johannique annonce le thème de son propos en ces termes : « Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures ; sinon vous aurais-je dit que j'allais vous préparer le lieu où vous serez ? Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi » (14, 2-3). Cette déclaration, point de départ de l'argumentation, est la conviction commune des premiers chrétiens. Dans la première lettre aux Thessaloniciens (4, 17), Paul s'exprime dans des termes semblables. Le Christ qui, à la croix, s'abstrait de l'histoire, reviendra pour chercher les siens et les emmènera dans le monde divin. C'est l'espérance apocalyptique de la parousie. Dans la deuxième partie de notre discours, le Christ johannique s'explique sur le sens qu'il convient à donner à la promesse initiale : « Si quelqu'un m'aime, il observera ma parole, et mon Père l'aimera; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure (14, 23). » Le constat est clair : pour l'école johannique, qui s'exprime dans les discours d'adieux, le moi historique du croyant est le lieu où non seulement le Christ ressuscité se manifeste (reprise pascale), mais encore le lieu où s'établit pleinement la présence divine (historicisation de la parousie).
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1995_num_69_1_3299 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Mer 24 Avr 2024, 17:04 | |
| Avec près de trente ans de recul sur cet article (Zumstein, 1995), je dirais que la tradition évangélique, en particulier "johannique", se détache de l'idée d'un "Jésus terrestre" en même temps qu'elle la construit, au plan narratif et littéraire.
Si paradoxal que ça paraisse, c'est le sens même de la démarche "évangélique" ou "évangéliste", au sens de la rédaction d'"évangiles" comme vies ou biographies de "Jésus-Christ" dont, semble-t-il, plusieurs générations de (proto-)christianismes se sont passées avant de l'entreprendre. On invente rétrospectivement un Christ présent précisément comme passé et perdu, comme contrepoint, contrepoids, contrepartie ou compensation de l'espérance de plus en plus problématique de sa venue, de sa présence ou de son retour futurs. Nulle part ce jeu n'apparaît plus clairement, et paradoxalement, que dans le jeu du départ et du retour du quatrième évangile. |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Jeu 25 Avr 2024, 11:00 | |
| Chapitre III. Le prince de ce monde La fonction christologique du diable dans le quatrième évangile Jean-Marie Sevrin
1. L’heure du Prince de ce monde
Dans la conclusion du premier discours d’adieu (Jn 14, 29-31)
Le premier discours d’adieu, qui est encore une conversation de Jésus avec ses disciples, au cours du dernier repas, et qui s’appuie donc sur le récit de celui-ci, culmine dans une consolation des disciples : « Je vous l’ai dit maintenant avant que cela n’advienne afin que, lorsque cela adviendra, vous croyiez » (v. 29). Avant que cela n’advienne, lorsque cela adviendra : les verbes n’ont pas de sujet exprimé et pointent vers l’événement, connu et mystérieux, qui est au centre et qui demande la foi. C’est la mort, allusivement mais clairement dite, comme dans tout le contexte. Le « maintenant » n’est pas celui de l'heure eschatologique, comme en Jn 13, 31 ou 12, 23, par exemple, mais bien le temps du discours ou du récit, antérieur à l’événement décisif (Jn 13, 7.19).
Ayant parlé dès avant l’événement, Jésus « ne s’entretiendra plus guère » avec ses disciples car « le Prince de ce monde vient » (v. 13). Ainsi l'événement visé par les paroles et qui sera objet de foi (v. 12) mettra aussi un terme aux paroles et coïncidera avec l’imminente venue du « Prince de ce monde ». Celui-ci « vient » comme « vient l’heure » (cfr Jn 2, 4 ; 7, 30 ; 8, 20 ; 12, 23 ; 13, 1 ; 17, 1). Le moment attendu sera celui du silence de Jésus ; le Prince de ce monde serait-il donc le vainqueur eschatologique ? Il paraîtra triompher, en effet : c’est pourquoi Jésus souligne que le Prince de ce monde ne peut rien sur lui (v. 30). Le sens de l’événement paradoxal est au contraire de révéler au monde l’unité de Jésus et du Père : « que j’aime le Père », réalisée dans l’unité entre le vouloir du Père et l’agir du Jésus : « et comme le Père m’a commandé, ainsi je fais » (v. 31).
Le premier discours d’adieu, articulé au récit de la Cène (lavement des pieds, trahison de Judas), culmine donc en un « je fais ». Au moment attendu, le paradoxe va exiger la foi : ce moment sera surgissement du Prince de ce monde ; mais ce qui paraîtra relever de son pouvoir appartient à l’action de Jésus, obéissant à son Père, un avec Lui : et cela est proprement la révélation au monde. Observons l’effet d’écho : le Prince de ce monde vient (...) pour que le monde connaissance que j’aime le Père. Ambiguïté du monde : les hommes qui, accomplissant l’œuvre de leur prince, crucifieront Jésus sont en même temps les destinataires de la révélation qui s’opère à la croix.
Dans le second discours d'adieu (Jn 16, 11)
Resterait à dire quelques mots d’un passage du second discours d’adieu, où il nous est dit que le Prince de ce monde est jugé (ou condamné).
« Lorsque celui-ci (le Paraclet) viendra, il confondra le monde à propos de péché et de justice et de condamnation. De péché, parce qu’ils ne croient pas en moi. De justice parce que je vais vers le Père et vous ne me verrez plus. De condamnation, parce que le Prince de ce monde est condamné » (Jn 16, 8-11).
N’attendez pas de moi le dernier mot sur ce passage sybillin. La condamnation du Prince de ce monde redit de façon laconique, vraisemblablement ce que nous avons lu au ch. 12. Mais ici le point de vue temporel diffère. Jésus parle de la venue du Paraclet, qui prendra sa place dans l’absence. Lorsque la mort l’aura séparé de ses disciples et que ceux-ci poursuivront leur chemin dans le temps, ils ne leur sautera nullement aux yeux que le monde est condamné et son Prince rejeté au néant. Il y faudra le Paraclet, qui fera paraître aux yeux de la foi que le principe du mal, destructeur et clos, qui semble continuer à régir l'humanité, a bien subi dans la mort de Jésus cette condamnation qui l’anéantit.
En d’autres termes, ce que Jésus, dans les deux passages précédemment examinés, disait de sa mort victorieuse du mal s’éprouve, mais de façon cachée, dans la foi de la communauté à laquelle le Paraclet est présent :
« vous pleurerez et vous lamenterez et le monde se réjouira vous serez dans la tristesse mais votre tristesse se tournera en joie » (Jn 16, 20).
https://books.openedition.org/pusl/17034?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Jeu 25 Avr 2024, 11:57 | |
| Voir ici.Cette étude de Sevrin (1992) présente à mon avis les mêmes défauts que ceux que j'ai signalés précédemment chez Dettwiler (c'est sensiblement la même époque, malgré la différence de "confession"): on choisit un "thème" défini par les concepts et les catégories d'une théologie classique, en l'espèce la "démonologie", "le diable" supposé déterminé et id-entifié, sinon connu (bloc insécable signifiant-signifié-référent, nom-nommé, désignant-désigné, qui ne sera plus jamais questionné), et on *lui* rattache indifféremment tous les termes qu'on trouve effectivement dans le texte et qu'on présume se rapporter à *lui* (pêle-mêle ceux qui sont traditionnels, diable, démon, Satan, et ce qui paraît plus original, prince du/de ce monde), en présupposant qu'il s'agit toujours du "même"... En plus Sevrin le fait dans le désordre, aussi bien par rapport à l'ordre du texte (final ou définitif) qu'à celui de ses rédactions selon une chronologie relative et probable, ce qui rajoute à la confusion thématique: il intercale le chapitre 12 entre les 14 et 16, et à nouveau le 8 avant le 13. Pourtant son idée principale me semble tout à fait pertinente: toutes les figures diversement adverses (non seulement les plus ou moins "diaboliques" ou "démoniaques", mais aussi "les Juifs", "les hommes", "le monde", et même les disciples plus ou moins problématiques, Judas, Pierre, Thomas, au même titre que les "tout-positifs", le bien-aimé ou Marie-Madeleine) ne prennent leur sens que par rapport à "Jésus"; elles sont "christologiques" à leur manière et n'ont aucune consistance "propre" ou "autonome". Pour le dire autrement, tous les acteurs et tous les rôles sont nécessaires à la pièce, ou à la "révélation". Dans le même ordre d'idées, je note -- sans en tirer de conclusions car c'est un verbe archi-banal en général, quoique particulièrement martelé dans le contexte -- qu'en 14,30 le "prince du monde" vient ( erkhomai) comme Jésus et le Père (v. 3, 6, 18, 23, 28) -- ou comme l'"heure" ailleurs (13,1, et encore aux chap. 16 et 17; au chap. 16 c'est aussi le "paraclet" qui "vient", et dans la Première épître on en dira autant de l'"anti/é-christ"). Pour rappel, et par rapport au titre de ce fil, là où l'on parle de "retour" ou de "revenir" il ne s'agit souvent que d'un "venir", et "celui qui vient" est aussi un titre "christologique", "théologique", "eschatologique", suivant la rubrique, région, boîte ou tiroir de la théologie systématique où on décide de le ranger... |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Ven 26 Avr 2024, 15:04 | |
| "Que votre cœur ne se trouble pas. Mettez votre foi en Dieu, mettez aussi votre foi en moi. Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. Sinon, vous aurais-je dit que je vais vous préparer une place ? Si donc je m'en vais vous préparer une place, je reviens vous prendre auprès de moi, pour que là où, moi, je suis, vous soyez, vous aussi. Et là où, moi, je vais, vous en savez le chemin. Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons pas où tu vas ; comment en saurions-nous le chemin ? Jésus lui dit : C'est moi qui suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne vient au Père sinon par moi. Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Et, dès maintenant, vous le connaissez et vous l'avez vu" (14,1-7).
Ἐγώ εἰµι ἡ ἀλήθεια Emmanuel Cattin
En 14, 6 la conjonction des deux deviendra la triade : chemin-vérité-vie. Mais résonnera tout autant alors, et d’abord, la puissance de l’affirmation qui s’avance, la puissance de l’apparition répondant à l’apparition exodique : Ἐγώ εἰµι. C’est elle qui plus loin, s’agissant de l’ἀλήθεια, fera notre question. Mais pour l’instant, lorsque ἡ ὁδός précède « vérité » et « vie », le « chemin » est d’abord la réponse à la question des disciples. Dans leur entretien alors il s’agissait d’un lieu, d’un « lieu pour vous », avait dit le Christ : τόπον ὑµῖν (14, 2). Pour ce lieu qui est d’abord celui où il va il y a un chemin : καὶ ὅπου [ἐγὼ] ὑπάγω οἴδατε τὴν ὁδόν (14, 5). Mais pour les disciples le lieu lui-même est une énigme : Κύριε, οὐκ οἴδαµεν ποῦ ὑπάγεις· πῶς δυνάµεθα τὴν ὁδὸν εἰδέναι ; C’est à cette question, portant sur le lieu et le chemin qui y mène, que répond le Ἐγώ εἰµι. Ἐγώ est le chemin, et le nom du lieu où conduit le chemin sera le nom même de celui qui envoie, qui est aussi celui qui donne, c’est-à-dire : ὁ πατήρ. Le Père est le nom du lieu, destination qui fut d’abord provenance, lui qui a donné le vrai pain qui lui-même donne vie. Vérité et vie proviennent de ce lieu : la conjonction chemin-vérité-vie indique ce qui vient de ce lieu et va à lui, à travers la « contradiction mortelle » évoquée par Przywara, puisque le Messie doit mourir. Or le chemin est l’unique chemin vers le lieu, et quant au voir, quant au « savoir », celui qui connaît le chemin connaît aussi le lieu où il mène, celui qui voit le chemin a déjà vu le lieu : il ne mène pas à un autre lieu que celui que le chemin est lui-même. Les mots de Jésus ne peuvent que paraître étranges pour celui qui sépare le chemin de la provenance et de la destination : οὐδεὶς ἔρχεται πρὸς τὸν πατέρα εἰ µὴ δι’ ἐµοῦ. εἰ ἐγνώκατέ µε, καὶ τὸν πατέρα µου γνώσεσθε· καὶ ἀπ’ ἄρτι γινώσκετε αὐτὸν καὶ ἑωράκατε αὐτόν. « Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi. Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père : et dès maintenant vous le connaissez et vous l’avez vu » (14, 6-7). La conjonction chemin-vérité-vie portée par l’affirmation Ἐγώ εἰµι est le chemin-lieu qui est « pour vous », le lieu qui ouvre à partir de lui-même le chemin qui mène jusqu’à lui. Or, concernant un tel chemin qui est lieu, le plus étrange est que l’ἀλήθεια elle-même s’avance en tant que Ich, selon un tel Ich bin. L’ἀλήθεια en effet est à la fois le chemin et le lieu, comme il sera dit plus loin en toute clarté, lorsqu’il s’agira d’un autre chemin, celui qui s’appelle πνεῦµα : ὅταν δὲ ἔλθῃ ἐκεῖνος, τὸ πνεῦµα τῆς ἀληθείας, ὁδηγήσει ὑµᾶς ἐν τῇ ἀληθείᾳ πάσῃ (16, 13). « L’esprit de vérité » conduira au même lieu, celui auquel Ἐγώ conduit déjà, et celui qu’il est déjà, chemin-lieu qui sera alors pleinement « pour vous ». Ce lieu, le lieu-chemin, est l’ἀλήθεια. Il est alors frappant qu’Erich Przywara choisisse de traduire celle-ci, en sa conjonction avec πνεῦµα, selon le dévoilement qui s’accomplit pleinement lorsque le Dieu dit : Ich bin. Dans la traduction qu’il donne de Jean, ἀλήθεια sera, à chaque fois (1, 17 ; 4, 20 ; 8, 44 ; 14, 6), die entborgene Wahrheit, la vérité sans retrait du Dieu que « personne n’a vu ». Le non-retrait, voilà qui est précisément indiqué par la parole johannique, accomplissement de la parole exodique, Ἐγώ εἰµι, même lorsqu’elle a le sens d’un secret ou d’un mystère. Quelle que soit la langue dans laquelle elle fut d’abord écrite, cette parole est venue à nous en grec. Mais que l’ἀλήθεια s’avance selon cet Ἐγώ, dans l’attestation de soi-même du Témoin témoignant pour soi et appelant lui-même au témoignage pour le Témoin qu’il est déjà, voilà qui n’est peut-être pas grec. Dans quelle distance au juste tout cela advient à l’égard du grec, de ce qui est grec, voilà qui demeure indécis.
https://journals.openedition.org/cps/1314
Je me suis demandé si les disciples (selon Jean) n'étaient (à leur insu) des passagers clandestins, DANS (EN) le Fils, en empruntant un "chemin" qu'ils connaissaient déjà (Ils avaient déjà fait le trajet aller) mais qu'ils avaient oublié (leur origine divine). Le RETOUR les concerne aussi. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Ven 26 Avr 2024, 16:48 | |
| En vrac: Je repense à Lacan: Moi, la vérité, je parle... Pour rappel, les egô eimi "absolus" (= sans attribut / prédicat) qui dans le quatrième évangile surprennent le lecteur ou l'auditeur, et par contrecoup se font entendre aussi dans les énoncés avec attribut / prédicat (je suis... le pain, le berger, la porte, la résurrection, la vie, le chemin, la vérité, encore la vie, la vigne), rappellent davantage, en grec, le deutéro-Isaïe et quelques autres textes ( egô eimi pour 'ani hou', je suis lui, c'est moi, je suis le même) qu'Exode 3 (où 'ehyeh 'asher 'ehyeh est traduit par egô eimi ho ôn, je suis l'étant, celui qui est, et où la reprise de 'ehyeh comme nom propre est traduite par la reprise du participe substantivé, ho ôn, et non du pronom et du verbe, egô eimi). Heidegger ne me paraît nulle part aussi agaçant -- c'est normal vu mon parcours -- que par la mauvaise foi avec laquelle il dénie toute pertinence "philosophique", ou "grecque", à tout ce qui est "chrétien"; en retournant au pied de la lettre, et sans la moindre analyse contextuelle, le rejet "chrétien" de la "philosophie" (Colossiens 2,8 )... En quoi, au passage, il se montre bien moins "antisémite", quoique nazi, que la plupart de ses compatriotes contemporains: le "chrétien" est assimilé au "romain-latin" (pourtant célébré par le fascisme italien allié du nazisme allemand) plutôt qu'au "juif". Rapport symétrique et asymétrique de l'intelligence et de la bêtise (connerie, etc.): contrairement à ce qu'imagine le bon sens qui n'est ni l'une ni l'autre, elles sont strictement et non inversement proportionnelles. L'intelligence ouvre des perspectives insoupçonnées à la bêtise, et la bêtise à l'intelligence... Il suffit à chacun de se regarder dans un miroir. Pour revenir à Jean 13ss, le "départ" de Jésus est un "retour" au Père, et son "retour" vers les siens serait un nouveau "départ" du "Père", s'il ne s'identifiait pas au "retour" des siens vers le "Père" qui est aussi leur origine. On aurait un mouvement perpétuel s'il ne se résorbait pas en lui-même, sur un mode spiral ou hélicoïdal (colimaçon ou coquille d'escargot). Effectivement, dans cette perspective, le "chemin" se confond avec l'origine et la destination, et le Fils avec le Père (ce qui à la lettre n'arrange pas une doctrine trinitaire, cf. 14,8ss): avec les disciples-élus-engendrés-nés qui proviennent du Père et sont siens dès l'origine, avant d'être donnés au Fils comme son propre "nom", et rendus avec lui, tout est un (chap. 17); mais d'une "unité" mobile, qui s'exprime dans les deux sens, si l'on peut encore dire (vers le Père et vers le monde), par le même "venir" (cf. la fin de mon post précédent). A propos du "chemin" ou de la "voie" ( hodos), le jeu de 14,4ss est unique, à l'exception de 1,23 (// Marc 1,2s etc.); cf. hodoiporia, le "voyage", 4,6, et hodegeô, "guider, conduire", 16,13. Le "chemin" étant lui-même la métaphore par excellence, si la méta-phore est trans-port, trans-fert, trans-lation, traduction, etc.... Sur la question du "nous" et du "témoignage" christiques-johanniques, voir ici (notamment à partir de juin 2016) et là.Sur l'envoi "dans le monde" ( eis (ton) kosmon / into the world, § 9), cf. 1,9; 3,17.19; 6,14; 8,26; 9,39; 10,36; 11,27; 12,46; 16,21.28; 17,18; 18,37: les disciples-élus, qui n'ont jamais été du monde ( ek tou kosmou), ne se différencient en rien du Christ-Fils... et je ne vois vraiment rien là d'"antignostique", sauf à réduire la "gnose" au mouvement de "sortie" du monde, alors qu'elle suppose tout autant le mouvement contraire du rédempteur qui vient y chercher les siens... |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Sam 18 Mai 2024, 14:37 | |
| La coïncidence entre mes (re-)lectures (à petites doses) des sermons allemands d'Eckhart et nos discussions récentes sur la "parousie" ( ici et là) me ramène à ce fil-ci, à propos de l'expression "un peu" (cf. supra à partir du 5.5.2020). Les interprétations d'Eckhart, suivant la méthode scolastique de son temps, fonctionnent naturellement d'après le latin (même en allemand) et non d'après le grec, et en combinant allègrement toute sorte de textes "bibliques" autour de quelques mots, sans trop se soucier du ou des contextes. Par là même elles nous paraissent facilement arbitraires ou tirées par les cheveux, mais on peut en dire autant de la quasi-totalité des lectures anciennes ou médiévales, juives ou chrétiennes, "allégoriques" ou autres. Toujours est-il qu'Eckhart insiste maintes fois sur ce "un peu" ( modicum en latin, qui se rattache du coup aux notions de mode, de moyen ou de médiation), qui à ses yeux peut bien représenter la totalité du temps et du monde et reste cependant "peu", et encore "trop" par rapport à l' un, nombre sans nombre, fond sans fond, sans mode et sans médiation de l'être, de Dieu ou de l'âme, où l'un ne se distingue plus de "rien" (1 : 0, riun pourrait-on risquer d'écrire à partir du français). Il faut passer le "peu" qui peut être tout, ou le tout qui n'est jamais que "peu", pour y parvenir -- ou, plutôt, que ça nous parvienne. Quoi qu'on pense de l'interprétation eckhartienne, il faut bien constater -- même en grec et dans une exégèse moderne, qui se veut sérieuse, voire scientifique -- que les rédactions johanniques lui ouvrent la voie, en insistant autant (voire aussi lourdement), dans une énième reprise du thème (chap. 16 après 7, 12, 13--14), sur ce(t) "un peu", comme si cette expression banale, entendue jusqu'ici banalement et temporellement a priori, (un peu de temps), devait être méditée davantage. Si l'on en reste à l'aspect temporel de la question, qui n'est à vrai dire dissociable d'aucun autre dès lors que tout est "temporel", le "temps" au sens le plus général de durée, indifférent(e) à tout ce qui (s')y passe, c'est toujours "peu", si "long" qu'il soit, dès lors qu'il passe: comme le répétait Derrida au futur antérieur, la vie aura été si courte -- aurait-elle, au présent, paru bien longue, voire duré mille ou deux mille ans comme l'envisageait Qohéleth, arrivée au bout elle n'en aurait pas paru moins courte: le passé ne se distingue plus du rêve ( Psaume 90 ou La vida es sueño), ce qui ne le dévalue pas mais inviterait plutôt à réévaluer le rêve, ou la fiction. Ce n'est peut-être pas un hasard si une autre méditation sur le "peu" qui vient à l'esprit, même avec un vocabulaire grec en partie différent, c'est l'épître aux Hébreux, médio-platonicienne, qui oppose la plus radicalement le "temps" à l'"éternité" (cf. 2,7.9, brakhu, qui peut être pris au sens temporel et/ou spatial, abaissé un peu [de temps?] au-dessous des anges; 10,37, mikron + hoson hoson, "un peu, autant autant", autant que ça soit, aussi peu ou aussi longtemps). |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Mar 21 Mai 2024, 10:31 | |
| 16.16 Encore un peu de temps, et vous ne me voyez plus ; puis, un peu de temps encore, et vous me verrez, parce que je m’en vais au Père. 17 Sur quoi quelques-uns de ses disciples se dirent entre eux : Que signifie ce qu’il nous dit : Encore un peu de temps, et vous ne me voyez pas ; puis, un peu de temps encore, et vous me verrez ? Et cette autre parole : Parce que je m’en vais au Père ? 18 Ils disaient donc : Que veut-il dire par cette parole : Un peu de temps ? Nous ne comprenons pas ce qu’il dit.
La promesse du retour de Jésus, pour être consolante, ne devait pas être à trop long terme. Jésus affirme sa réalisation très prochaine. Deux courts espaces de temps, et il sera là ! Weiss, avec Lange, Hengstenberg, etc., rapporte ce retour aux apparitions de Jésus après sa résurrection. La suite (voir surtout v. 25 et 26) montrera l’impossibilité de cette explication. Mais dès maintenant l’asyndeton entre les versets 15 et 16 fait supposer une liaison de sentiment beaucoup plus profonde que ce ne pourrait être le cas dans ce sens, entre ces deux paroles. Si, conformément à ce qui précède, on applique le passage v. 16 et suivants au revoir spirituel par la venue du Paraclet promis, comme 14.17-33, tout s’explique simplement dans ce qui suit. Rempli de l’idée de sa glorification par l’Esprit dans le cœur des disciples (v. 13-16), Jésus appelle ce retour un revoir mutuel (v. 16 et 22). C’est à cette réapparition vivante dans l’âme des siens qu’aboutira sans tarder la séparation prochaine. — Le premier mikrìn, un peu de temps, se rapporte au court espace de temps qui sépare le moment actuel de celui de sa mort ; le second, à l’intervalle entre sa mort et la Pentecôte. Trois alex. et le Cantabrig. retranchent ces mots qui terminent le verset : Parce que je m’en vais au Père; ils auraient été dans les autres documents importés ici du verset 17. Mais il me paraît plutôt que ce : Vous me verrez parce que je m’en vais, a paru absurde, contradictoire, et que l’on a retranché ici ces derniers mots. Si on les a laissés subsister au v. 17, c’est que là le (...) pouvait être envisagé comme dépendant de (...), dans le sens de que, et non de vous verrez dans le sens de parce que. Mais on n’a pas réfléchi qu’en les conservant au v. 17 on condamnait leur omission au v. 16, puisque le v. 17 est la répétition du 16. Un coup d’œil sur la note de Tischendorf montre qu’Origène est probablement l’auteur de ce retranchement, comme de tant d autres erreurs dans le texte alexandrin. Ce parce que, qui a embarrassé Origène, est clair dès que l’on rapporte ce revoir à la Pentecôte. C’est parce que Jésus retourne au Père qu’il peut être revu des fidèles par le Saint-Esprit (7.39 ; 16.7). — Cependant, en s’exprimant comme il le faisait, Jésus proposait à ses disciples un problème ; il ne l’ignorait pas. Ces deux courts délais (un peu de temps), qui devaient avoir des conséquences opposées, et cette idée, en apparence contradictoire : Vous me verrez parce que je m’en vais. . . , devaient être pour eux des énigmes. Nous retrouvons ici le procédé pédagogique que nous avons observé déjà 14.4,7. Par ces expressions paradoxales, Jésus provoque à dessein la révélation de leurs derniers doutes, afin de pouvoir les dissiper tout à fait.
L’espèce d’a parte qui s’établit entre quelques-uns des apôtres (v. 17), ne s’expliquerait pas aisément, s’ils entouraient encore Jésus, comme cela avait eu lieu au moment où il prononçait 15.1 et suivants. Il est donc probable qu’en prononçant le v. 16, Jésus se remet en marche, les disciples le suivant à quelque distance. Cela explique comment ils peuvent s’entretenir entre eux, ainsi que cela est raconté dans les v. 17 et 18. Les mots : Je m’en vais à mon Père, furent peut-être le signal du départ. — Les objections des disciples sont naturelles, à leur point de vue. Là où pour nous tout est clair, pour eux tout était mystère. Si Jésus veut fonder le royaume messianique, pourquoi s’en aller ! S’il ne le veut pas pourquoi revenir ? Puis, comment se représenter ces phrases contraires qui doivent s’accomplir coup sur coup ? Enfin : Je viens, parce que je m’en vais. . . ! N y a-t-il pas de quoi s’écrier : Nous ne comprenons pas ce qu’il dit (v. 18) ? Tout cela prouve clairement la vérité du récit ; un écrivain postérieur eût-il pu se replacer ainsi dans le vif de cette situation-là ? : « et cela parce que. . . » C’est ce mot qui augmente pour eux la difficulté de comprendre. Il y a comme une sorte d’impatience dans leur manière de s’exprimer au v. 18.
https://www.koina.org/page-7/page299/files/godet_jean.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Départ et retour de l'Envoyé - Jean 13 -16. Mar 21 Mai 2024, 11:09 | |
| Il y a vraiment chez Godet (1902, p. 1275ss) un mélange rafraîchissant d'intelligence exégétique et de naïveté croyante, ou de bonhomie pastorale -- une orthodoxie sympathique, c'est assez rare...
Bien sûr tout s'explique, au pied de la lettre et au ras des pâquerettes, en prenant les "un peu" dans un sens chronologique, et en les emmanchant comme des durées successives -- un peu de temps de ce soir à la mort, encore un peu de la mort à la résurrection du surlendemain qui est aussi, dans le quatrième évangile, le jour des apparitions et du "Saint-Esprit", si l'on n'y mêle pas la Pentecôte des Actes: trois jours en tout, un long week-end qui commence mal et finit bien... Par rapport à ça, pour le familier des évangiles (comme l'est ou le sont au moins en partie l'auteur ou les auteurs du quatrième) la perplexité des disciples paraît tout de même surjouée. Godet y voit, ou feint d'y voir, un signe d'authenticité historique de toute la scène (on se demande alors pourquoi les autres évangiles n'en parlent pas), mais on n'empêchera pas le lecteur johannique, sapiential ou gnostique, d'entendre tout autre chose dans ce même "un peu" qui sépare, dans les deux sens, un "voir" devenu impossible d'un "voir" devenu par là même possible... De là dépendra aussi le niveau de lecture de l'"explication" fournit par le texte même (la réponse de Jésus, voir la suite), succession temporelle de la tristesse et de la joie ou superposition, surimpression, co-implication paradoxale de la tristesse et de la joie. Comme l'indiquent les références au Paraclet et/ou à l'esprit de vérité qui précédent (v. 7ss), le texte est justement écrit de façon à ne pas être compris d'un seul coup: il y a matière à relecture et à réflexion.
P.S.: Je remarque après coup la différence de temps (présent / futur) que tu soulignais en 16,16 (vous ne me voyez plus / vous me verrez): elle est peut-être plus significative en effet que la différence de verbe (theoreô / optanomai supplétif de horaô), parce qu'elle souligne une sorte de séquence logique, sinon chronologique, entre le "ne plus voir" et le "voir de nouveau" (palin). Au passage, on pourrait traduire de façon encore plus précise la syntaxe de la phrase (kai... kai..., effet de balancement, et x et y): un peu et vous ne me voyez plus, et de nouveau un peu et vous me verrez, superposition et succession, à la fois et pas en même temps... -- Sur un autre registre (encore que...) cela me rappelle une vieille lecture de Tagore, où (de mémoire) un sage dit à une veuve qui vient de perdre son mari: "Dans quelques jours tu l'auras retrouvé", et où celle-ci revient quelques semaines plus tard pour lui dire "Tu avais raison." (Sans aucune "résurrection" littérale bien sûr.) |
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