La fiabilité des citations de la Watchtower

Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008

Si la Watch ne cite pas ici 1,18 (je ne l'avais pas remarqué), c'est sans doute parce que selon le texte retenu par la plupart des éditions critiques et des traductions modernes (dont la NWT/TMN) le mot "fils" (huios) ne s'y trouve pas; dans cette leçon on a seulement monogenès theos (sans article), "unique / dieu", qui appelle en traduction l'ajout du mot "fils" pour éviter un contresens: ce n'est pas "un dieu unique" ou "un seul dieu" (monos theos), mais le ou un "dieu [fils-]unique"; et tout dépend encore comment on analyse la relation des deux termes -- OU BIEN en faisant de l'un l'épithète de l'autre, "un/le dieu [fils-]unique" OU "un/le [fils-]unique dieu", OU BIEN comme une simple juxtaposition de noms avec un troisième terme: "[fils-]unique, dieu, celui qui est contre le sein du père". En tout cas, quels que soient le texte et la traduction choisis, y compris celle(s) de la NWT/TMN, je ne saisis toujours pas comment la Watch peut y voir un argument pour sa doctrine, si ce n'est que la difficulté du texte lui permet de noyer le poisson...

Comme on l'a aussi vu plus haut (1.7.2020), Justin entend encore la différence entre logos (parole-pensée, "Verbe") et huios (fils), ce qui lui permet de distinguer (logiquement, sinon chronologiquement) entre "profération" de l'un et "engendrement" de l'autre. Cette distinction-là est forcément perdue quand on identifie purement et simplement "Verbe" et "Fils", comme cela arrive dans la théologie trinitaire ultérieure qui n'a naturellement pas de place pour deux "deuxièmes personnes": en pratique, c'est une formule qui prend le pas sur l'autre: si "Fils" est le signifiant-signifié-référent du dogme, comme c'est généralement le cas, "Verbe" n'est plus qu'une "métaphore" à son sujet, ou un "titre" accessoire; mais ce pourrait aussi bien être le contraire. (En fait, quand on veut vraiment penser ce qu'on dit, et ne pas confondre "Verbe" et "Fils" par exemple, il n'est plus question de se limiter à trois termes et on retombe nécessairement -- si c'est une chute ou une rechute -- dans l'ouverture infinie des "généalogies gnostiques": autant de noms et d'aspects du divin qu'on pourra nommer et concevoir, il faudra en penser la dérivation logique, dans un jeu ouvert qui ne s'arrêtera pas plus à trois qu'à quatre-vingt-dix-neuf...)

Quant à Isaac, ainsi qu'on l'a déjà noté (5.6.2020), il était sans doute "fils" au sens habituel, sexuel et familial du terme (ce que précisément ni "l'archange Mich(a)el" ni "Jésus" ne seraient selon la doctrine jéhoviste !), mais pas "unique" (ni même "premier-né": Ismaël), si ce n'est par une inconséquence des textes qui, dans une perspective harmonisante, se réduit à une "façon de parler" (le seul qui compte). L'argument est effectivement idiot par quelque bout qu'on le prenne.

Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008

La Confession christologique « Jésus, Fils de Dieu ».

Mais il est capital de comprendre ici que la confession de Jésus comme Fils de Dieu ne consiste pas du tout à l’identifier purement et simplement à Dieu, à en faire une épiphanie pure et simple de Dieu. Certes, il est cela, mais non pas comme si Dieu « tout court » s’était incarné et manifesté en lui, mais de telle manière que ce qu’on a vu en lui, était quelqu’un d’autre que le Père, envoyé par le Père et Fils de celui-ci (mais qui bien sûr, — et en ce sens la confession directe de Jésus comme Dieu est à sa place, — était lui-même Dieu). Il n’y a rien à faire, la confession chrétienne de Dieu est une confession spécifique, et la confession de Jésus comme Fils de Dieu est une affirmation différenciée, introduisant une différenciation en Dieu (non de nature, certes, mais de personne).

Il importe donc, à la fois pour respecter la confession christologique et pour respecter la foi trinitaire, de bien comprendre que la confession de foi dit que Jésus est Fils de Dieu, c’est-à-dire Fils du Père, et que ce n’est donc pas la même chose que si on disait simplement : Il est Dieu (car, pour le christianisme, Dieu « tout court » ne s’est pas incarné, ni le Père, ni l’Esprit, mais le Fils de Dieu). C’est tout le mystère trinitaire, que nous ne pouvons ici développer trop longuement, mais qui nous oblige à souligner qu’il y a une différence à dire que Jésus est Dieu (on désigne alors la personne du Fils de Dieu sur le fond de sa nature divine consubtantielle) et dire que Jésus est le Fils de Dieu (on désigne alors sa personne, on dit ce qu’il est sur le fond de sa distinction d’avec les autres personnes).

Les trois personnes sont, sous le mode de la personne, « différemment » le même Dieu, — sinon la Trinité n’a pas de sens. Non pas qu’il y ait trois dieux, la doctrine trinitaire n’est pas une doctrine trithéiste. Non pas non plus qu’il s’agisse de modalisme, la doctrine trinitaire n’est pas un tri-théo-morphisme. Mais les trois personnes sont différemment Dieu, non pas en nature (et c’est pourquoi Jésus est Dieu), mais hypostatiquement, dans la relation qu’elles entretiennent entre elles et même, pour une part, dans celle qu’elles entretiennent vis-à-vis de nous (c’est le Fils qui s’incarne et non le Père, par exemple). Dans la logique chrétienne, Dieu n'est pas Dieu simplement. En un sens, le christianisme n’est pas un monothéisme. Je crois que, historiquement, l’arianisme est, pour une part, une volonté de ramener la confession chrétienne de Dieu à un ancien monothéisme fermé, le monothéisme plotinien, au fond.

(...)

« Dieu n’est plus comme avant », pourrait-on dire. L’Incarnation, en tout cas, est quelque chose qui est arrivé à Dieu. Dieu, désormais, est un Dieu qui a connu le destin humain dans sa propre personne, en la personne du Fils de Dieu. Dieu n’est pas le Dieu impassible et immuable de notre entêtement grec. Notre Dieu n’est pas ce Dieu-là, mais le Dieu qui, dans le Fils, a vécu, souffert, aimé, parlé ; le Dieu qui est concerné dès lors, affecté par ce qui nous arrive, depuis qu’en le Fils il a partie liée avec nous.

Contre tout monothéisme fermé, dont l’arianisme est le remords chrétien, il nous faut donc ici attester les droits de l’affirmation trinitaire, attester la confession de Jésus, Fils de Dieu, comme l’intelligible chrétien de la condition même de Dieu. Jésus est Fils, Verbe révélateur, il nous apprend quelque chose de nouveau sur Dieu et, dans son Esprit, nous donne droit d’écoute et droit de parole. Et cela, contre tout théisme, qui n’est au fond qu’un arianisme, qu’un monothéisme irrédentiste, une ignorance et/ou un refus de la Trinité.

https://books.openedition.org/pusl/8481?lang=fr

Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008

Article stimulant (je remarque une fois de plus combien le climat théologique, en particulier catholique, a changé depuis les années 1970-80, et pas dans le sens d'un "réchauffement": tout paraît aujourd'hui nettement plus frileux).

On retrouve là toutes les "apories (structurelles) de la révélation" (cf. ici): on peut toujours dire, plus ou moins naïvement, sur un mode mythologique, temporel et narratif, que "Dieu" a changé, que comme n'importe quel dieu il a fait ou est devenu ceci ou cela, dans le temps et dans l'histoire (p. ex.: devenir mortel); MAIS la réflexion théologique ne peut pas s'arrêter là, à vrai dire c'est là qu'elle commence: pour que ce soit une (vraie) révélation de "Dieu", qu'ainsi il se révèle tel qu'il est (vraiment), il faut réinscrire l'"événement" dans la (vraie) nature ou l'essence de "Dieu" (ainsi la Trinité ontologique, immanente et éternelle en amont, si l'on peut dire, de tout événement temporel comme la création, l'incarnation, ou l'action de l'esprit dans le monde, dans l'histoire ou dans l'Eglise); dès lors "il" n'a pas "changé" du tout, la révélation ne contrevient pas à ce que "Dieu" est ou était, mais aux idées fausses ou insuffisantes, en tout cas préconçues, qu'on pouvait avoir de "lui" avant ou en dehors de cette révélation; idées cependant nécessaires, en tant que "précompréhensions" (ou "capacités d'anticipation" pourvu qu'elles soient ouvertes, comme dit très bien Gesché, §§ 55ss), sans quoi la "révélation" et son "effet de surprise" n'auraient jamais pu avoir lieu, faute de sujet ou de référent connu et re-connu, fût-ce comme on ne l'attendait pas. Ce qui signifie également que le "récepteur" de la révélation fait partie intégrante de celle-ci (que ce soit sur le mode "gnostique" ou sur celui du "Saint-Esprit" ecclésiastique qui rend capable de la recevoir, ce que ne saurait faire une "créature" totalement étrangère au "divin").

Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008

Du sens de la « communication » divine

31Dieu, donc, par l’Incarnation, disent ces textes catholiques, se « communiquerait ». Ne s’agit-il que d’un jeu de mot ? Si la tradition chrétienne catholique, consultée ici dans quelques uns de ses écrits inscrits dans différents champs d’expression(théologie, dogmatique conciliaire, catéchèse) et de diverses modalités auctoriales et discursives – tantôt « l’Église » s’y exprime, tantôt seulement l’un de ses membres ou théologiens – pose que Dieu « se communique » par la Révélation, dont les Écritures sont la trace, le vecteur et le signe, et par l’Incarnation du Christ, personne même de Dieu, cette « communication » a-t-elle quelque chose à voir avec ce que nous entendons par « communication », la production et la mise en circulation de sens par des médiations langagières et iconiques, techniques et sociales (Douyère, 2012a) ? Ne faudrait-il pas distinguer ces deux sens, et estimer que le premier désigne le don, l’entrée, la venue de Dieu dans l’humanité (soit la mise en accessibilité de Dieu par l’humanité, et la transformation de l’humain en divin), et que le second désigne l’échange humain ? Parler de la « communication » de Dieu ne serait alors qu’un arbitraire jeu sur les mots, faisant croire qu’il y a du sens là où n’est que consonance ? Le sens chrétien présenté ici de « communication », donner à, transmettre, pourrait être un sens littéral, destiné à la désuétude, du mot, et n’être que cela, si cette « communication » de Dieu n’était aussi nommée comme « Parole », « Écritures », « Révélation », signification, si elle n’était « dialogue » avec l’homme, et le fondement de toute une communication ultérieure (Pinto de Oliveira, 1968), qui de la parole et de la rhétorique de la prédication aux techniques numériques, en passant par l’image, le rite, l’imprimerie, l’ingénierie sociale (groupes de prières, assemblées, paroisses…) ne se fondait, « en définitive », sur cette « communication » première. La communication de Dieu par l’Incarnation, ce devenir-homme du dieu chrétien, engage donc « la communication » au sens de production langagière et iconique dans l’interaction et l’altérité. Car Dieu parle, pour les chrétiens catholiques, et continue de le faire (par son Église, son Esprit, les Écritures, les sacrements). Du moins, toute une communication, et un ensemble de textes, le disent, et s’en donnent comme la trace. https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/8331#tocto2n2

Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008

Les "sciences humaines" ou le simulacre méthodique de la méthode...

En dépit (plutôt qu'à cause) de l'attirail métalinguistique, c'est plutôt bien vu.

"Communication" ou "révélation", chaque terme a ses avantages et ses inconvénients (le premier est pourri par son usage médiatique, le second par son usage religieux, ou plutôt confessionnel); son sens en tout cas n'a de sens que de l'intérieur, par la participation à un mouvement ou à un processus -- soit une "métaphore" ou une "métonymie". De tout autre "point de vue" (point de vue de l'"origine" ou de l'"intention", du "but" ou du "résultat", ou d'une posture d'"objectivité" qui se paie toujours d'une "imposture subjective") il s'annule, au double sens du nul et de l'anneau. Comme disait plus succinctement Pascal, Dieu parle bien de Dieu -- et ce ne serait même pas lui répliquer que d'ajouter: il se comprend.

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