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| La fiabilité des citations de la Watchtower | |
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Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Jeu 02 Juil 2020, 11:35 | |
| Merci Narkissos, c'est plus clair mais tellement profond que peu de personne ne se livre à ce genre d'analyse.
Sous le titre Les Pères apostoliques ont-ils enseigné la Trinité ?, la Watch cite l'exemple de Clément de Rome :
Clément ne dit pas que Jésus ou l’esprit saint est l’égal de Dieu. Il présente le Dieu Tout-Puissant (non pas seulement le “Père”) comme étant distinct du Fils. Il parle de Dieu comme étant supérieur, puisque le Christ a été “envoyé” par Dieu et que Dieu l’a “choisi”. https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1992084#p14
Mes recherches m'ont amené à découvrir un article hermétique pour mon petit esprit (sans fausse modestie) avec des termes et des formules "sorciers", l’ordre de l’identité-mêmeté, l’identité-ipséité ... :
Dieu envoie le Christ (qui vient de Lui : 42) qui à son tour envoie les apôtres (qui viennent de Lui : 42). Clément épouse ainsi la christologie johannique de l’Envoyé : le concept d’envoi sous forme nominale ou verbale scande en Jean la prière sacerdotale, où l’on peut en relever six occurrences et notamment, dans un style proche de Clément, en Jn 17, 18 : « Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde ». Mais on voit bien aussi que la succession apostolique n’est pas monodirectionnelle (ou orthodromique), c’est-à-dire de Dieu vers le bas selon une christologie « d’en-haut », elle est aussi antidromique, des apôtres vers le Christ et du Christ vers Dieu selon une christologie « d’en-bas ». Et les apôtres à leur tour ont « prêché » la « bonne nouvelle », « dans les campagnes et dans les villes » (42) avec un viatique trinitaire : la foi en la résurrection, l’affermissement par la parole de Dieu, « la pleine certitude de l’Esprit-Saint » (42). L’accent est là aussi johannique puisque le Christ, apparu aux apôtres après sa résurrection, inscrit l’Envoi solennel dans une dimension trinitaire en se situant lui-même comme l’Envoyé du Père, qui envoie à son tour les apôtres en leur insufflant l’Esprit Saint dans la même unité de temps et de lieu (Jn 20, 21-23). Dans cette identité en construction que Clément élabore, la préfiguration d’une source trinitaire de l’Église est déjà contenue comme une caractéristique ipséitaire, c’est-à-dire non comme « un mode d’être » (qui serait de l’ordre de l’identité-mêmeté et donc « réformable ») mais comme le « fondement d’être » (qui est de l’ordre de l’identité-ipséité) et donc de l’invariant, car c’est ainsi que « les choses sont sorties en bel ordre de la volonté de Dieu » (42). L’admonestation de Clément aux Corinthiens va puiser là en quelque sorte sa légitimité théologique. Car si le conflit de l’Église de Corinthe n’est pas acceptable, c’est parce qu’il détériore le bel ordre de la volonté de Dieu. En effet, les apôtres ont prêché la bonne nouvelle et ont établi « les prémices » en les éprouvant par l’Esprit Saint (42). Et ces prémices, dit Clément, sont faits episkispoi kai diakonoi. https://journals.openedition.org/rsr/1979 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Jeu 02 Juil 2020, 12:32 | |
| La réflexion n'est certainement pas pour tout le monde, mais elle est aussi indispensable et inévitable à certains, à certains moments de leur vie, qu'inaccessible et inutile à d'autres la plupart du temps. Il ne faut pas confondre religion et théologie, elles sont largement antagonistes, mais elles ont quand même besoin l'une de l'autre et elles ont tout intérêt à communiquer entre elles.
La distinction entre "ipséité" et "mêmeté" qui structure l'"identité" a été particulièrement développée par Ricoeur, elle est essentielle au récit (notamment autobiographique): "je" suis "le même" qu'il y a dix ou cinquante ans (ipséité, je suis la même "personne" ou le même "personnage", postulat sans lequel il n'y a même pas de récit possible) et je ne suis pas le même (mêmeté: j'ai changé), c'est la dialectique même (!) de l'"identité" -- ce qui est naturellement de nature à intéresser un neuropsychiatre comme Roger Gil... Maintenant, comme beaucoup de choses, cela peut se répéter comme une banalité ou se penser plus profondément... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Jeu 02 Juil 2020, 13:10 | |
| - Citation :
- L’accent est là aussi johannique puisque le Christ, apparu aux apôtres après sa résurrection, inscrit l’Envoi solennel dans une dimension trinitaire en se situant lui-même comme l’Envoyé du Père, qui envoie à son tour les apôtres en leur insufflant l’Esprit Saint dans la même unité de temps et de lieu (Jn 20, 21-23).
La christologie de l'Envoyé implique l'unité de l'Envoyé avec l'Envoyeur, lorsque l'Envoyé parle ou agit, cela revient au fait que c'est l'Envoyeur qui parle et agit. l'Envoyé, c'est Dieu sous une autre figure. L'unité qui préside à cette relation fait participer l'envoyé au droit et au pouvoir de l'envoyeur, il y a un vrai transfert de pouvoir et d'autorité. D'ailleurs le Jésus johannique ne fait de lui même mais il fait comme le Père, en tant qu'Envoyé, il ne manifeste rien d'autre que la révélation de son Envoyeur, le Père. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Jeu 02 Juil 2020, 15:24 | |
| Le schème de la mission (envoi, envoyeur, envoyé), du mandat et de la représentation est l'un des arguments préférés des anti-trinitaires, ou plus généralement des partisans d'une christologie "basse", parce que son allure fonctionnelle et conventionnelle (juridique, sociale, économique, politique) leur paraît constituer un recours ou une parade contre l'ontologie: l'envoyé représente celui qui l'envoie, de sorte que ce qui est fait à l'un est fait à l'autre, c'est un langage qui peut s'appliquer au Christ comme à n'importe quel prophète, ange ou apôtre, qui ne parle que de sa fonction et ne dit rien de sa "nature" ou de son "essence"... |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Jeu 02 Juil 2020, 16:51 | |
| Merci, Narkissos, c'est lumineux et cela parait logique alors qu'avant que tu l'expliques, cela ne m'était jamais venu à l'esprit. |
| | | free
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Jeu 02 Juil 2020, 19:05 | |
| Je reviens sur Tertullien que je commence à mieux comprendre (à peine mais ça va mieux) :
Il est donc possible, en s'appuyant sur l'économie, de rendre compte de la réalité trinitaire de la divinité. L'économie en effet,
dispose l'unité en trinité en alignant les trois, le Père, le Fils et l'Esprit, — trois non par l'essence mais par le degré ; non par la substance mais par la forme ; non par la puissance mais par l'aspect (non statu sed gradu, nec substantia sed forma, nec potestate sed specie)
Le Père, le Fils et l'Esprit sont trois par le degré, c'est-à-dire qu'ils représentent en quelque sorte trois moments du déploiement de la Trinité :
Tout ce qui sort de quelque chose est nécessairement second de la chose d'où il sort, sans en être pour autant séparé. Or là où il y a un second, ils sont deux ; et trois, là où il y a une troisième. Troisième est en effet l'Esprit à partir de Dieu et du Fils, de même que troisième à partir de la racine est le fruit qui sort de la branche, troisième à partir de la source le ruisseau qui sort du fleuve, troisième à partir du soleil la pointe qui sort du rayon. Aucun d'eux toutefois n'est étranger au principe dont il tire ses propriétés. Ainsi la Trinité, se déroulant à partir du Père par des degrés sertis et conjoints, d'une part ne nuit en rien à la monarchie, d'autre part protège le statut de l'économie.
Le Père, le Fils et l'Esprit sont trois par la forme. La forme désigne ici un principe d'individuation de l'être spirituel. Le Verbe de Dieu par exemple, reste lui-même, persévère « en sa propre forme » même dans l'incarnation. La naissance dans la chair ne fait pas de lui un autre. Le Père, le Fils et l'Esprit sont trois par l'aspect, c'est-à-dire par ce qu'ils donnent à voir de la divinité. « La source et le ruisseau sont deux aspects »66 d'un même cours d'eau. La distinction porte sur la manière dont se manifeste la chose, pas sur sa substance. http://www.patristique.org/sites/patristique.org/IMG/pdf/Cours_V_-_2006.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Jeu 02 Juil 2020, 19:26 | |
| J'aurais dû préciser que l'image de l'envoyé (mandataire, représentant, lieutenant, plénipotentiaire, etc.) est employée aussi bien dans des textes du NT habituellement estampillés "christologie haute" (p. ex. l'évangile selon Jean) que dans d'autres qui paraissent indifférents à la question (p. ex. Matthieu): c'est dire qu'on ne peut guère en tirer de conclusion doctrinale, bien que ce soit un "contre-feu" commode pour les adversaires d'une "christologie haute". La stratégie de ces derniers consiste, bien sûr, à faire passer le langage fonctionnel de la "mission" (etc.) pour une clé d'interprétation minimaliste de tout autres énoncés, notamment "ontologiques": que le Christ soit dit "Dieu", "Seigneur", "Fils", etc., cela ne dirait jamais ce qu'il est ("essentiellement"), mais seulement le rôle qu'il joue (la réduction jéhoviste du logos à la fonction de porte-parole est à cet égard exemplaire): la ficelle est grosse mais jusqu'à un certain point elle fonctionne (c'est le cas de le dire).
Pour ce qui est de 1 Clément (texte qui m'a toujours paru douteux par son côté "patchwork" de citations hétéroclites), je n'y vois pas vraiment d'intérêt "christologique" et encore moins "trinitaire", mais on peut quand même noter qu'il reprend au chapitre 36 les citations de l'épître aux Hébreux relatives à la supériorité du Fils sur les anges...
Quant à Tertullien, la suite du cours de Fritz est aussi intéressante en ce qui concerne le logos, traduit par sermo et non par verbum, qui est bien compris comme une "faculté" dont "Dieu" n'a jamais été dépourvu, même "avant" toute création... (pour rappel, le Contre Praxeas est lisible ici).
Encore une fois, les "Pères anténicéens" sont un terrain glissant pour la Watch, et pas seulement à cause de leur statut ambigu à ses yeux (tantôt "premiers chrétiens", tantôt "apostats"): s'il lui est facile de montrer que leurs conceptions de la "trinité" ou de la "christologie" ne correspondent pas exactement à celles de Nicée-Constantinople-Chalcédoine (c'est le contraire qui serait étonnant !), ils font apparaître les chemins de pensée qui y conduisent. Non pas, bien entendu, comme à une destination obligatoire, la seule "conclusion" possible, puisque comme on l'a vu l'ensemble du parcours qui y aboutit tient autant à des contraintes "historiques", autrement dit contingentes, que "logiques"; mais cela peut au moins donner des idées aux TdJ qui seraient tentés de penser leur propre doctrine, dans ses propres termes: "Jéhovah" a-t-il jamais été sans "parole", sans "raison", sans "sagesse", sans "esprit", sans une différence au moins potentielle dans son "unité", principe ou germe de toutes les différences à venir ? Voilà des questions qui, certes, ne mènent pas forcément au schéma trinitaire et christologique tel qu'il s'est fixé aux IVe et Ve siècles, mais engagent bien sur des pistes similaires. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Ven 03 Juil 2020, 16:18 | |
| - Citation :
- Encore une fois, les "Pères anténicéens" sont un terrain glissant pour la Watch, et pas seulement à cause de leur statut ambigu à ses yeux (tantôt "premiers chrétiens", tantôt "apostats"): s'il lui est facile de montrer que leurs conceptions de la "trinité" ou de la "christologie" ne correspondent pas exactement à celles de Nicée-Constantinople-Chalcédoine (c'est le contraire qui serait étonnant !), ils font apparaître les chemins de pensée qui y conduisent. Non pas, bien entendu, comme à une destination obligatoire, la seule "conclusion" possible, puisque comme on l'a vu l'ensemble du parcours qui y aboutit tient autant à des contraintes "historiques", autrement dit contingentes, que "logiques"; mais cela peut au moins donner des idées aux TdJ qui seraient tentés de penser leur propre doctrine, dans ses propres termes: "Jéhovah" a-t-il jamais été sans "parole", sans "raison", sans "sagesse", sans "esprit", sans une différence au moins potentielle dans son "unité", principe ou germe de toutes les différences à venir ? Voilà des questions qui, certes, ne mènent pas forcément au schéma trinitaire et christologique tel qu'il s'est fixé aux IVe et Ve siècles, mais engagent bien sur des pistes similaires
Merci pour cette synthèse éclairante.La trinité Est-ce la victoire de la christologie du Logos ?TRINITÉ
La victoire de la christologie du Logos
La difficulté de concilier le modalisme avec les nombreux passages des Évangiles où Jésus dialogue avec le Père allait finalement donner la victoire à la christologie du Logos.
À la « monarchie » des modalistes, qui confond le Père, le Fils et le Saint-Esprit, Tertullien (vers 160-vers 225) oppose la « règle de foi » traditionnelle, selon laquelle le Fils procède du Père et envoie à son tour l'Esprit. Ainsi, l'unité divine comporte une « économie » – un développement et une organisation internes –, donc une certaine pluralité.
Pour écarter tout soupçon de dithéisme, Tertullien affirme d'emblée l'unité de la substance divine. Le terme « substance » est pris dans son sens stoïcien : c'est l'étoffe dont les choses sont faites ; ici, c'est la matière constitutive de Dieu. Cette unité n'est pas ramassée avarement sur elle-même : en vue de la création, elle se déploie et s'organise, sans division ni opposition, en la trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Pour exprimer cette pluralité, Tertullien emploie le mot persona qui peut signifier le masque, le rôle, le sujet personnel. En ce dernier sens, Tertullien dit du Père, du Fils et du Saint-Esprit qu'ils sont trois « personnes ».
Comme ses prédécesseurs, Tertullien s'intéresse surtout à la relation du Fils au Père. Le Fils, qui est la Parole du Père, lui est consubstantiel. Mais cette Parole n'est pas éternelle : le Père la profère en vue et au moment de la création. En outre, le Fils n'est qu'une portion de la substance divine dont le Père est la totalité. Aussi peut-il se rendre visible, ce qui est incompatible avec la transcendance du Père. https://www.universalis.fr/encyclopedie ... -du-logos/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Ven 03 Juil 2020, 16:44 | |
| Eh bien si, justement, "la parole" est aussi "éternelle" que "Dieu", elle ne commence pas à la "création", parce que le logos (sermo, verbum, ratio, etc.) ce n'est pas seulement la parole exprimée, prononcée, proférée ou énoncée, c'est aussi bien la "parole intérieure" ou la "pensée" qui précède toute "expression" (etc.) et sans laquelle "Dieu" même n'est pas pensable. Tertullien est parfaitement clair là-dessus, il suffit de lire les textes référencés plus haut et pas plus tard (ni plus tôt) qu'hier. En fait le Prologue johannique (auquel Tertullien ne se réfère pas directement) peut parfaitement se comprendre (entre autres, car cette intertextualité n'épuise pas le sujet) comme un commentaire du "Dieu dit" de la Genèse. Pour "dire", il fallait qu'un logos soit dès le commencement, et qu'il soit "en Dieu" et "face à Dieu" sans pour autant être rien d'autre que "Dieu" avant même tout "dire"... |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Ven 03 Juil 2020, 17:03 | |
| - Narkissos a écrit:
- Le secret de la "simplicité" (relative) que d'aucuns croient pouvoir opposer à la complexité de la théologie classique, c'est qu'elle en reste à un plan foncièrement "mythologique": "Dieu" est un personnage comme un autre, naturellement distinct des autres, même s'il est "le premier" et "le plus fort". Il se situe "dans" le même "être", dans le même "espace" et dans le même "temps" que les autres, sans qu'aucune de ces notions, "être", "espace" ou "temps", soit jamais sérieusement interrogée; autrement dit, on ne touche pas du doigt le problème abyssal, pourquoi-comment y a-t-il de l'être, de l'espace et du temps ? Si c'est "Dieu" qui les a "créés", il ne relève pas de ces "catégories"; s'il ne les a pas "créés" il leur est soumis et il n'est pas "Dieu" au sens strictement monothéiste du terme. Bref, tant qu'on ne se pose pas ce genre de question, on peut toujours dire que "Dieu" "crée", "parle", "agit", dans le même temps que le nôtre à l'instar des dieux du polythéisme, même s'il est le seul... mais on n'a pas fait un pas vers la pensée d'un "Dieu" absolu ou cause première de TOUT.
Dieu a été de tout temps. Je comprends cela comme le fait que le temps n'a pas prise sur Lui et qu'il n'a pas été, n'est pas et ne sera jamais dans le même temps que les humains. Les hommes obéissants peuvent recevoir l'immortalité ils ne seront pas dans le même temps que Dieu puisqu'ils ont eu un commencement, ils ne peuvent donc être éternel c'est à dire de toute éternité, car ils ont été créés, avant ils n'existaient pas. Je ne peux concevoir d'éternité pour des créatures créées en les sortant du néant. Ai-je bien compris ce que tu as expliqué et mis en valeur ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Ven 03 Juil 2020, 18:34 | |
| Quand on dit que Dieu a été "de tout temps" on se réfère, par défaut, au seul "temps" que nous connaissions ou croyions connaître, celui dont nous ne pouvons pas envisager de "commencement" ni de "fin", même si *nous* avons un commencement et une fin *dans* ce temps-là. Dire que Dieu n'est pas "*dans* le même temps que les humains" suggérerait au contraire qu'il soit *dans* un autre "temps", *dans* autre chose que "le temps", *hors* du temps ou *ailleurs* que *dans* "le temps" tel que nous le connaissons (toutes choses que nous pouvons dire mais difficilement penser). C'est ce que tente de dire l'" éternité" classique qui n'est pas simplement la totalité du "temps" ordinaire (à supposer qu'une totalisation de ce temps ait le moindre sens; le "temps" est précisément l'intotalisable, on ne peut ni ajouter ni soustraire un "temps" à un autre, encore moins en inscrire la somme nulle part et en aucun "temps"), mais l'autre du "temps", autre chose que le "temps" qui aurait cependant à celui-ci un rapport essentiel. Toutes les expressions comme "*dans* le temps" (ou "*hors* du temps") traitent "le temps" comme un espace ou un lieu, avec un dedans et un dehors, c'est-à-dire qu'elles méconnaissent fondamentalement la différence, donc aussi le rapport, qu'il y aurait entre "temps" et "espace". La notion de création ex nihilo est elle-même historique et datée, même si elle se présente comme une conséquence logique du monothéisme (hors "Dieu", a priori "rien", donc "Dieu" ne pourrait "créer" quelque chose hors de lui qu'à partir "de rien" -- ou de lui-même). Elle apparaît vraiment au IIe siècle avec les débats entre "ecclésiastiques" et "gnostiques" dont nous avons déjà parlé, et à peu près simultanément dans la synagogue phariséo-rabbinique, même si elle est précédée (ou "préparée") par quelques idées antérieures (p. ex. Romains 4, appeler à l'être ce qui n'est pas, à propos de la "résurrection"; cf. p. ex. ici). Dans l'AT il n'en est jamais question: dans le premier récit de "création" de la Genèse, les ténèbres, l'abîme ou océan primordial, ou le fameux "tohu-bohu" de la terre "informe et vide" ne sont pas "rien"; le dieu se contente de séparer et d'organiser ce qui existe déjà, non sans y mettre de lui-même, notamment par sa "parole", son "esprit" ou son "souffle", son "image" (ou l'image des dieux) en "l'homme"; de même dans le second: ni la terre ni le ciel ne sont "créés" au sens ou nous l'entendons, ni la poussière dont Yahvé-dieu fait l'homme en y mettant aussi son souffle (même si c'est un autre mot hébreu). La rupture absolue entre "divin" et "créé", à partir du IIe siècle, conduit en effet au dilemme que tu décris: le "créé" comme totalement "nouveau" ne sera jamais "éternel", tout au moins du côté du "passé"; mais hors de cette perspective tout change: s'il y a quoi que ce soit de "divin" en l'"homme", ou dans "la création" en général, cela est aussi "éternel" que "Dieu", y compris dans le sens du "passé"; la "création" s'entend alors non comme une totale nouveauté mais comme une extension ou une expansion de "Dieu" lui-même, avec toutes les différences de degré qu'on voudra, et son horizon est panthéiste (cf. "Dieu tout en tout ou en tous"). Parler ou non de "Dieu" ou de "création" ne change d'ailleurs rien à l'affaire. Je repense à une formule de Jabès, en substance (c'est le cas de le dire): tout ce qui respire a l'âge de l'air; formule qu'on peut d'ailleurs démultiplier à l'infini: tout ce qui vit a l'âge de la vie, tout ce qui bouge a l'âge du mouvement, tout ce qui est matériel a l'âge de la matière, tout ce qui est a l'âge de l'être, tout ce qui est temporel a l'âge du temps.
Dernière édition par Narkissos le Sam 04 Juil 2020, 10:08, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Sam 04 Juil 2020, 09:42 | |
| Comme l'a souligné Narkissos, la Watch n'a pas inventé l'eau chaude en indiquant que la trinité n'est pas enseignée dans le NT et pas exprimée explicitement parmi les penseurs des IIe et IIIe siècles :
Le dogme de la Trinité
La foi en la tri-unité de Dieu est donc déjà présente dans ce que l’on appelle le kérygme primitif, c’est-à-dire le contenu de la première annonce de l’Évangile par les disciples directs de Jésus. Il a fallu du temps, néanmoins, pour que l’enseignement de l’Église, provoqué et presque contraint par d’autres façons de croire en Jésus, qui ne correspondaient pas à sa « règle de foi », parvienne à forger les mots qui serviront à désigner tant bien que mal ce mystère. Le mot même de « Trinité » (Trinitas, ou Triunitas, ou trina deltas) remonte à Tertullien († v. 220), dans son Contre Praxéas8, au début du iiie siècle - Augustin (354-430) parlera couramment du Deus Trinitas. De leur côté, les théologiens grecs parlent de « la triade sainte » (e hagia Trias). Le mot trias, appliqué à Dieu, apparaît pour la première fois chez Théophile d’Antioche, dès la fin du iie siècle9. Son emploi ne s’imposera qu’après Athanase (v. 295-373), chez les Pères cappadociens.
Le dogme de la Trinité ne s’est donc imposé que progressivement, au prix de nombreuses polémiques, et d’un immense travail de réflexion et de formulation. Le Contre Praxéas de Tertullien est le premier traité théologique sur la Trinité (le mot y revient dix fois). Il sera suivi de ceux de Grégoire de Nazianze (v. 330-390), dit « le théologien », dans ses Discours théologiques, de saint Basile (notamment dans son Contre Eunome10) et, en Occident, de saint Hilaire (v. 315-367) et de saint Augustin. Par la suite, le De Trinitate devient pour ainsi dire un type d’ouvrage fréquent, presque un genre littéraire. https://books.openedition.org/pus/12732?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Sam 04 Juil 2020, 10:47 | |
| Pour rappel, cet article a été évoqué plus haut, 27.5.2020.
En ce qui concerne le NT (sans même parler du "kérygme primitif" qui est une expression théologique, catéchétique et apologétique: la "proclamation" ou le "message" supposé original et unique des "tout-premiers-chrétiens", à mon sens une pure fiction), je pense toutefois qu'il fait la part trop belle à la rétrospection (point de vue d'ailleurs naturel pour un historien de l'art qui s'intéresse au concept trinitaire du XVe siècle, et pour qui tout ce qui précède n'est qu'un préambule, fût-il d'excellente qualité, pour présenter ce concept-là).
On peut voir rétrospectivement "la Trinité" dans toutes les formules ternaires du NT, chaque fois que sont réunis, par exemple, "le Père, le Fils et l'Esprit saint" ou "Dieu, le Seigneur Jésus et l'Esprit"; mais à ce tarif les TdJ aussi seraient "trinitaires", chaque fois qu'ils mentionnent les trois ensemble, fût-ce pour les distinguer et les définir tout autrement. Et que la Trinité orthodoxe et ses multiples variantes hétérodoxes aient une affinité générale avec le goût quasi universel de la figure ou du rythme ternaire, depuis les plus vieilles mythologies jusqu'au dernier bateleur de foire qui déroule son argumentaire en trois points, c'est aussi une évidence, mais elle ne prouve pas grand-chose. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Sam 04 Juil 2020, 13:39 | |
| - Narkissos a écrit:
- La rupture absolue entre "divin" et "créé", à partir du IIe siècle, conduit en effet au dilemme que tu décris: le "créé" comme totalement "nouveau" ne sera jamais "éternel", tout au moins du côté du "passé"; mais hors de cette perspective tout change: s'il y a quoi que ce soit de "divin" en l'"homme", ou dans "la création" en général, cela est aussi "éternel" que "Dieu", y compris dans le sens du "passé"; la "création" s'entend alors non comme une totale nouveauté mais comme une extension ou une expansion de "Dieu" lui-même, avec toutes les différences de degré qu'on voudra, et son horizon est panthéiste (cf. "Dieu tout en tout ou en tous").
Peut-on alors dire que l'être humain a, possède, en lui-même une certaine éternité, voire l'éternité tout simplement du fait du partage voulu par Dieu selon l'expression mentionnée dans la Genèse "faisons l'homme à notre image" ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Sam 04 Juil 2020, 14:33 | |
| On peut le dire, sans aucun doute, on peut même le penser jusqu'à un certain point, et plutôt mieux à mon avis que la doctrine habituelle, aussi peu pensée que souvent répétée, selon laquelle "Dieu" aurait créé-fabriqué "à partir de rien" quelque chose qui n'ait et ne soit absolument rien de lui-même ( sc. de "Dieu"). Les fameuses "généalogies" gnostiques, tournées en dérision par les Pastorales et les Pères de l'Eglise depuis Irénée, étaient au fond des exercices de pensée (forcément contradictoires à la lettre, la contradiction littérale faisant partie intégrante de l'exercice de pensée) pour faire dériver, de nom en nom et de concept en concept, l'ensemble des différences pensables d'une origine impensable, littéralement abyssale, plus encore que "Dieu", "Père", " logos", "sagesse" ou "esprit" dans la mesure où tous ces mots-là avaient déjà un sens défini, donc partiel et dérivé, inadéquat à une origine absolue, fût-elle simplement logique et non chronologique. L'"orthodoxie" a tenté d'endiguer ou de canaliser cette prolifération de pensée dans un cadre dogmatique et uniforme, parce que pour elle il ne s'agissait pas d'abord de penser mais de croire et de confesser, et d'unir l'Eglise autour d'une confession de foi unique et cohérente; mais elle n'a pas pu ni voulu faire l'économie de la méthode généalogique ou archéologique qui était précisément celle de la "gnose" et qui resurgit notamment dans les "processions" trinitaires (engendrement, spiration, etc.) comme dans sa doctrine de la "création" ou de l'union hypostatique (cf. supra Tertullien qui se justifiait de parler d'"émanation", de projection ou de proslation, en grec prosbolè... comme le gnostique Valentin): dès lors que quelque chose vient de quelque chose, ce ne peut être ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. En exagérant un peu, on pourrait suggérer que chaque fois que l'orthodoxie a dit des choses intelligentes (ce qui lui est arrivé assez souvent somme toute), c'est la gnose chassée par la porte qui rentrait par la fenêtre. (En quoi, tu l'auras remarqué, nous ne sommes pas très loin du bouddhisme, et pas davantage du brahmanisme, pour autant que le fond sans fond peut indifféremment être dit "être" ou "non-être", "tout" ou "rien", et où tout ce qui est nommable et définissable, de "Dieu", du "Père", du "Fils" ou de l'"Esprit" au dernier grain de sable, n'est que dérivation, composition ou "agrégat" provisoire.) |
| | | free
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Dim 05 Juil 2020, 08:41 | |
| La déification
Le thème de la divinisation (theôsis) est peu présent dans la tradition latine. Je dois donc rappeler ici qu’il occupe dès l’origine dans la théologie des Pères grecs une place essentielle. « Aucune conception n’éclaire aussi bien la conception de l’homme propre à l’Orient chrétien », écrit J. G. Remmers [. Cette conception n’est pas d’apparition tardive, puisqu’elle est déjà présente dans les écrits des Pères apostoliques (la Didachè, la Lettre dite de Barnabé, les Épîtres de Clément de Rome). Elle se précise chez leurs successeurs immédiats (Ignace d’Antioche, Justin, Théophile d’Antioche, Irénée de Lyon). Elle se développe chez les premiers Alexandrins (Clément d’Alexandrie, Origène) et se précise considérablement chez les grands docteurs de l’Église qui combattent l’arianisme et sa postérité (Athanase d’Alexandrie, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Cyrille d’Alexandrie), et Macaire d’Égypte et le Pseudo-Denys l’Aréopagite développent une mystique de la déification. (…)
La doctrine de la divinisation possède un solide fondement scripturaire néotestamentaire, qui apparaît dans la continuité de l’enseignement vétérotestamentaire. Cette continuité se manifeste de la façon la plus claire en Jean 10, 34, où la formule du Psaume 81, 6, est reprise par le Christ : « J’ai dit : vous êtes des dieux. » Le même psaume en son premier verset proclamait : « Dieu S’est tenu dans l’assemblée des dieux, au milieu d’eux Il juge les dieux. » À ces formules fait écho l’affirmation de l’apôtre Paul répétée par deux fois : « nous sommes de Sa race […], nous sommes de la race de Dieu » (Ac 17, 28-29). Ces formules représentent non une réalité actuelle mais potentielle, qu’exprime cette affirmation de l’apôtre Pierre : par la gloire et la force agissante de Dieu « les biens du plus haut prix qui nous avaient été promis nous ont été accordés, afin que vous deveniez ainsi communiants à la nature divine » (2 P 1, 4). D’autres formules témoignent d’une assimilation au Christ : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27) ; « je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). À la thématique de la divinisation doivent être rattachées aussi celle de la création de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu (Voir Gn 1, 26-27 ; Sg 2, 23) dont nous avons parlé précédemment, celle de l’adoption filiale de l’homme par Dieu (Dt 14, 1 ; Ps 81, 6 ; 88, 27-28 ; Sg 2, 18 ; 5, 5 ; Mt 6, 9 ; Rm 8, 14-17 ; Ga 3, 26 ; 4, 4-7), celle de l’imitation de Dieu jusqu’à devenir parfait comme Il l’est (cf. Mt 5, 48), et de la promesse d’une condition future où le fidèle participera à l’incorruptibilité et à l’immortalité divines (voir Sg 2, 23 ; 5, 15-16 ; 6, 18 ; 1 Co 15, 53), où il trouvera la perfection dans la vision de Dieu qui l’assimilera à Lui (1 Jn 3, 2), où il sera glorifié dans Sa lumière (Voir Mt 13, 43). https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2015-4-page-181.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Dim 05 Juil 2020, 10:39 | |
| Le sens d'une "divinisation" varie naturellement en fonction de l'idée qu'on se fait de l'origine et de l'essence de l'éventuel "divinisé" ("homme" ou autre): si celui-ci n'a a priori rien de "divin" (ce que peut impliquer une conception étroite de la "création ex nihilo"), c'est une opération "magique", qui transformerait un "être" (un étant, une essence, une "chose" et sa "nature") en un(e) autre qu'il (ou elle) n'était pas du tout -- encore que la "magie" soit plus facile à dire qu'à penser: qui dit "transformer", "changer", "devenir", etc., suppose (sub-pose) une continuité foncière ou substantielle qui se maintient d'une "forme", d'une "situation" ou d'un "état" à l'autre; grammaticalement au moins c'est le même "sujet", le sujet du verbe, qui "se transformerait" ou "serait transformé"; et "logiquement" cela n'arriverait pas sans "possibilité", potentialité, puissance ou pouvoir, pour la "transformation" de se produire et pour son "sujet" de la faire ou de la subir (cf. déjà la "résurrection" selon 1 Corinthiens 15; le prince transformé en crapaud ou le crapaud en prince reste en un sens le même, au sens de l'"ipséité" en-deçà de toute "mêmeté" comme dirait Ricoeur, sans quoi il n'y aurait pas d'histoire).
Mais s'il y a quoi que ce soit de "divin" en "l'homme" (son esprit, son âme, son intellect, sa sagesse, sa conscience, tout ce qu'on voudra) la "divinisation" devient réalisation, accomplissement, développement, révélation ou manifestation de ce qui est, ne fût-ce qu'en puissance ou en germe -- et alors humanisation de Dieu et divinisation de l'homme ne sont plus contradictoires, ce ne sont que des aspects complémentaires du même "événement"; mieux, on peut aussi bien dire (et de fait on l'a beaucoup dit en théologie moderne) que Dieu se divinise précisément en s'humanisant et que l'homme s'humanise précisément en se divinisant.
Là encore, il y a résurgence dans le christianisme "orthodoxe" (et surtout oriental, du moins jusqu'à l'époque moderne, à l'exception des "mystiques" occidentales du moyen-âge) de la "gnose" répudiée et refoulée dès le IIe siècle (surtout en Occident, cf. Marcion ou Valentin à Rome) -- soit le continuum problématique, mais continu quand même, de l'origine ineffable au "plérôme" qui est à la fois un accomplissement de l'origine et un retour à celle-ci, progression et régression à la fois, par tous les chemins pensables.
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La trinité et la christologie orthodoxes doivent leur forme ou leur structure spécifiques, ou plutôt singulières, aux débats de l'Eglise émergente avec ses composantes "gnostiques" au IIe siècle: il en est résulté, comme on l'a vu, une séparation radicale du "divin" et du "créé" qui doit aussitôt être surmontée; d'où, d'une part, la clôture du "divin" sur lui-même et la limitation arbitraire de sa "différence propre" à trois "hypostases" (Trinité "immanente" ou "ontologique"), d'autre part l'ouverture ou la réouverture du "divin" ainsi défini vers le monde "créé" par l'incarnation du Verbe-Fils et l'opération de l'Esprit dans l'Eglise (soit l'"union hypostatique", l'ecclésiologie, la sotériologie, qui étendent la Trinité ontologique ou immanente à sa dimension "économique", en transgressant la frontière précédemment tracée entre "divin" et "créé"); cette "pièce montée" (pour changer un peu du millefeuille ou de l'usine à gaz) constitue une sorte d'ersatz ecclésiastique à l'idée gnostique d'une divinité diffuse, à la fois radicalement étrangère au monde "créé" (en l'occurrence par une divinité inférieure, ou une émanation secondaire de l'unique divinité) mais présente jusque dans celui-ci par l'"esprit" des "spirituels" (pneumatiques). Qu'on le déplore ou qu'on s'en émerveille, c'est comme ça parce que c'est "historique", indépendamment de toute "logique" et a fortiori de toute "vérité". Mais il s'ensuit aussi que toutes les "hérésies" ultérieures, y compris l'arianisme ou les unitarismes modernes, sont tributaires de cette option initiale. Quelles que soient leurs réserves de principe à l'égard de l'autorité ecclésiastique, de l'orthodoxie ou du catholicisme en général, les "hérétiques" futurs sont obligés de les applaudir à ce stade: ils ne peuvent désavouer le combat des Pères apologètes (ou apologistes) comme Irénée et ses émules contre les "gnostiques", non seulement parce que c'est essentiellement le même combat que celui des Pastorales incluses dans le canon du NT, mais parce que leur propre doctrine, tout hérétique qu'elle puisse être au regard de l'orthodoxie des IVe-Ve siècles, en dépend autant que celle-ci. Il faudrait en revanche s'affranchir de toute allégeance confessionnelle, catholique, orthodoxe, protestante "historique" ou "sectaire" déterminée par le même choix initial (et donc aussi du canon du NT pour autant que lui-même en dépend) pour penser sérieusement ce qui s'est joué au IIe siècle dans la définition du "christianisme", sa réduction drastique d'une profusion de pensée qui partait dans tous les sens au principe même d'un dogme univoque, exclusif et fédérateur.
L'enjeu essentiel à mon sens, ce n'est pas le choix de telle ou telle "doctrine", mais le rapport entre "religion" et "pensée": non que toutes les doctrines se vaillent, mais il n'y a pas de doctrine si intelligente qu'on ne puisse la réciter bêtement, il n'y en a pas non plus de si stupide qu'elle ne puisse donner à penser. Ce qu'on a appelé rétrospectivement la gnose a pu prospérer à l'intérieur et aux marges des Eglises, des synagogues et des cultes à mystères de l'Antiquité tardive parce qu'elle offrait une possibilité de penser ce qui s'y disait et s'y pratiquait, possibilité qui n'intéressait sans doute qu'une minorité, mais essentielle pour celle-ci et par celle-ci pour l'ensemble, outre une certaine ouverture de chaque groupe vers l'extérieur, y compris "philosophique". La gnose chassée de l'Eglise a été contrainte de se constituer en Eglises concurrentes, ce qui ne lui réussissait pas du tout parce qu'elle ne pouvait qu'y devenir dogmatique à son tour; tandis que l'Eglise précisant son orthodoxie face aux hérésies successives a refait de la gnose sans le savoir, sous le nom de théologie ou de mystique, chaque fois qu'elle a ressenti le besoin de penser ce qu'elle disait. |
| | | free
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Lun 06 Juil 2020, 21:57 | |
| Merci Narkissos pour cette synthèse passionnante de l'histoire de la trinité.
Un autre argument que cite les TDJ :
John McKenzie déclare: “La trinité de personnes dans l’unité de nature est définie en termes de ‘personne’ et de ‘nature’, qui sont des termes de philosophie [grecque]; en fait, ces mots n’apparaissent pas dans la Bible. Les définitions trinitaires résultent de longues controverses dans lesquelles ces termes et d’autres comme ‘essence’ et ‘substance’ ont été appliqués à tort à Dieu par certains théologiens.” Dictionary of the Bible (New York, 1965), p. 899.
Dernière édition par free le Mar 07 Juil 2020, 10:16, édité 1 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Lun 06 Juil 2020, 22:56 | |
| Voir ici le contexte de la citation de McKenzie, bibliste et théologien jésuite tout à fait orthodoxe -- qui préfère dans un ouvrage grand public parler de "niveau d'être" plutôt que d'"essence" ou de "substance", ce qui était sans doute plus dans le ton de la phraséologie des années 1960 mais n'en était pas moins "abstrait", "conceptuel" et "philosophique" pour autant. L'éternel problème -- je me répète -- c'est penser ou ne pas penser, et plus ou moins profondément, ce qu'on dit -- quoi qu'on dise et quel que soit le niveau de langage qu'on emploie. Les TdJ parlent à longueur de temps de "ce que Dieu est" ("il est ceci, il n'est pas cela"), donc de son "essence", même s'ils n'emploient guère ce substantif particulier qui, dans son acception philosophique, ne veut pourtant pas dire autre chose. En tout cas le rapport de "Dieu" à l'"être", au simple verbe "être" dans tous ses usages, en tant que "Dieu" en est le sujet comme n'importe quel autre et devrait cependant à ce point se distinguer de tout autre, c'est bien ce dont aucune théologie ne peut faire l'économie si elle doit commencer à penser ce qu'elle dit, fût-ce dans les termes les plus enfantins (voir ici ou là). "Dieu" *est*-il comme *est* un caillou, un arbre, un oiseau, un homme, un fleuve, un jour, une étoile, une maison, un téléphone portable, une conversation, une langue, un mot, un nombre, une pensée, un rêve, toutes "choses" qui *sont* pour autant qu'elles ne *sont* pas "rien", mais qui *sont* pourtant différemment ? Que signifie *être* s'il doit s'appliquer à "Dieu" comme à toutes ces "choses", et cependant tout autrement ? |
| | | free
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Mar 07 Juil 2020, 10:27 | |
| Le texte Hébreux 1:3 : "Ce Fils, qui est le rayonnement de sa gloire et l'expression de sa réalité même" (NBS) et "Ce Fils est resplendissement de sa gloire et expression de son être" (TOB) semble exprimer une notion proche de "substance/essence".
Notes : Hébreux 1:3 : l’expression ou l’empreinte (le terme grec a donné notre mot caractère). – sa réalité même ou sa vraie nature ; c’est du mot grec correspondant que vient le terme technique hypostase (également 3.14n ; 11.1n ; 2Co 9.4n). |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Mar 07 Juil 2020, 10:57 | |
| Du point de vue de l'étymologie, "hypo-stase" (du grec hupo-stasis) et "sub-stance" (du latin sub-stantia) sont parfaitement identiques, les deux mots disent "ce qui se tient dessous" ou le "dessous de ce qui se tient" (cf. station, stable, stand, etc.). Les choses se compliquent parce que chaque auteur emploie les mêmes mots différemment en les rapportant différemment à d'autres, et que toute traduction doit prendre en compte ces différences. Ainsi dans les traductions latines d'Aristote, substantia traduit ousia, "essence", simple substantif (!) d'"être" (eimi), parce que cette "essence" constante est opposée à des "accidents" (sumbebèka) qui modifient ses apparences (exemple classique: la même "substance" eau sous les "accidents" de la glace, de l'eau liquide ou de la vapeur; mais cet exemple est lui-même trompeur parce que dans notre façon de penser elle tire la "substance" du côté de la "matière", hulè, qui était l'opposé de l'essence-substance pensée du côté de la "cause", aitia, chez Aristote; ni "matière" ni "cause" n'étant d'ailleurs exactement ce que nous entendons d'ordinaire par ces mots). Chez Platon en revanche ousia se traduit plutôt essentia, car elle est déterminée par son idea, sa "forme" intelligible dégagée dialectiquement de sa "forme" sensible (eidos). Vu les affinités platoniciennes de l'épître aux Hébreux, l'"hypostase" y est manifestement proche de l'"essence-idée" (la traduction "réalité" n'est pas idéale, si j'ose dire, dans la mesure où elle renvoie à la "chose", res, et non à la substance idéelle; mais c'est peut-être un moindre mal). Dans la théologie trinitaire ultérieure, ce sera au contraire le mot opposé à l'"essence-substance" (ousia-substantia) unique de la "divinité" pour dire ses (trois) "positions" différentes (hupostasis qui dit toujours en grec quelque chose de "sub-stantiel" sera alors traduit en latin par persona qui induit une tout autre image, celle du masque ou du visage, dont dérivera plus tard tout le concept occidental de "personne" et de "personnalité"). |
| | | free
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Mar 07 Juil 2020, 14:52 | |
| Narkissos, la traduction GOOGLE rend la formule suivant : "the divine level of being" (deJohn McKenzie) par "au niveau divin de l'être" ... Qu'en pense-tu ?
La coexistence, en Jésus Christ, des deux natures divine et humaine, signifie substantiellement la logique hypostatique des processions en Dieu. La vérité de l’altérité humaine, assumée sans effacement de l’identité divine du Verbe, traduit l’engendrement du Fils en lequel le Père pose l’autre de lui-même (qui n’est pas autre que lui-même). L’unicité substantielle de Dieu, préservée dans cet engendrement comme dans la procession de l’Esprit Saint, est admirablement exprimée dans l’unicité hypostatique du Verbe incarné. L’altérité intra-divine c’est-à-dire trinitaire, la possibilité pour Dieu de devenir l’autre de lui-même sans se perdre, est attestée dans l’union hypostatique des deux natures du Verbe incarné. Nous avons énoncé comment l’assomption de l’humanité par le Verbe inscrivait en Dieu le chiffre de la finitude propre de l’humanité créée et blessée par le péché. Le Verbe s’est fait semblable à nous en tout à l’exception du péché mais la chair qu’il a enhypostasiée fut celle de l’humanité blessée par le péché : la fatigue, la souffrance et la mort du Christ en signent l’actualité. En amont, l’intégrité divine du Verbe ne l’exempte pas d’assumer intégralement la modalité essentielle et existentielle de l’humanité. Pour être celui en qui toutes choses ont été créées, le Christ ne se donne pas pour autant sa vie d’homme lui-même : il la reçoit de Marie obombrée par la puissance de l’Esprit Saint. Lui qui, comme Dieu, mesure et détermine l’existence de tout homme, dans ses tâches quotidiennes comme dans sa vocation la plus noble, doit apprendre à parler, marcher, vivre et aimer comme un homme. Lui, qui n’a rien perdu de l’intimité de communion qui l’unit éternellement au Père, fut initié par d’autres à observer les commandements de sa religion et à prier Dieu son Père. S’il n’eut d’autre désir et dessein que de faire librement et spontanément (sponte) la volonté de Celui qui l’envoya, il en reçut de son Père, par l’Esprit, l’indicatif et les instances ; il ignore même l’heure de sa parousie : « Quant à la date de ce jour, et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne que le Père seul » (Mt 24,36). Lui qui, enfin, donne la vie à toute chose se la fit prendre quand le Père le livra à ceux qui le livrèrent à la mort. https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2005-3-page-427.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Mar 07 Juil 2020, 16:16 | |
| A priori la traduction me va, sous réserve que la construction de la phrase lève son ambiguïté: par "niveau divin de l'être" il faut entendre un "niveau de l'être" ou un "niveau d'être" qui serait "divin" par opposition à d'autres "niveaux de l'être" ou "niveaux d'être" qui ne le seraient pas -- non pas l'attribution de "l'être" en général à un "niveau divin". Je parle du texte de McKenzie, bien sûr, car pour ma part je ne suis pas convaincu que le concept de "niveau", avec ce qu'il suppose de hiérarchie, d'étages horizontaux superposés sur un axe vertical, soit pertinent à la question de l'"être". Mais, comme je le suggérais plus haut, le "niveau" était dans l'air du temps (pourquoi je repense à ça ?)
Sur l'article cité ensuite voir supra 29.5.2020. On a là une illustration éloquente, à force de lyrisme ou de maniérisme, du tour de passe-passe théologique fondamental en deux temps: évacuer arbitrairement le "divin" du "monde" de telle sorte qu'il n'y apparaisse plus désormais que par "miracle". |
| | | free
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Mar 07 Juil 2020, 20:52 | |
| - Citation :
- non pas l'attribution de "l'être" en général à un "niveau divin".
Pourrait-on traduire cette simple phrase dans le sens d'une attribution de "l'être" en général à un "niveau divin" ? (Cela ne parait pas possible, je ne vois pas comment on pourrait traduire différemment). Peut-on imaginer que le mot "divin" serait rattaché au mot "niveau" ? Je trouve que le point fort de la trinité, c'est qu'elle suscite une réflexion féconde, se prête à l'interprétation et s'appréhende de différentes façons : Le dogme répond à une triple intention et cherche à atteindre trois objectifs : 1. Premièrement, il entend exprimer la tension, qui structure l’existence croyante, entre l’ultime et le concret. L’homme a besoin de « figures » afin que Dieu prenne pour lui un visage et le touche concrètement. Mais il lui faut aussi percevoir que l’Ultime transcende toutes ses figures, sinon Dieu se fragmenterait en de multiples divinités, comme on le voit dans le polythéisme[3]. La Trinité veut rendre compte à la fois de l’unité dernière de Dieu et de la diversité de ses manifestations. Elle associe ce qu’il y a de juste dans le polythéisme (à savoir la pluralité des expériences de Dieu) et ce qu’a de vrai le monothéisme (à savoir qu’il y a un seul vrai Dieu). Sous ce premier aspect, la question trinitaire se rencontre dans de nombreuses religions et n’a rien de spécifiquement chrétien. « Le problème trinitaire, écrit Tillich, revient constamment en histoire des religions. Chacun des type de monothéisme en a conscience et lui apporte des réponses implicites ou explicites »[4] . 2. Deuxièmement, le dogme trinitaire veut mettre en évidence que la vie et l’amour caractérisent l’Ultime. Il ne forme pas un bloc monolithique inerte, toujours identique à lui-même, sans relation avec quoi que ce soit. En Dieu existe une vie, faite de différenciation et d’identification, de sortie de soi et de retour à soi, de séparation et de réunion. La Trinité souligne ce dynamisme de l’Être divin. « En son Fils, écrit Tillich, Dieu se sépare de lui-même et dans l’Esprit il se réunit avec lui-même. Il s’agit, bien sûr, d’une façon symbolique de parler » [5]. Ce mouvement définit non seulement la vie, mais aussi l’amour. Il explique le chiffre de trois. Pour exprimer la tension entre l’ultime et le concret, on aurait pu aussi bien parler de deux que de quatre pôles en Dieu. La dialectique ternaire de la vie et de l’amour, qui prend de multiples aspects, pousse à concevoir une trinité plutôt qu’une dualité ou que d’une quaternité. Dans cette perspective, le dogme trinitaire n’est ni paradoxal ni irrationnel. Il applique à Dieu le rythme et la structure qui constituent la vie et l’amour [6]. 3. Troisièmement, l’action de Dieu nous atteint de trois manières différentes : Dieu nous crée ; Dieu nous sauve ; Dieu nous transforme ou nous sanctifie[7]. Le dogme trinitaire à la fois permet de distinguer ces trois opérations divines et interdit de les opposer ou même de les séparer. Le triptyque « création – salut – sanctification » explique aussi que le chiffre de trois se soit imposé. Historiquement, la question « qui est Jésus ? » se trouve à l’origine de la réflexion trinitaire. Les conciles ont voulu souligner que c’est Dieu qui sauve, non pas un héros, un demi-dieu ou quelqu’un d’autre. Ils ont condamné Arius parce que sa théologie risquait de dissocier le créateur, voire des les dresser l’un contre l’autre [8]. Notons cependant que des trois visées du dogme trinitaire, deux sont indépendantes de la christologie et antérieures à elle. Pour expliquer les intuitions trinitaires, il n’est pas nécessaire de partir de la christologie [9]. Tillich approuve totalement ces trois intentions du dogme trinitaire. Il estime qu’elles correspondent à des exigences fondamentales de la foi chrétienne. http://andregounelle.fr/tillich/trinite-selon-tillich.php |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La fiabilité des citations de la Watchtower Mer 08 Juil 2020, 00:48 | |
| Sur le premier point, nous ne nous sommes pas compris (mais ce n'est pas grave): la locution "(le) niveau divin de l'être" (où grammaticalement l'adjectif "divin" est bien épithète du nom "niveau"), qui ne constitue pas à elle seule une "phrase", est ambiguë en soi (on pourrait aussi comprendre "le niveau divin qu'est l'être"), mais je présume que dans la phrase complète (que je n'ai pas vue, en traduction Google) l'ambiguïté disparaît. En tout cas, McKenzie parlait bien de plusieurs "niveaux d'être" ou "niveaux de l'être" (quoi que ça puisse signifier) dont un seul (niveau) serait "divin". Sur le fond de l'affaire, son intention "orthodoxe" ne fait aucun doute (le Fils et l'Esprit appartiennent bien, comme le Père, au "niveau divin de l'être"), il tentait seulement, avec plus ou moins de succès, de rendre plus accessible aux lecteurs de son temps l'explication du dogme trinitaire, nullement de le "critiquer".
Sur l'article de Gounelle, voir supra 2.6.2020.
Par rapport aux "généalogies gnostiques" avec lesquelles elle conserve un air de famille, la doctrine trinitaire et christologique orthodoxe (Nicée-Constantinople-Chalcédoine) paraît considérablement simplifiée, et surtout unifiée. Comme je le suggérais plus haut, la multiplicité des schémas gnostiques des émanations ou dérivations divines ne nuisait pas à leur fonction d'"exercices de pensée", bien au contraire (chaque "éon" étant aussi un "concept" ou un "signifié", une chose à penser et pas seulement à croire); mais elle était inacceptable pour les Pères de l'Eglise qui visaient avant tout à fédérer celle-ci autour d'une confession de foi (au sens "objectif" de "croyance") unique et cohérente. Moyennant quoi le dogme orthodoxe donne amplement à penser à qui veut penser (à mon sens il n'en faut pas tant), et toute l'histoire de la théologie et de la mystique qui s'y rattachent en témoigne; mais sur la grande majorité il a l'effet inverse -- le "mystère" étant précisément entendu comme ce qu'il ne faudrait pas (trop) essayer de penser...
Une autre différence fondamentale que nous n'avons pas évoquée jusqu'ici, c'est que les généalogies gnostiques, dans leur diversité foisonnante, avaient l'ambition d'expliquer à partir d'une source unique l'ensemble du "mystère", y compris ses aspects négatifs (la création matérielle et corruptible, le mal, le péché, etc.) -- ce que ne fait justement pas la doctrine orthodoxe, du moins dans ses chapitres strictement "théologiques" (doctrine de "Dieu"): entre la Trinité "immanente" ou "ontologique" toute divine et pure, et la Trinité "économique" avec incarnation du Verbe-Fils et opération de l'Esprit dans un monde pécheur, il faut faire intervenir un tout autre "mystère", aussi "mystérieux" sinon davantage puisqu'il est censé n'avoir aucun rapport avec le premier, l'irruption du "négatif". La Trinité officielle se trouve ainsi hantée par l'ombre d'une "quatrième personne" qui n'en fait assurément pas partie mais n'en est pas moins essentielle à son fonctionnement, le "diable" et tout ce qui s'ensuit...
Ce qui "s'expliquait" dans les schémas gnostiques par un éloignement croissant et graduel de la source ineffable, à mesure que les éons-concepts dérivés se définissaient, jusqu'au seuil critique de la création matérielle et corruptible, bourde d'un démiurge qui était quand même un dieu dérivé de la même source, devient dans l'orthodoxie une série de ruptures inexplicables: le divin fonctionnant jusque-là dans le circuit fermé de la Trinité ontologique ou immanente se met soudain à "créer" ex nihilo une "création" radicalement extérieure à lui et distincte de lui, mais tout de même "bonne"; et dans cette "création" bonne mais non divine, le mal surgit de nulle part (ex nihilo lui aussi), avec la chute du diable et le péché de l'homme. "Evénements" apparemment inessentiels à la divinité et pourtant nécessaires à l'extension de la Trinité dans sa version "économique", avec l'incarnation du Verbe-Fils dans le "monde" et l'opération de l'Esprit dans l'Eglise. |
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