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| croire en Dieu c'est avoir une espérance ? | |
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Narkissos
Nombre de messages : 12429 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Mar 23 Jan 2024, 15:12 | |
| Article très intéressant sur la tradition juive (vaste domaine, que je connais peu) -- si l'on n'y cherche pas une approche historico-critique du livre de Job et de la Bible hébraïque en général: l'auteur(e) s'en tient aux thèses anciennes d'une datation très haute (il lui faut remonter aux années 1960 pour trouver un rapprochement entre Deutéronome et les traités hittites, plutôt qu'assyriens, n. 12), que d'ailleurs ladite tradition ne semble pas imposer pour Job puisque l'époque perse est envisagée (§ 9). Nous avons pas mal évoqué Job au long de ce (vieux) fil; on peut rappeler que le thème de la " grâce" au sens (paulinien avant la lettre !) de "gratuité", du "pour rien" ( hnm-hinam, 1,9; 2,3, cf. 9,17; 22,6), est justement le critère du "satan", certes pas (encore) "adversaire" de Yahvé mais serviteur (trop ?) zélé, dans le rôle du procureur ou du témoin à charge (comme en Zacharie 3)... A propos de tradition juive, j'ai le vague souvenir que quelque part dans la littérature rabbinique (c.-à-d. post-pharisienne) il y a un éloge exceptionnel, mais d'autant plus remarquable, des sadducéens, généralement méprisés comme "pourceaux d'Epicure" ( 'apikourim), parce qu'ils ne croyaient ni à la résurrection ni à l'immortalité de l'âme, ni aux récompenses ni aux châtiments post mortem -- mais pour la même raison les plus désintéressés. Paradoxalement c'est la vision pharisienne de la "justice" et de la rétribution rigoureuse, post mortem, qui apprécierait le mieux la justice, en un sens supérieure, de ceux qui n'y croient pas, ou n'en veulent pas... La tradition qui fait de "Paul" un "pharisien" converti, quelle que soit sa valeur historique, est au moins significative sous ce rapport. Il faut bien comprendre l'effet de seuil et le changement de paradigme que représente dans toute cette affaire l'irruption de l'au-delà, dans un imaginaire spatial (ciel-paradis, enfer) et/ou temporel (résurrection, jugement dernier, âge-monde à venir): la rétribution stricte, des individus et même des actes, limitée au monde présent, réel, historique, aboutit par son irréalisme à un délire narratif ou historiographique (exemplairement les Chroniques qui doivent inventer des fautes derrière chaque événement jugé "malheureux", des mérites ou des repentances derrière chaque événement jugé "heureux", p. ex. la mort de Josias ou le long règne de Manassé); cette contrainte et la pression qui en résulte s'évanouissent instantanément dès qu'on suppose que la rétribution arrive "ailleurs" ou "plus tard"...
Dernière édition par Narkissos le Mar 23 Jan 2024, 16:10, édité 1 fois |
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Nombre de messages : 10072 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Mar 23 Jan 2024, 16:03 | |
| Georges Didier : Désintéressement du chrétien. La rétribution dans la morale de saint Paul, Paris, Aubier, 1955 {collection «Théologie », 32), 1 vol. 254 pages. 800 francs.
On connaît l’objection constamment faite au christianisme depuis deux siècles : sa morale serait intéressée, puisque le croyant s’imposerait des sacrifices en vue d’une récompense éternelle. C’est à cette objection que répond le R. P. Didier, S. J. Le titre de son ouvrage indique clairement le sens de sa réponse, basée sur l’étude des textes pauliniens. L’auteur indique du reste, dans ses conclusions (p. 228 et suiv.), que le témoignage des épîtres est déjà celui de la tradition évangélique.
L’enquête est menée avec une érudition jamais en défaut et une minutie admirables. La conclusion est plus nuancée que celle du théologien suédois G.-P. Wetter, qui soutenait que Paul ne parle pas de rétribution au sens propre, et que celle de son collègue américain F.-V. Filson, que l’idée de la récompense occupe une place importante dans la pensée de l’apôtre. Selon le P. Didier, l’apôtre ne laisse pas ignorer que le bien trouve sa récompense et le mal, sa punition ; il n’hésite pas à l’occasion à faire de cette loi un stimulant pour l’effort moral des fidèles ; il connaît donc l’idée de rétribution. Mais elle n’est pas au centre de ses parénèses. Le vrai mobile, c’est la communion du Christ, la vie en Christ et l’éternité avec lui. L’apôtre parcourt le monde non pour faire son salut, mais parce qu’il aime ses frères et que cet amour le pousse à leur prêcher le Christ dont il vit, afin qu’ils vivent eux aussi en lui. L’attitude de l’apôtre s’exprime dans cette admirable prière de saint Thomas d’Aquin :
(Un jour, dit-on, qu’il priait devant le Christ en croix, il entendit son Maître lui demander : «Thomas, .tu as bien écrit à mon sujet. Quelle sera ta récompense ? » Alors jaillit la réponse de toute la sainteté chrétienne : «Nulle autre que vous-même, Seigneur » (p. 224).
Le désintéressement est, en effet, la réponse de la sainteté chrétienne. Les analyses toujours pénétrantes, bien que parfois un peu subtiles, du P. Didier montrent bien qu'elle est celle de l'apôtre des païens. Il n’en reste pas moins que certaines déclarations de l'apôtre peuvent s’entendre en un sens différent, selon le degré de sainteté chrétienne, ou en d’autres termes plus pauliniens,' selon le degré de sainteté de la vie en Christ chez l’exégète ou le prédicateur.
https://www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1956_num_31_1_1617_t1_0078_0000_3 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12429 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Mar 23 Jan 2024, 16:35 | |
| N.B.: j'ai rajouté un dernier paragraphe à mon post précédent, avant de voir le tien...
Si l'on fait dans celui-ci la part de la politesse académique et de la diplomatie oecuménique -- c'est la recension d'un (livre) catholique par un protestant, dans les années 1950 -- reste l'impression que "Paul", à contrecoeur peut-être et contre le coeur de sa propre doctrine (si on situe ce coeur dans Romains-Galates), ne renonce pas à manier la carotte et le bâton; impression qui s'aggrave quand on met toutes les épîtres (dites) "de Paul" sur le même plan, comme un catholique de l'époque était plus enclin à le faire qu'un protestant, mais qui ne disparaît pas complètement dans le cas contraire.
Si l'on revient cependant au thème de ce fil, l'"espérance" ne se réduit pas à la "récompense", elle aussi peut être "gratuite"; c'est même probablement le plus souvent le cas (je pense, au hasard, à Lamentations 3, mais on pourrait citer bien des textes des Psaumes ou des Prophètes): on peut toujours espérer une grâce, espérer en Dieu, en n'importe qui ou en n'importe quoi, dans la chance ou en l'avenir, sans s'imaginer mériter quoi que ce soit. |
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Nombre de messages : 10072 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Mer 24 Jan 2024, 13:32 | |
| - Citation :
- Si l'on revient cependant au thème de ce fil, l'"espérance" ne se réduit pas à la "récompense", elle aussi peut être "gratuite"; c'est même probablement le plus souvent le cas (je pense, au hasard, à Lamentations 3, mais on pourrait citer bien des textes des Psaumes ou des Prophètes): on peut toujours espérer une grâce, espérer en Dieu, en n'importe qui ou en n'importe quoi, dans la chance ou en l'avenir, sans s'imaginer mériter quoi que ce soit.
" En ce sens, Dieu, décidé à donner aux héritiers de la promesse une preuve supplémentaire du caractère immuable de ses décisions, intervint par un serment, 18afin que, par deux choses immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu mente, nous ayons un puissant encouragement, nous dont le refuge a été de nous attacher à l'espérance qui nous était proposée. 19Cette espérance, nous l'avons comme une ancre solide et ferme pour l'âme ; elle pénètre au-delà du voile, 20là où Jésus est entré pour nous comme un précurseur, devenu grand prêtre pour toujours, selon l'ordre de Melchisédek" ( Hé 6,17-20). " Or, sans la foi, il est impossible de lui plaire, car celui qui s'approche de Dieu doit croire que celui-ci est et qu'il récompense ceux qui le recherchent ... C'est par la foi que, devenu grand, Moïse renonça à être appelé fils de la fille du pharaon, préférant être maltraité avec le peuple de Dieu que d'avoir la jouissance éphémère du péché. Il tenait en effet l'humiliation du Christ pour une richesse plus grande que les trésors de l'Egypte ; car il regardait plus loin, vers la récompense" ( Hé 11,6 et 24-26). https://www.jstor.org/stable/42615016 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12429 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Mer 24 Jan 2024, 15:02 | |
| Nous avons vu plusieurs textes de Bénétreau sur l'épître aux Hébreux, dans différents fils, mais peut-être pas celui-ci -- je ne peux pas le lire au-delà de la page que tu reproduis, celle-ci a toutefois le mérite de poser clairement sa question et d'esquisser plusieurs réponses, en particulier dans la première note. Je dirais pour ma part que la perspective "médio-platonicienne" de l'épître aux Hébreux relativise naturellement les différences entre tous les mots et concepts "clés" du NT, tout spécialement "foi" et " espérance", dans la mesure où les catégories temporelles, passé, présent, futur, qui différencient habituellement la foi (présente, éventuellement reliée comme croyance à un passé, mythique ou historique) et l' espérance (de l'avenir) sont rapportées à l'éternité et comme neutralisées par ce rapport. En 11,6 c'est un dérivé de misthos, récompense ou salaire, misth-apodotès, celui qui paie le salaire ou qui récompense, rétributeur ou rémunérateur comme disait la TMN (où beaucoup lisaient rénumérateur); au v. 26 c'est le substantif correspondant, misth-apodosia, récompense, rétribution, rémunération (également 2,2 et 10,35, et nulle part ailleurs dans le NT). De l' espérance dans l'épître aux Hébreux nous avons parlé plusieurs fois dans ce fil, surtout sur les chapitres 10 et 11; quant au télescopage des métaphores au chapitre 6 (l'ancre et le voile), il désigne aussi un rapport à l'éternité (l'autre côté du voile où est déjà l'ancre, c'est le "ciel" et l'au-delà du ciel où le Christ est passé par sa mort -- en 10,20 le "voile" c'est la "chair"); c'est ce que dit aussi le serment irrévocable, le testament, tout ce qui témoigne dans le temps de l'"éternel" et signifie le passage de l'un à l'autre. Voir aussi supra à partir du 29.5.2023. Une question serait de savoir comment l'"éternité", qui par définition annule les différences temporelles entre passé, présent et avenir, peut devenir un objet d'" espérance", donc un à-venir paradoxal -- s'il ne s'agit plus, comme dans l'eschatologie classique, d'attendre une "fin" suivie ou non d'une "suite" (auquel cas ce n'est plus vraiment une "fin"), ni, sans eschatologie stricto sensu, une "suite" sans "fin"; comment le "passé" même peut être un avenir, ce qui caractérise aussi bien l'eschatologie chrétienne, où celui qui vient est déjà venu sans cesser de venir, que l'éternel retour nietzschéen... Nous avons réfléchi dernièrement de façon similaire à propos de la " nouveauté", quand celle-ci se confond avec l'"éternité" (c'est aussi le cas dans l'épître aux Hébreux, où "nouveau", "futur" ou "à venir" et "dernier" caractérisent indifféremment l'éternel). |
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Nombre de messages : 10072 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Jeu 25 Jan 2024, 11:57 | |
| "Qui de vous, s'il a un esclave qui laboure ou fait paître les troupeaux, lui dira, quand il rentre des champs : « Viens tout de suite te mettre à table ! » 8Ne lui dira-t-il pas au contraire : « Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu ; après cela, toi aussi, tu pourras manger et boire. » 9Saura-t-il gré à cet esclave d'avoir fait ce qui lui était ordonné ? 10De même, vous aussi, quand vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : « Nous sommes des esclaves inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. » (Luc 17,7-10).11 Jésus a raconté l’histoire d’un esclave qui, toute la journée, s’est occupé du troupeau de son maître dans les champs. Quand l’esclave rentre à la maison, épuisé après 12 heures de dur travail, son maître ne l’invite pas à s’asseoir pour se régaler d’un bon repas. Il lui dit : “ Prépare-moi quelque chose pour que je prenne mon repas, mets un tablier et sers-moi jusqu’à ce que j’aie mangé et bu ; après quoi tu pourras manger et boire. ” L’esclave ne pourrait se restaurer qu’après avoir servi son maître. Jésus conclut l’illustration en disant : “ De même, vous aussi, quand vous aurez fait toutes les choses qui vous ont été assignées, dites : ‘ Nous sommes des esclaves bons à rien. Ce que nous avons fait, c’est ce que nous devions faire. ’ ” — Luc 17:7-10.12 Jésus n’a pas donné cette illustration pour montrer que Jéhovah banalise ce que nous faisons à son service. La Bible affirme clairement : “ Dieu n’est pas injuste pour oublier votre œuvre et l’amour que vous avez montré pour son nom. ” (Hébreux 6:10). L’idée qui ressort de la parabole de Jésus, c’est qu’un esclave ne peut pas faire comme il veut ni s’occuper en priorité de son bien-être. En nous vouant à Dieu et en choisissant de devenir ses esclaves, nous avons accepté de faire passer sa volonté avant la nôtre. Nous sommes tenus de soumettre notre volonté à celle de Dieu.https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/2005204?q=luc+17+esclave+bon+%C3%A0+rien&p=parCette parole, propre à Luc, n’est en aucun rapport avec celle qui précède immédiatement. Les miracles ne sauraient être rangés dans la catégorie des (...), des choses ordonnées. Elle n’en clôt pas moins très convenablement toute cette série d’enseignements de Jésus qui se rapportent à l’esprit pharisaïque. Un esclave rentre le soir, après avoir travaillé tout le jour dans la campagne soit à labourer, soit à garder le troupeau. Le maître se livre-t-il envers lui à quelque démonstration de satisfaction extraordinaire ? Non ; tout continue à marcher dans la maison selon l’ordre établi. Du travail du jour, le serviteur passe à celui du soir ; il apprête et sert le repas, aussi longtemps (...) qu’il plaît à son maître de manger et de boire. Et alors seulement, il peut lui-même prendre son repas. Le (...), promptement, doit être lié non à (...), dise, mais aux mots suivants : « Approche-toi et prends place. » Ce mot a son antithèse dans le (...), après cela, du v. 8. — Ainsi l’homme le plus irréprochable doit se dire qu’il n’a fait en remplissant tout, son devoir que s’acquitter d’une dette envers Dieu, qui, de son côté, pourvoit à tous ses besoins. Au point de vue du droit, on est donc quitte des deux parts. Le terme (...), inutiles, ne doit point être pris ici dans le même sens que Matth.25.30 (incapable de servir utilement). Le contexte montre qu’il signifie simplement : qui n’a rien fait de propre à mériter une récompense exceptionnelle. Cette appréciation de l’œuvre humaine est vraie dans la sphère du droit où se plaçait le pharisaïsme et fait crouler ce système légal, en niant, avec le mérite humain, l’obligation de Dieu à récompenser l’homme ; et cette appréciation doit toujours demeurer celle de l’homme, quand il évalue son œuvre vis-à-vis de Dieu. . Mais il y a une sphère supérieure à celle du droit, celle de l’amour ; dans celle-ci s’accomplit par l’homme un travail d’une autre nature, celui qui a le caractère du joyeux et filial dévouement ; et aussitôt se produit une appréciation divine fondée sur un autre principe, le cas infini que l’amour fait de l’amour. Jésus a formulé cet autre point de vue 12.36-37. Holtzmann pense que cet avertissement n’a pas pu être adressé aux disciples, comme il est dit v. 1, précisément parce qu’il est destiné à combattre l’esprit pharisaïque. Mais Jésus ne recommandait-il pas aux apôtres de prendre garde au levain des pharisiens, et la parabole des ouvriers appelés à différentes heures du jour et qui a le même sens au fond que ce précepte, ne s’adresse-t-elle pas aux disciples (Matth.20.1 et suiv.) ? La question de Pierre à la suite du départ du jeune homme riche (Matth.19.27) : « Que nous en reviendra-t-il ? » montre assez que le danger est toujours là pour les croyants. L’orgueil est attaché, comme un ver rongeur, aux racines de la fidélité elle-même. . — Les mots : (...), je ne le pense pas, que lisent les byz. à la fin du v. 9, et qu’omettent Tischendorf, Westcott et Hort, sont défendus par Meyer, Weiss, Keil, et avec raison. Comme le dit Weiss, ils ne font pas l’effet d’une glose, et ils se trouvent dans les anciennes versions. Leur omission a sans doute été occasionnée par le (...) qui suit (Meyer).https://www.koina.org/page-7/page299/files/godet_luc.pdfLa Watch et Frédéric Godet n'ont-ils pas tout simplement des difficultés à accepter ce que dit le texte : que le serviteur n’a rien fait de propre à mériter une récompense exceptionnelle. Il me semble que lorsque Frédéric Godet établit une distinction entre un "point de vue du droit" et la "sphère supérieure de l'amour", il fait dire au texte ce qu'il ne dit pas. Son affirmation "cet avertissement n’a pas pu être adressé aux disciples" ne me semble pas pertinente |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12429 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Jeu 25 Jan 2024, 12:27 | |
| Voir ici.Le commentaire de Godet (1888 !) est toujours intéressant, d'autant qu'il ouvre des fenêtres sur des commentateurs antérieurs depuis longtemps oubliés (p. ex. Holtzmann, pour ce que tu soulignes). Soit dit en passant, un "point de vue du droit" changerait considérablement si on traduisait, comme il se doit, doulos par "esclave" (propriété du maître) et non par "serviteur" (qui pourrait être aussi bien salarié). Le "je ne pense pas" retenu par le "texte reçu", qui a l'air de te surprendre, ne change pas grand-chose au sens général de la parabole, puisqu'il ne fait que suppléer une réponse explicite autrement sous-entendue (question "rhétorique", comme on disait naguère, qui n'attend pas de réponse mais en suppose une, tacite parce qu'évidente, qui "va sans dire"). Pour revenir à l'" espérance" (dont la "récompense" n'est qu'un aspect, "objet" ou "contenu", parmi d'autres), je remarque qu'elle est beaucoup plus thématisée positivement, sous la forme du substantif elpis (qui amuse toujours les jeunes hellénisants francophones), dans les Actes (p. ex. 2,26; 23,6; 24,6s; 28,20) que dans Luc, où n'apparaît que la forme verbale, dans un sens négatif ou neutre (6,34; 23,8; 24,21). La récompense-salaire ( misthos), au contraire, se lit en Luc 6,23.35; 10,7 (en partie comme chez Matthieu, quoique plus rarement), mais pas dans les Actes. Plus généralement, le caractère (pseudo-)historique et collectif (ecclésiastique) de l'ensemble Luc-Actes tend à relativiser l'importance de l'individu(el), aussi bien en ce qui concerne la récompense que l' espérance. |
| | | free
Nombre de messages : 10072 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Ven 26 Jan 2024, 12:16 | |
| K. Schmocker, Elpis oder Hoffnung. Eine zukunftsgerichtete Auseinandersetzung mit dem Anspruch in 1 Petr 3, 15, 1998
Concentrons notre attention sur la partie biblique du livre qui en occupe les cent premières pages. Le texte qui fait l'objet de cette partie est le passage 1 P 3,14b- 16 dont le verset 15b passe souvent pour la base néotestamentaire de la théologie fondamentale : « soyez toujours prêts à justifier votre espérance [elpis] devant tous ceux qui vous en demandent compte ». Les analyses consacrées à ce texte s'articulent en deux parties : dans la première, Schmocker examine les versets en question en faisant abstraction du sens particulier de elpis. Dans la seconde, elle essaie de saisir le sens du terme en présentant ses divers emplois dans la littérature grecque classique et hellénistique ainsi que dans la Septante et dans le Nouveau Testament. Comme résultat de ces deux démarches, Schmocker propose de considérer l'elpis comme un aspect primordial de la foi chrétienne (cf. p. 66) et de lui attribuer plus précisément la connotation d'« espoir de la vie éternelle ». Cette connotation ne ressort guère du contexte immédiat de 1 P 3, 15, elle est, selon Schmocker, plutôt suggérée par 1 P 1,21 (cf. p. 92). A ce propos, il convient de faire trois remarques : 1 . Il est vrai que dans la Septante, mais aussi dans le Nouveau Testament, l'attitude exprimée par les termes elpis / elpizein peut se référer à la résurrection ou, d'une façon plus générale, à la vie dans l'au-delà (Sg 3, 4 ; 2 M 7, 14 ; Ac 23, 6, etc.). On s'étonne pourtant de ce résultat, d'autant plus que Schmocker n'attache pratiquement pas d'importance à cet aspect (cf. p. 90 s.) dans ses analyses consacrées à l'usage d' elpis / elpizein dans l'environnement hellénistique du Nouveau Testament (1). 2. Est-il légitime de rapprocher l' elpis selon 1 P 3, 15 de la vie éternelle alors que l'auteur de l'épître préfère d'autres termes lorsqu'il évoque l'« avenir » des croyants (p. ex. sôtèria en 1, 9 ; 2, 2, cf. 3, 2 1 ) ? Ne vaut-il pas mieux déterminer le sens précis d'elpis en comparant son emploi avec celui d'autres termes désignant les attitudes des chrétiens (p. ex.pistis 1, 5.9) ? 3. Quelle que soit l'exégèse qu'on propose dans une thèse, elle gagne à être confrontée avec les interprétations déjà existantes. Au terme de la lecture de l'ouvrage de Schmocker, on ne peut que constater que le dialogue avec la recherche exégétique n'y joue qu'un rôle insignifiant.
Ces objections ne veulent pas mettre en doute la valeur d'une démarche visant à actualiser un texte biblique. Pour ce faire, une analyse solide du texte en question est cependant indispensable. A notre avis, la partie biblique de l'ouvrage de Schmocker présente trop d'insuffisances pour pouvoir être considérée comme un vrai apport à une meilleure intelligence du terme elpis en 1 P 3,15 et dans la littérature juive et chrétienne de l'époque hellénistique. (Eberhard Bons)
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1999_num_73_2_3490_t1_0234_0000_1 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12429 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Ven 26 Jan 2024, 12:47 | |
| Voir ce fil sur 1 Pierre où le thème de l' espérance est abondamment traité dès la première page (janvier 2020). C'est surtout la formule " espérance vivante" (1,3) qui est marquante, mais le contexte la rattache expressément à la résurrection du Christ. L'" espérance" avait déjà été abondamment "actualisée" par la théologie un quart de siècle plus tôt, mais alors en dialogue avec le marxisme (Ernst Bloch / Jürgen Moltmann, théologies de la libération, etc.)... Il y a forcément de l'"actualisation" et de l'anachronisme, jusqu'au contresens inclus, dès lors que des textes anciens sont lus par des lecteurs modernes, que la théologie professionnelle (et confessionnelle) s'en mêle ou non. Entre "écologie" et "eschatologie" le rapport est à première vue antagoniste: on ne se préoccupe guère de la préservation du "monde" tel qu'il est quand on attend sa "fin" ou sa transformation radicale... Les deux se retrouvent cependant deux mille ans plus tard, puisque c'est par l'"écologie" que la "fin du monde" nous revient en force -- sauf que cette fois-ci l'" espérance" viserait plutôt à éviter la "fin du monde"; mais dans la mesure où celle-ci paraît inévitable celle-là risque fort de (re-)devenir "religieuse", mystique ou théologique, ou encore "philosophique"... |
| | | free
Nombre de messages : 10072 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Ven 26 Jan 2024, 13:34 | |
| Kierkegaard, le christianisme et l'ombre de la mélancolie
La mélancolie - comme catégorie subjective - conduit ainsi ä la question du christianisme. Elle y conduit par le biais complexe d'une vie enchainée à la mort, c'est-à-dire une existence radicalement perdue. On a ici un écho à la phrase de L'Evangile selon laquelle «le Fils de l'homme est venu sauver ce qui était perdu» (par exemple Lc 19,10). Ne peut être sauvé que ce qui est perdu, ce qui veut dire que c'est seulement du lieu de la perdition ou de la déréliction que le mot «salut» peut avoir une portée et un sens. Ce n'est pas qu'il faille conduire l'humain vers sa perte pour mieux lui faire éprouver la nécessite du salut. Un théologien tel que Dietrich Bonhoeffer a suffisamment souligné ce qu'avait de détestable cette apologétique religieuse qui se nourrit, à la façon d'un charognard, des impasses et des détresses humaines. Nietzsche, de son côté, avait déjà mis en lumière qu'on peut toujours appeler salut notre propre impuissance et la haine de soi. La perdition n'est pas ce dans quoi on doit être précipité pour qu'un sauveur vienne nous tirer de cet abime. Elle est plutôt ce dans quoi on est, qu'on le sache ou qu'on l'ignore. Si on tombe dans l'abime, on ne tombe en réalité que là ou on se trouvait déjà. Et le salut n'est pas ce qui annulerait la perdition, ou qui l'effacerait; il a lieu en elle. C'est dire que le salut a lieu là ou précisément il ne peut pas avoir lieu. Il ne peut arriver qu'au lieu ou il est absolument impossible qu'il soit, comme le Christ descendant dans les enfers. . Il ne vient jamais là ou il est envisageable, mais uniquement au lieu même de l'impossible. Ce n'est même pas qu'il devienne possible en advenant. II se manifeste plutôt comme l'impossible ou comme une «impossible possibilité». C'est cela que signifie la mélancolie dont Kierkegaard fait une figure de l'existence. Elle équivaut à une perdition ou aucun salut ne peut venir. La mélancolie - on y viendra - ne se résout donc pas en fonction d'une guérison et aucune remède ne peut répondre d'elle. Sa question est proprement religieuse, ou théologique. Elle concerne un impossible salut et elle est le strict opposé du christianisme lui-même. «Le christianisme n'a pas de place pour la mélancolie», écrit Kierkegaard. «Pas de place», dit-il, et c'est pourtant en ce lieu ou il n'a pas de place que le christianisme doit précisément venir comme salut. D'une certaine manière, le christianisme n'a pas d'autre lieu que là ou il ne peut pas être. C'est cette non-place qui constitue la place ou il est paradoxalement attendu. Le «pas de place» est son lieu propre. C'est la raison pour laquelle Kierkegaard ne fait pas seulement de la mélancolie l'envers du christianisme; il en fait aussi un lieu paradoxal de l'expérience du christianisme en tant que tel. Cette opposition radicale au christianisme est aussi son approche, à l'exemple du possédé des récits évangéliques qui repousse le salut venant vers lui pour le délivrer et qui prie Jésus de ne pas le tourmenter. De ce point de vue, on peut donner raison à Romano Guardini lorsqu'il écrivait, en 1952, qu'il y a chez Kierkegaard, comme également dans les épitres de Paul, «une véritable théologie de la mélancolie». Qu'est-ce à dire sinon que la mélancolie devient chez Kierkegaard une expérience humaine décisive ou le problème se pose en termes de «rédemption» ou de «re-naissance» possible.
https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=rtp-003%3A2013%3A63%3A%3A440 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12429 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Ven 26 Jan 2024, 15:43 | |
| Merci (encore) pour ce texte remarquable, dont je ne saurais trop recommander la lecture complète et lente... Le protestantisme, le christianisme même, a vraiment perdu l'un de ses penseurs récents les plus fins avec Jean-Daniel Causse. Je suis toujours en train de (re-)lire, à petites doses, les Papirer (journaux, cahiers) de Kierkegaard que j'ai souvent cité(s) par le passé (p. ex. ici ou là). Tout cela rejoindrait nombre de nos discussions passées, qui me sont revenues à l'esprit au fil de la lecture (p. ex. celle-ci ou celle-là), et bien d'autres textes d'autres auteurs, non seulement des "virtuoses de la mélancolie" plus ou moins inspirés par Kierkegaard (je pense à Kafka ou Cioran) qui sont aussi de grands humoristes (la "tragédie" a toujours son revers "comique", et inversement), mais de tous les penseurs tant soit peu "profonds", qu'ils soient d'ailleurs "religieux" ou "antireligieux" -- Paul, saint Augustin, Luther ou Pascal, mais aussi Nietzsche ou Heidegger. La question du "devenir" à laquelle Causse aboutit est naturellement liée au thème de l' espérance, éminemment paradoxal (de l' espérance dans la désespérance, de l'espoir dans le désespoir) depuis l'ambiguïté du mythe de Pandore (est-ce un bien ou le pire des maux ?), en passant notamment par Paul (espérer contre l' espérance, ce serait justement la "foi" selon Romains 4): on espère "en avant", dans une représentation spatiale du temps orientée contre sa propre étymologie, non vers l'Orient de l'origine mais vers l'Occident de la suite et de la fin, même quand on ne peut espérer que du "passé", puisque c'est la seule chose qu'on connaît, dont on se souvient: avant qui est devant soi dans la représentation contraire, cf. "ci-devant" -- comme, écrit ailleurs Kierkegaard, on pense en arrière et on vit en avant (suivant la représentation "moderne"). Ce sera aussi le ressort de l'"éternel retour" nietzschéen, fondé sur une "volonté de puissance" qui est encore un avatar de la "foi" paulino-luthérienne, même quand elle croit s'y opposer. Ce thème du "devenir" a beaucoup compté pour moi, préalablement à toute lecture "philosophique" (au moment de ma sortie du jéhovisme nous en étions arrivés à l'interprétation du "je serai qui je serai" comme "devenir absolu", identique et non opposable à l'"être"), mais il faut aussi le situer, en ce qui concerne Kierkegaard, dans son contexte du milieu du XIXe siècle, par rapport à l'idéalisme allemand de Schelling et de Hegel qui ont valorisé comme jamais auparavant le "devenir" et l'"histoire". Kierkegaard réplique toujours à Hegel, il demeure à sa façon "idéaliste", la "métamorphose" ou " transfiguration" de l'instant existentiel en l'"éternel" relève encore de l'"idée", y compris dans la tradition platonicienne (Socrate, le Socrate de Platon, reste sa référence en matière d'ironie)...
Dernière édition par Narkissos le Ven 26 Jan 2024, 16:29, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Ven 26 Jan 2024, 16:28 | |
| Bernanos: « La plus haute forme de l’espérance est le désespoir surmonté »
« Qui n’a pas vu la route, à l’aube entre deux rangées d’arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que c’est que l’espérance. L’espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté. On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prennent faussement pour de l’espérance. L’espérance est un risque à courir, c’est même le risque des risques. L’espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme…
On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts. Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore. Le démon de notre cœur s’appelle « À quoi bon ! ». L’enfer, c’est de ne plus aimer. Les optimistes sont des imbéciles heureux, quant aux pessimistes, ce sont des imbéciles malheureux. On ne saurait expliquer les êtres par leurs vices, mais au contraire par ce qu’ils ont gardé d’intact, de pur, par ce qui reste en eux de l’enfance, si profond qu’il faille chercher. Qui ne défend la liberté de penser que pour soi-même est déjà disposé à la trahir.
Si l’homme ne pouvait se réaliser qu’en Dieu ? si l’opération délicate de l’amputer de sa part divine – ou du moins d’atrophier systématiquement cette part jusqu’à ce qu’elle tombe desséchée comme un organe où le sang ne circule plus – aboutissait à faire de lui un animal féroce ? ou pis peut-être, une bête à jamais domestiquée ? Il n’y a qu’un sûr moyen de connaître, c’est d’aimer.
Le grand malheur de cette société moderne, sa malédiction, c’est qu’elle s’organise visiblement pour se passer d’espérance comme d’amour ; elle s’imagine y suppléer par la technique, elle attend que ses économistes et ses législateurs lui apportent la double formule d’une justice sans amour et d’une sécurité sans espérance. »
Georges Bernanos, conférence 1945
https://www.france-histoire-esperance.com/bernanos-lesperance-est-un-desespoir-surmonte/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Ven 26 Jan 2024, 16:52 | |
| Nous avons évoqué il y a peu Bernanos, et notamment ce texte, ici (17.1.2024) -- dans un cadre moins "réactionnaire" que ce blog... Kierkegaard, qui réagissait surtout à Hegel (bien qu'il fût aussi politiquement "réactionnaire"), se serait davantage méfié du verbe "surmonter" ( aufheben, Aufhebung) et de la notion de "dépassement" ou de "transcendance", qu'on l'entende d'ailleurs dans un sens horizontal (plus loin, au-delà: aller plus loin, weiter gehen, c'est une formule qu'il moque souvent chez Hegel ou les hegeliens danois) ou vertical (plus haut). En fait cette notion domine l'Occident (celui qui regarde vers le Couchant, l'Hespéride) depuis Platon ( epekeina tès ousias, au-delà de l'être, de l'essence ou de l'étantité) jusqu'à Nietzsche ou Freud (le même Jenseits, dans "au-delà du bien et du mal" et "au-delà du principe de plaisir", ou l' über de l' Uebermensch, autant "ultra-" ou "trans-humain" que "surhomme"). Toujours plus loin, c'est le leitmotiv de la modernité sous forme de "progrès" et d'"évolution", et c'est vieux comme le monde et comme la nouveauté. Ce qui différencie (subtilement) la pensée paradoxale d'un Kierkegaard, c'est que l' espérance se trouve, si elle se trouve, dans le désespoir (ou la désespérance) -- non pas au-dessus ni après. A propos de l'article précédent, il faut noter que la "mélancolie", qui est tout à fait sortie aujourd'hui du lexique de la pathologie psychologique ou psychiatrique, remplacée par la "dépression" et autres "syndromes", oscillait encore au XIXe siècle, et jusqu'à l'époque de Freud, entre langage médical (même si ce n'était plus à la lettre la "bile noire" de la théorie classique des "humeurs") et littéraire (poétique, etc.), dans une métonymie "lisse" (c.-à-d. sans frontière nette entre un emploi "propre" et "figuré", métaphorique, hyperbolique, etc.)... Cf. p. ex. ici. La "chose" et son "unité", si différenciée soit-elle, n'ont bien sûr pas disparu pour autant, et leur dire poétique non plus -- je repense aux chansons de Barbara, du "mal de vivre" au "soleil noir". Si la tragédie et l' espérance sont notoirement antinomiques, le tragique n'est pas nécessairement héroïque, le héros peut être comique (cf. La tragédie d'un homme ridicule, de Bertolucci), et la comédie aussi se passe volontiers d'espérer -- la "politesse du désespoir", la formule serait de Chris Marker (dont Michaux avait dit qu'il remplacerait avantageusement la Sorbonne)... Mais rien d' essentiel (surtout pas la " vérité") ne se passe de poésie. |
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| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Mer 31 Jan 2024, 13:21 | |
| L’impatience du présent. Espérance, temporalité et affectivité chez Heidegger, Levinas et Rosenzweig
1/ L’espérance au risque de l’ontologie : Heidegger.
Patienter, c’est toujours d’une certaine manière s’impatienter. L’impatience ne s’oppose pas à la patience mais elle en conditionne pour ainsi dire l’épreuve. En effet, une patience inapte à s’impatienter, qui ne souffrirait ni ne pâtirait d’elle-même, pourrait-elle encore s’éprouver en qualité de patience ? Celle-ci est donc toujours, à sa manière, une forme d’épreuve qui ne saurait disparaître qu’au bénéfice de l’obtention et de la jouissance de ce pour quoi elle patiente, ou, indifféremment, de ce pour quoi elle s’impatiente. Si je patiente, c’est en espérant que la patience ne sera pas vaine, qu’elle ne sera pas une dépense inutile « en pure perte », mais qu’elle s’oublie, en qualité d’épreuve, dans la possession ou la jouissance de ce pour quoi elle patientait. La jouissance dans la possession supprime ainsi la patience en tant qu’épreuve, en supprimant l’épreuve d’une temporalité dont s’arme le « patient » dans l’attente de ce qu’il espère. S’armer de patience consiste donc bien à supporter l’épreuve d’une temporalité qui nous affecte d’autant plus douloureusement que l’espoir s’amenuise à mesure que ce temps se prolonge. Telle une ombre qui s’agrandit démesurément lorsque le soleil décline, l’espoir déclinant s’éprouve douloureusement jusqu’à un seuil au-delà duquel l’épreuve vire à la pure souffrance et la pure impatience au désespoir. Si l’inespéré survient toujours un peu tard, il survient à l’horizon d’une attente qui n’est jamais totalement close. C’est, en effet, lorsque l’inespéré n’advient désespérément pas, et qu’il n’y a rigoureusement plus rien à attendre, que l’espoir et la patience rendent les armes. Mais, à considérer ainsi le rapport qui noue l’espérance à l’espéré, comment comprendre l’exhortation de Saint Paul, dans l’Épître aux Romains, à n’espérer qu’en ce que nous ne voyons pas ? « Car notre salut est objet d’espérance ; et voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer : ce qu’on voit, comment pourrait-on l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec constance. »13 Paul ne présente pas l’espérance comme une rémission de notre souffrance, mais comme une « attente confiante » du salut. En effet, cette constance dans l’attente ne saurait nous soustraire aux « gémissements ineffables »14, car ce n’est pas de la souffrance que l’espérance nous délivre, mais de la perspective d’une existence qui ne serait livrée qu’à la souffrance. Cette délivrance ne saurait donc s’éprouver que sur fond d’une souffrance indispensable, dont elle constitue structurellement le corrélat.
https://books.openedition.org/pucl/2246?lang=fr#:~:text=En%20effet%2C%20si%20l'esp%C3%A9rance,%2C%20f%C3%BBt%2Delle%20envisag%C3%A9e%20authentiquement. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Mer 31 Jan 2024, 15:30 | |
| Merci (encore) pour cette lecture (à la lettre) passionnante -- qui me fait (encore) regretter de n'avoir pas (encore) lu Rosenzweig, sinon par les citations des autres, et des meilleurs (Levinas, Ricoeur, Derrida...), et relu d'autres, ou les mêmes (p. ex. Le temps et l'autre, de Levinas). On y retrouvera aussi quelques extraits d'Ernst Bloch, dont on parlait plus haut (26.1.2024), injustement oublié depuis quelques décennies comme beaucoup de "marxistes"... Entre "patience" (en grec hupomonè, déjà évoquée plus haut et ici 29.12.2023, de hupo-menô, à la lettre "demeurer dessous", aussi traduite par "endurance" ou "persévérance" -- ou encore "constance", dans ta citation quand elle cite Romains 8,25), "passion" ( paskhô, pathos etc.)" et " souffrance", le lien étymologique n'apparaît plus guère en français que dans l'expression, paradoxalement impassible autant que prosaïque et désuète, de "marchandises en souffrance". Le "sujet" ( sub-jectum, hupo-stasis) quel qu'il soit, hypo-thétique par définition ( hupo-thesis), n'a guère d'autre choix que d'être "patient" ( hupo-menôn), de demeurer à sa place, sous-jacente sinon sub-stantielle, tant qu'il y est, et de tout sub-porter jusqu'à l'insupportable... Qu'on la rattache à l'Ê(s)tre comme Heidegger, à autrui comme Levinas, à l'Autre comme Lacan ou à (l'essence du) "Soi" comme Rosenzweig (on pourrait peut-être ici convoquer Kierkegaard, Stirner, Jung et quelques autres), "l' espérance" reste aussi tautologique que paradoxale (cf. Romains 4 ou Héraclite, supra 29.5.2023), dans un jeu de miroirs infini comme un mouvement perpétuel... Indestructible jusque dans le désespoir qui la relance comme un ressort inusable, à désespérer d'en sortir jamais, sinon par un accomplissement qui en serait aussi l'achèvement, secrète complicité de l'amour et de la mort. D'une manière ou d'une autre l' espérance, comme le désir et tout le temporel, tend vers sa fin, peu importe comment elle la nomme: Dieu, être, néant, mort, éternité, apeiron, nirvâna, esprit, matière, poussière, terre, ciel, océan, univers... --- Je note au passage que si le thème de l' espérance ( elpis, elpizô etc.) est très présent dans les épîtres, pauliniennes "authentiques" ou non et autres (Hébreux, 1 Pierre), il est très rare dans les évangiles: totalement absent de Marc, seulement dans une citation chez Matthieu (12,21), insignifiant chez Luc (cf. supra, par comparaison aux Actes: encore faut-il préciser que dans les Actes, à part la citation de 2,26, l' espérance ne se thématise que dans les derniers discours de "Paul", à partir du chapitre 23), négatif chez Jean (5,45, pour l' espérance des "Juifs" en "Moïse"; cf. a contrario 1 Jean 3,3). Par-delà les différences des textes, tout se passe comme si la (re-)présentation narrative d'un "Jésus" présent (fût-ce au passé) abolissait, neutralisait ou suspendait toute attente. |
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| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Jeu 01 Fév 2024, 16:41 | |
| Le possible et l’espérer Nicolas Monseu
2 La phénoménologie tente bien sûr, à sa manière, de répondre à ces questions et, donc, de décrire l’attitude de l’être humain à l’égard de son avenir, ou de ce qui est parfois nommé par Husserl ces « actes de futurition », dans lesquels nous nous rapportons à l’avenir. Or, parmi ces actes, espérer est une expérience et une attitude fondamentale de la vie humaine. Quelle que soit l’interprétation que l’on propose de ce qu’il y a à espérer — de l’« objet » de l’espérance (la chose espérée), à supposer qu’il y en ait un — et quelle que soit la compréhension que l’on donne de l’acte même d’espérer, espérer constitue bien une des dimensions de l’existence humaine et est, à ce titre, philosophiquement signifiant. Kant a par exemple montré que la célèbre question « Que m’est-il permis d’espérer ? » est à ce point importante qu’elle contient l’intérêt même de la raison, et qu’il y a bien lieu de rechercher, selon le but final de la raison, sur quoi au juste peut bien porter l’espérer, et si même cette interrogation a quelque légitimité. C’est là tout le sens du « précédent kantien » dans la réflexion philosophique sur l’espérance : l’être humain est un être qui espère, et la tâche de la philosophie est ainsi de comprendre ce que veulent dire, pour lui, cet acte spécifique d’espérer et l’orientation vers l’avenir qui lui est intrinsèquement liée. C’est là un véritable défi, que le philosophe français Stanislas Breton a eu l’audace de préciser spécifiquement en tant que question, au sein même du projet kantien :
Que puis-je espérer ? L’espérance n’est pas seulement l’objet de la question. La question elle-même surgit comme un acte d’espérance. Elle mobilise, au cœur de celui qui la pose, l’irréductible qui affirme, dans son être-au-monde, l’impossibilité de s’y résorber.
3Décrire l’acte humain d’espérer, et le reconnaître comme un moment phénoménologique à part entière, n’est donc possible qu’à condition de décrire l’attitude de l’être humain à l’égard de son avenir : il est capable de se comprendre, et de réfléchir sur lui-même à partir de ce vers quoi il est orienté et de ce qui est à venir. C’est que l’être humain vit toujours aux prises avec ce qui ne lui est pas (encore) donné, et vit dans une perspective d’avenir, c’est-à-dire qu’il est orienté vers un temps à venir, sans qu’il sache exactement ce qui va bien pouvoir advenir de lui. Notre rapport à l’avenir n’a donc pas le sens d’une recherche précise, mais celui d’une orientation vers ce qui va venir, une orientation dans laquelle nous nous enfonçons chaque jour davantage et qui est parfois tellement imprégnée de la sentence séculaire du memento mori, d’un avenir qui n’aura pas son lendemain. Sans doute est-ce là un choix que nous n’avons pas, face à cet avenir qui ne peut faire autre chose que de se réduire sans cesse : il faut encore aller de l’avant, pour espérer y voir un peu plus clair ; il s’agit en somme de persister à vivre, chaque jour, dans la distance de la venue de ce qui va toujours venir « après », puisque, en tant que tel, l’« objet » qui vient ne se manifeste d’abord que par son absence. Un des enjeux de la philosophie est ainsi de montrer en quel sens l’acte d’espérer peut être envisagé pour lui-même, sans tomber dans les dangers signalés par Camus, selon qui l’espérance arrache l’homme a sa vie présente, et le conduit à déserter le monde présent pour spéculer sur ce que précisément il n’a pas et ne peut pas, par définition, avoir.
1/ Espérer et possibilité
6L’analyse de l’acte d’espérer ne peut s’accomplir indépendamment d’une analyse de la temporalité de l’existence humaine. Espérer n’est possible que si le sujet est lui-même constitué d’un « pas encore » qui exprime la temporalité dans laquelle il est projeté. Le sujet est ouvert à un à-venir qu’il n’est pas encore, et il s’agit d’abord de montrer en quel sens l’analyse de la notion d’avenir doit faire droit à l’analyse de la notion de possible. Pour réfléchir sur le sens du possible, et finalement sur les conditions du possible précisément en tant que possible, on peut se tourner vers les travaux de Stanislas Breton, qui montrent en quel sens réfléchir au rapport que nous entretenons à l’avenir suppose de réfléchir au sens même du possible, et à son avènement.
7Dans son ouvrage sur la Théorie des idéologies, Breton introduit deux sens du possible : le « possible rétrospectif » et le « possible prospectif ». Avec le « possible rétrospectif », il s’agit, à proprement parler, d’un possible de rétrospection qui imagine l’avenir sur le modèle du passé, et consiste à projeter dans le passé la nouveauté du présent et à insérer l’avenir, « sous la forme d’un duplicata, dans le déjà vu d’une re-connaissance rassurante ». Le présent et le futur sont ici de l’ordre du déjà-vu : il s’agit de voir dans le présent ce qui a, en fait, déjà eu lieu, ce qui ne permet pas de considérer le présent dans ce qu’il a de spécifiquement neuf, sa dimension proprement « inédite ». Dans ce cas, le possible est donc bien envisagé dans sa dimension de rétrospection : ce qui est et ce qui sera ne devraient être que la répétition du passé. Le danger ultime de cette répétition (auquel l’espérance sera sans doute la réponse tout aussi ultime) réside dans ce qui est peut-être une des « affections » les plus pénibles de l’être humain, celle qui « se répand en lamentations sur le malheur d’être né, parce que la naissance, loin de nous faire être vraiment, nous accable du poids infini des générations antérieures, et par là nous invite au seul acte possible d’une liberté : par une violence résolue sortir du cycle des existences. »3.
9Mais le travail de Breton permet encore de dégager un autre sens du possible qui concerne directement le thème de nos analyses : le « possible prospectif ». Avec cette expression, il s’agit en somme de laisser une « marge de disponibilité » pour que ce qui viendra « après » puisse précisément advenir. La dimension prospective du possible a ici une double fonction : libérer un « autre espace » pour un possible qui soit vraiment possible en lui-même, et exercer un esprit critique. La prospective réalise « le rôle dévolu à ce qui nous paraît être le sens profond du possible : schématiser cette joie de la transgression, si nécessaire non seulement au créateur reconnu mais aussi bien à l’homme de tous les jours, qui a droit lui aussi aux vacances de l’invérifiable »4. La dimension prospective du possible rappelle la finitude de notre situation et de notre condition, toujours marquée par les contraintes et les limites. Mais elle invite en même temps, par la reconnaissance de ces limites, à les franchir par un nouveau pas, qui est un autre degré de liberté. Réfléchir au sens du possible a donc pour fonction d’ouvrir une marge capable de faire droit aux « forces neuves d’un autre matin d’histoire »5.
10L’objectif de cette réflexion sur le possible revient en fin de compte à saisir la spécificité de l’avenir en tant qu’avenir, et à comprendre la singularité de notre expérience de l’à-venir. Cette distinction des possibles a en effet le mérite d’indiquer que le possible prospectif est une caractérisation originaire de l’être humain : il n’est pas une capacité ajoutée à l’être humain ; celui-ci existe précisément en tant qu’il est orienté vers l’à-venir. L’enjeu est ici de comprendre en quel sens l’être humain est capable de soutenir, en son présent, un rapport à ce qui n’est pas encore, et d’appréhender la rencontre de l’être et de l’à-venir. En somme, Breton tente de réévaluer le statut même de notre rapport à l’avenir, et de la légitimité de nos affirmations sur l’avenir : en quel sens faire droit à l’incertitude de l’avenir et en quel sens l’avenir pourra-t-il être autre chose que ce qui est imposé par les règles d’un déterminisme universel auquel rien ne saurait échapper ? La question revient à interroger la possibilité même de l’avenir, et à se demander en quel sens « ce qui vient après » peut être compris précisément comme possible, c’est-à-dire devenir spécifiquement en tant que possible. La pensée de Stanislas Breton affronte toute l’ambiguïté — ou le paradoxe — d’une démarche qui vise à saisir notre mode de relation à ce qui vient mais n’est pas encore, c’est-à-dire à cet à-venir dont l’essence implique précisément de ne pas pouvoir être encore donné, et dont il faut respecter le caractère à venir et possible.
https://books.openedition.org/pucl/2239?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Jeu 01 Fév 2024, 17:42 | |
| Cela rappellerait aussi, entre autres, ce fil-ci et celui-là.On peut faire les distinctions verbales et conceptuelles qu'on veut, entre "futur" et "avenir" ou "à-venir", entre " espérance" et "attente", "attendre" ou "s'attendre à", expect(ation) en anglais, elles seront toujours arbitraires, et cependant nécessaires ou plus que nécessaires, comme disait Jüngel... L'important c'est qu'on puisse toujours en faire même là où rien ne les impose, voire là où elles semblent interdites, car c'est par ce genre de brèche ou de faille que passe, fût-ce en contrebande ou par un tour de passe-passe, ce que nous appelons "sujet", ou "liberté", quand même cela ne correspond à rien de "réel" ou de "logique". La "logique" même ne doit pas être trop serrée, solide et contraignante, elle ne fonctionne que s'il y a du "jeu" au sens quasi mécanique du terme. On peut penser au clinamen d'Epicure ou de Lucrèce, qui apportait un semblant de "liberté" ou d'inconnaissable dans le déterminisme atomiste. Je repense à La beauté du diable, de René Clair, variation facétieuse sur le mythe de Faust, où Méphistophélès (Michel Simon) ayant montré dans un miroir au Faust rajeuni (Gérard Philipe) son avenir tracé jusqu'à sa mort, est le premier surpris de voir son "sujet" lui échapper d'un pas de côté à la première étape: toute la suite déterminée, logiquement implacable, tombe à l'eau, par une pirouette de l'acteur ou du scénario... C'est peut-être justement ça, l' espérance contre l' espérance désespérante, la pirouette de l'impossible toujours possible, l'éclat de rire nommé, par exemple, Isaac (c'est le sujet de Romains 4). Mais c'est aussi banal au fond que l'imprévisibilité de la météo au-delà de quelques jours, là même où aucune "liberté" au sens humain ou anthropomorphique du terme n'est en cause. |
| | | free
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| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Mer 07 Fév 2024, 11:27 | |
| L’espérance, le temps, la fin : remarques sur l’événement antérieur
42 Je voudrais tenter pour finir, sans me prononcer sur ces postures, de me déporter et d’aborder un système schématique où les structures notionnelles sont différentes, en raison des objets de l’espérer et de leur double positionnement dans le temps, un donné et le devenir d’un donné. Je voudrais donc mentionner que, en christianisme, l’espérance, « Elpis » n’est pas un mot du corpus évangélique ; et qu’en revanche l’acte — le verbe qui va donc demander un sujet et des prédicats — « Elpizein » — l’est (Mt 12.21 ; Luc 6.34 ; 23.8 ; 24.21). Je retiens juste pour notre réflexion ce que je crois être l’occurrence la plus significative : en Jn 5.45 Jésus dit : « Ne pensez pas que je vous accuserai devant mon Père. C’est Moïse qui vous accusera, lui en qui vous avez espéré. »
43 Que voyons-nous dans cette écriture ? On voit en réalité que l’accusation — certes différée — porte étrangement sur l’antériorité de l’objet d’espérance, et que c’est donc la non-espérance dans l’antériorité de l’objet que fut Moïse qui est à l’origine de ce scandale, mais qui sera celui de la fin, comme si l’eschatologique se rejouait devant le protologique, le Christ expliquant lui-même cette situation de médiation qui est la sienne, et plaidant sans doute pour une compréhension d’une structure temporelle évoquée sous l’apparence d’une donation antérieure des figures allant se révélant et se manifestant.
44 Puisque j’évoque ici ce que je pense être un système théorétique et cognitif très spécifique, à savoir le corps des Ecritures du second Testament, je ne crois pas nécessaire de rappeler qu’il y a là une triade « Elpis », « Pistis » et « Agape » (I Cor 13, 13) — même si nous allons en voir les terribles conséquences ; je ne rappelle pas non plus que le « µένειν (menein) » est le verbe qui les caractérise. Bien sûr, la citation fondatrice est sans doute celle de la I Tm 1,1, où Paul associe, dans une salutation oratoire, Jésus et l’espérance, en ayant cependant fait précéder le syntagme de l’affirmation que Dieu est sauveur. On comprend alors qu’en Rom 8,24, après avoir évoqué les gémissements, l’adoption et la délivrance du corps, Paul affirme :
En effet, nous avons été sauvés en espérance. Mais l’espérance constatée/vue (« blepein », voir) n’est pas l’espérance ; ce que l’on constate/voit, comment l’espérer encore ? Si ce que nous ne constatons/voyons pas nous l’espérons, c’est que nous l’attendons (« apekdexestai ») avec patience (« upomonè »).
45 Mais Paul indique aussi à Tite (2.13) qu’en raison de l’épiphanie de la grâce de la sotériologie universelle, il faut vivre — avec justice, piété et prudence — dans le maintenant (« nun »), « en attendant (« prosedokao ») la bienheureuse espérance (« makarian elpida ») et l’épiphanie de la gloire (« doxa ») du grand dieu. » (déclaration similaire en Col. 1,27).
46 Il est donc typique que, dans ce cas de corpus, comme par exemple en Phil I, 20, Paul entend faire se conjoindre l’« apokaradoxia », comme attente, et l’espérance comme « elpis ». On comprend sans doute pourquoi Michel Henry, sur un plan d’immanence, commentant le « gémissement de la création », cette expression de l’affect typiquement liée à l’espérance chez Paul, rappelle certes que « la création est différente de la génération », celle-ci touchant les « ego vivants en tant que Fils ». Ainsi, pour M. Henry, « la création est suspendue à l’homme et attend de lui son salut, en tant que l’homme est Fils et que dans la révélation de sa condition lui advient son salut, et ainsi celui du monde en lui, pour autant que le monde lui-même a son essence dans la sensibilité, i. e. la vie. »30 Notez donc qu’il nuance le schéma : c’est l’être filial qui confère le salut, mais à la création ; le salut de l’homme étant sa filiation, ce qui explique sans doute que M. Henry fait se conjoindre le messianique et l’apocalyptique. Dans cette mesure, pour Henry, « la vraie réduction transcendantale vient de la définition de l’homme comme Fils, c’est-à-dire à partir de la Vie (transcendantale) »31, si bien que la compréhension de l’homme « en tant que Fils de Dieu » bouleverse tous les acquis et les efforts de la philosophie occidentale, qui reste pour lui une « pensée de l’homme mondain sur lui-même »32.
52 Ceci oblige à une éthique de l’espérance qui la place d’abord sur le plan de l’intensité qualifiante du temps messianique, en exigeant le remplissage du présent et de ce qui se présentifie (ne pas manquer ce que l’on espère) ; mais, surtout, une éthique qui la trans-porte vers l’originaire dont je parlais plus haut, et qui veut que, dans le cadre précis que je propose, l’espérance puisse aussi porter sur un objet tel que ce qui a été donné par avance, et dont les figures ne cessent de s’accomplir par l’espérer de l’espérance. Bien sûr, il reste la posture facile de la temporalité apocalyptique dont c’est un droit de moins la considérer, dans la mesure où elle est à la fois une évidence métaphysique et une non-évidence phénoménologique, et qui peut donc moins nous retenir sur un plan d’immanence, nous obligeant du même coup à revenir sur le caractère de la métaphore de la marche que j’évoquais plus haut.
53 Il n’en reste pas moins que l’espérance ne s’accomplit pleinement que dans sa portée affective, qui lui ferait peut-être pouvoir, mais uniquement sous cette modalité, entrer en une relation d’équivalence avec l’« agapè ». C’est le problème du mal qui oblige à penser cela ; d’où la portée constitutive que j’accorde à la prédicativité de l’être-crucifié. On ne peut plus espérer un amour blessé, meurtri, trahi, non aimé, mais on peut en revanche l’aimer ; ce surcroît peut être la figure du pardon, il peut être l’espérance comme ce non-désespoir, il peut être aussi le Signe que l’amour (a-mort) est plus fort que le mal de la mort, et qu’en définitive la compréhension anthropologique de l’ego-sum-moribundus pourrait bien être d’une extrême faiblesse spéculative, et plus encore pratique. Mais à la Vie nul n’est tenu, c’est l’extrême paradoxe de notre liberté, notre plus abyssale fragilité et notre force la plus terrible.
https://books.openedition.org/pucl/2241
Désolé texte déjà cité ...
Dernière édition par free le Mer 07 Fév 2024, 15:05, édité 8 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12429 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Mer 07 Fév 2024, 13:05 | |
| Merci pour cet article (j'ai supprimé un doublon) qui m'a beaucoup intéressé, en particulier par la présentation et la confrontation de Ladrière et d'Agamben... Il intéresserait aussi, dans un sens à peine différent du verbe, nombre de nos conversations passées ou en cours, y compris les plus récentes de la rubrique quelque peu indigente " Religion et science", et même, c'est plus curieux, celle sur les Nombres qui aboutissait hier à une réflexion sur le rapport de l'idéel irréel (mathématique, arithmétique, numérique) au réel aléatoire et contingent jusque dans la fiction, historique, législative, eschatologique ou apocalyptique... Quel que soit le "sujet" ( topic) nous finissons toujours par nous retrouver dans les mêmes parages, voire dans les mêmes lieux ( topos, topoi): ce n'est pas seulement le fait d'un radotage ou d'un ressassement, mais aussi l'indice du lieu même, qu'il y a du lieu et qu'il y va toujours du même en toute différence -- j'ai repensé en lisant Leclercq à Mallarmé (qui irait peut-être à l'encontre de sa conclusion "édifiante"): rien... n'aura eu lieu... que le lieu... excepté... peut-être... une constellation. Il y aurait beaucoup à (re-)dire sur les définitions et distinctions (que Leclercq tire d'Agamben, mais celui-ci les doit en partie à Derrida) du " messianique" et de l'" apocalyptique", mais nous en avons souvent parlé ailleurs... Plus cruciale me semble la question du rapport de l'" espérance" (donc du temps, futur, inaccompli, à-venir, mais aussi du désir, de l'amour, de la volonté, de la foi) au "passé" (accompli, mémorisé ou oublié mais irréversible, irrémédiable, même pour les dieux croit-on): dans un sens on n'espère jamais que du "passé", puisque c'est la seule chose qu'on connaisse, qu'on puisse se rappeler ou oublier, l'avant que l'on a effectivement devant soi (ci-devant) quand même on le perd de vue (à l'inverse de l'orientation "moderne", du passé derrière soi et de l'avenir devant soi), et que l'on puisse aimer, vouloir ou désirer; et dans un autre c'est bien une certaine "raison", ou un "principe de réalité", qui interdit de le vouloir, précisément parce qu'il est irrémédiablement passé: ressort inusable de la nostalgie, saudade, Sehnsucht ou Heimweh, de la résurrection ou de l'Eternel retour -- retors comme tout ressort. Je lisais ce matin, dans un commentaire du Out 1 (sous-titré Noli me tangere, "ne me touche pas", d'après Jean 20) de Rivette (1970-72), que je n'avais jamais réussi à voir (c'est très long, mais passionnant), une référence au titre de Pontalis (1997), Ce temps qui ne passe pas. On ne parlera peut-être jamais d'autre chose. P.S.: j'ai vu après coup la modification de ton post, mais je ne me suis pas souvenu d'une lecture antérieure de cet article de Leclercq; il était pourtant ci-dessus, et pas bien loin, 1.6.2023: j'ai la mémoire qui flanche... Pendant qu'on est dans les chansons, cette affaire de "passé devant soi" me rappelle toujours celle-ci, des années 1990, époque où je ne fréquentais guère la "variété-pop-rock", sinon passivement par la radio: celle-là m'avait quand même accroché, parce qu'on l'entendait partout, qu'elle était musicalement très efficace (c'est un air qui n'en finit pas de tourner dans la tête) et qu'elle exprimait bien ce que je ressentais. |
| | | free
Nombre de messages : 10072 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Ven 09 Fév 2024, 12:45 | |
| Introduction. Vers une phénoménologie de l’espérance (Article un peu ardu). Jean-François Lavigne
11 Espérer, en effet, est d’abord une attitude subjective, qui se traduit ensuite en un comportement, et s’accompagne de certains sentiments, états affectifs, etc. Faudra-t-il donc s’adresser à la psychologie, en ses diverses versions (descriptive, introspective, clinique, expérimentale, comportementale, quantitativiste, etc.), pour lui demander les éléments d’une caractérisation objective — éventuellement fondée sur la mesure de réactions données à des situations déterminées — de cette attitude subjective, déterminée ainsi par le détour de son interprétation comme comportement ? C’est une perspective contradictoire : elle consisterait à faire fi de ce qui est, pour l’individu qui espère lui-même, et du point de vue même de son espérer, l’essentiel du sens de l’acte : à savoir, de n’être justement pas un comportement, l’effectuation d’une action, mais au contraire ce qui précède nécessairement l’action et son choix, et qui s’en distingue comme son seuil ou son accès préalable : Pour se comporter dès le présent de manière espérante — confiante en un possible — il faut déjà espérer, être déjà entré dans cette attitude projective spécifique, impliquant une évaluation anticipatrice favorable, que désigne ce verbe. Pour qui espère en effet, ou même seulement se demande s’il y a lieu d’espérer quelque chose de tel ou tel comportement, l’effectivité de l’espérance ne réside pas du tout, comme le croit le psychologue, dans un état mental éventuellement objectivable : elle repose toute entière sur l ’espéré, sur ce que l’« on est en droit d’attendre » : sur le terme axiologiquement et téléologiquement anticipé, lequel n’a et ne saurait avoir, aux yeux de la science positive, la moindre réalité. Car l’espéré comme tel luit sur le mode d’une idéalité d’horizon, téléologique, qui transcende par principe toute réalité et toute effectivité.
12 Ainsi, de l’espéré comme tel, ni la psychologie, ni la sociologie ni l’anthropologie (qu’elle soit sociale, structurale, historique ou cognitive), ni de façon générale aucune des « sciences humaines » ne peut avoir la moindre approche sans subreption méthodologique ; parce qu’elles ne peuvent l’envisager que comme un moment dépendant interne du vécu ou de l’état de conscience à étudier, c’est-à-dire comme contemporain de celui-ci, puisque, faisant partie de cet « état mental » supposé, il loge évidemment dans le même présent. Mais pour qui espère effectivement, l’espéré n’est bien entendu jamais présent. Il est essentiel à l’espéré de n’être pas contemporain de l’acte dans lequel je me projette vers lui. Cette fondamentale diastase temporelle, les sciences de l’homme, parce qu’elles se veulent l’application à l’expérience humaine de la perspective épistémologique des sciences positives, et qu’elles y projettent les mêmes présupposés, ne peuvent l’interpréter que comme illusion subjective, manière « simplement » présente de colorer affectivement l’avenir. Ce faisant, non seulement elles falsifient radicalement le sens de leur objet, en « faisant mentir » la conscience espérante, comme si celle-ci était de mauvaise foi et ne se rapportait en fait qu’à son propre présent ; mais surtout elles ne font que répéter au sujet de la dimension temporelle fondamentale de l’avenir, le même contresens : confondant l’avenir lui-même avec la conscience-d’avenir, faisant de l’avenir un simple aspect ou moment de celle-ci, elles dénaturent entièrement ce qu’elles croient expliquer, et vident l’avenir de son sens le plus essentiel : sa futurition même.
21 S’il s’agissait simplement d’étudier le rapport affectif au futur, on pourrait s’attacher à examiner tout aussi bien la sérénité, ou la crainte, qui impliquent elles aussi toujours le rapport protentionnel à un horizon d’avenir proche, et ce phénomène particulier du rapprochement affectif qui raccourcit encore la distance intentionnelle déjà enjambée par l’anticipation. Et si, au contraire, notre intention était de comprendre la temporalisation d’une conscience incarnée à partir de l’expérience de l’accomplissement, et de l’éloignement du révolu, à l’exemple de Husserl qui voit dans l’expérience du « tout-juste-passé » la constitution première de la diachronie essentielle du temps, pourquoi ne pas plutôt étudier l’affect du regret, ou de la nostalgie, ou encore, en mode positif, la satisfaction de l’accompli ?
23 Espérer c’est en effet épouser directement, sans distorsion, la dynamique formelle du temps, beaucoup plus immédiatement que ne font les actes de se souvenir ou de regretter, ou toute forme du « retour-en-arrière » sur la base de la mémoire, dans le « souvenir frais » comme dans le rappel du ressouvenir lointain. On le comprend si l’on voit — comme l’a si bien montré Husserl lui-même, tout le premier — que si l’essence du temps réside dans le passage fluent continu du contenu de l’impression présente, qui le fait basculer dans le mode rétentionnel du tout-juste-passé, ce processus lui-même dépend, plus radicalement, de la survenue originaire du nouveau présent, qui est l’auto-génération de l’instant neuf — forme de ce que Husserl désigne comme « impression originaire ». L’originarité de cette impression originaire (la nouveauté même de l’instant présent) ne tient donc pas d’abord à ce que les formes rétentionnelles ultérieures qu’assume son contenu comportent en elles-mêmes une référence constitutive à celle-ci : ce renvoi lui-même n’est que le résultat et la trace de la dénivellation ontologique fondamentale entre actualité et inactualité, qu’introduit le survenir même du présent, en son imprévisible spontanéité, et en l’inimaginable fraîcheur de son intensité sensible. Ce survenir originaire du nouvel instant actuel, c’est l’événementialité même du temps. Si le temps peut être la forme d’existence des événements, c’est parce qu’il apparaît lui-même plus originairement en tant qu’événement. Le temps est ce qui ad-vient ; il n’est pas seulement la forme du contingent, il est contingent lui-même, et plus précisément la possibilité contingente de tout contingent. C’est pourquoi le rapport juste au temps ne peut que prendre la forme de l’attente anticipative, mais sans certitude anticipée qu’« il arrivera » bien quelque chose. Mais anticiper dans l’attente, à vide, sans avoir droit de s’attendre à quelque chose de déterminé, et, plus précisément, en ayant renoncé à tout escompte d’un futur déterminé — qu’est-ce d’autre qu’espérer ?
https://books.openedition.org/pucl/2235 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12429 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Ven 09 Fév 2024, 13:32 | |
| La formulation est ardue -- quand un philosophe s'inscrit dans la lignée de Husserl, de Heidegger et de l'une ou l'autre de leurs "suites" il ne peut guère en être autrement -- mais le mouvement général paraît assez simple si on le suit jusqu'au bout -- où l'on verrra, au bout d'un discours rigoureusement temporel de part en part, ressortir "l'éternité". Tout ce qu'on a chassé par la porte rentre par la fenêtre, c'est la règle là où aucun concept ne peut faire l'économie de son "autre", quand même cet "autre" n'existe pas (ou, au contraire, ek-siste, n'est que d'être dehors, exclu, et par conséquent in-siste aussi, doit continuellement rentrer, fût-ce subrepticement, en fraude ou en contrebande, ne fût-ce pour être toujours et encore chassé). On ne pense pas "le temps" sans "autre du temps", "le monde" sans "autre du monde", "le réel" sans "idéel" et "irréel", "le fini" sans "in-fini", "la physique" sans "méta-physique", "le langage" sans "méta-langage", "le contingent" sans "le nécessaire", "l'immanence" sans "transcendance" -- même s'il n'y a ni "autre du temps", ni "autre du monde", ni "irréel-idéel", ni "infini", ni "métaphysique", ni "métalangage", ni "transcendance", ni "nécessité", jamais, nulle part... En quoi ce retour ( de l'esprit impur) de l'idéel-irréel, ou du logos, serait aussi celui de ses "contraires", du muthos, du mythe et de la poésie, de l' art(ifice), du fictif et du factice. Pour recentrer cette absolue généralité sur "l' espérance" qui est le thème commun du présent fil, de l'article de Lavigne et du livre auquel celui-ci introduit, "l' espérance" qui par définition vise l'avenir (futur, inaccompli) ne peut pas le viser sans viser en même temps (!) tout autre chose, non pas un mais plusieurs "contraires": aussi bien "le passé" que "l'éternité", entre lesquels elle découvre d'ailleurs une certaine équivalence (celle qu'exprime bien notre futur antérieur, rétrospectif et tautologique: ce qui a été aura été, pour toujours); et ce faisant elle peut aussi s'apercevoir qu'en espérant "l'avenir" elle espère tout autre chose que "l'avenir", et que par là même elle n'est pas si antinomique du désespoir (son frère jumeau, disait Lavigne), ou de la désespérance (soeur jumelle), ou encore de l'inespéré (Héraclite), qu'elle pouvait le croire; autrement dit, que l'un(e) ne va pas sans l'autre... |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2606 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Dim 11 Fév 2024, 11:16 | |
| Le titre de ce fil bien qu'interrogatif peut suggérer que l'espérance ne peut être vécue que par la conception de l'existence d'un dieu. Sans dieu il ne peut y avoir d'espérance. Est-ce bien exact?
Ne peut-on avoir d'espérance qu'à travers la croyance en un dieu? Il y a des espérances qui n'appellent pas à la manifestation de croyance en un divin quel qu'il soit. On peut espérer sortir très rapidement de l'hôpital, en la réussite de l'examen auquel on s'est soumis.
N'est-ce pas la manifestation d'une erreur que de n'espérer qu'en dieu seulement? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12429 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Dim 11 Fév 2024, 12:12 | |
| Le fil et son titre remontent à une quinzaine d'années déjà, et la relation des termes "Dieu" et " espérance" (à partir d'une phrase de l'épître aux Ephésiens) a été questionnée dès le début, dans les deux sens: 1) on n'a pas besoin de "Dieu" (au sens monothéiste, juif, chrétien ou musulman) ni même de "dieu" (au sens polythéiste ou indéfini) pour "espérer"; 2) la croyance en "Dieu" ou en tel ou tel "dieu" n'implique, en soi, aucune espérance, si l'on n'y rajoute pas des idées supplémentaires, de récompense ou de grâce par exemple (déjà, p. ex. supra 19.5.2009). Une fois dénoué ce lien en effet arbitraire, quoique traditionnel, la discussion -- intermittente -- a pu évoluer dans des sens assez différents: 1) la relation éventuelle entre la "foi" ou la "croyance", en "Dieu", en un dieu, ou sans dieu, et l'" espérance"; 2) l'intérêt même (importance, valeur, utilité, nécessité) d'une " espérance", avec ou sans (foi ou croyance en) "Dieu" (ou dieu). Si l'on revient à la connexion de départ, on peut noter que le lien "D-dieu / espérance" est formellement ou verbalement ( 'l[hym] / qwh, yhl, sbr; theos / elpis, etc.) peu marqué dans la Bible: je le vois surtout dans les Psaumes (refrain du 42--43; 62,6) et Job (dont le "problème" est précisément la rétribution, 4,6; 8,13; 27,8 ); et, dans le NT, comme indiqué précédemment (25-31.1.2024), dans les "épîtres" ("pauliniennes" ou assimilées, de Romains aux Pastorales, à 1 Pierre ou même à l'"épître aux Hébreux") ou les discours de "Paul" à la fin des Actes. En revanche, l'" espérance" semble plus souvent associée à un "Dieu" nommé et/ou déterminé ("Yahvé", "Seigneur", "Jésus", "Christ", "Père"; ou encore par un possessif, "mon dieu", "ton dieu", "notre dieu"; cf. 2 Rois 6,33; Psaumes 33,18ss; 39,8; 69,6; 71,5; 130,5ss; 146,5; 147,11 etc.; cela vaut aussi, au fond, pour la plupart des textes en "D-dieu" tout court, en particulier dans les psaumes où c'est souvent un Yhwh qui a été corrigé en 'elohim): tout indique que l'" espérance" est davantage le fait d'une "relation personnelle", individuelle ou collective, à un "D-dieu personnel" que d'une idée abstraite de la "divinité"... D'une manière encore plus générale, il n'y a aucun sens à parler d'" espérance", de "foi", d'"amour" ou de quoi que ce soit d'"affectif" sans les rapporter à un "sujet" sensible, humain, animal, vivant, agissant, souffrant, même si l'on peut étendre ( poétiquement) cette métonymie de la "vie" et de l'"affect" à toute "chose", "être" ou "étant", naturel ou artificiel, concret ou abstrait, réel ou fictif. C'est un désir ou un besoin, une faim ou une soif, qui "espèrent" ou "désespèrent" (cf. exemplairement le psaume 42--43) -- que le "sujet" de l' espérance espère d'ailleurs en un "objet", ou plutôt en un "autre" à son image (vivant, agissant, pâtissant, désirant, aimant, personnel, temporel, foncièrement "animal" fût-ce par métaphore) ou à l'opposé (compensatoire, complémentaire, symétrique, spéculaire, miroir) de cette image (éternel, impassible, impersonnel, abstrait ou idéel). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2606 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Dim 11 Fév 2024, 21:22 | |
| Merci Narkissos pour tes précisions. Je me rends compte qu'au lieu d'utiliser le terme "espérance" je devrais plutôt utiliser le mot "espoir" qui pourrait être plus précis dans les cas que j'ai mentionnés. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12429 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: croire en Dieu c'est avoir une espérance ? Lun 12 Fév 2024, 03:33 | |
| Entre des (quasi-)synonymes, surtout quand ils sont aussi ostensiblement parents qu'espoir et espérance, substantifs du même verbe espérer, les différences sont plutôt d'usage, de niveau de langue ou de style que de sens -- ce qui revient à dire que chacun y met ou y entend les nuances qu'il veut...
Mais l'espoir me rappelle Boby Lapointe. |
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