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| Ce que je retiens : de Marc | |
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Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mer 14 Aoû 2024, 19:19 | |
| Cf. supra 8.11.2009 (!). André Paul de l'époque sulpicienne (1970, P.S.S.), ça vaut le détour... en voilà un qui aura su réussir ses transitions, de l'ordre religieux aux sphères académiques et à l'entreprise privée, tout en disant toujours des choses intéressantes et peu consensuelles, c'est tout à son honneur. Toujours est-il que cette hésitation textuelle et affective (1,41), à l'orée de l'évangile, entre colère et compassion (p. 594s, note 8 ), donne déjà le ton de la perplexité à venir, autour des réactions intempestives de l'"énergumène marcien"; le ton était déjà donné, à vrai dire, dès l'emprise ou la possession de "l'esprit", qui le chasse, comme un "esprit impur", au désert (v. 12s)... Mon sentiment serait plutôt que "Jésus" arrive encore moins à se faire obéir des gens en général que des "esprits impurs" (cf. ce qui précède) et qu'il n'y a pas lieu d'aller chercher une autre explication à la transgression immédiate de l'ordre de silence par le lépreux guéri (ce serait en revanche une explication plausible de l'irritation et de la violence de l'ordre -- le lépreux est lui-même rabroué et chassé comme un "esprit impur": un miracle, exorcisme ou guérison, c'est encore une publicité que Jésus voudrait éviter et qu'il ne parviendra pas à éviter): "Jésus" ne fait pas ce qu'"il" veut, ni de soi ni des autres, c'est un leitmotiv ou un running gag de l'évangile (1,45; 3,20; 6,5; 7,24; 9,18ss.30ss; 14,37s, etc.): on est ici à l'opposé de l'impression de maîtrise, voire de toute-puissance, qui s'imposera différemment dans les autres évangiles; c'est d'autant plus déconcertant que le thème du " vouloir" (de Jésus ou des autres) est lui-même régulièrement mis en évidence (ici v. 41; cf. p. ex. 10,35ss.51s), ainsi que le mystère de l'autorité, du pouvoir, de la puissance, de la foi et de l'obéissance -- comme la magie dans Little Big Man, sometimes it works and sometimes it doesn't, des fois ça marche, des fois pas... On pourrait dire que chez Marc -- intention d'"auteur" et/ou effet fortuit du texte -- "Jésus" est assez systématiquement séparé de toutes ses " suites", des effets ou conséquences de ses paroles ou de ses actes; suites, effets ou conséquences qui suivent leurs chemins divergents indépendamment de lui -- cela rappellera encore le semeur de 4,26ss dont on parlait plus haut: c'est vrai pour tous les guéris, exorcisés, ressuscités qui ne deviennent pas "disciples" pour autant, ni au sens d'élèves ni dans celui de suiveurs ( followers), pour l'exorciste indépendant qui ne suit pas les autres (9,41), pour le jeune homme nu (14,51), finalement pour tous les disciples qui se dispersent, hormis les femmes qui le suivent à distance (15,40ss) -- disciples que même la parole de la résurrection ne rassemblera pas puisqu'elle ne les atteindra pas (16,8 ). Pour l'image d'un "fondateur" c'est plus que paradoxal. |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Sam 17 Aoû 2024, 10:00 | |
| De quelle poétesse Marc est-il le nom ? Le premier Évangile est-il l’œuvre d’une femme ?François Vouga Les premiers rôles féminins du premier Évangile On parle souvent du texte de Luc comme de l’Évangile des femmes. Il est vrai que l’œuvre lucanienne met en scène de nombreuses femmes. Les rôles qu’elle leur attribue autour de Jésus et dans l’image qu’elle suggère de la vie des communautés de la mission occidentale frappent cependant par leur conformisme social : destinataires de la miséricorde de Jésus, elles assurent l’hébergement des apôtres et, quand elles sont riches, elles investissent leur argent comme mécènes des Églises. Il en va tout autrement de la réalité construite par la fiction littéraire selon Marc. Dans l’intrigue (singularité absolue) qu’elle propose du commencement de l’Évangile, elle réserve à des figures de femmes de devenir, en une surprenante exclusivité, les sujets exemplaires de guérison, de renaissance et de libération (Mc 5,21-43 ; 7,24-30). Alors que les hommes sont présentés comme bénéficiaires ou comme interlocuteurs des dialogues thérapeutiques de Jésus (Mc 1,23-28 ; 1,40-45 ; 2,1-12 ; 3,1-6 ; 5,1-20 ; 9,14-29 ; 10,46-52), les femmes en deviennent les initiatrices. Puis, au dénouement révélateur de l’histoire de la Passion, de la crucifixion et de l’annonce de Pâques, le lecteur assiste à un véritable changement d’équipe : une femme anonyme, dont l’Évangile se charge de garder la mémoire vivante, accomplit d’abord le geste initial et décisif du don gratuit qui rend compte du sens de l’ensemble de l’Évangile (Mc 14,3-11). Ensuite, après que Jésus a pris congé des Douze, lors de leur dernier repas (Mc 14,22-31), c’est un groupe de femmes qui l’avaient accompagné en Galilée et qui l’avaient suivi de là jusqu’à Jérusalem qui, répétant la trame géographique de l’Évangile, prend la relève des apôtres, se trouve près de la croix, présent lors de sa mort et de son ensevelissement, et reçoit du jeune homme anonyme l’annonce de sa résurrection et la tâche de rétablir le contact entre Jésus et ses disciples, avec Pierre en particulier (Mc 15,40-41 ; 15,47 ; 16,1- . En somme, le tableau que la fiction littéraire selon Marc propose de l’entourage de Jésus joue sur les contrastes. Pierre, ou Pierre, Jacques et Jean, ou les Douze, ou les disciples ont été embauchés pour l’accompagner, pour être avec lui, pour annoncer avec lui la Bonne Nouvelle du Royaume, de la présence réelle d’un Dieu qui invite à la confiance, et pour libérer les gens des esclavages, des addictions qu’ils s’infligent(Mc 3,13-19 ; 6,7-13). Ayant reçu de Jésus toute autorité nécessaire, ils se conduisent comme ses apprentis, plus ou moins lents à comprendre. Le rôle que leur réserve l’écrivain montre au lecteur le chemin d’une liberté qui est offerte à quiconque se laisse saisir par le miracle de ne plus devoir vouloir sauver son âme, mais aussi la difficulté d’en accepter le don (Mc 8,31-38). C’est précisément cette difficulté qui prend corps, selon la logique de la composition selon Marc, dans la fuite des disciples dès l’instant où ils se trouvent confrontés aux risques de la vie et de la mort (Mc 14,22-52). Les femmes en revanche, dans le monde poétique de l’Évangile, n’ont rien d’apprenties. Elles agissent de façon offensive, tiennent tête à Jésus, l’embaument en vue de sa mort prochaine (Mc 14,3-11) et semblent se retrouver tout naturellement à portée de vue de la croix (Mc 15,40-41). Une signature au bas du tableau : Marc 15,40-41 L’apparition soudaine de tout un groupe de femmes, que rien ne prépare (en conclusion de la scène de la crucifixion et de la mort de Jésus et, dans l’architecture selon Marc, comme point de départ de l’accomplissement pascal de l’Évangile en Mc 15,40-41), devrait surprendre le lecteur. Car ni le groupe en tant que tel, dont rien dans la composition littéraire de l’Évangile ne laissait jusqu’ici imaginer l’existence, ni aucune des trois ou quatre personnes nommées ne faisaient partie, jusque là, de la distribution : 40Il y avait aussi des femmes, regardant de loin. Parmi elles aussi Marie-Madeleine, Marie de Jacques et la mère de José [ou : et Marie, mère de Jacques le Mineur et de José], et Salomé, 41qui, lorsqu’il était en Galilée, le suivaient et le servaient, et beaucoup d’autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem. L’entrée en scène de ces femmes inaugure, dans la construction dramatique selon Marc, un nouveau commencement. Elle annonce une nouvelle séquence, la dernière, celle du dénouement, dont leur présence va assurer la continuité : elles assistent à la mort de Jésus se rendent à sa sépulture et, allant au tombeau dans l’intention de prendre congé du corps, elle découvrent la pierre roulée et reçoivent l’explication du jeune homme, l’annonce de Pâques. La langue de Marc précise toutefois : elles regardent et voient. Elles prennent le rôle de témoins . Elles apparaissent comme les témoins de la révélation de la croix (le geste de liberté de celui qui n’a pas voulu sauver son âme le fait apparaître comme fils de Dieu, Mc 15,29-32.39), comme les témoins de sa mise au tombeau et comme les témoins du miracle de la pierre roulée. On note la correspondance des moments de leur présence nouvelle avec ceux de la confession de 1 Co 15,3-5 : il mourut, il fut enseveli, il est ressuscité. Or la nouveauté de leur présence s’offre explicitement comme un effet littéraire. Les verbes à l’imparfait qui les présentent impliquent que ces femmes, qui semblent surgir inopinément en face de la mort de Jésus, étaient en fait là de tout temps : elles l’accompagnaient et l’accueillaient déjà dans leurs maisons en Galilée (c’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre qu’elles le « servaient », voir Mc 1,29-31), puis elles sont venues l’accompagner à Jérusalem. On peut certes lire cette entrée en scène tardive comme un repentir de l’évangéliste, conscient de l’importance historique des femmes dans l’entourage de Jésus, mais trop conformiste ou trop diplomate pour vraiment l’intégrer dans l’architecture d’ensemble de sa composition Peut-être faudrait-il pourtant oser imaginer l’inverse. Selon Marc construit son œuvre poétique selon une logique qui conserve tout d’abord une répartition conventionnelle des rôles, celle qu’on observe dans l’Évangile de Thomas, dans les lettres de Paul ou dans ce que l’on reconstruit généralement de la source Q, qui laisse les rôles de solistes aux disciples. Mais dès l’instant décisif où il en va de la vérité, de la compréhension de Dieu et de l’existence humaine, de la vie et de la mort, ce sont le regard et le témoignage des femmes qui entrent en scène . On pourrait donc se demander si ce n’est pas de là que la séquence inattendue face à la croix tire sa nécessité littéraire : le groupe des femmes, avec les trois ou quatre noms qui leur confèrent un visage, grammaticalement un peu brouillé ne vient-elles pas représenter la voix féminine qui parle dans l’Évangile ? Lire aussi : La femme anonyme dont l’Évangile fait mémoire : Marc 14,3-9 https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2018-3-page-369.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Sam 17 Aoû 2024, 11:49 | |
| Belle surprise, aujourd'hui, que ce texte relativement récent (2018) de ce cher François Vouga... Autant la question d'"auteur(e)(s)" (de l'évangile) me paraît oiseuse et anachronique, autant le rapprochement des récits "féminins" me semble pertinent, bienvenu, et remarquable. C'est un peu dans cette ligne que j'avais projeté ce fil sur le chapitre 14, mais en partant plutôt sur l'évolution et les déplacements de ce seul récit dans les quatre évangiles (tous les quatre, pour une fois), et sans assez le relier aux autres personnages féminins, nommés ou anonymes, de Marc (ou des autres) -- pourquoi pas, d'ailleurs, à ce titre, Hérodiade et sa fille ? La difficulté principale étant toujours, avec Marc, de le lire (aussi) sans les autres, ni avec ni contre les autres -- difficulté signalée dès le début du présent fil et retrouvée depuis à chaque pas, ou presque. J'ai déjà dit ma réserve, et ma déception, sur la "clé" herméneutique, psychologico-existentielle, clé universelle ou passe-partout, du "devenir-sujet", dont l'auteur (de l'article) ne semble pas s'être départi depuis un bon quart de siècle -- il est vrai que pendant cette période, disons depuis Une théologie du Nouveau Testament (2001), je ne l'ai plus guère lu, sinon par les textes que tu as apportés ici ces dernières années. Cette idée ne me paraissait déjà, à l'époque, plus guère soutenable, à la lecture d'un Lacan somme toute plus circonspect quant au statut dudit "sujet", lecture que les lacaniens protestants de Montpellier (Causse, Cuvillier, Antier, après Ansaldi) semblent avoir affinée depuis; mais surtout parce que j'ai bifurqué vers une voie quasi opposée, qui allait plutôt dans le sens de la dé-(con-)struction du prétendu "sujet", qu'il s'agisse de l'"auteur", du "narrateur", du "protagoniste" et des autres "personnages", ou encore du "lecteur" (ou de l'"auditeur") -- voie paradoxalement jalonnée de beaucoup d'autres noms propres, Blanchot, Derrida, Deleuze, Nancy par exemple. Bref, à mon sens, il ne s'agit surtout pas de "devenir sujet", ni "soi-même" ni "un autre" ou "une autre" (pourquoi toujours un seul ou une seule ?) -- l'écriture, la langue, le récit, étant précisément l'espace où tout "sujet", individuel ou collectif, se noie, se défait, se décompose comme il se compose, quitte à y resurgir provisoirement sous d'autres figures de (re-)composition, quel qu'en soit le genre ou le nombre. Bien entendu, dans l'Antiquité, y compris gréco-romaine, ce sont surtout les hommes qui écrivent: il y a des exceptions mais elles sont rares, et d'autant plus notoires alors (Sappho etc.). En revanche il y a toujours des histoires de femmes, d'épouses, d'amantes, de mères, de filles, de tantes, de cousines, de voisines, de nourrices, de prostituées, de séductrices, de salvatrices, de manipulatrices, de commères, de marâtres, de sorcières, aussi au sens narratif du mot "histoires", récits, contes, légendes, traditions, dans la tête et dans le coeur des hommes qui lisent et qui écrivent. Et sait-on jamais qui écrit, dicte, souffle, inspire (à) celui ou celle qui tient la plume ou le stylet ? C'est un peu ce que j'avais présent à l'esprit en parlant pour ma part de contre-signature, ou contreseing, sous l'influence avouée de Derrida (et de ses propres influences féminines, avouées ou célébrées de façon plus ou moins voilée, cf. p. ex. La Carte postale...). La différence, sexuelle parmi bien d'autres, opère partout, elle traverse, transit, détourne et pervertit tous les "genres", y compris littéraires. Par rapport à ce que nous disions précédemment d'un "Jésus marcien", "fondateur" présumé mais coupé de toutes ses "suites" institutionnelles, il serait tentant de penser une tradition essentiellement féminine, comme le mot même de tradition (aussi en grec, paradosis): tradition narrative en particulier, "poétique" aussi comme dit Vouga mais dans un sens plus large que l'ordinaire (la "poésie" de Marc rappellerait plutôt la "fleur bleue contondante" de Boby Lapointe), qui agirait souterrainement sous les ordres apparents des superstructures hiérarchiques ou "patriarcales". Il est assez frappant que la "tradition" ecclésiastique, patristique (beaucoup de pères et peu de mères pour une Eglise féminine, du moins avant le développement du culte de Marie et des saintes), se soit aveuglée à la primauté littéraire de Marc (qui n'est devenue massivement évidente qu'aux yeux de l'analyse textuelle et synoptique de la modernité) pour le placer sous la dépendance de Pierre, à Rome -- et l'écarter par la même occasion de Marcion, porteur d'un seul "évangile", amendé et récupéré par l'orthodoxie gagnante sous le nom de Luc, et flanqué des Actes pour faire bonne mesure... L'institution ecclésiastique se fonde par une chaîne hiérarchique de tradition apostolique, épiscopale et masculine, mais le "genre" de ce qu'elle transmet lui échappe tout autant que (celui de) sa provenance. A ce qu'on devine de la correspondance paulino-corinthienne et des textes gnostiques ultérieurs, la nébuleuse proto-chrétienne paraît nettement plus "féministe", ou "égalitaire", dans l'ensemble et sans préjudice de sa diversité, que la "grande Eglise" normalisée sur un mode catholique, orthodoxe et (archi-)patriarcal. Plus généralement, si l'on peut dire, la perte (disparition, destitution, démantèlement, dislocation, dé-struction) du "sujet", c'est bien ce que je lis d'un bout à l'autre de Marc, du baptême et de la possession de l'"esprit" qui est aussi bien "aliénation" de l'"homme" à l' abandon final, en passant par "prendre sa croix" ou "qui veut sauver sa vie / son âme la perdra" (comme quoi la dépossession ne se limite pas au "sujet Jésus" -- quasi-palindrome en français, au passage); même si cette lecture est tout aussi anachronique que celle, contraire, de Vouga. Il y va peut-être d'une sorte d'"économie" paradoxale, comme celle qu'on relevait chez Jacques (que Vouga avait jadis si bien commenté): des "sujets" constitués se perdent tandis (je ne dis pas "pour") que d'autres se trouvent ou se retrouvent, se lèvent ou se relèvent, s'éveillent ou se réveillent, se sauvent, provisoirement, le temps d'une scène ou d'un acte -- malades, infirmes, possédés, publicains, prostituées, destitués d'eux ou d'elles-mêmes à tel ou tel titre. Economie sans économie toutefois, car rien n'en reviendrait jamais au même, à personne, à aucune propriété ni identité individuelle ou collective, à aucun domaine ou maîtrise assignable ("économie" = loi de l' oikos, maison, domaine du maître, domus-dominus en latin). |
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Lun 19 Aoû 2024, 11:46 | |
| Analyse littéraire de Marc 9, 14-29. Pourquoi choisir ce texte ? Marie-Laure Veyron
A. (14) Et, étant venus vers les disciples… (16) Il les interrogea : - De quoi discutiez-vous avec eux ?
24B. (17) et quelqu’un, de la foule… - Maître, j’ai apporté mon fils auprès de toi, car il a un esprit muet (18) et j’ai dit à tes disciples qu’ils le chassent et ils n’en ont pas été capables…
25C. (20) … Et l’ayant vu, l’esprit aussitôt l’agita…(21) Il interrogea son père : - Depuis combien de temps cela lui arrive-t-il ?… (23) Jésus lui dit : - “Si tu peux quelque chose…“, tout est possible à celui qui croit. - Je crois. Viens au secours de mon manque de foi.
26B’ (25) Jésus, voyant qu’une foule accourait…tança l’esprit impur en lui disant :
27- Esprit muet et sourd, moi je te l’ordonne, sors de lui et ne rentre plus en lui. (27) … Jésus s’étant saisi de sa main l’éveilla et il se leva.
28A’. (28) Et lorsqu’il fut entré dans la maison, ses disciples l’interrogeaient en privé : - Pourquoi n’avons-nous pas pu le chasser ? (29) - Cette sorte ne peut sortir sinon dans la prière.
Les personnages principaux
Ce texte présente une grande variété de personnages (représentatifs des principaux personnages rencontrés précédemment) : Jésus et ses disciples - d’abord divisés en deux groupes puis réunis-, la foule, les scribes, le père de l’enfant, l’enfant et l’esprit. Il n’est pas possible dans le cadre de cet article de considérer chaque catégorie pour elle-même, d’autant que tous entretiennent entre eux d’étroites relations17.
Notre étude se concentrera d‘abord sur les personnages principaux : Jésus, le père, l’enfant et l’esprit, en eux-mêmes et dans leurs relations les uns avec les autres. L’étude des autres personnages - les disciples, la foule et les scribes - prendra place dans une partie orientée sur la construction de la figure du croyant.
Jésus
De façon un peu étonnante, Jésus n’est jamais nommé dans la première partie du texte (14-22), et l’est en revanche à chaque phrase dans les versets suivants (23-27) (trace de la fusion de deux textes différents ?). Le père s’adresse à lui au vocatif en l’appelant « Maître », titre qui n’est pas spécifique à Jésus. Ce dernier n’est pas ici dévoilé comme « fils de Dieu », ou « saint de Dieu » comme dans les autres exorcismes de Marc18 où les démons eux-mêmes le confessent (1,24 ; 3,11 ; 5, 7). Certes l’esprit est « muet », cependant l’absence de réaction enthousiaste de la foule après le miracle, présente dans le texte parallèle de Luc19, semble suggérer que l’essentiel est ailleurs.
Jésus apparaît donc ici, comme souvent chez Marc, dans ses activités de thaumaturge et termine par un exorcisme particulièrement solennel adressé à l’esprit qu’il sépare de l’enfant définitivement : « - Esprit muet et sourd, moi, je te l’ordonne, sors de lui et n’entre plus en lui20 » (avec l’insistance du même verbe repris avec un préfixe et une préposition qui s’opposent – ἔξελθε ἐξ/εἰσέλθηςεἰς //exelthe ex/eiselthês eis). Son seul geste : prendre la main de l’enfant en un geste fort qu’exprime le verbe κράτειν/kratein (terme qui évoque le pouvoir) comme pour la résurrection de la fille de Jaïrus21.Ce geste – celui d’un tiers qui le soustrait à la domination d’un esprit étranger au sien - n’est accompagné d’aucune parole s’adressant directement à l’enfant22. Ce silence, frappant dans un texte si prolixe, paraît indiquer – comme l’absence de réaction de la foule – que l’accent est mis sur un autre que lui.
Au-delà de son rôle d’exorciste dans le récit, Jésus est le moteur de l’action au niveau narratif, une action qui consiste en une parole agissante : ses prises de parole – six sur les dix que comporte ce dialogue - ouvrent et ferment le texte. Par ses exclamations un peu énigmatiques (19. 23), il apparaît ici comme un maître de sagesse déroutant et provoque à la réflexion aussi bien les disciples témoins que le lecteur. Mais surtout, par ses questions, il invente une maïeutique qui permet au père de revenir sur son histoire, de dire leur/sa souffrance et, peu à peu, de laisser surgir une parole personnelle.
Le père, l’esprit et l’enfant
Le père est vraiment le personnage-clef du texte. C’est lui qui a eu l’initiative « j’ai apporté mon fils », lui qui a sollicité les disciples sur un mode quasi injonctif (cf. la construction έ… ἵ/ legô…ina + subjonctif), lui qui répond à la première question de Jésus qui ne lui est pas forcément adressée, lui qui parle pour son fils… Père présent, père aimant, père envahissant ?
L’esprit et l’enfant
Dès les premiers mots qu’il utilise, « - Maître, j’ai apporté mon fils auprès de toi : il a un esprit muet23 », il lie l’enfant à l’esprit. De plus, le terme ἔχοντα /echonta– à la voix active - laisse entendre, de façon implicite, comme une complicité de l’enfant avec cet esprit muet : il n’est pas possédé par, c’est lui « qui possède » un esprit muet. Il est d’ailleurs impossible de savoir qui de lui ou de l’esprit est sujet des nombreux verbes d’action : lorsqu’il y a succession des manifestations de l’esprit en l’enfant, les verbes se suivent sans que soit exprimé le changement de sujet (18, 20. 26). De plus, les participes masculins qui servent à décrire ces manifestations sont librement rattachés au substantif neutre τὸ πνεῦμα /to pneuma (v. 20, 26) là où la correction grammaticale, s’il s’agissait de deux personnes différentes, aurait demandé un génitif absolu24.
Cette confusion, grammaticalement contestable est profondément porteuse de sens au niveau anthropologique : il n’est pas possible de distinguer clairement l’enfant et l’esprit qui l’habite car le premier n’a pas pour le moment d’existence propre. Ses mouvements sont ceux d’un animal, sa bouche ne profère aucune parole – il écume, grince des dents, crie (κράξας /kraxasévoque étymologiquement le cri du corbeau κοράξ korax), animalité que renforcent sa vie à ras de terre (il se roule sur le sol, est jeté à terre…) et l’absence de notation qui en ferait un « petit d’homme ».
On a en définitive l’impression que l’esprit a pris le dessus : la quadruple description des symptômes, renforcée par les notations temporelles « depuis l’enfance, souvent » (v. 21-22), rend perceptible le caractère presque permanent des crises. Aucune mention de l’attitude de l’enfant en dehors de ces manifestations pathologiques, décrites à chaque fois avec de nouvelles précisions25. On peut se demander si le père y insiste tant parce que sa souffrance est très grande ou parce que cette maladie est, d’une certaine façon, devenue l’identité de son fils et, peut-être, leur identité commune.
Le père et l’enfant
Il y a en effet un lien très fort entre le père et l’enfant. Le verbe φέρω /pherô utilisé dès le départ par le père (v.17) puis repris par Jésus et le narrateur (19, 20) donne à l’enfant une connotation d’objet transporté au gré des uns et des autres. (Luc, dans le même contexte, utilise le terme « conduire, amener », προσαγάγω26). Il est d’ailleurs souvent évoqué par le simple pronom de rappel. Père et fils sont sans cesse liés par un génitif d’appartenance « mon fils »τὸν υἱόν μου(17), « son père » τὸν πατέρα αὐτοῦ (21). Sa demande pressante de secours est pour « nous » (22). S. Légasse voit dans ce nous « une touche délicate, empreinte d’émotion, qui traduit la détresse d’une famille27 », C. Focant l’interprète aussi de façon positive, trouvant que « en ne parlant plus de son fils comme d’un tiers mais pour nous, le père entre dans la parole échangée28 », certes la souffrance du fils est aussi celle du père – l’expérience de chacun va dans ce sens - mais ce nous peut également traduire un lien très fort, trop fort de père à fils, sans aucune distance : l’enfant, qui n’a pas d’existence propre en dehors de l’esprit, ne semble pas non plus en avoir une en dehors de son père.
Le même terme « ayant crié » utilisé à deux versets d’écart pour le père (24) et l’esprit /l’enfant (26) suggère ce lien très profond entre les deux29 : malgré l’amour qu’il lui porte, la responsabilité du père est peut-être engagée dans le mutisme du fils, ce qui permet de comprendre la relation établie par le texte entre la démarche qu’il entreprend en son propre nom et la libération du fils. C’est au moment où le père se décentre et crie à la première personne sa foi pleine de doute « jecrois, viens au secours de mon manque de foi » qu’enfin deux substantifs désignent – et distinguent les deux personnes et que celui qui était « fils de », « il », devient « l’enfant », seule occurrence de ce terme dans tout le texte. Ces deux cris inarticulés, cris de douleur et de délivrance, marquent le moment où chacun d’eux accède à son identité propre et émerge comme sujet. Pour le fils, aucune parole ne sera prononcée. Seul le mouvement de la main de Jésus qui l’éveille et le met debout30 lui restitue son humanité.
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Lun 19 Aoû 2024, 13:15 | |
| Etude intéressante, malgré ses lacunes, en particulier l'impasse faite sur les nombreux problèmes textuels de la péricope -- pour n'en citer qu'un: la variante habituellement non retenue dans les éditions critiques récentes, mais tout de même très largement et anciennement attestée, qui associe le jeûne à la prière au v. 29... Si "Jésus" ne dit effectivement plus rien sur la " foi" dans ce passage, après le fameux dialogue des v. 23s, il n'eût peut-être pas été superflu de rappeler qu'il y revient, dans des termes similaires mais encore plus radicaux, quoique ambigus et le plus souvent terriblement affaiblis par les traductions: ayez la foi de Dieu, une foi de dieu, aussi mis en rapport (secondaire) avec la "prière", après l'épisode du figuier (11,23ss). Formule d'autant plus remarquable c'est aussi bien à "la foi" qu'à "Dieu" que "tout est possible" (nous en avons parlé si souvent que je n'y insiste pas, mais je reste étonné, presque autant que par le texte, par l'extraordinaire persistance des lecteurs, traducteurs, exégètes, commentateurs, prédicateurs, à ne pas le lire tel qu'il est). Au ras du récit, en effet, si l'"esprit" est muet on ne peut guère s'étonner que contrairement à ses congénères et prédécesseurs dans l'évangile il ne dise rien de ni à "Jésus" -- mais s'il est sourd on pourrait s'étonner, au contraire, qu'il réagisse à une parole d' exorcisme. Ici aussi le contact supplée à la parole impuissante, comme en 7,31ss (dont le rapprochement eût également été bienvenu, malgré l'absence d'"esprit" et la relativité du mutisme ou du défaut d'élocution, bégaiement, etc.). Mais le rapport de la "parole" au "cri" (et au silence) est plus complexe et retors qu'on pourrait le croire -- je repense au Roman d'un tricheur, de Guitry, où c'est le muet qui crie le plus fort et le plus longtemps... Pour revenir à la prière, je remarque que jusque-là chez Marc "Jésus" est le seul à prier (1,35; 6,46) et que le recours à la prière (et éventuellement au jeûne) est recommandé quand la "foi" des uns et des autres commence à montrer des signes de faiblesse (dans la phase descendante du récit, à la descente précisément de la montagne de la Transfiguration qui en constitue le sommet, au centre): cf., après 9,29, 11,17.24s; 13,18; 14,32.35.38s. Avec, comme on l'a déjà relevé, le contre-exemple de Bartimée l'aveugle (chap. 10), dont la "foi" intacte suffit à le "sauver", sans que "Jésus" s'en mêle ou presque... Comparer 2,18ss où c'est le "jeûne" qui est remis à plus tard. Pour rappel, le paradoxe est d'autant plus remarquable que chez Marc la "foi" n'est pas quantifiée (c'est oui ou non, elle est ou elle n'est pas, pistis / apistia) contrairement à ce qu'elle sera chez Matthieu (peu de foi, grande foi, une telle foi, oligopistia, pistis megalè, etc.). Pour tous les récits de miracles et spécialement d'exorcismes, de façon d'autant plus sensible qu'ils sont crus ou brutaux (exemplairement chez Marc), l'"interprétation" est à la fois traduction et trahison: à quelques exceptions "fondamentalistes" ou "sectaires" près, nous ("modernes") ne partageons plus l'"imaginaire" du texte, donc nous le transposons tranquillement dans le nôtre, comme le traducteur un texte d'une langue étrangère dans sa langue maternelle -- en supposant, plus ou moins naïvement, que notre "imaginaire" à nous est "le bon", comme notre langue maternelle est forcément "la bonne" dans laquelle nous traduisons mentalement, par défaut, toutes les langues étrangères (pour moi dog veut dire "chien", "chien" ne voudra jamais dire dog, pour un Anglais ce sera toujours le contraire); au comble de la naïveté, que ce n'est pas du tout un "imaginaire" mais une "réalité", "scientifique" par exemple. Ainsi de la psychologie populaire, plus ou moins savante et le cas échéant de telle ou telle école, à laquelle nous recourons forcément pour "comprendre" des textes qui parlent d'"esprits", d'"exorcismes", ou de "guérisons miraculeuses", incapables que nous sommes de les lire tels qu'ils sont sans aussitôt les rejeter comme relevant d'un "imaginaire" primitif, antique, dépassé, pour nous inacceptable ou inappropriable. Aucune lecture n'échappe à cette difficulté, à vrai dire une impossibilité absolue, que toute lecture pourtant surmonte d'une manière ou d'une autre (par une certaine foi ?)... |
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mar 20 Aoû 2024, 10:29 | |
| De l’intentio operis à l’intentio lectoris Essai herméneutique à partir de l’épisode du démoniaque de Gérasa (Mc 5,1-20) (1) Ils arrivèrent de l’autre côté de la mer, au pays des Géraséniens. (2) Comme il [Jésus] descendait de la barque, un homme possédé d’un esprit impur vint aussitôt à sa rencontre, sortant des tombeaux. (3) Il habitait dans les tombeaux et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne. (4) Car il avait été souvent lié avec des entraves et des chaînes, mais il avait rompu les chaînes et brisé les entraves, et personne n’avait la force de le maîtriser. (5) Nuit et jour, il était sans cesse dans les tombeaux et les montagnes poussant des cris et se déchirant avec des pierres. (6) Voyant Jésus de loin, il courut et se prosterna devant lui. (7) D’une voix forte il crie : « Que me veux-tu, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ? Je t’adjure par Dieu, ne me tourmente pas. » ( Car Jésus lui disait: « Sors de cet homme, esprit impur ! » (9) Il l’interrogeait : « Quel est ton nom ? » Il lui répond : «Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux. » (10) Et il le suppliait avec insistance de ne pas les envoyer hors du pays. (11) Or il y avait là, du côté de la montagne, un grand troupeau de porcs en train de paître. (12) Les esprits impurs supplièrent Jésus en disant : «Envoie-nous dans les porcs pour que nous entrions en eux. » (13) Il le leur permit. Et ils sortirent, entrèrent dans les porcs et le troupeau se précipita du haut de l’escarpement dans la mer ; il y en avait environ deux mille et ils se noyaient dans la mer. (14) Ceux qui les gardaient prirent la fuite et rapportèrent la chose dans la ville et dans les hameaux. Et les gens vinrent voir ce qui était arrivé. (15) Ils viennent auprès de Jésus et voient le démoniaque, assis, vêtu et dans son bon sens, lui qui avait eu le démon Légion. Ils furent saisis de crainte. (16) Ceux qui avaient vu leur racontèrent ce qui était arrivé au démoniaque et à propos des porcs. (17) Et ils se mirent à supplier Jésus de s’éloigner de leur territoire. (18) Comme il montait dans la barque, celui qui avait été démoniaque le suppliait, demandant à être avec lui. (19) Jésus ne le lui permit pas, mais il lui dit : «Va dans ta maison auprès des tiens et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde ». (20) L’homme s’en alla et se mit à proclamer dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui. Et tous étaient dans l’étonnement. Il importe d’observer le comportement de l’esprit impur. L’humour de l’auteur est manifeste par la réaction du démon à l’égard de Jésus: « Que me veux-tu, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ? Je t’adjure par Dieu, ne me tourmente pas !» (5,7b) Le verbe « oJrkivzw» (Mc 5,7 ; Ac 19,13 ; 1Th 5,27) signifie « demander par serment» ou « faire jurer ». Connaissant bien l’identité de celui qui le questionne (5, , Légion sait ce que Jésus lui réserve. Or, l’esprit impur tente d’avoir mainmise sur la situation en citant une formule d’exorcisme bien attestée à l’époque28. On note aussi l’ambiguïté du personnage Légion. Il s’exprime d’abord à la première personne du singulier et par la suite, à la première personne du pluriel : «Et il le suppliait avec insistance de ne pas les envoyer hors du pays. […] Envoie-nous dans les porcs pour que nous entrions en eux. » (5,7b.10.12) Le démon devient en quelque sorte un personnage collectif, représentant les forces hostiles à Dieu et aux hommes. En terminant cette section, j’aimerais attirer l’attention sur l’emploi fréquent du verbe «parakalevw» (« supplier » ; Mc 5,10.12.17-18). L’expression sert à établir la supériorité de Jésus sur les autres personnages du récit. On supplie toujours Jésus. Les démons le supplient de ne pas les envoyer hors du pays (5,10), mais de les expédier dans le troupeau de porcs (5,12). Par ailleurs, les habitants supplient Jésus de quitter leur territoire (5,17). Étonnamment, le libérateur est expulsé du pays par ses habitants, tandis que l’oppresseur y demeure! Ce renversement montre que les hommes préfèrent parfois abdiquer la liberté, plutôt que d’adhérer au message de Jésus (Beauchamp 2004, 77). C’est peut-être une autre façon pour le narrateur de dire que l’oppression des peuples résulte d’un refus de vivre la liberté que le Christ propose. Mais le démoniaque, ayant connu les misères de l’oppression, supplie Jésus d’être avec lui (5,18). Jésus lui ordonne de retourner chez les siens et de proclamer les bienfaits du Seigneur à son égard (5,20). https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2004-v12-n1-2-theologi976/011563ar.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mar 20 Aoû 2024, 11:54 | |
| Sur les exorcismes en général et ce récit en particulier, (re-)voir éventuellement ici et là. L'"humour" du texte (c'est "Légion" qui tenterait, à la lettre, d'"exorciser" Jésus) ressort d'autant mieux quand on voit que c'est le verbe (h)orkizô (déformé dans le coupé-collé), adjurer, conjurer, placer sous serment avec ce que cela implique d'imprécation ou de malédiction conditionnelle, dont provient précisément notre mot ex-orcisme... Le dérivé ex-orkizô se trouve d'ailleurs en Matthieu 26,63, pour le grand prêtre qui "adjure" solennellement Jésus. Par contraste, cela fait ressortir que les "exorcismes" de Jésus (d'abord chez Marc) se démarquent de l'exorcisme "normal" en ce qu'il leur manque justement le "serment", l'invocation d'une puissance supérieure (Jésus chasse les démons de sa propre exousia, autorité-pouvoir-droit), qu'on retrouvera au contraire dans la pratique "chrétienne" (p. ex. dans les Actes, "au nom de Jésus"). Quant au reste de l'article, le terme d'"intention" ( intentio) est sans doute assez trompeur pour un lecteur ordinaire, en ce qu'il suggère de volonté, de conscience, de projet, de délibération, de calcul... il faudrait l'entendre dans la veine de la phénoménologie husserlienne (dont l'auteur ne parle pas), qui met en évidence qu'aucun "phénomène" n'est séparable de ses conditions de réception ou de perception "subjectives", "affectives", etc. -- l'"intentionnalité" contre l'idéal scientiste de l'"objectivité" pure par neutralisation de toute "subjectivité": il n'y a d'"objet" que pour un "sujet" et celui-ci n'est jamais "neutre", toujours "intéressé" d'une manière ou d'une autre à ce qu'il perçoit (a-perçoit, eût précisé Leibniz), ressent ou ou comprend... Bien sûr c'est vrai de toute écriture et de toute lecture, tout particulièrement dans l'intertextualité biblique et le genre de lecteurs qu'elle produit: un texte fait à chacun(e) l'effet qu'il lui fait, par un jeu qui le rapporte de manière semi-aléatoire à tous les autres; chacun(e) peut en témoigner mais il n'y a là rien à prouver ni à démontrer, tout au plus à montrer; et aucune "autorité" exégétique, dogmatique, traditionnelle ou magistérielle n'empêchera personne de comprendre ce qu'il comprend ou de ressentir ce qu'il ressent. A cet égard les rapprochements "spontanés" de Gagné (Samson, Elie, Pharaon, p. 225ss) sont intéressants, ils montrent ce qu'on peut voir d'un certain point de vue sans que ce point de vue s'impose à qui que ce soit, hormis à qui le partage... Mais ce que Gagné ne questionne pas du tout, et que je questionnerais encore (cf. les échanges antérieurs), c'est que le dernier mot soit donné à l'"identité" ou au "sujet" -- qu'il s'agisse de "Jésus" ou du "possédé" délivré de ses démons. Ce que les traductions françaises rendent par "dans son bon sens" ou quelque chose de ce genre au v. 15, c'est simplement le verbe sôphroneô, être raisonnable, de bon sens, normal, pondéré, modéré, raisonner correctement, simple modalité de l'esprit au sens "mental" du terme ( noûs, mens, mind), sans retour réflexif nécessaire vers un "soi" ou un "sujet" quelconque opposable à l'aliénation d'un (ou de plusieurs) esprits ( pneumata) étrangers... Cf. sur ce verbe Luc 8,35 (//); Romains 12,3; 2 Corinthiens 5,13; 1 Pierre 4,7; pour rappel, le vocabulaire de la sôphrosunè, raison-modération, est particulièrement prisé dans les textes tardifs, Actes (26,25) et Pastorales, 1 Timothée 2,9.15; 2 Timothée 1,7; Tite 2,4.6s.12. |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mar 20 Aoû 2024, 12:46 | |
| Narkissos,
Merci pour ces analyses riches et éclairantes.
Prier à l’école des « suppliants » de l’Évangile Étienne Grieu
Les récits des Synoptiques sont remplis de personnages qui, à l’improviste, se présentent à Jésus et le prient de faire quelque chose pour eux ou pour un proche. On pourrait les appeler des « suppliants ». Ils exposent leur demande, de manière parfois très démonstrative, telle la Syro-phénicienne ainsi que Matthieu la présente (Mt 15, 21-28) ou encore Bartimée (Mc 10, 46-52 et par.). D’autres, au contraire, s’avancent silencieusement, comme la femme hémorroïsse (Mc 5, 25-34 et par.) ; d’autres semblent ne rien dire du tout, mais montrent par leur comportement leur détermination, tels les compagnons du paralytique (Mc 2, 1-12 et par.).
Quel rôle jouent-ils dans les Évangiles ? S’agit-il de simples étoiles filantes de la foi ou bien d’acteurs majeurs dans la mission de Jésus et pour la constitution du groupe des disciples ?
Supplier : appel à la proximité de Jésus
Pour décrire leur attitude, le verbe grec, parakaléô – traduit en général par « supplier » – est souvent employé. Par exemple pour le lépreux qui, dès les premières scènes de l’évangile de Marc, s’approche de Jésus et tombe à genoux en lui disant : « Si tu le veux, tu peux me purifier » (Mc 1, 40) ; ou pour les habitants du pays de Gennésareth : « Partout où il entrait […] on mettait les malades sur les places ; on le suppliait de les laisser toucher seulement la frange de son vêtement » (Mc 6, 56) ; ou encore pour un sourd-muet : « On lui amène un sourd qui, de plus, parlait difficilement et on le supplie de lui imposer la main » (Mc 7, 32) ou un aveugle (Mc 8, 22). Le verbe signifie dans son premier sens, « appeler auprès de soi », combinant ainsi l’appel adressé à quelqu’un à la recherche d’une proximité avec lui. Un mouvement se dessine donc, qui vise à établir avec Jésus une relation forte, qui exige toute l’attention.
L’audace de leur geste, l’obstination à rejoindre Jésus est à mettre en rapport avec leur situation, celle d’êtres aux abois. Leur détresse est sans recours, si bien qu’ils voient en Jésus celui – le seul, le dernier – qui peut leur permettre de reprendre pied. Ainsi de la femme hémorroïsse qui « avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins et avait dépensé tout ce qu’elle possédait » (Mc 5, 26). De là vient qu’ils sont présentés tout entier engagés dans leur geste : ils s’agenouillent (le lépreux, Mc 1, 40), ils tombent aux pieds de Jésus (Jaïre), se jettent à ses pieds (la Syro-phénicienne), ils crient (le père de l’enfant possédé, Mc 9, 24 ; Bartimée, Mc 10, 46-52), ou trouvent l’audace de répliquer à Jésus, laissant celui-ci dans l’admiration (Mt 8, 10, le centurion ; Mc 7, 29, la Syro-phénicienne). Des êtres donc, que la menace conduit à se ramasser tout entier dans leur appel pour s’en remettre à ce Jésus qui peut les sauver.
Une foi fulgurante
Or celui-ci ne se contente pas de les accueillir et de consentir à leur demande. Il les présente comme des croyants, parfois même les loue publiquement pour leur foi. À leur sujet, il affirme : « Ta foi t’a sauvé ». L’évangéliste Luc, par exemple le rapporte à propos de la femme pécheresse qui baigne les pieds de Jésus de ses larmes (7, 50), de l’hémorroïsse (8, 48), du lépreux venu glorifier Dieu de sa guérison (17, 19), de l’aveugle qui mendiait près de Jéricho (18, 42). À ses disciples, on ne l’entend jamais rien dire de pareil. Au contraire à ceux-là, il demande : « Où est votre foi ? » (8, 25) ; il les appelle « gens de peu de foi » (12, 28) et leur confie : « Si vous aviez de la foi gros comme un grain de sénevé… » (17, 6). Si bien que l’on pourrait presque opposer ces deux types d’acteurs : d’un côté des suppliants dont la foi est fulgurante, de l’autre des disciples qui sont « lents à croire » (24, 25).
Il n’est pas interdit de penser que si les évangélistes ont pris tant de soin à rapporter ces rencontres si denses, c’est que le lecteur pourrait en tirer profit. De même, en refusant de masquer les petits côtés des disciples. Sans cesse, au fil des pages, de nouveaux venus font irruption et sont accueillis par le Galiléen. Mieux : ce sont ces personnes en détresse qui sont indiquées au lecteur comme guides pour entrer dans une relation vraie à celui qui annonce le Royaume.
Pourquoi cela ? Peut-être simplement parce que ces suppliants sont tout entier présents à la personne du Christ et s’en remettent à lui sans reste. Les sécurités et les assurances rendent moins aisé de se jeter ainsi en Dieu et de déposer en lui toute sa confiance. Ils sont sans doute peu nombreux, en dehors de ceux que la grande précarité prive de tout appui, qui ont un tel rapport au Christ.
Apprendre d’eux à prier
C’est pourquoi, pour comprendre la mission de Jésus, on ne doit pas gommer l’importance cruciale des rencontres avec les suppliants. L’Évangile, ce n’est pas seulement le Christ qui annonce au peuple une bonne nouvelle de la part de Dieu, ce sont des événements de rencontre, c’est un espace qui s’ouvre, autour de Jésus, où les suppliants sont accueillis, où leur foi est reconnue, où les disciples apprennent d’eux ce qu’est croire. L’Évangile, c’est peut-être d’abord, à travers la personne du Christ, l’événement d’une rencontre entre les suppliants et ceux qui le suivent. Si cela est exact, on comprend pourquoi l’Église ne peut se penser dans l’oubli des hommes abîmés par la misère, par la maladie et toutes sortes de grandes détresses.
Lorsque la rencontre a lieu, chacun reçoit de l’autre d’être délivré de ce qui peut l’enfermer : les suppliants, accueillis dans un cercle large, sont préservés de la tentation d’équivaloir strictement à leur geste, à leur demande. La présence des disciples leur permet de s’inscrire dans une histoire d’une grande ampleur où leur existence pourra se redéployer. Dans le cas de Bartimée, c’est si vrai que celui-ci est présenté, en finale, comme un disciple : « Il cheminait à sa suite » (Mc 10, 52). Quant aux disciples, on l’aura compris, ils sont libérés de la tendance à boucler la relation entre Jésus et eux (« Renvoie-les », Mc 6, 36).
Dans la vie pastorale comme dans le Nouveau Testament, les suppliants n’arrivent en général jamais au bon moment, comme des intrus qui risquent de gâcher ce qu’on avait mis tant de soin et de temps à préparer. Mais dans les Évangiles, bien souvent, la seule chose qu’on ait retenue a été justement ce qu’a provoqué leur irruption. C’est là que se trouve l’événement majeur. Clin d’œil pour calmer les angoisses des acteurs de la vie de l’Église ? Une chose est sûre en tout cas : une foi qui n’est pas percutée par les appels des familiers de la souffrance – qui sont aussi des hommes et des femmes de grande espérance – risquera toujours de perdre de sa vigueur, voire de s’étioler. L’obstination des suppliants à rejoindre Jésus lui-même invite à oser leur donner accès au cœur même de la vie chrétienne, au Christ, avec qui ils ont une affinité particulière ; et en retour, ils en éclairent des traits que, peut-être, nous ne voyions plus.
Bref, l’Église n’est jamais autant elle-même que lorsqu’elle prend au sérieux les suppliants.
https://www.cairn.info/revue-lumen-vitae-2016-1-page-57.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mar 20 Aoû 2024, 16:24 | |
| (J'ai dû réinitialiser complètement mon ordinateur, qui a planté gravement et qui fonctionne toujours très mal... la suite de mes contributions s'annonce plutôt aléatoire.) C'est bien "Marc" (ou un "proto-Marc") qui invente ou détermine les principaux caractères d'un "genre" et d'un "style" "évangéliques", auquel tous les autres (Matthieu, Luc, Jean) se conformeront, en les pliant à leurs propres "intentions", mais aussi en s'y pliant, en suivant bon gré mal gré les lignes qui précèdent et guideront secrètement leur écriture (trame, chaîne, grain, trait, motif, filigrane, palimpseste)... Ainsi pour la "supplication" (1,40; 5,10.12.17s.23; 6,56; 7,32; 8,22), bien que les scènes s'inspirent largement d'une littérature antérieure (p. ex. les cycles de Samuel, de David, d'Elie et d'Elisée dans Samuel-Rois). Pour rappel, chez Paul (2 Corinthiens 5) c'était aussi " Dieu", en Christ, qui "suppliait", d'un verbe parakaléô qui se traduit aussi, paradoxalement, par " consoler" (p. ex. 2 Corinthiens 1): le "Paraclet" de la seconde partie du quatrième évangile en dérive aussi, de sorte qu'on a pu traduire par "consolateur" ce qui avait plutôt le sens d'"avocat", voire de "procureur" (plaider, à charge ou à décharge, c'est toujours requérir, demander, supplier, prier). En grec moderne on dit encore parakalô, je vous en prie, en réponse à un merci ( evkharistô, comme l'eucharistie). En effet, Marc crée souvent l'impression qu'il vaut mieux être dehors que dedans, hors du groupe des disciples, demandeur ou interlocuteur ponctuel qui ne "suit" pas Jésus: il y a plus d'intelligence du mystère central à la périphérie que dans les cercles proches (les Douze, le trio Pierre-Jacques-Jean, voire Jésus lui-même qui souvent n'a pas l'air de comprendre ce qui lui arrive), ce n'est pas le moindre paradoxe.
Dernière édition par Narkissos le Mar 20 Aoû 2024, 16:49, édité 1 fois |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mar 20 Aoû 2024, 16:41 | |
| - Citation :
| (J'ai dû réinitialiser complètement mon ordinateur, qui a planté gravement et qui fonctionne toujours très mal... la suite de mes contributions s'annonce plutôt aléatoire.) |
J'espère que tu pourras régler ton problème et que nous pourrons continuer à bénéficier de tes commentaires. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mar 20 Aoû 2024, 17:29 | |
| Merci (evkharistô) !
Pour poursuivre (pendant que je peux) dans la ligne du dernier paragraphe que j'ai ajouté entre-temps, cela (re-)poserait (autrement) la question historico-critique de la situation des "auteur(e)(s)" de Marc et/ou de leur "milieu", situation qui semble à la fois proche et distincte de celles de "Paul", des charismatiques corinthiens, des "hellénistes" façon Etienne d'Actes 7, Apollos ou l'épître aux Hébreux, mais dans un style beaucoup plus "barbare", et pas nettement identifiable à une "école" particulière, juive ou autre... Question évidemment sans réponse autre que conjecturale, traditionnelle ou arbitraire, énigme encore, mais essentielle au dossier de la "nébuleuse proto-chrétienne" -- ce n'est apparemment pas dans un sens très (proto-)"orthodoxe" ou "catholique" qu'a germé l'idée d'une (première ?) "biographie du fondateur" et/ou d'un "portrait du Christ" (homme, terrestre, etc.) aussi embarrassants pour toutes les "institutions" et "traditions" qui pouvaient s'en réclamer, si diverses soient-elles avant de fusionner dans la "grande Eglise" ou d'en être rejetées... |
| | | free
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Jeu 22 Aoû 2024, 10:46 | |
| Les disciples à Gethsémani (Mc 14,32-42). Une faillibilité à revisiter ? Milad El Jawich II. RELECTURE DU MOTIF DE L’INCOMPRÉHENSION DES DISCIPLES EN MARC Ce que la scène de Gethsémani a mis en lumière peut être confirmé par une relecture globale du motif de l’incompréhension des disciples en Marc : si ces derniers se montrent faillibles, leur faillibilité est cependant à interpréter. L’être-disciple, chez Marc, dépend essentiellement de deux facteurs essentiels : 1) D’un facteur intrinsèque : le disciple marcien est un personnage appelé à comprendre et à s’auto-comprendre. Dès la première rencontre aux bords de la mer de Galilée (1,16-20), le « Jésus » qu’il suit et le « disciple » qu’il est sont à découvrir graduellement, parfois dans une intrigue de conflit : « Le conflit est la clé de lecture qui permet de comprendre l’intrigue de Marc. […] Jésus et les disciples sont en conflit sur ce que veut dire le fait d’être Messie, et donc aussi le fait de suivre le Messie58 ». La possibilité de ne pas comprendre n’est pas un élément contingent : si le disciple est considéré parmi « ceux du dedans », il peut se trouver facilement parmi « ceux du dehors »59. 2) D’un facteur extrinsèque : si le disciple n’arrive pas à comprendre, c’est parce que le mystère de Jésus est difficile à comprendre. Tout au long du récit, le narrateur ne cesse de rappeler au lecteur cette vérité centrale : le disciple est différent de Jésus, qui « est le seul à pouvoir comprendre qui il est 60 ». Comme le lecteur, le disciple est en continuelle recherche de cette « compréhension non facile 61 » de l’œuvre de Jésus et de son identité. Le fait qu’il ait reçu la connaissance du « mystère du Règne de Dieu » (4,11), ne signifie pas qu’il possède un nouveau contenu de savoir ou une connaissance parfaite des mystères, mais qu’il est éveillé à un mystère qui le dépasse et qui requiert, pour être accueilli, moins de chercher des explications que de parvenir à un entendement approprié62. Qui dit « mystère », dit foi, plutôt que connaissance. C’est pourquoi la communion de vie avec Jésus est considérée, suite aux premiers symptômes d’incompréhension, comme un « Life-long journey of faith in Jesus 63 » (4,40). Qui dit « mystère », dit également obéissance ; et l’obéissance ne se révèle pleinement que dans la faiblesse, selon D. Bonhoeffer64. Par conséquent, si le lecteur adopte les valeurs de Jésus, il s’identifie pourtant avec les disciples qui combattent pour comprendre 65, plutôt qu’avec les personnages mineurs qui, si positifs soient-ils, n’apparaissent dans le récit que dans des scènes singulières 66. Au lieu d’être un facteur de distanciation, l’incompréhension des disciples les approche du lecteur qui, lui aussi, n’arrive pas à comprendre le mystère de Jésus : « S’il entre dans la condition de disciple, le lecteur peut aussi recevoir le don du mystère, y être éveillé. […] Il perçoit combien Jésus et le Règne qu’il annonce sont insaisissables. Nul ne peut épuiser la connaissance de Jésus ; son identité échappe à toute prise 67 ». Toute incompréhension n’est pas d’office de caractère négatif, car il y en a quelques-unes de caractère positif, surtout dans les passages où « la réaction des disciples sert de repoussoir pour mettre en valeur la personne de Jésus, ses actes et ses paroles 68 ». C’est moins la faillibilité des disciples que Marc vise par son insistance sur leurs échecs, que la densité du mystère de Jésus de Nazareth, le Christ et le Fils de Dieu 69. C’est Jésus qui tient en main la caractérisation des siens : il en est à la fois le stimulateur et le critère. Il n’est pas étonnant que les scènes enchâssées dans le récit de la Passion, qui interprètent les scènes périphériques, aient Jésus comme protagoniste sans mention explicite des disciples : l’onction de Béthanie (14,3-9), le partage du corps et du sang (14,22-25), le procès devant le Sanhédrin (14,55-65). Ce n’est pas non plus par hasard que le narrateur marcien insiste à maintes reprises sur l’image d’un Jésus qui précède ses disciples, en assumant leurs incompréhensions ou en accomplissant leurs initiatives imparfaites : s’ils prennent, eux, l’initiative de préparer la Pâque, ils se trouvent envoyés à une mission où tout est préparé à l’avance (14,12-16) ; s’ils arrangent pour que Jésus mange la Pâque, ils se trouvent, eux, appelés à manger et à boire son corps et son sang et à participer métaphoriquement à sa Passion (14,22-25) ; s’ils sont dispersés à Gethsémani, Jésus les devance par son annonce qu’il les précèdera en Galilée (14,27-28) ; si les femmes viennent de bon matin, le jour de la Résurrection, pour oindre le corps du Jésus mort, en se souciant de qui va leur rouler la grande pierre de l’entrée du tombeau, elles se trouvent précédées par un soleil qui s’est déjà levé, par une pierre qui est déjà roulée et par un jeune homme qui annonce la Résurrection du même Jésus crucifié (16,1- . En un mot, le récit de la Passion de Marc reste ce que le récit global est : un εὐαγγέλιον (1,1), une bonne nouvelle d’un disciple précédé plus qu’une tragédie d’un disciple déchu. À part ces deux facteurs, il ne faut pas oublier la nature même du récit marcien : il n’est jamais statique, figé, un conteneur de « static doctrine70 », mais toujours en évolution, « in motion71 », une chaîne inlassable de déconstruction et de construction. Comme la citation scripturaire du début le dit (1,2-3), le récit est « un chemin à préparer », à parcourir constamment, un chemin dans le désert, ouvert à toutes les possibilités. Les marcheurs sont des êtres évolutifs, qui ne peuvent pas être emprisonnés systématiquement dans des cadres fixes. Ils se trouvent toujours ailleurs, projetés en avant, des bédouins narratifs. Jésus et les disciples ne sont pas exempts de cette évolution : au moment où le lecteur croit cerner leur mystère, ils échappent à sa connaissance pour se trouver ailleurs. Présenté comme victime d’un complot (14,1-2), Jésus se trouve ensuite à table vénéré et parfumé, en train de dominer l’histoire et d’interpréter les événements (14,3-9). Du même groupe des Douze surgit un comploteur (14,10-11), mais aussi des assistants fidèles à Jésus qui obéissent à la lettre à sa parole (14,12-16). Au même repas, le Fils de l’homme annonce sa trahison (14,20-21) et se donne aux siens (14,22-25). Sur le chemin où s’annonce la dispersion, s’annonce aussi le regroupement des disciples (14,27-28). À Gethsémani, où la distance spirituelle entre Jésus et les siens atteint son point culminant, s’affirme aussi la familiarité qui existe entre Simon et Jésus (14,32-41). Pendant l’arrestation, au moment où le narrateur dramatise la fuite scandaleuse des disciples avec la scène du jeune homme qui s’enfuit tout nu (14,50-52), il annonce leur prochaine réhabilitation en faisant allusion au jeune homme du tombeau vide (16,5-7). Dans la maison du Grand Prêtre, le reniement ne sert pas seulement à illustrer la faiblesse de Pierre, mais aussi à le rapprocher de Jésus : tous les deux se trouvent dans un contexte hostile et sous la même pression (14,53-54). Par conséquent, les incompréhensions ont une autre fonction que noircir l’histoire des disciples : elles servent aussi comme un repoussoir narratif pour mettre en évidence leur recherche inlassable de la vérité. Ils luttent pour comprendre Jésus, contrairement aux adversaires qui cherchent à le tuer. Par contre, leur faillibilité ne se montre éclatante que lorsqu’ils prétendent être infaillibles. C’est la tentation majeure qu’ils doivent éviter. Les expériences de Pierre en sont le bon exemple. https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2015_num_95_4_1961
Dernière édition par free le Jeu 22 Aoû 2024, 13:23, édité 2 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Jeu 22 Aoû 2024, 12:59 | |
| Intéressante étude, relativement récente (2015), sur l'épisode de Gethsémani, dont nous avons déjà beaucoup parlé, par exemple ici, notamment à partir de septembre 2022. Comme tu l'auras compris (cf. discussion d'avant-hier), je suis plutôt en désaccord avec les affirmations directrices de l'analyse, dont celles que tu soulignes, et qui me semblent dépendre de présupposés dogmatiques, d'ordre théologique ou psychologique d'ailleurs. Je ne crois pas du tout que l'évangile de Marc tende à la "compréhension" et encore moins à l'"auto-compréhension" de qui que ce soit, je ne crois pas qu'il valorise la "suivance" du disciple-suiveur ou follower (malgré tout l'intérêt du concept de Nachfolge emprunté à Bonhoeffer, qui s'intéressait surtout à Matthieu, terme traduit tant bien que mal dans un français qui n'a pas vraiment d'équivalent), puisqu'il met finalement toute "suite" en échec et sympathiserait plutôt, par contraste rétrospectif, avec ceux qui n'ont pas suivi. Je ne crois pas non plus que le "Jésus marcien" se "comprenne" (lui-même) mieux que les autres, au contraire -- ce qui met en abyme la question du "qui suis-je ?" et les nombreuses péricopes où Jésus est amené par ses interlocuteurs ou interlocutrices (p. ex. l'hémorroïsse ou la syrophénicienne), ou les circonstances, à faire ce qu'il n'avait pas l'intention de faire. Tout le schéma orthodoxe de l'"incarnation" est ici trompeur, car on n'a pas affaire à un Dieu ou dieu sous forme d'homme, comme chez "Paul" ou "Jean", mais plutôt à un "esprit" qui habite, hante, occupe, agite et agit un "homme" autrement ordinaire; l'"esprit" ( pneuma) n'ayant lui-même rien de particulièrement "intellectuel" ou "cognitif", contrairement à son devenir français (entre autres). A propos d'esprit(s), je repensais au "fantôme", phantasma, de la "marche sur la mer" (6,49), terme repris seulement par Matthieu (14,26) -- bien que Luc aussi, qui évite l'épisode probablement par antidocétisme, recase un "esprit" ( pneuma) de sens similaire parmi les dialogues des apparitions -- toujours par antidocétisme, par opposition à une résurrection corporelle, chair et os. Et à la Transfiguration (9,1ss) qui a aussi quelque chose de spectral, où les "individus", "personnes" ou "personnages" (Moïse, Elie, Jésus, un seul) se confondent (c'est encore l'idée, si l'on peut dire, du Persona de Bergman, fût-ce sans "transcendance" divine apparente). |
| | | free
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Jeu 22 Aoû 2024, 13:28 | |
| Les premiers mots de Jésus Jean-Marc Babut
Le règne de dieu selon la tradition évangélique recueillie par Marc
Marc a reporté à ce que l’on considère aujourd’hui comme son chapitre 4 le développement du sommaire énoncé dans les « premiers mots » de Jésus. La découverte du Règne de Dieu y est proposée par Jésus à l’aide de paraboles, récits ou thèmes empruntés à la vie quotidienne et permettant de découvrir par analogie tel trait caractéristique de ce Règne encore méconnu. Celui-ci, en effet, n’est pas directement accessible à l’expérience humaine. Jésus en parle comme étant marqué par le mystère. Dans la mesure même en effet où il n’est pas une émanation du monde où nous vivons, il ne peut être décrit avec les mots de notre langage. On ne le découvre qu’à travers les paraboles, par analogie avec ces récits que Jésus a imaginés à cette fin.
Un peu comme la métaphore, le récit parabolique se présente comme un message à deux niveaux. Le premier de ces niveaux est accessible à tout un chacun, puisque il se réfère à des réalités dont n’importe quel auditeur a l’expérience. Le second niveau de compréhension, celui qu’on peut qualifier de figuré, fonctionne comme une sorte d’ombre chinoise projetant l’esquisse, selon les cas, de tel ou tel aspect du Règne de Dieu.
Quand les disciples s’étonnent de ce type d’enseignement adopté par Jésus, celui-ci leur répond que, s’ils ont accès aux mystères du Règne de Dieu, c’est grâce à l’emploi qu’il fait de la parabole. Ils n’ont de toute façon pas à se vanter d’avoir accès au deuxième niveau de compréhension de celle-ci, car cela leur a été donné. La plupart des autres humains en restent encore au premier niveau de compréhension. Ceux-là, Jésus les définit comme « ceux du dehors ». Par contraste les disciples appartiennent donc à « ceux du dedans ». C’est dire que, pour saisir ce qu’est le Règne de Dieu, il faut y être entré.
On tient là une différence majeure entre ce que Jésus nomme le « Règne de Dieu » et ce que ses contemporains désignent sous la même appellation. Le « Règne de Dieu » attendu par ces derniers est une ère nouvelle qui doit survenir d’en haut dans un avenir encore indéterminé. On s’y retrouvera dès lors intégré bon gré mal gré. En revanche le Règne de Dieu que Jésus annonce est un monde déjà présent, que l’on connaît seulement quand on y entre.
Ce thème de l’entrée dans le monde nouveau de Dieu revient à plus d’une reprise dans l’enseignement de Jésus. Ainsi dans ce que Jésus déclare à ceux qui rabrouent des parents venus lui présenter leurs enfants : « Qui n’accueille pas le Règne de Dieu comme un enfant n’y entre pas . » De même, après le départ de l’homme riche, Jésus constate à l’intention de ses disciples, « qu’il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le Règne de Dieu ! »
Une telle déclaration apporte un premier éclairage sur ce que Jésus dénomme Règne de Dieu : dans le Règne de Dieu on vit sans avoir. Le drame du riche est précisément qu’il n’a pas osé se défaire de ses « grands biens ». En revanche les enfants, qui sont sans avoir aucun, ont leur place évidente dans le Règne de Dieu.
L’avoir n’est guère séparable du pouvoir. Dans la mesure où cet avoir est convoité, ceux qui en disposent détiennent ipso facto un pouvoir. D’autre part les humains recourent volontiers au pouvoir pour conquérir un avoir qu’ils n’ont pas, ou pour le défendre contre ceux qui voudraient se l’approprier. Cette chasse au pouvoir va de pair avec la chasse à l’avoir. Peu de gens sont exempts de cet appétit. Un jour en effet que les disciples discutaient pour décider auquel d’entre eux revenait la préséance, c’est-à-dire l’autorité et donc le pouvoir sur les autres, Jésus leur dit que le vrai « premier » est en réalité « le serviteur de tous ». Et il donne en exemple un enfant.
Un autre éclairage sur ce que Jésus dénomme le Règne de Dieu est l’expression entrer dans la vie, que Jésus met deux fois coup sur coup en parallèle avec entrer dans le Règne de Dieu. Selon lui le Règne de Dieu va donc de pair avec une qualité de vie suffisamment haute pour compenser largement, par exemple, l’amputation d’un pied ou d’une main, voire la perte d’un œil. Le Règne de Dieu apparaît ainsi comme l’espace où l’on mène la vraie vie, une vie enfin conforme à l’attente de Dieu.
Les paraboles apportent encore d’autres éclairages sur ce que Jésus dénomme Règne de Dieu. Celle du semeur, par exemple, révèle que la proclamation du Règne de Dieu ne rencontre guère l’adhésion des humains, même des compatriotes de Jésus. Trois fois sur quatre en effet elle échoue. Mais quand elle est accueillie, elle produit des résultats qui dépassent l’imagination. Alors que le Règne de Dieu attendu par les contemporains de Jésus éveillait les plus grands espoirs, le Règne que Jésus annonce ne rencontre qu’un succès limité : dans trois cas sur quatre le message du Règne de Dieu est récusé. Il faut bien se demander pourquoi.
Le Règne de Dieu que les contemporains de Jésus attendent est censé leur apporter, sans le moindre engagement de leur part, sécurité et bonheur. En regard, quand Jésus évoque le Règne de Dieu, il en parle comme d’un lieu où l’on s’engage. En appelant ainsi à une vie qui a renoncé à tout avoir et à tout pouvoir, il s’inscrit ouvertement à contre-courant des choix de vie adoptés par la quasi-totalité des humains, y compris par ses contemporains. D’où leur réticence.
Pour le suivre, Jésus presse donc ses auditeurs de « changer de mentalité ». La métanoia à laquelle il les appelle ainsi est en effet beaucoup plus qu’un événement ponctuel interprété comme « repentance » ou « conversion » par nombre de versions bibliques en usage. L’impératif présent du verbe métanoein implique que le changement doit être durable : adoptez désormais une nouvelle mentalité, celle précisément qui renonce définitivement à attendre le salut de plus d’avoir et du pouvoir qui lui est lié pour le conquérir ou le conserver. Répétons-le, un tournant de ce type s’inscrit à contre-courant des choix de vie adoptés par la quasi-totalité des humains. D’où l’importante proportion d’échecs auxquels se heurte la prédication de la basileia tou theou.
Dans les quelques cas, en revanche, où cette prédication rencontre un accueil positif, le résultat dépasse alors tout ce que l’imagination peut rêver. On touche ainsi enfin au salut, un salut non pas individualisé, projeté post mortem dans un au-delà spéculatif, comme celui dont on parle aujourd’hui dans les milieux qui se réclament du Christ, mais un salut pour la communauté humaine tout entière, un salut pour ici-bas et pour maintenant.
La parabole de la semence révèle que le Règne de Dieu semé par la prédication de Jésus n’a rien d’une réalité statique. Ce monde nouveau a un commencement posé par Jésus, à partir duquel il se développera aussi irrésistiblement que discrètement, jusqu’à une maturité et une plénitude qui récompenseront largement celui qui l’a semé. La parabole de la graine de moutarde offre elle aussi l’image d’une croissance considérable, ajoutant à la précédente la dimension universelle du Règne de Dieu arrivé à maturité. L’image de l’abri offert aux oiseaux par la plante parvenue à son plein développement est en effet empruntée au Premier Testament, notamment aux livres d’Ézéchiel et de Daniel. Chez ces deux auteurs le grand arbre, où tous les oiseaux du ciel viennent chercher abri, illustre la dimension universelle des empires dont ils parlent. Dans la parabole de la graine de moutarde ce même trait symbolise donc lui aussi la dimension universelle du Règne de Dieu parvenu à sa pleine maturité.
Le fait que Jésus évoque le Règne de Dieu progressant ainsi depuis des semailles jusqu’à la moisson finale explique pourquoi il en parle tantôt au présent (« Le Règne de Dieu est devenu tout proche») et tantôt au futur (« Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le Règne de Dieu »). Dans ce dernier cas l’emploi d’un futur grammatical n’implique nullement un retour au concept d’un Règne de Dieu purement à venir.
La conclusion que Jésus tire de son entretien avec le scribe venu l’interroger sur le plus grand commandement apporte un autre éclairage déterminant sur le Règne de Dieu tel que Jésus le présente. Quand Jésus dit au scribe : « Tu n’es pas loin du Règne de Dieu », il fait apparaître que le Règne de Dieu est le lieu où les choix de vie que Dieu préconise pour les humains sont enfin pris en compte par ceux-ci.
Ces choix de vie sont exprimés de façon condensée par les deux volets du double commandement d’amour, « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » et « Tu aimeras ton prochain » . La traduction traditionnelle en français a opté pour le verbe aimer (dans notre langue il signifie « éprouver ou montrer un sentiment d’amour ») pour rendre le verbe hébreu ‘ahab. On peut déjà s’étonner qu’un sentiment puisse faire l’objet d’un commandement. Mais le verbe ‘ahab exprime moins un sentiment qu’un attachement concret, un choix délibéré, une priorité adoptée, une préférence affichée, ces acceptions du terme hébreu étant reportées par la Septante sur le verbe grec agapaô adopté pour le traduire. En fin de compte « aimer Dieu » n’est pas une affaire de sentiments. Cela consiste à lui faire suffisamment confiance pour adopter les choix de vie qu’il préconise pour le salut des humains.
https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2013-2-page-185.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Jeu 22 Aoû 2024, 17:12 | |
| Je l'ai peut-être déjà raconté, j'ai croisé Jean-Marc Babut à la Société biblique, nous avons partagé quelques mois le même bureau avant qu'il parte en retraite, en 1990, et je me souviens de son intérêt pour l'évangile de Marc sur lequel il a beaucoup écrit par la suite (en plus de la thèse sur la théorie de la traduction à laquelle il travaillait alors et qu'il m'avait fait lire)... J'avais déjà pas mal de réticences quant à la méthode de traduction dite "fonctionnelle" ou "à équivalence dynamique" (Nida etc.) qui était presque doctrine officielle, voire science exacte, à l'Alliance biblique universelle (UBS, à ne pas confondre avec les banques suisses, quoique...), et plus encore sur son application dans la Bible en français courant dont il était l'un des principaux artisans: je vois à cet article qu'il n'a pas quitté ce sillon et un certain dogmatisme, pas seulement linguistique ou exégétique; mais je m'aperçois qu'il avait près de 90 ans en 2013, et qu'il est mort quatre ans plus tard, paix à lui: je n'en garde que de courts mais bons souvenirs. Cela dit, pour m'en tenir à Marc et sans discuter les détails d'exégèse et de traduction (qui sont pour moi très discutables, aussi sur le reste, "Q" et le tout aussi conjectural "Jésus" d'avant tout texte), l'interprétation "claire" présentée ici me laisse presque aussi perplexe que l'évangile lui-même: quelque définition qu'on donne du règne-royaume-royauté ( basileia), idée, projet, programme qui ne serait pas (plus ?) pour l'avenir mais réalité présente (pourquoi pas passée ?), pour tout le monde à condition d'y entrer, condition qui ne serait pourtant remplie qu'à titre exceptionnel. Le vague de la chose ne me semble guère avoir gagné en fermeté ou en netteté en passant de l'obscurité âpre du texte marcien à l'exposition présumée limpide du "français courant" -- à supposer que la traduction de l'obscurité en clarté soit fidèle, ou seulement possible -- darkness shining in brightness which brightness could not comprehend... Sur les paraboles, voir (encore) ici, et sur la metanoia là. Quant au "royaume" (etc.) on n'a que l'embarras du choix. Babut semble en être resté à une idée unique et cohérente de "l'eschatologie juive" (en fait, au mieux pharisienne) à laquelle l'évangile (lequel ? de qui ?) s'opposerait comme une nouveauté absolue, claire et univoque -- nous avons eu tout le loisir de constater le contraire, des deux côtés (juif et chrétien). En ce qui concerne l'"avoir" et le "pouvoir" ( exousia, iskhuô) on pourrait tirer de tout autres leçons (cf. ici ou là). Et sur la "proximité" (spatiale ? temporelle ? cf. 13,28s) du "royaume" ou du "règne", qui est lui-même une notion immémoriale, voir ici.La théologie, et une bonne partie de la philosophie, vivent de l'échange et de la circulation de signifiants vides et interchangeables, qui ne renvoient à aucun "signifié" ni "référent" mais continuellement les uns aux autres: royaume, nom, vie, vérité, lumière, esprit, ciel, connaissance, gloire, salut, Dieu, Bien, Un, Être ou leurs contraires, les mots ne valent que par leur relation: le jeu et la danse s'arrêtent si l'on en saisit un en le sommant de répondre de lui-même pour lui assigner un sens fixe en le distinguant des autres ou en l'opposant à eux. On l'a souvent remarqué à propos des textes johanniques, qui rendent le procédé évident, mais tous y recourent plus ou moins consciemment, et Marc se prête encore moins que les autres à l'arraisonnement d'une "doctrine" quelconque. C'est une histoire à lire, à entendre, à relire et à réentendre comme elle est contée, la réduire à une "leçon" ou un "message" reviendrait à la neutraliser -- si c'était possible. La langue ne sort jamais de la poésie ni du mythe, si sérieusement qu'elle y prétende (de Platon à la "science" moderne). |
| | | free
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Ven 23 Aoû 2024, 10:32 | |
| Conclusion longue9 [Après s'être relevé, au matin du premier jour de la semaine, il apparut d'abord à Marie-Madeleine, de laquelle il avait chassé sept démons. 10Elle alla porter la nouvelle à ceux qui avaient été avec lui, alors qu'ils étaient en deuil et qu'ils pleuraient. 11Quand ils entendirent qu'il était vivant et qu'elle l'avait vu, ils ne le crurent pas. 12 Après cela, il se manifesta, sous une autre apparence, à deux d'entre eux qui allaient à la campagne. 13Ils revinrent eux aussi l'annoncer aux autres, qui ne les crurent pas non plus. 14 Enfin, il se manifesta aux Onze, pendant qu'ils étaient à table, et il leur reprocha sévèrement leur manque de foi et leur obstination, parce qu'ils n'avaient pas cru ceux qui l'avaient vu après son réveil. 15Puis il leur dit : Allez dans le monde entier et proclamez la bonne nouvelle à toute la création. 16Celui qui deviendra croyant et recevra le baptême sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné. 17Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : par mon nom, ils chasseront les démons ; ils parleront des langues nouvelles ; 18ils saisiront des serpents ; s'ils boivent un breuvage mortel, quel qu'il soit, il ne leur fera aucun mal ; ils poseront les mains sur les malades et ceux-ci seront guéris. 19 Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et il s'assit à la droite de Dieu. 20Et ils s'en allèrent proclamer partout le message. Le Seigneur œuvrait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l'accompagnaient.] - ( Marc 16,9-20) Qui roulera la peur ? Finales d’évangile et figures de lecteur (à partir du chapitre 16 de l’évangile de Marc)Corina Combet-Galland Le récit de la proclamation (16/9-20) La narration est rythmée par des marques temporelles. Dans le temps ouvert par la résurrection (anastas) au matin du premier jour de la semaine, trois moments : - d’abord (v. 9, proton ) - ensuite (v. 12, meta de tauta ) - finalement (v. 14, husteron). Ils introduisent chacun le récit d’une apparition : - il apparut (v. 9,ephane) - il se manifesta (v. 12 et 14, ephanerôthë). Le voir produit un départ pour une annonce : - celle-ci alla l’annoncer (v. 10, ekeinë poreutheisa apêggeilen ) - et ceux-ci revinrent l’annoncer (v. 13, kakeinoi apelthontes apèggeilan ) - ceux-ci sortirent proclamer (v. 20, ekeinoi de exelthontes ekêruxan). Jésus, bien que non nommé, est l’initiateur du mouvement qui met en présence des envoyés et des destinataires : - Marie de Magdala et ceux qui avaient été avec lui et qui étaient en deuil et en larmes (v. 9-10) - deux d’entre eux qui marchaient et les autres (v. 12-13) - les Onze qui étaient à table et le monde entier, toute créature, partout (v. 14-15, 20). Un message est communiqué : - il vit et je l’ai vu (v. 11, dzë kai etheathë) - message non explicité au v. 13 - l’évangile (v. 15, to euaggelion ) repris par la parole (v. 20, ton logon). La réaction est soulignée : - ils ne crurent pas (v. 11, ëpistësan ) - et ils ne les crurent pas non plus (v. 13, oude ekeinois episteusan). La troisième réaction est en blanc dans le texte ; elle est justement la réponse que tout le texte vise à construire. Le partout de la proclamation inclut l’espace des lecteurs de l’Evangile, qui sont donc eux-mêmes mis en position de réagir. En créant cette attente, insatisfaite au niveau de ses personnages, le récit inscrit dans son mouvement l’instance de sa lecture. Mais au centre du récit, le motif du croire est répété encore cinq fois, dans la bouche de Jésus, pour modaliser fortement la réponse attendue qui doit inverser les deux échecs racontés. La troisième apparition, avant d’être un envoi, est en effet un jugement, elle évoque un jugement : Jésus blâme l’incrédulité des Onze avec une sévérité particulière (v. 14, ôneidisen tèn apistian autôn [...] hoti [...] ouk episteusan ) : ils auraient dû croire. Il énonce les conséquences de l’acceptation ou du refus, baptême et salut ou condamnation (v. 16, ho pisteusas kai baptistheis sôthèsetai, ho de apistësas katakrithësetai ) : désormais ils savent. Enfin il promet des signes à tous les croyants avec une insistance également particulière (v. 17, sëmeia de tois pisteusasin tauta parakolouthêsetai) : il les assure de son pouvoir en action avec eux, qui les transforme de récepteurs du message en proclamateurs de la Parole. On pourrait ramener les traits différents de ce récit à un même effort de serrer, d’assurer des liens. A un rythme accéléré, le texte jette un pont du silence à la proclamation, de la tombe au partout dans le monde, de la crainte à l’appui des signes, du crucifié-ressuscité, absent mais visible en Galilée, à la collaboration du Seigneur enlevé au ciel, assis à la droite de Dieu. Là-même où la vie met des ruptures, il construit la continuité : — Continuité entre Jésus, qui a expulsé les sept démons de Marie (v. 9) et les croyants (non seulement les apôtres !) auxquels est promis le pouvoir de guérir en son nom, lui-même co-agissant (v. 20, suner goûntos). Le texte omet d’ailleurs le don et le rôle de l’Esprit 8. — Allongement de l’itinéraire de Jésus à travers les phases distinctes et successives de la résurrection, des apparitions, puis de l’enlèvement au ciel, enfin de la session à la droite de Dieu. Aucun renvoi à la Croix. C’est la durée et le pouvoir qui accompagnent l’histoire des croyants, elle aussi déployée de la promesse des signes à leur réalisation. — Continuité avec l’Evangile de Marc lui-même par la reprise, comme en écho à son début, de la proclamation de l’évangile, de la parole, au sens absolu, et de l’invitation à croire. Après Jean Baptiste (1/4,7), après Jésus (1/14,38,39), après les disciples eux-mêmes (3/14 ; 6/12). — Articulation enfin de cet Evangile avec les autres textes du Nouveau Testament par une concentration de vocabulaire (les différents verbes utilisés pour dire la résurrection, anistêmi, egeiro, dzaô, v. 9, 11,14), concentration de motifs : les deux disciples en chemin évoquent ceux d’Emmaüs (Le 24), les serpents inoffensifs Paul à Malte (Ac 28), l’enlèvement au ciel, comme pour Elie, les récits de l’Ascension (Le 24 et Ac 1). L’articulation ne s’arrête pas aux textes canoniques : le motif des disciples en larmes se retrouve dans l’Evangile de Pierre par exemple 9. Ce texte part-il d’expériences concrètes ? Est-il le reflet d’une communauté charismatique où tous les croyants parlent des langues nouvelles et expulsent des démons ? Ou répond-il au contraire à l’angoisse d’une génération qui n’a pas vu, qui est confrontée à la disparition des signes et doit s’appuyer sur le témoignage ? Son insistance sur les liens trahit-elle la peur des discontinuités, des conflits ?En se centrant sur la transmission et sur l’accueil, le texte accompagne l’histoire à construire, la distance qui va de la mort et de la résurrection aux espaces multiples de la lecture. Il cherche à définir une position qu’on pourrait appeler « l’impossibilité de ne pas croire » et invite son lecteur à l’occuper. La finale est donc une réponse à l’évangile lui-même, où Jésus ne cesse d’interroger : « Pourquoi avez vous si peur ? Vous n’avez pas encore de foi ? » (4/40), « Vous ne saisissez pas encore, et vous ne comprenez pas ? Avez vous le cœur endurci ? » (8/17), « Vous ne comprenez pas cette parabole ! Alors comment comprendrez vous toutes les paraboles ? » (4/13). https://www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1990_num_65_2_3088 Voir aussi : https://etrechretien.1fr1.net/t474-les-cinq-finales-de-marc |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Ven 23 Aoû 2024, 11:45 | |
| Encore un texte remarquablement intelligent et sensible de Corina Combet-Galland; peut-être encore plus intéressant sur la finale "authentique" (jusqu'à 16,8, p. 182ss) que sur les ajouts ultérieurs, mais la comparaison avec ces derniers -- qui témoignent d'autant d'expériences du travail ou du jeu de la lecture et de la relecture -- y contribue fort utilement.
La lecture est en effet toujours une expérience, individuelle et collective, im-médiate en dépit de ses innombrables médiations (langue, écriture, traductions, commentaires). L'analyse littéraire, narrative, rhétorique, peut la décrire et la raconter, avec plus ou moins de précision, de finesse ou de subtilité, quitte à produire un autre texte, commentaire, paraphrase, offert à d'autres expériences de lecture. Il n'y a pas de métalecture. Et de la lecture dérivée il faut bien revenir à l'expérience originelle, ou originaire, de la lecture d'un texte "original", même si son "originalité" est très relative (éditions critiques et traductions plus ou moins bonnes) -- l'expérience de la lecture, de l'audition, de la récitation, n'en est pas moins unique à chaque fois pour chacun, pour chaque groupe, pour chaque configuration de lecture ou de relecture, en fonction des chemins par lesquels on vient ou revient au texte.
Je m'interrogeais précédemment sur le "milieu" producteur et (premier) lecteur-auditeur de l'évangile selon Marc, si peu conforme à la "grande Eglise" catholique et orthodoxe ultérieure, sans se ranger pour autant dans aucune "école" (hérésie, secte) répertoriée. Les "finales" tardives, qui détonnent manifestement avec le style et le contenu du corps du texte, ne semblent pourtant pas beaucoup plus "orthodoxes", ce qui témoignent qu'une assez grande diversité a perduré longtemps sous une unification de surface, et que la lecture des textes conservés et canonisés n'a cessé de nourrir envers et contre toute volonté d'unité le jeu infini de la différence. |
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mar 27 Aoû 2024, 10:32 | |
| LE MYSTÈRE DE LA RÉSURRECTION Considérations théologiques à propos de Marc 16,1-8 Andreas Dettwiler (Neuchâtel) 3.2. L'énigme des femmes au tombeauLe groupe des femmes, présent à la crucifixion (15,40-41), à l'ensevelissement (15,47) et au tombeau de Jésus (16,1- ,joue un rôle cardinal dans l'intrigue du deuxième Evangile, même s'il n'apparaît qu'à la fin du récit 13. Sans pouvoir proposer une analyse narratologique exhaustive, trois éléments doivent être soulignés. (1) Une intentionnalité mise en échec. Le groupe des femmes subit un développement significatif au cours du récit de Mc 16,1-8. TI est d'abord décrit comme une figure narrative agissant activement, avec une intentionnalité claire (v. 1 : " elles achetèrent des aromates afin qu'étant allées, elles l'oignent ") ; ensuite, la dimension passive, puis ré-active, s'impose: elles "voient" (v. 4), elles "sont saisies de frayeur" (v. 5), elles écoutent (v. 6- , elles fuient, elles ont peur, elles ne parlent plus (v. 8, contrairement au v. 3), et restent silencieuses. Les événements auxquels elles sont confrontées - la découverte du tombeau vide, puis 1' apparition du jeune homme - mettent en échec leur intention initiale. Cette frustration est liée à une dynamique centrale du récit : chercher et trouver. Ce qu'elles cherchent, elles ne le trouvent pas (le cadavre de Jésus); ce qu'elles trouvent (une parole de vie), elles ne l'acceptent pas. Deux stratégies narratives sont donc successivement mises en échec. La première réside dans le fait que les femmes n'arrivent pas à réaliser leur intention initiale, à savoir la velléité de rendre un dernier hommage au mort Jésus. La seconde est théologiquement nettement plus troublante. Même le message de la Résurrection (v. 6-7) - et non simplement la découverte du tombeau vide - ne possède le pouvoir de susciter une attitude de foi, car le silence et la peur les tétanisent. La trame du deuxième Evangile semble pouvoir se résumer à une suite d'échecs et d'incompréhension 14. (2) Les disciples et les femmes: «solidaires» dans l'échec. Après avoir observé l'échec surprenant des disciples qui s'enfuient (14,50), le lecteur semble avoir trouvé un nouveau modèle d'identification possible grâce à l'émergence du groupe de femmes. Il est intéressant de remarquer que, dans un premier temps, elles sont décrites d'une manière tout à fait positive : elles sont présentes lors de la mort de Jésus; et le narrateur de révéler qu'elles «le suivaient et le servaient quand il était en Galilée, et plusieurs autres, qui étaient montées avec lui à Jérusalem» (15,41); elles connaissent le lieu de l'ensevelissement de Jésus (15,47) et avaient la ferme intention d'agir en l'honneur du défunt (16,lsqq). Elles représentent dorénavant l'unique entité capable de créer un lien entre le Jésus terrestre -le Crucifié- et le Ressuscité 15. La narration leur confie un rôle clef dans la transition entre les temps pré-pascal et pascal, dont elles assument la continuité. Cependant, elles échouent. Ainsi, la description positive des femmes évolue. Elle est progressivement remplacée par une appréciation ambiguë, voire négative. A la fin de l'épilogue de Mc, leurs réactions s'apparentent à celles des disciples: peur (par ex. 16,8//4,41) et fuite (16,81114,50). Destinées à remplacer les disciples, les femmes se retrouvent dans la même situation qu'eux: incompréhension et abandon - quelle étrange solidarité dans l'échec 16 ! Une nouvelle fois, le récit marcien opère une véritable déconstruction des attentes initiales du lecteur. (3) L'ironie de Mc à propos du silence des femmes. Andrew T. Lincoln a souligné avec justesse l'ironie du dernier verset de l'Evangile de Marc:« The double irony is that they [i.e. les femmes] are to tell of a promise that failure is not the end, but th en they fail to tell and that is the end - of the narrative ! » 17. Pour mieux apprécier cette fin- si troublante que Matthieu (28, et Luc (24,9) l'ont transformée dans son exact contraire -, il convient de la mettre en rapport avec un autre trait littéraire de l'Evangile de Marc : les consignes de silence. Au cours de la narration, différents personnages (le peuple, des malades guéris par Jésus, les démons, les disciples) sont priés, par Jésus, de garder secret le mystère de sa véritable identité. Toutefois, ce silence n'a pas toujours été respecté. Cette dialectique entre voilement et dévoilement 18 a trouvé son point culminant à la croix, lieu de la révélation paradoxale de Dieu dans la personne d'un crucifié. Désormais, au temps de la résurrection, le moment est venu de parler ouvertement. Par ailleurs, la dernière consigne de silence, adressée aux disciples dans le cadre du récit de la transfiguration, avait, pour la première fois, indiqué le temps de son abandon (9,9 : «Jésus leur recommanda de ne raconter à personne ce qu'ils avaient vu, jusqu'à ce que le Fils de l'homme ressuscite d'entre les morts»). Dans cette perspective intratextuelle, 16,8 opère un étrange renversement; au moment où les femmes, témoins privilégiés de la parole de la résurrection, pourraient (cf. 9,9 !) et devraient (cf. 16,7: «Mais allez, dites à ses disciples et à Pierre ... » !) parler, elles s'isolent dans le silence (16,8 : « ... et elles ne dirent rien à personne ... ») 19. Théologiquement, cette déroutante absence de parole signifie que cette dialectique, constitutive de l'ensemble du récit de Marc, n'est pas abandonnée au temps pascal. Comme le dit à ce propos Christophe Senft: «La résurrection n'est pas la fin du mystère du "chemin" » 20. Herméneutiquement, le deuxième Evangile ne propose donc pas un itinéraire achevé, parfaitement abouti, mais mène le lecteur au seuil de la compréhension et de l'acte de la foi. Nous reviendrons sur cet aspect en conclusion. |
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mar 27 Aoû 2024, 11:35 | |
| Lien de téléchargement. Analyse très pertinente (2002). J'insisterais davantage sur le fait (négatif à première vue) que la fin effective de l'évangile "authentique" (qu'elle soit intentionnelle ou fortuite) coupe le récit de toutes ses suites, ecclésiales, apostoliques, institutionnelles, traditionnelles, historiques, narratives, littéraires -- anacoluthe, non sequitur, à la lettre, ça ne suit pas, plus rien ne suit ni ne s'ensuit... Il ne peut, en principe, être utilisé pour fonder ou justifier quoi que ce soit, puisqu'il aboutit à une impasse. On peut sans doute supposer, si l'on se place en dehors du texte, que l'auteur ou les auteurs appartiennent à un "milieu chrétien", orthodoxe ou hérétique, mainstream ou marginal; mais le récit tel qu'il est ne saurait légitimer un tel "milieu", ni même sa propre existence de texte ou de récit (si tout s'arrête là, pourquoi et comment y a-t-il un évangile, d'où sort le narrateur omniscient qui le raconte ?). C'est là que le " jeune homme" apparaît comme la clé mystérieuse, à même le texte, figure, trait, motif pas plus épais que sa trace d'encre et le papier ou le papyrus qui la porte, d'une suite sans suite, de l'impossible passage de l'aporie, de ce qui (se) passerait quand même, comme par un tour de passe-passe ou en contrebande, là où rien ni personne ne passe, d'une lecture à l'autre. Cette impossibilité d'une suite n'est évidemment pas sans rapport avec celle de la "suivance" ( Nachfolge) des disciples suiveurs, ou followers (en grec akolouthô ktl., d'où "acolyte" ou "anacoluthe"), dont on parlait précédemment; ni avec celle du " secret" et du " silence" imposé, sans succès, aux esprits, aux disciples qui suivent et aux différents personnages qui ne suivent pas; ni avec l'effet de cycle ou de recyclage qui, faute de suite, renvoie de la fin au commencement (en Galilée). Le texte joue remarquablement si on le laisse jouer, sans trop chercher à expliquer comment (pas de métalecture). Et d'autant mieux qu'il (le texte) ne le fait même pas exprès: quelle que soit la part d'intention, de calcul, de stratégie ou de hasard qu'il ait fallu pour en arriver là, nul n'aurait pu en maîtriser tous les effets, et un lecteur pas davantage. |
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mar 27 Aoû 2024, 12:07 | |
| La "théologie de la croix" comme clé de lecture de l'évangile de Marc Elian Cuvillier
- Mc 8,31-32 :
"Il commença alors à leur apprendre qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit tué et qu'il se relève trois jours après. Il disait cela ouvertement. Alors Pierre le prit à part et se mit à le rabrouer".
a. L’interprétation de la mort de Jésus dans les annonces de la Passion
1. Le crux interpretum de cette première annonce réside dans le sens à donner au dei' (« il faut ») du v. 31. Trois hypothèses sont habituellement en concurrence :
- On peut tout d’abord le comprendre comme l’expression d’un but assigné par Dieu à la mort de son fils. « Il faut » que Jésus meure afin que l’humanité soit sauvée. On retrouve ici l’idée de mort sacrificielle de Jésus. Sans être totalement absent de l’évangile (cf. Mc 10,45 ; 14,22-25), on ne peut pas dire que ce soit le motif qui ressort avec le plus d’évidence du texte de Marc.
- Une seconde interprétation voit dans le dei' l’expression du caractère inéluctable de la violence meurtrière en train de s’abattre sur Jésus. C’est l’aspect tragique de la révolte de l’homme face à l’envoyé de Dieu, que la croix révèle et que souligne le dei'. Dit autrement : il est inévitable que cela se termine ainsi.
- Dans une troisième interprétation, dei' exprime la décision souveraine de Dieu de se révéler dans la croix. C’est une « nécessité » en ce sens que c’est désormais le lieu où Dieu se donne à connaître (cf. 15,39). Il est à noter que, d’une certaine manière, cette dernière interprétation intègre la précédente en lui donnant une perspective non seulement anthropologique mais également théologique : en acceptant de subir la violence des hommes, Dieu s’offre ainsi sous un nouveau visage. Non pas le Dieu dont la puissance muselle l’homme, mais le Dieu qui choisit, souverainement, de s’abandonner à la violence pour en montrer l’impasse et la folie. Interprété au prisme de la « volonté » de Dieu de se révéler à la croix, le dei' gagne ainsi en radicalité : c’est Dieu lui-même, et les images que nous en avons, qui viennent mourir à Golgotha. Celui qui reconnaît, dans la mort du fils, la révélation paradoxale de Dieu, celui-là expérimente le salut qui est libération des idoles et des faux dieux.
- Mc 9,30-32 :
"Partis de là, ils traversaient la Galilée, et il ne voulait pas qu'on le sache. Car il instruisait ses disciples et leur disait : Le Fils de l'homme est sur le point d'être livré aux humains ; ils le tueront, et, trois jours après sa mort, il se relèvera. Mais les disciples ne comprenaient pas cette parole, et ils avaient peur de l'interroger".
Par rapport à la précédente annonce, ce sont les « hommes » (v. 31) entre les mains desquels est livré le Fils de l’homme et non plus les responsables du peuple (cf. 8,31). La généralisation signifie que c’est l’humanité en général qui s’est opposée à l’envoyé de Dieu. C’est la capacité de tout homme de mettre à mort le Fils de l’homme qui est dévoilée. Marc manifeste ici un pessimisme radical sur la nature humaine. Ce n’est pas un propos de condamnation des pouvoirs et des puissants en tant que tels mais bien un constat fondamental sur l’opposition de l’humain à la Révélation. Ce n’est pas non plus un enseignement ésotérique au sens où une partie de l’humanité (les croyants) échapperaient au constat qui précède. Si l’enseignement est réservé aux disciples, il rencontre une incompréhension fondamentale (v. 32). L’effet de l’annonce n’est pas, cette fois, le refus de Pierre, mais le silence et l’inintelligence de ce qui est annoncé par Jésus. Pourtant, depuis 8,31-32, le Jésus de Marc parle on ne peut plus clairement. Ce que suggère l’évangéliste c’est que la clarté des propos de Jésus effraie les disciples : lorsque ce que l’on redoute devient une évidence, on préfère parfois ne pas comprendre ce que l’on aurait souhaité ne jamais avoir entendu. Une variante de plus du thème de l’incompréhension des disciples omniprésent dans le second évangile.
- Mc 10,32-34 :
"Ils étaient en chemin pour monter à Jérusalem, et Jésus allait devant eux. Les disciples étaient effrayés, et ceux qui suivaient avaient peur. Il prit encore les Douze auprès de lui, et se mit à leur dire ce qui allait lui arriver : Nous montons à Jérusalem ; le Fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes. Ils le condamneront à mort, le livreront aux non-Juifs, se moqueront de lui, lui cracheront dessus, le fouetteront et le tueront ; et trois jours après il se relèvera".
Jésus et ceux qui le suivent sont cette fois « sur le chemin montant à Jérusalem ». Il les « précède » et ils sont tous « frappés d’étonnement » et « saisis de crainte » : le narrateur a renforcé l’aspect dramatique de la scène. Le récit atteint ici un climax : quelque chose d’irréversible est en train de se passer. Les Douze sont alors convoqués (cf. 3,16 ; 4,10 ; 6,7 et 9,35) pour s’entendre annoncer ce qui va arriver : le monde (« les païens » toi'" e[qnesin) et Israël, en la personne de ses représentants les plus éminents (« grands prêtres et scribes ») se sont ligués pour mettre à mort le Fils de l’homme. Cette troisième et dernière annonce synthétise les deux premières : en 8,32 les « anciens, grands prêtres et scribes » étaient mentionnés ; en 9,31, le Fils de l’homme allait être livré aux « mains des hommes ». Ici l’ensemble de cette humanité est rassemblée dans l’expression « les grands prêtres et les anciens […] le livreront aux païens ». C’est bien elle qui s’élève contre la Révélation. Il n’y a pas, chez Marc, une accusation d’Israël comme peuple rebelle mais bien une réflexion plus générale sur l’opposition humaine à la Révélation : juifs et païens se liguent contre l’envoyé de Dieu, celui qui, tout comme le serviteur souffrant d’Es 50,6 « livre son dos à ceux qui le frappent ». La suite immédiate du récit (cf. v 35-45) va d’ailleurs montrer que, sous la forme habituelle de l’incompréhension, les disciples n’échappent à cette opposition à la Révélation.
Concluons. La croix comme lieu de révélation paradoxale de Dieu et jugement porté sur l’incrédulité humaine (celle des opposants de Jésus, juifs et païens, comme celle des disciples) : ces deux aspects sont bien au cœur des trois annonces de la Passion. Pour le disciple, auquel le lecteur est inévitablement conduit à s’identifier, le salut ne réside que dans l’appel reçu de la bouche même de Jésus à se mettre à sa suite vers Jérusalem, même si c’est dans l’incompréhension la plus totale et la peur. Il n’y a de « salut » auprès de Jésus qui ne passe par une remise en question fondamentale de ses certitudes.
https://www.academia.edu/10856870/La_th%C3%A9ologie_de_la_croix_comme_cl%C3%A9_de_lecture_de_l%C3%A9vangile_de_Marc |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Mar 27 Aoû 2024, 13:56 | |
| Je suppose que nous avons déjà eu affaire à cette longue, riche et précieuse étude de Cuvillier (2002), à laquelle il faudrait souvent revenir à partir de nombreux passages de Marc -- malheureusement je n'en retrouve pas trace: la "recherche avancée" sur le présent forum, probablement délaissé par Google, ne fonctionne quasiment plus, et le format standard d'"Academia" ne se prête guère à la recherche automatique sur le document lui-même.
En tout cas, à cette lecture ou relecture un peu trop rapide, ce qui me frappe et me gêne d'emblée c'est le mot "théologie", qui installe d'office le commentaire dans un cadre religieux, confessionnel, ecclésiastique, doctrinal, chrétien de préférence "orthodoxe", et néanmoins savant... ce qui me semble offrir un contraste presque comique avec le caractère même du texte, son style brutal et l'effet qu'il produit sur n'importe quel lecteur ou auditeur, fût-il théologien... Attribuer à "Marc" (le livre ou l'auteur supposé) une "théologie" c'est déjà l'arraisonner et le domestiquer, le policer ou le civiliser, le baptiser et l'ordonner dans une institution à la fois cléricale et académique, neutraliser d'avance tout ce qui chez lui pourrait questionner, solliciter, interpeller ou subvertir une telle institution, son theos (tranquillement traduit en français par "Dieu", avec majuscule, avec tous les présupposés d'un mono-théisme sûr de lui, comme si ça allait de soi) et son logos (commun au dogme et à la raison théo-logique et philosophique). Tel est évidemment le problème de fond (sans fond) qu'on ne peut guère s'attendre à voir traité dans des livres de "théologie", puisqu'il y va du fondement même de la "discipline" et de sa "méthode", sans parler de son économie confessionnelle, associative et/ou étatique.
Que la "croix" soit "centrale", ou plutôt essentielle (pour ne pas dire cruciale) au texte (le "centre" du récit en plus d'un sens serait plutôt la transfiguration, mais encore comme contrepartie, contrepoint ou contre-champ de la croix, résurrection avant la mort) -- croix non seulement de "Jésus" mais de tout prétendu "suiveur", qui pourrait aussi bien être théologien ou exégète, appelé dès lors aussi à renier ce qu'il est, ce qu'il dit et ce qu'il fait en tant que tel -- cela ne me semble guère faire de doute, et peut être médité sans fin... Mais que cela doive s'interpréter en termes de "révélation" et de "Dieu", au sens produit, façonné et canonisé par une tradition religieuse bimillénaire, c'est une autre affaire... que précisément "Marc" ne peut que questionner, objectivement, par ce qu'il est, sans rien en dire.
C'est toujours le problème taxonomique du genre, de l'espèce, du règne, de la région, de la catégorie qui assigne d'avance un cadre à un texte et détermine sa lecture: parce que tel "livre" est dans "la Bible", que "la Bible" est un livre religieux, monothéiste, je m'attends à ce qu'il parle avant tout de "Dieu", bloc signifiant-signifié-référent dont je crois savoir a priori ce qu'il signifie et qui il désigne, et qui dès lors ne fait plus l'objet d'aucune question essentielle (qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que ça veut dire); et même s'il parle de tout autre chose je le ramènerai, de gré ou de force, à "Dieu"... Rétrospectivement, ça ne m'étonne pas que mes premières interrogations plus ou moins sérieuses sur cette question, parties de l'expérience de la traduction biblique ("Dieu", avec majuscule, est peut-être le mot le plus mal traduit de la "Bible" et de toutes les bibles, du moins françaises, aussi bien par rapport à l'hébreu 'elohim qu'au grec theos, et c'est une traduction qu'on ne peut en aucun cas "réviser", en tout cas dans le cadre d'une "Bible" toujours religieuse et confessionnelle) m'aient systématiquement ramené au texte de Marc. |
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Jeu 29 Aoû 2024, 12:50 | |
| La Transfiguration au risque de la compréhension du disciple : Mc 9/2-10Claire Clivaz III - De la peur devant la sur-présence (9/6b) à la peur devant le vide (16/Le récit de la Transfiguration se termine sur une quête, «tout en se demandant entre eux » (pros ‘eautous) en 9-10, et la finale marcienne primitive s’ouvre sur une quête : «et elles se disaient entre elles » (pros ‘ eautas ) en 16/3 et «vous cherchez Jésus de Nazareth » en 16/6. Que vont donc voir les femmes au tombeau ? Elles ne verront pas l’objet de leur recherche -Jésus -, car cette dernière demande à être travaillée et déplacée. Ce travail se fait sur le voir, au travers d’une superbe progression passé-présent-futur : «elles virent » (eidon , 16/5) -«voyez » (ide, 16/6) -«vous verrez » (opsesthe, 16/7). Le voir de 9/8 avait laissé l’ auditeur/lecteur sur l’image d’un Jésus seul, seul face à la Passion. Le voir de 16/5 déplace l’attente des femmes : au lieu du corps -seul -de Jésus, c’est un jeune homme, messager, qui se tient là et leur parle. C’est ensuite le lieu (topos) qui est donné à voir (ide), soit le vide : «il n’est pas ici ». La plénitude du « ici » de la Transfiguration (9/5 b) a laissé place au manque du «ici » de 16/6. Mais l’ordre de parler (eipate, 16/7), s’enracinant dans la parole du Maître (eipen, 16/7), fait aboutir la quête au «vous verrez » (16/7). L’ordre de silence concluant la Transfiguration (9/9) est à présent dépassé, mais la question de la parole n’est pas pour autant résolue : l’ordre d’annoncer reste suspendu au «vous verrez ». C’est que la finale bute sur la pcur-phobos . . . Elle est ici clairement distincte de la crainte devant l’apparition : le v. 8 montre en effet que la peur au sens tromos et ekstasis engendre la fuite (ephugon, « elles s’enfuirent »), tandis que c’est au silence que la pem-phobos conduit les femmes («elles ne dirent rien à personne », oudeni ouden eipan). À la Transfiguration et dans les récits de Pâques, le phobos a une «signification christologique particulière31 ». On retrouve donc le même type de peur qu’à la Transfiguration, née à nouveau de l’éclatement de la question de l’identité de Jésus : qui est donc celui-ci, s’il est ressorti du tombeau ? Comme la peur de 9/6, elle va induire un processus chez les disciples : la communauté à laquelle Marc s’adresse sait que les femmes ont ensuite parlé. Mais à la différence du récit de la Transfiguration, ce processus n’est absolument pas développé ; il n’y a pas de deuxième temps après la peur, avec une possible appréhension de l’événement pour les femmes : le processus est laissé à l’ auditeur/lecteur, de même que son aboutissement, la confession de la filialité divine, mais avec l’arrière-fond de 9/2-10. On voit donc peu à peu quel rôle la Transfiguration joue en face du vide de 16/8 : à cause de la promesse du voir (opsesthe , en 16/7), la Transfiguration ne saurait être l’image immédiate que Marc propose pour la Résurrection : la finale reste tendue vers la suite. Mais la Transfiguration offre l’esquisse d’un processus où sont entraînés les disciples par l'événement christologique, et qui passe par le voir (que ce soit un maximum de représentations ou le vide, les deux étant aussi déroutants l’un que l’autre), la peur-phobos et la parole à prendre. Enfin et surtout, la Transfiguration se retrouve être un espace de résonance pour une possible confession de la filialité divine après Pâques, comme nous allons le développer maintenant. https://www.persee.fr/doc/ether_0014-2239_1995_num_70_4_3375 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Jeu 29 Aoû 2024, 14:05 | |
| Voir (encore) ici. Toujours, déjà, fine et perspicace Claire Clivaz (1995, ce n'était pas loin du temps où j'avais eu l'occasion de lire et d'apprécier son mémoire, sur la finale de Marc justement, qui joue ici admirablement avec la Transfiguration comme avec la Passion). Je varierais à peine, un peu quand même, mes remarques antérieures (notamment supra 27.8.2024, les deux posts): si Claire Clivaz part de l'opposition classique, surtout en protestantisme, entre "théologie de la croix" et "théologie de la gloire", elle se montre plus prudente que Cuvillier (sept ans plus tard) dans l'attribution d'une "théologie" à Marc (l'"auteur" présumé ou le "livre"). Et si je suis tout à fait d'accord avec elle pour dire que le jeu du texte implique le lecteur et/ou l'auditeur, individuel et collectif, je me méfierais davantage des supputations sur un ou des "destinataires", voire une "communauté" productrice et/ou réceptrice de l'oeuvre: non seulement on ne sait rien d'une telle "communauté", "chrétienne" sans doute, mais plus ou moins "orthodoxe" ou "hérétique" (de quelle orthodoxie ou de quelle hérésie ?); on ne sait même pas si le texte a été produit par, pour, avec, contre ou sans elle -- peut-être tour à tour de plusieurs manières au fil des rédactions, dans des rapports différents avec des communautés différentes. D'où l'importance à mes yeux du fait que le texte, quelle que soit son origine ou sa préhistoire, coupe de fait tout lien de fondation et de justification d'une "suite" quelconque, historique, traditionnelle ou institutionnelle. L'expérience de lecture/audition, qu'elle soit ecclésiale, sectaire ou individuelle, expose le lecteur/auditeur au récit sans légitimer sa position même de lecteur/auditeur. Elle lui donne à lire et à relire, à entendre, à voir et à penser, mais aucun titre ou droit à le faire: situation quasi clandestine, qui n'est pas sans rappeler, dans le texte même, celle des auditeurs des paraboles, ceux du dedans comme ceux du dehors; ou encore la situation du lecteur-auditeur qui entend bien ce que disent les "esprits impurs" ou les autres personnages que Jésus voudrait faire taire. Un détail un peu technique, à propos du verbe apokrinein traduit habituellement par "répondre" (p. 497s): un hébraïsant objecterait immédiatement que son usage en grec "biblique" (dans la Septante avant le NT) est un calque de l'hébreu `nh, qui signale n'importe quelle "prise de parole" et, dès lors, ne devrait pas être systématiquement traduit par "répondre" (du reste ne l'est généralement pas, vu la bizarrerie de la formule en français par exemple, selon le contexte, bizarrerie qui n'est d'ailleurs pas moindre en grec). Mais l'idée de rapporter la notion de "réponse" à celle de "réaction" me semble intéressante: toute "prise de parole", si initiale et originaire qu'elle se veuille ou se croie, n'est-elle pas une "réponse", une "réaction" à quelque chose qui la précède, sinon à une question ou à une interpellation ? Même la "première parole divine", que la lumière soit, serait encore une "réponse", par exemple aux ténèbres préséantes... L'analyse des temps me paraît très pertinente, pas seulement pour le(s) verbe(s) "voir", mais je la verrais (!) un peu différemment: la confession "pleine" est au passé, à l'imparfait du centurion (celui-là était fils de dieu, 15,39, là encore je préférerais ne pas, comme dirait Bartleby, utiliser la majuscule), mais il y a toujours un futur en réserve, pourvu qu'on ne le croie jamais "accompli". A nouveau se pose la question d'une "communauté" ou d'une "institution" qui neutraliserait tout "évangile" par son existence et son histoire mêmes, parce qu'elle connaîtrait et saurait ou croirait être la "suite"; ou qui serait au contraire toujours à nouveau ouverte à l'inconnu, c'est-à-dire aussi à l'étonnement, à la perplexité, à l'incompréhension, par cet "évangile"-là. |
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| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Ven 30 Aoû 2024, 13:27 | |
| Jésus met en question la tradition
1 Les pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent autour de lui. 2Ils voient quelques-uns de ses disciples manger avec des mains souillées, c'est-à-dire non lavées. 3– Or les pharisiens et tous les Juifs ne mangent pas sans s'être soigneusement lavé les mains, parce qu'ils sont attachés à la tradition des anciens. 4Et, quand ils reviennent de la place publique, ils ne mangent qu'après avoir fait les ablutions rituelles. Ils sont encore attachés à beaucoup d'autres observances traditionnelles, comme le bain rituel des coupes, des cruches, des vases de bronze et des sièges. – 5Les pharisiens et les scribes lui demandent : Pourquoi tes disciples mangent-ils avec des mains souillées, au lieu de suivre la tradition des anciens ? 6 Il leur dit : Esaïe a bien parlé en prophète sur vous, hypocrites, comme il est écrit : Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est très éloigné de moi ; 7 c'est en vain qu'ils me rendent un culte, eux qui enseignent comme doctrines des commandements humains. 8Vous abandonnez le commandement de Dieu, et vous vous attachez à la tradition des humains. 9Il leur disait : Vous rejetez bel et bien le commandement de Dieu pour établir votre tradition. 10Car Moïse a dit : Honore ton père et ta mère, et : Celui qui parle en mal de son père ou de sa mère sera mis à mort. 11Mais vous, vous dites : Si un homme dit à son père ou à sa mère : « Ce que j'aurais pu te donner pour t'assister est korbân – un présent sacré » 12– vous ne le laissez plus rien faire pour son père ou pour sa mère ; 13vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous avez transmise. Et vous faites bien d'autres choses semblables. 14 Il appela encore la foule et se mit à dire : Ecoutez-moi tous et comprenez. 15Il n'y a rien au dehors de l'être humain qui puisse le souiller en entrant en lui. C'est ce qui sort de l'être humain qui le souille. [ 16] 17 Lorsqu'il fut rentré à la maison, loin de la foule, ses disciples l'interrogèrent sur cette parabole. 18Il leur dit : Etes-vous donc sans intelligence, vous aussi ? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui, du dehors, entre dans l'être humain ne peut le souiller ? 19Car cela n'entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, avant de s'en aller aux latrines. Ainsi il purifiait tous les aliments. 20Et il disait : C'est ce qui sort de l'être humain qui le souille. 21Car c'est du dedans, du cœur des gens, que sortent les raisonnements mauvais : inconduites sexuelles, vols, meurtres, 22adultères, avidités, méchancetés, ruse, débauche, regard mauvais, calomnie, orgueil, déraison. 23Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et souillent l'être humain (Mc 7,1-23).
1 . La position de Marc est très critique envers la loi
Pour E. Schweizer, les controverses galiléennes (2,1-3,6) manifestent déjà le triomphe de Jésus sur le péché et sur la loi, victoire qui libère l'évangile pour les nations3. Plus explicitement encore en 7,1- 23 Marc fait comprendre que Dieu n'attend pas une observance cultuelle extérieure, mais bien la piété du cœur. Il s'agirait d'un refus de principe de la loi comme chemin. Alors, comme l'indiquent dans le contexte immédiat la guérison d'un sourd-bègue (7,31-37) et celle d'un aveugle (8,22-26), s'ouvre une autre voie accomplissant eschatologiquement pour le monde païen la prophétie d'Is 35,54. Quant au temple, loin d'être le lieu sacré du culte juif, il aurait dû être lieu de prière pour toutes les nations (11,17). De telles affirmations, tout comme celles des controverses galiléennes, entraînent une concertation des autorités pour mettre Jésus à mort (3,6; 11,18). La conséquence en est la crucifixion qui marque la fin de la loi et le début de la mission vers les païens5.
H. Hiïbner a traité plus en détail la question de la loi dans la rédaction marcienne6. À son avis, même si on ne peut l'affirmer de manière absolue, on a de bons indices de ce que Marc rejette la loi mosaïque comme telle et qu'en tous cas il ne pense pas de façon «nomiste»7. Son évangile ne contient guère, en effet, que trois péricopes importantes à propos de la loi: la première (2,23-28) feste la supériorité de l'homme sur la loi et les deux autres (7,1-23; 10,2-12) traitent de l'abrogation de parties de la Torah8. En Me, l'autorité de Jésus ne repose pas sur celle de la loi, mais sur celle de l'Évangile. Et cette dernière signifie l'abrogation de l'autorité de la loi. Reste à comprendre comment un tel rejet peut être estimé compatible avec l'affirmation répétée de l'accomplissement des Écritures (1,2-3; 14,49). Hiïbner avance avec prudence l'hypothèse que le pagano-chrétien Marc ne connaissait peut-être pas le corpus vétéro-testamentaire comme nous le connaissons et pouvait n'avoir pas conscience que les éléments abrogés faisaient partie des Écritures9.
Selon U. Luz, à la différence de Matthieu, Marc ne retient pratiquement de la prédication de Jésus que la partie critique envers la loi10. Des controverses (2,1-3,6) il ressort que les lois sont données pour le bien de l'homme et donc soumises au commandement de l'amour, ainsi d'ailleurs qu'à l'autorité du Fils de l'homme11. Quant aux commandements rituels concernant la pureté (7,1-23), ils sont purement et simplement abrogés et la justification donnée aux v. 18-19 est de type rationalisant. Comme Schweizer, Luz relie cette abrogation à la mission vers les païens qu'indique le contexte littéraire12. Et Marc ne se rendrait plus compte que, sur les questions de la mission adressée aux païens et de la liberté envers la loi, il faut faire la différence entre le Christ postpascal et Jésus de Nazareth. Mais son projet, à savoir distinguer entre le cérémonial rituel qui est aboli et la loi morale qui est conservée, s'imposera historiquement dans la suite de l'histoire chrétienne13.
II. Étude de Mc 7,1-23
2. Mc 7,1-23 et le système de pureté des adversaires de Jésus
Selon Marc, le conflit entre Jésus et les pharisiens ne se limite pas à une question de mains lavées ou non avant le repas. Les généralisations des v. 15, 18, 19c a) montrent que c'est toute la pureté alimentaire qui est mise en question, voire même la notion de pureté tout simplement. De ce point de vue, la différence est patente avec Matthieu. Dans le texte parallèle (Mt 15,1-20), Matthieu ne reprend pas le oôSév du v. 15, ni le v. 19c; par contre, il ajoute au v. 20 une conclusion de son crû marquant bien la portée limitée à ses yeux de la controverse: «mais manger avec des mains non lavées ne souille pas l'homme».
Pour en revenir à Marc, un regard rapide sur le vocabulaire fait apparaître deux isotopies dominantes dans la controverse. La plus évidente est celle du vocabulaire de pureté: souiller5 fois (v. 15[2 fois]. 18.20.23), impur 2 fois (v. 2.5), purifier (v. 19), non lavé (v. 2), laver (v. 3), s'asperger (v. 4), lavage (v. 4). Il convient de remarquer que tous ces mots, à l'exception de KaGapiÇco, ne sont utilisés par Marc que dans cette péricope. La seconde isotopie dominante est celle des parties du corps. Dans aucune autre péricope de Me on n'a autant d'allusions à des parties du corps qu'en 7,1-23: le cœur 3 fois (v. 6.19.21), les mains 3 fois (v. 2.3.5), les lèvres (v. 6), les oreilles (v. 16), l'œil (v. 22), le ventre (v. 19), le coude (v. 3). Cette abondance est d'autant plus frappante que les mots (...), et (...)constituent autant d'hapax en Me et que ce sont les seules parties du corps à n'être évoquées qu'une seule fois dans cet évangile. Par ailleurs, un système d'opposition semble suggéré par celle que le texte met en œuvre entre le cœur et les lèvres dans un premier cas (v. 6), entre le cœur et le ventre dans un second cas (v. 19).
Dans la même ligne, l'opposition systématique entre deux positions bien manifestées par les verbes entrer et sortir (v. 15, 18, 19, 20, 21, 23) suggère une clé d'interprétation opposant deux systèmes sur la question de la pureté. On retrouve dans cette péricope le même phénomène qu'en Me 3,4 où, à partir d'un cas anecdotique, une phrase généralisante fournissait une clé d'interprétation pour l'ensemble des controverses galiléennes (2,1-3,6) et révélait combien s'y jouaient la vie et la mort38. De même au chapitre 7, à partir de l'anecdote des pharisiens critiquant les disciples pour ne pas s'être lavé les mains avant de manger, le conflit va prendre une tournure de plus en plus générale. On y oppose d'abord le commandement de Dieu à la tradition des hommes sur base de l'exemple concret du ban (v. 6-13) pour passer ensuite à un principe global (v. 15), dont les versets suivants montrent la force d'interprétation pour lutter contre la vraie souillure.
*****
Partant de ce même concept de pureté/sainteté offensive, W. Klamer analyse comment il est mis en œuvre concrètement en Mc44. À la différence de Berger, il inscrit une rupture assez nette entre Jésus et les pharisiens, dont les voies se séparent. Selon le système du pur et de l'impur développé par les pharisiens, il est vital de prévenir l'impureté en évitant ce qui en est source. Ce qui induit une stratégie passive et défensive. Si, malgré les précautions prises, on est tout de même contaminé par une quelconque impureté, les préceptes de purification précisent comment retrouver l'état de pureté. Dans l'évangile, la purification d'un lépreux (1,40-45), de l'hémorroïsse (5,25- 34) et les nombreux exorcismes, particulièrement celui où Jésus s'attaque à une légion de démons en terre païenne (5,1-20), montrent que Jésus ne recule pas devant le contact avec des sources sérieuses d'impureté. Il y apparaît comme une source de sainteté. Sa force sanctifiante écarte l'impureté contagieuse et chasse les esprits impurs ou démons45. Il s'agit de sanctifier la vie. Ce qui induit une stratégie offensive. Les concepts de pureté et de sainteté sont liés au combat central dans l'évangile de Marc: la sainteté, qui est transmissible et combative, est liée à la venue sur terre du règne de Dieu.
https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1996_num_27_3_2835 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Ce que je retiens : de Marc Ven 30 Aoû 2024, 14:16 | |
| Bien vu ! Je n'avais même pas pensé à rapprocher de notre discussion sur les "suites" de l'évangile, autrement dit sur les traditions chrétiennes, ecclésiastiques ou sectaires, orthodoxes ou hérétiques, toujours traditionnelles d'une manière ou d'une autre, ce texte fameux sur la tradition, paradosis, habituellement rangé (encore la manie de l'ordre, la taxonomie qui catalogue les thèmes comme les genres, et aveugle les textes circonscrits dans un cadre, boîte ou tiroir, à tout ce qui les entoure) dans le dossier du rapport à la loi juive (Torah), au judaïsme en général ou au pharisaïsme en particulier. Focant (1996) n'y avait pas non plus pensé, mais il avait l'excuse d'opérer dans un milieu ecclésiastique, catholique de surcroît, peu enclin à questionner le principe même de la "tradition", et même de la "tradition juive" au moins depuis Vatican II... Le revers de la médaille, c'est la confusion permanente du "judaïsme" avec la tradition phariséo-rabbinique, qui ne reflète pas, c'est une litote, toute la diversité du "judaïsme du Second Temple" -- où l'on trouve des tenants sacerdotaux de la loi rituelle opposés aux pharisiens qui laïcisent le rite, aussi bien chez les sadducéens du temple que chez leurs ennemis qoumrâniens ou hénochiens, et des adversaires de toute pratique rituelle au nom d'une interprétation allégorique, morale et philosophique, comme en témoigne Philon qui pourtant les désapprouve... Par contre la critique marcienne de la tradition s'éclaire si l'on suppute qu'elle vise aussi, indirectement, les "traditions chrétiennes" (y compris pauliniennes); tout comme la critique virulente des pharisiens développée chez Matthieu à partir d'un rapport quasi opposé à la Loi (Torah), atteint aussi, volontairement ou non, leurs homologues chrétiens dans les hiérarchies naissantes et futures de "l'Eglise". Le concept de pureté/impureté "offensive" ou "défensive" (K. Berger etc.) me semble extrêmement pertinent, mais c'est loin d'être une simple nuance: entre l'idée que le pur (saint, sacré, etc.) purifie l'impur et celle, symétrique, que l'impur contamine le pur (etc.), il y a bien contradiction logique, formelle, absolue -- déjà exposée d'un point de vue sacerdotal dans le livre d'Aggée, 2,10ss, qu'on aurait pu citer ici: mais même dans ce texte la logique "prophétique" renverse, d'une certaine façon, la logique sacerdotale... En ce qui concerne Marc, si le substantif paradosis = "tradition" n'apparaît que dans cette péricope, le verbe correspondant, par contre, est celui de la " livraison-trahison": 1,14; 3,19; 4,29 (le fruit "donné-livré"); 9,31; 10,33; 13,9ss; 14,10s.18.21.41s.44; 15,1.10.15. Mes remarques d'hier sur la "clandestinité" -- clandestinité structurelle du lecteur, de l'auditeur, mais aussi bien de l'auteur ou du narrateur, du texte, du récit, des personnages, puisqu'en définitive rien de ce qui se raconte là n'aurait dû pouvoir être raconté, tout finissant dans une impasse qui enferme et retourne le récit sur lui-même, et produit paradoxalement ainsi une ouverture infinie -- m'ont rappelé le titre de l'ouvrage que Harnack avait consacré à Marcion, Das Evangelium vom fremden Gott, L'évangile du dieu étranger (la majuscule en allemand s'appliquant aussi aux noms communs, elle ne s'impose pas en traduction française). Comme on l'a déjà signalé, l' euaggelion ou evangelion de Marcion est traditionnellement associé à Luc, mais la formule s'appliquerait encore bien mieux à Marc -- qu'on identifie d'ailleurs le "dieu" en question à "Jésus", à l'"esprit", au "père" (du "fils") ou à n'importe qui aurait une "foi de dieu" ( pistis theou). Clandestin, sans papier, irrégulier, illégal, illégitime, hors loi, hors droit, hors règle, hors norme, tout ce qui se joue là. C'est aussi le paradoxe ou l'aporie de l' ex-ousia et du "permis", "autorisé" ou non ( ex-eimi), droit sans droit, autorité sans autorité, pouvoir sans pouvoir; ou de la dunamis, possibilité de l'impossible.... Je ne me fais pas (trop) d'illusion sur l'anachronisme de ma lecture "anarchisante" de l'"anom(ian)isme" de Marc, mais aucune lecture n'échappe à l'anachronisme. Nietzsche a vu mieux que quiconque l'affinité profonde du christianisme (mais aussi du bouddhisme ou de l'épicurisme) à l'anarchisme et au nihilisme modernes, à partir d'un point de vue antagoniste qui s'opposait, en surface, à ceux-ci comme à celui-là. Quand je vois le "Jésus" de Marc je repense à l' Héliogabale ou l'anarchiste couronné d'Artaud, qui me rappelle à son tour la caricature d'Antiochos dans Daniel et ses suites apocalyptiques: Christ et antéchrist, Crucifié et Dionysos indissociables... |
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